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Les missions de l’Agence de la biomédecine après la dernière loi de bioéthique

COUR DES COMPTES

L’Agence de la biomédecine (ABM) est un établissement public à caractère administratif créé par la loi de bioéthique du 6 août 2004 et placé sous la tutelle du ministère chargé de la santé. Ayant succédé à l’ancien Établissement français des greffes, elle joue un rôle de premier plan en matière de prélèvement et de greffe d’organes, de tissus et de cellules souches hématopoïétiques (CSH) ainsi que d’embryologie et de génétique humaines (PEGh). Le contrôle mené à la demande de la commission des affaires sociales du Sénat s’est d’abord attaché à tirer les conséquences de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique sur les missions de l’agence, puis à passer en revue les autres missions de l’ABM.

Des droits nouveaux en matière d’AMP appelant une surveillance renforcée de l’agence

La nouvelle loi de bioéthique a introduit plusieurs évolutions dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation (AMP) qui ont engendré trois types de tension. D’abord, l’ouverture aux couples de femmes et aux femmes seules, qui répond à un besoin réel, a entrainé la constitution d’une liste d’attente (5 650 fin 2022) ainsi qu’un allongement des délais d’accès (14 mois fin 2022, soit + 20 % sur un an). Ensuite, la nouvelle possibilité d’autoconservation de gamètes en dehors de tout motif médical, qui a connu un développement rapide, est marquée par des délais d’attente de plus en plus longs, notamment en Île-de-France (24 mois fin 2022). Enfin, la mise en œuvre du droit d’accès aux origines pour les personnes conçues par AMP, entré en vigueur le 1er septembre 2022, s’avère délicate en raison des difficultés rencontrées pour retrouver les anciens donneurs. Le droit d’accès aux origines, donc la fin de l’anonymat, n’a pas réduit le nombre de donneurs, contrairement aux craintes initiales. En revanche, il emporte des conséquences sur le stock de gamètes disponibles puisque, à compter du 31 mars 2025, les gamètes issus de donneurs non identifiables ne seront plus utilisables.
Au vu de ces difficultés, qui s’ajoutent au problème de l’insuffisance de dons d’ovocytes, les missions de l’ABM pour encourager les dons de gamètes apparaissent plus que jamais essentielles. L’agence joue également un rôle important dans le contrôle de l’utilisation des financements alloués aux nouveaux parcours d’AMP et le suivi de l’état de santé des enfants nés d’une AMP ainsi que des femmes y ayant eu recours. À terme, l’agence pourrait utilement se voir confier une mission de répartition des stocks de gamètes, ce qui suppose une connaissance en temps réel de l’état des réserves et des besoins, dont elle ne dispose pas pour l’instant.
La nouvelle loi de bioéthique a également apporté quelques modifications dans les autres domaines de compétences de l’agence (assouplissement des dons croisés, possibilité de don de moëlle osseuse par des mineurs et des majeurs protégés au bénéfice des parents, simplification du régime applicable aux recherches sur les cellules souches), qui demeurent pour l’instant peu effectives.

Un pilotage perfectible en matière de prélèvement et de greffe d’organes et de tissus

Les objectifs de prélèvement et de greffe d’organes, fixés dans le cadre du plan ministériel 2017-2021, n’ont pas été atteints. La chute brutale d’activité en 2020 liée à la crise sanitaire a aggravé une situation déjà dégradée (diminution du nombre de greffes, de donneurs recensés et de prélèvements entre 2017 et 2019). Sur le plan international, le positionnement globalement favorable de la France recouvre des situations contrastées selon les filières ainsi qu’un important retard concernant les greffes réalisées à partir de donneurs vivants.
En dépit d’une adhésion majoritaire au prélèvement d’organes et de tissus, le taux d’opposition est régulièrement supérieur à 30 % depuis près de 20 ans, et même à 40 % dans certains territoires. L’agence dispose de leviers pour agir, au moins en partie, sur ce taux (communication, audits, formations), qui pourraient être mieux exploités. Il existe de fortes disparités territoriales pour l’accès à la liste nationale d’attente, qui ne cesse de croître (28 538 inscrits fin 2022) ainsi que pour la répartition des greffons, en particulier rénaux. L’agence dispose d’une connaissance limitée des besoins à satisfaire en matière de greffe de tissus, tandis que la qualité des prélèvements réalisés demeure problématique, appelant une réforme du pilotage du réseau des banques de tissus. Les méthodes utilisées par l’agence pour évaluer l’activité des équipes de greffes ne permettent pas toujours de réagir rapidement, même en cas de dysfonctionnements graves. L’amélioration de la qualité des transplantations passe aussi, pour certains organes comme le cœur et les poumons, par l’introduction de seuils minima d’activité.

Une coordination des activités de prélèvement et de greffe des CSH à améliorer

Les plans ministériels successifs ont prévu des objectifs de développement du registre « France greffe de moelle » qui permet de rechercher en temps réel les meilleurs donneurs et greffons disponibles puis de coordonner l’organisation du prélèvement. Sur le plan quantitatif, les cibles fixées ont été dépassées dès les premières années d’exécution, du fait de la faiblesse des ambitions affichées. Sur le plan qualitatif, malgré les actions visant à rajeunir, masculiniser et diversifier la population inscrite, le profil des donneurs reste encore très largement féminin (66 % en 2022) et relativement peu varié. En conséquence, les médecins greffeurs sont contraints de se tourner vers les registres internationaux afin de trouver des cellules compatibles aux besoins. Cette dépendance internationale dépasse désormais 90 %. Le dernier plan ministériel prévoit de la ramener à 75 % d’ici 2026. Elle affecte également l’équilibre financier et comptable de l’agence, puisque le recours aux registres internationaux représente plus de 45 % de son budget (39,6 M€ sur 87,8 M€ en 2023) et nécessite de traiter plus de 15 000 factures par an.