Un régime juridique strict, une économie prospère
Objet d’un régime juridique rigoureux, le secteur des jeux est composé d’opérateurs privés autorisés par l’État et soumis à son contrôle administratif. Malgré ces freins à l’entrée et une fiscalité spécifique lourde, il connaît une croissance continue : près de la moitié des Français majeurs joueraient (dont 93 % aux loteries) et près d’un quart parieraient. Le produit brut des jeux (PBJ), qui correspond à la différence entre les mises et les sommes reversées aux joueurs, s’est élevé à 10,7 Md€ en 2021 et à 12,9 Md€ en 2022. Les dynamiques économiques sont contrastées selon les opérateurs et les segments de jeux. La FDJ, privatisée en 2019, est l’opérateur le plus important, avec 50,5% du PBJ du secteur en 2022, tous segments confondus. La cession de la majorité du capital a rapporté 1,89 Md€ à l’État, qui reste actionnaire à hauteur de 20 % et détient 28 % des droits de vote. La FDJ s’appuie sur plus de 30 000 points de vente répartis dans plus de 11 000 communes. Le PMU est un groupement d’intérêt économique (GIE) constitué par les sociétés de courses hippiques, qui a réalisé plus de 17 % du PBJ en dur en 2022 (1,7 Md€) et déploie son offre de paris dans 235 hippodromes et quelques 13 000 points de vente. Les 209 casinos et clubs de jeux, soit indépendants, soit détenus par l’un des grands groupes casinotiers, représente 20 % du PBJ global du secteur en 2022. Enfin, 17 opérateurs agréés « en ligne », aux statuts diversifiés et souvent situés à l’étranger sont en concurrence sur le secteur des paris sportifs et hippiques et du poker en ligne. Le PBJ de ce secteur représentait environ 20 % du PBJ global en 2021.
Un secteur modernisé en 2019, de nouveaux enjeux pour la régulation
La réforme du secteur des jeux en 2019 comportait trois volets : la privatisation de la FDJ ; la réforme de la fiscalité spécifique des jeux ; la mise en place d’une autorité de régulation indépendante pour l’ensemble du secteur.
La privatisation de la FDJ avait d’abord un objectif de rendement budgétaire, et ne visait pas à réformer et « dynamiser » le secteur des jeux. Techniquement, la cession de l’entreprise a été menée à bien dans de bonnes conditions, mais la Cour observe que le contenu du contrôle étroit de l’État sur l’entreprise, prévu par la loi, doit encore être précisé.
Outre la TVA, l’IS et les taxes locales auxquels sont assujettis les opérateurs, les jeux d’argent et de hasard sont surtout soumis à des prélèvements spécifiques, qui représentaient 90 % de la fiscalité du secteur en 2021. Le produit de ces impôts spécifiques a atteint 5,8 Md€ en 2021. Les gains des joueurs, quant à eux, sont globalement exonérés d’impôt. Alors que ces prélèvements spécifiques étaient globalement assis sur les mises, la réforme engagée en 2019 a consisté à retenir comme assiettes le produit brut des jeux (PBJ), qui correspond à une forme de marge brute des opérateurs. Au terme de la réforme, la fiscalité des jeux a gagné en simplicité. La fixation d’un taux d’imposition par catégorie de jeu, au lieu d’un taux auparavant pour chaque jeu, améliore la lisibilité des règles fiscales et en simplifie la gestion, sans effet négatif sur les recettes publiques. Il importe cependant que cette fiscalité fasse l’objet d’un suivi et d’une analyse économique précis pour mesurer ses effets sur les différents jeux et leur dynamique.
L’Autorité nationale des jeux (ANJ), autorité collégiale de régulation et de surveillance, a succédé en 2020 à l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), qui avait été créée en 2010. Ses missions sont plus larges et elle dispose de pouvoirs significatifs de contrôle. Depuis mi-2020, l’ANJ s’est affirmée dans son rôle d’interlocuteur des opérateurs. En septembre 2022, l’ANJ a saisi pour la première fois la commission des sanctions, au terme d’une procédure qui reste cependant longue à mettre en œuvre. Mais la Cour relève que cette autorité administrative indépendante ne dispose pas de toutes les compétences utiles, au regard notamment des innovations qui surgissent dans l’univers numérique.
Les nouveaux défis de la régulation publique
La créativité et l’innovation digitales posent des défis à un cadre de régulation conçu pour protéger les joueurs. La distinction « jeux en dur » et « en ligne », centrale dans l’organisation française depuis 2010, est brouillée par le développement d’offres dites « omnicanales » par des opérateurs présents sur les deux segments. Les défis de la diversification notamment sur de nouvelles offres qui présentent les caractéristiques de jeux d’argent et de hasard mais échappent à la règlementation : c’est le cas des jeux recourant à des jetons non fongibles ou NFT, dont la Cour recommande de fixer le régime juridique avec des garanties aussi fortes que celles qui entourent les jeux d’argent et de hasard ; c’est le cas aussi des paris sur des compétitions virtuelles ou d’« eSport » qui ne sont pas légaux et dont certains opérateurs plaident la légalisation afin de canaliser la demande vers une offre légitime. Les métavers ouvrent aussi des perspectives d’immersion dans des environnements virtuels fermés propices aux jeux et aux addictions. Ces développements, qui peuvent présenter des risques au regard des objectifs de la politique des jeux, appellent de la part de l’État et du régulateur vigilance et réactivité.