Sort by *
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
CHAMBRE DU CONTENTIEUX
-------
Première section
-------
Arrêt n° S-2024-0696
Audience publique du 28 mars 2024
Prononcé du 3 mai 2024
CHAMBRE RÉGIONALE D’AGRICULTURE
DE BRETAGNE
(CRAB)
ASSOCIATION POUR LA TRAÇABILITÉ
ET LE DÉVELOPPEMENT D’OUTILS
POUR L’IDENTIFICATION
ET DE LOGICIELS D’ÉLEVAGE
(« E-TOILE »)
Affaires n° 856 et n° 870
République française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’hommes et des libertés
fondamentales du 4 novembre 1950, dite Convention européenne des droits de l’homme
(CEDH) ;
Vu le code de la commande publique ;
Vu le code des juridictions financières (CJF) ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code rural et de la pêche maritime ;
Vu l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ;
Vu le II de l’article 30 de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime
de responsabilité financière des gestionnaires publics ;
Vu les II et III de l’article 11 du décret n° 2022-1604 du 22 décembre 2022 relatif à la chambre
du contentieux de la Cour des comptes et à la Cour d’appel financière et modifiant le code
des juridictions financières ;
Vu les déférés communiqués, sur la base de l’article L. 314-1 du CJF alors applicable,
par la deuxième chambre de la Cour des comptes le 10 février 2020 et le 24 septembre 2021,
enregistrés les jours mêmes au ministère public près la Cour des comptes, ministère public
près la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), portant sur des faits susceptibles
de constituer des infractions sanctionnées par cette juridiction ;
Arrêt n° S-2024-0696
2
/
14
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Vu le réquisitoire introductif du 26 mai 2020, par lequel le ministère public près la CDBF a saisi
la juridiction de l’affaire n° 856, la demande d’instruction complémentaire du 20 juillet 2022,
le réquisitoire supplétif du 22 juillet 2022 par lequel le ministère public a joint les affaires n° 856
et n° 870 et le réquisitoire supplétif du 27 janvier 2023, par lequel le ministère public près
la Cour des comptes en a saisi la juridiction, sur le fondement des dispositions des articles
L. 142-1-1 et L. 142-1-3 du CJF en vigueur à compter du 1
er
janvier 2023 ;
Vu la décision du 25 juin 2020 par laquelle le premier président de la Cour des comptes,
président de la Cour de discipline budgétaire et financière, a désigné M. Nicolas-Raphaël
FOUQUE, premier conseiller de chambre régionale des comptes, magistrat chargé
de l’instruction de l’affaire, puis la décision du 3 février 2023 par laquelle le président
de la chambre du contentieux a désigné M. Nicolas-Raphaël FOUQUE, premier conseiller
de chambre régionale des comptes, magistrat chargé de l’instruction des affaires n° 856
et n° 870 ;
Vu les ordonnances de mise en cause des 22 septembre 2020 et 22 février 2023
de
M. X,
notifiées
à
l’intéressé,
avec
les
réquisitoires
susvisés,
et
aussi
notifiée au ministère public le 23 février 2023 ;
Vu
les
ordonnances
de
mise
en
cause
du
20 mars 2023
de
MM. Y,
Z,
A,
B
notifiées
aux
intéressés,
avec les réquisitoires susvisés, et aussi notifiées au ministère public le même jour ;
Vu
les
ordonnances
de
mise
en
cause
du
26 juin 2023
de
MM. C,
A,
B
et
de
Mme D
notifiées
aux
intéressés,
avec les réquisitoires susvisés, et aussi notifiées au ministère public le même jour ;
Vu le rapport d’instruction du 29 juin 2021 notifié aux personnes mises en cause
le 30 juin 2021 et aussi notifié au ministère public le 5 juillet 2021 ;
Vu l’ordonnance de règlement du 25 septembre 2023 notifiée aux personnes mises en cause
le 26 septembre 2023 et aussi notifiée au ministère public le même jour ;
Vu la communication le 26 septembre 2023 du dossier de la procédure au ministère public
près la Cour des comptes ;
Vu la décision du 22 décembre 2023 du procureur général près la Cour des comptes
renvoyant
MM. X,
Y,
Z,
A,
B,
C
et Mme D devant ladite Cour ;
Vu la convocation des personnes renvoyées à l’audience publique du 28 mars 2024,
notifiée aux personnes intéressées les 31 janvier, 1
er
et 5 février 2024 ;
Vu les mémoires produits le 22 février 2024 par Me Didier GIRARD dans l’intérêt
de
MM. X,
Y,
Z,
A,
B,
C
et de Mme D, communiqués aux autres parties le 27 février 2024 ;
Vu la demande de dispense d’audience de Mme D et la lettre de réponse du président
de la chambre du contentieux du 1
er
mars 2024 la dispensant de se présenter en personne
à l’audience du 28 mars 2024 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Entendu lors de l’audience publique du 28 mars 2024, M. Nicolas GROPER, avocat général,
en la présentation de la décision de renvoi, et M. Pierre VAN HERZELE, avocat général,
en ses réquisitions ;
Arrêt n° S-2024-0696
3
/
14
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Entendus MM. Z et X, assistés de Me GIRARD, ainsi que Me GIRARD, représentant
MM. X,
Y,
Z,
A,
B,
C
et Mme D, la défense ayant eu la parole en dernier ;
Entendu en délibéré Mme Marion BARBASTE, première conseillère de chambre régionale
des comptes, réviseure, en ses observations.
Sur la compétence de la Cour des comptes
1. Aux termes du I de l’article L. 312-1 du code des juridictions financières, alors applicable,
«
I.- Est justiciable de la Cour : / a) Toute personne appartenant au cabinet d’un membre
du Gouvernement ; / b) Tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l’Etat, des collectivités
territoriales, de leurs établissements publics ainsi que des groupements des collectivités
territoriales ; / c) Tout représentant, administrateur ou agent des autres organismes qui sont
soumis soit au contrôle de la Cour des comptes, soit au contrôle d’une chambre régionale
des comptes ou d’une chambre territoriale des comptes
».
2. Aux termes de l’article L. 131-1 du même code, en vigueur à compter du 1
er
janvier 2023,
«
Est justiciable de la Cour des comptes au titre des infractions mentionnées à la section 2
du présent chapitre : / […] 2° Tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l’Etat,
des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ainsi que des groupements
des collectivités territoriales ; / 3° Tout représentant, administrateur ou agent des autres
organismes qui sont soumis soit au contrôle de la Cour des comptes, soit au contrôle
d’une chambre régionale des comptes ou d’une chambre territoriale des comptes
».
En ce qui concerne la chambre régionale d’agriculture de Bretagne :
3. D’une part, aux termes de l’article L. 510-1 du code rural et de la pêche maritime,
dans sa version applicable au moment des faits : «
Le réseau des chambres d’agriculture
se compose des chambres départementales d’agriculture, des chambres régionales
d’agriculture
et
de
l’Assemblée
permanente
des
chambres
d’agriculture.
/
(…)
Ces établissements sont des établissements publics placés sous la tutelle de l’Etat
et administrés par des élus représentant l’activité agricole, les groupements professionnels
agricoles et les propriétaires forestiers
».
4. D’autre part, aux termes de l’article L. 111-3 du code des juridictions financières,
dans sa version applicable au moment des faits relevés dans les réquisitoires susvisés,
«
La Cour des comptes contrôle les services de l’Etat et les autres personnes morales de droit
public, sous réserve de la compétence attribuée aux chambres régionales et territoriales
des comptes
(…) ».
5. Il résulte des dispositions précitées du code des juridictions financières et du code rural
et de la pêche que M. X, président jusqu’au 4 mars 2019 de la chambre régionale
d’agriculture de Bretagne, organisme soumis au contrôle de la Cour des comptes,
était justiciable de la CDBF et demeure justiciable de la Cour.
Arrêt n° S-2024-0696
4
/
14
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
En ce qui concerne l’association E-Toile :
6. D’une part, aux termes de l’article L. 133-5 du code des juridictions financières, «
La Cour
des comptes peut contrôler, sous réserve de la compétence attribuée aux chambres
régionales et territoriales des comptes : / a) Les sociétés, groupements, services
ou organismes, quel que soit leur statut juridique, dans lesquels les organismes relevant
de sa compétence : / – détiennent, séparément ou ensemble, plus de la moitié du capital
ou des voix dans les organes délibérants ; / – ou exercent, directement ou indirectement,
un pouvoir prépondérant de décision ou de gestion ; / b) Les filiales des organismes visés
au a, lorsque ces organismes détiennent dans lesdites filiales, séparément, ensemble
ou conjointement avec des organismes déjà soumis au contrôle de la Cour des comptes,
plus de la moitié du capital ou des voix dans les organes délibérants ou exercent, directement
ou indirectement, un pouvoir prépondérant de décision ou de gestion
».
7. Il ressort de l’article 6 des statuts de l’association E-Toile que celle-ci comprend
des membres fondateurs dont la liste figure à l’annexe 1 des statuts. Dix de ces 11 membres
sont des chambres régionales et départementales d’agriculture, soumises au contrôle
de la Cour des comptes, comme exposé aux points 3 à 5 du présent arrêt.
8. D’autre part, le onzième membre de l’association E-Toile est l’association Alliance Elevage
Loir et Loire, qui possède le statut d’organisme inter-établissements du réseau des chambres
d’agriculture régi par les articles L. 514-2 et D. 514-1 et suivants du code rural et de la pêche
maritime.
9. Enfin, l’annexe 2 des statuts de l’association E-Toile prévoit que les organismes publics
détiennent l’intégralité des voix au conseil d’administration.
10. Il
ressort
de
l’instruction
que
MM. Z et Y
ont
été
présidents
de l’association E-Toile respectivement jusqu’au 19 décembre 2018 et à compter du mois
de
juin
2019,
que
MM. B,
A,
C
et
Mme D
ont
été
agents
mis à disposition de l’association E-Toile.
11. Il
résulte
des
dispositions
précitées
du
code
des
juridictions
financières
que
MM. Z et Y,
B,
A,
C
et
Mme D
étaient justiciables de la CDBF et demeurent justiciables de la Cour des comptes.
Sur la transmission de l’affaire n°870 de la Cour de discipline budgétaire et financière
à la Cour des comptes
12. À la suite d’un déféré du 10 février 2020 relatif à la chambre d’agriculture de Bretagne
(CRAB), la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) a été saisie, par le réquisitoire
introductif du 26 mai 2020 susvisé, de faits relatifs à la chambre régionale d’agriculture
de
Bretagne
(CRAB)
susceptibles
de
constituer
des
infractions
sanctionnées
par cette juridiction (affaire n° 856). Ce réquisitoire visait la participation de la CRAB
au projet de modernisation du système informatique inter-régional, nommé E-Toile,
mis en œuvre par l’association du même nom, et deux conventions conclues entre le président
de la CRAB et l’association, sans que ce premier n’en ait eu le pouvoir, et en méconnaissance
des règles de la commande publique. Le magistrat chargé de l’instruction a déposé son rapport
d’instruction le 29 juin 2021.
13. À la suite d’un second déféré décidé consécutivement à un contrôle de l’association
E-Toile par la Cour des comptes et enregistré sous le n° 870 le 24 septembre 2021,
le ministère public près la CDBF a demandé un complément d’information sur l’affaire n° 856
en application de l’article L. 314-6 du CJF, alors applicable. Par un réquisitoire supplétif
du 22 juillet 2022, le ministère public a joint les affaires n° 856 et n° 870, considérant
qu’elles portaient sur un ensemble de prestations commun, à savoir le projet informatique
E-Toile, et relevant notamment que l’association E-Toile conduit ce projet informatique
pour le compte de ses membres, dont la CRAB fait partie, et réalise des achats de prestations
Arrêt n° S-2024-0696
5
/
14
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
en méconnaissance des règles de l’achat public. Enfin, par un second réquisitoire supplétif
du 27 janvier 2023, le procureur général a transféré l’ensemble de ces affaires à la chambre
du contentieux de la Cour des comptes.
14. Par
sept
mémoires
en
défense,
MM. Y,
B,
A,
Z,
X
et
C
et
Mme D
font
valoir
que
la
transmission
de
l’affaire
n° 870
à la Cour des comptes est irrégulière en l’absence de réquisitoire introductif dans ladite affaire
et, alors que les articles L. 142-3 du CJF comme L. 314-2 du même code (dans sa version
applicable aux faits), distinguent formellement ces deux actes, non équivalents et non
interchangeables. Ils soutiennent que cette instance ne repose que sur une saisine de la CDBF
initiée par le réquisitoire supplétif du 22 juillet 2022, et qu’elle ne pouvait, dès lors,
en application des dispositions de l’article 30 de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée,
être transférée à la chambre du contentieux de la Cour des comptes.
15. Aux
termes
de
l’article
30
de
l’ordonnance
du
23 mars 2022
susvisée,
« (…)
II. - Les affaires ayant fait l’objet d’un réquisitoire introductif devant la Cour de discipline
budgétaire et financière à la date d’entrée en vigueur de la présente ordonnance sont,
à cette date, transmises à la Cour des comptes
». Aux termes de l’article 11 du décret
du 22 décembre 2022 susvisé, «
II. - Les actes de procédure pris avant le 1
er
janvier 2023
pour les affaires transmises à la Cour des comptes en application de l’article 30
de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée demeurent valables devant celle-ci. Leur régularité
ne peut être contestée au seul motif de l’entrée en vigueur des dispositions
de cette ordonnance et du présent décret. […] III. – Les déférés transmis au procureur général
près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière,
avant le 1
er
janvier 2023 et sur lesquels il ne s’est pas encore prononcé à cette date demeurent
valables. Le ministère public près la Cour des comptes dispose d’un délai de deux mois
à compter du 1
er
janvier 2023 pour décider des suites à leur donner, en application de l’article
R. 142-1-1 du code des juridictions financières
».
16. La procureure générale près la Cour des comptes relevait dans le réquisitoire supplétif
du 22 juillet 2022 que les faits déférés le 24 septembre 2021 laissaient présumer l’existence
d’irrégularités relatives à la gestion de l’association E-Toile, susceptibles de constituer
des infractions au sens des articles L. 313-4, L. 313-6 et L. 313-3 du code des juridictions
financières, dans sa version alors applicable. Ces faits, qui constituent l’affaire n° 870, révélés
par un déféré postérieur au réquisitoire introductif de l’affaire n° 856, n’étaient logiquement pas
visés par celui-ci. Malgré la connexité des faits relatifs à la chambre régionale d’agriculture
de Bretagne et à l’association E-Toile, il ressort des termes même du réquisitoire supplétif
du 22 juillet 2022 qu’ils relèvent de deux affaires distinctes, conduisant d’ailleurs le ministère
public à les joindre. Dès lors, l’affaire n° 870 n’ayant fait l’objet d’aucun réquisitoire introductif
avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance, les faits relatifs à la régularité des achats effectués
pour le compte de l’association E-Toile et à la signature de contrats par des personnes
non habilitées engageant des dépenses pour cette même association ne pouvaient être
régulièrement transmis à la Cour des comptes en application des dispositions de l’article 30
de l’ordonnance du 23 mars 2022 précitées, la jonction des deux affaires et l’instruction
commune qui a été menée étant sans incidence sur ce constat. Le réquisitoire
du 27 janvier 2023 fait référence à la chronologie des actes de procédure ci-dessus exposée.
Bien qu’il ait pour objet la transmission d’une unique affaire numérotée 856/870, il découle
de l’absence de réquisitoire introductif pour l’affaire n° 870, qu’il n’a pu valablement
transmettre les faits compris dans le déféré du 24 septembre 2021. Le réquisitoire
du 27 janvier 2023 ne peut davantage être entendu comme introduisant les faits
correspondants, sur lesquels le ministère public s’était déjà prononcé dans son réquisitoire
du 22 juillet 2022. Par suite, la Cour des comptes n’a pas été régulièrement saisie des faits
relatifs à la régularité des achats effectués pour le compte de l’association E-Toile
et à la signature de contrats par des personnes non habilitées engageant des dépenses
pour cette même association.
Arrêt n° S-2024-0696
6
/
14
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
17. Il résulte de ce qui précède que les réquisitions présentées dans le cadre de l’affaire n° 870
doivent être regardées comme irrecevables.
18. Il
n’y
a
donc
pas
lieu
d’engager
la
responsabilité
de
MM.
Y,
B,
A,
Z,
C
et
Mme D,
renvoyés
devant
la
chambre
du contentieux pour les faits visés par le réquisitoire supplétif du 22 juillet 2022 relatif à l’affaire
n° 870.
Sur la prescription
19. L’article L. 314-2 du CJF, applicable aux dates des déférés susvisés, disposait que
«
La Cour
[de discipline budgétaire et financière]
ne peut être saisie par le ministère public
après l’expiration d’un délai de cinq années révolues à compter du jour où a été commis le fait
de nature à donner lieu à l’application des sanctions prévues par le présent titre. /
L’enregistrement du déféré au ministère public, le réquisitoire introductif ou supplétif, la mise
en cause telle que prévue à l’article L. 314-5, le procès-verbal d’audition des personnes mises
en cause ou des témoins, le dépôt du rapport du rapporteur, la décision de poursuivre
et la décision de renvoi interrompent la prescription prévue à l’alinéa précédent
».
20. Aux termes de l’article L. 142-1-3 du CJF, dans sa version en vigueur depuis
le 1
er
janvier 2023, «
La Cour des comptes ne peut être saisie par le ministère public après
l’expiration d’un délai de cinq années révolues à compter du jour où a été commis le fait
susceptible de constituer une infraction au sens de la section 2 du chapitre Ier du titre III
du présent livre »
.
21. Le déféré de la présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes
du 10 février 2020, portant sur des faits relatifs à la chambre d’agriculture de Bretagne,
a été enregistré le même jour au parquet général près la Cour des comptes, ministère public
près la CDBF.
22. Il en résulte que ne peuvent être valablement poursuivis et sanctionnés que les faits
commis moins de cinq ans avant la date à laquelle a été enregistrée au parquet général
la communication susvisée de la présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes,
soit les faits commis depuis le 10 février 2015.
Sur le respect du droit de se taire
23. D’une part, aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
(DDHC) de 1789, «
Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré
coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire
pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi
». Il en résulte
le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire.
Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions
répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition.
24. D’autre part, aux termes de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales, «
Toute personne a droit à ce que
sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable
par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations
sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation
en matière pénale dirigée contre elle.
(...) ».
Arrêt n° S-2024-0696
7
/
14
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
25. Enfin, aux termes de l’article L. 141-5 du code des juridictions financières, «
La Cour
des comptes est habilitée à accéder à tous documents, données et traitements, de quelque
nature que ce soit, relatifs à la gestion des services et organismes soumis à son contrôle
ou nécessaires à l’exercice de ses attributions, et à se les faire communiquer sans qu’un secret
protégé par la loi puisse lui être opposé. Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions
d’accès aux documents, aux données et aux traitements couverts par un secret protégé par
la loi. / Le fait de faire obstacle, de quelque façon que ce soit, à l’exercice des pouvoirs
attribués aux membres et personnels de la Cour des comptes mentionnés aux sections 1 à 5
du chapitre II du titre Ier du présent livre par le présent code est puni de 15 000 euros
d’amende. Le procureur général près la Cour des comptes peut saisir le parquet près
la juridiction compétente en vue de déclencher l’action publique
».
26. M. X fait valoir qu’en l’absence de notification de son droit de se taire, l’ensemble
de la procédure est entaché d’une méconnaissance de l’article 9 de la DDHC et d’une violation
de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales. Il précise que l’ordonnance de règlement du magistrat chargé de l’instruction,
transmise au juge répressif, fait état des informations recueillies dans le cadre
de cette procédure, portant ainsi une atteinte à sa faculté de se défendre et lui faisant grief.
27. Lorsqu’elle est saisie de faits pouvant donner lieu aux sanctions prévues par le code
des juridictions financières, la chambre du contentieux de la Cour des comptes
est une juridiction répressive, au sens de l’article 9 de la DDHC, décidant du bien-fondé
d’accusations en matière pénale au sens des stipulations de l’article 6 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par suite,
le principe des droits de la défense, dont fait partie le droit de se taire, rappelé par l’article 6
de cette convention, implique que les personnes mises en cause dans le cadre d’une saisine
de la chambre du contentieux de la Cour des comptes ne puissent être entendues
sur les manquements qui leur sont reprochés sans qu’elles soient préalablement informées
du droit qu’elles ont de se taire.
28. En premier lieu, il est constant que M. X ne s’est pas vu notifier son droit
de se taire, et qu’aucun acte, au cours de l’instruction, n’a permis de remédier à ce vice.
29. Toutefois, comme l’a fait valoir le parquet général au cours de l’audience, l’ensemble
de la procédure n’encourt pas pour autant la censure dès lors qu’à la date de la convocation
de M. X et de la tenue de ses auditions, aucune jurisprudence établie du Conseil
constitutionnel n’avait déduit de l’article 9 de la DDHC une obligation de notification du droit
de se taire aux personnes entendues dans le cadre de procédures autres que pénales.
Ainsi, aucune disposition législative du code des juridictions financière ne fixant les conditions
dans lesquelles les personnes mises en cause sont entendues par le magistrat chargé
de l’instruction, l’objectif de bonne administration de la justice fait obstacle à ce que
les auditions réalisées dans le cadre de l’affaire n° 856, sans que M. X se soit vu
notifier son droit de se taire, soient annulées pour ce motif.
30. En second lieu, il appartient néanmoins à la chambre du contentieux de déterminer
si la procédure dans son ensemble s’est déroulée dans des conditions garantissant qu’il ne
soit pas porté atteinte aux droits de la défense et si elle peut, par suite, être considérée comme
équitable.
31. En l’espèce, tant l’ordonnance de renvoi du procureur général, que l’ordonnance
de règlement déposée par le magistrat chargé de l’instruction, reposent principalement
sur des pièces dont la communication était rendue obligatoire par l’application de l’article
L. 141-5 du code des juridictions financières, à laquelle M. X ne pouvait se soustraire
sous peine de commettre un délit d’obstacle. Par ailleurs, si les propos tenus lors des auditions
n’ont pas été précédés d’une notification du droit de se taire, il ressort de l’analyse des procès-
verbaux d’audition que M. X n’a pas été conduit à s’incriminer.
Arrêt n° S-2024-0696
8
/
14
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
32. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance des droits
de la défense doit être écarté.
Sur la partialité objective du magistrat en charge de l’instruction
33. M. X fait valoir que le magistrat chargé de l’instruction, M. FOUQUE, se trouverait
en situation de partialité objective, à raison de l’exercice, par celui-ci, de deux missions
successives d’instruction, conduisant, tout d’abord, au dépôt d’un rapport d’instruction
le 29 juin 2021, puis d’une ordonnance de règlement le 25 septembre 2023.
34. Le principe d’impartialité repose notamment sur la séparation des fonctions d’instruction
et de jugement. Il n’interdit en rien qu’un même magistrat soit chargé de phases d’instructions
successives ou relatives à des faits connexes.
35. Aux termes des dispositions de l’article L. 142-1-10 du code des juridictions financières,
«
Ne peuvent instruire, être membres de la formation de jugement ou assister au délibéré
les personnes qui, dans l’affaire soumise à la Cour des comptes, ont soit fait un acte
de poursuite ou d’instruction, soit participé au délibéré de la Cour des comptes
ou de la chambre régionale ou territoriale des comptes à l’origine du déféré. / Les fonctions
d’instruction et de jugement d’une affaire ayant donné lieu à l’engagement de poursuites
en application de l’article
L. 142-1-2
sont incompatibles. Les magistrats participant
à l’instruction et au jugement d’une même affaire ne peuvent appartenir à la même section
de la chambre du contentieux. / La récusation d’un membre de la formation de jugement
ou d’un magistrat participant à l’instruction est prononcée, à la demande d’une partie, s’il existe
une raison sérieuse de mettre en doute son impartialité
».
36. Ces dispositions prévoient une incompatibilité des fonctions d’instruction et de jugement
au sein de la chambre du contentieux. Celle-ci garantit, dès lors, le respect du principe
d’impartialité objective de ses formations de jugement, qui découle de l’article 6 §1
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales. En outre, si M. FOUQUE a déposé un rapport d’instruction puis
une ordonnance de règlement constituant un complément d’instruction dans la présente
affaire, ceux-ci, bien que partagés avec les parties, ne peuvent s’apparenter à une prise
de position publique. Surtout, il n’a pas été conduit, en application des dispositions précitées,
à cumuler les fonctions de juge d’instruction et de juge du fond. Par suite, M. X n’est
pas fondé à soutenir que M. FOUQUE se trouverait dans une situation de partialité objective.
Sur la durée anormalement longue de la procédure
37. M. X soutient que la durée de l’instruction a été anormalement longue, à savoir
presque six années entre la notification d’ouverture de contrôle des comptes de la chambre
régionale
d’agriculture
de
Bretagne
le
4 mai 2018
et
la
décision
de
renvoi
du 22 décembre 2023, et que tant une violation des stipulations de l’article 6 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
qu’une méconnaissance des dispositions du nouvel article R. 142-2-11 du code
des juridictions financières, sont établies. Il fait valoir que cette durée anormalement longue
porte une atteinte irrémédiable à ses droits en l’absence dans le code des juridictions
financières, d’une part, des autres garanties offertes devant le juge pénal, d’autre part,
d’une obligation de justifier périodiquement d’un délai possiblement anormal, enfin, de recours
effectifs prévus par ce même code pour permettre aux justiciables, soit de faire intervenir plus
tôt la décision de la juridiction, soit de fournir aux justiciables une réparation adéquate
pour les retards.
38. Aux termes de l’article R. 142-2-11, applicable à compter du 1
er
janvier 2023, «
La durée
de l’instruction ne peut excéder un délai raisonnable au regard de la gravité des faits reprochés
à la personne mise en cause, de la complexité des investigations nécessaires
à la manifestation de la vérité et de l’exercice des droits de la défense
».
Arrêt n° S-2024-0696
9
/
14
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
39. Il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions
administratives que les justiciables ont droit à ce que les requêtes soient jugées dans un délai
raisonnable. Si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité
de la décision juridictionnelle prise à l’issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins
pouvoir en faire assurer le respect. Il en résulte que, lorsque leur droit à un délai raisonnable
de jugement a été méconnu, ils peuvent obtenir la réparation de l’ensemble des préjudices
tant matériels que moraux, directs et certains, causés par ce fonctionnement défectueux
du service de la justice et se rapportant à la période excédant le délai raisonnable. Le caractère
raisonnable du délai doit, pour une affaire, s’apprécier de manière globale - compte tenu
notamment de l’exercice des voies de recours - et concrète en prenant en compte
sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure, de même que le comportement
des parties tout au long de celle-ci, et aussi, dans la mesure où le juge a connaissance de tels
éléments, l’intérêt qu’il peut y avoir pour l’une ou l’autre, compte tenu de sa situation
particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même,
à ce qu’il soit tranché rapidement. Lorsque la durée globale de jugement n’a pas dépassé
le délai raisonnable, la responsabilité de l’État est néanmoins susceptible d’être engagée
si la durée de l’une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive.
40. Le point de départ de la computation du délai raisonnable, protégé tant par les principes
généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives, dont fait partie
la chambre du contentieux de la Cour des comptes, que par l’article 6 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et l’article
R. 142-2-11, applicable du reste aux seuls actes de procédure pris à compter
du 1
er
janvier 2023, est le jour de la notification de la mise en cause devant la juridiction.
Les actes pris avant la saisine de la juridiction compétente, à savoir la Cour de discipline
budgétaire et financière puis la chambre du contentieux, qui ne constituent pas une phase
administrative préalable obligatoire, n’ont pas à être intégrés dans ce délai. Dès lors,
la procédure contentieuse durant laquelle M. X a été mis en cause puis renvoyé devant
la chambre du contentieux, s’est déroulée de la notification de son ordonnance de mise
en cause, le 22 septembre 2020, à la décision de renvoi du 22 décembre 2023, soit deux ans
et trois mois. Cette durée, dans les circonstances de l’espèce, n’apparaît pas excessive.
En tout état de cause, le caractère excessivement long d’une procédure devant la chambre
du contentieux, à le supposer établi, n’aurait aucune incidence sur la validité de la décision
juridictionnelle prise à l’issue de la procédure.
41. Par suite, le moyen tiré du délai anormalement long de la procédure d’instruction visant
M. X doit être écarté.
Sur les achats réalisés par la chambre régionale d’agriculture de Bretagne dans le cadre
du projet informatique E-Toile
Sur les faits
42. Le projet informatique E-Toile a pour finalité le développement de logiciels et d’applicatifs
intégrés, utilisables par tous les professionnels de la filière « élevage » intéressés. Il comprend
de multiples modules principalement destinés aux utilisateurs des matériels d’immatriculation
des animaux, ainsi que des données génétiques et sanitaires qui leur sont associées,
des modules d’échange, de facturation des prestations, un infocentre de valorisation
et diverses applications ou portails d’information et de services. L’association E-Toile conduit
ce projet informatique pour le compte de ses membres.
43. M. X a conclu, en février et mars 2016, trois lots du marché « Infocentre »
pour le compte de la chambre régionale d’agriculture de Bretagne, pour un montant total
exécuté de à 273 703,19 € HT.
Arrêt n° S-2024-0696
10
/
14
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Sur le droit applicable
44. Les faits sont poursuivis sous la prévention d’avantages injustifiés accordés à autrui.
45. En vertu de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789,
«
La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut
être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement
appliquée
». Il découle de ce principe la règle selon laquelle la loi répressive nouvelle ne peut
s’appliquer à des faits antérieurs à son entrée en vigueur et doit, lorsqu’elle abroge
une incrimination ou prévoit des peines moins sévères que la loi ancienne, s’appliquer
aux auteurs d’infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu
à des décisions devenues irrévocables.
46. Aux termes de l’article L. 313-6 du code des juridictions financières, en vigueur à l’époque
des faits, «
Toute personne visée à l’article L. 312-1 qui, dans l’exercice de ses fonctions
ou attributions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un avantage
injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité
ou l’organisme intéressé, ou aura tenté de procurer un tel avantage sera passible
d’une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 300 euros et dont le maximum pourra
atteindre le double du montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date
de l’infraction
».
47. L’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée a remplacé cet article par
le nouvel article L131-12 du code précité et a redéfini les éléments constitutifs de l’infraction.
48. Aux termes de l’article L. 131-12 du code des juridictions financières entré en vigueur
le 1
er
janvier 2023, «
Tout justiciable au sens des articles L. 131-1 et L. 131-4 qui,
dans l’exercice de ses fonctions ou attributions, en méconnaissance de ses obligations
et par intérêt personnel direct ou indirect, procure à une personne morale, à autrui,
ou à lui-même, un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, est passible des sanctions
prévues à la section 3
».
49. L’infraction, pour être constituée, doit dès lors en l’espèce combiner les éléments
constitutifs suivants : l’octroi par une personne justiciable de la Cour d’un avantage injustifié
à autrui, pécuniaire ou en nature, causant un préjudice et guidé par un intérêt personnel direct
ou indirect.
Sur la qualification juridique des achats effectués par la chambre régionale d’agriculture
de Bretagne :
En ce qui concerne la qualité de pouvoir adjudicateur de la CRAB
50. Aux termes de l’article 2 du code des marchés publics dans sa version en vigueur jusqu’au
1
er
avril 2016, les pouvoirs adjudicateurs soumis au présent code sont : «
1° L’État
et ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial
».
Cette définition n’a pas été remise en cause par l’article 10 du code des marchés publics dans
sa version en vigueur du 1
er
avril 2016 au 1
er
avril 2019. Celui-ci disposait que «
les pouvoirs
adjudicateurs sont : 1° Les personnes morales de droit public
». Cette disposition a été codifiée
en des termes identiques par l’article L. 1211-1 du code de la commande publique désormais
applicable.
51. Les chambres régionales d’agriculture étant, en application de l’article L. 510-1 du code
rural et de la pêche maritime, «
des établissements publics placés sous la tutelle de l’État
et administrés par des élus représentant l’activité agricole, les groupements professionnels
agricoles et les propriétaires forestiers.
», la chambre régionale d’agriculture de Bretagne
est dès lors un pouvoir adjudicateur au sens de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015
puis de l’article L. 1211-1 du code de la commande publique.
Arrêt n° S-2024-0696
11
/
14
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
En ce qui concerne la qualité de pouvoir adjudicateur de la CRAB
52. Dans sa décision de renvoi, le procureur général près la Cour des comptes considère
que
M. X
a
octroyé
un
avantage
injustifié
à
autrui
en
concluant
un
contrat,
en méconnaissance des règles de procédure et de mise en concurrence, constitutif
d’un préjudice au détriment de la chambre régionale d’agriculture de Bretagne.
53. Il estime par ailleurs que M. X avait un intérêt personnel indirect, à conclure lesdits
contrats, en raison de ses liens professionnels concomitants avec l’Association régionale
de service aux organismes d’élevage (ARSOE) de Bretagne, bénéficiaire du contrat.
54. Ces faits seraient empreints d’une certaine gravité, compte tenu de la méconnaissance
répétée aux règles de passation de la commande publique, et des montants ainsi exécutés.
En ce qui concerne les moyens soulevés en défense par M. X
55. M. X
fait
valoir
que
le
contrat
du
8 février 2016
conclu
pour
un
montant
de 17 035 € HT avec l’ARSOE de Bretagne n’est nullement constitutif d’une situation de conflit
d’intérêt ou d’une méconnaissance d’une obligation de déport, la loi n°2013-907
du 11 octobre 2013 ne prévoyant pas une telle obligation pour les présidents d’établissements
publics.
56. Il soutient également que l’obligation de mentionner dans les documents de consultation
des trois lots concernés (du 8 février 2016, du 9 février 2016 et du 10 mars 2016) le montant
maximal estimé des besoins, n’était pas évidente à la date des faits en l’absence
d’une jurisprudence établie et que cette erreur de procédure n’a pas pour effet d’invalider
systématiquement le contrat subséquent. Il considère donc qu’elle ne peut constituer
un manquement d’une gravité telle qu’elle serait passible des sanctions de l’article L. 131-12
du code des juridictions financières.
57. Par ailleurs, il fait valoir que l’avantage, à le supposer établi, n’aurait pas été conféré
à autrui compte tenu des liens organiques complexes existants entre la CRAB et l’ARSOE
de Bretagne, celle-ci disposant par ailleurs de droits exclusifs sur le marché concerné.
58. M. X relève aussi une contradiction entre l’ordonnance de règlement et la décision
de renvoi sur l’appréciation de l’intérêt personnel allégué. Il précise qu’il n’était pas
administrateur de l’ARSOE Bretagne en son nom propre et qu’aucun intérêt personnel n’a été
démontré par le ministère public.
59. Il fait enfin valoir qu’aucun préjudice subi certain n’a été établi par le ministère public,
auquel incombe la charge de la preuve.
En ce qui concerne la méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence
60. Fin 2015, la chambre régionale d’agriculture de Bretagne a engagé la passation
d’un marché public de
« mise à disposition et accompagnement à l’exploitation
d’un environnement de valorisation statistique
», également appelé « Infocentre », composé
de trois lots, dont le premier portait sur l’hébergement de la plateforme dans le cadre
d’une procédure
dite
« adaptée ».
À
l’issue
de
la
procédure,
M. X
a
signé,
pour le compte de la CRAB, l’acte d’engagement du lot n°1 le 8 février 2016 au bénéficie
de la société coopérative agricole (SCA) ARSOE de Bretagne. Des actes pour deux autres
lots ont été signés les 9 février 2016 et 10 mars 2016 avec deux autres sociétés.
Arrêt n° S-2024-0696
12
/
14
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
61. L’article 5 du code des marchés publics en vigueur au moment de la mise en concurrence
prévoyait que : «
I. - La nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec
précision avant tout appel à la concurrence ou toute négociation non précédée d’un appel
à la concurrence en prenant en compte des objectifs de développement durable.
Le ou les marchés ou accords-cadres conclus par le pouvoir adjudicateur ont pour objet
exclusif de répondre à ces besoins ».
Aux termes de l’article 26 du code des marchés publics
applicable du 1
er
janvier 2016 au 1
er
avril 2016 : «
I. - Les pouvoirs adjudicateurs passent leurs
marchés et accords-cadres selon les procédures formalisées suivantes
(…)
II. - Les marchés
et accords-cadres peuvent aussi être passés selon une procédure adaptée, dans
les conditions définies par l’article 28, lorsque le montant estimé du besoin est inférieur
aux seuils suivants : / 1° 135 000 € HT pour les marchés de fournitures et de services, non
mentionnés aux 2° à 4° ci-dessous, de l’Etat et de ses établissements publics
(…) ». Enfin,
suivant le I de l’article 28 de ce même code : «
I. - Lorsque leur valeur estimée est inférieure
aux seuils de procédure formalisée définis à l’article 26, les marchés de fournitures,
de services ou de travaux peuvent être passés selon une procédure adaptée, dont
les modalités sont librement fixées par le pouvoir adjudicateur en fonction de la nature
et des caractéristiques du besoin à satisfaire, du nombre ou de la localisation des opérateurs
économiques susceptibles d’y répondre ainsi que des circonstances de l’achat
».
62. Il ressort de l’instruction que le lot n°1 du marché « Infocentre » a été conclu
par M. X à l’issue d’une procédure adaptée, ce choix révélant une insuffisante
définition des besoins par le pouvoir adjudicateur. En effet, le montant total exécuté s’est élevé,
pour l’ensemble des trois lots concernés, à 273 703,19 € HT, soit bien au-delà des seuils
de procédure formalisée alors applicables. Dès lors, en signant ce marché sans procédure
formalisée, M. X a méconnu les dispositions rappelées au point précédent du présent
arrêt et les obligations qui lui incombaient.
En ce qui concerne l’octroi d’un avantage injustifié à autrui
63. En premier lieu, l’attribution d’un marché public par un pouvoir adjudicateur, à une entité
juridique distincte, et en méconnaissance des règles de publicité et d’égal accès
à la commande publique, suffit à établir tant l’existence de l’avantage ainsi octroyé,
que son caractère injustifié.
64. En second lieu, M. X n’est pas fondé à faire valoir la détention, par la SCA ARSOE
de Bretagne, titulaire du lot n°1, d’une habilitation pour échanger des données avec le système
national d’information génétique délivrée par France Génétique Elevage. En effet,
cette habilitation ne constituant pas un droit exclusif, elle lui permettait seulement de présenter
sa candidature pour répondre à un marché impliquant un flux de données avec le système
national d’information génétique. Par ailleurs, cette habilitation ne limitait en rien la possibilité
que d’autres prestataires informatiques puissent proposer une solution technique relative au
lot concerné.
Par suite, l’existence d’un avantage injustifié octroyé à autrui ne peut être
discutée à ce titre.
En ce qui concerne l’existence d’un intérêt personnel
65. M. X fait valoir qu’il n’était administrateur de la SCA ARSOE de Bretagne à la date
de conclusion du lot n°1 précité qu’en tant que représentant d’une personne morale, la CRAB,
et non en tant que personne physique et que, par suite, il n’avait aucun intérêt personnel
à attribuer ce lot à la SCA ARSOE de Bretagne.
Arrêt n° S-2024-0696
13
/
14
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
66. Il ressort toutefois de l’instruction, comme cela a été soutenu par le ministère public
au cours de l’audience, que la SCA ARSOE de Bretagne, bien que juridiquement distincte
de la CRAB, appartient à la même communauté professionnelle que cette dernière, unie
autour d’intérêts et d’objectifs communs, et administrée par les mêmes acteurs. Ainsi, l’intérêt
indirect, pris par M. X en attribuant un marché à l’issue d’une procédure irrégulière
à la SCA ARSOE de Bretagne qu’il participe à administrer, entre dans les prévisions
de l’article L. 131-12 du code des juridictions financières. Il n’importe que M. X ait agi
en tant que représentant d’une autre personne morale.
En ce qui concerne l’existence d’un préjudice
67. Si les trois lots relatifs à l’« Infocentre » ont été conclus pour le compte de la CRAB
en méconnaissance des règles de mise en concurrence, l’infraction sanctionnée par l’article
L. 313-6 du code des juridictions financières, applicable à la date de signature des contrats,
suppose également l’existence d’un préjudice subi par la chambre d’agriculture.
68. En premier lieu, la seule méconnaissance des règles précitées ne suffit pas à démontrer
l’existence d’une perte de chance sérieuse d’obtenir des offres mieux-disantes et donc d’établir
celle d’un préjudice irréfutable.
69. En second lieu, le ministère public a fait valoir au cours de l’audience que la commande
de prestations à une entité organiquement proche de la CRAB, comme l’est la SCA ARSOE
de Bretagne, est à l’origine d’une dérive non maîtrisée des coûts du projet E-Toile, lesquels
ont cru de 147 % entre l’estimation réalisée par la CRAB en 2013 et les mandats émis hors
taxes en 2020 et que, par suite, ce dépassement budgétaire caractérise l’existence
d’un préjudice au détriment de la CRAB. Toutefois, s’il est constant que le coût du projet E-
Toile a considérablement augmenté entre 2013 et 2020, il ressort néanmoins du rapport
d’instruction déposé le 29 juin 2021, et ainsi qu’il a été soutenu en défense au cours
de l’audience, que ce dépassement résulte d’une sous-estimation de la complexité du projet
et d’une redéfinition de celui-ci en cours de sa mise en œuvre. Dès lors, il n’est pas démontré
que ce dépassement budgétaire ait constitué pour la chambre d’agriculture de Bretagne
un préjudice, même simple, imputable à la méconnaissance de la procédure de passation
du marché.
70. Il résulte de ce qui précède qu’il n’est pas établi que la CRAB ait subi un préjudice causé
par l’avantage injustifié précité, que l’infraction n’est ainsi pas entièrement caractérisée et que,
par suite, il y a lieu de relaxer M. X des fins des poursuites.
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article 1
er
. – Les réquisitions présentées dans le cadre de l’affaire n° 870 sont irrecevables.
Article 2. – M. X est relaxé des fins des poursuites.
Fait et jugé par M. Jean-Yves BERTUCCI, président de chambre, président de la formation ;
MM. Daniel-Georges COURTOIS,
Patrick BONNAUD,
Claude LION,
Jacques DELMAS,
conseillers maîtres, M. Frédéric GUTHMANN, conseiller président, Mme Marion BARBASTE
et M. Laurent CATINAUD, premiers conseillers de chambre régionale des comptes.
En présence de Mme Cécile ROGER, greffière de séance.
Arrêt n° S-2024-0696
14
/
14
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous commissaires de justice,
sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs
de la République près les tribunaux judiciaires d’y tenir la main, à tous commandants
et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par
Cécile ROGER
Jean-Yves BERTUCCI
En application des articles R. 142-4-1 à R. 142-4-5 du code des juridictions financières,
les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent être frappés d’appel devant
la Cour d’appel financière dans le délai de deux mois à compter de la notification. Ce délai
est prolongé de deux mois pour les personnes domiciliées à l’étranger. La révision d’un arrêt
peut être demandée après expiration des délais d’appel, et ce dans les conditions prévues
aux articles R. 142-4-6 et R. 142-4-7 du même code.