Entre différenciation et intégration à l’espace économique européen
L’octroi de mer a pour objectif le financement des collectivités ultramarines, les communes, depuis l’origine, puis les collectivités de niveau régional depuis les lois de décentralisation des années 1980. Plus récemment, cette taxe s’est vue assigner un objectif économique de protection des productions locales, en vue d’assurer sa compatibilité avec les règles fondatrices du marché unique qui interdisent les taxes d’effet équivalant à des droits de douane entre les États membres et a fortiori au sein d’un État membre. Depuis 1989, quatre décisions du Conseil de l’Union européenne permettent de déroger au droit de l’Union en donnant notamment la possibilité aux collectivités régionales de taxer de façon différenciée des listes de biens importés, cette faculté étant justifiée par les écarts de compétitivité des entreprises locales liés aux handicaps structurels des territoires. Ce double enjeu de financement et de protection complexifie le dispositif, qui comprend désormais quatre situations différentes : octroi de mer interne (OMI), externe (OME), octroi de mer régional interne (OMRI) et externe (OMRE). Jusqu’à 15.000 produits concernés, la possibilité de voter des taux d’octroi de mer jusqu’à un plafond de 60 %, et même de 90% pour certains biens, les modifications annuelles et infra-annuelles de ces mêmes taux, l’existence de dispositions spécifiques en matière d’assujetissement, d’exonérations et de déductions, font de l’octroi de mer une taxe complexe reposant sur un enchevêtrement de règles difficiles à appliquer.
L’impact de l’octroi de mer sur les finances locales
L’octroi de mer a un impact positif sur le volume et le dynamisme des recettes des communes, qui perçoivent les trois-quarts de son produit. Avec des recettes nettes globales atteignant 1 644 M€ en 2022 et une hausse annuelle moyenne des recettes de 4,64 % de 2014 à 2022, il conforte son statut de recette majeure, relativement insensible aux chocs conjoncturels. Par le canal de la dotation globale garantie (DGG), la quasi-totalité des recettes de l’octroi de mer est affectée à la section de fonctionnement des communes, composée entre 43 % et 57 % de dépenses de personnel. Par contraste, les dépenses directement affectées aux investissements restent faibles, fluctuantes et émiettées. Les taxations externes (importations) représentent
97 % des ressources de la taxe contre seulement 3 % pour les taxations internes (production locale). Cette préférence tacite pour la taxation des importations est porteuse d’une contradiction avec l’objectif de renforcement et de développement du tissu productif local : les collectivités locales n’ont pas d’intérêt à ralentir les importations qui diminueraient leurs ressources de fonctionnement en favorisant des productions locales moins taxées.
L’impact de l’octroi de mer sur le développement de l’économie locale
Les impacts économiques de l’octroi de mer apparaissent mitigés, voire négatifs, en particulier sur les prix à la consommation. Si l’octroi de mer n’est ni le seul ni le principal facteur expliquant la cherté de la vie par rapport à la France hexagonale, il joue un rôle significatif compte tenu de son assiette, reposant sur des biens importés et pour une part très limitée sur des produits locaux. Non traçable pour le consommateur final, l’octroi de mer, s’appliquant sur les coûts de fret et d’assurance, amplifie mécaniquement les effets de l’inflation. Son articulation avec la TVA est par ailleurs dysfonctionnelle, avec des effets démultiplicateurs sur une partie de la chaîne de production, d’autant plus forts que les intermédiaires sont nombreux. En raison de la complexité du système, le différentiel d’octroi de mer ne peut assurer pleinement l’objectif de compensation des handicaps ultramarins qui lui est assigné. De surcroît, les listes de biens susceptibles de faire l’objet d’un différentiel d’octroi de mer semblent parfois davantage relever d’un héritage historique que d’une vision économique suffisamment étayée. La complémentarité de l’octroi de mer avec les autres aides aux entreprises mériterait par ailleurs d’être réétudiée afin de s’assurer de leur cohérence d’ensemble et de l’absence de surcompensation. Enfin, si l’octroi de mer joue un rôle protecteur, il a pour effet, dans le même temps, de ne pas modifier, et même de pérenniser, la dépendance aux importations sur lesquelles reposent le niveau de ressources fiscales locales. L’approche défensive et protectrice qui sous-tend l’octroi de mer n’est par ailleurs pas propice à une insertion accrue des départements et régions d’outre-mer dans leur environnement régional immédiat. Sans exclure l’option de la substitution à l’octroi de mer d’une nouvelle ressource fiscale (TVA) à moyen et long terme, la Cour préconise à court terme des réformes substantielles de cette taxe autour de quatre orientations : renforcer son pilotage et son contrôle ; optimiser l’emploi de ses ressources ; adopter des mesures de simplification, de transparence et de lisibilité du dispositif ; atténuer ses effets sur le niveau des prix.
L’évaluation de la Cour des comptes intervient au moment où le comité interministériel pour l’outre-mer de juillet 2023 a décidé de réformer l’octroi de mer en profondeur dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025.