Rapport d'activité 2022 de la Cour des comptes
Sommaire
Tous les chapitres
PIERRE MOSCOVICI : notre centre de gravité se situe au cœur de la Cité
Retrouver le rapport d'activité en PDF (8 Mo)
Le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, revient sur les temps forts de l’année 2022 pour les juridictions financières. Dans un contexte politique, géopolitique et économique mouvant, la Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes s’affirment plus que jamais comme une vigie au service des citoyennes et des citoyens pour éclairer l’action publique.
Quel regard portez-vous sur l’année écoulée et sur l’activité des juridictions financières ?
L’année 2022 a été marquée par le retour de la guerre en Europe et par ses conséquences humaines et économiques désastreuses qui nous bouleversent encore aujourd’hui. Nos concitoyens et les pouvoirs publics ont dû se confronter et se confrontent encore à un ralentissement de l’activité économique et à une hausse inédite de l’inflation. D’importantes échéances électorales en France ont aussi rythmé 2022, alors même que des menaces sérieuses pèsent sur le débat démocratique avec la prolifération de la désinformation. Or, la multiplication de ces chocs multifactoriels – sanitaires, écologiques, économiques, politiques ou géopolitiques – rend plus que jamais nécessaire la transformation de notre modèle de société vers plus de résilience, d’adaptations positives aux bouleversements que nous connaissons.
Dans ce contexte si particulier, les juridictions financières ont pleinement exercé leur devoir, sans faillir, avec rigueur et indépendance. Ce rôle de « tiers de confiance », de vigie, est évidemment utile par temps clair. Il est a fortiori essentiel lorsqu’il s’agit de naviguer en eaux troubles. Et notre ambition est à la hauteur de cet impératif. Avec 110 rapports en 2022, le volume de publications de la Cour n’a jamais été aussi élevé et il sera amené à augmenter encore plus en 2023 avec le 100 % publication, c’est-à-dire la publication de l’ensemble de nos travaux. Au-delà des chiffres, je tiens à souligner l’implication des personnels des juridictions financières et leur esprit d’initiative. Le projet stratégique JF2025 de transformation de notre institution les mobilise pleinement et ils ont tous à cœur d’honorer leur mission d’information des citoyens et d’ouverture à l’extérieur.
Vous affichez l’ambition de rapprocher les juridictions financières et les citoyens. Où en êtes-vous ?
Je suis convaincu que le centre de gravité des juridictions financières n’est pas le Palais Cambon, mais bien le cœur de la Cité. Nous devons être une institution ouverte aux citoyennes et aux citoyens, un lieu où chacune et chacun trouve des réponses objectives et étayées aux préoccupations qui animent notre société. Notre projet de transformation va dans ce sens : après deux années de préparation, de réflexion et de réorganisation de nos missions, le temps des actions concrètes et des résultats tangibles est venu.
Tout d’abord, le droit de requête citoyen fait désormais partie de notre fonctionnement. Au printemps 2022, nous avons créé une plateforme permettant à chacun de soumettre des suggestions de contrôle. À l’heure où l’on constate parfois une fracture entre les citoyens et leurs institutions, cette campagne de consultation a rencontré son public : 333 propositions de rapports ont été déposées et/ou soutenues par plus de 9 000 participants. Grâce à ces contributions, la Cour a pu enrichir son programme de travail : dans les prochains mois, nous publierons six rapports d’initiative citoyenne, un par chambre thématique.
La plateforme de signalement mise à disposition du public pour faire remonter des irrégularités ou des dysfonctionnements dans la gestion publique a également été un franc succès. Cet engouement révèle une véritable demande de renforcement du contrôle de régularité.
Nous avons enfin beaucoup œuvré pour être à la hauteur en matière de transparence et rendre nos travaux plus accessibles. Il s’agit d’une transformation importante, entamée dès 2022, qui vient réaffirmer notre rôle démocratique et notre raison d’être.
Comment cet objectif d’être au plus près des priorités des citoyens et des décideurs publics se traduit-il dans les travaux de la Cour ?
Notre rôle démocratique ne pourra être renforcé que si nous sommes en phase avec les attentes des citoyens et avec le temps de la décision politique. Afin d’être plus agiles, nous avons modernisé nos méthodes de travail, comme avec les « audits flash », des contrôles menés dans des délais resserrés. Les juridictions financières s’emparent également des sujets qui rythment le quotidien des citoyens, à commencer par les questions environnementales. Nous consacrerons ainsi notre prochain Rapport public annuel à la transition écologique, notamment par le biais de l’adaptation, c’est-à-dire les politiques publiques mises en œuvre pour anticiper les impacts à attendre de la réalité, malheureusement déjà palpable, du changement climatique.
Nous souhaitons aussi devenir l’acteur majeur de l’évaluation des politiques publiques en France. Notre ambition est, en effet, de fournir des analyses objectives et impartiales sur lesquelles les pouvoirs publics peuvent fonder leurs décisions. Cette mission est, à nos yeux, un levier puissant pour restaurer la confiance des citoyens dans l’action publique. En ce sens, 2023 sera riche en évaluations des politiques publiques. Nous y consacrerons 12 % de nos ressources, avec 20 % en ligne de mire pour 2025. Ce chantier stimulant nous pousse à revoir nos méthodologies, à attirer de nouvelles compétences et à nous ouvrir sur d’autres organismes. C’est aussi une transformation qui engage pleinement les chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) qui, depuis la loi dite « 3DS » de février 2022, peuvent mener des évaluations de politiques publiques locales ou partagées.
L’année écoulée a aussi été marquée par la réforme de la mission juridictionnelle des juridictions financières. Qu’est-ce que cela change ?
À compter du 1er janvier 2023, nous jugeons différemment grâce à l’instauration d’un régime de responsabilité unique pour l’ensemble des gestionnaires publics. Il était plus complexe auparavant et avait montré ses limites en termes de délais et d’efficacité. Dans ce nouveau modèle, nous restons juges et, même, nous renforçons cette mission. C’était, pour moi, un engagement fort. Notre statut de juge, qui emporte des garanties, mais aussi des devoirs, est désormais confirmé. Ce nouveau régime est une avancée car il est plus lisible pour les citoyens, plus respectueux des droits des justiciables et entend répondre aux impératifs d’une gestion publique moderne. Pour faire vivre cette réforme, nous avons collectivement mis en œuvre les changements d’organisation et les modifications de l’ordre juridique nécessaires. En janvier 2023, j’ai eu le grand plaisir d’installer la chambre du contentieux, avec une parité de magistrats de la Cour et des chambres régionales. Sa composition illustre aussi le rapprochement entre les deux versants de notre institution et coïncide avec les 40 ans des chambres régionales des comptes.
Pour faire face à ces nouvelles missions, comment les juridictions financières parviennent-elles à réaffirmer leur attractivité ?
Notre ambition de nous ouvrir davantage aux citoyens est solidaire d’une stratégie d’attractivité plus audacieuse. L’année 2022 a vu la mise en place de la réforme de l’encadrement supérieur de l’État. Je suis convaincu que cette transformation, qui impacte nos voies de recrutement et qui a renforcé nos obligations de mobilité, est une opportunité dont les juridictions financières doivent se saisir. À l’occasion de cette réforme, nous avons également réaffirmé notre ouverture à des profils plus diversifiés avec la mise en œuvre, en 2022, d’une nouvelle voie d’accès à la Cour, qui devient, en 2023, l’unique voie de recrutement des auditeurs. L’engouement suscité par cette procédure vient nous rappeler que la Cour a toujours su attirer les talents, parce que ses métiers sont passionnants et que ses missions ont du sens.
Au regard de l’évolution de l’action publique et de nos missions, nous avons besoin de profils plus divers, de spécialistes des données, de l’environnement, de la santé ou de l’éducation. Pour attirer ces talents, nous avons multiplié les actions ambitieuses, avec le lancement d’une campagne « marque employeur ». Dans le même temps, nous avons déployé notre nouvelle stratégie de formation et de développement des compétences : l’exigence d’acquisition et de maintien des savoirs et des savoir-faire est en effet la condition sine qua non de la transformation dans des institutions qui bougent. J’ai enfin à cœur que les juridictions financières soient un tremplin de carrière pour leurs membres et offrent de riches perspectives de mobilité. C’est pourquoi j’ai nommé une déléguée à la mobilité, qui a pour mission d’accompagner les magistrats dans leur mobilité externe.
Afin d’accroître notre attractivité et notre rayonnement, la Cour s’est aussi davantage ouverte sur le monde, en coopérant plus étroitement avec les institutions supérieures de contrôle étrangères, mais aussi dans le cadre de l’audit externe des Nations unies, qui nous occupera pour les six prochaines années. Ce mandat est une grande opportunité pour développer nos compétences, faire connaître nos méthodes et participer à l’amélioration de la conduite des missions des Nations unies et au renforcement de leur légitimité. Une institution attractive et moderne, c’est enfin et surtout un collectif de travail sain et mixte, qui porte haut les valeurs d’égalité professionnelle, de diversité et de lutte contre toutes les formes de harcèlement. Pour y parvenir, nous avons engagé une stratégie ambitieuse, avec le déploiement d’un réseau de référents égalité et la mise en œuvre d’un audit de la Cour pour obtenir le label Afnor. Sur tous ces sujets, nous avons déjà avancé, mais nous devons faire encore des progrès.
Dès lors, à quoi ressembleront les juridictions financières en 2025 ?
Dans le cadre de la réforme stratégique que j’ai engagée, j’ai fait mien le mantra de mon prédécesseur, Philippe Séguin : « Revendiquer l’héritage, préparer l’avenir ». En 2025, je suis convaincu que notre institution aura renforcé ses atouts : son indépendance et son rôle de « tiers de confiance » capable d’éclairer la décision publique et de nourrir le débat démocratique. En 2025, notre institution sera aussi plus en phase avec son temps, davantage tournée vers les citoyens, mais aussi plus soucieuse du bien- être de ses membres et plus impliquée dans le développement de leurs compétences et de leurs carrières. En un mot, une institution ouverte et en mouvement, qui se veut un pilier de la démocratie car, conformément à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
LES FAITS MARQUANTS
Rapport public annuel, consultation citoyenne, convention "prépa Talents", Présidence française de l'Union européenne, convention avec la Société française de l'évaluation, nouvelle procédure de recrutement, mandat d'audit externe de l'ONU, plateforme de signalement, régime unifié de responsabilité des gestionnaires publics, 100% publication et compétences d'évaluation des politiques publiques.
En savoir plus sur les faits marquants
LA COUR DES COMPTES DANS LES JURIDICTIONS FINANCIÈRES
Au sein des juridictions financières, la Cour des comptes a un rôle fondamental pour le fonctionnement de la démocratie. Pour s’assurer du bon emploi de l’argent public, elle remplit quatre grandes missions : Contrôler, juger, certifier et évaluer pour en informer la société.
Retrouver les missions et valeurs
Retrouver les chiffres clés
UN ANCRAGE AU CŒUR de la société
Attachées à informer le grand public et à éclairer les décisions des responsables publics, les juridictions financières s’adaptent à l’évolution de leurs attentes et de leur environnement. Pour accroître leur force et leur rayonnement, elles s’ouvrent à l’extérieur via de nouveaux dispositifs de participation citoyenne, des partenariats et une collaboration renforcée entre la Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC).
DES RAPPORTS EN PHASE AVEC LES attentes des citoyens
Publication de l’ensemble des rapports, thématisation du rapport public annuel (RPA)… : suivant les orientations du projet stratégique JF2025, la programmation de la Cour des comptes poursuit sa démarche d’ouverture aux citoyennes et citoyens.
Comment la Cour élabore-t-elle la programmation de ses travaux ?
La Cour définit librement son programme annuel de contrôle selon ses priorités et les risques identifiés. De manière générale, nous veillons de plus en plus à mener des enquêtes en lien avec les préoccupations du public. En 2022, des plateformes de participation citoyenne et de signalement ont été lancées. Celles-ci permettent respectivement de suggérer des sujets de contrôle et de signaler des irrégularités ou des dysfonctionnements constatés dans la gestion publique. Ces démarches permettent d’associer plus étroitement les citoyennes et les citoyens à la programmation de la Cour.
Comment les juridictions financières répondent-elles à la vocation de la Cour d’information des citoyens ?
Renforcer l’information du citoyen est un axe fort du projet stratégique JF2025. Dans cette optique, deux nouveaux formats de publication ont été lancés en 2021 : les audits flashs et les notes structurelles. Les audits flashs permettent de réaliser des contrôles ciblés, sur un temps court, en lien avec un sujet d’actualité. Les notes structurelles présentent, de façon synthétique, les principaux défis auxquels seront confrontés les décideurs publics au cours des prochaines années, à partir d’éléments de diagnostic issus de précédents travaux de la Cour. Nous veillons également à rendre nos rapports plus lisibles et plus accessibles. Chaque publication est accompagnée d’une synthèse. Nous y intégrons des infographies. Nous communiquons sur les réseaux sociaux, etc.
Par ailleurs, pour la première fois en 2022, le document analysant le suivi des recommandations formulées par les juridictions financières, jusqu’à présent intégré dans le rap- port public annuel, a fait l’objet d’une publication propre, afin de mieux contribuer à l’information des citoyens.
Quelle est la place du rapport public annuel parmi les publications des juridictions financières ?
Depuis qu’il a été rendu public en 1832, le rapport public annuel (RPA) constitue la publication phare de la Cour des comptes. De toutes ses productions, c’est en effet celle qui retient le plus l’attention des pouvoirs publics et de nos concitoyens. En 2022, le RPA est devenu une publication thématique. Le sujet est choisi pour sa capacité à éclairer des enjeux structurels majeurs, à être en phase avec les préoccupations des citoyennes et des citoyens et à permettre à toutes les chambres de la Cour et aux chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) d’y contribuer. En 2022, l’attention des juridictions financières s’est ainsi portée sur la crise sanitaire et, en 2023, sur le bilan de quarante ans de décentralisation. Les prochains RPA traiteront de la politique d’adaptation au changement climatique (2024) et des politiques publiques en faveur de la jeunesse (2025).
Comment les recommandations des juridictions financières sont-elles formulées et suivies ?
La Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des comptes réalisent chaque année plusieurs centaines de contrôles et d’en- quêtes. À l’issue de leurs travaux, elles adressent aux ministres et aux organismes contrôlés des recommandations destinées à améliorer les résultats des poli- tiques publiques mises en œuvre et à favoriser une meilleure utilisation de l’argent public. Chaque année, elles assurent ainsi le suivi de la mise en œuvre de plus de 2 000 recommandations. En 2022, les trois quarts des recommandations émises par les juridictions financières ont été mises en œuvre par les entités contrôlées, dont 39 % totalement et 35 % partiellement. Nos recommandations sont globalement bien suivies.
Quel est l’impact du suivi des recommandations sur le quotidien des citoyennes et citoyens ?
Les rapports de la Cour sont de plus en plus tournés vers la qualité du service rendu aux usagers. Par voie de conséquence, un certain nombre de recommandations poursuivent cet objectif et leur suivi permet de vérifier si cela a bien été le cas. À titre d’illustration, le rapport de suivi des recommandations de l’année 2022 montre que les recommandations de la Cour dans le cadre de l’évaluation de la politique en direction des personnes présentant des troubles du spectre de l’autisme (TSA) ont amélioré la démarche de diagnostic des jeunes enfants : le nombre d’enfants repérés par des professionnels médicaux de première ligne et adressés à une plateforme de coordination et d’orientation est passé de 150 en 2019 à plus de 11 000 sur les six premiers mois de l’année 2020.
Sur le sujet de la protection de l’enfance, qui a fait l’objet d’un rapport public thématique en 2020, le suivi des recommandations des chambres régionales des comptes a aussi amélioré la qualité de service rendu : par exemple, dès juillet 2021, le département des Deux-Sèvres a pu afficher un raccourcissement de ses délais de traitement. De même, six départements sur huit ont renforcé les contrôles des établissements et services de protection de l’enfance.
Comment les juridictions vont-elles poursuivre dans les mois à venir cette démarche d’ouverture aux citoyens ?
Depuis le 1er janvier 2023, par souci de transparence, l’ensemble des rapports des juridictions financières est publié : nous mettons en ligne tous les rapports, mais aussi toutes les observations définitives qui auparavant n’étaient envoyées qu’aux administrations concernées. Nous fournissons également sur notre site internet les données sources ainsi que les réponses apportées par les pouvoirs publics contrôlés aux constats et aux observations des juridictions. Cette démarche s’accompagne d’une forte hausse du volume de publications des juridictions financières : on en dénombre 110 pour l’année 2022, contre 69 en moyenne par an sur la période 2018-2020. Nous continuons donc pleinement à jouer notre rôle de tiers de confiance.
CAMPAGNE VACCINALE CONTRE LA COVID-19 : QUELS RÉSULTATS ? En décembre 2022, la Cour des comptes a publié un rapport sur la politique vaccinale contre la Covid-19. Menée dans un cadre inédit de vaccination d’une population entière dans des délais limités, l’enquête a été conduite alors que la campagne était encore en cours. Dans un contexte difficile durant les premiers mois, la stratégie et la logistique ont dû s’adapter régulièrement pour permettre à la France d’atteindre une couverture vaccinale globalement satisfaisante. Le rapport note que le coût de cette vaccination peut être relativisé au regard des bénéfices qu’elle a apportés. Celle-ci a ainsi permis de limiter le nombre d’hospitalisations et de décès, ainsi que le recours à de nouvelles mesures restreignant l’activité économique, et donc coûteuses pour les finances publiques. Des disparités notables de couverture vaccinale persistaient cependant fin 2022 : les plus de 80 ans, public le plus vulnérable face à la maladie, étaient moins bien vaccinés que le reste de la population. Par ailleurs, la couverture vaccinale était particulièrement faible en outre-mer. Au-delà de la mise en lumière des enseignements de la campagne vaccinale, le rapport formule également six recommandations pour faire face aux prochaines épidémies. |
Consulter le rapport en ligne
GESTION DES DÉCHETS MÉNAGERS : UNE AMBITION À CONCRÉTISER Les juridictions financières ont publié en septembre 2022 un rapport public thématique sur la prévention, la collecte et le traitement des déchets ménagers. Dix ans après la publication d’un précédent document qui avait identifié des insuffisances, ce rapport a associé la Cour des comptes et onze chambres régionales des comptes (CRC). Il s’est nourri de 51 contrôles organiques des CRC portant sur la ville de Paris et trois métropoles (Aix-Marseille, Lyon et Nice), 22 communautés de communes et d’agglomération, 23 syndicats mixtes et d’une enquête de la Cour sur la dimension nationale et internationale du sujet. La très grande variété de matières et d’objets qui composent les 39 millions de tonnes de déchets ménagers et assimilés (DMA) produits en France rend leur collecte et leur traitement à la fois plus complexes et plus coûteux que ceux des autres déchets – dont le volume est pourtant plus significatif. Le rapport note que les indicateurs réglementaires actuels, à la fois trop nombreux et publiés trop tardivement par l’Ademe à partir de données locales incomplètes, ne permettent pas de piloter efficacement l’action publique. Par ailleurs, les juridictions financières estiment notamment que la part faite à la tarification incitative, qui consiste à faire payer les usagers selon les quantités qu’ils produisent, est insuffisante. |
Consulter le rapport en ligne
UN ÉCLAIRAGE ESSENTIEL SUR LES FINANCES PUBLIQUES en période de crise
Le périmètre de la première chambre de la Cour des comptes est centré sur l’économie et les finances. Des secteurs- clés pour éclairer l’action publique et analyser l’efficacité et l’efficience des politiques publiques. Carine Camby, présidente de la première chambre, revient sur l’année 2022, le « quoi qu’il en coûte » et les conséquences des crises sanitaire et énergétique.
Comment les travaux de la Cour, et en particulier ceux de la première chambre, accompagnent-ils le Gouvernement et le Parlement ?
L’une des particularités de la première chambre est qu’elle réalise chaque année plusieurs rapports qui s’inscrivent dans le cadre de la loi organique sur les lois de finances, qui est un peu la « constitution » financière de l’État français. Ces rapports, publiés et transmis aux assemblées, permettent d’accompagner les décisions du Gouvernement et d’éclairer les débats du Parlement sur la situation des finances publiques. Il s’agit du rapport annuel sur l’exécution du budget de l’État, de la certification des comptes de l’État et du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Par ailleurs, la première chambre, comme toutes les chambres de la Cour, peut réaliser des rapports de sa propre initiative ou à la demande du Parlement ou du Gouvernement. En 2022, le Sénat a ainsi sollicité un rapport sur les scénarios de finance- ment des collectivités territoriales qui, partant du constat d’un système complexe et à bout de souffle, pro- posait des scénarios de réforme.
Comment les rapports de la Cour éclairent-ils l’action publique et les décisions politiques ?
La Cour a un pouvoir d’influence. Elle ne décide pas à la place du Gouvernement mais elle a cette capacité à attirer l’attention de nos concitoyens et des pouvoirs publics sur des politiques publiques dont les résultats ne seraient pas à la hauteur des attentes et de l’argent public investi. La question à laquelle la Cour tente de répondre à travers ses rapports est de savoir comment obtenir de meilleurs résultats sans forcément dépenser plus, mais en dépensant mieux. C’est ce qu’on appelle l’efficience de la dépense.
Comment la première chambre a-t-elle analysé les conséquences financières de la crise en 2022 ?
En 2022, nous avons par exemple réalisé une évaluation du dispositif des prêts garantis par l’État, 137 milliards d’euros à fin 2021, qui ont été accordés à plus de 660 000 entreprises pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire. Nous avons ainsi constaté que ces prêts avaient permis de limiter le taux de défaillance des entreprises et qu’ils avaient également facilité la reprise d’activité une fois la crise passée. Dans le cadre du rapport public annuel 2023, le traditionnel chapitre d’ouverture sur la situation d’ensemble des finances publiques a montré qu’au « quoi qu’il en coûte » de la crise sanitaire avait succédé un « quoi qu’il en coûte » de la crise énergétique et de l’inflation. Le niveau de dépenses publiques et le déficit de l’État restent donc extrêmement élevés. Tout en reconnaissant que l’État a été très réactif sur ces sujets, la Cour incite à cibler davantage les aides et à s’inscrire dans une trajectoire pluriannuelle permettant d’infléchir durablement le rythme des dépenses publiques et l’endettement de l’État.
En 2022, la Cour a également travaillé sur un sujet qui concerne beaucoup de Français : le prélèvement à la source. Quelles ont été ses conclusions ?
Le prélèvement à la source est l’une des réformes fiscales les plus importantes de ces dernières années, qui a concerné près de 19 millions de contribuables. Les enjeux étaient considérables, notamment parce que cette réforme semblait très difficile à mettre en œuvre et suscitait aussi des inquiétudes de la part des entreprises et des particuliers. Finalement, cela s’est très bien passé. Ce rapport a ainsi permis de donner un éclairage sur une réforme qui apparaît globalement comme une réussite.
EHPAD : UN NOUVEAU MODÈLE À CONSTRUIRE Saisie par la commission des affaires sociales du Sénat, la Cour des comptes a fait paraître un rapport sur la prise en charge médicale dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) en février 2022. Elle s’est appuyée sur le contrôle de 57 établissements dont 19 privés à but lucratif. Malgré des fonds publics en hausse de 30 % entre 2011 et 2019, dépassant les 14 milliards d’euros, cette progression des dépenses ne suffit pas à répondre aux besoins d’une population de plus en plus fragile. Les effectifs de soignants demeurent insuffisants pour garantir un accompagnement de qualité. Par ailleurs, le financement des Ehpad, complexe, nécessiterait d’être simplifié et harmonisé d’un territoire à l’autre. Face à un modèle « à bout de souffle », la Cour suggère de mieux intégrer les Ehpad dans les territoires et de renforcer la prise en charge médicale au sein de ces établissements, ainsi que la démarche qualité. Consulter le rapport en ligne |
DES CONTRÔLES RELIÉS à l'actualité
Sous l’impulsion du projet stratégique des juridictions financières JF2025, la Cour des comptes renforce les collaborations pour produire des rapports plus en phase avec le temps de la décision politique. Illustrations avec Nacer Meddah, président de la troisième chambre.
Quels sont les domaines d’intervention de la troisième chambre ?
La troisième chambre couvre un champ très vaste via ses trois sections : l’enseignement supérieur et la recherche ; l’enseignement scolaire ; la jeunesse, le sport, la vie associative ainsi que la culture et la communication. Environ 30 % des contrôles organiques d’établissements sont ainsi réalisés par cette chambre : nous contrôlons des universités, des châteaux, des musées, des organismes nationaux de recherche, des écoles, des sociétés de l’audiovisuel public…
Comment l’actualité alimente-t-elle les travaux de la Cour et, en particulier, ceux de la troisième chambre ?
En cohérence avec le projet JF2025, deux axes guident notre action : répondre aux attentes citoyennes et éclairer les décideurs politiques. On peut voir, à tort, la Cour des comptes comme le contrôleur des travaux finis, ce n’est pas le cas. Mais ces principes orientent notre programmation vers des sujets plus contemporains, qui collent davantage aux politiques publiques telles qu’elles sont déclinées aujourd’hui et non telles qu’elles ont été décidées il y a cinq ans. Cela nous conduit notamment à développer de plus en plus de contrôles continus, comme nous le faisons pour la restauration de Notre-Dame de Paris et la préparation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Ces contrôles réguliers permettent aux décideurs de prendre connaissance des points de vigilance pour ajuster ou réorienter rapidement les politiques publiques.
Comment s’organise le contrôle du chantier de Notre-Dame de Paris ?
Suite à l’incendie de Notre-Dame de Paris en 2019, la Cour des comptes a été chargée de réaliser périodiquement une enquête sur les opérations de reconstruction de la cathédrale et leur financement. Nous avons rendu un premier rapport en 2020, formulant cinq recommandations. Dans un second rapport rendu public en 2022, nous avons pu mettre en lumière que, sur ces recommandations, une seule avait été partiellement prise en compte, ce qui nous a amenés à formuler sept nouvelles recommandations.
La Cour des comptes est également chargée d’une mission de contrôle de la préparation et l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. En quoi consiste-t-elle ?
Entre 2019 et fin 2022, nous avons produit 12 rapports sur le sujet et avons rendu un premier rapport de synthèse début 2023. Ces publications nous ont notamment permis – outre la préoccupation permanente de maîtrise des finances de cet événement mondial – de souligner des points de vigilance concernant la sécurité et les transports. Ce travail va se poursuivre jusqu’au bilan des Jeux olympiques, après qu’ils se seront déroulés.
La Cour est régulièrement auditionnée par le Parlement. Quels sont les enjeux et les objectifs ?
Le Gouvernement ainsi que l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent nous commander des rapports. Au-delà des publications que nous produisons à leur demande, ils peuvent nous solliciter pour des auditions sur l’ensemble de nos productions. Les différentes com- missions de l’Assemblée nationale et du Sénat se nourrissent de cet éclairage dans leurs travaux. Ainsi, en 2022 et début 2023, nous avons notamment été auditionnés pour présenter nos rapports sur la stratégie nationale de recherche en intelligence artificielle, sur la scolarisation des élèves allophones et la synthèse sur les Jeux de Paris 2024.
Comment la Cour s’adapte-t-elle à un rythme de publication plus élevé et à des enjeux d’ouverture à l’extérieur ?
Avec JF2025, la Cour a élargi l’éventail de ses publications. Faire face à cette augmentation des productions implique de déployer des modes d’organisation différents, c’est-à-dire travailler davantage avec d’autres chambres de la Cour et avec les chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC). Dans le cadre de rapports sur le spectacle vivant publiés en 2022, nous avons ainsi mis en place une formation inter-juridictions (FIJ) avec des CRTC. Celle-ci est aujourd’hui devenue une FIJ quasi permanente sur la culture qui, après les festivals en 2022, traite en 2023 des opéras. Nous renforçons également la collaboration avec les partenaires extérieurs et les sachants. Par exemple, dans le cadre du rapport sur l’intelligence artificielle publié en 2022, nous avons mis en place une communauté avec des spécialistes, des universitaires de haut niveau. Nous avons aussi collaboré avec un laboratoire de Sciences Po Paris pour disposer d’éléments sur le développement de l’intelligence artificielle dans des domaines du quotidien.
LA FORMATION DES POLICIERS SOUS TENSION
Dans un rapport publié en février 2022, la Cour des comptes relève que la formation initiale des personnels de la police nationale est soumise à de fortes tensions. L’ambition du Gouvernement de recruter massivement des policiers a des répercussions négatives sur les conditions de scolarisation. Les promotions d’officiers ont ainsi fortement augmenté (de 70 élèves en moyenne entre 2015 et 2019 à 400 en septembre 2022), au risque de diminuer la qualité de la formation. Le recrutement des gardiens de la paix, quant à lui, est de moins en moins sélectif, faisant craindre une baisse de niveau. Par ailleurs, il existe un décalage entre des formations prioritaires, comme celles relatives à la déontologie, qui ne suscitent pas toujours assez d’inscriptions, et des secteurs en tension pour lesquels la formation reste insuffisante. La Cour souligne que cette situation est porteuse d’un risque majeur d’érosion des compétences et appelle à la mise en œuvre d’un plan d’action dans les plus brefs délais. Consulter le rapport en ligne. |
ENGOUEMENT POUR LES PREMIERS rapports d’initiative citoyenne
Lancée le 9 mars 2022, à titre d’expérimentation, la plateforme de participation citoyenne permet à quiconque le souhaite de suggérer des sujets de contrôle, afin que la Cour les intègre dans sa programmation. Premier bilan avec Maud Choquet, auditrice missionnée par le Premier président pour mettre en œuvre la démarche, Anne- Laure de Coincy et Emmanuel Belluteau, rapporteurs de deux enquêtes d’initiative citoyenne.
Quelle est la genèse du lancement de la plateforme de participation citoyenne ?
Maud Choquet. Toujours attentive à rendre ses travaux encore plus accessibles au grand public, la Cour s’est engagée à aller plus loin dans le cadre du projet stratégique de modernisation des juridictions financières, JF2025. Avec nos rapports, il ne s’agit plus simplement d’aller vers les citoyens, mais aussi de nouer une vraie relation collaborative avec eux, en nourrissant notre programmation annuelle de leurs idées, afin de faire émerger de nouveaux sujets de contrôle et d’enquête, et de capter les signaux faibles de préoccupation.
Comment fonctionne la plateforme ?
M.Ch. Toute personne peut déposer une proposition de contrôle sur un thème de politique publique : économie et finances publiques ; environnement ; éducation et culture ; missions régaliennes de l’État ; territoires, solidarité et emploi ; Sécurité sociale. Sa contribution est rendue publique. Chacun peut consulter le site et soutenir ou commenter les propositions de son choix.
Quel bilan tirez-vous de la première campagne de participation citoyenne, menée entre mars et mai 2022 ?
M.Ch. La plateforme a accueilli plus de 43 000 visiteurs. Neuf mille se sont inscrits pour participer à la consultation en déposant 333 propositions de contrôle, près de 1 200 commentaires ou 13 000 soutiens. Ces chiffres illustrent un réel engouement de la part de nos concitoyens. Mais c’est surtout la qualité des contributions recueillies qui nous a conduits à pérenniser le dispositif. Alors que comprendre notre champ de compétences n’est pas évident, de nombreuses propositions étaient éligibles.
Comment les propositions de contrôle ont-elles été examinées et exploitées ?
M.Ch. L’ensemble des propositions a été lu et nous avons répondu à chacune d’elles. Celles-ci ont été étudiées, au prisme de critères fixés avant le lancement de la consultation. À savoir : la nouveauté, l’auditabilité ou la faisabilité, la plus-value susceptible d’être apportée par la Cour, la popularité de la proposition, la diversité des thèmes proposés et leur adéquation aux moyens de la Cour. Ainsi, pour faire cette sélection, nous nous appuyons sur l’ensemble de cette gamme de critères et sur notre jugement professionnel de magistrats. Nous devons préserver avant toute chose notre indépendance et notre impartialité. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes réservé la possibilité in fine de ne pas sélectionner certains sujets, même s’ils faisaient partie de ceux ayant recueilli le plus de soutiens.
Six sujets de contrôle, correspondant à 15 propositions, ont été finalement retenus :
- l’école inclusive ;
- la détection de la fraude fiscale des particuliers ;
- les soutiens publics aux fédérations de chasseurs ;
- l’égalité entre les femmes et les hommes ;
- l’intérim médical et la permanence des soins ;
- le recours par l’État à des cabinets de conseil privés.
Anne-Laure de Coincy. Sur les sujets environnementaux, plusieurs thèmes proposés sur la plateforme étaient déjà programmés ou avaient déjà fait l’objet d’un contrôle. La question sur les fédérations de chasseurs, qui a été retenue, a reçu un large écho, avec plus de 1 100 soutiens et 400 commentaires. Mais la popularité n’a pas été le seul critère de choix. Le sujet a été traité parce qu’il avait du sens pour la Cour, à la suite de la réforme de la chasse en 2019 : évaluer le montant d’argent public versé aux fédérations de chasseurs par l’État et les collectivités territoriales et vérifier que les fonds, y compris les cotisations obligatoires des chasseurs, sont bien utilisés au service de l’intérêt général, notamment pour préserver la biodiversité. Par ailleurs, la Fédération nationale des chasseurs n’avait pas été contrôlée depuis dix ans.
Comment les sujets retenus sont-ils traités par les chambres et quel est le calendrier de parution des rapports ?
M.Ch. À partir du moment où ils sont programmés, les sujets sont traités selon les mêmes procédures et méthodes que toutes les productions de la Cour. C’est en réalité un grand défi pour nous ! En effet, l’équilibre sur les délais de réalisation n’est pas simple à trouver : d’une part, nous souhaitons bien sûr pouvoir rendre compte au citoyen assez vite ; d’autre part, nous voulons pouvoir réaliser à son initiative des travaux de qualité et d’ampleur, ce qui implique des délais significatifs d’instruction, de contradiction avec les entités impliquées et de travail rédactionnel. L’ensemble des contrôles issus de la consultation 2022 feront l’objet de publications à l’été 2023 et à l’hiver 2023-2024.
Emmanuel Belluteau. Pour le recours aux cabinets de conseil, un enjeu important tenait à la nature du sujet, qui a été largement traité, notamment dans des rapports parlementaires et une circulaire du Premier ministre, et qui a fait l’objet de polémiques dans la presse. Nous avons choisi d’aborder des aspects qui n’avaient pas été traités jusqu’alors, comme les conditions du recours aux accords-cadres, le pilotage interministériel ou les questions de régularité.
En termes de méthode, on peut tirer trois principaux enseignements de cette nouvelle forme d’intervention de la Cour : d’abord, l’intérêt et la forte contrainte (pour la Cour comme pour les administrations) résultant de délais d’instruction significativement réduits ; ensuite, la nécessité – pour des sujets à forte actualité – d’une stricte vigilance aux impératifs de rigueur, de neutralité et de motivation qui caractérisent les autres travaux de la Cour ; enfin, une préoccupation encore accrue de lisibilité et d’accessibilité pour des lecteurs qui ne sont pas tous spécialistes de la chose publique.
A.-L. de C. Pour contrôler les fédérations de chasseurs, nous avons rencontré près de 200 personnes en deux mois. Nous avons examiné 14 fédérations nationales, régionales, interdépartementales et départementales. Nous avons échangé avec les préfets et les directions départementales des territoires, les services centraux et territoriaux de l’Office français de la biodiversité, l’Office national des forêts, les représentants des ministères, des forêts privées, de la profession agricole et des associations de protection de l’environnement.
Quels enseignements peut-on tirer de cette première expérimentation et quelles sont les perspectives pour la suite ?
M.Ch. L’expérimentation a permis de valider l’hypothèse d’un engouement réel de nos concitoyens. Elle a également constitué un test sur le plan interne : notre programmation allait-elle s’en trouver enrichie ? Il est intéressant de noter que certains sujets qui n’ont pas été sélectionnés en 2022 viennent malgré tout alimenter la réflexion sur la programmation de l’année prochaine ou des suivantes. Nous prévoyons cependant de faire évoluer le calendrier pour intégrer plus facilement les résultats de la consultation à la programmation des différentes chambres de la Cour. La plateforme de consultation sera donc rouverte en septembre 2023 pour une nouvelle campagne, juste avant la définition interne de la programmation de l’année à venir.
Par ailleurs, en 2022, nous avons pu constater que 10 à 15 % des contributions concernaient des sujets relevant des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC). Ainsi, en 2023, ces dernières pourront, elles aussi, se saisir de sujets ayant émergé de la plateforme de participation citoyenne.
AFFLUENCE RECORD POUR LES JOURNÉES EUROPÉENNES DU PATRIMOINE Près de 6 400 personnes ont poussé les portes du Palais Cambon et de la tour Chicago à l’occasion des Journées européennes du patrimoine 2022. Ce record de fréquentation témoigne de l’attractivité croissante de la Cour des comptes, institution ouverte au service des citoyennes et des citoyens. Dans la Grand’chambre, 100 participants ont pu poser librement des questions au Premier président, Pierre Moscovici, à l’occasion d’un temps |
DÉCRYPTAGE
LES CITOYENS S’EMPARENT DE LA NOUVELLE PLATEFORME DE SIGNALEMENT
La plateforme de signalement est une procédure en ligne qui permet aux citoyennes et citoyens, aux lanceurs d’alerte et aux associations – notamment de lutte contre les atteintes à la probité – de signaler à la Cour de manière simple, sécurisée et, le cas échéant, anonymement, des irrégularités ou des dysfonctionnements constatés dans la gestion publique.
Mise en place dans le cadre du projet stratégique de modernisation des juridictions financières JF2025, elle s’inscrit dans la volonté de nos juridictions de s’ouvrir davantage à la société et d’être plus en prise avec l’actualité. Lancée le 6 septembre 2022, cette plateforme est administrée par le Parquet général près la Cour des comptes. Les premiers mois ont été marqués par un nombre important de signalements. Au 31 décembre 2022, 451 signalements avaient été déposés sur la plateforme. Depuis, nous constatons une même tendance, avec plus de 100 signalements déposés chaque mois, quand la Cour en traitait environ 100 par an auparavant. Sur ces 451 signalements, 19 % visent, selon leur déposant, des " conflits d’intérêt ", 13 % un " usage abusif de fonds publics ", 11 % un " manquement aux règles de la commande publique ", tandis que 29 % concernent d’autres types de soupçons d’infractions. Parmi eux, près de la moitié (201 signalements) ont également été adressés à d’autres autorités (autorité judiciaire, Défenseur des droits, Agence française anti-corruption, préfecture, etc.) et 39 % ont été déposés de manière anonyme. Un quart a été considéré comme inexploitable ou ne relevant pas de la compétence des juridictions financières. Pour la plupart de ces derniers, nous redirigeons les déposants vers l’autorité compétente ou nous prenons l’initiative de saisir ces autorités.
Ces contributions doivent pouvoir participer à un meilleur ciblage de nos contrôles, et ce, dans le respect de l’indépendance des juridictions financières qui restent maîtresses de leur programmation. Il peut s’agir aussi d’orienter précis.ment le contrôle en cours d’un organisme vers tel ou tel dysfonctionnement. Enfin, dans certains cas spécifiques particulièrement étayés, un signalement peut faire l’objet, à l’initiative du Procureur général près la Cour des comptes, de l’ouverture d’une instruction devant la chambre contentieuse de la Cour des comptes.
Les juridictions financières arrêtant traditionnellement l’essentiel de leur programmation en décembre, le nombre de contrôles directement en lien avec des signalements issus de la plateforme sera connu plus tard en 2023. L’objectif pour les mois à venir est d’engager des contrôles sur la base de ses signalements et d’en rendre compte aux citoyennes et aux citoyens.
Bruno Nataf, substitut général du Procureur général près la Cour des comptes
DES MISSIONS étendues et renouvelées
Le déploiement progressif du projet stratégique JF2025 redessine pour mieux les affirmer les contours des quatre missions complémentaires de la Cour des comptes : contrôler, juger, certifier, évaluer. À la clé, davantage d’efficacité et d’impact de l’action des juridictions financières, mais aussi une plus forte résonance avec les attentes des citoyennes et citoyens.
Contrôler, UNE MISSION EN PLEINE OUVERTURE
Comment la Cour assure-t-elle sa mission de contrôle ?
Traditionnellement, la Cour contrôlait les comptes et la gestion d’administrations et d’organismes publics pour s’assurer de la régularité de leurs opérations et de leur efficacité ; nous poursuivons cette activité et contribuons ainsi à la mise en œuvre de la réforme sur la responsabilité financière des gestionnaires publics. Mais, pour l ’essentiel , nous contrôlons la mise en œuvre des politiques publiques : en 2022, nous avons ainsi travaillé sur le réseau routier en dehors des autoroutes, la gestion des déchets… Nous pouvons nous autosaisir ou être sollicités par le Parlement, comme cela a été le cas pour le chèque énergie.
Pourquoi certains contrôles sont-ils organisés de manière récurrente ?
Divers organismes sont soumis au contrôle de la Cour : par exemple, pour la deuxième chambre, les grandes entreprises publiques comme EDF, la SNCF ou la RATP et des établissements publics plus modestes comme les chambres d’agriculture. Ces dernières sont des structures qui peuvent parfois être sous-administrées et présenter des défaillances en matière de gestion. Nos contrôles permettent de corriger le tir. Un contrôle de la Cour des comptes, c’est beaucoup moins onéreux que le recours à un cabinet de conseil et très opérationnel parce que nos recommandations portent sur des améliorations concrètes de la gestion. La deuxième chambre contrôle de l’ordre de cinq à sept chambres d’agriculture par an. En sus de la gestion, nous adjoignons un volet thématique, correspondant à une enquête en cours : en 2022, nous avons ainsi examiné la contribution des chambres d’agriculture au développement de l’agriculture biologique. Cela nous permet de mieux apprécier leur efficacité et leur efficience.
Comment les contrôles sont-ils menés ?
Nous réalisons des contrôles « sur pièces » et « sur place ». Nous sollicitons des documents d’ores et déjà disponibles auprès des administrations et des organismes contrôlés et leur adressons des questionnaires. Ces modalités écrites ne dispensent pas de contrôles sur place, c’est- à- dire de rencontres. Pour une enquête, il n’est pas rare de compter jusqu’à 150 entretiens. L’instruction est éclairante pour nos interlocuteurs : elle leur permet de toucher du doigt leurs limites, leurs défaillances et, d’emblée, de les corriger. Quand ces derniers reçoivent les observations définitives, nous constatons qu’ils ont bien souvent commencé à mettre en œuvre des évolutions. Le contrôle est un facteur de stimulation ; nous guidons les contrôlés dans leur propre transformation.
Quel est l’apport des formations interjuridictions ?
Rapprocher fonctionnellement la Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) est un des grands axes du projet de modernisation JF2025. Le portefeuille de la deuxième chambre portant notamment sur les transports et l’environnement, compétences partiellement décentralisées, nous devons collaborer avec les CRTC si nous voulons porter une appréciation sur la mise en œuvre des politiques publiques partagées. C’est un travail d’instruction et de synthèse plus long mais très productif : il permet à la fois d’allier une vision stratégique et partagée des enjeux politiques à une illustration très concrète de la mise en œuvre qui donne de la chair au contenu de nos rapports. Pour les besoins d’une médiatisation régionale, nous proposons générale- ment qu’un cahier territorial puisse être annexé au rapport de synthèse.
Comment la Cour modernise-t-elle ses méthodes de contrôle ?
Nous nous appuyons de plus en plus sur des experts des données – des data scientists – qui nous permettent d’exploiter des données de masse, de retraiter des bases statistiques en gommant les biais voire de créer ex nihilo de nouvelles bases mises à la disposition de l’administration, comme ce fut le cas pour l’agriculture biologique.
Nous utilisons également les comparaisons internationales pour examiner les solutions mises en œuvre dans d’autres pays. Enfin, nous développons la collaboration avec des chercheurs pour nous appuyer sur des données scientifiques. Cela nous permet d’avoir un prisme d’analyse beaucoup plus large que les seules considérations financières ou budgétaires.
LA FORMATION EN ALTERNANCE La formation en alternance constitue une mesure phare de lutte contre le chômage des jeunes, en améliorant l’insertion professionnelle. La dernière réforme de l’alternance, résultant de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, en a profondément modifié le pilotage et le financement. En outre, à l’été 2020, le Gouvernement a mis en place dans le cadre de la crise sanitaire une aide exceptionnelle aux employeurs d’alternants, d’un coût total de 4,4 milliards d’euros en 2021, pour soutenir ces dispositifs de formation. Entre 2016 et 2021, le nombre d’entrées de jeunes en alternance est passé de 438 000 à près de 800 000. Dans un rapport publié en juin 2022, complété par cinq cahiers régionaux, les juridictions financières soulignent cependant que, malgré les moyens déployés, le développement de l’alternance n’apporte pas suffisamment de réponses aux jeunes en situation de fragilité, aux entreprises rencontrant des difficultés de recrutement et aux besoins spécifiques des territoires. |
Consulter le rapport en ligne
SANTÉ PUBLIQUE FRANCE : UNE STRATÉGIE À MIEUX DÉFINIR Inspirée à sa création en 2016 du modèle britannique, Santé publique France (SPF) est une agence relevant du ministère de la Santé. Issue de la fusion de quatre organismes, elle a été créée pour améliorer la cohérence et l’efficience des politiques publiques en matière d’observation épidémiologique, de veille sanitaire, de préparation et de réponse aux urgences et aux crises sanitaires, de prévention et de promotion de la santé. Dans son rapport publié en juin 2022, répondant à une demande de la commission des affaires sociales du Sénat, la Cour des comptes a examiné sa stratégie, sa gestion administrative ainsi que la façon dont l’agence a exercé ses missions depuis 2016. Si SPF a été un acteur essentiel de la lutte contre la pandémie de la Covid-19, en particulier pour la gestion des stocks stratégiques, la Cour a cependant identifié des faiblesses concernant sa gestion et son positionnement. Elle formule des recommandations pour clarifier et prioriser sa stratégie et mobiliser davantage son expertise. |
Consulter le rapport en ligne
Sécurité et justice, rapports à forts enjeux budgétaires et sécuritaires
Sentiment d’insécurité, attentes fortes des citoyens et des citoyennes : les rapports consacrés à la sécurité intérieure et à la justice veillent à assurer l’efficacité des moyens engagés dans un contexte d’augmentation budgétaire. Christian Charpy, président de la quatrième chambre, met en perspective les contrôles marquants de l’année et les enjeux associés.
Comment le programme de contrôle de la quatrième chambre est-il défini sur les sujets en lien avec la justice et la sécurité ?
Nous sommes très vigilants aux enjeux budgétaires en matière de sécurité et de justice, secteurs tous deux soumis à des lois de programmation pluriannuelles et représentant un nombre important d’emplois. Nous sommes également à l’écoute des attentes de nos concitoyens, pour qui les questions de sécurité et de justice sont au cœur des préoccupations. Par exemple, en matière de justice, nous avons préparé un rapport sur l’exécution des peines de prison. En matière de sécurité, la Cour a également élaboré un rapport sur les quartiers de reconquête républicaine, en lien avec une police de proximité plus proche des attentes des Français. Ce sont des sujets qui intéressent le grand public.
En quoi consistent les contrôles de la Cour des comptes dans ces secteurs ?
Comme pour tous les sujets traités par la Cour, nous veillons à mener une analyse de l’efficacité, de l’efficience et de la régularité des actions qui sont menées par les pouvoirs publics. Nous sommes cependant confrontés à une spécificité en matière de sécurité et de justice par rapport aux autres sujets traités par la Cour : celle de la difficulté d’évaluation de l’efficacité. Pour la justice, quel est le bon critère ? Le taux d’incarcération, le taux de réinsertion, le sentiment de sécurité ? De même, comment mesurons-nous l’efficacité des forces de police ? En nombre d’arrestations, en fonction du sentiment de sécurité ? Pour ces secteurs, mettre en place une évaluation est particulièrement compliqué. Pour la justice, par exemple, nous travaillons donc plutôt sur une approche en lien avec le fonctionnement de l’appareil judiciaire.
Sur quels sujets la quatrième chambre a-t-elle réalisé des contrôles en 2022 ?
Nous avons notamment travaillé sur un rapport sur les moyens de la police judiciaire. Celui-ci est très important, à la fois parce qu’il a été lancé avant le projet de réforme proposé par le ministre de l’Intérieur et parce qu’il pose la question de l’effica- cité de la police judiciaire, qu’elle soit exercée par la gendarmerie ou la police, dans l’élucidation des crimes et des délits.
Nous avons aussi préparé un rapport sur les conseils des prud’hommes et mené un audit flash sur l’aide apportée par la France au Liban. Et nous avons étudié plusieurs programmes liés à la défense nationale, en matière de programmes d’armement ou de déploiement des forces.
Quelles sont les perspectives dans les mois à venir pour les contrôles en lien avec la justice et la sécurité ?
Côté justice, nous allons notamment engager une enquête évaluative sur les travaux d’intérêt général, qui va occuper une grande partie de l’année 2023. Du côté du ministère de l’Intérieur, nous menons des travaux importants, notamment sur la lutte contre l’immigration clandestine, la police de l’air et des frontières, les titres sécurisés (passeports, cartes d’identité), les contrôles d’identité réalisés par les forces de sécurité, etc. Les contrôles que mène la quatrième chambre sont souvent lourds et complexes. Dans les mois et les années à venir, nous souhaitons néanmoins porter nos efforts sur la réduction des délais pour réaliser un contrôle. L’objectif est de nous orienter progressivement vers un objectif de huit mois entre l’ouverture d’un contrôle et son envoi pour publication.
LA FONDATION ABBÉ PIERRE ET LA PROTECTION DES MAL-LOGÉS En 2022, la Cour a procédé au contrôle de la Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés pour les exercices 2015-2016 à 2019-2020. Créée en 1990, la Fondation Abbé Pierre est membre du mouvement Emmaüs, qui rassemble les organismes affiliés au sein de la fédération Emmaüs France. Financée à plus de 90 % par la générosité du public, elle dispose d’un montant de collecte de plus de 40 millions d’euros, mécénat compris. Dans son rapport, la Cour constate que les dépenses engagées par la fondation sont conformes aux objectifs avancés dans les appels publics à la générosité et aux objectifs qu’elle-même poursuit. Elle note cependant que les contrôles internes nécessaires à sa propre protection sont insuffisants et formule des recommandations pour les renforcer. Elle incite également la fondation à mieux communiquer auprès du grand public sur la part de ses ressources consacrée à son rapport annuel sur le mal-logement,au cœur de sa stratégie de plaidoyer. |
Consulter le rapport en ligne
QUEL DÉVELOPPEMENT POUR MAYOTTE ? Dix ans après la création du département, et alors que le Gouvernement a enchaîné les plans en sa faveur, la situation de Mayotte demeure atypique. |
Consulter le rapport en ligne
Juger, AU CENTRE D'UNE RÉFORME HISTORIQUE
La Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes sont des juridictions financières. C’est- à-dire qu’elles peuvent émettre des jugements mettant en cause des gestionnaires publics. Actuellement, cette mission connaît d’importantes transformations afin de gagner en efficacité, tout en renforçant la protection des droits des justiciables. Explications avec Jean-Yves Bertucci et Marie-Odile Allard, respectivement président de la chambre du contentieux et présidente de section.
En quoi consiste cette mission « Juger » ?
Marie - Odile Allard. Juger les comptes publics fait partie des activités historiques de notre institution. Elle a été introduite dès 1807 par Napoléon Ier, fondateur de la Cour des comptes, en ces termes : « Je veux que par une surveillance active, l’infidélité soit réprimée et l’emploi légal des fonds garanti. » Cela signifie que la Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC), créées en 1983, ont des activités de contrôle, d’évaluation et de certification, mais également une mission de jugement, qui en est la clé de voûte. Cette dernière vise, en effet, à sécuriser l’utilisation de l’argent public (par la dissuasion, la réparation, la répression). Notre fonction de juger constitue donc un levier puissant pour assurer l’ordre public financier. Concrètement, elle était répartie entre la Cour, les CRTC, ainsi qu’une juridiction créée en 1948, appelée la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF). Depuis 2022, de nouvelles règles sont venues transformer cette organisation.
Pourquoi cette mission a-t-elle récemment évolué ?
Jean-Yves Bertucci. Cette activité était arrivée à ses limites pour plusieurs raisons. Tout d’abord sa complexité. Deux régimes de responsabilité coexistaient : pour les comptables publics ( jugés par la Cour et les CRTC) et pour les ordonnateurs et autres gestionnaires de la sphère publique, dès lors qu’ils prennent des décisions en matière financière ( jugés par la CBDF). Si les jugements rendus par la Cour et les CRTC étaient relativement nombreux, leurs fondements juridiques pouvaient être contestés. Il s’agissait d’une justice qui ne tenait pas compte des circonstances ou des raisons qui pouvaient éventuellement expliquer les défaillances des comptables publics. Par ailleurs, les sommes demandées en réparation étaient très largement déterminées par le ministre chargé du Budget, avec la possibilité de remises gra- cieuses selon son appréciation. En parallèle, le dispositif répressif relevant de la CDBF se caractérisait par un très faible nombre annuel de décisions rendues au terme de délais trop longs.
Concrètement, quelles transformations ont eu lieu ?
J.-Y. B. Pour surmonter ces limites, le projet JF2025 identifie deux évolutions majeures. La première, purement organisationnelle, consiste à rassembler en une chambre l’ensemble des compétences juridictionnelles. Celles-ci étaient auparavant disséminées dans chacune des chambres de la Cour. C’est ainsi qu’est née, en 2021, la septième chambre. Son objectif : réunir toutes les équipes dédiées à la mission « Juger » pour les faire gagner en efficacité.
Second axe : remplacer ce double régime de responsabilité (pour les comptables publics et pour les ordonnateurs) par un seul régime unifié qui concerne tous les gestionnaires publics. Ce nouveau régime est entré en vigueur au 1er janvier 2023, date à laquelle la septième chambre est devenue la chambre du contentieux. L’objectif de ce régime est la mise en place d’une justice financière plus responsabilisante pour les gestionnaires publics, plus efficace et de nature à renforcer la confiance des citoyens dans l’action publique.
Quels sont les impacts de cette centralisation des missions de jugement au sein d’une chambre dédiée ?
M.- O. A. Dans ce régime de responsabilité unifiée, il est désormais possible de juger avec équité les principaux protagonistes d’une même affaire (qu’ils soient ordonnateurs ou comptables publics) en tenant compte de la gravité des faits, du préjudice financier ainsi que des circonstances. Pour les justiciables, il y a donc une garantie nouvelle d’homogénéité de traitement et la création d’une jurisprudence unique au sein d’une seule juridiction. Pour les personnels dévoués à cette mission, le fait de travailler ensemble dans une seule et même chambre les fera gagner en professionnalisation grâce à une fertilisation de leurs expertises et de leurs expériences. Sur ce point, la chambre du contentieux a opté pour une composition tout à fait novatrice avec une parité de magistrats et de magistrates de la Cour et des CRTC. Nous concrétisons ainsi un des volets de JF2025, puisque nous renforçons l’intégration fonctionnelle des juridictions financières. Ce mariage de compétences permet d’associer la connaissance du fonctionnement de l’État et du secteur public local, tandis que la mutualisation des ressources en un lieu commun crée le socle d’une culture du contentieux partagée.
J.-Y. B. Les autres chambres de la Cour et les CRTC demeurent également essentielles dans ce nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics. Par leurs contrôles, elles contribuent en effet à détecter les irrégularités et les faits susceptibles d’être déférés à la chambre contentieuse en vue d’éventuelles sanctions.
DÉCRYPTAGE
JUSTICIABLES, INFRACTIONS, SANCTIONS : QUELLES ÉVOLUTIONS ?
Un aspect ne change pas : le périmètre des justiciables, qui reste très large. En effet, aujourd’hui comme hier, relèvent des juridictions financières tous les dirigeants, agents ou personnels de l’État, des collectivités territoriales, des établissements ou des entreprises publics, des institutions de sécurité sociale (ou financées par la Sécurité sociale) et des organismes privés recevant des fonds publics. Notons que les personnes n’ayant fait qu’exécuter un ordre hiérarchique ou une délibération d’une collectivité territoriale ne peuvent être poursuivies. En outre, comme précédemment, les élus et les ministres ne sont pas considérés comme justiciables (ou dans des cas limitatifs, comme, par exemple, s’ils s’immiscent dans les fonctions réservées aux comptables publics).
Ce qui évolue, en revanche, c’est la nature des infractions, même si certaines sont reprises de l’ancienne Cour de discipline budgétaire et financière. Auparavant, nous avions coutume de dire que la Cour jugeait les comptes et non les comptables. Aujourd’hui, ce sont les individus qui sont poursuivis pour des infractions à l’ordre public financier. Le nouveau régime en dénombre dix (comme le non- respect des règles d’engagement des dépenses, l’octroi d’un avantage financier injustifié, etc.). Les sanctions – sous forme d’amendes – doivent être proportionnées au rôle de chaque responsable et adaptées à la gravité des faits. Elles sont plafonnées selon la rémunération annuelle de la personne condamnée (pour la plupart des infractions, ce plafond représente six mois de rémunération).
Ces règles ont clarifié le cadre de cette justice financière spécialisée, qui a toute son utilité à côté de la justice pénale. Afin de protéger l’argent public, qui est celui des citoyens et des citoyennes, l’enjeu est de sanctionner des irrégularités, qui ne sont pas forcément des délits, mais qui sont des infractions aux règles financières. Le nouveau régime de responsabilité unifiée a apporté de la simplification, de la clarté, pour plus d’efficacité. Le temps et l’usage diront si les infractions et les sanctions sont bien adaptées aux enjeux et buts poursuivis.
UNE MEILLEURE GARANTIE DES DROITS DES JUSTICIABLES
Le nouveau régime est davantage lisible pour nos concitoyens. Un même juge, le juge financier, est compétent pour examiner la responsabilité de tous les gestionnaires publics, qu’ils soient ordonnateurs ou comptables publics. Il juge des personnes et non plus des comptes. Par ailleurs, seules les fautes graves, et non plus les erreurs formelles, peuvent désormais occasionner des sanctions pour des infractions qui sont communes. Les sanctions, de nature financière, seront individualisées et proportionnées à la gravité des faits, sans possibilité de remise de la part du ministre.
Le nouveau régime est également plus protecteur des droits des justiciables. Il repose sur une organisation à trois niveaux : une première instance devant la chambre du contentieux (composée à parité de magistrats de la Cour et des CRTC), un appel devant la Cour d’appel financière nouvellement créée (composée de quatre magistrats et magistrates de la Cour, de quatre membres du Conseil d’État ainsi que de deux personnalités qualifiées, expérimentées dans le domaine de la gestion publique), une cassation devant le Conseil d’État . Dans le précédent régime, quand on était poursuivi devant la Cour des comptes en première instance ou devant la Cour de discipline budgétaire et financière, l’unique possibilité était de faire un recours en cassation devant le Conseil d’État. L’appel n’existait que pour les jugements des CRTC. La création d’un niveau d’appel pour l’ensemble des justiciables n’était pas une obligation, mais elle contribue à assurer le respect des droits de la défense, tout comme la définition de règles de procédure de nature à garantir le respect du principe du contradictoire.
En résumé, nous avons un régime qui est plus lisible, plus protecteur pour les justiciables et qui sanctionne des infractions significatives. Et ce, pour contribuer à une gestion correcte des deniers publics, l’exemplarité de la gestion publique et la confiance des citoyens dans l’action publique, car tel est bien l’objectif final.
Certifier, UN REGARD EXIGEANT SUR LA QUALITÉ DES COMPTES
Comme pour les comptes de l’État, la Cour des comptes est chargée chaque année de certifier les comptes du régime général de la Sécurité sociale et du CPSTI1, afin d’en garantir la régularité et la sincérité. Elle s’assure ainsi qu’est donnée une image fidèle de la situation financière et patrimoniale. Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre, revient sur les enjeux de cette mission.
En quoi la certification est-elle une activité clé pour la Cour des comptes ?
Elle donne l’assurance aux citoyens et aux citoyennes que les montants de leurs prélèvements obligatoires, qui représentent environ 45 % du PIB, sont correctement retracés dans les comptes. Elle examine aussi dans quelle mesure ces comptes reflètent une bonne utilisation des deniers publics et évalue la pertinence des mesures de redressement.
La certification des comptes de la Sécurité sociale2 porte sur un montant de prestations servies d’environ 550 milliards d’euros . Il est difficile de porter un jugement éclairé sur la gestion de la Sécurité sociale si l’on n’en a pas d’abord analysé finement les comptes et la qualité de l’information financière. Cela est particulièrement vrai dans le contexte actuel marqué par des déficits importants (19,6 milliards d’euros pour l’exercice 2022), et sans perspective de rétablissement pérenne.
Quel impact vos travaux ont-ils sur la qualité des comptes publics ?
Les rapports que nous remettons chaque année peuvent agir comme des signaux d’alerte, en particulier lorsque nous estimons ne pas être en mesure de certifier. Nous contribuons à la prise de conscience de la nécessité de modifier ou de sécuriser certaines pratiques. Ce regard exigeant est donc utile aux décideurs publics. Il l’est aussi aux citoyens, qui sont des cotisants ou, à tout le moins, des cotisants en puissance. C’est pourquoi, derrière l’analyse scrupuleuse des comptes, nous sommes particulièrement attentifs à l’amélioration de l’efficacité et de l’efficience des politiques sociales dans le champ de la Sécurité sociale.
Quels sont les grands enseignements de vos travaux rendus publics en 2022 ?
En mai 2022, nous avons certifié avec réserve les comptes 2021 des cinq branches du régime général, dont ceux de la cinquième branche Autonomie nouvellement créée. En revanche, nous avons refusé de certifier les comptes de l’activité de recouvrement et ceux du CPSTI en raison d’un désaccord d’un montant de 5 milliards d’euros sur le traitement comptable des prélèvements sociaux des travailleurs indépendants. Nous sommes écoutés et nos travaux sont jugés utiles aux représentants de la Nation. En effet, au moment du vote de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023, c’est le montant redressé par la Cour que le Parlement a entériné, et non celui issu des comptes de la Sécurité sociale. De nos rapports sont également tirés des enseignements plus ciblés, utiles pour de futurs contrôles, quand nous constatons, par exemple, un effort insuffisant dans la lutte contre la fraude, de graves lacunes dans le contrôle interne ou une nécessité de modernisation plus rapide des systèmes d’information.
Par ailleurs, les travaux de certification ont permis, comme chaque année, d’alimenter le premier chapitre du rapport sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale (Ralfss), qui présente un état des lieux précis de la situation financière de la Sécurité sociale. C’est l’occasion pour la Cour d’alerter de manière solennelle sur la nécessité de porter des réformes structurelles et d’améliorer la dépense sociale.
Quels sont vos prochains défis pour 2023 ?
Notre enjeu cette année a été de respecter un calendrier extrêmement resserré. En effet, le Ralfss est désormais remis au Parlement non plus en octobre mais au mois de mai, à l’appui du projet de loi d’approbation des comptes de la Sécurité sociale, créée par la loi organique du 14 mars 2022.
Nos délais de travail ont donc été raccourcis et nous ont contraints à produire ces rapports dans des conditions peu satisfaisantes, au regard de la masse de travail qu’ils nécessitent et de la qualité des analyses à garantir. Notre objectif est de trouver, avec l’administration et le Parlement, les voies pour détendre ces délais, à compter de l’exercice 2023. Il en va de la crédibilité de nos travaux. Bien sûr, nos équipes sont pleinement mobilisées.
CERTIFICATION DES COMPTES LOCAUX : UNE NÉCESSITÉ À METTRE EN ŒUVRE PROGRESSIVEMENT Depuis 2015, la Cour, en liaison avec les chambres régionales et territoriales des comptes, menait une expérimentation dans 25 collectivités volontaires. L’objectif : tester des dispositifs pour assurer la régularité, la sincérité et la fidélité de leurs comptes. Avec six mois d’avance, les conclusions ont été rendues en janvier 2023. Dans ce bilan, la Cour est d’avis que toutes les collectivités devraient adopter une démarche de fiabilisation de leurs comptes par un auditeur externe, en l’adaptant à l’enjeu financier considéré. Pour que cette démarche soit pleinement utile, il leur est recommandé en amont de faire progresser de manière substantielle la fiabilité Retrouver le bilan de l’expérimentation en ligne |
DÉCRYPTAGE
LES NOUVEAUX DÉFIS DE L’AUDIT EXTERNE
L’audit externe des organisations internationales n’est pas une mission de la Cour inscrite dans le code des juridictions financières mais en est le prolongement. Cette mission a été initiée dans les années 1980, sous l’impulsion du Premier président de l’époque, André Chandernagor. Près de 40 ans après, les bénéfices de cette activité ont contribué à la pérenniser au sein de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes. Elle représente, en effet, un formidable accélérateur de formation et d’ouverture pour les personnels, mais aussi un levier de montée en compétences grâce aux partages d’expérience engrangés à l’échelle internationale. Inscrit dans un environnement hautement concurrentiel, l’audit externe est également l’occasion de comparer nos pratiques en nous confrontant aux autres institutions supérieures de contrôle du monde entier.
L’année 2022 a ouvert un nouveau chapitre sur ce terrain. En plus de nos missions d’audit auprès du Conseil de l’Europe, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), nous sommes devenus en juillet l’un des trois commissaires aux comptes de l’Organisation des Nations unies, aux côtés de la Chine et du Chili. Cela représente un immense défi. L’ONU, c’est en effet un budget de 57 milliards de dollars, ainsi qu’une multitude d’institutions réparties à travers le monde (Programme des Nations unies pour le développement, Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, etc.).
Pour être à la hauteur de ce défi, nous avons pour la première fois constitué une équipe de personnels permanents répartis entre New York et un site constitué à cet effet à Levallois-Perret. Nous comptons également sur l’expérience acquise lors de nos précédentes missions d’audit externe – telles que celle menée pour le Programme alimentaire mondial, achevée en 2022. Depuis le début de la mission, notre équipe s’est mise en ordre de marche, s’est formée à ce nouvel environnement et a instauré des procédures pour assurer une plus forte coordination entre tous les collaborateurs impliqués. Résultat : elle a pu délivrer son premier rapport sur les opérations de maintien de la paix dès le début de l’année 2023, c’est-à-dire en quelques mois à peine. Preuve d’une motivation et d’une mobilisation sans faille.
Évaluer, UNE MISSION EN DÉVELOPPEMENT
La mission d’évaluation de la Cour des comptes vise à établir si une politique publique répond bien à ses objectifs et à apprécier ses impacts. Centrée sur le dialogue avec les parties prenantes, ouverte sur des approches innovantes, elle déploie une démarche singulière qui prend de l’ampleur avec le projet stratégique JF2025. Les éclairages de Catherine Démier, présidente de la cinquième chambre.
En quoi consiste la mission d’évaluation ?
Évaluer une politique ou une action publique vise à fournir, tant à ses auteurs qu’aux citoyennes et citoyens, une meilleure compréhension de son fonctionnement, ainsi qu’une appréciation de ses impacts. L’évaluation constitue donc un élément important pour éclairer le débat public. Elle n’implique pas d’aspects répressifs au regard de la régularité ou de la probité de la politique publique étudiée. Notre mission n’est pas non plus de juger les acteurs, mais d’analyser la politique elle-même. Surtout, l’évaluation est empreinte d’une démarche collaborative, je dirais même partenariale, avec l’ensemble des parties prenantes impliquées : une bonne évaluation met en avant un intérêt commun entre la Cour des comptes et ces parties prenantes. Dans le dialogue instauré avec celles-ci, l’objectif est d’apporter une analyse solide de l’action publique en vue de l’amélioration de ses impacts (pour les usagers, les collectivités, l’environnement économique, social, etc.). C’est par exemple ce que nous avons visé avec la mission d’évaluation sur le revenu de solidarité active (RSA). Rendu public début 2022, ce travail a été piloté par la Cour et dix chambres régionales et territoriales des comptes, sur la base d’investigations nationales et dans neuf départements. Le message central de ce rapport : le dispositif passe en partie à côté de sa cible s’il est pensé en tant que prestation monétaire et non comme un outil d’accompagnement pour sortir de la pauvreté.
En quoi la méthodologie de l’évaluation est-elle spécifique ?
Rappelons que l’évaluation se distingue d’une enquête classique par ses ambitions, et donc ses moyens, plus conséquents. Elle demande plus de rigueur, d’organisation, d’anticipation et de gestion logistique pour ses différentes étapes (étude de faisabilité, détermination des questions évaluatives, identification des données, des acteurs ou des écosystèmes à faire intervenir, etc.). C’est la raison pour laquelle la note de faisabilité d’un projet d’évaluation doit faire la démonstration de sa plus-value par rapport à une enquête classique.
Le second point essentiel est l’orchestration de la démarche partenariale et la capacité des juridictions financières à embarquer l’ensemble des participants en créant les conditions d’une collaboration en confiance. En cela, une évaluation est toujours une aventure humaine passionnante. Cela passe notamment par la constitution et l’animation pour chaque mission d’un comité d’accompagnement rassemblant un panel des personnes concernées par la politique publique étudiée. Quatre grands groupes d’acteurs y sont généralement représentés : décideurs politiques, opérateurs ou gestionnaires, chercheurs ou experts académiques, bénéficiaires directs ou société civile (un comité d’usagers peut également être monté). L’implication de ces partenaires est déterminante pour mettre au défi les rapporteurs au fil de l’instruction et ainsi permettre d’intégrer dans leurs analyses des angles de vue plus larges, voire innovants (historiques, géographiques, sociologiques, statistiques, etc.).
Comment est mobilisée la cinquième chambre ?
Son périmètre couvre notamment les thèmes du travail et de l’emploi, de la ville et du logement, de la cohésion des territoires, de la solidarité… c’est-à-dire autant de sujets qui touchent le cœur de la vie des citoyens et qui concernent souvent des politiques partagées entre l’État et les collectivités territoriales. Nous avons conduit quatre missions en ce sens en 2022 sur des sujets aussi variés que le Plan exceptionnel d’investissement pour la Corse, l’octroi de mer (taxe en vigueur dans les régions d’outre-mer), la loi Pinel et le Plan d’investissement dans les compétences. 2023 sera également très riche avec des évaluations sur le logement étudiant, le programme « Petites villes de demain », les contrats de convergence et de transformation, ainsi que la prime d’activité. Nous sommes donc pleinement engagés dans la montée en puissance de cette mission d’évaluation impulsée dans le projet stratégique JF2025 (lire ci-après le décryptage d ’Adam Baïz).
DE NOUVEAUX ACTEURS TERRITORIAUX DE L’ÉVALUATION La loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale – appelée 3DS – du 21 février 2022 marque une étape importante pour l’évaluation des politiques publiques au cœur des territoires. Concrètement, les chambres régionales des comptes (CRC) peuvent désormais s’autosaisir ou être saisies par certaines collectivités territoriales pour des missions d’évaluation. Dans ce contexte, la chambre régionale d’Auvergne-Rhône-Alpes a été saisie par le président de région pour évaluer les investissements de la SNCF et leur impact sur la satisfaction des usagers ainsi que sur la qualité de service. |
DÉCRYPTAGE
DES COMPÉTENCES ÉVALUATIVES QUI GAGNENT EN ROBUSTESSE
La mission d’évaluation des politiques publiques est relativement récente à la Cour des comptes puisqu’elle date de la réforme constitutionnelle de 2008. Elle répond à deux ambitions. La première est d’aider à améliorer l’action publique en mettant la lumière sur l’ensemble de ses impacts, qu’ils soient directs ou indirects, recherchés ou non. La deuxième est de participer à la transparence démocratique en s’assurant que toutes les parties prenantes et tous les observateurs aient bien accès aux mêmes informations concernant la qualité des décisions politiques. Pour donner encore plus corps à ces deux ambitions, le projet stratégique JF2025 prévoit de multiplier par quatre les ressources allouées à l’évaluation entre 2020 et 2025. Celle-ci deviendrait ainsi la deuxième mission des juridictions financières.
Cette montée en puissance passe avant tout par une montée en compétences collective tant au niveau de la Cour que des chambres régionales et territoriales, désormais en capacité de s’autosaisir ou d’être saisies (voir encadré précédent). Pour ce faire, nous avons conçu un accompagnement reposant sur le partage de guides méthodologiques, l’organisation de sessions de formation, une mutualisation des bonnes pratiques, la désignation d’un référent « évaluation » dans chaque chambre, ou encore la mobilisation des data scientists de la Cour. Nous allons également créer une plateforme de recensement, véritable tour de garde de toutes les évaluations menées en France, afin de consolider notre culture commune sur le sujet. Nous intensifions, par ailleurs, nos échanges avec le monde académique – le CNRS, l’Inserm, le Laboratory for Interdisciplinary Evaluation of Public Policies (Liepp), l’Institut des politiques publiques, etc. – afin de bénéficier de leur expertise scientifique. L’évaluation sur l’agriculture biologique (voir encadré ci-après) est un bel exemple de l’enrichissement de nos méthodes d’analyse dans nos évaluations de politiques publiques. En effet, de façon croissante, ces dernières mobilisent autant des méthodes quantitatives (statistiques, économétrie, datavisualisation, micro-simulation, etc.) que des méthodes qualitatives (sondages, entretiens, observation du terrain, etc.).
C’est en menant l’ensemble de ces actions que nous serons au rendez-vous de l’ambition portée par JF2025 : être l’acteur majeur de l’évaluation en France. Non pas un acteur en situation de monopole, mais incontournable par la quantité et la qualité de ses travaux, ainsi que par sa capacité à fédérer les autres évaluateurs, à susciter des sujets et à partager l’effort d’évaluation avec le monde institutionnel et académique.
L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE FACE AU DÉFI DU CHANGEMENT D’ÉCHELLE
Si le « bio » a bien connu un changement d’échelle depuis 2010, le rapport note néanmoins que les politiques publiques engagées n’ont pas permis d’atteindre les objectifs affichés (15 % de terres agricoles en bio et 20 % de bio dans les cantines publiques en 2022). La Cour des comptes alerte notamment sur le manque de communication relatif aux impacts bénéfiques de l’agriculture biologique et sur l’illisibilité des labels. Pour réaliser les nouveaux objectifs de la France et de l’Union européenne, elle formule également 12 recommandations autour de trois axes : éclairer les choix des citoyens et des consommateurs sur l’impact environnemental et sanitaire du bio ; réorienter et amplifier les soutiens publics de l’agriculture biologique ; favoriser la création de valeur au sein du secteur agricole et alimentaire bio. |
Retrouvez le rapport en ligne
UNE INSTITUTION EN PLEINE transformation
La Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes sont portées par un collectif aussi expert qu’engagé qui s’ouvre à de nouveaux profils et de nouvelles compétences. Les personnels des juridictions financières s’inspirent des transformations profondes de la société pour mieux les accompagner.
Retrouvez les chiffres sur les personnels des juridictions financières
JF2025, UN PROJET TRANSFORMATEUR ET FÉDÉRATEUR
Deux ans après son lancement, le projet stratégique JF2025 produit ses premières réalisations concrètes. Le fruit d’une mobilisation collective partagée par l’ensemble des équipes de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes. Maïa Wirgin, secrétaire générale, revient sur l’orchestration de cette dynamique de changement.
En quoi l’année 2022 a marqué une étape importante dans la transformation de la Cour des comptes ?
2022 a été une année très mobilisatrice, car nous avons vu les premières réalisations concrètes du projet stratégique JF2025. Nous avons redéfini plusieurs de nos missions pour renforcer notre rôle et notre empreinte auprès des citoyennes et des citoyens, mais aussi des pouvoirs publics. Je pense à l’évolution du métier de juge ou du contrôle, à la publication de tous nos rapports, à la première édition de la plateforme citoyenne ainsi qu’à celle de signalement… C’est-à-dire tous les sujets au cœur de ce rapport d’activité et qui témoignent de notre ambition d’ouverture et de modernisation. Ambition qui ne pourrait prendre corps sans notre volonté de gagner en agilité et en attractivité. 2022 a aussi été l’année durant laquelle nous sommes parvenus à poser une méthode de mise en œuvre de notre projet stratégique. Cela passe par un dialogue et une écoute active de nos parties prenantes, ainsi que par une réaffirmation du sens de cette transformation. En effet, JF2025 compte 75 actions, ce qui est beaucoup. Nous nous rattachons donc sans cesse à l’objectif premier de cette démarche, qui est de soutenir et redynamiser les missions les plus profondes de la Cour des comptes. À savoir : donner une information indépendante aux citoyennes et aux citoyens, formuler des recommandations pour que les politiques publiques soient plus efficaces, garantir l’exemplarité de la gestion publique pour préserver la confiance que nous pouvons lui accorder. Toutes les actions engagées au sein de JF2025 visent précisément à renforcer ces trois axes.
Cette dynamique de transformation est-elle désormais un enjeu partagé par toutes et tous dans les juridictions financières ?
Il s’agit d’un sujet commun, je dirais même fédérateur. Avec JF2025 qui encourage les collaborations en mode projet, de nouveaux liens se tissent : entre la Cour et les chambres régionales et territoriales, entre les personnels de contrôle et l’administration, entre les chambres et les services… Notre objectif désormais est d’en faire un levier de bien-être au travail et de fierté. La Cour des comptes est une maison avec des valeurs affirmées, ancrées dans son histoire, son ADN, celles d’indépendance, de contradiction, de collégialité et d’exigence. Parallèlement, elle exprime une très forte vitalité via son collectif de femmes et d’hommes, qui croient en leur mission au service de la cité et à la nécessité de les moderniser pour toujours mieux les remplir. À l’heure de la crise sociale, économique, politique et environnementale que nous vivons aujourd’hui, ce collectif a d’autant plus à cœur d’être à la hauteur de ses missions. Cette énergie représente un puissant moteur de transformation.
Quels sont vos prochains défis pour les années à venir ?
Nous avons posé les fondations de JF2025, nous devons main- tenant finir de le déployer et surtout l’inscrire dans la durée. Le changement est certes enthousiasmant, mais il sollicite beaucoup les personnels, qui doivent s’adapter et intégrer de nouvelles méthodes de travail. Cet objectif de durabilité est donc essentiel, afin que chacun se sente pleinement acteur des réformes en cours au service de juridictions financières ouvertes, agiles et attractives.
Des métiers qui s'enrichissent, DES SYNERGIES QUI S'ACCÉLÈRENT
2022 a été une année charnière pour poser les fondations de nouvelles organisations et des méthodes de travail favorisant les montées en compétences des juridictions financières. La Cour des comptes réaffirme ainsi son ambition d’être aux avant-postes des transformations de la société pour perpétuer son rôle de vigie. Gwladys de Castries, secrétaire générale adjointe en charge du Centre d’appui métier, revient sur ces mutations.
Pourquoi les juridictions financières se sont-elles engagées dans une dynamique d’évolution de leurs métiers et compétences ?
La Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) portent en elles- mêmes l’ADN de la transformation. Depuis leur origine, elles doivent perpétuellement s’adapter à l’objet qu’elles contrôlent ou évaluent. Il faut ainsi qu’elles soient pleinement aguerries – donc outillées – pour répondre aux mutations de la société. En ce sens, notre projet stratégique JF2025 vise une cible cœur qui est le citoyen. Pour être en phase avec ses attentes, nous nous devons d’apporter des réponses synchronisées avec le temps du débat public. Ce qui suppose de se réinterroger sur nos délais de production, nos méthodes de travail et leur efficacité. Nous nous devons aussi de nous emparer de questions qui résonnent avec les préoccupations citoyennes. Ce qui implique d’élargir et d’enrichir nos référentiels de contrôle. C’est pour- quoi nous y intégrons aujourd’hui des notions telles que la transition écologique, le numérique, la qualité du service rendu, l’égalité professionnelle, la diversité, la qualité de vie au travail…
Comment le Centre d’appui métier (CAM) accompagne ce mouvement ?
Le CAM soutient les juridictions financières dans leur mue en leur fournissant des outils et des méthodes communes. C’est d’ail- leurs tout le sens de sa réorganisation en 2022. Il compte désormais trois directions, dont deux sont nouvelles : la Dcomp (direction des compétences) et la Dnum (direction du numérique et des données). La Dcomp rassemble aujourd’hui deux aspects qui étaient autrefois disjoints – la formation et la méthode – afin de créer des synergies entre tous les dispositifs de formation et de montée en compétences. La Dnum, quant à elle, vise à accélérer sur les sujets du numérique et de la data. L’accès à la donnée est, en effet, une question cruciale, même vitale, pour les juridictions financières car il s’agit d’une des garanties de leur indépendance. Or, nous ne traitons pas les données de la même manière qu’il y a dix ans. Les évolutions sont extrêmement rapides et nous devons être au rendez-vous en intégrant de nouvelles compétences spécifiques à la data science, mais également en formant tous nos magistrats et personnels de contrôle sur ces questions. Cet accompagnement va jusqu’à la conduite de formations diplômantes menées en partenariat avec des acteurs académiques, tels que l’université Paris Dauphine- PSL ou l’École polytechnique. Enfin, la troisième direction du CAM, la direction de la documentation et des archives, voit ses missions enrichies pour mieux répondre aux exigences d’une époque où l’information est partout, surabondante et de qualité parfois aléatoire. Son rôle aujourd’hui est donc, plus que jamais, de donner des ressources aux magistrats, d’orienter leur accès à l’information, afin de soutenir l’efficacité de leur action et la qualité de leurs travaux.
De nouvelles synergies sont à l’œuvre entre la Cour et les CRTC. Quelles perspectives ouvrent-elles ?
Il s’agit de l’un des grands apports du projet stratégique JF2025 : la convergence des métiers entre la Cour et les CRTC. Au niveau du CAM, une des conséquences est l’alignement des pratiques et des formations pour monter en compétences conjointement. Dans chacune de nos communautés de travail, nous mettons autour de la table des référents de chaque chambre de la Cour, mais aussi de chaque CRTC. Chacun mobilise ainsi une expertise différente, créant une émulation très positive : les chambres de la Cour apportent leur maîtrise des politiques publiques, tandis que les CRTC partagent leur agilité et leur connaissance des mises en pratique territoriales de ces politiques. Le résultat de cette fertilisation croisée ? Des rapports plus englobants et enrichis.
Cette même logique de mutualisation des expertises est à l’œuvre à l’international. Quels en sont les bénéfices ?
Par nature, nous sommes une institution unique en son genre en France. Il est donc difficile de nous comparer et de croiser des retours d’expérience à l’échelle nationale. C’est pourquoi il nous est précieux de participer à des réseaux plus larges, d’envergure européenne (avec l’Eurosai) ou internationale (avec l’Intosai). Certes, nous ne partageons pas les mêmes contextes, mais nous avons des questions communes – par exemple sur la transition écologique ou numérique. Il est alors intéressant de confronter nos réponses et de s’inspirer des bonnes pratiques. De même, dans nos missions, nous accompagnons la montée en puissance de certaines institutions supérieures de contrôle du monde franco- phone (au Sénégal, en Algérie, au Maroc…). Nous sommes, en outre, auditeurs d’organisations internationales, telles que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, le Conseil de l’Europe, l’Organisation mondiale du commerce et nouvellement les Nations unies…
Les CRTC sont également amenées à collaborer avec des homologues étrangers (par exemple sur des sujets trans- frontaliers, comme la mobilité). L’ensemble de ces expériences sont autant d’opportunités pour nos magistrats d’enrichir leurs propres compétences et celles de leurs collègues par irrigation. Ici aussi, les maîtres mots pour 2022, ainsi que pour 2023 et les années à venir, sont : ouverture, synergies et coopérations.
LE COMITÉ D’HISTOIRE : DOCUMENTER LE PASSÉ POUR MIEUX COMPRENDRE L’AVENIR Créé en 2009, le comité d’histoire a pour objectif de préserver la mémoire de la Cour, mais aussi d’éclairer ses évolutions et son ouverture vers l’avenir. C’est la raison pour laquelle sa nouvelle présidente, Catherine Hirsch, nommée en octobre 2022, souhaite poursuivre sa dynamique de diversification des travaux et des médias utilisés afin de toucher un public plus large. |
UNE ANNÉE RÉSOLUMENT EUROPÉENNE Plusieurs temps forts ont ponctué l’année 2022 sur le thème européen : la conférence sur l’avenir de l’Europe dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne en mars, marquée par la signature d’une déclaration commune des institutions supérieures de contrôle visant l’intensification de leurs coopérations ; la conférence sur la gouvernance européenne des finances publiques organisée en mai par le Haut Conseil des finances publiques ou encore le cycle d’échanges « Fêter l’Europe » à l’occasion de la Journée de l’Europe… « Tous ces événements témoignent de l’ouverture européenne de la Cour et contribuent à en faire le porte-étendard de la coopération européenne en matière de finances publiques », résume Camille Andrieu, auditrice, chargée de mission International auprès du Premier président. |
Un employeur ATTRACTIF ET EXEMPLAIRE
Afin de recruter les meilleurs talents et de les fidéliser, la Cour des comptes a posé les bases d’une marque employeur plus forte, en phase avec son temps et avec les attentes de la société. Pour Armelle Daam, secrétaire générale adjointe, les trois mots clés pour créer un collectif pleinement mobilisé sont : attractivité, rayonnement et exemplarité.
Quels sont les grands enjeux de la Cour des comptes en termes de ressources humaines ?
L’année 2022 a été particulièrement riche en projets structurants en matière de ressources humaines, à la fois avec la mise en oeuvre des évolutions induites par l’ordonnance du 2 juin 2021 relative à la réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État et avec le déploiement de notre projet stratégique JF2025. Ce double contexte a entraîné une modernisation des processus de recrutement, de mobilité et de rémunération. 2022 a aussi été l’année de mise en oeuvre de chantiers transversaux concernant la qualité de vie au travail (QVT), la politique du handicap, la labellisation Égalité professionnelle et Diversité, qui sont les marqueurs d’une Cour en phase avec son temps.
La Cour des comptes est amenée à diversifier ses recrutements. Pourquoi ?
Nous souhaitons étoffer les compétences et la richesse de notre collectif de travail. Concrètement, la réforme de la haute fonction publique modifie notamment les modalités d’accès aux postes d’auditeurs. Désormais, ils ne sont plus recrutés à la sortie de l’Institut national du service public (ex-ENA), mais après deux années au moins de services publics effectifs. Cette évolution nous permet d’intégrer des candidats en provenance d’horizons et de corps divers. Nous cherchons aussi, avec le recrutement des conseillers référendaires en service extraordinaire (plus de 90 en 2022), de nouveaux profils : ingénieurs, statisticiens, docteurs et professeurs d’université… Dans un univers professionnel très concurrentiel, cette ouverture à un vivier de talents renouvelé nous encourage à renforcer notre attractivité.
Vous parliez d’exemplarité. En quoi est-ce une dimension fondamentale pour la Cour des comptes ?
La notion d’exemplarité est au cœur de nos métiers et pratiques professionnelles. L’égalité professionnelle, l’écoresponsabilité, la qualité de vie au travail sont autant de sujets que nous contrôlons au sein des institutions publiques. Nous devons donc porter ce même niveau d’exigence pour nous-mêmes. Cette recherche d’exemplarité s’exprime sur plusieurs aspects. L’emploi des personnes en situation de handicap, d’abord. Sur ce point, nous avons construit un programme pluriannuel pour monter en puissance.
Par exemple, nous avons noué un partenariat avec le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la Fonction publique. Nous avons aussi nommé une référente pour structurer un réseau au sein des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC). Deuxième axe, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. L’ensemble des leviers sont actionnés : plus forte représentation des femmes sur les postes d’encadrement, attention portée à l’équilibre de genre dans les primo- nominations, lutte contre le harcèlement et discriminations sexistes, conditions de travail permettant une meilleure conciliation avec la vie privée, formations obligatoires à ces enjeux pour toutes et tous, et, au premier chef, les encadrants dans un souci d’exemplarité et de diffusion…. Cette dynamique se concrétise par une démarche de labellisation par un tiers externe, l’Afnor (voir décryptage ci-après).
Enfin, notre exemplarité s’exprime au niveau des défis environnementaux. Le Premier président a fait adopter en octobre 2022 un plan d’action ambitieux qui s’inscrit dans la ligne de la circulaire de la Première ministre du 25 juillet et du plan gouvernemental. Un réseau de « référents énergie » a été créé au sein de chaque CRTC avec une volonté d’améliorer la performance énergétique des bâtiments et de favoriser l’inclusion de la démarche de sobriété dans les juridictions financières (mobilités douces, achats responsables, numérique).
Comment transformer ces démarches en véritable culture commune ?
La première condition est que l’exemplarité vienne d’en haut. Pierre Moscovici, Premier président, incarne ces engagements de manière volontariste. Ensuite, il est indispensable de construire ces politiques avec les personnels. Par exemple, nous avons créé un comité de suivi du plan égalité professionnelle, comité rassemblant des représentants des organisations syndicales, des associations comme La Cour au féminin, des juridictions financières et notamment des CRTC… De même, le plan sobriété n’a pas été plaqué partout à l’identique. Chaque CRTC a pu s’en emparer et l’adapter à ses réalités de terrain. Et, bien sûr, nous cherchons à impliquer l’ensemble du collectif avec des formations, des actions de sensibilisation, des événements internes ou externes. L’exemplarité ne se décrète pas. Elle se prouve au quotidien.
QUAND LA COUR S’OUVRE À LA CITÉ… En juillet 2022, la Cour des comptes lançait « La Cité », un espace collaboratif pour faciliter l’engagement de ses personnels pour des initiatives civiques ou associatives. Cette démarche inédite et expérimentale vise à répondre à l’une des ambitions du projet stratégique JF2025 de renforcer les liens entre les juridictions financières et les citoyens. Concrètement, cette plateforme présente des actions menées par des partenaires tels que la « prépa Talents » de Sciences Po ou les associations Parlons Démocratie, La Cordée, Des Territoires aux Grandes Écoles. Elle favorise également les mises en relation pour les collaborateurs et collaboratrices qui souhaiteraient partager un peu de leur temps et de leur expertise. « La Cité répond à plusieurs besoins, aussi bien en termes de ressources humaines (nouvelles compétences, expériences diversifiées), de renforcement de notre attractivité et de la politique RSE de la Cour, ainsi qu’aux aspirations plus larges d’engagement des équipes », explique Benjamin Boscher, auditeur, en charge de la mise en oeuvre de ce projet. |
DÉCRYPTAGE
ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE : D’UN ENGAGEMENT À UNE VÉRITABLE POLITIQUE RH
Faire de l’égalité entre les hommes et les femmes un engagement à même de transformer les pratiques de travail prend du temps et requiert une volonté forte. Cette dynamique s’est concrétisée à la Cour des comptes autour de moments fondateurs et de plus en plus ambitieux. Un premier tournant est pris en 2018 avec la création de l’association La Cour au féminin et la rédaction d’une charte portée par le Premier président d’alors, Didier Migaud, et le secrétariat général, au nom de l’exemplarité des juridictions financières et de la performance que permet la mixité dans les organisations. Dans ce contexte, de premiers objectifs quantitatifs sont établis et le poste de référente à l’égalité au sein des juridictions financières est créé.
En 2020, l’heure est à l’intensification de la dynamique sous l’impulsion du nouveau Premier président, Pierre Moscovici. Une enquête interne, menée par le cabinet « Équilibre », établit un état des lieux sur la perception de l’égalité professionnelle au sein des juridictions financières. Deux points sont jugés critiques : le manque de transparence des processus de ressources humaines et l’importance des comportements inappropriés. C’est un électrochoc. Ce constat a conduit à l’élaboration d’un plan structuré prévoyant des actions de formation, de communication sur le sexisme, mais aussi un travail sur les pratiques managériales et les process RH, ainsi que sur le renforcement du bien-vivre ensemble au sein des juridictions financières. La mise en oeuvre de ce plan est suivie par un comité ad hoc et par les instances. Dans le même élan, la lettre de mission de la référente s’étoffe et des référentes et référents sont nommés dans les chambres régionales des comptes, puis dans les chambres de la Cour.
Et maintenant ? Une fois ce guide d’action posé, l’enjeu est ensuite de l’inscrire dans le temps. C’est l’ambition qu’a formulée le Premier président en 2022 avec le processus de labellisation Égalité professionnelle Afnor qui s’est concrétisé début 2023 après un intense travail interne. Une étape de plus pour partager un cadre permettant d’évaluer les actions, outils et process, mesurer leurs résultats, mais aussi élargir leur périmètre. Un groupe de travail sur les signalements et le traitement des situations de harcèlement ou violence sexiste est aussi créé et il doit déposer ses conclusions en mai 2023. La transformation culturelle est ainsi bel et bien enclenchée. Le prochain défi pour 2023 : formaliser et intégrer la stratégie en faveur de la diversité dans cette dynamique.
QUI CONTRÔLE LA COUR DES COMPTES ?
Cette question est fondamentale car elle renvoie à l’exemplarité que se doit d’incarner la Cour des comptes vis-à-vis des citoyennes et des citoyens, ainsi que des pouvoirs publics. Ainsi, différents niveaux de contrôle existent.
LES CONTRÔLES EXTERNES
• En France
À équidistance du Gouvernement et du Parlement, la Cour des comptes doit rendre compte chaque année à l’Assemblée nationale et au Sénat de l’utilisation de son budget, qui est voté dans le cadre des lois de finances. Ses dépenses sont également soumises au contrôle budgétaire et comptable ministériel, sous l’autorité du ministre du Budget.
• À l’international
En tant que juridiction, la Cour des comptes ne peut pas être contrôlée par une organisation publique qu’elle-même contrôle. Par conséquent, ce regard critique sur la conduite de ses missions est dévolu à des institutions supérieures de contrôle (ISC) étrangères. Cette démarche est appelée « la revue des pairs ». Les dernières en date : celles menées par les ISC portugaise en 2017 et britannique en 2021.
EN INTERNE
La mission d’audit et de contrôle interne, ainsi que la mission permanente d’inspection des chambres régionales et territoriales des comptes, sont chargées de vérifier la bonne mise en oeuvre des normes et processus de travail au sein des juridictions financières.
« L’article 15 de la Déclaration des droits de homme et du citoyen, qui dispose que la société a droit de demander compte à tout agent public de son administration ”, est inscrit au fronton de notre Grand’chambre. Maïa WIRGIN « Les différentes démarches de labellisation Afnor engagées par le Parquet, le greffe central de la Cour et la direction des compétences sont autant de leviers pour renforcer notre contrôle interne et la qualité de nos procédures. Le label Égalité délivré récemment par l’Afnor témoigne de l’engagement Armelle DAAM « Le contrôle et la maîtrise des risques sont dans l’ADN de la Cour des comptes. Ils s’incarnent dans toutes les dimensions de notre organisation et sont au coeur de nos principes de collégialité, de contradiction et d’indépendance. Gwladys DE CASTRIES |
LOUIS GAUTIER : le Parquet général, au cœur de la responsabilité des gestionnaires publics
Louis Gautier a été nommé Procureur général près la Cour des comptes en septembre 2022. Il revient sur les missions du Parquet général et ses grands défis pour aujourd’hui et les années à venir.
Quelles sont les missions du Parquet général ?
La fonction juridictionnelle de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC), depuis leur création, se reflète dans l’existence d’un Parquet. Il s’agit d’une spécificité parmi les juridictions administratives. En tant que Procureur général, ma mission première est de veiller au respect de la loi et de l’ordre public financier. Lorsque des irrégularités graves sont détectées à l’occasion de contrôles des juridictions financières, le Procureur général ouvre les poursuites, qui s’exercent depuis le 1er janvier 2023 devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes. Il peut également signaler des faits de nature pénale à l’autorité judiciaire ou faire des transmissions à d’autres autorités dotées d’un pouvoir de contrôle et de sanction (comme l’administration fiscale, l’Autorité de la concurrence ou la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique). Il peut enfin adresser des « rappels à la loi » aux administrations en guise d’avertissement. Mais les missions du ministère public ne s’arrêtent pas là : indépendant du siège, il contribue au contrôle de la qualité des travaux des juridictions financières et surveille leur exécution.
Le Procureur général et les procureurs financiers rendent des conclusions écrites sur ces travaux, ainsi que des avis sur le programme des chambres et sur les textes qui régissent leur organisation et leur fonctionnement. Par son positionnement « près » les juridictions financières, le ministère public a vocation à accompagner les équipes de contrôle, tout en portant un regard indépendant et impartial sur le respect des procédures et la qualité des rapports.
De quels moyens disposez-vous ?
Le Procureur général dispose des services du Parquet général et coordonne l’action des 25 procureurs financiers placés auprès des chambres régionales et territoriales. Soit environ 70 personnes pour l’ensemble des juridictions financières. L’unité du ministère public a été renforcée par l’ordonnance du 23 mars 2022, qui prévoit désormais explicitement que les procureurs financiers « assistent le Procureur général dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles ».
Quel a été votre rôle dans la mise en place du nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics ?
Ce rôle est moteur dans la mesure où le Parquet général a le monopole des poursuites et de la mise en mouvement de l’action publique. Le Parquet général a toujours soutenu le principe de cette réforme, qui rend la justice financière plus lisible pour les citoyens. L’année 2022 a été consacrée à la mise en place de ce nouveau régime, entré en vigueur au 1er janvier 2023. À cet égard, j’ai poursuivi le travail accompli par Catherine Hirsch, qui m’a précédé : le Parquet général a apporté son expertise dans l’élaboration des textes d’application de l’ordonnance et a beaucoup œuvré en fin d’année pour assurer le transfert des affaires en cours devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) vers la nouvelle chambre du contentieux. Par ailleurs, afin de fluidifier les relations entre les juridictions financières et l’autorité judiciaire, nous avons mis en place un groupe de travail avec le ministère de la Justice. En effet, si la Cour et les CRTC peuvent faire des transmissions à l’autorité judiciaire, les procureurs de la République peuvent, de leur côté, me déférer des faits susceptibles d’être sanctionnés au titre du nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics. L’articulation de la politique de poursuites de mon parquet avec celle des parquets judiciaires est donc plus que jamais nécessaire. La réécriture de la circulaire du 10 décembre 2014 relative aux relations entre l’autorité judiciaire et les juridictions financières est en cours.
Quels sont les changements apportés par ce nouveau régime de responsabilité ?
À la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics, essentiellement fondée sur la réparation, se substitue un régime répressif visant à sanctionner les fautes graves de gestion commises par tous les gestionnaires publics. Comme l’ont montré les nombreuses propositions de contrôles déposées sur la plateforme de participation citoyenne lancée par la Cour, le citoyen appelle de ses vœux, non seulement une administration efficace, mais aussi une gestion régulière. La responsabilité financière constitue une « digue » indispensable pour contribuer à la confiance des citoyens dans l’action publique : la liberté accrue laissée aux gestionnaires doit s’accompagner de contrôles a posteriori renforcés et de sanctions exemplaires lorsque les irrégularités commises ont généré une perte importante d’argent public.
Quelles seront vos priorités pour l’année à venir ?
Le nouveau régime de responsabilité va devoir dégager son propre espace d’accomplissement entre action disciplinaire et sanction pénale. Il ne devra être ni un contentieux de masse qui tétaniserait les gestionnaires publics, ni un contentieux de la rareté qui lui ferait perdre son caractère dissuasif. Je m’attacherai, à travers la politique de poursuites du Parquet général, à relever ce défi aux côtés des chambres de la Cour et des CRTC.
Le Parquet administre par ailleurs la nouvelle plateforme de signalement lancée en 2022, qui permet aux citoyens d’alerter la Cour sur des irrégularités ou des dysfonctionnements constatés dans la gestion publique. Je veillerai à ce que ces signalements soient pris en compte dans la programmation des contrôles des juridictions financières.
Enfin, j’ai lancé un chantier de réflexion sur le « ministère public de demain », visant à tirer les conséquences des nombreuses évolutions intervenues au sein des juridictions financières. Au-delà de la réforme de leur mission juridictionnelle, celles-ci ont poursuivi la démarche de modernisation impulsée par le chantier JF2025, visant à les rendre plus proches des citoyens, plus rapides et plus transparentes. Elles publient désormais l’intégralité de leurs travaux et mettent en œuvre de nouvelles formes de contrôles comme les audits flash ou les évaluations de politiques publiques locales. Le Parquet doit adapter son fonctionnement à ces évolutions. Sa modernisation devrait déboucher sur l’élaboration d’une feuille de Louis Gautier, route d’ici à l’été prochain.