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Le pilotage par l'État de la politique de lutte contre la pauvreté

COUR DES COMPTES

En France, en 2023, le taux de pauvreté s’établissait à 15,4 %, en dessous de la moyenne de l’Union Européenne à 16,2 % ; sans redistribution, c’est-à-dire sans prendre en compte les prestations monétaires et les impôts directs, ce taux de pauvreté monétaire s’élèverait à 21,7 %. La politique de lutte contre la pauvreté regroupe un ensemble de mesures qui visent d’abord à réduire la pauvreté monétaire, et à privilégier le retour à l’emploi pour sortir de la pauvreté. Elle s’appuie sur une organisation complexe relevant d’abord de la compétence des collectivités locales, aux côtés de l’État et des organismes de sécurité sociale et avec leur concours financier. Au-delà de ses compétences propres, l’État joue un rôle plus ou moins marqué selon les périodes pour orienter les politiques de lutte contre la pauvreté, en tant que garant de l’équité entre territoires ou d’une convergence de l’action des pouvoirs publics vers des objectifs communs. Cette impulsion s’est manifestée au travers de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté (SNPLP), présentée en septembre 2018, puis du Pacte des solidarités, présenté fin 2023, s’appuyant tous deux sur des mesures relevant de l’échelon national et des contrats entre l’État et les départements. 
En dépit de leur dénomination englobante, ces cadres d’action ne permettent pas d’avoir une vision d’ensemble des politiques de lutte contre la pauvreté, de leurs objectifs prioritaires et des effets des actions menées, alors que celle-ci serait d’autant plus importante dans un contexte où l’État n’est que l’un des acteurs des politiques de lutte contre la pauvreté. 

D’une « stratégie » de prévention et de lutte contre la pauvreté à un « pacte » des solidarités : des objectifs difficilement lisibles, une évaluation des effets à compléter

La Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, présentée en septembre 2018 et initialement concentrée sur des mesures sociales de soutien des enfants et des jeunes et sur la sortie de la pauvreté par l’accès à l’insertion et l’emploi, devait être complétée de chantiers structurels tels que la création d’un revenu universel d’activité. Cependant, en dépit d’une dénomination très englobante, elle n’a dès l’origine pas servi à retracer l’ensemble de l’action de l’État – restant distincte, par exemple, du plan d’hébergement d’urgence « Un logement d’abord », et n’étant qu’en partie actualisée avec les réponses de politique publique à la crise des gilets jaunes, puis à la crise sanitaire, qui avaient le plus d’incidence sur les personnes pauvres. Un comité d’évaluation ad hoc, placé auprès de France Stratégie, n’a pas pu retracer en totalité l’exécution des mesures portées sur les différents programmes du budget de l’État. L’évaluation des effets des mesures nouvelles, qui aurait contribué à objectiver leur intérêt dans la perspective d’une éventuelle reconduction, n’a pas non plus pu être menée à bien – ce qui conduit la Cour à recommander de systématiser l’évaluation des effets des mesures mises en œuvre, y compris en s’appuyant sur la recherche académique. Le Pacte des solidarités, qui a succédé fin 2023 à la SNPLP, relève d’une logique plus ensemblière que stratégique. Il se présente comme la mise en avant de 25 mesures, souvent pré-existantes, en accompagnement des grands chantiers de réforme du gouvernement tels que la mise en place de la « solidarité à la source » ou la réforme de l’accompagnement des allocataires du RSA dans le cadre de la mise en place de France Travail. Le Pacte, comme la Stratégie avant lui, n’a ainsi pas été conçu comme une synthèse de l’action de l’État en matière de lutte contre la pauvreté, ce qui pourrait cependant contribuer à renforcer son rôle d’orientation de l’action de l’ensemble des pouvoirs publics, dans un contexte où il n’est que l’un des acteurs aux côtés des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale.

La contractualisation, un outil incontournable bien que perfectible

La contractualisation dans le champ social entre l’État et les départements devait permettre d’ancrer dans les territoires la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, en conciliant exigence de cohérence territoriale et libre administration des collectivités locales. Les conventions d’appui à la lutte contre la pauvreté et d’accès à l’emploi (Calpae), cofinancées à parité entre l’État et les départements, comprenaient ainsi des « mesures socle », décidées par l’État et identiques dans tous les départements, mais aussi des dispositifs relevant d’initiatives locales. Les crédits de l’État pour la mise en œuvre des mesures des conventions d’appui se sont élevés à 653,4 M€ entre 2019 et 2023. Du côté des départements, les bilans réalisés ont fait apparaître des progressions notables mais une difficulté à atteindre les objectifs fixés, et l’impossibilité de conclure à la réalité de l’effet multiplicateur des financements de l’État. À partir de 2024, pour accompagner sur les territoires la mise en œuvre du Pacte des solidarités, des contrats locaux ont été proposés aux départements pour prendre la suite des conventions d’appui. Ces nouveaux contrats ont cependant abandonné le principe des « mesures socles » identiques dans tous les départements. En outre, entre 2022 et 2024, les contrats se sont multipliés dans le champ de la protection de l’enfance puis de l’insertion dans l’emploi des allocataires du RSA, ce qui a dispersé les moyens des services déconcentrés pour les négocier et a affaibli la lisibilité de l’action de l’État.

Une organisation de l’État qui ne trouve plus sa justification en phase de gestion

La conception et la mise en œuvre de la SNLPLP ont été confiées à une organisation ad hoc, maintenue par la suite pour le Pacte des solidarités : un délégué interministériel sous l’autorité du ministre chargé des solidarités, à la tête d’une petite équipe de mission (moins de dix personnes), et des commissaires à la lutte contre la pauvreté placés auprès des préfets de région. Confier le pilotage d’un dossier à une délégation interministérielle, c’est-à-dire en dehors du fonctionnement quotidien des directions d’administration centrale, peut être justifié par le besoin de donner une impulsion particulière à un projet en dégageant des moyens spécifiques à cette fin ; cependant, une fois en phase de mise en œuvre, la valeur ajoutée de ce type d’organisation est moins évidente, sauf à ce que cette équipe dispose des leviers nécessaires pour piloter effectivement la mise en œuvre d’une politique. La pertinence de maintenir une délégation ad hoc en plus des autres administrations centrales pour la mise en œuvre des mesures, la gestion des crédits et le suivi des résultats devrait ainsi être réexaminée. De même, si l’État souhaite prolonger l’outil contractuel au-delà de 2027, dans une logique de rationalisation de ce mode d’action, il semble nécessaire d’envisager un seul contrat dans le champ social avec plusieurs volets thématiques, et d’unifier son pilotage sous la responsabilité des directions départementales de l’emploi, du travail et des solidarités (Ddets). Enfin, le réseau régional des commissaires à la lutte contre la pauvreté pourrait être reconfiguré pour appuyer les services déconcentrés de droit commun de l’emploi, du travail et des solidarités, en tenant compte des caractéristiques des territoires concernés.