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Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question

COUR DES COMPTES

Depuis plus de vingt ans, la population incarcérée augmente de façon continue pour atteindre fin 2022 un niveau inégalé de 73 000 détenus. La France figure parmi les dix pays européens où la population incarcérée progresse. En leur sein, les hommes - jeunes, marqués par des fragilités sociales et médicales, notamment psychologiques - sont majoritaires, et s’inscrivent dans des parcours de récidive avec de multiples condamnations. Les maisons d’arrêt conservent ainsi, dans une certaine mesure, la vocation asilaire qui a longtemps été la leur. Il en résulte une aggravation de la suroccupation des établissements pénitentiaires : fin 2022, le taux d’occupation des maisons d’arrêt était de près de 143 %. Cette suroccupation constitue une contrainte majeure pour la politique d’exécution des peines d’incarcération, dont le coût global a été évalué par la Cour à environ 4 Md€.

Des causes complexes et des leviers difficiles à actionner

La suroccupation expose les détenus et les personnels à des conditions de détention marquées par des tensions quotidiennes, la promiscuité et des risques de violence accrus. Des condamnations de l’État en ont résulté, notamment devant la Cour européenne des droits de l’homme. Plusieurs facteurs y contribuent : tout d’abord, la réponse pénale à la délinquance s’est durcie ces dernières années. Les incarcérations et leurs durées ont ainsi augmenté de façon significative - le nombre d’années de prison ferme prononcées a augmenté de près de 70 % en vingt ans. Certains crimes et délits font l’objet d’une répression accrue (les violences intrafamiliales, les délits routiers ou les violences envers les forces de l’ordre). L’augmentation du recours aux comparutions immédiates et le maintien, à un niveau élevé, du taux de détention provisoire renforcent cette tendance. Une seconde cause tient à l’effet limité des alternatives à l’incarcération (bracelet électronique, travail d’intérêt général, etc.) sur le nombre de détenus. Les pouvoirs publics ont donc actionné plusieurs leviers, comme la construction de nouveaux établissements pénitentiaires (« Programme 15 000 »), la maximisation des taux d’occupation, dont les limites semblent avoir été atteintes, ou le déploiement de la nouvelle politique des peines pour réduire les courtes peines de prison. Mais leur impact est resté à ce jour limité. De même, l’expérimentation de dispositifs dits de « régulation carcérale », fondés notamment sur l’idée qu’un partage d’informations entre autorité judiciaire et administration pénitentiaire sur le niveau d’occupation permettrait de réguler les flux d’incarcération au plan local, ne s’est pas traduite par une baisse des taux d’occupation.

Une différenciation croissante des modalités d’exécution des peines

Le système pénitentiaire s’ajuste en développant des prises en charge différenciées. Pour des publics ciblés, détenus radicalisés, violents ou auteurs d’infractions à caractère sexuel, des procédures d’orientation et de gestion spécifique se développent, en fonction des besoins, et souvent en réponse à l’urgence. Aussi nécessaires soient-elles, ces démarches innovantes doivent faire l’objet d’une évaluation systématique et d’un suivi des moyens importants qui leur sont consacrés en comparaison de ceux accordés aux autres détenus. Dans les détentions classiques, la différenciation des prises en charges progresse également, en vue de structurer des parcours d’incarcération et de réduire les risques de récidive après la prison. Mais le déploiement de ces parcours est rendu complexe par la surpopulation carcérale et pose la question de l’équilibre global entre les différents quartiers dans les établissements. Les structures d’accompagnement à la sortie n’échappent pas à cette problématique. Leur contribution spécifique doit être clarifiée, non seulement à l’égard des autres établissements pénitentiaires, mais également en termes de « publics cibles ».

Des sorties de détention marquées par des procédures complexes

Pour prévenir la récidive, les acteurs de l’exécution des peines doivent préparer avec les condamnés leur sortie progressive de détention, notamment par des aménagements de peine. La sophistication du droit de l’aménagement des peines et la systématisation des procédures juridictionnelles pour le mettre en œuvre n’ont toutefois pas permis, à ce jour, d’atteindre cet objectif et de limiter les sorties sans accompagnement. L’action du ministère de la Justice doit se poursuivre en vue de renforcer le déploiement des placements extérieurs et de la semi-liberté, qui permettent un accompagnement du détenu, parallèlement aux détentions sous surveillance électronique en fort développement. La libération sous contrainte, procédure simplifiée d’accès aux aménagements de peine en vue d’une sortie anticipée, n’a pas produit les résultats attendus depuis sa création en 2015. N’ayant pas fait l’objet d’évaluation, elle a pourtant été rendue plus systématique, conduisant, pour les plus courtes peines, à examiner les perspectives de sortie peu de temps après l’entrée en détention. Cette évolution a pour effet de mobiliser les acteurs judiciaires et pénitentiaires sur la gestion des procédures, parfois aux dépens d’un travail d’individualisation effective du suivi des détenus en vue d’accroître leurs chances de réinsertion et de réduire les risques de récidive. La systématisation de l’examen des libérations sous contrainte à trois mois de la fin de peine depuis le 1er janvier 2023 risque d’accentuer encore cette tendance et la pression qui s’exerce sur les services.
Plus fondamentalement, les constats de la Cour posent la question de l’équilibre d’un système profondément réformé en 2019. Son fonctionnement actuel n’est pas satisfaisant au regard d’un objectif ambitieux de prévention de la récidive. Les évolutions envisageables, qui relèvent d’un débat démocratique et d’une orientation forte de la politique pénale, requièrent une évaluation approfondie de sa mise en œuvre, qui n’a pas été réalisée malgré les réorientations majeures intervenues depuis 20 ans.

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