Des réalisations en deçà des ambitions affichées
Le « plan 15 000 places de prison », conçu pour lutter contre la surpopulation carcérale, améliorer les conditions de détention et renforcer la préparation à la sortie, est très loin d’avoir atteint ses objectifs. Sept ans après son lancement, seules 5 411 places nettes ont été livrées, soit environ 35 % des 15 471 places prévues, alors même que la population carcérale a continué d’augmenter fortement, atteignant plus de 84 000 détenus en 2025 pour moins de 63 000 places disponibles. Le plan se distinguait par un accent mis sur la création de nouveaux établissements, en particulier de maisons d’arrêt, et par le développement de structures innovantes comme les structures d’accompagnement vers la sortie (SAS) et InSERRE (Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l’emploi), mais ces ambitions quantitatives et qualitatives ont été compromises. Les projections de population pénale se sont révélées dépassées, tous les effets attendus des réformes visant à réduire l’incarcération ne se sont pas matérialisés, et les livraisons de places ont été très inférieures aux prévisions. Les retards s’expliquent principalement par les difficultés d’acquisition et de maîtrise du foncier, la lourdeur et la durée des procédures d’urbanisme et environnementales, de nombreux contentieux, ainsi que par des aléas propres aux opérations immobilières aggravés par des ajustements fréquents du programme, qui ont concerné plus d’un tiers des projets initiaux. L’ensemble de ces facteurs a conduit à une mise en œuvre fragmentée et continuellement réajustée du plan, dans un contexte de surpopulation carcérale persistante, rendant l’objectif central de résorption durable de cette surpopulation toujours hors de portée.
Une forte augmentation des coûts obérant la soutenabilité du plan
Le « plan 15 000places de prison » connaît de forts dérapages financiers et calendaires qui fragilisent sa soutenabilité budgétaire. Initialement estimé à 3,9 Md€, son coût total a été réévalué à 5,7 Md€ en 2025 (+46 %), sous l’effet cumulé de l’inflation, de la crise des matériaux, de retards de chantiers et de modifications programmatiques, avec un pilotage longtemps insuffisant. Sept ans après son lancement, seules 22 opérations sur 50 ont été livrées, pour 1,84 Md€ de crédits de paiement dépensés, tandis que 3,2 Md€ d’autorisations d’engagement restent à financer pour les opérations à venir, repoussant l’achèvement du plan à l’horizon 2031-2032. La gouvernance du programme, marquée par l’absence initiale de structures dédiées et de suivi interministériel, n’a commencé à se renforcer qu’à partir de 2024, sans que les dispositifs prévus (comité d’audit de l’agence publique pour l’immobilier de la justice et comité interministériel des investissements) soient encore pleinement opérationnels. Par ailleurs, la lisibilité budgétaire du « plan 15 000 places de prison » demeure incomplète, les documents financiers ne retraçant pas l’ensemble des coûts engagés. Ces difficultés sont aggravées par un cadre budgétaire très contraint, lié au poids des partenariats public-privé antérieurs, au sous-financement de la rénovation du parc pénitentiaire ancien et à l’émergence de nouvelles priorités comme les prisons de haute sécurité. Dans ce contexte, la Cour souligne l’urgence de renforcer le pilotage de ce plan, d’améliorer la transparence des coûts et surtout de hiérarchiser les priorités immobilières afin de définir une trajectoire financière réaliste et soutenable pour l’ensemble des investissements pénitentiaires.
Une réorientation récente du plan qui pose de nombreuses questions
Face à une surpopulation carcérale en constante augmentation, à des contraintes budgétaires fortes et aux retards du « plan 15 000 places de prison », le ministère de la justice a réorienté sa stratégie en lançant un plan d’urgence prévoyant la création de 1 500 places de semi-liberté d’ici 2027, principalement au moyen de structures modulaires implantées sur des sites pénitentiaires existants, pour un coût final estimé à 300 M€ sur la période 2025-2027 et un objectif de coût unitaire inférieur à 200 000 € par place. Si cette démarche se veut pragmatique et plus rapide, elle comporte plusieurs risques : le recours à un partenariat d’innovation, dont la phase de R&D peut retarder la mise en œuvre effective, une faible flexibilité face aux ajustements fréquents des cahiers des charges immobiliers, des incertitudes sur l’adéquation aux caractéristiques du “public cible” compte tenu des besoins croissants d’accompagnement social et de réinsertion et du manque de moyens des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), ainsi qu’un risque de surcoûts lié à l’industrialisation limitée des solutions modulaires. Parallèlement, d’autres hypothèses sont étudiées (réutilisation du patrimoine de l’État, simplification des normes de sécurité, transformation de projets du plan, création d’établissements pour courtes peines pouvant représenter jusqu’à 1 450 places d’ici 2029, ou encore location de places à l’étranger), sans offrir de réponse rapide et pleinement satisfaisante à la saturation carcérale. La Cour souligne ainsi que cette réorientation ne permettra pas de résorber la surpopulation à court terme. Elle appelle le ministère à réexaminer la soutenabilité globale de sa programmation immobilière, alors que 3,2 Md€ d’engagements restent à réaliser, et à renforcer le recours aux alternatives à l’incarcération (travaux d’intérêt général, détention à domicile sous surveillance électronique), moins coûteuses et d’efficacité comparable en matière de lutte contre la récidive.


