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ENTITÉS ET POLITIQUES PUBLIQUES
L’OCTROI DE MER,
UNE TAXE
À LA CROISÉE
DES CHEMINS
Rapport d’évaluation d’une politique publique
Synthèse
Mars 2024
2
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
g
AVERTISSEMENT
Cette synthèse est destinée à faciliter la lecture et l’utilisation du
rapport de la Cour des comptes.
Seul le rapport engage la Cour des comptes.
Les réponses des administrations, des organismes et des collectivités
concernés figurent en annexe du rapport
.
3
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Sommaire
1
Le cadre historique et institutionnel
5
2
Quel est l’impact de l’octroi de mer
sur les finances locales ?
11
3
Quel est l’impact de l’octroi de mer
sur le développement des économies locales ?
19
4
Des impacts dilués mais négatifs sur la cherté
de la vie, une dépendance aux flux d’importations
inchangée
21
Conclusion et recommandations
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
5
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
1
Le cadre historique
et institutionnel
Un objectif historique
de financement
La création en Martinique de l’octroi
« aux portes de la mer » remonte
à 1670 . Il s’agit de l’un des plus anciens
systèmes d’imposition existant en
France . Cette taxe ne saurait être
réduite à une histoire linéaire ou
unique, comme en témoignent les
particularismes qui demeurent sur
son taux (Guyane, Mayotte), son
introduction récente dans certains
territoires (Mayotte en 2014) ou
encore les pratiques très différenciées
d’une collectivité à l’autre . En dépit
de la suppression de son équivalent
en France hexagonale (1943) ainsi
que de la création de la taxe sur la
valeur ajoutée (TVA) en 1954, son
ancrage dans le paysage des finances
locales, après la départementalisation
de la Martinique, de la Guadeloupe, de
La Réunion et de la Guyane en 1946,
témoigne de la longévité de ce mode
d’imposition dans les outre-mer, dont
les racines (« droit de poids ») sont
encore plus anciennes .
Cette taxe participe aujourd’hui, à
de nombreux égards, aux identités
ultramarines . La plupart des élus y
sont profondément attachés . Elle est
en effet perçue comme incarnant, à
côté d’autres dispositifs, le principe de
libre administration et d’autonomie
financière des collectivités locales .
Par ailleurs elle apporte une part
très significative (près d’un-tiers) des
ressources des communes . Elle s’ajoute
aussi à des spécificités ultramarines
fortes en matière de fiscalité locale ou
nationale, dont font partie notamment
le régime spécifique de TVA en vigueur
dans les territoires concernés (la TVA
n’existe pas dans deux d’entre eux et
fait l’objet de taux réduits par rapport
à l’hexagone dans les autres) ou encore
la taxe spéciale sur la consommation
de carburants (TSCC) .
Un objectif économique
plus récent
L’objectif historique de l’octroi de
mer – abonder les budgets des
communes, puis des régions (octroi
de mer régional), par la taxation
des biens importés (y compris de
France hexagonale) – s’est doublé
plus récemment d’un objectif
économique . Ce second objectif a été
édicté pour rendre l’octroi de mer
compatible avec les règles fondatrices
de la construction européenne, qui
interdisent en principe les taxes d’effet
équivalent à des droits de douane au
sein du marché unique européen .
Les quatre décisions du Conseil
de l’Union européenne relatives au
régime de l’octroi de mer dans les
régions ultrapériphériques françaises,
adoptées en 1989, 2004, 2014 et 2021,
visent à préserver leur intégration au
marché européen, tout en prévoyant
des adaptations propres à ces régions,
telles que définies dans le traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne
(article 349) . Cet objectif de protection
6
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
fait l’objet d’une formulation précise
par le Conseil de l’Union européenne
pour le concilier avec le principe de
libre circulation des marchandises .
L’objectif exposé est en effet, non de
maintenir une barrière tarifaire à visée
protectionniste, mais de
« renforcer
l’industrie locale en améliorant sa
compétitivité »
, en s’insérant
« dans
la stratégie de développement
économique et social des régions
ultrapériphériques concernées, en
tenant compte du cadre de l’Union »,
et
« sans altérer les conditions des
échanges dans une mesure contraire à
l’intérêt commun »
Le cadre historique et institutionnel
Évolution des décisions européennes sur l’octroi de mer
Date
et référence
de la décision
Base
juridique
principale
(traité)
Dispositions essentielles
Durée
de
validité
théorique
Transposition
en droit interne
Décision n°89/688/CEE
du 22 décembre 1989
Article
227-2
- Introduction d’un octroi de mer interne
- Exonérations « à caractère
temporaire » possibles
- Pas de liste de produits annexée
- Exonérations à notifier à la Commission
pour prise de position sous deux mois
(le silence valant approbation)
- Affectation des recettes
au « développement économique
et social »
Dix ans
Loi n°92-676
du 17 juillet 1992
Décision 2004/162/CE
du 10 février 2004
Article
299-2
- Trois différentiels d’octroi de mer,
respectivement plafonnés à 10, 20
et 30 % portant sur des listes
de produits (annexes A, B et C).
- Exonération des entreprises
de moins de 550 000 euros de CA
Dix ans
Loi n°2004-639
du 2 juillet 2004
Décret
d’application
n° 2015-1077
du 26 août 2015
Décision 940/214/UE
du 17 décembre 2014
Article
349
- Trois différentiels d’octroi de mer,
respectivement plafonnés à 10, 20
et 30 % portant sur des listes
de produits (annexes A, B et C)
- Exonération des entreprises
de moins de 300 000 euros de CA
Sept ans
Loi n° 2015-762
du 29 juin 2015
modifiant la loi
n° 2004-639
du 2 juillet 2004,
suivie d’autres
ajustements
législatifs
1
Décision 2021/991
du 7 juin 2021
Article
349
- DROM de Mayotte ajouté dans
le régime
- Deux différentiels d’octroi de mer,
respectivement plafonnés à 20 %
et 30 % portant sur des listes
de produits (annexes A et B).
- Exonération des entreprises
de moins de 550 000 euros de CA
Six ans
et six
mois
Loi de finances
initiale 2022
n°2021-1900
du 30 décembre
2021, article 99,
modifiant la loi
n° 2004-639
du 2 juillet 2004
Source : Cour des comptes sur la base des décisions du Conseil de l’Union européenne
1 Loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 modifiant le régime des franchises . Loi n° 2016-1918
du 29 décembre 2016 précisant certains points dans les parties de la loi relatives au champ
d’application, à l’assiette et aux redevables du volet interne de la taxe . Loi n° 2017-256 du
28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle en outre-mer (EROM) modifiant
l’article 37 de la loi sur l’octroi de mer relatif à l’octroi de mer régional .
7
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Ces décisions européennes successives
posent des principes essentiels .
D’une part, à côté de l’octroi de mer
« historique » visant les importations
(octroi de mer « externe »), un
octroi de mer « interne » taxant les
productions locales au-delà d’un
certain seuil de chiffre d’affaires a été
introduit . D’autre part a été donnée
aux collectivités de niveau régional la
possibilité de décider un « différentiel
d’octroi de mer » applicable aux
biens importés par rapport aux
mêmes biens produits localement,
en vue de compenser les surcoûts
de la production locale . Un plafond
d’écart de taxation est ainsi autorisé
pour environ 900 biens limitativement
énumérés dans deux listes, autorisant
respectivement vingt et trente points
d’écarts de taxation en faveur des
biens produits localement . Ce dispositif
est soumis à un bilan à mi-parcours et
à un processus de renouvellement
périodique, qui doit être fondé sur
des justifications précises de la part
de l’État .
Au sein de cet objectif économique, les
ambiguïtés du modèle apparaissent
néanmoins patentes, entre, d’une part,
la compensation sur longue période,
voire de façon permanente, de handicaps
structurels eux aussi permanents et
difficilement surmontables et, d’autre
part, un dispositif de protection
temporaire destiné à permettre
de surmonter ces handicaps, de
renforcer le tissu économique local et
finalement de favoriser le rattrapage
ou la convergence des niveaux de
vie au sein de l’espace européen . Le
dosage entre ces deux considérations
fait l’objet d’une forme de « non-
dit » entre les acteurs européens,
nationaux et régionaux : en accordant
cette dérogation aux règles du
marché unique européen pour une
durée limitée, et en demandant des
justifications extrêmement précises
sur le caractère proportionné du
régime, la Commission européenne
s’inscrit plutôt dans une approche
temporaire et révisable, reportant la
charge de la preuve du bien-fondé
du régime de l’octroi de mer sur la
France, alors que les collectivités
locales s’inscrivent davantage dans la
perspective d’un dispositif pérenne .
Le cadre historique et institutionnel
8
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Le cadre historique et institutionnel
Gouvernance de l’octroi de mer : qui fait quoi ?
Sur proposition de la Commission :
Autorise à intervalles réguliers le régime de l’octroi de mer
sur la base des traités européens.
Détermine les grands principes et la liste des biens pouvant
faire l’objet d’un « différentiel ».
Propose à la Commission européenne les adaptations
au régime, rend compte de son fonctionnement.
Fixe dans la loi et les règlements le régime détaillé
de l’octroi de mer.
Dont assiette, taux plafonds, exonérations obligatoires
et facultatives.
Assure la collecte, le recouvrement et le versement
de la taxe.
L’État
Mairie
Les communes des départements
et régions d’Outre-Mer
Délibèrent sur la stratégie générale.
Fixent les taux par produits et accordent
les exonérations facultatives.
Déterminent les modalités de répartition
entre communes.
Perçoivent l’octroi de mer dit « régional »
(un quart du produit total).
Régions, département et collectivités
uniques d’Outre-mer
Sont consultées par le niveau régional.
Reçoivent la partie principale de la taxe
(les trois-quarts du produit total).
Source : Cour des comptes
9
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Un régime complexe
Du fait de la superposition de ces
deux objectifs, de financement et de
protection, et des deux catégories
d’attributaires de la taxe, communes et
régions, le dispositif a atteint un niveau
élevé de complexité . Il correspond en
effet désormais à quatre catégories de
situations : octroi de mer interne
(OMI), externe (OME), octroi de mer
régional interne (OMRI) et externe
(OMRE) . Cette complexité est amplifiée
par les dispositions plus détaillées,
législatives (loi du 2 juillet 2004) et
réglementaires (décret du 26 août 2015
notamment), qui régissent au niveau
national sa collecte et son utilisation,
s’agissant notamment des règles
d’assujettissement, des nombreuses
catégories d’exonérations obligatoires
et facultatives, des plafonds de taux
pouvant être décidés par les collectivités
locales, de la définition de la notion de
production, des règles de déductibilité
des intrants, ou encore des modalités
d’articulation de l’octroi de mer avec la
TVA . L’octroi de mer est ainsi soumis à
un enchevêtrement particulièrement
complexe de dispositions, qui nuit à la
lisibilité du régime et complique sa mise
en œuvre .
Source : Cour des comptes d’après la commission d’évaluation des politiques outre-mer
(CNEPEOM)
Le cadre historique et institutionnel
Collecte et versement de l’octroi de mer
Octroi
de
mer
Bien importé
frappé par
l’octroi de mer
externe
(total)
Direction
régionale
des finances
publiques
Départements et régions
reçoivent les recettes
de l’octroi de mer régional
Préfecture
notifie aux collectivités
les montants
et la répartition
de l’octroi de mer
Communes
reçoivent les recettes
de l’octroi de mer
Fond régional
pour le développement
et l’emploi
Bien produit
localement
frappé par
l’octroi de mer
interne (total)
Douanes
Source
de rémunération
douanière
1,5 %
Collecté
Collecté
Transféré
Distribué
Distribué
Notifiée
10
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Le cadre historique et institutionnel
Taux autorisés pour les différentes catégories d’octroi de mer
TAXES
1
1
2
2
3
3
4
4
5
5
6
6
7
7
8
8
9
9
0
0
,
,
.
.
Octroi de mer
(communes)
Octroi de mer
régional
Entre 0 et 60 %
Sauf pour alcools et tabac (entre 0 et 90 %)
À Mayotte, fourchettes augmentées de moitié
(0 à 90 %, alcools et tabacs entre 0 et 135 %)
Externe
Principe général :
taux identiques
à ceux de
l’octroi de
mer interne
Possibilité de taux
différenciés
pour une
liste limitative
de biens
prévus pour chaque DROM dans la limite de :
différentiel de 20 points de pourcentage (liste A)
différentiel de 30 points de pourcentage (liste B)
Interne
≤ 2,5 %
Sauf Guyane : ≤ 5 %
Taux supplémentaire de 2,5 % au plus sous réserve de
la signature d’un contrat de convergence avec l’État
Externe
≤ 2,5 %
Sauf Guyane 5 %
Taux supplémentaire de 2,5 % au plus sous réserve de
la signature d’un contrat de convergence avec l’État
Interne
Source : Cour des comptes
11
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Un impact positif sur le volume
et le dynamisme des recettes
des communes, une affectation
massive aux dépenses
de fonctionnement, sans impact
fort sur les investissements
L’impact sur les recettes locales
Avec des recettes nettes globales
atteignant un niveau historique
en 2022 (1 644 M€
1
), et une hausse
moyenne, tous départements
et régions d’outre-mer (DROM)
confondus, de 4,64 % par an sur
la période 2014-2022, l’octroi de
mer conforte son statut de recette
majeure et relativement insensible
aux chocs conjoncturels : son produit
n’a connu que deux baisses au cours
des vingt-cinq dernières années, de
façon marquée en 2009-2010, lors
de la crise financière et, de façon plus
modérée, en 2020, à la suite de la crise
sanitaire . Sur moyen et long terme,
sa hausse en valeur absolue est très
significative (+ 501 M€ entre 2014
et 2022 et + 1 178 M€ par rapport à
1998) .
En ratio par habitant, elle est
inégalement répartie, en raison
notamment de la différence de
structure économique et de politique
fiscale des collectivités régionales :
la Martinique et la Guadeloupe
bénéficient en 2022 de recettes par
habitant (respectivement 949 et
970 €) près de deux fois supérieures
à celles de Mayotte (520 €) et une
fois et demi supérieure à celles de
La Réunion (640 €) . L’octroi de mer
représente en moyenne 32 % des
produits de gestion des communes
des départements et régions d’outre-
mer, avec des écarts importants entre
elles . Il couvre de fait entre 43 et
57 % des dépenses de personnel
des communes . Il participe aussi à
leur équilibre budgétaire, dans
un contexte où les communes
ultramarines présentent en moyenne
des charges de personnels élevées
et des excédents plutôt faibles en
comparaison de celles de l’hexagone .
Quel est l’impact de l’octroi
de mer sur les finances locales ?
2
2 Dont 34 % pour La Réunion, 22 % pour la Guadeloupe et la Martinique, 14 % en Guyane et 8 %
pour Mayotte .
12
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Collectées par les services des
douanes, les recettes de l’octroi de
mer font l’objet d’un prélèvement
de 1,5 % pour frais d’assiette et de
recouvrement . Ces frais ne font pas
l’objet d’une comptabilité analytique
permettant de vérifier si le montant
collecté correspond aux charges réelles
de l’administration des douanes . Par
ailleurs, l’absence coutumière, sur la
base d’une interprétation contestable
de la loi, de prélèvement sur les recettes
de l’octroi de mer régional constitue
une différence de traitement entre
catégories de collectivités . Elle suscite
un manque à gagner pour les finances
publiques, estimé par les juridictions
financières à 51,3 M€ sur la période
2014-2022 . En outre, le marché unique
antillais entraîne des flux de recettes
croisées peu lisibles et comportant
des anomalies . Enfin, les actions de
contrôle et de lutte contre la fraude
ne font l’objet d’aucune remontée
d’informations consolidée de la part de
l’administration des douanes .
Répartition par DROM
des collectes nettes en M€
(cumul 2014 à 2022)
Quel est l’impact de l’octroi de mer
sur les finances locales ?
0
200
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
2022
400
600
800
1 000
1 200
1 400
1 600
1 800
Guadeloupe
Guyane
Martinique
Mayotte
La Réunion
253
159
250
83
399
252
161
261
90
407
257
161
259
94
409
269
174
268
101
424
288
179
278
88
434
288
183
273
98
432
307
193
277
96
452
317
222
305
121
486
373
240
346
133
552
Collecte nette d’octroi de mer par DROM depuis 2014 (en M€)
Source : Cour des comptes d’après DRDDI de Guadeloupe, Guyane, La Réunion, Martinique
et Mayotte
La Réunion
Martinique
Guadeloupe
Guyane
Mayotte
3 994
34 %
2 603
22 %
1 672
14 %
2 516
22 %
904
8 %
Source : Cour des comptes d’après
données DGDDI
13
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Au sein du dispositif, l’octroi de
mer interne (OMI) appliqué aux
entreprises ultramarines ne s’élève
qu’à 54 M€ (soit 3,3 % des recettes
totales de l’octroi de mer) . La mise
en place d’un octroi de mer interne
destiné à respecter le principe de
non-discrimination entre productions
locales et importations paraît donc,
dans les faits, largement théorique . La
taxation des importations demeure
très prépondérante en volume, dans
un contexte où cette dernière peut
paraître plus indolore . En effet, ses
conséquences sont plus diluées, et ses
caractéristiques sont moins porteuses
d’un risque de contestation locale, en
l’absence de traçabilité de l’impact de
l’octroi de mer sur les prix payés par
les consommateurs finaux, puisque,
par contraste avec la TVA, l’octroi de
mer n’est pas visible pour ces derniers .
Cette préférence tacite pour la
taxation des importations est en elle-
même porteuse d’une contradiction
avec l’objectif de renforcement du
tissu productif local . En effet les
collectivités locales n’ont pas, en
l’état, d’intérêt objectif à ralentir
l’abondement de leurs ressources de
fonctionnement en favorisant une
production locale qui concurrencerait
ces mêmes importations .
Quel est l’impact de l’octroi de mer
sur les finances locales ?
Part de l’OMI net collecté dans le total (OMI + OME y compris OMR) par DROM
0 %
1 %
2 %
3 %
4 %
5 %
6 %
7 %
8 %
4,5 %
3,3 %
7,4 %
5,5 %
6,3 %
4,6 %
6,4 %
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
2022
La Réunion
Martinique
Moyenne
Guadeloupe
Guyane
Mayotte
0,1 %
2,4 %
2,5 %
1,4 %
5,3 %
4,3 %
3,8 %
3,1 %
4,8 %
3,7 %
3,3 %
Source : Cour des Comptes sur la base de la population communale (Insee)
L’impact sur les dépenses locales
La répartition de la ressource issue de
l’octroi de mer entre les communes
repose sur des normes disparates et
anciennes et sur des bases juridiques
parfois incertaines . Cette ressource
prend la forme d’une dotation globale
garantie (DGG) prévue par la loi,
à savoir une prévision de recettes
prenant pour base celles constatées
l’année précédente, majorées de
la somme de la hausse prévue du
revenu national brut (RNB) et des prix
à la consommation tels qu’annexés
au projet de loi de finances . Son
14
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Quel est l’impact de l’octroi de mer
sur les finances locales ?
fonctionnement est asymétrique :
cette dotation, qui n’est en réalité pas
« garantie », est ajustée à la baisse
au cas où les recettes constatées
d’octroi de mer seraient inférieures
aux prévisions . Dans le cas contraire,
l’excédent est conservé et affecté
l’année suivante à un Fonds régional
pour le développement et l’emploi
(FRDE) .
Par le canal de la DGG, la quasi-
totalité des recettes de l’octroi de mer
est en pratique affectée à la section
de fonctionnement des communes,
sans « fléchage » particulier . Les
dépenses de fonctionnement ainsi
abondées ont un effet multiplicateur
positif sur les économies locales et
compensent la faiblesse des autres
bases fiscales existantes . L’impact
de l’octroi de mer sur les dépenses
d’investissement est pour sa part
ténu,
via
un virement éventuel à la
section d’investissement des budgets
locaux en cas d’excédent de la section
de fonctionnement . Cette affectation
de l’essentiel de la ressource à des
dépenses de fonctionnement est ainsi
porteuse d’une forme d’accoutumance,
les recettes étant dynamiques et
supérieures à la hausse du RNB sur
la période étudiée, et d’un risque
de désincitation à la recherche
d’économies de fonctionnement ou à
la maîtrise des dépenses publiques .
La partie de l’octroi de mer explicitement
destinée aux investissements, qui
s’incarne dans le Fonds régional
pour le développement économique
et l’emploi (FRDE), est elle-même
répartie en deux fractions (parts
régionale et communale) . Ce fonds
différentiel entre les recettes effectives
et les recettes prévues n’a atteint que
30,8 M€ en moyenne par an entre 2014
et 2022 pour les communes et 45 M€
pour le niveau régional . Alors que le
FRDE doit, selon la loi du 2 juillet 2004,
financer prioritairement
« des projets
facilitant l’installation d’entreprises et
la création d’emplois ou contribuant
à la réalisation d’infrastructures et
d’équipements publics nécessaires au
développement »
, il ne joue que très
marginalement ce rôle . Cela tient à
son caractère résiduel par rapport aux
dépenses de fonctionnement issues
de la dotation globale garantie, à son
caractère fluctuant et non prévisible,
peu cohérent avec l’objectif de
couverture de dépenses pluriannuelles
d’investissement, à une absence de
choix clair fait entre l’échelon régional
et communal pour concentrer et piloter
ces recettes, à un émiettement de
la ressource entre communes sur un
critère essentiellement démographique
et, enfin, à la non traçabilité fréquente
des dépenses correspondantes dans les
comptes communaux .
15
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Quel est l’impact de l’octroi de mer
sur les finances locales ?
Un régime globalement
instable et peu prévisible,
marqué par une complexité
excessive et une faible
transparence
La prévisibilité
Poursuivant des objectifs multiples,
de nature structurelle (financer
les collectivités territoriales, aider
au maintien et au développement
des productions locales), mais
aussi parfois conjoncturelle (aléas
climatiques, crise sanitaire, tensions
sociales), auxquels s’ajoutent, dans
certaines collectivités, d’autres
objectifs de politique publique
(modulation des taux effectifs à des
fins sanitaire, culturelle, écologique),
le régime de l’octroi de mer a atteint
un niveau élevé de complexité
et d’instabilité, du fait d’éléments
cumulatifs :
l
les incertitudes liées à l’inscription,
aux ajouts, retraits ou changements
périodiques de biens sur les listes
européennes ;
l
le nombre, certes différencié d’un
territoire à l’autre, mais élevé, des
taux effectifs décidés pour l’octroi
de mer interne et surtout externe
(de sept à seize taux différents
constatés), qui peuvent s’appliquer
à quelque 15 000 lignes tarifaires
distinctes et dans une fourchette
par ailleurs large autorisée par la loi
(entre 0 et 60 % dans le cas général,
avec des modulations à la hausse
possibles pour certains produits et
territoires) ;
FRDE moyen par rapport à la collecte nette
2014 à 2020 par DROM
La Réunion
Martinique
Guadeloupe
Moyenne
Guyane
Mayotte
5,6 %
6,8 %
3,3 %
7,9 %
9,1 %
22,8 %
Source : Cour des Comptes d’après données douanes
16
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Quel est l’impact de l’octroi de mer
sur les finances locales ?
l
à l’exception de la région de
La Réunion, l’absence d’alignement
des décisions prises en matière de
taux pour le niveau communal et
régional, l’octroi de mer régional
n’étant pas mis en œuvre dans
les faits sous la forme d’un taux
additionnel aux recettes destinées
aux communes, mais comme une
taxe ayant, en quelque sorte, sa « vie
propre » par rapport aux biens taxés ;
l
le rythme de modification de ces
mêmes taux, en général annuel mais
qui peut localement couvrir une
période infra-annuelle, ce qui est
le cas en pratique dans plusieurs
collectivités .
L’ensemble de ces éléments rend
l’élaboration d’un modèle économique
pluriannuel en partie aléatoire
pour les acteurs économiques . Les
modalités actuelles de pilotage du
dispositif tendent ainsi à privilégier
les entreprises en place maîtrisant les
procédures régionales et en mesure
de justifier leurs demandes ou, le cas
échéant, ayant la capacité financière de
recourir à des cabinets de consultants
spécialisés dans le traitement de ces
dossiers, tant auprès des services du
conseil régional ou de la collectivité
territoriale unique que, le cas échéant,
de la Commission européenne .
L’élaboration des délibérations
et leur motivation
L’absence de prévisibilité de l’octroi
de mer se double d’un degré de
transparence insatisfaisant sur
les motivations des décisions
d’exonérations facultatives et de
changements de taux, en l’absence
de corrélation systématique avec les
stratégies de développement des
territoires et faute de publication
systématique des motifs guidant
les décisions . Les parties prenantes
sont associées, selon des modalités
variables d’un DROM à l’autre,
aux discussions préalables et aux
décisions . Mais l’accessibilité aisée
et homogène à des informations
claires et explicites pour les citoyens
et contribuables ou des entités
économiques non familières de cette
taxe, fait aujourd’hui largement
défaut dans la plupart des territoires .
Pour prendre les décisions dont la
loi leur confie la responsabilité, les
collectivités locales sont par ailleurs
dépendantes des informations que
l’administration des douanes leur
communique souvent tardivement,
sur des bases hétérogènes, et dont
certaines ne sont pas exploitables au
motif avancé du secret statistique .
Il existe par ailleurs peu de bases de
données internes disponibles, les
collectivités faisant fréquemment
appel à des prestataires privés
spécialisés pour les retraiter . La
motivation des exonérations, qui
devrait figurer dans les rapports
explicatifs que les collectivités locales
doivent transmettre à l’État, sont
rarement fournies, dans des délais par
ailleurs fréquemment supérieurs à
celui prévu de six mois après l’exercice
concerné .
Cette situation est d’autant plus
regrettable que le coût cumulé
des exonérations et des différentiels
d’octroi de mer (taxes non perçues)
est significatif . Son montant est en
effet supérieur à 490 M€ par an . La
reconstitution de cette dépense fiscale
paraît particulièrement complexe et non
consensuelle entre les parties prenantes .
17
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Quel est l’impact de l’octroi de mer
sur les finances locales ?
On peut toutefois estimer que sur 100 €
encaissés sur la période 2015-2019,
près d’un-tiers supplémentaire (37 €)
correspond à des recettes potentielles
non encaissées liées, d’une part, au
différentiel d’octroi de mer et, d’autre
part, aux différentes exonérations au
paiement de la taxe .
L’autonomie très relative
des collectivités locales
L’octroi de mer est considéré comme
une garantie de l’autonomie des
collectivités locales, entendue comme
leur libre administration et capacité à
disposer de ressources propres . Dans
les faits, celle-ci est très forte pour
le niveau régional en comparaison
de l’hexagone en matière de taux et
d’exonérations, mais quasi inexistante
pour les communes, qui sont pourtant
de loin les premières bénéficiaires
de la recette (75,8 % en moyenne
sur 2014-2022) . Ces dernières ne
décident ni de l’assiette, ni des taux,
ni des exonérations, ni des critères de
répartition de la ressource . Elles sont
seulement consultées, sous des formes
variables et inégales d’un territoire
à l’autre . En revanche, les régions ou
collectivités uniques disposent d’une
large marge pour fixer les taux et
exonérations facultatives, dans les
limites fixées par les décisions du
Conseil de l’Union européenne .
19
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Les impacts économiques de l’octroi
de mer apparaissent, selon la
présente évaluation, soit comme non
décelables, soit, sur plusieurs aspects,
comme mitigés, voire négatifs en
termes d’efficience et de cohérence,
en particulier sur le niveau des prix à
la consommation . L’effet de levier de
l’octroi de mer sur le développement
et le renforcement de la compétitivité
des territoires d’outre-mer paraît
quant à lui incertain .
Une contribution limitée
à la compensation des handicaps
ultramarins, par ailleurs porteuse
de risques et d’incohérences
La notion de handicaps structurels :
le passage délicat de la théorie
à la pratique
Le différentiel d’octroi de mer vise à
compenser les handicaps structurels
auxquels sont exposés les territoires
ultramarins . Ces handicaps, dont
la liste figure dans le traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne,
entraînent des surcoûts de production
spécifiques que le différentiel d’octroi de
mer est censé permettre de compenser
en tout ou partie . Les estimations de
ces surcoûts, réalisées pour vérifier
qu’ils font l’objet d’une compensation
adéquate, sont plus ou moins élaborées
et précises . En raison de la complexité
du système, de la qualité inégale des
données disponibles et de la présence
d’un nombre élevé d’aides au système
productif ultramarin, les méthodes
et calculs employés ne permettent
de s’assurer qu’imparfaitement de la
contribution du différentiel d’octroi de
mer à l’objectif de compensation qui lui
est assigné, ni de son caractère équitable .
Les listes de biens protégés :
des progrès méthodologiques
nécessaires
De façon générale, les listes de biens
susceptibles de faire l’objet d’un
différentiel d’octroi de mer, de même que
les taux et exonérations effectivement
appliqués, semblent davantage relever,
dans un certain nombre de cas, d’accords
locaux de circonstance ou d’un héritage
historique que d’une vision économique
étayée et valide sur le long terme au
regard de leur rapport coût-efficacité,
notamment pour le consommateur
final . Des avancées méthodologiques
apparaissent nécessaires, en lien avec
l’Insee, afin de définir de façon plus
explicite, objective et transparente, les
productions locales stratégiques et
pouvant à terme servir une partie plus
significative de la demande locale, et de
suivre la quantité, la qualité et l’évolution
des emplois « protégés » . Il convient
également de mieux objectiver les
seuils de vigilance sur les importations
dommageables à moyen et long terme,
en veillant à ne pas annihiler toute forme
de concurrence de la part de nouveaux
entrants sur les marchés concernés .
Quel est l’impact de l’octroi
de mer sur le développement
des économies locales ?
3
20
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Quel est l’impact de l’octroi de mer
sur le développement des économies locales ?
Des contre-pouvoirs étatiques
peu apparents
Le rôle des ministères chargés de
s’assurer de la qualité, de l’exhaustivité
et de la sincérité des justifications à
apporter aux instances européennes
sur les surcoûts justifiant l’octroi de
mer apparaît, quant à lui, incertain . Les
études afférentes sont confiées à des
cabinets privés, en nombre très limité,
dont le positionnement, nonobstant
leur sérieux, n’est par définition pas
neutre . Par ailleurs la robustesse des
méthodes de calcul des surcoûts
justifiant les différentiels de taux
entre importations et productions
internes n’est pas totale . Les données
nécessaires sont fournies directement
par les entreprises, et apparemment
non contrôlées par l’État, avant
soumission du dossier à la Commission
européenne . Aucun contrôle public
approfondi n’est effectué de manière
indépendante, la Commission étudiant
essentiellement « les grandes masses »
et l’aspect macro-économique à partir
des données fournies . De surcroît,
l’évaluation a conduit à émettre des
doutes sur l’exhaustivité de la prise en
compte de l’ensemble des soutiens
déclarés par la France en appui aux
territoires dans le calcul des surcoûts
justifiant le différentiel d’octroi de mer .
Des effets économiques
sur la compétitivité des entreprises
bénéficiant du différentiel d’octroi
de mer non quantifiables et le plus
souvent non avérés
Les effets économiques de l’octroi
de mer apparaissent au mieux non
quantifiables . Ils sont le plus souvent
non avérés sur la compétitivité des
entreprises bénéficiant du différentiel
d’octroi de mer .
En premier lieu, la complémentarité
de l’octroi de mer avec les autres
aides aux entreprises (nationales,
locales et européennes) mériterait
sans doute d’être réétudiée afin de
s’assurer, d’une part, de leur cohérence
d’ensemble et, d’autre part, de
l’absence de surcompensation dont les
modalités de contrôle sont largement
perfectibles (selon la Commission,
« une analyse complète du cumul des
aides au niveau d’un produit spécifique
est actuellement irréalisable »
) .
L’effet direct de l’octroi de mer sur
la santé et le développement du tissu
entrepreneurial ultramarin est au mieux
non démontré, au pire négligeable .
S’agissant de la protection effective des
branches bénéficiant du différentiel
d’octroi de mer, les calculs effectués
par les juridictions financières (selon la
méthode économétrique de « régression
sur discontinuité ») ne permettent pas de
conclure quant à la causalité de l’octroi de
mer sur la variation de la compétitivité des
entreprises des départements et régions
d’outre-mer Quant à l’effet sur la création
d’entreprises, il reste globalement faible
selon les estimations de la présente
évaluation, qui constate cependant
que l’octroi de mer a tendance plutôt à
favoriser les entreprises présentes qu’à
susciter des créations d’entreprises .
Si l’octroi de mer protège les entreprises
en place, il présente un réel risque de
glissement de sens entre l’intention
initiale visant à protéger des secteurs
économiques et ses effets pratiques
conduisant à protéger un nombre parfois
très limité d’entreprises . L’extrême
précision de cette liste expose les
décideurs à des risques de pression
de la part des entreprises concernées .
Sous couvert de compensation, légitime,
de handicaps structurels, le dispositif
est également de nature à favoriser la
préservation des positions acquises . Ce
risque est important lorsque l’ouverture
à la concurrence n’est pas garantie .
21
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Des impacts dilués mais
négatifs sur la cherté de la vie,
une dépendance aux flux
d’importations inchangée
4
Niveau des prix
L’octroi de mer ne constitue qu’un
facteur explicatif de la cherté de
la vie dans les outre-mer, parmi de
nombreux autres (tels que le coût du
fret et des assurances, les marges des
importateurs et distributeurs, les effets
des rémunérations complémentaires
des agents publics, etc .), dans une
proportion par ailleurs difficilement
quantifiable (les chiffrages, de
forte amplitude, évoluent dans une
fourchette de 4 à 10 %) .
Son effet est plus marqué sur certains
biens et sur les populations les plus
fragiles . Il participe dès lors à un cumul
d’éléments négatifs sur le niveau des
prix, dans un contexte où son assiette
même (incluant les frais de fret et
d’assurance) contribue de façon
mécanique à la hausse des prix, et où de
nombreux biens de première nécessité,
non produits dans les départements et
régions d’outre-mer, ou produits dans
une proportion limitée, sont assujettis
à des taux parfois très élevés . S’y ajoute
le problème majeur de la cohabitation
dysfonctionnelle entre la TVA et l’octroi
de mer : alors que l’exclusion de l’octroi
de mer de l’assiette de la TVA est prévue
par l’article 45 de la loi du 2 juillet 2004,
cette disposition est en pratique
partiellement et inégalement appliquée,
l’octroi de mer étant dilué dans la chaîne
de formation des prix et se transformant
en élément de coût pour les productions
auxquelles s’applique la TVA .
Exemples d’octroi de mer externe (OME) et d’OME régional (OMER)
sur des produits de base taux en %
OME
OMER
OME
OMER
OME
OMER
OME
OMER
OME
OMER
Guadeloupe
La Réunion
Martinique
Guyane
Mayotte
OEufs
20
2,5
4
2,5
20
2,5
2,5
2,5
2,5
2,5
Biscotte
7
2,5
15,5
2,5
7
2,5
15
2,5
17,5
2,5
Confiture
25
2,5
4
2,5
20
2,5
20
2,5
20
2,5
Farine
25
2,5
4
2,5
25
2,5
0
0
2,5
2,5
Fromage râpé
2
2,5
4
2,5
7
2,5
12,5
2,5
17,5
2,5
Savon liquide
7
2,5
10,5
2,5
10
2,5
15
2,5
2,5
2,5
Source : Cour des comptes d’après délibérations des collectivités concernées 2022 et 2023
22
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
De façon générale, l’effet de l’octroi de
mer sur le maintien voire l’augmentation
du pouvoir d’achat des consommateurs
apparaît comme un enjeu négligé .
Ses finalités principales et explicites
(financement des collectivités locales,
protection des entreprises) ont depuis
longtemps relégué au second plan
ses effets pourtant négatifs pour les
consommateurs finaux, car dilués,
malaisément mesurables et peu
traçables . Des exonérations ponctuelles
ont été décidées par certaines
collectivités locales pour faire face
aux tensions sociales . Cependant ces
dernières ne se sont pas attaquées à
la racine du problème, qui tient aux
caractéristiques mêmes de l’octroi de
mer, dont les ressources restent assises
en quasi-totalité sur la taxation de biens
importés, pour partie non substituables
avec des biens produits localement, ou
correspondant à une offre locale limitée
et insusceptible, même à terme, de
saturer la demande intérieure .
L’impact négatif de l’octroi de mer
sur certains services publics est par
ailleurs avéré, avec un montant payé
par ces derniers au titre des biens
importés pour assurer leurs missions
de 27 M€ au minimum en 2022 et de
159 M€ depuis 2017 . Cette charge a
notamment pesé sur les budgets
des structures hospitalières déjà
financièrement fragiles, mais aussi sur
les administrations régaliennes pour
l’importation de biens destinés à des
missions relevant exclusivement de
l’État (matériels destinés à des missions
de défense et de sécurité ou à la
surveillance des frontières) . Les biens
concernés peuvent certes faire l’objet
d’exonérations . Cependant ces dernières,
qui relèvent du seul bon vouloir des
collectivités concernées, peuvent donner
lieu à de longues négociations .
Commerce extérieur
L’octroi de mer, auquel s’ajoute pour les
importateurs hors Union européenne
le tarif extérieur commun dans le
cadre de la politique commerciale
communautaire, joue objectivement un
rôle protecteur vis-à-vis des importations,
mais n’est pas conçu comme un outil de
soutien aux exportations . Pour autant,
son rôle ne devrait pas être neutre à ce
sujet . Il est en effet supposé permettre
aux entreprises de consolider leurs
positions sur le marché local, de dégager
des marges de manœuvre pour investir,
augmenter leur taille et au final exporter
davantage vers le marché de l’Union, qui,
de façon asymétrique, leur est ouvert
sans obstacle tarifaire ou non tarifaire . Or,
la corrélation entre les secteurs protégés
par le différentiel d’octroi de mer et
leurs performances à l’exportation
n’est pas établie . Les exportations des
départements et régions d’outre-mer
vers l’Union européenne hors France
hexagonale restent faibles (7,7 % des
exportations des DROM en 2022) . Elles
sont en décalage fort par rapport aux
performances de certains petits pays
insulaires peu peuplés, connaissant des
handicaps comparables, et non membres
du marché unique .
Au final, la question de l’insertion des
départements et régions d’outre-mer
dans les chaînes de valeur mondiales,
au-delà de la relation avec l’hexagone,
ne paraît pas, à ce stade, clairement
posée . L’approche défensive et
protectrice incarnée par l’octroi de
mer n’est en effet pas propice à une
insertion accrue des départements
et régions d’outre-mer dans leur
environnement régional immédiat . Cet
enjeu est tout sauf théorique, au regard
à la fois des stratégies mises en place
par d’autres petits États et territoires
Des impacts dilués mais négatifs sur la cherté
de la vie, une dépendance aux flux
d’importations inchangée
23
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
insulaires aux caractéristiques voisines,
de la modification de l’environnement
géoéconomique qui leur est proche,
et des enjeux écologiques associés
(émissions liées aux transports
maritimes et aériens) . En pérennisant
une dépendance aux importations pour
garantir un certain niveau de ressources
fiscales, l’octroi de mer, dans sa forme
actuelle, ne constitue pas un élément
d’incitation fort pour modifier le modèle
de commerce extérieur existant .
Des impacts dilués mais négatifs sur la cherté
de la vie, une dépendance aux flux
d’importations inchangée
25
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Conclusion
et recommandations
Taxe aux caractéristiques ambiguës
et aux objectifs ambivalents, l’octroi
de mer apporte des recettes très
significatives et dynamiques aux
collectivités locales ultramarines, au
prix d’un régime particulièrement
complexe, marqué par certaines
incohérences ainsi que par des
éléments d’instabilité et d’opacité .
Ses objectifs politiques ne sont que
marginalement et imparfaitement
atteints et ses impacts économiques
apparaissent mitigés, voire pour partie
négatifs . L’évaluation conduit dès lors
à considérer que les inconvénients
du système actuel l’emportent
nettement sur ses avantages (avec
des nuances d’un territoire à l’autre),
en termes d’efficience, de cohérence
interne et externe, et d’impact, comme
l’indique le tableau ci-dessous .
Résumé de la réponse aux questions évaluatives
Question évaluative
Réponse succincte
Dans quelle mesure l’octroi de mer
a-t-il un impact sur les recettes et
dépenses locales ?
Un impact positif sur le volume et le dynamisme
des recettes des communes, une affectation
massive aux dépenses de fonctionnement, sans
impact fort sur les investissements.
Dans quelle mesure les décisions
relatives à l’octroi de mer sont-elles
transparentes et prévisibles ?
Un régime globalement instable et peu prévisible,
marqué par une complexité excessive et une faible
transparence.
Dans quelle mesure l’octroi de mer
permet-il de surmonter les handicaps
structurels des territoires concernés ?
Une contribution limitée à la compensation des
handicaps ultramarins, par ailleurs porteuse de
risques et d’incohérences.
Dans quelle mesure l’octroi de mer
influe-t-il sur la compétitivité des
entreprises locales ?
Des effets économiques sur la compétitivité des
entreprises bénéficiant du différentiel d’octroi de
mer non quantifiables et le plus souvent non
avérés.
Quels sont les effets de l’octroi de
mer sur l’économie des départements
et régions d’outre-mer ?
Des impacts dilués mais négatifs sur la cherté de la
vie, une dépendance aux flux d’importations
inchangée.
Source : Cour des comptes
26
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Conclusion
et recommandations
Au terme de cette évaluation, trois
grands scénarios paraissent ouverts
pour l’avenir d’une taxe qui apparaît
désormais à la croisée des chemins :
l
le
statu quo
 : compte tenu des
constats figurant dans le présent
rapport en réponse aux questions
évaluatives (efficacité, efficience,
cohérence, impact), cette option
paraît devoir être écartée .
l
un scénario « de rupture » : il
conduirait à substituer à l’octroi
de mer une nouvelle ressource, qui
pourrait s’appuyer sur le modèle
de la TVA
via
notamment une
« TVA régionale » . Nécessitant
une étude d’impact complète
sortant du cadre du présent
rapport, ce scénario ne saurait
être écarté par principe à moyen
et long terme . Ses modalités
pourraient faire l’objet d’une
gradation (expérimentation
ou non, temporalité, mesures
d’accompagnement) . Il gagnerait
par ailleurs, s’il était retenu, à
s’inscrire dans une réflexion
plus générale sur la cohérence
et l’efficacité des dispositifs
spécifiques mis en place au niveau
européen, national et régional
en appui à la convergence
économique des outre-mer, ainsi
que sur l’opportunité de mener
à bien d’autres réformes ayant
notamment fait l’objet de travaux
des juridictions financières
(ainsi des rémunérations
complémentaires des agents
publics
1
) .
l
un scénario réformiste : il ne
saurait selon les juridictions
financières se limiter à quelques
mesures éparses et de faible
portée mais appréhender d’un
point de vue systémique les
correctifs majeurs à apporter au
régime actuel . Cinq paramètres
interdépendants sont à prendre
en compte à cet égard : le coût
de la réforme pour les finances
publiques, la garantie des recettes
pour les collectivités locales,
les modalités de protection des
productions locales exposées à la
concurrence, le degré d’autonomie
fiscale des collectivités régionales
ultramarines, et les enjeux de la
lutte contre la cherté de la vie .
3 Cour des comptes,
Les compléments de rémunération des fonctionnaires outre-mer
, référé,
septembre 2023 .
27
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Conclusion
et recommandations
Ce troisième scénario, réformiste
mais ambitieux, constitue l’hypothèse
centrale recommandée à court terme
à l’issue de cette évaluation . Les
juridictions financières formulent à
cet égard douze recommandations
précises, qui relèvent de quatre
grandes orientations pouvant guider
la réforme de l’octroi de mer :
Renforcer le pilotage et le contrôle
du dispositif
1.
D’ici fin 2024, renforcer le rôle
de pilotage de l’État en matière de
contrôle de gestion, de détection des
erreurs et fraudes, de fiabilisation des
flux au sein du marché unique antillais
et d’harmonisation des normes et
pratiques des services déconcentrés
de l’administration des douanes, en
particulier sur les modalités et délais
d’échanges de données avec les
collectivités
(ministère de l’économie,
des finances et de la souveraineté
industrielle et numérique)
2.
D’ici 2025, appliquer des frais
d’assiette et de recouvrement pour
l’octroi de mer régional, en clarifiant
les textes applicables si nécessaire, et
fiabiliser à cette occasion le montant
des coûts réels liés à ce service en
vue d’actualiser le cas échéant le
taux applicable pour les communes
(ministère de l’économie, des finances
et de la souveraineté industrielle et
numérique)
3.
D’ici 2025, en vue de déterminer de
façon exacte et sincère le différentiel
d’octroi de mer pertinent, établir une
méthode unique de calcul des surcoûts
applicable à l’ensemble des DROM,
veiller à l’exhaustivité de la déclara-
tion des subventions européennes,
nationales et locales vis-à-vis de la
Commission européenne et assurer
une contre-expertise publique indé-
pendante des calculs correspondants
selon une méthodologie qui ne repose
pas uniquement sur les déclarations
des entreprises assujetties
(ministère
de l’intérieur et des outre-mer)
Optimiser l’emploi des ressources
4.
D’ici 2025, en concertation avec
les cinq collectivités, augmenter
l’affectation des ressources issues
de l’octroi de mer à l’investissement
en plafonnant la hausse des recettes
de l’octroi de mer consacrées au
fonctionnement des collectivités
(DGG) et en affectant le différentiel
exclusivement à des dépenses
d’investissement
via
le Fonds régional
pour le développement économique
et l’emploi
(ministère de l’économie,
des finances et de la souveraineté
industrielle et numérique et ministère de
l’intérieur et des outre-mer, en lien avec
les cinq collectivités régionales, uniques
et départementale de Guadeloupe,
Martinique, Guyane, La Réunion et
Mayotte).
5.
D’ici 2025, affecter la moitié, voire
la totalité des recettes du FRDE
aux collectivités de niveau régional
afin de financer des dépenses
d’investissement structurantes et
aux impacts mesurables pour la
compétitivité des territoires
(ministère
de l’économie, des finances et de la
souveraineté industrielle et numérique
et ministère de l’intérieur et des outre-
mer, en lien avec les cinq collectivités
régionales, uniques et départementale
de Guadeloupe, Martinique, Guyane, La
Réunion et Mayotte).
28
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Conclusion
et recommandations
Adopter des mesures substantielles
de simplification, de transparence et
de lisibilité du dispositif
6.
D’ici 2025, prévoir une simplification
du nombre de taux pouvant être
décidés pour l’octroi de mer externe,
a minima
sous forme de taux inscrits
dans des fourchettes, en passant à
un nombre plus réduit et plus lisible
(ministère de l’économie, des finances
et de la souveraineté industrielle et
numérique et ministère de l’intérieur
et des outre-mer, en lien avec les
cinq collectivités régionales, uniques
et départementale de Guadeloupe,
Martinique, Guyane, La Réunion et
Mayotte)
7.
D’ici 2025, rendre obligatoire
l’alignement de l’assiette pour les
régions et les communes en faisant du
taux régional un taux additionnel à celui
décidé pour les communes
(ministère
de l’économie, des finances et de la
souveraineté industrielle et numérique
et ministère de l’intérieur et des outre-
mer, en lien avec les cinq collectivités
régionales, uniques et départementale
de Guadeloupe, Martinique, Guyane, La
Réunion et Mayotte)
8.
D’ici 2025, intégrer le principe
d’une limitation des changements
de taux et d’exonérations à une
fois par an maximum dans un seul
document public, sauf circonstances
exceptionnelles et impératives dûment
justifiées, et simplifier le système
d’exonération des biens utilisés dans
le cadre d’activités commerciales
(intrants),
(ministère de l’économie,
des finances et de la souveraineté
industrielle et numérique et ministère de
l’intérieur et des outre-mer, en lien avec
les cinq collectivités régionales, uniques
et départementale de Guadeloupe,
Martinique, Guyane, La Réunion et
Mayotte)
9.
D’ici fin 2024, adopter dans l’ensemble
des DROM un règlement sur les
modalités de recevabilité et d’examen
des demandes de modifications de
taux et d’exonérations, justifier de
façon publique et transparente
dans les délibérations les décisions
d’exonérations et développer un accès
numérique pour le public à l’ensemble
des textes applicables et délibérations
relatives à l’octroi de mer et à un
simulateur des montants susceptibles
de devoir être versés par les opérateurs
économiques
(collectivités régionales,
uniques ou départementale de
Guadeloupe, Martinique, Guyane, La
Réunion et Mayotte).
Atténuer les effets de l’octroi de mer
sur le niveau des prix
10.
D’ici 2025, étudier la possibilité
d’exclure de l’assiette de l’octroi de
mer les frais d’assurance et de fret,
plafonner durablement l’octroi de mer
(interne et externe) pour des produits
de première nécessité et dresser un
bilan de l’application de l’article 45
de la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004,
qui dispose que l’octroi de mer et
l’octroi de mer régional ne sont pas
compris dans la base d’imposition
de la taxe sur la valeur ajoutée, en
tirant toutes les conséquences des
difficultés avérées d’articulation
entre les deux taxes
(ministère
de l’économie, des finances et de la
souveraineté industrielle et numérique
et ministère de l’intérieur et des outre-
mer, en lien avec les cinq collectivités
régionales, uniques et départementale
de Guadeloupe, Martinique, Guyane, La
Réunion et Mayotte)
29
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Conclusion
et recommandations
11.
D’ici 2025, étudier la possibilité
d’exclure de l’assujetissement à
l’octroi de mer externe les produits
pour lesquels existe un monopole
local (par exemple plus de 90 %)
ou à l’inverse pour lesquels la
production locale pour des produits
équivalents est très faible (moins de
10 %) et
a fortiori
inexistante, sauf
justification étayée et discutée avec
l’État
(collectivités régionales, uniques
et départementale de Guadeloupe,
Martinique, Guyane, La Réunion et
Mayotte)
12.
D’ici 2025, prévoir une exonération
obligatoire et non plus facultative
du paiement de l’octroi de mer et de
l’octroi de mer régional à l’importation
pour les biens concourant aux
missions régaliennes de l’État et à
la santé
(ministère de l’économie,
des finances et de la souveraineté
industrielle et numérique et ministère
de l’intérieur et des outre-mer, en lien
avec les cinq collectivités régionales,
uniques et départementale de
Guadeloupe, Martinique, Guyane, La
Réunion et Mayotte)
Les tensions au sein des objectifs de réforme
A
r
b
i
t
r
a
g
e
s
Coût
neutre
des réformes
pour l’État
Lutte
contre
la cherté
de la vie
Garantie
de
ressources
dynamiques
Protection
des productions
locales
exposées à la
concurrence
externe
Autonomie
fiscale
des collectivités
(pouvoir de taux
et exonérations)
Source : Cour des comptes