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La protection des consommateurs à l’ère du numérique

COUR DES COMPTES

En 2024, 94 % des Français utilisaient internet, 77 % avaient effectué au moins un achat en ligne (contre 7 % en 2001) et près de la moitié (48 %) réalisaient au moins un achat en ligne par mois. Le présent rapport s’inscrit dans un contexte de transformation profonde des modalités de consommation et des risques auxquels sont exposés les consommateurs. Les récentes procédures engagées par les autorités nationales et européennes contre des sites de vente en ligne illustrent l’importance des enjeux et les difficultés rencontrées par l’État. L’instruction menée par la Cour a porté principalement sur les deux fonctions essentielles de la politique de protection des consommateurs : la sécurité et la conformité des produits et services mis sur le marché, d’une part, et l’information des consommateurs, d’autre part. Elle a, à ce titre, porté une attention particulière à l’action de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), et de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), qui sont les deux administrations les plus directement concernées. Le rapport examine les transformations induites par le numérique sur les conditions de la consommation et leurs conséquences en matière de protection des consommateurs.

L’information du consommateur et la loyauté des pratiques commerciales au défi de l’environnement numérique

Le développement du commerce électronique offre de nombreux avantages pour les consommateurs. Ils bénéficient d’un choix élargi de produits, avec des références plus nombreuses, accessibles en tout point du territoire grâce à un maillage logistique étroit. La manière dont le consommateur s’informe avant d’acheter est profondément transformée par le numérique : multiplication des sources, personnalisation des contenus, intervention de nouveaux intermédiaires et canaux de prescription (influenceurs, publicité ciblée). La multiplication des informations et publicités ainsi que, dans le même temps, l’existence de pratiques contestables (faux avis, comparateurs biaisés, publicités dissimulées etc.), renforcent la nécessité de garantir la fiabilité des données mises à disposition des consommateurs. Ainsi, le développement du numérique offre au consommateur un accès inédit à l’information mais le rend aussi plus vulnérable aux fraudes en ligne. En complément du droit européen, la France a renforcé l’encadrement de l’activité d’influenceur par une loi de 2023 qui rappelle notamment les principes auxquels ceux-ci sont soumis en matière de publicité et de pratique commerciale trompeuse. La protection du consommateur exige donc non seulement une adaptation continue du cadre juridique mais aussi une meilleure coordination des administrations, car l’innovation numérique brouille les repères traditionnels et dépasse les catégories juridiques existantes. La Cour recommande à l’État de développer des outils à destination des consommateurs, en particulier en déployant dès 2026 le « filtre anti-arnaques » annoncé depuis 2022 et d’unifier au sein d’un portail unique l’ensemble des dispositifs d’information et de signalement de la DGCCRF.

Commerce en ligne et places de marché : un changement d’échelle pour la protection des consommateurs 

Les places de marché mettent directement en relation les vendeurs tiers et les consommateurs, soit de manière exclusive (comme AliExpress et Temu), soit en combinant vente directe et offres de vendeurs tiers (comme Amazon, Fnac et Shein). Ce faisant, elles contribuent à une hausse rapide des importations en fret postal : le nombre de petits colis importés double chaque année depuis 2021, ce qui aboutit à saturer les capacités de contrôle des douanes et augmente le risque d’entrée sur le marché de produits non conformes, contrefaits ou dangereux. Si des avancées notables ont été enregistrées en matière de régulation, notamment avec l’entrée en vigueur du règlement européen sur les services numériques (DSA), les capacités opérationnelles des autorités nationales de contrôle restent en deçà des enjeux. La DGCCRF se heurte à des limites structurelles dans la surveillance des pratiques commerciales en ligne, déployées par des acteurs agiles, parfois peu coopératifs et difficilement localisables. La mise en œuvre des obligations prévues par les règlements européens sur les services numériques (DSA) et la sécurité générale des produits (RSGP) pourrait donner de nouveaux leviers d’action à la puissance publique. Le rétablissement de capacités d’action effectives nécessite une mobilisation accrue au niveau de l’Union européenne. Les marges de manœuvre nationales étant limitées par les règles du marché unique et de l’union douanière, seule une action coordonnée à l’échelle européenne peut répondre efficacement aux pratiques d’acteurs transnationaux dont les activités dépassent les frontières nationales.

Le numérique comme levier de transformation de la politique de protection des consommateurs

L’efficacité de l’action publique suppose également de repenser le lien entre administration et consommateurs, en exploitant pleinement les potentialités offertes par le numérique. La DGCCRF a engagé une adaptation de ses activités aux enjeux du numérique mais son organisation territoriale et ses moyens opérationnels restent largement conçus pour le commerce traditionnel. L’insuffisante articulation entre les services de l’État freine l’anticipation des risques et l’efficacité des contrôles. Une meilleure mutualisation des données, un renforcement des coopérations entre administrations travaillant sur les grandes plateformes et une priorisation des interventions en fonction de l’impact pour les consommateurs sont indispensables. La relation entre l’État et les consommateurs doit également évoluer pour tenir compte des évolutions induites par le développement du numérique dans tous les aspects de la consommation. Une réflexion doit être engagée sur des formes d’action plus collaboratives, en phase avec de nouvelles modalités de mobilisation individuelle et collective des consommateurs afin de les aider à mieux se protéger. L’État doit moderniser l’information et la protection des consommateurs à l’ère numérique en réorganisant la DGCCRF, en la dotant d’un outil pour mesurer le coût des atteintes aux droits des consommateurs, en élaborant une stratégie numérique d’information, en ouvrant les données sur la sécurité des produits et en rendant publiques les sanctions prononcées, afin de renforcer transparence et capacité d’action.