COMMUNIQUE DE PRESSE
Le 3 mai 2024
ARRÊT N° S-2024-0696 « CHAMBRE RÉGIONALE
D’AGRICULTURE DE BRETAGNE / ASSOCIATION
POUR LA TRAÇABILITÉ ET LE DÉVELOPPEMENT
D’OUTILS POUR L’IDENTIFICATION ET DE
LOGICIELS D’ÉLEVAGE (E-TOILE) »
Le Procureur général avait renvoyé devant la Cour des comptes, dans le cadre d’affaires initiées devant
la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), le président de la chambre régionale d’agriculture
de Bretagne (CRAB) et le président de l’association E-TOILE pour avoir méconnu la réglementation de
la commande publique et avoir ainsi procuré un avantage injustifié aux prestataires de ces deux
organismes. Cinq agents mis à disposition de l’association étaient également renvoyés pour avoir signé
des contrats sans y avoir été habilités.
La défense a tout d’abord soulevé divers moyens portant sur la régularité de la procédure.
Le premier de ces moyens se rapportait aux conditions dans lesquelles des affaires initiées devant la
Cour de discipline budgétaire et financière, mais non encore jugées par celle-ci, pouvaient être
transmises à la Cour des comptes après l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 mars 2022 relative
à la responsabilité financière des gestionnaires publics.
La défense a fait valoir que le volet relatif à
l’association E-TOILE n’avait pas fait l’objet d’un réquisitoire
introductif
devant la CDBF qui seul aurait
permis, aux termes de l’article 30 de l’ordonnance du 23 mars 2022, la transmission de l’affaire à la
chambre du contentieux. Le Parquet général n’ayant pris en l’espèce qu’un réquisitoire
supplétif
destiné à joindre les faits correspondants à l’instance ouverte à l’encontre de la chambre régionale
d’agriculture de Bretagne, la défense soutenait que la chambre du contentieux n’avait pas été
valablement saisie du volet relatif à l’association E-TOILE. Faisant droit à ce moyen, la chambre du
contentieux a jugé irrecevables les réquisitions à l’encontre du président et des agents de l’association.
La défense a par ailleurs fait valoir qu’en l’absence de notification de son droit de se taire, l’ensemble
de la procédure poursuivie, notamment à l’encontre du président de la CRAB était entaché d’une
méconnaissance de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) et d’une
violation de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales.
La chambre du contentieux a toutefois rejeté ce moyen en relevant d’abord qu’à la date de la
convocation du président de la CRAB, aucune jurisprudence établie du Conseil constitutionnel n’avait
déduit de l’article 9 de la DDHC une obligation de notification du droit de se taire aux personnes
entendues dans le cadre de procédures autres que pénales. En l’absence de disposition législative du
code des juridictions financière fixant les conditions dans lesquelles les personnes mises en cause sont
entendues par le magistrat chargé de l’instruction, l’objectif de bonne administration de la justice
faisait obstacle à ce que les auditions réalisées dans le cadre de l’affaire sans que le président de la
CRAB se soit vu notifier son droit de se taire, soient annulées pour ce motif.
La chambre du contentieux a néanmoins examiné si la procédure dans son ensemble s’était déroulée
dans des conditions garantissant qu’il ne soit pas porté atteinte aux droits de la défense et si elle
pouvait, par suite, être considérée comme équitable. En l’espèce, tant l’ordonnance de renvoi du
Procureur général, que l’ordonnance de règlement déposée par le magistrat chargé de l’instruction,
reposaient principalement sur des pièces dont la communication était rendue obligatoire sur le
fondement de l’article L. 141-5 du code des juridictions financières, à laquelle une personne mise en
cause ne pouvait se soustraire sous peine de commettre un délit d’obstacle. Par ailleurs, si les propos
tenus lors des auditions n’avaient pas été précédés d’une notification du droit de se taire, il ressortait
de l’analyse des procès-verbaux d’audition que les personnes entendues n’avaient pas été conduites
à s’incriminer.
Le moyen tiré de la méconnaissance des droits de la défense a en conséquence été écarté.
La défense ayant également mis en cause la partialité objective du magistrat chargé de l’instruction et
excipé de la durée anormalement longue de la procédure, ces deux moyens ont également été écartés.
Sur le fond de l’affaire, la décision de renvoi reprochait au président de la CRAB d’avoir octroyé un
avantage injustifié à autrui en concluant un contrat, en méconnaissance des règles de procédure et de
mise en concurrence. Sous l’empire de la loi applicable à l’époque des faits, la caractérisation de
l’infraction nécessitait d’établir que la CRAB avait subi un préjudice financier. Si les dispositions
actuellement en vigueur ne retiennent plus l’existence d’un préjudice au nombre des éléments
constitutifs de l’infraction, un préjudice devait cependant être établi au regard des principes régissant
l’application de la loi répressive dans le temps. Par application des mêmes principes, l’infraction
d’octroi d’un avantage injustifié à autrui ne pouvait être retenue à l’encontre du directeur de la CRAB
que s’il avait agi par intérêt personnel direct ou indirect, selon la définition de l’infraction actuellement
en vigueur.
La chambre du contentieux a considéré qu’en méconnaissant les règles de la commande publique
applicable en l’espèce, le président de la CRAB avait méconnu ses obligations ; que l’attribution d’un
marché public par un pouvoir adjudicateur, à une entité juridique distincte, et en méconnaissance des
règles de publicité et d’égal accès à la commande publique, suffisait à établir tant l’existence de
l’avantage ainsi octroyé que son caractère injustifié ; et que l’intérêt indirect, au sens de l’article L. 131-
12 du code des juridictions financières actuellement en vigueur, avait été établi par l’instruction.
Toutefois, à l’encontre de la position du Parquet général, la chambre du contentieux a considéré que
la seule méconnaissance des règles précitées ne suffisait pas à démontrer l’existence d’une perte de
chance sérieuse d’obtenir des offres mieux-disantes et donc celle d’un préjudice irréfutable. Dès lors,
en l’absence d’éléments établissant que la CRAB avait subi un préjudice causé par l’avantage injustifié
octroyé, l’infraction, telle qu’elle résulte de l’application de la loi pénale la plus douce, n’était pas
entièrement caractérisée.
En conséquence, le président de la CRAB a été relaxé des fins des poursuites.
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