La défense a tout d’abord soulevé divers moyens portant sur la régularité de la procédure.
Le premier de ces moyens se rapportait aux conditions dans lesquelles des affaires initiées devant la Cour de discipline budgétaire et financière, mais non encore jugées par celle-ci, pouvaient être transmises à la Cour des comptes après l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 mars 2022 relative à la responsabilité financière des gestionnaires publics. La défense a fait valoir que le volet relatif à l’association E-TOILE n’avait pas fait l’objet d’un réquisitoire introductif devant la CDBF qui seul aurait permis, aux termes de l’article 30 de l’ordonnance du 23 mars 2022, la transmission de l’affaire à la chambre du contentieux. Le Parquet général n’ayant pris en l’espèce qu’un réquisitoire supplétif destiné à joindre les faits correspondants à l’instance ouverte à l’encontre de la chambre régionale d’agriculture de Bretagne, la défense soutenait que la chambre du contentieux n’avait pas été valablement saisie du volet relatif à l’association E-TOILE. Faisant droit à ce moyen, la chambre du contentieux a jugé irrecevables les réquisitions à l’encontre du président et des agents de l’association.
La défense a par ailleurs fait valoir qu’en l’absence de notification de son droit de se taire, l’ensemble de la procédure poursuivie, notamment à l’encontre du président de la CRAB était entaché d’une méconnaissance de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) et d’une violation de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La chambre du contentieux a toutefois rejeté ce moyen en relevant d’abord qu’à la date de la convocation du président de la CRAB, aucune jurisprudence établie du Conseil constitutionnel n’avait déduit de l’article 9 de la DDHC une obligation de notification du droit de se taire aux personnes entendues dans le cadre de procédures autres que pénales. En l’absence de disposition législative du code des juridictions financière fixant les conditions dans lesquelles les personnes mises en cause sont entendues par le magistrat chargé de l’instruction, l’objectif de bonne administration de la justice faisait obstacle à ce que les auditions réalisées dans le cadre de l’affaire sans que le président de la CRAB se soit vu notifier son droit de se taire, soient annulées pour ce motif.
La chambre du contentieux a néanmoins examiné si la procédure dans son ensemble s’était déroulée dans des conditions garantissant qu’il ne soit pas porté atteinte aux droits de la défense et si elle pouvait, par suite, être considérée comme équitable. En l’espèce, tant l’ordonnance de renvoi du Procureur général, que l’ordonnance de règlement déposée par le magistrat chargé de l’instruction, reposaient principalement sur des pièces dont la communication était rendue obligatoire sur le fondement de l’article L. 141-5 du code des juridictions financières, à laquelle une personne mise en cause ne pouvait se soustraire sous peine de commettre un délit d’obstacle. Par ailleurs, si les propos tenus lors des auditions n’avaient pas été précédés d’une notification du droit de se taire, il ressortait de l’analyse des procès-verbaux d’audition que les personnes entendues n’avaient pas été conduites à s’incriminer.
Le moyen tiré de la méconnaissance des droits de la défense a en conséquence été écarté.
La défense ayant également mis en cause la partialité objective du magistrat chargé de l’instruction et excipé de la durée anormalement longue de la procédure, ces deux moyens ont également été écartés.
Sur le fond de l’affaire, la décision de renvoi reprochait au président de la CRAB d’avoir octroyé un avantage injustifié à autrui en concluant un contrat, en méconnaissance des règles de procédure et de mise en concurrence. Sous l’empire de la loi applicable à l’époque des faits, la caractérisation de l’infraction nécessitait d’établir que la CRAB avait subi un préjudice financier. Si les dispositions actuellement en vigueur ne retiennent plus l’existence d’un préjudice au nombre des éléments constitutifs de l’infraction, un préjudice devait cependant être établi au regard des principes régissant l’application de la loi répressive dans le temps. Par application des mêmes principes, l’infraction d’octroi d’un avantage injustifié à autrui ne pouvait être retenue à l’encontre du directeur de la CRAB que s’il avait agi par intérêt personnel direct ou indirect, selon la définition de l’infraction actuellement en vigueur.
La chambre du contentieux a considéré qu’en méconnaissant les règles de la commande publique applicable en l’espèce, le président de la CRAB avait méconnu ses obligations ; que l’attribution d’un marché public par un pouvoir adjudicateur, à une entité juridique distincte, et en méconnaissance des règles de publicité et d’égal accès à la commande publique, suffisait à établir tant l’existence de l’avantage ainsi octroyé que son caractère injustifié ; et que l’intérêt indirect, au sens de l’article L. 131-12 du code des juridictions financières actuellement en vigueur, avait été établi par l’instruction.
Toutefois, à l’encontre de la position du Parquet général, la chambre du contentieux a considéré que la seule méconnaissance des règles précitées ne suffisait pas à démontrer l’existence d’une perte de chance sérieuse d’obtenir des offres mieux-disantes et donc celle d’un préjudice irréfutable. Dès lors, en l’absence d’éléments établissant que la CRAB avait subi un préjudice causé par l’avantage injustifié octroyé, l’infraction, telle qu’elle résulte de l’application de la loi pénale la plus douce, n’était pas entièrement caractérisée.
En conséquence, le président de la CRAB a été relaxé des fins des poursuites.