SYNTHÈSE
La chambre territoriale des comptes de la Nouvelle-Calédonie a examiné la politique de sécurité civile de la Nouvelle-Calédonie dans le domaine des risques climatiques majeurs à compter de 2018. Face à l’éventail des risques climatiques majeurs identifiés, le contrôle des comptes et de la gestion mené par la chambre visait à déterminer si la Nouvelle-Calédonie a conçu et déployé une politique publique adaptée à ces risques, si les outils juridiques, techniques et d’information des populations sont performants et si les ressources humaines et financières mobilisées sont suffisantes pour faire face à la survenue de l’un de ces risques.
L’émergence d’une politique publique de prévention des risques
Les connaissances sur les aléas, notamment sur les aléas climatiques majeurs, sont le socle scientifique de la prévention des risques. Ces connaissances scientifiques et techniques sont formées de l’ensemble des travaux évaluant et cartographiant à différentes échéances temporelles l’impact des aléas climatiques les plus extrêmes probables. En Nouvelle-Calédonie,
les travaux conduits dans ce domaine sont multiples et conduits en ordre dispersé par de nombreux acteurs, publics, parapublics et privés. Certains projets ne sont pas financés tel le projet de relevé numérique du littoral de la Nouvelle-Calédonie, projet réalisé pour l’ensemble du littoral français hexagonal et outre-mer, indispensable pour réaliser des simulations de
submersion et d’inondation. La chambre invite la Nouvelle-Calédonie à coordonner, prioriser et soutenir les travaux scientifiques sur les aléas climatiques majeurs.
La demande de connaissance sur les zones menacées par les risques climatiques majeurs est en augmentation alors que les efforts de cartographie sont insuffisants. Elle est portée notamment par le conseil économique social et environnemental, les communes et les provinces. La politique publique de gestion des risques de la Nouvelle-Calédonie initiée depuis fin 2022 a identifié ce domaine comme un axe de travail. La chambre invite la Nouvelle-Calédonie à élaborer une méthodologie d’identification des enjeux menacés, à se doter des capacités techniques de zonage des risques et à élaborer une cartographie adaptée pour chaque risque.
La communication au public de l’information sur les risques majeurs est l’un des volets de la prévention. L’obligation pour les communes de constituer un dossier d’information communal sur les risques majeurs (Dicrim) et pour la Nouvelle-Calédonie d’élaborer un dossier sur les risques majeurs du territoire est mal appliquée. Moins d’une dizaine de communes ont
adopté le document communal et le dossier territorial aurait dû être actualisé il y a plus de deux ans. La chambre recommande à la Nouvelle-Calédonie de soutenir les communes dans l’élaboration de leur document d’information et de se doter des compétences nécessaires pour actualiser et enrichir le dossier territorial. Elle lui recommande également de promouvoir les
autres outils de communication, notamment en mettant en place un portail d’information sur les
risques et une journée annuelle de sensibilisation.
La limitation de l’exposition des enjeux est également embryonnaire en Nouvelle- Calédonie. La chambre recommande que la Nouvelle-Calédonie réglemente et mette en oeuvre des plans de prévention des risques naturels valant servitude d’utilité publique élaborés en fonction d’une évaluation et d’un zonage des risques fondés sur la connaissance des aléas. Ces
plans peuvent limiter ou interdire les constructions dans les zones à risques ou prévoir toute autre mesure permettant de réduire la vulnérabilité des enjeux aux aléas. Ces mesures doivent intégrer les solutions fondées sur la nature, objet actuellement de nombreuses initiatives et projets sur le territoire.
En réponse au voeu du congrès du 23 décembre 2019 relatif à l’urgence climatique et environnemental, la chambre recommande à la Nouvelle-Calédonie d’adopter par des délibérations du congrès sa politique publique de gestion des risques et son plan territorial d’adaptation au changement climatique ainsi que les modalités de leur financement.
La nécessité de mettre en place un cadre réglementaire et financier
La règlementation relative à la sécurité civile en Nouvelle-Calédonie n’a pas été mise à jour à la suite du transfert de la compétence par l’Etat, ce qui la rend difficile d’accès, obsolète et lacunaire, que ce soit sur la prévention des risques ou sur la formation des sapeurs-pompiers ou encore en ce qui concerne les conditions de coopération entre les services d’incendie et de
secours pour les sinistres dépassant les capacités d’une commune.
Il n’existe pas de réglementation relative à la prévention des risques s’appliquant à l’ensemble du territoire. Avant 2014, lorsqu’il était compétent en matière de sécurité civile, l’Etat n’avait pas fixé de règles relatives à la prévention des risques naturels en Nouvelle- Calédonie alors que celles-ci datent de la fin des années 1980 dans l’hexagone. Les règles actuelles en Nouvelle-Calédonie ne mettent en oeuvre ni l’obligation de connaître les aléas ni celle d’évaluer et de prévenir les risques qui en résultent. Elles renvoient à l’autorité délivrant le permis de construire, la mission d’autoriser ou non un projet potentiellement exposé à un
risque naturel. Si cette procédure permet éventuellement de dégager la responsabilité des autorités ayant accordé le permis de construire, elle ne règle pas le problème de l’exposition au risque, notamment en cas d’aléa climatique majeur. La chambre estime donc que le cadre réglementaire de la prévention des risques climatiques majeurs est insuffisant. Or, conformément à un avis du Conseil d’Etat rendu en 2017, il relève de la Nouvelle-Calédonie. La chambre recommande donc à la Nouvelle-Calédonie d’élaborer un code local de la sécurité civile reprenant et actualisant les dispositions du code la sécurité intérieure applicables à la Nouvelle-Calédonie, intégrant les textes édictés localement et toute nouvelle disposition nécessaire à la consolidation du cadre juridique de la sécurité civile
Les mesures de prévention des risques naturels majeurs représentent des dépenses pour les particuliers, les entreprises et les pouvoirs publics. Le financement de ces mesures doit être prévu par un dispositif suffisamment efficient pour venir en aide aux personnes physiques ou morales devant déménager ou procéder à des travaux. La chambre invite la Nouvelle-Calédonie
à étudier la création d’un fonds analogue au fonds Barnier de l’hexagone, lequel finance ce type de dépenses.
Les normes de construction et de nombreuses règles de droit - dont les servitudes d’urbanisme - n’étant pas applicables sur les terres coutumières, les mesures de prévention et leur financement qui seront adoptées devront être adaptées à ces zones, d’autant plus que la moitié des tribus est implantée sur des terres coutumières littorales ou situées à moins de 5 km
du littoral.
Une planification défaillante de la couverture des risques
Les opérations de secours de sécurité civile comprennent l’ensemble des actions caractérisées par l'urgence qui visent à soustraire les personnes, les animaux, les biens et l'environnement aux effets dommageables d’un aléa. Dans l’hexagone et les régions et départements d’outre-mer, elles font l’objet d’une planification approfondie allant de l’analyse de la probabilité des aléas à la définition des moyens à engager, notamment au travers de documents essentiels : le schéma directeur d’analyse et de couverture des risques et le règlement opérationnel des services d’incendie et de secours. Ces documents et donc la planification sous-jacente n’existent pas en Nouvelle-Calédonie, hormis partiellement pour le risque de feu de forêt et dans certains secteurs relevant conjointement de l’Etat et de la Nouvelle-Calédonie, notamment pour les secours en mer.
Chaque centre d’incendie et de secours est autonome pour gérer ses moyens et les engager en opération de secours. La chambre recommande à la Nouvelle-Calédonie de finaliser le schéma directeur d’analyse et de couverture des risques, projet dans lequel elle est engagée depuis le transfert de la compétence. Dans le domaine des feux de forêt il existe un embryon de planification opérationnelle avec l’actualisation régulière d’un ordre d’opérations – feux de brousse, de forêts et d’espaces naturels combustibles. En complément, la chambre recommande d’élaborer une règlementation de la défense des forêts contre l’incendie permettant le recensement des points d’alimentation en eau et des chemins d’accès des services de secours.
Si un ensemble de plans ORSEC a été arrêté par l’Etat avant 2014, ces plans sont devenus depuis obsolètes et doivent être revus par la Nouvelle-Calédonie.
Enfin, les communes doivent préparer la mise à l’abri de la population et les mesures d’aide à diligenter durant les sinistres. Cette règlementation existe mais est obsolète et mal appliquée. La chambre constate que 12 communes seulement ont un plan communal de sauvegarde. La Nouvelle-Calédonie doit actualiser le cadre réglementaire concernant les plans communaux de sauvegarde et assurer sa mise oeuvre par les communes.
Le transfert de la compétences sécurité civile n’a pas enlevé à l’Etat toutes ses missions de couverture des risques en Nouvelle-Calédonie. L’Etat peut ainsi dans certains cas de figure, notamment en cas de carence ou de débordement, prendre la direction des opérations de secours. La chambre constate que si la prise en main par l’Etat de la direction des opérations de secours
ne s’est pas produite depuis 2014, ses modalités éventuelles ne font pas l’objet d’échanges périodiques voire d’exercices donnant lieu à retour d’expérience, afin d’affiner les scenarii d’action possibles. C’est pourquoi la chambre recommande à la Nouvelle-Calédonie de se rapprocher de l’Etat en vue de formaliser le dialogue et d’organiser avec celui-ci des exercices avec retours d’expérience, dans le domaine de l’organisation des secours.
Les voies et moyens du renforcement d’un potentiel opérationnel actuellement insuffisant pour assurer la couverture des risques
Les moyens des services d’incendie et de secours souffrent de multiples limites capacitaires touchant en premier lieu les moyens humains. La Nouvelle-Calédonie est faiblement dotée en effectifs avec 31,5 sapeurs-pompiers pour 10 000 habitants, aussi bien
s’agissant des sapeurs-pompiers professionnels (6,6 pour 10 000 habitants) que des sapeurs pompiers volontaires (24,8 pour 10 000 habitants). Une autre limite capacitaire résulte de la diminution du nombre des hélicoptères bombardiers d’eau et des périodes d’indisponibilité de l’hélicoptère de secours. La chambre recommande de doter la Nouvelle-Calédonie d’un moyen
héliporté de secours et d’un hélicoptère bombardier d’eau supplémentaire. La gestion des appels du 18 n’est pas centralisée, ce qui ne permet pas d’optimiser en permanence l’emploi des effectifs. Renforcer les moyens est synonyme de coûts importants. A cet égard, l’Etat fournit des moyens aériens et nautiques mais aucun pacte capacitaire de zone visant au financement
par l’Etat du renforcement des moyens n’a été conclu avec la Nouvelle-Calédonie. C’est pourquoi la chambre invite la Nouvelle-Calédonie à soumettre à l’Etat ses fragilités capacitaires en vue de conclure un pacte capacitaire.
La complexité et le cloisonnement des règles d’engagement opérationnel limitent la coordination des acteurs (Nouvelle-Calédonie, communes et Etat). Les différences de gestion des ressources humaine entre chaque centre et les conditions de rémunération des sapeurs pompiers volontaires engendrent un turnover important, ce qui ne permet pas une montée en
compétence des effectifs. La direction de la sécurité civile apparaît particulièrement touchée par les sous-effectifs en hommes de rang, en officiers chargés des activités d’analyse, de développement et de rédaction, et en officiers de commandement en opération.
Ni les moyens matériels des communes, ni ceux de la direction de la sécurité civile ne peuvent être armés dans leur totalité faute de moyens humains en nombre et en qualité du fait notamment d’un niveau de formation insuffisant. La Nouvelle-Calédonie fait face à un risque important de dépassement capacitaire en cas d’aléa climatique majeur et un risque élevé
d’accident en cours d’opération.
Cette situation justifie la finalisation rapide du projet de modernisation du système de communication des services d’incendie et de secours dénommé « centre unique de réception et de traitement des appels » (CURTA). Cette solution globale permettra de centraliser les appels et de décider de l’engagement des moyens depuis un point unique, ce qui optimisera leur utilisation. A moyen terme, la chambre estime indispensable de poursuivre cette réforme en créant une structure unifiée de gestion des moyens et des opérations qui résoudra les difficultés multiples découlant du cloisonnement actuel.