SYNTHESE
La chambre territoriale des comptes de la Nouvelle-Calédonie a contrôlé les comptes et la gestion de l’agence de développement économique de la Nouvelle-Calédonie (ADECAL) depuis 2018. Ce contrôle permet d’évaluer la mise en œuvre des recommandations qu’elle avait faites lors de son précédent contrôle publié en 2012, notamment l’avancement de la réflexion stratégique des acteurs sur le devenir de la structure et sa transformation en groupement d’intérêt public a été actée par arrêté du haut-commissaire en date du 5 mars 2024. Il permet aussi d’analyser l’articulation de l’action de l’agence avec le monde scientifique et économique alors que le territoire s’est doté d’une stratégie de l’innovation en 2015.
Les missions et l’organisation de l’agence de développement économique de la Nouvelle-Calédonie ont évolué depuis sa création en 1995. Elle avait initialement pour objet de contribuer au développement économique du territoire. Sa mission a été étendue au commerce extérieur lors du transfert de cette compétence à la Nouvelle-Calédonie en 2000. En 2012, les statuts de l’agence ont été modifiés pour permettre la création de la technopole, œuvrant pour améliorer la compétitivité des entreprises calédoniennes, notamment dans les domaines agricoles et aquacoles, ainsi qu’au travers du pôle innovation nouvellement créé. Le projet de transformation de l’association en groupement d’intérêt public qui faisait l’objet des recommandations de la chambre dans son dernier rapport en 2012 et désormais imminent, semble avoir gelé les évolutions statutaires depuis cette date. En effet, en 2016, le conseil d’administration prend acte de la prise en charge des activités internationales par le service de coopération régionale et des relations extérieures de la Nouvelle-Calédonie, sans pour autant que les statuts soient modifiés. L’unité de valorisation des déchets de poissons a été remise à disposition de la province des Îles en juillet 2023. Un pôle agro-alimentaire avait été créé en 2017 mais il a été supprimé en novembre 2023. L’organisation de l’agence s’articule donc à cette date autour de trois pôles : le pôle marin (crevetticulture, pisciculture et microalgues et valorisation des déchets de poissons), le pôle terrestre (grandes cultures, tubercules tropicaux, maraîchage et apiculture) et le pôle innovation (biotechnologies, cleantech, numérique). Le groupement d’intérêt public qui a vu le jour en mars 2024 a pour objectif de favoriser la compétitivité et l’attractivité de la Nouvelle-Calédonie.
L’agence, dont l’essentiel des ressources provient du contrat de développement Etat / Inter collectivités, n’a pas mis en place de procédure permettant de suivre, avec les acteurs concernés, les indicateurs de résultats et d’impact prévus. Malgré des résultats réels et pour certains prometteurs, ils s’apprécient sur une échelle de temps longue, notamment pour le pôle mer, qui se traduit par un désinvestissement des institutions ayant une répercussion directe sur le financement d’infrastructures de qualité et in fine des projets dans leur ensemble. Les résultats des projets initiés par les pôles terre et mer demandent encore, malgré l’ancienneté de certains d’entre eux, à être concrétisés pour en mesurer l’impact économique. De plus, l’absence d’investissements et de maintenance des sites d’expérimentation a rendu les installations vétustes, limitant la réalisation de certains projets. Enfin, certains projets ont pâtis d’un manque d’accompagnement, en particulier juridique et technique. Dans ce contexte, l’agence doit s’efforcer de renforcer sa communication auprès des acteurs économiques et institutionnels. La réussite des projets qu’elle initie nécessite par ailleurs une montée en compétence et en charge sur l’ingénierie de projet, et un travail collaboratif accru de l’ensemble des pôles de l’agence.
La chambre invite l’agence à suivre régulièrement les résultats et l’impact de ses activités et à valoriser les succès obtenus. La remise en état des sites ou matériels nécessaire aux expérimentations constitue un préalable à leur continuité. La chambre estime qu’un fonctionnement moins étanche entre les pôles est de nature à permettre au pôle innovation d’apporter l’ingénierie nécessaire au bon déroulement de certains projets portés par d’autres pôles.
L’agence a pour objet de favoriser le continuum entre la recherche et le monde économique.
Cependant, elle peine à assumer cette position d’intermédiaire entre les acteurs institutionnels, économiques et scientifiques. De fait, les acteurs économiques déplorent l’incapacité de l’agence à répondre à leurs besoins à tel point que, faute d’appui technique sur un projet phare, la crevetticulture, les professionnels se sont associés pour développer leur propre unité de promotion, reprenant une partie de l’activité de l’agence sur cette filière. Les relations de l’agence avec les organismes de recherche, pourtant nombreux sur le territoire, sont faibles. Seul l’un d’entre eux compte parmi ses membres. Une stratégie territoriale de l’innovation a été adoptée en 2015 et un comité consultatif de la recherche réunit annuellement les acteurs institutionnels et ceux du monde de la recherche. Cependant, la chambre constate que la stratégie territoriale d’innovation n’a pas été mise à jour et doit être actualisée par le gouvernement. Le comité consultatif de la recherche ne s’est pas réuni depuis 2021. Dans ces conditions, l’agence n’a pas élaboré de stratégie propre. Son activité s’articule autour de la réponse à des appels à projets et la programmation d’actions au sein des comités techniques de chaque pôle.
Le potentiel du territoire au regard de ses ressources marines, agricoles, géologiques et minières et le potentiel d’innovation de ses entreprises rendent nécessaire de disposer d’outils de transferts de technologies et de compétences. Cependant, compte-tenu de l’imbrication des compétences en matière de recherche et de développement économique, ainsi que de la diversité des domaines couverts, les acteurs n’ont pas une vision commune de la valeur ajoutée de l’agence. La chambre invite celle-ci à poursuivre sa réflexion stratégique, en lien avec ses différents partenaires, pour définir le format et le portage le plus adapté pour chacune de ses activités.
L’association est composée de six membres de droit, l’Etat, le congrès et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, et les trois provinces, ainsi que de membres adhérents, essentiellement du monde économique et un institut de recherche. L’ensemble des modifications survenues dans les missions et l’organisation de l’agence ou encore le changement de siège social n’ont pas donné lieu à modification des statuts comme l’impose pourtant la réglementation.
La qualité de la vie associative est altérée par la fréquence irrégulière des assemblées générales et des conseils d’administration ainsi que par l’absence de procès-verbaux de certains d’entre eux. De plus, la composition du conseil d’administration n’a pas été renouvelée par l’assemblée générale depuis 2019, comme d’ailleurs celle du bureau par le conseil d’administration depuis la même date. La rotation rapide de la présidence, quatre en cinq ans entre 2018 et 2022, entre les provinces, ne favorise pas la pleine responsabilisation du président sur un tel mandat.
Le pilotage des services est affecté par des vacances longues sur certains postes stratégiques auxquels l’association pallie par un cumul d’intérim sur quelques personnes, ce qui grippe son fonctionnement. Le recours sur une longue période à des nominations internes par intérim sur des postes d’encadrement et l’absence de remplacement du directeur général accentuent les difficultés managériales et repoussent la mise en place d’une nouvelle organisation et l’application d’une feuille de route validée par l’ensemble des administrateurs.
Les effectifs de l’agence sont stables entre 2018 et 2022. Cependant, celle-ci a eu recours de façon croissante à des contrats à durée déterminée dont le nombre a été multiplié par trois en cinq ans. La chambre a constaté que près de la moitié de ces contrats ont été justifiés de façon irrégulière au regard du cadre réglementaire applicable. Les agents sont dispersés sur 13 sites qui résultent pour la plupart du poids de l’histoire. Cette dispersion est source de difficultés de gestion, que ce soit en matière de communication interne ou de sécurité pour les agents, obligeant à une multiplication des managers de proximité, des déplacements et in fine du personnel administratif. La chambre invite l’agence à revoir l’implantation de ses sites et à rationaliser son fonctionnement en vue de réaliser des économies.
Le conseil d’administration de l’agence a été marqué par les conditions de départ à la retraite d’un ancien directeur général. Néanmoins, l’inertie des instances de gouvernance, appuyée par les conseils faisant étant de faibles chances d’aboutissement d’une action en justice, a conduit à la prescription des faits. Pour autant, l’association n’en a pas encore tiré toutes les leçons, et la culture éthique demeure insuffisante au sein de l’agence. La chambre invite l’agence à mettre en place un dispositif de prévention et de détection de la corruption.
- La transformation en groupement d’intérêt public est l’occasion de renforcer les procédures et le contrôle interne
L’association a mis en place l’essentiel des contrôles externes prévus par les textes. Cependant, elle doit mieux assurer l’information de ses membres et des tiers en publiant sur son site internet un rapport d’activité synthétique, le rapport de gestion, les comptes annuels et les rapports des commissaires aux comptes.
Le contrat de développement 2017-2021 prévoyait un détail du financement prévisionnel par pôle. Si l’association a bien mis en place, à la suite de la recommandation de la chambre lors de son précédent contrôle, des codes analytiques permettant un suivi des dépenses et des recettes par pôle, l’absence d’une note interne formalisée précisant la méthode suivie, notamment pour l’affectation des charges fixes ou indirectes, ne permet pas de garantir la qualité de l’information fournie dans les rapports de gestion, dont le format s’est amélioré en 2022. La chambre invite l’association à faire valider par son conseil d’administration une telle note et à lui présenter annuellement un compte de résultat par pôle.
Le contrôle interne comptable et financier doit être formalisé afin de maîtriser les dépenses, de protéger son patrimoine, et d’assurer la qualité de ses informations comptables. La transformation de l’agence en groupement d’intérêt public financé pour l’essentiel par des contributions publiques notamment de l’Etat, en cours de finalisation, constitue une opportunité pour l’agence de le renforcer en le soumettant aux règles de la comptabilité publique et en se dotant d’un comptable public.
Malgré le développement de subventions pour des projets spécifiques ou de la vente de produits ou de prestations de services, l’association reste très dépendante des subventions versées au titre du contrat de développement par l’Etat, la Nouvelle-Calédonie et les trois provinces (69 % des produits d’exploitation en 2022). Les charges d’exploitation sont constituées pour l’essentiel de charges de personnel (62 % en 2022). Malgré leur diminution de 13 % entre 2018 et 2022, le résultat d’exploitation, qui s’améliore, reste négatif tous les ans entre 2018 et 2022. Les financements prévus au contrat de développement sont scindés en une part fixe et une part variable. Les montants versés au titre de la part variable ont diminué de 44 % en six ans, notamment du fait de la province Sud, qui a quasiment cessé tout versement en 2023 alors que la province Nord a versé 46 % et la province des Îles Loyauté 58 % du montant budgété entre 2017 et 2023. Ces écarts entre les montants prévus initialement et ceux effectivement conventionnés traduisent le désalignement croissant entre les objectifs poursuivis par les provinces et les projets portés par l’agence. La chambre invite l’agence à fiabiliser sa procédure budgétaire en mettant en place un dialogue annuel avec ses financeurs.
De plus, dans un contexte de recul des engagements financiers des institutions, elle doit engager une réflexion sur son organisation à l’aune des choix stratégiques de ses membres, et provisionner les implications d’une telle évolution, notamment en termes de coût de licenciements potentiels, tout en poursuivant la recherche d’autres sources de financement. La création du groupement d’intérêt public, comme la poursuite des réflexions vers un autre portage des activités entre plusieurs entités, suppose la réalisation d’un tour de table financier permettant de dégager un véritable plan de financement pluriannuel, en fonctionnement comme en investissement, des projets qui seront retenus par les membres.
A l’issue de son contrôle, la chambre formule huit recommandations qui visent à améliorer la performance de la l’agence de développement économique de la Nouvelle-Calédonie (ADECAL).
N° Reco. |
Intitulé |
Nature |
Domaine |
Gain attendu ou risque couvert |
Degré de mise en œuvre |
Échéance |
1 |
Mettre en place une stratégie de transformation de l’agence, en cohérence avec celle des acteurs institutionnels, socio-économiques et de la recherche en validant la cohérence du maintien de l’ensemble des missions dans une seule entité ou la mise en place d’un réseau de centres techniques agronomiques et aquacoles et une externalisation du pôle innovation. |
Performance |
Gouvernance et organisation interne |
Mauvais alignement des objectifs stratégiques des acteurs, absence de financement des projets portés par l’agence |
En cours de mise en œuvre |
2025 |
2 |
Revoir les implantations géographiques des centres et rationaliser l’organisation de l’agence en provisionnant le cas échéant les sommes nécessaires. |
Performance |
Gouvernance et organisation interne |
Diminution des coûts de fonctionnement de la structure |
En cours de mise en œuvre |
2025 |
3 |
Mettre en place un dispositif de prévention et de détection de la corruption concomitamment avec la transformation de l’association en groupement d’intérêt public. |
Performance |
Gouvernance et organisation interne |
Risque réputationnel et financier |
Non mis en œuvre |
2025 |
4 |
Assurer l’information des tiers en publiant le rapport d’activité, le rapport de gestion, les comptes annuels et les rapports des commissaires aux comptes sur le site internet de l’association. |
Performance |
Comptabilité Relations avec les tiers |
Transparence de l’information vis-à-vis des tiers |
Non mis en œuvre |
2024 |
5 |
Formaliser une procédure de comptabilité analytique permettant de ventiler l’ensemble des produits et des charges directes et indirectes par projet, centre et pôle et en présenter les résultats annuellement au conseil d’administration |
Performance |
Comptabilité |
Information du conseil d’administration sur la performance des pôles et des centres |
En cours de mise en œuvre |
2024 |
6 |
Soumettre le futur groupement d’intérêt public aux règles de la comptabilité publique et prévoir la désignation d’un comptable public. |
Performance |
Gouvernance et organisation interne Comptabilité |
Renforcement du contrôle interne |
Non mis en œuvre |
2024 |
7 |
Mettre en place, en accord avec les financeurs, une procédure permettant d’avoir une visibilité pluriannuelle et annuelle sur les subventions d’exploitation susceptibles d’être accordées par les membres de droit. |
Performance |
Gouvernance, relations avec les tiers Comptabilité |
Fiabilisation des prévisions budgétaires de l’agence |
En cours de mise en œuvre |
2024 |
8 |
Faire valider par le conseil d’administration un plan pluriannuel d’investissement et ses modalités de financement sur la base de la stratégie et des projets envisagés. |
Performance |
Gouvernance, relations avec les tiers Comptabilité |
Garantir un niveau d’équipement permettant la bonne exécution des projets confiés à l’agence. |
Non mis en œuvre |
2024 |