Le contrôle des comptes et de la gestion de la société par actions simplifiée Société Territoriale Calédonienne de Participation Industrielle (STCPI), à compter de l’exercice 2009, a été effectué dans le cadre du programme 2019 de la chambre territoriale des comptes de la Nouvelle‑Calédonie.
La création de la STCPI est liée à la revendication d’une maîtrise locale des outils de production de nickel. Le capital social de la STCPI est détenu à 50 % par la société par actions simplifiées NORDIL qui regroupe les sociétés d’économie mixte de la province Nord (SOFINOR) et de la province des Iles Loyauté (SODIL) et à 50 % par la société d’économique mixte de la province Sud, PROMOSUD. La STCPI détient des participations dans les sociétés ERAMET (4 %) et la SLN (34 %).
Une représentation en cascade des intérêts calédoniens par les provinces
Les initiateurs du montage politique constitutif de la STCPI ont choisi de faire porter par les provinces la représentation des intérêts calédoniens. La représentation de la province Nord et de la province des Iles Loyauté au capital de la SLN et d’ERAMET s’effectue en trois paliers par leur société d’économie mixte : SOFINOR pour la province Nord, SODIL pour la province des Iles Loyauté. Ces sociétés d’économie mixte composent le capital de NORDIL, 75 % pour la SOFINOR et 25 % pour la SODIL, qui a pour seul objet social la détention de participations au sein de la STCPI. La représentation de la province Sud dans le capital de la SLN et d’ERAMET s’organise selon deux paliers : PROMOSUD au premier palier et la STCPI au deuxième palier.
La STCPI n’a pas la maîtrise du processus de désignation des administrateurs proposés au conseil d’administration de la SLN et d’ERAMET et qui la représentent, pas plus qu’elle n’a le contrôle sur la désignation de son président (désignation par NORDIL). Les administrateurs siégeant au conseil d’administration de la SLN et d’ERAMET peuvent de fait privilégier la proximité avec la structure initiale qui les désigne ou au contraire s’en éloigner selon les circonstances.
De plus, la préparation des positions à relayer par les administrateurs de la SLN et d’ERAMET désignés sur proposition de la STCPI suppose l’organisation des assemblées générales de la STCPI en amont des réunions de la SLN. Or près de la moitié des réunions de l’assemblée générale de la STCPI se tiennent après celles du conseil d’administration de la SLN.
Ce système de désignation en cascade d’administrateurs au sein du conseil d’administration de la SLN et d’ERAMET conçu il y a près de vingt ans se révèle lourd et inefficace : la SOFINOR et PROMOSUD n’interviennent pas en tant qu’actionnaires et n’investissent donc pas le sujet autrement que par des débats de personnes à proposer aux conseils d’administration de la SLN et d’ERAMET et NORDIL n’apporte pas de valeur ajoutée. Les administrateurs qui siègent in fine aux conseils d’administration de la SLN et d’ERAMET ne sont ni indépendants du fait des modalités particulières de leur désignation ni en représentation véritablement organisée des intérêts des sociétés qui les désignent.
Un objet social partiellement mis en œuvre
La STCPI a pour objet la détention des participations au capital de la SLN et d’ERAMET, les statuts prévoyant que les titres ERAMET ne peuvent être cédés sauf pour être utilisés dans le cadre d’une augmentation de la participation de la STCPI dans le capital de la SLN. C’est ce qui a été réalisé par la société lorsqu’en 2006 elle a fait jouer son droit d’option en payant une augmentation de 4 % dans le capital de la SLN par des titres ERAMET, passant ainsi de 30 à 34 % dans le capital de la SLN. La détention de la participation est la seule partie de l’objet social de la société que celle-ci assure pleinement.
La STCPI a également pour objet la participation au développement économique des provinces. Cette partie de son objet social s’est traduite par un simple rôle de distributeur de la quote-part de chacun des associés dans les dividendes attribués à la STCPI par la SLN et ERAMET et du remboursement des prêts participatifs aux provinces. La STCPI n’a aucune connaissance de l’utilisation faite par ses associés des dividendes et partant, elle ne peut donc être assurée de participer au développement économique des provinces.
Les statuts de la STCPI prévoient enfin la mise en œuvre de la politique et de la stratégie de la société et la prise de position des représentants de la STCPI dans les assemblées générales et les conseils d’administration de la SLN et d’ERAMET. Or la société, à part quelques exceptions, ne prépare pas la position de ses représentants aux instances de la SLN et d’ERAMET.
Une gouvernance à clarifier
En tant que société visée par l’article 53 de la loi organique parce qu’elle peut être considérée comme une société d’intérêt général, la STCPI est concernée par les incompatibilités mentionnées à l’article 196 de la loi organique. Les fonctions de président et de président délégué de la STCPI ne sont pas compatibles avec l’exercice d’un mandat de membre d’une assemblée de province.
Concernant les fonctions de président, la chambre a constaté, qu’en violation des stipulations statuaires, il n’a pas sollicité les associés à certains moments. L’assemblée générale est consultée fréquemment par écrit. Ces consultations portent parfois sur des sujets importants qui auraient justifié un échange entre les associés.
Une situation financière dégradée
Les recettes de la STCPI sont essentiellement constituées des revenus issus de sa participation au capital de la SLN et d’ERAMET et dans une moindre mesure des revenus financiers engendrés par le placement des dividendes perçus sur des dépôts à terme. Depuis l’exercice 2014, la STCPI n’a plus perçu de dividendes de la SLN dont les exercices sont déficitaires depuis 2012. La société n’a perçu des dividendes d’ERAMET qu’en 2018 et 2019. Depuis 2014, les revenus de la STCPI se sont ainsi effondrés et la société a dû ponctionner sa trésorerie pour couvrir ses dépenses.
Les charges financières, principalement constituées des intérêts versés aux provinces pour les prêts participatifs, représentent le poste de dépenses le plus important. Au total, de 2010 à 2020, la STCPI a versé 5,4 Md F CFP d’intérêts aux trois provinces. La STCPI n’ayant par ailleurs aucun salarié, la société a signé une convention d’assistance administrative, financière et juridique avec la SOFINOR dont les locaux à Nouméa abritent le siège administratif de la STCPI.
Les capitaux propres de la STCPI sont devenus inférieurs à la moitié du capital social. Au 30 juin 2020, les capitaux propres de la STCPI n’avaient pas été reconstitués et la société n’avait pas procédé à la réduction de son capital, conformément aux dispositions de l’article L. 225‑248 du code de commerce.
Les droits des provinces répondent à l’objectif de rééquilibrage
Afin de manifester la volonté politique de rééquilibrage, il a été décidé que la part des dividendes et produits issus de la SLN et d’ERAMET distribuée par la STCPI ne serait pas proportionnelle à leur participation dans le capital de la STCPI mais selon une clé de 50 % pour la province Nord, 25 % pour la province des Iles Loyauté et 25 % pour la province Sud. Entre 2009 et 2020, le montant total des dividendes distribués par la STCPI s’élève à 23,9 Md F CFP dont 13,6 Md F CFP pour la SOFINOR, 6,8 Md F CFP pour la SODIL et 5,9 Md F CFP pour PROMOSUD.
Les prêts participatifs accordés par les provinces à la STCPI pour financer la participation dans la SLN et ERAMET génèrent pour celles-ci la perception d’intérêts. Le montant total des intérêts payés par la STCPI aux trois provinces s’élève à 6,2 Md F CFP entre 2009 et 2020, dont 2,9 Md F CFP pour la province Nord, 1,8 Md pour la province Sud et 1,4 Md pour la province des Iles.
Des administrateurs soumis à des injonctions contradictoires
Bien que les administrateurs de la SLN et d’ERAMET nommés sur proposition de la STCPI ne soient pas des représentants permanents de la STCPI, celle-ci n’étant pas représentée en tant que personne morale au sein de la SLN et d’ERAMET, la STCPI qualifie ces administrateurs de « représentants » de la société (STCPI).
Les administrateurs nommés sur proposition de la STCPI sont exposés à des injonctions contradictoires. D’un côté, l’administrateur est supposé être le représentant de la STCPI et est soumis aux règles statutaires prévoyant la préparation des positions à porter au sein de la SLN et d’ERAMET ce qui suppose le partage avec la STCPI des informations et documents reçus en tant qu’administrateur. De l’autre côté, il a l’obligation de respecter les obligations de loyauté et de confidentialité de la société dont il est l’administrateur. En renvoyant les administrateurs nommés sur sa proposition à gérer l’arbitrage entre leurs obligations à l’égard de la STCPI et de la SLN ou d’ERAMET, la société expose ceux dont elle propose la désignation en tant qu’administrateurs de la SLN et d’ERAMET à un risque juridique notamment en ce qui concerne la confidentialité des informations dont ils disposent.
De plus, la participation au conseil d’administration de la SLN ou d’ERAMET de membres élus des assemblées de province viole également les dispositions du paragraphe I (6°) de l’article 196 de la loi organique qui interdisent à un élu provincial d’être membre d’une société visée à l’article 53 de la loi organique dès lors que ces fonctions de membre du conseil d’administration sont rémunérées. Cette participation est également contraire aux dispositions du paragraphe IV de l’article 196 de la loi organique qui interdisent à un élu provincial d’accepter, en cours de mandat, toute fonction de membre de conseil d’administration ou de surveillance d’une société visée au I du même article.
La prise de participation majoritaire de la STCPI dans le capital de la SLN
La chambre constate que la prise de participation majoritaire de la STCPI dans le capital de la SLN, si elle peut être un objectif de la société, ne figure pas en tant qu’engagement juridique dans les documents liant la société. Le pacte d’actionnaires et les statuts de la STCPI ne traitent que de la question du passage de 30 à 34 % mais pas d’une participation majoritaire.
Les tenants, au sein de la STCPI de la prise de participation majoritaire de la SLN, fondent leur position sur les stipulations figurant dans l’accord politique du 12 février 1999. Or l’accord du 12 février 1999 n’emporte pas d’effet juridique à l’égard de la STCPI et d’ERAMET. Si la province Nord est constante dans sa position favorable à la prise de participation majoritaire dans le capital de la SLN, telle n’est pas le cas de la province Sud qui varie, en 2009, puis en 2014, et en 2019, au gré des majorités issues des élections.
La renégociation du pacte d’actionnaires
La révision du pacte d’actionnaires s’inscrit dans le cadre d’une démarche plus large impliquant notamment des travaux sur le rôle de la SLN et sa gouvernance. Après l’enlisement du sujet qui, de facto, ne fait plus l’objet de discussions depuis les échanges intervenus en 2011, ce point ne fait même plus l’objet d’un débat sur le fond, mais devient un sujet relevant d’un vote systématiquement favorable, alors que le renouvellement annuel est irrégulier.
Les critiques sur les choix stratégiques d’ERAMET
Lors de l’examen des soutiens financiers apportés par ERAMET en 2016 pour le financement des besoins de trésorerie de la SLN, les modalités du prêt accordé par ERAMET à sa filiale ont donné lieu à des interventions de la STCPI qui indiquait soupçonner la société ERAMET de se montrer discriminatoire à l’égard de sa filiale. De plus, des critiques sont exprimées au sein de la STCPI sur les choix stratégiques d’ERAMET qui contribueraient à expliquer les difficultés de la SLN en sus de la chute des cours du nickel au LME. Une critique relative aux remontées de dividendes jugées excessives a également été mise en avant par la STCPI dans le cadre d’une résolution adoptée lors de son assemblée générale du 25 mai 2016.
La recapitalisation de la SLN
Les capitaux propres étant négatifs, les actionnaires de la SLN avaient décidé lors de l’assemblée générale de juin 2018, de poursuivre l’activité de la société. En 2020, la solution examinée par la direction générale de la SLN est une recapitalisation.
Lors de la réunion de l’assemblée générale de la STCPI le 4 août 2020, les associés conviennent que la STCPI n’a pas les moyens de répondre favorablement à l’augmentation de capital envisagée par la SLN. Ils conviennent également que la question prioritaire est celle du financement des besoins de trésorerie qui doit être réglée avant celle de la reconstitution des capitaux propres. Ils font aussi état du caractère non acceptable pour la STCPI de voir sa participation diluée dans le capital de la SLN.
La chambre estime qu’en refusant de traiter la question des capitaux propres négatifs, considérant qu’elle n’est pas urgente et en demandant un report de cette question, la STCPI expose ainsi la SLN à un risque de dissolution.
Un modèle à refonder
In fine, la STCPI apparaît être une société de portage de participations, peu active restant dans l’attente des retours financiers. La STCPI se positionne, à l’exception de l’année 2009, comme étant davantage préoccupée par le retour financier en provenance de ses participations et la gestion de ces retours financiers (dividendes, prêts participatifs) que comme un actionnaire investi dans la stratégie industrielle de la SLN. La chambre invite la STCPI et ses parties prenantes à revoir le modèle d’organisation du portage des intérêts calédoniens dans le capital de la SLN et d’ERAMET.
A la suite de ce contrôle des comptes et de la gestion, la chambre formule deux recommandations de régularité et huit recommandations de performance.