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Le programme Scribe

COUR DES COMPTES

Lancé en décembre 2015, le futur logiciel de rédaction des procédures – dénommé « Scribe » – devait initialement constituer un outil commun qui remplacerait les logiciels de rédaction des procédures de la police et de la gendarmerie. Inscrit dans une évolution numérique large et complexe au sein de la police nationale, Scribe devait ainsi contribuer à la mise en œuvre de la procédure pénale numérique (PPN), procédure intégralement dématérialisée tout au long de la chaîne pénale. À la suite d’un audit interne du prestataire, le projet a cependant été gelé en mars 2021, avant d’être finalement abandonné à l’automne en raison d’une série de dysfonctionnements d’ordre organisationnel, technique et juridique. Dans l’audit flash publié ce jour, la Cour des comptes identifie les différents facteurs de cet échec. Ce programme se caractérise depuis ses débuts par une absence de cadrage et une formalisation très insuffisante de l’expression des besoins, ainsi que par une absence de contrôle à tous les niveaux, en particulier sur le prestataire extérieur retenu. Six ans après son lancement, le programme Scribe (13,28 M€ de dépenses entre 2016 et 2022) est l’exemple même d’une conduite de projet défaillante.

L’expression de besoins n’a jamais été stabilisée en six ans

Alors que le futur logiciel devait remplacer les logiciels de rédaction des procédures de la police (LRPPN ou LRP3) et de la gendarmerie (LRPGN) à compter du premier semestre 2020, la gendarmerie s’est retirée du projet dès novembre 2016, à l’issue des premiers travaux sur la définition des besoins fonctionnels communs, considérant la fusion des deux logiciels comme « risquée ». Cette décision de retrait - qui n’a pas été formalisée par un document écrit - a abouti au pilotage du projet par la seule Direction générale de la police nationale (DGPN) à partir de 2017. Or, en dépit de ce retrait, le projet n’a pas été redéfini. Six ans après son lancement, le prestataire extérieur missionné par la DGPN pour dresser un état des lieux de la documentation fonctionnelle a évalué à 36 % l’état d’avancement du cadrage initial du projet.

Le pilotage éclaté du projet a conduit à une dilution des responsabilités

De 2016 à 2021, le pilotage du programme Scribe a été partagé entre un chef de projet chargé de la maîtrise d’ouvrage et directement rattaché au cabinet du directeur de la police nationale, un chef de projet technique assurant la maîtrise d’œuvre au sein du Service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure (hébergé au sein de la direction générale de la gendarmerie nationale) et la direction du numérique du ministère de l’intérieur (Dinum), chargée du suivi budgétaire du projet depuis sa création en janvier 2020. À ces trois entités se sont ajoutés plusieurs prestataires externes, au premier rang desquels la société Capgemini, retenue comme assistante à maitrise d’œuvre. Ce pilotage éclaté a engendré une dilution des responsabilités entre les différentes parties prenantes. En outre, l’équipe responsable de la maitrise d’ouvrage (MOA) a été dirigée par des commissaires de police qui, pour deux d’entre eux, n’avaient pas d’expérience dans la conduite de projets informatiques. L’équipe est restée longtemps sous-dotée en termes d’effectifs et sa constitution n’a été finalisée qu’en septembre 2019. Quant à la maîtrise d’œuvre (MOE), elle a été attribuée au Service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure, qui a confié très largement cette fonction à un prestataire extérieur (Capgemini). Celui-ci, dans la réponse qu’il a apportée aux observations provisoires de la Cour, a reconnu avoir « manqué au devoir de conseil et d’alerte », en ne demandant pas la révision du projet, notamment dans ses aspects techniques. Enfin, les recommandations formulées par la Dinum, saisie trois ans après le lancement du projet dans le cadre du suivi des chantiers numériques de l’État, n’ont jamais été mises en œuvre de sorte que le programme n’a jamais été réorienté.

Un projet coûteux dont l’aboutissement est loin d’être garanti

Au total, 13,28 M€ ont été consacrés au programme Scribe entre 2016 et 2022, dont 8,66 M€ de prestations externes et 4,62 M€ de dépenses de personnel interne à l’administration. La Dinum estime à 30 M€ le montant des dépenses supplémentaires de développement et de formation nécessaires pour doter la police nationale d’un nouvel outil de rédaction des procédures à horizon 2024. La Cour indique toutefois que ce chiffrage doit être pris avec précaution, dans la mesure où la mission d’appui de la Dinum n’a pas déterminé quelle était la part réutilisable des prestations réalisées dans le cadre du projet Scribe. Préalablement à tout arbitrage et à tout chiffrage, il conviendra donc d’identifier les travaux déjà conduits et pouvant être réutilisés lors de la relance du projet. À cet égard, la Dinum recommande de passer un nouveau marché pour développer le nouveau logiciel de rédaction des procédures de la police, tout en laissant la porte ouverte à une « convergence à terme » des logiciels de la police et de la gendarmerie - le scénario d’un logiciel véritablement commun ayant été d’emblée écarté, en raison de son délai d’exécution considéré comme rédhibitoire et de son incompatibilité avec les évolutions envisagées de l’outil de la gendarmerie LRPGN.

La relance du projet devra tirer toutes les conséquences des défaillances constatées dans le présent rapport, afin d’éviter qu’elles ne se reproduisent. La Cour recommande que le pilotage du projet par le ministère soit renforcé par le recours à des profils expérimentés, et estime que la reprise de travaux communs entre la police et la gendarmerie s’impose comme un objectif prioritaire.

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