SYNTHESE
La centrale « pays », devant remplacer la centrale de Doniambo, présentée comme un projet phare de la Nouvelle-Calédonie, dont la construction a été qualifiée d’urgente et indispensable par toutes les expertises successives, n’entrera en production, au plus tôt, que début 2025, soit huit ans après la création de la société NCE, en charge de sa réalisation.
La centrale électrique de Doniambo, ou centrale B, qui est en service depuis le début des années 70, est le coeur de l’usine pyro-métallurgique de la SLN. Cette centrale, en fin de vie, poursuit son exploitation jusqu’à son renouvellement au prix d’investissements substantiels.
Participant à la stabilité du système électrique calédonien, elle en est aujourd’hui le talon d’Achille en raison d’une maintenance difficile, qui ne la met pas à l’abri d’une panne durable, voire irréversible.
La SLN, qui en est propriétaire, a engagé de longue date une série d’études pour en assurer le remplacement, marquée par une succession d’hésitations sur le combustible et la technologie à mettre en oeuvre. Alors que le choix du charbon est finalement arrêté, après avoir été confirmé comme meilleure technologie disponible par deux expertises, la SLN est contrainte de renoncer à cet investissement, faute de capacité à le financer.
Appelé à la rescousse par les élus calédoniens, l’Etat apporte son soutien à un projet de centrale pays porté par le gouvernement, mutualisant les besoins de l’industriel avec ceux de la distribution publique. Il le fait à travers le dispositif de défiscalisation et par une garantie portée sur l’emprunt qui devra être contracté pour son financement. Ce projet est confié à la société. NCE, composée d’un actionnariat à majorité publique. Il va de la conception à l’exploitation et à la maintenance d’une centrale électrique de 200 MW située à Nouméa, en passant par son financement et sa réalisation.
S’appuyant sur deux nouvelles études rendues en 2016, contredisant les précédentes, dont une émise trois ans auparavant par les même experts, le combustible retenu est le gaz. Malgré la légèreté de l’une de ces deux études et les interrogations de la SLN sur la capacité de cette future centrale à proposer une baisse significative du coût de l’énergie produite, le projet est lancé en l’état.
Une inertie qui contraste avec l’urgence affichée suivie du lancement de nouvelles études
Alors que la feuille de route parait simple, soit « vite, robuste et pas cher », NCE peine à faire avancer le projet en raison d’une succession d’errements dans son pilotage et de remises en cause des fondements du projet initial.
Tout d’abord, malgré l’urgence du projet, NCE met presque deux ans à composer une équipe technique complète. Une fois constituée, au lieu de lancer un appel d’offres à partir des conclusions des études déjà disponibles qui indiquent que la solution la plus adaptée est une centrale électrique sur barge, alimentée au gaz, NCE choisit de commander de nouvelles études de faisabilité et de conception.
Les résultats de ces études doublent l’estimation du montant des investissements à réaliser qui s’élève désormais à 120 Md F CFP. Ce doublement tient aux choix technologiques imposés par les associés qui aboutissent in fine à un projet de construction de deux demi-centrales.
La solution préconisée à l’origine du projet est écartée avant de réapparaitre et de s’imposer
La société NCE se voit alors contrainte de revoir sa méthode de travail et d’abaisser les exigences techniques émises par les associés. Elle lance un appel à manifestation d’intérêts sollicitant un large panel d’industriels du secteur de l’énergie auxquels il est demandé de proposer les solutions qui leur semblent les mieux adaptées pour la future centrale pays, ouvrant
largement le champ du possible en matière de combustible et de technologie.
Compte tenu de la taille réduite du projet, il ressort des propositions émises par les producteurs d’énergie que la seule solution apte à offrir une baisse significative du coût de l’énergie produite à partir d’un investissement raisonnable est une centrale sur barge.
Cette solution, pourtant recommandée par l’une des études initiales datant de 2016, décrite comme robuste technologiquement, rapide à mettre en oeuvre et pouvant proposer le prix du KWh le plus bas, avait été écartée par les associés lors des études complémentaires qu’ils avaient engagées. C’est elle qui sera finalement retenue pour l’appel d’offres lancé le 19 novembre 2020, balayant toutes les études de faisabilité et de conception commandées par NCE depuis sa création. Presque quatre ans ont été perdus.
Des besoins instables et une stratégie interne concurrente, non conforme à l’objet social
Le pilotage du projet par NCE se révèle inconstant du fait de l’instabilité des besoins exprimés par les associés et de la remise en cause des fondements mêmes du projet par sa gouvernance.
Des données de base comme la production attendue par la future centrale fluctuent en permanence.
De son côté, ENERCAL affirme quatre ans après le début du projet que la distribution publique n’aurait pas besoin de cette future centrale, ce qui remet en question le fondement même du projet.
Dans un souci de réduire les risques du projet, le gouvernement souhaite en confier la réalisation en intégralité à un producteur indépendant d’énergie, sans que soient examinés les risques et les menaces liés à ce choix et sans que soit initiée une réflexion sur les moyens de contrôle, voire les vetos éventuels, dont pourrait disposer la Nouvelle-Calédonie à chaque stade de réalisation. En cela, elle renonce à la souveraineté énergétique, qui était un axe fort de l’intervention de la puissance publique dans ce dossier.
En parallèle, et à son initiative, NCE développe une deuxième stratégie concurrente de la stratégie « gaz », basée sur une solution « tout énergies renouvelables », alors qu’elle ne dispose pas des ressources internes pour la mener et que le gestionnaire du réseau ENERCAL indique qu’elle lui semble irréaliste en l’état. De plus, cette stratégie n’entre pas dans son objet social.
Les travaux de la chambre ont fait apparaître l’absence d’affection societatis au sein de NCE.
Une centrale surdimensionnée
La conduite du projet est aussi marquée par les intérêts affirmés mais non convergents des associés, exacerbés par l’absence de définition d’une trajectoire énergétique à l’échelle de la Nouvelle-Calédonie. A côté et en complément des énergies renouvelables qui se développent massivement, la future centrale pays peine à trouver sa place.
Au lieu de tourner à plein régime, comme doit le faire ce type d’outil de production, elle est conçue pour s’effacer devant la production photovoltaïque, par nature intermittente et concentrée sur quelques heures dans la journée, puis pour prendre le relais la nuit ou les journées non ensoleillées. De ce fait, elle sera surdimensionnée et son taux de charge grèvera
inévitablement le coût de sa production.
A ce jour, deux solutions sont à l’étude :
- la première menée par NCE pour la construction d’une centrale pays sur barge ;
- la seconde, conduite par ENERCAL, qui vise à transformer la centrale de Prony pour l’alimenter au gaz, suivie de son agrandissement progressif pour devenir la centrale pays.
Ces deux solutions concurrentes, bien que menées par deux sociétés contrôlées par la Nouvelle-Calédonie, n’ont pas fait l’objet d’arbitrage. De ce fait, les deux équipes techniques continuent à les développer en parallèle, mobilisant des compétences et faisant appel à des expertises coûteuses.
La question de la prise en charge des surcoûts
En raison de son surdimensionnement, la centrale pays génèrera des surcoûts croissants qui ne pourront être compensés par le coût décroissant des énergies renouvelables. Restera à déterminer qui de la SLN, de ENERCAL, de l’usager ou du contribuable les prendra à sa charge et à quelle hauteur.
Les errements successifs dans la conduite du projet, qui voient le jour dès la création de NCE, ne sont pas que le résultat d’un pilotage inconstant, voire déficient. Ils sont aussi le fruit d’un montage réalisé dans l’urgence, construit à partir d’études perfectibles, dans un paysage énergétique non défini, sans mesurer que cette centrale « tout en un », serait amenée à remplir des objectifs contradictoires.
Au 30 juin 2020, 929 MF CFP ont été engagés sur une enveloppe prévisionnelle de 1 996 MF CFP, les salaires de l’équipe projet et les frais de fonctionnement de la structure s’élevant à eux seuls à 364 MF CFP et les études à 499 MF CFP.
L’appel d’offres lancé le 19 novembre 2020, porteur de nombreuses incertitudes, a repoussé de nouveau l’échéance de réalisation de la centrale pays au premier semestre 2025.
En l’attente, l’actuelle centrale B est maintenue en service.
Malgré l’urgence affichée, le projet de centrale s’est progressivement enlisé du fait des hésitations de NCE sur les besoins à satisfaire, la technologie et le combustible à retenir mais aussi en raison des interrogations sur sa capacité à financer et à mener à bien le projet.
Aussi, au vu des éléments recueillis, rien ne permet d’affirmer que le projet de centrale pays conduit par NCE verra le jour.