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DEUXIEME CHAMBRE
TROISIEME SECTION
OBSERVATIONS DÉFINITIVES
(Article R. 143-11 du code des juridictions financières)
LES SOUTIENS PUBLICS AUX
ZONES NON INTERCONNECTÉES
(ZNI)
Le présent document, qui a fait l’objet d’une contradiction avec les destinataires concernés, a été délibéré par la Cour des
comptes, le 28 AVRIL 2023.
S2023-1177
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
2
TABLE DES MATIÈRES
SYNTHÈSE
......................................................................................................................
4
RECOMMANDATIONS
................................................................................................
7
INTRODUCTION
...........................................................................................................
8
1
UN DISPOSITIF DE SOUTIEN LIE AUX SPECIFICITES DES
SYSTEMES ELECTRIQUES LOCAUX
..............................................................
10
1.1
Les spécificités des systèmes électriques locaux
.............................................
10
1.1.1
Des coûts de production plus élevés que sur le continent
.......................
10
1.1.2
Une part de la production assurée par des EnR plus élevée que dans
l’Hexagone, dans certains territoires
.......................................................
11
1.1.3
Un service public de bonne qualité
.........................................................
14
1.1.4
Des réseaux à l’équilibre fragile
..............................................................
16
1.1.4.1
Les évolutions de la puissance appelée à la pointe
.................................................
16
1.1.4.2
Les anticipations de la mobilité électrique
.............................................................
17
1.1.4.3
Un encadrement réglementaire nécessaire en complément des aides
financières
..............................................................................................................
20
1.2
Une évolution par étape du cadre juridique et institutionnel
............................
22
1.2.1
La mise en place progressive de la péréquation tarifaire
........................
22
1.2.2
Un cadre juridique dérogatoire
................................................................
23
1.2.2.1
Le cadre juridique national et européen
.................................................................
23
1.2.2.2
Le cas de la Corse
...................................................................................................
24
1.2.3
Les tarifs réglementés dans le cadre de la péréquation
...........................
26
1.2.3.1
La péréquation tarifaire pour les ménages
..............................................................
26
1.2.3.2
Les différents tarifs pour les professionnels
...........................................................
27
1.2.4
Des outils complexes associant État, collectivités et opérateurs
.............
28
1.2.4.1
Les programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE)
.........................................
28
1.2.4.2
Les opérateurs historiques et les administrations de l’État
.....................................
29
1.2.4.3
Le rôle de la CRE
...................................................................................................
30
1.2.4.4
Contrats d’obligation d’achat, appels d’offres et
contrats de gré-à-gré
..................
31
1.2.4.5
Des actions de maîtrise de la demande d’électricité (MDE) à développer
.............
33
1.2.4.6
Des outils complémentaires
....................................................................................
34
2
DES OBJECTIFS AMBITIEUX MAIS PAS NECESSAIREMENT
COHERENTS
........................................................................................................
37
2.1
Une maîtrise des coûts de moins en moins assurée
..........................................
37
2.1.1
Des dépenses en progression constante
...................................................
37
2.1.2
Une part de recettes tarifaires de plus en plus réduite
.............................
38
2.1.3
Une connaissance insuffisante de la rentabilité des producteurs
............
39
2.2
Une absence de vision à moyen terme
.............................................................
40
2.2.1
Un objectif d’autonomie énergétique aux conséquences incertaines
......
40
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
3
2.2.2
Des PPE qui n’éclairent pas la trajectoire de transition énergétique
.......
42
2.2.2.1
L’importance d’avoir un mix de production cible
..................................................
42
2.2.2.2
La procédure de sélection des projets pour de futures centrales
.............................
43
2.2.2.3
Des scénarios ADEME peu exploitables pour la préparation des PPE
..................
44
2.2.3
Le risque sur la rentabilité des investissements engagés
.........................
44
2.2.3.1
La conversion aux combustibles biocarburants
......................................................
45
2.2.3.2
La conversion à la biomasse
...................................................................................
46
2.2.3.3
Le cas de la Centrale électrique de l’ouest guyanais (CEOG
)
................................
47
2.2.3.4
Des PPE sans boussole
...........................................................................................
47
2.2.4
Les PPE, des outils à repenser
.................................................................
48
2.2.4.1
Un processus lourd et trop formel
..........................................................................
48
2.2.4.2
Un processus paralysé par des retards préoccupants
..............................................
49
2.2.4.3
Un outil à simplifier
...............................................................................................
51
2.2.4.4
Des cas d’instrumentalisation politique locale
.......................................................
53
2.2.4.5
Une gouvernance peu efficace et déresponsabilisante
............................................
57
ANNEXES
......................................................................................................................
59
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
4
SYNTHÈSE
Une désignation commune mais une forte hétérogénéité
En France, la loi désigne comme zones non-interconnectées (ci-après ZNI), les
territoires qui ne sont pas reliés
au réseau électrique métropolitain continental, c’est
-à-dire à
celui de l’
Hexagone et qui bénéficient du dispositif de péréquation tarifaire nationale.
Il s’agit
de la Corse, de certaines îles du Ponant (îles de Sein, Molène, Ouessant et Chausey), de la
Guyane, de la Guadeloupe, de la Martinique, de Saint-Pierre et Miquelon, de La Réunion, de
Mayotte et de Wallis et Futuna. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie Française, qui exercent
une compétence propre en matière d’énergie, ne bénéficient pas de ce disp
ositif. Saint-
Barthélemy et Saint-Martin sont dans une situation atypique : elles détiennent la compétence
énergie tout en disposant de la péréquation tarifaire.
Ces territoires, exceptée la Corse raccordée pour partie à la Sardaigne et au réseau
continental italien, doivent assurer leur approvisionnement électrique à partir de leur seule
production locale, beaucoup plus onéreuse que celle produite sur le territoire métropolitain
continental et garantir par eux-
mêmes la stabilité et l’équilibre de leur rése
au. Y sont appliquées
une réglementation particulière, dérogatoire au droit commun européen, et des dispositions
spécifiques figurant dans le code de l’énergie pour leur politique de transition énergétique
. Il
s’agit, en particulier, de l’élaboration de programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE)
propres à chaque territoire, îles du Ponant exceptées, et régulièrement révisées.
La partition entre zones interconnectées et zones non interconnectées repose donc sur
un critère technique objectif. Les ZNI ne constituent pas pour autant un ensemble homogène
bien qu’elles mettent en œuvre des politiques de transition énergétique poursuivant des objectifs
identiques et relevant des mêmes procédures. Sans même évoquer les territoires les plus exigus
(Saint-Pierre et Miquelon, Wallis et Futuna, les iles bretonnes), il existe des disparités de
situation entre la Corse, déjà partiellement interconnectée et qui pourrait l’être davantage,
Mayotte dont la croissance démographique entraîne celle de la consommation d’élec
tricité, la
Guyane dont les ressources naturelles et les grands espaces offrent des possibilités que les
territoires insulaires n’ont pas, et les trois grandes îles, la Martinique, la Guadeloupe et la
Réunion qui sont réputées homogènes mais qui ne le sont
que partiellement s’agissant de leur
démographie et de leur potentiel de production d’énergie primaire.
Une logique de service public confrontée à l’objectif d’autonomie
énergétique
Le dispositif de soutien aux zones non interconnectées est hérité de la période antérieure
à 2000 pendant laquelle le système électrique relevait d’un service public assuré en monopole
par EDF et quelques entreprises locales de distribution (ELD). La situation des ZNI n’était alors
pas différente de celle de n’importe quel dépa
rtement français. La totalité des coûts supportés
par EDF était couverts par les tarifs publics sans distinction géographique.
Au-delà du dispositif de péréquation tarifaire nationale qui permet de maintenir la parité
des prix avec l’Hexagone, la qualité d
u service public, mesurée par le taux de coupures, a été
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
5
et demeure comparable à celle du continent malgré des conditions climatiques plus difficiles
dans les régions cycloniques ou des retards de développement économique dans certaines
zones. La solidarité nationale assure donc aux ZNI des prestations équivalentes, en prix comme
en qualité, à celles observées dans l’Hexagone.
L’instauration d’un marché concurrentiel de l’électricité dans l’Hexagone et le maintien
de tarifs réglementés de vente pour les ménages et les petits consommateurs professionnels a
conduit à rendre visible la charge spécifique induite par la péréquation tarifaire dans les ZNI.
Jusqu’en 2015, le coût de cette péréquation au profit des ZNI était supporté par les autres
usagers d’EDF. Il
l’est depuis lors par les contribuables puisque c’est le budget de l’État qui
compense désormais intégralement les surcoûts de
production et d’achat d’électricité
des
entreprises locales de
fourniture d’électricité
,
non couverts par les recettes tarifaires. Les parcs
de production régionaux étant encore fortement dominés par les centrales utilisant des
combustibles fossiles, le soutien aux ZNI a suivi l’évolution du coût des combustibles.
La transition énergétique de ces territoires, c’est
-à-dire en premier lieu la décarbonation
des moyens de production électrique, qui s’est accélérée à partir de 2015, a introduit une charge
supplémentaire de service public de l’électricité (SPE) liée au surcoût de la production
électrique à partir d’énergies renouvelables (EnR), comme dans l’Hexagone. Demeurées d’un
montant légèrement inférieur à 2 Md€ jusqu’en 2020, les charges totales de SPE dans les ZNI
ont dépassé 2,5 Md€ en 2022 et devraient rester proches de ce niveau en 2023. Les trois
-quarts
de ce montant sont consacrés à la péréquation proprement dite, le reste au financement de la
transition énergétique.
Les évolutions de ces charges dans les prochaines années seront affectées par la
conversion en cours d’une forte proportion du parc de production électrique, voire
de sa totalité,
aux moyens de production à base d’EnR, y compris des biocarburants importés, dans tous les
territoires pour respecter l’objectif, inscrit dans la loi en 2015, d’une transition achevée en 2030.
Dans plusieurs d’entre eux, cette transition s
era effective dès 2024.
Cette conversion en cours soulève la question de la cohérence avec la recherche de
l’autonomie énergétique des ZNI, également inscrite dans la loi. Cette question se pose d’autant
plus que cette notion d’autonomie énergétique n’est pas clairement définie. Jusqu’aux
modifications introduites par la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production
d’énergies renouvelables, elle a semblé se focaliser sur l’objectif de supprimer toute importation
d’énergie primaire destinée
à la production électrique. Dès lors que le mix de production
électrique serait décarboné, y compris au moyen de biocarburants importés, l’éventualité du
remplacement ultérieur des moyens de production existants par d’autres ne pourrait se justifier
d’un
point de vue économique que si ce remplacement entrainait une baisse des charges de SPE.
Eu égard à l’avancement du processus de transition, cette question est susceptible de peser sur
les orientations prises pour les prochaines PPE, 2023-2028 et 2029-2034, dans chacun de ces
territoires.
Un défaut de vision à moyen terme
À la différence des dispositifs de pilotage de transition énergétique dans l’Hexagone,
qui s’appuient sur des scénarios validés et chiffrés par le gestionnaire de réseau (cf. «
Les futurs
énergétiques 2050
» de RTE) entre lesquels le pouvoir politique doit arbitrer, les décisions
structurantes relatives aux mix énergétiques en ZNI ne s’appuient pas sur un scénario cible.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
6
Sans qu’il soit besoin de viser le même horizon que RTE –
2050 -, échéance qui tient compte à
la fois à l’objectif de neutralité carbone et de la durée d’exploitation du parc actuel de
production nucléaire, il serait à tout le moins souhaitable d’indiquer quel est, dans les ZNI, le
mix cible à atteindre dans la période 2035-2040.
Les décisions prises dans les ZNI s’inscrivent au mieux dans le temps court des PPE,
adoptées par cycle de cinq ans ; au pire, elles relèvent du temps immédiat de leur révision en
procédure simplifiée qui valide les projets au coup par coup. Certes, ces décisions ne sont pas
prises au hasard et sont implicitement compatibles avec les besoins exprimés par le gestionnaire
de réseau, mais l’existence d’un potentiel scénario implicite de moyen terme ou son absence
est source de malentendus, de soupçons sur la neutralité du gestionnaire de réseau, de
crispations des élus et de frustrations des porteurs de projets. Ces défaillances expliquent en
large partie l’échec généralisé de la procédure d’adoption des PPE en 2022.
Pour disposer d’un scénario cible cons
ensuel dans chaque territoire, une approche plus
concrète de ce sujet serait utile. Il revient
aux gestionnaires de réseau, comme c’est le cas dans
l’Hexagone, de faire plusieurs propositions de mix cibles opérationnels à l’horizon d’une
quinzaine d’années. Ces propositions devraient être accompagnées d’un chiffrage prévisionnel
de manière à ce que l’arbitrage entre l’objectif de moindre dépendance aux importations et la
nécessaire maîtrise des charges de SPE soit rendu dans la transparence et après un débat public.
Une gouvernance des PPE à repenser
Il existe plusieurs causes au retard généralisé constaté dans l’élaboration et les révisions
des PPE
: la lourdeur de la procédure, encombrée de multiples phases de consultations et d’avis
dont la plus-
value n’
apparait pas toujours évidente ; des considérations de politique locale qui
prennent parfois le pas sur le traitement techniques des dossiers
; l’absence de responsabilité
financière des collectivités dans le financement du système de solidarité, de sorte que les
options qu’elles peuvent souhaiter privilégier n’ont de répercussions que pour le budget de
l’État. Enfin, le fait que l’État ne dispose pas d’une prérogative de proposition pour la révision
des PPE le cantonne à un rôle d’encadrement ou de censeur
des propositions des collectivités,
ce qui semble insuffisant au regard de leurs conséquences potentielles pour les charges de SPE.
Le recours à la procédure de révision simplifiée pour contourner les blocages des PPE
démontre les failles d’un dispositif à la fois complexe à mettre en œuvre par la voie normale et
facile à contourner par la voie dérogatoire.
De manière générale, une plus grande efficacité du processus nécessiterait de donner,
en amont comme en aval du processus de décision, un rôle plus central au gestionnaire de
réseau, garant du bon fonctionnement du service public et le mieux placé pour anticiper et
exprimer ses besoins.
Une telle évolution en direction d’une meilleure prise en compte des besoins et des
contraintes des réseaux de chaque ZNI permettrait aussi de clarifier le rôle de la Commission
de régulation de l’énergie (CRE) dont les interventions informelles, souvent destinées à pallier
les défauts du dispositif de décision, viennent parfois brouiller l’exécution des missions que lui
confie le code de l’énergie.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
7
RECOMMANDATIONS
Recommandation n° 1.
(DGEC, 2023) : Insérer dans les PPE un volet consacré au
développement des bornes pilotables pour la recharge des véhicules électriques.
Recommandation n° 2.
(DGEC, 2025) : Dans le cadre de la PPE de la Corse, étudier un
projet d’interconnexion à terme entre la Corse et le réseau continental, en complément de
moyens de production locaux.
Recommandation n° 3.
(CRE, 2023)
: Focaliser l’effort de maîtrise de la demande
d’électricité dans les ZNI sur les actions les plus efficientes des entreprises
Recommandation n° 4.
(DGEC, 2023) : Demander aux gestionnaires de réseau des ZNI des
scénarios chiffrés de mix de production cible à l’horizon 2040 selon les territoires, assortie
d’une analyse des besoins de développement et de renforcement des réseaux en découlant.
Recommandation n° 5.
(DGEC, 2023)
: Systématiser, homogénéiser et publier l’évaluation
de la mise en œuvre des PPE de chacune des ZNI.
Recommandation n° 6.
(DGEC, 2023) : Mieux prendre en compte, dans les PPE des ZNI,
les politiques locales de transport, de stockage de l’énergie et de gestion des déchets.
Recommandation n° 7.
(SG MTECT, DGEC, 2023) : Renforcer les compétences en
matière de politique énergétique
des services déconcentrés de l’État chargés de l’élaboration
et du suivi des PPE dans les ZNI.
Recommandation n° 8.
(DGEC, 2023)
: Instaurer dans la procédure d’élaboration des PPE
dans les ZNI, une règle d’incompatibilité entre les rôles d’assistant à maîtrise d’ouvrage des
collectivités et de conseil des opérateurs industriels.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
8
INTRODUCTION
Du fait de ses caractéristiques géographiques, la France compte de nombreuses zones
de son territoire qui sont selon le code de
l’énergie, « non
interconnectées au réseau
métropolitain continental »
1
. Ces territoires, situés parfois à plusieurs milliers de km de
l’Hexagone, sont ainsi dénommés des «
zones non interconnectées » (ZNI).
Il s’agit de la
Corse, de certaines îles du Ponant (îles de Sein, Molène, Ouessant et
Chausey), de la Guyane, des îles de la Guadeloupe, de la Martinique, de Saint-Pierre et
Miquelon, de La Réunion, de Mayotte et de Wallis et Futuna.
Pour les plus éloignés de ces territoires, il est impossible d’envisa
ger un raccordement
au réseau électrique hexagonal tandis que dans d’autres, plus proches des côtes
comme les îles
du Ponant, la faible consommation électrique de chaque île ne justifie pas d’investir dans des
moyens de raccordement
2
.
Certains territoires
ne sont pas davantage reliés au réseau électrique de l’Hexagone sans
pour autant être considérés comme des ZNI car leurs autorités publiques disposent d’une
compétence propre en matière d’énergie et ne relèvent donc pas de la politique publique d’aide
en
faveur des ZNI : c’est le cas de la Nouvelle
-Calédonie et de la Polynésie Française.
Saint-Barthélemy et de Saint-Martin sont dans une situation atypique : elles détiennent
la compétence énergie mais bénéficient cependant de la péréquation tarifaire.
Le rapport analyse la situation des six principales ZNI : la Corse, la Martinique, la
Guadeloupe, la Guyane, Mayotte et La Réunion qui ont toutes donné lieu à une visite sur place
3
.
La Corse présente la particularité d’être connectée à la Sardaigne et au résea
u électrique italien
continental.
L’absence de raccordement au réseau électrique hexagonal a deux conséquences
: la
première est que les ZNI doivent compter exclusivement (à l’exception de la Corse, en partie
interconnectée) sur leurs propres moyens de production électrique pour faire face à la demande
émanant de leurs territoires ; la deuxième est que leurs coûts de production ne peuvent être
égaux au coût de production moyen de l’électricité circulant sur le réseau électrique
métropolitain continental ; de fait, ils lui sont systématiquement supérieurs, dans des
proportions importantes et variables selon les territoires.
Toutefois, les consommateurs situés dans les ZNI bénéficient de la péréquation tarifaire
nationale et payent les mêmes tarifs réglementés que ceux proposés aux consommateurs de
l’
Hexagone, le surcoût de la production électrique dans ces territoires étant pris en charge par
1
L’article L 121
-
3 du code de l’énergie dispose que «
La mission de développement équilibré de
l'approvisionnement en électricité consiste à (…) 2° Garantir l'approvisionnement des zones du territoire non
interconnectées au réseau métropolitain continental ».
2
A l’inverse, certaines îles ne constituent pas des ZNI car elles sont connectées au réseau électrique
hexagonal, notamment les îles de Bréhat, Batz, Groix, Hoëdic
, Porquerolles, Le Levant…
3
Outre les Iles du Ponant, Saint Martin, Saint Barthélemy, Saint Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna,
qui relèvent de situations statutaires variées, ne représentent qu’une très faible part de la production et de la
consommation d’électricité de l’ensemble des ZNI et des charges de service public de l’électricit
é en découlant.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
9
l’État. Ce surcoût est l’une des charges imputables aux missions de service public énoncées à
l’article L. 121
-7 2° du
code de l’énergie.
Enfin, dans le cadre de la politique nationale de transition énergétique, ont été mises en
place dans les ZNI des politiques publiques concernant l’ensemble de la chaîne énergétique
allant de la production locale d’énergies primaires renouvelables jusqu’à l’augmentation de
l’efficacité énergétique et des économies d’énergie, en passant par la production d’électricité à
partir d’énergies renouvelables (EnR). Au
-delà de la décarbonation du mix électrique, cette
évolution a pour effet d’augmenter la part de la production locale, ce qui renforce l’autonomie
énergétique de ces territoires.
Depuis la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique et à la
croissance verte, l’instrument principal de ces politiques consiste
à doter chacune des
principales ZNI
4
d’une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) distincte, établie
conjointement par le président de la collectivité et le représentant de l’État dans la région
5
.
Le présent rapport, après avoir rappelé les particularités des ZNI du point de vue de
l’approvisionnement en électricité et fait le bilan de la situation des charges de service public
qui financent la péréquation tarifaire, s’attache à proposer des voies d’amélioration du pilotage
de la transition énergétique dans ces territoires.
4
Sont concernées : la Corse, la Guadeloupe, la Guyane, La Martinique, Mayotte, la Réunion, Saint Pierre-
et-Miquelon et les Iles Wallis-et-Futuna.
5
Article L 141-
5 du code de l’énergie
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
10
1
UN DISPOSITIF DE SOUTIEN LIE AUX SPECIFICITES DES
SYSTEMES ELECTRIQUES LOCAUX
1.1
Les spécificités des systèmes électriques locaux
1.1.1
Des coûts de production plus élevés que sur le continent
L
’absence de raccordement au réseau électrique hexagonal
impose aux ZNI de compter
exclusivement,
à l’exception de la Corse
, sur leurs propres moyens de production électrique
pour faire face à la consommation finale émanant de leurs territoires.
À l’exception des territoires où le potentiel d’
énergies renouvelables (EnR) est
important et déjà développé (Cf. infra), ils sont donc très dépendants, voire presque totalement
dépendants de l’extérieur pour approvisionner en combustibles leurs centrales qui trans
forment
ceux-
ci en énergie secondaire sous forme d’électricité. Et,
en dehors des cas précités, les
combustibles utilisés pour la production d’électricité sont jusqu’à présent
des combustibles
fossiles, en l’espèce
principalement du fioul, ou du charbon pour deux des territoires. Par
conséquent, l
a production d’électricité dans les ZNI n’est décarbonée que dans une proportion
faible, voire nulle, contrairement à celle de l’
Hexagone.
Enfin, leurs coûts de production sont systématiquement supérieurs à ceux de
l’Hexagone
, dans des proportions importantes et variables selon les territoires. Le graphique ci-
dessous indique quels ont été les coûts moyens de production dans les différentes ZNI en 2021.
Graphique n° 1 :
Coûts moyens de production dans les différentes ZNI en 2021
Source : CRE
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
11
C’est en Corse
que le coût de production est le plus faible
(217 €/MWh) et à Saint
-Pierre
et Miquelon
qu’il est le plus élevé (489 €/MWh). La moyenne, 271 €/MWh, représent
e un
montant 3 à 4 fois supérieur au coût de l’électricité produite dans l’
Hexagone. Ces écarts
s’explique
nt
principalement par le fait que s’agissant de réseaux électriques de petite taille, les
moyens de production sont d’une puissance relativement faible
, ce qui empêche ces territoires
de profiter des économies d’échelle a
tteignables dans les systèmes électriques de grande taille.
A raison du recours majoritaire à des énergies fossiles comme combustibles, les coûts
de production de l’électricité dans les ZNI
varient fortement en fonction du prix du combustible
importé et il
en va de même de l’écart avec le coût de production
moyen
dans l’
Hexagone.
Ces coûts de production très élevés expliquent que les des charges de service public à
compenser au titre de la péréquation tarifaire dans les ZNI atteignent un montant important au
regard de la consommation électrique de ces territoires -
ou au regard du nombre d’abonnés
-
et que ce montant présente une certaine volatilité
puisqu’il
est fortement lié au prix du fioul
importé. Il s’agit
, de loin, de la charge de service public (CSP) la plus importante consentie
dans les ZNI.
En effet, selon la délibération de la CRE du 3 novembre 2022, les charges de service
public à compenser
6
pour 2021 au titre des mécanismes de solidarité liés à la péréquation
tarifaire dans les ZNI ont finalement
atteint le montant de 1,63 Md€ tandis que celles liées au
soutien à la transition énergétique dans ces mêmes territoires ont représenté un montant de 0,57
Md€. Le coût total d
e ces charges au profit des ZNI a donc atteint 2,20
Md€ en 2021, la
compensation au titre des mécanismes de solidarité représentant environ 74% du total.
Les prix du pétrole et de ses produits dérivés (dont le fioul) restant particulièrement
volatils depuis 2020 - prix historiquement très bas au printemps
et à l’été 2020
puis hausse très
marquée
du printemps 2021 jusqu’à l’été 2022, en reflux depuis –
le coût des mécanismes de
solidarité en application du principe de péréquation tarifaire au profit des ZNI demeure difficile
à anticiper.
Lors de la délibération du 3 novembre 2022 précitée, la CRE a maintenu les prévisions
au titre de 2023 qu’elle avait arrêtées pour la première fois en juillet 2022, soit 1,73 Md€ au
titre des mécanismes de solidarité et 0,75 Md€ au titre des aides en faveur de la transition
énergétique dans les ZNI.
Selon le niveau du prix du pétrole et de ses dérivés importés, on peut donc constater que
le coût des mécanismes de solidarité entre 2020 et aujourd’hui représente un montant annuel
compris entre 1,6 et 2,0 Md€ par an.
1.1.2
Une part de la production assurée par des EnR plus élevée que dans
l’Hexagone,
dans certains territoires
L’isolement géographique des ZNI emporte des conséquences sur l’ensemble de leur
situation énergétique : non seulement elles ne sont pas interconnectées mais leur production
actuelle ou potentielle d’énergie primaire est limitée.
6
Délibération n°2022-272 de la CRE du 3 novembre 2022 relative à la réévaluation des charges de service
public de l’énergie pour 2023.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
12
En l’absence de ressources minières, leur potentiel de production d’électricité est celui
des énergies renouvelables disponibles, lequel est variable selon les territoires : la biomasse
(par exemple à partir de canne à sucre), le rayonnement solaire (par exemple en Corse, aux
Antilles ou à la Réunion), l'énergie hydraulique (en Guyane, en Corse et à La Réunion),
l'énergie éolienne et la géothermie (par exemple en Guadeloupe) peuvent représenter des
potentiels importants.
Malgré les objectifs très volontaristes inscrits dans la loi de transition énergétique pour
la croissance verte (LTECV) de 2015, la composition du mix de production dans les ZNI a peu
évolué depuis dix ans.
Lorsqu’on observe la situation au périmètre de l’ensemble des ZNI, ce
qui est légitime du point de vue des charges de SPE, on constate en effet une évolution lente.
Cette lenteur s’explique par les délais inhérents aux investissements et au décalage inévitable
entre l
es annonces, les décisions et le raccordement d’un site au réseau.
Graphique n° 2 :
Évolution du mix électrique dans les ZNI* 2002-2020
Source : rapport annuel de la CRE 2021 ; * hors Saint-Pierre et Miquelon, îles bretonnes et Wallis et Futuna)
Depuis 2009,
l’augmentation de la consommation globale d’énergie a été en partie
couverte par les EnR, essentiellement le solaire dont la contribution s’accélère à partir de 2012
;
mais le taux de pénétration des EnR, près de 30% en moyenne en 2021, peut être trompeur si
on perd de vue que l’essentiel de la production renouvelable provient de l’hydroélectricité
(Guyane, Réunion, Corse) et de la biomasse de canne à sucre (bagasse) à partir de sites qui
étaient déjà en place avant le vote de la loi de 2015.
À un niveau pl
us fin d’analyse, on constate que la part de la production d’électricité
réalisée à partir d’E
n
R est très variable d’une ZNI à l’autre
.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
13
Graphique n° 3 :
Mix de production électrique dans les principales ZNI en 2021
Source : CRE
En 2021, la part des EnR varie de 0% à Saint-
Pierre et Miquelon jusqu’à 70% en
Guyane. Dans les plus grandes ZNI, elle est supérieure à la part correspondante dans
l’
Hexagone qui était légèrement inférieure à 25% de la consommation électrique en 2021
7
.
Les grandes différences entre les principales zones résultent moins du volontarisme des
investissements dans chaque territoire que de leurs atouts naturels, notamment leur potentiel
hydroélectrique et leur production de biomasse.
C’est le cas non seulement
de la Guyane qui
dispose d’un fort poten
tiel hydro-
électrique assurant 60% de la production d’électricité, mais
également de la Corse (33,4% de l’électricité consommée est produite à partir d’ENR en 2021),
de la Guadeloupe (28,4%), de la Réunion (28,2%) et de la Martinique (25,7%). Dans toutes les
autres ZNI, la production d’électricité à partir d’ENR ne représente qu’une fraction nulle ou
marginale, au plus égale à 5,3% de la consommation d’électricité, à Mayotte.
On note également le retard de développement de l’éolien, malgré l’installation de
sites
aux Antilles, notamment en Guadeloupe, le potentiel de ces territoires, situés pour la plupart en
zone cyclonique, souffra
nt d’une rareté du foncier et n
e disposant pas de fonds marins adaptés
à l’éolien posé (sauf en Guyane, mais le vent manque…)
restant limité.
À ces difficultés techniques, il faut ajouter le fait que la rentabilité de l’éolien maritime
est aujourd’hui obtenue par la construction de fermes éoliennes d’assez grande taille, d’une
puissance d’une centaine ou de plusieurs centaines de
MW. De telles puissances ne sont pas
adaptées aux besoins des ZNI
, d’autant que
l’intermittence de la production
éolienne sur des
7
24,9% de la consommation électrique métropolitaine en 2021. La part de la production à partir d’ENR
en Corse était de 33,4%, de sorte que la part de la production électriq
ue à partir d’ENR de l’Hexagone est
légèrement inférieure au premier chiffre cité.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
14
dispositifs de grande taille est extrêmement difficile à absorber dans des réseaux non
interconnectés.
Faute de connexion au réseau continental principalement adossé aux productions
électronucléaire et hydroélectrique, les ZNI se trouvent, prises dans leur ensemble, dans une
situation contrastée : la
part d’électricité produite à partir d’E
nR y est plus élevée que dans
l’
Hexagone, mais
la part de l’électricité
émettant des gaz à effet de serre pour sa production y
est très supérieure
. Ainsi, même en Guyane, 30,2% de l’électricité a été produite à partir
d’énergie fossile en 2021. Cette même année, plus de 92% de l’électricité prod
uite dans
l’
Hexagone était décarbonée.
1.1.3
Un service public de bonne qualité
La consommation totale d’électricité des ZNI est en croissance constante depuis quinze
ans, passant de 7,2 TWh en 2005 à 9,1 TWh en 2021 (+26%). Les clients ayant souscrit une
puissance inférieure à 36 KVA (ménages et petits professionnels), représentent une
consommation de 5,5 TWh en 2021, soit environ 60% de la consommation, comme en
métropole. La dynamique de consommation présente de fortes différences entre les territoires
en fonction notamment de la démographie : croissance très forte et constante à Mayotte
(doublement depuis 2005), plus modérée à la Réunion et en Guyane, quasi stabilisation en
Guadeloupe et en Corse, légère baisse en Martinique depuis dix ans. La consommation par
habitant n’est pas homogène
: celle des territoires ultramarins est environ de moitié inférieure
à celle du continent, sauf celle de Mayotte encore très basse, alors que celle de la Corse en est
assez proche.
Tableau n° 1 :
Consommation électrique par territoire et par habitant
Territoires
Consommation Totale (GWh)
Consommation / habitant
8
(MWh/hab.)
2005
2010
2015
2021
2005
2010
2015
2021
Corse
1620
2186
1950
2074
5.60
7.06
5.96
6,0
Guadeloupe
1501
1730
1759
1737
3.31
4.29
4.56
4,1
Guyane*
650
758
793
828
3.42
3.21
3.08
2,9
Martinique
1301
1444
1411
1367
3.27
3.66
3.71
3,8
Réunion
2058
2467
2657
2822
2.66
3.00
3.14
3,3
8
Les estimations de population retenues sont celles publiées par l’INSEE au 1er janvier 2020 pour la
Corse (344 440 habitants), la Réunion (861 210 habitants), la Guyane (281 678 habitants), la Martinique (364 508
habitants) et l’archipel de la Guadeloupe (427
017 habitants). Pour la Guadeloupe, on vise
l’ensemble Guadeloupe,
St Barthélemy et Saint Martin, en cohérence avec la maille d’informations retenue par la CRE dans se
s travaux.
Pour Mayotte, c’est une estimation qui a été retenue sur la base du recensement de 2017 (256
500 habitants) et un
taux de croissance annuel retenu par l’INSEE (3.8%) soit 298
000 habitants en 2021. Sur place, plusieurs
observateurs institutionnels évoquent une population qui serait déjà comprise entre 300.000 et 400.000 habitants.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
15
Territoires
Consommation Totale (GWh)
Consommation / habitant
8
(MWh/hab.)
2005
2010
2015
2021
2005
2010
2015
2021
Mayotte*
156
258
289
353
0.89
1.28
1.27
9
1,2
Source DGEC : *La consommation de Mayotte en 2015 et de la Guyane en 2005 et 2010 a été corrigée après
vérification des données.
La consommation facturée est inférieure à la production injectée, ce qui fait apparaitre
un taux de perte, variable selon les territoires mais supérieur à la moyenne continentale. Ce taux
de perte reste toutefois difficile à interpréter, car il peut résulter de causes techniques ou de
branchements sauvages.
Tableau n° 2 :
Energie injectée et taux de perte par territoire
GWh en 2021
Consommation totale
Energie injectée
Taux de perte
Corse
2074
2 370
12.5%
Guadeloupe
1737
1 975
12.1%
Guyane
828
968
14.5%
Martinique
1367
1 503
9.0%
Réunion
2822
3 090
8.7%
Mayotte
353
390
9.6%
Source DGEC
La qualité du service, mesurée par le
temps d’interruption de fourniture d’électricité
hors impact des mouvements sociaux, des incidents et des évènements climatiques
exceptionnels, est globalement satisfaisante dans ces territoires, y compris à Mayotte.
Jusqu’en 2020, la définition d’un évènement climatique exceptionnel était la même pour
les ZNI ultra-marines et la métropole. Pour tenir compte du fait que les zones tropicales sont
soumises à des conditions climatiques particulières, la définition a été modifiée afin notamment
de mieux prendre en compte les évènements cycloniques.
Pour mesurer la qualité du service, on distingue la durée moyenne de coupure en haute
tension (critère A), celle en basse tension (critère B), et la fréquence des coupures en basse
tension (critère F-BT). Sur ces critères, les objectifs fixés à EDF-SEI pour 2022 sont de 220,2
minutes pour le critère B, de 166 minutes pour le critère M et 3,79 coupures par an pour le
critère F-BT. Une application rétroactive du nouveau critère climatique à certaines années
(2015, 2016, 2017) fait apparaitre que la nouvelle réglementation a un effet sensible sur la
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
16
mesure de la qualité de service, les diminutions du critère B pouvant atteindre 40% à 50%
comme le montre le tableau ci-après.
Tableau n° 3 :
Qualité de service : évolution du critère B
Source CRE. Nombre de minutes de coupure par an.
1.1.4
Des réseaux à l’équilibre fragile
1.1.4.1
Les évolutions de la puissance appelée à la pointe
Les ZNI sont exposées à des risques spécifiques en termes de sécurité
d’approvisionnement du fait de leur isolement. L'impact de la transition énergétique sur leur
système électrique y est donc plus important, notamment en ce qui concer
ne l’intégration des
EnR non pilotables et le développement de la mobilité électrique.
Les coûts pour l’insertion des productions intermittentes augmentent très fortement au
fur et à mesure que leur place augmente dans le mix électrique, du fait des investissements dans
le raccordement des sites de production diffus, l’installation de dispositifs de flexibilité,
notamment de stockage, et le maintien de sites de production pilotables pour couvrir la pointe.
Le besoin à la pointe est toutefois moins marqué qu
’en métropole. La saisonnalité est,
en effet, faible en ZNI sauf pour La Réunion, dont la consommation augmente pendant l’hiver
austral et la Corse qui connait à la fois une pointe hivernale et une pointe estivale du fait de
l’afflux des touristes.
Dans la journée, on observe une pointe méridienne, notamment due à la climatisation
dans les locaux commerciaux et les bureaux, qui est bien couverte par l’augmentation de la
production photovoltaïque. La pointe du soir, entre 19h et 21h, liée à la consommation
d
omestique, comparable à celle de la France continentale, est celle qui mobilise l’essentiel des
moyens pilotables, hors production en base.
Tableau n° 4 :
Puissance appelée à la pointe
Corse
Martinique
Guadeloupe
Guyane
Réunion
Mayotte
Pointe 2012 (MW)
530
253
254
128
450
42
Pointe 2020 (MW)
440
230
255
150
484
56
Source : Bilans prévisionnels EDF-SEI et EDM
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
Critère B (définition avant
2020)
293,6
346
335
248,4
237,1
258,9
Critère B (définition après 2020)
287,6
237,9
225,3
198,1
237,1
258,9
213,1
255,7
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
17
La puissance maximale appelée à la pointe évolue en fonction de la démographie et des
effets, désormais sensibles, des efforts de maitrise de l’énergie (MDE). Elle a baissé puis s’est
stabilisée en Corse, est stabilisée en Guadeloupe, est en légère baisse en Martinique, elle
augmente de moins en moins vite en Guyane ; à La Réunion, elle augmente de 1% par an depuis
dix ans mais les scénarios prévisionnels d’EDF
-SEI prévoient une stabilisation.
À Mayotte, l’augmentation de la puissance appelée à la pointe a
été de 3% à 5% par an
depuis dix ans, accompagnant la croissance de la consommation globale d’énergie, ce qui a
porté la puissance maximale appelée de 42 MW en 2011 à 56 MW en 2019. Les scénarios
présentés par EDM pour la PPE 2023-2028 prévoient entre 70 MW et 100 MW en 2028 à la
pointe selon le dynamisme démographique et les efforts de MDE.
Les scénarios de transition doivent donc prendre en compte le niveau de puissance
résiduelle pilotable nécessaire pour passer les pointes, exigence qui n’est pas toujou
rs bien
mesurée par les collectivités locales. Ces dernières, pour des raisons liées à l’objectif
d’autonomie, sont enclines à privilégier des solutions comportant une part d’EnR intermittentes
très élevée, essentiellement photovoltaïque, qui permettent de couvrir une partie de la
consommation électrique mais uniquement à la mi-journée et ne fait pas disparaître le besoin
de moyens pilotables qu’il faut mobiliser à la pointe du soir dans toutes les ZNI.
Pour atténuer ce besoin de moyens pilotables, il est possible de décaler certaines
consommations pour aplatir la courbe de charge. Plus la production est fatale, plus la
consommation doit être pilotable pour maintenir l’équilibre. Un important levier de sécurisation
du réseau est donc le déplacement d’une par
tie de la demande en heures creuses ou en pointe
solaire. Ce travail est déjà engagé depuis plusieurs années, EDF-SEI - et EDM pour Mayotte -
ayant développé des incitations à la flexibilité pour la consommation résidentielle, notamment
pour l’eau chaude s
anitaire, mais les mesures prises dans le cadre des plans de MDE inscrits
dans les PPE ont des effets qui restent, à ce stade, limités.
1.1.4.2
Les anticipations de la mobilité électrique
Les ventes de véhicules électriques (ci-après VE) pour les particuliers ont quadruplé
dans les ZNI entre 2019 et 2021 et les prévisions de développement du parc annoncent un
renforcement de la bascule vers l’électrification du parc automobile sans attendre l’interdiction
du moteur thermique pour les véhicules neufs. Le décollage
de l’électrification était attendu
dans les zones insulaires de petite taille qui sont particulièrement adaptées à l’autonomie réduite
des VE. Mais on observe aussi le démarrage de ce marché dans les territoires de plus grande
taille avec une multiplication des ventes par dix, entre 2018 et 2021 en Corse (plus de 3000
immatriculations/an) et par cinq en Guyane sur la même période.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
18
Graphique n° 4 :
Évolution des ventes de VE en ZNI
Source ; EDF-SEI
Le développement des VE dans les dix ou vingt prochaines années ne présente pas un
enjeu majeur en termes de besoin global d’énergie électrique mais fait peser un risque sur le
système électrique en termes de puissance appelée au moment du foisonnement des recharges.
Graphique n° 5 :
Puissance appelée selon le taux de recharges pilotables à la Réunion
Source : EDF-SEI
Le graphique ci-
dessus montre qu’une recharge massive non
-pilotée, engagée en fin de
journée lorsque les VE sont stationnés pour la nuit, aggrave fortement la pointe de 19h. Le taux
de recharges pilotées doit atteindre 50% du parc, pour que le déplacement des appels de
puissance vers la nuit ou la pointe solaire méridienne ait un effet de lissage significatif.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
19
À ce risque technique, on doit ajouter un risque financier puisque les moyens pilotables
mobilisés à la pointe sont coûteux. Cette situation est bien illustrée par le cas de la Corse qui,
du fait de la fréquentation touristique, connait une pointe estivale très marquée alors que la
consommation continentale d’électricité est, pendant les mois d’été, inférieure de 25% à l
a
moyenne mensuelle de l’année
10
:
Graphique n° 6 :
Saisonnalité de la consommation électrique en Corse
Source EDF-SEI
Une conséquence de cette saisonnalité atypique est l’apparition d’une super pointe du
soir pendant laquelle les coûts marginaux de production sont multipliés par deux, atteignant
400 €/MWh à 20h.
Cette situation électrique très tendue en haute saison sera aggravée par le
développement des VE si les recharges des vacanciers ne sont pas suffisamment pilotées.
10
Pour une année standard, en France continentale, la consommation brute mensuelle est voisine de
43 TWh, elle dépasse 50TWh en hiver et chute en-dessous de 35 TWh en été.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
20
Graphique n° 7 :
Coût du MWh à la pointe estivale en Corse (en bleu et en rouge)
Source : EDF-SEI
Le pilotage de la recharge des véhicules électriques va donc constituer un enjeu
important de la transition énergétique. Il est inenvisageable de laisser le parc de véhicules
électriques se développer à grande vitesse ces prochaines années, sur la lancée de ce qu’on
observe actuellement, sans encadrer les modalités de recharge afin de soulager le réseau.
1.1.4.3
Un encadrement réglementaire nécessaire en complément des aides financières
Le programme Advenir, lancé en 2016 par Enedis, permet de subventionner
l’installation de bornes de recharge. Il a été ouvert aux ZNI moyennant le respect par les clients
d’un cahier des charges spécifique. Le bénéfice de l’aide est ré
servé aux bornes individuelles,
collectives ou publiques, à condition qu’elles soient pilotables par un signal du réseau qui
permet soit de réduire la puissance appelée pour passer en recharge lente, soit de programmer
les heures de recharges hors pointe
11
.
Les schémas prévisionnels d’EDF
-
SEI visent, à l’horizon 2030, un taux de 40% à 80%
de recharges pilotées. Ces taux élevés risquent de ne pas être atteints si le décollage du marché
des VE accroit les besoins de recharge individuelle alors que le déploiement des bornes
publiques a pris du retard. Faute de possibilités de recharge publique dans la journée,
notamment à la pause méridienne, la recharge domestique (7,4 kW) non pilotée risque de
devenir dominante si les incitations financières échouent. La question se pose aussi pour les
flottes professionnelles.
11
Il existe aussi une aide pour les bornes non pilotables installées dans les maisons individuelles mais
elles sont limitées à des puissances comprises entre 2,2 kVA à 3,7 kVA, qui correspondent aux prises électriques
standard 10-16A utilisées pour le
gros électroménager et l’eau chaude sanitaire.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
21
À cette difficulté s’ajoute celle du choix et de l’implantation des bornes de recharge
rapides (50 à 150 kW) ou semi rapides (25 kW). Certes, les distances à parcourir en ZNI ne
nécessitent pas de recharge rapide en cours de déplacement, exceptés certains trajets en Guyane
et en Corse, et le gestionnaire de réseau n’anticipe pas un maillage significatif pour ce type de
bornes très puissantes.
Toutefois, les usagers, par analogie avec le carburant, préfèrent une immobilisation
minimale du véhicule même s’il ne s’agit pas d’une recharge contrainte sur un long trajet. On
ne peut donc exclure que les bornes de recharge rapide aient un intérêt commercial, par exemple
pour les stations-services qui souhaitent se reconvertir. Ces bornes rapides pourraient aussi
présenter un intérêt pour les particuliers qui ne disposent pas d’un emplacement permettant une
recharge domestique. Aller faire le « plein électrique » à une borne publique puissante pourrait
être une solution attractive.
Il serait donc utile que les collectivités territoriales, régions et communes, compétentes
pour les transports et la voierie, contribuent à la réalisation de cet objectif, comme elles peuvent
le faire pour les actions de
maîtrise de l’éner
gie (MDE). Elles pourraient notamment établir
avec le gestionnaire de réseau la cartographie des bornes de recharge publiques et en particulier
décider de l’implantation des bornes de recharge semi
-rapides pilotables ou, à titre
exceptionnel, de bornes rapides qui devraient être soumises à un avis conforme du gestionnaire
de réseau pour pouvoir être raccordées.
Toutefois, il n’est pas assuré q
ue les incitations financières soient à elles-seules
suffisantes pour atteindre les objectifs très élevés de recharges pilotables inscrits dans les
scénarios de transition énergétique. L
’État pourrait
donc ajouter à ces incitations une
réglementation
plus contraignante en faveur de l’implantation
de bornes pilotables, par exemple
pour les flottes professionnelles, les sites de recharge collectifs ou publics. Il ne serait pas
cohérent de pousser les ZNI vers plus d’autonomie
énergétique
, d’y ajouter une électrification
des usages et de ne pas accompagner cette transition par un cadre réglementaire adapté.
L’expérience mo
ntre également
qu’une obligation ou une interdiction qui s’applique à
une
même catégorie d’usagers
est souvent mieux comprise, donc mieux acceptée, que de coûteuses
incitations financières.
En toute hypothèse, la sensibilisation de tous les acteurs à ce sujet exige une implication
du gestionnaire de réseau et des collectivités locales qui détiennent une compétence pour ces
aménagements.
Le dispositif des PPE, espace de dialogue entre l’État et les collectivités des
ZNI, pourrait donc être mobilisé pour traiter ces questions, sur le modèle de ce qui est fait pour
la maitrise de la demande d’énergie (MDE).
Dans ce cadre, le gestionnaire de réseau devrait être étroitement associé à la planification
de l’implantation des bornes de recharge
, à la mise en place systématique de dispositifs de
recharge pilotables et, le cas échéant,
à l’adoption de
réglementations locales contraignantes en
matière de recharge pilotable.
Des objectifs sur ces différents sujets pourraient faire l’objet d’un
volet complémentaire des PPE modifiées. La Réunion apparaît engagée dans une telle voie.
Recommandation n° 1.
(DGEC, 2023) : Insérer dans les PPE un volet consacré au
développement des bornes pilotables pour la recharge des véhicules électriques.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
22
1.2
Une évolution par étape du cadre juridique et institutionnel
1.2.1
La mise en place progressive de la péréquation tarifaire
La loi dispose que le service public de l'électricité a pour objet de garantir, dans le
respect de l'intérêt général, l'approvisionnement en électricité sur l'ensemble du territoire
national, que «
la mission de fourniture d'électricité consiste à assurer (…) la fourniture
d’électricité sur l'ensemble du territoire, aux clients bénéficiaires des tarifs réglementés de
vente
»,
(…)
et que «
cette fourniture concourt à la cohésion sociale, au moyen de la
péréquation nationale des tarifs »
12
. Le législateur a donc entendu que les consommateurs des
ZNI puissent bénéficier de cette péréquation tarifaire et donc obtenir les mêmes tarifs
réglementés que ceux qui sont proposés aux consommateurs de l’Hexag
one, ce que précise
l’article R 337
-19-
1 du code de l’énergie
13
.
Si la justification sociale de la péréquation tarifaire pour ce qui concerne la fourniture
d’électricité
aux ménages n’est plus discutée aujourd’hui, il faut rappeler qu’
historiquement, la
notion même de péréquation tarifaire
n’allait pas de soi
.
En effet, les premiers réseaux électriques sont demeurés assez longtemps circonscrits à
un périmètre étroit, le plus souvent communal. Du fait des contraintes techniques qui limitaient
davantage qu’aujourd’hui les possibilités de transport de l’électricité sur de grandes distances,
les premiers réseaux se sont développés dans des ilots selon, le plus souvent, une logique
consistant à associer une centrale hydraulique ou thermique et un réseau de distribution
s’étendant sur quelques quartiers d’une ville.
La généralisation des moyens de production nécessitant des investissements très
importants qui dépassaient les besoins locaux, comme les barrages hydroélectriques construits
dans les années cinquante et soixante puis le parc électronucléaire dont le principe a été arrêté
au début de la décennie suivante, s’est accompagnée de la construction d’un réseau de transport
plus dense qui a remis en cause le caractère local du service public de l’électricité et a
conduit
à une approche tenant compte du caractère national de ces investissements, au surplus portés
par une entreprise nationale en monopole.
Dans ce cadre nouveau, la péréquation tarifaire prenait tout son sens tout en faisant
apparaitre le handicap des ZNI qui ne pouvaient, du fait de leur situation géographique,
bénéficier du parc de production interconnecté.
La loi n° 75-
622 du 11 juillet 1975 relative à la nationalisation de l’électricité dans les
départements d’outre
-mer transpose ce principe de péréquation dans ces territoires. Son article
6 précise ainsi que : «
Les tarifs de vente de l’énergie électrique en haute tension ou en basse
12
Article L 121-
5 du code de l’énergie
13
L’article R 337
-19-1 issu du décret n°2015-1823 du 30 décembre 2015 précise que «
Dans les zones
non interconnectées au réseau métropolitain continental, le niveau des tarifs réglementés de vente de l'électricité
aux consommateurs dont la puissance souscrite est supérieure à 36 kilovoltampères évolue, par catégorie tarifaire,
dans les mêmes proportions que le coût de l'électricité, déterminé par la Commission de régulation de l'énergie,
facturé aux consommateurs pour les mêmes puissances souscrites en France métropolitaine continentale. Ces
tarifs évoluent en même temps que les tarifs réglementés de vente de l'électricité aux consommateurs dont la
puissance souscrite est inférieure ou égale à 36 kilovoltampères
».
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
23
tension dans les départements d’outre
-mer seront progressivement alignés sur ceux de la
métropole, l’unification tota
le devant être réalisée dans un délai maximum de sept années
».
En inscrivant le principe de péréquation tarifaire géographique nationale dans son
article 2, la loi de modernisation du service public
de l’électricité
du 10 février 2000 met un
point final à
la lente émergence d’une solidarité nationale dans le secteur électrique
14
.
L’existence d’un dispositif de péréquation entre les ZNI et le continent n’est pas
spécifique à la France, bien au contraire. En effet, l’Espagne, l’Italie, le Royaume
-Uni pour les
îles Shetland, le Portugal et la Grèce ont mis en place une péréquation tarifaire avec le continent.
En revanche, le périmètre de financement, réparti entre consommateurs et contribuables, varie
d’un État à l’autre.
En vertu du principe de péréquation à
l’échelle nationale, les consommateurs paient un
niveau de facture d'électricité identique à celui de la France continentale : les surcoûts
structurels entre coûts de production et recettes tarifaires des fournisseurs historiques sont
compensés au titre de
s charges de service public de l’énergie (SPE).
Depuis 2015, leur
financement repose sur les contribuables
via le budget de l’État
.
Précision terminologique sur le terme CSPE
15
Depuis la réforme entrée en vigueur en 2016, l’acronyme
CSPE
est équivoque. Selon le contexte,
il peut renvoyer soit à la notion de contribution
au service public de l’énergie (ancien modèle de
contribution destinée à un emploi direct ou depuis 2016 la nouvelle taxe intérieure sur la
consommation finale d’électrici
té qui a repris en droit la dénomination « contribution au service
public de l’électricité »), soit aux charges de service public elles
-mêmes.
Afin de clarifier ce point, le Comité de gestion des charges de service public de l’électricité
recommande de parler respectivement de «
l’ancienne CSPE
», pour le régime existant jusque
2015, et de «
TICFE
» pour la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité ayant
désormais repris en droit la dénomination « contribution au service public de l’électric
ité ».
L’usage de l’acronyme « CSPE » est à proscrire pour les charges de service public de l’énergie,
pour lesquelles il est possible de parler des «
charges SPE
».
1.2.2
Un cadre juridique dérogatoire
1.2.2.1
Le cadre juridique national et européen
Le cadre juridique dérogatoire qui
s’applique aux
ZNI fait de celles-ci des survivances
du modèle d’organisation du système électrique antérieur à l’ouverture du marché électrique à
la concurrence dans l’UE
.
14
À Mayotte, la mise en œuvre complète de la péréquation tarifaire ne date
toutefois que de 2007 et de 2020 à
Wallis et Futuna.
15
Extrait du rapport annuel 2020 du Comité de gestion des charges de service public
de l’électricité
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
24
La mention de zones non interconnectées figure pour la première fois dans la loi du 10
février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité
prise afin de transposer en droit français la directive européenne de 1996.
Le droit européen pose des exceptions aux règles du marché intér
ieur de l’électricité
16
.
Il avait déjà prévu
la possibilité pour les États membres pouvant démontrer l’existence de
problèmes importants pour l’exploitation de leurs
« petits réseaux isolés »
de bénéficier de
dérogations à ces règles communes. La directive européenne n°2019/944 du 5 juin 2019 a défini
une classification supplémentaire, celle de «
petit réseau connecté
» permettant également de
telles dérogations.
Ces dérogations concernent principalement les règles qui imposent la séparation stricte
des activités de production, de fourniture et de gestion du réseau de transport d’électricité et
l’ouverture du marché de la fourniture à la concurrence. Seule la production d’électricité est
ainsi ouverte à la concurrence.
1.2.2.2
Le cas de la Corse
La Corse est considérée en droit français comme une ZNI, implicitement comme un
« petit réseau isolé » au sens du droit européen
jusqu’en 2019
alors même
que l’interconnexion
de son réseau avec celui de la Sardaigne
17
, lui-même relié au réseau italien continental, aboutit
à ce que la part de la consommation électrique annuelle transitant par cette liaison dépassait très
largement le plafond de 5% fixé par la directive n°2003/54/CE du 26 juin 2003.
La nouvelle directive européenne n°2019/944 du 5 juin 2019 ayant défini une
classification supplémentaire, celle de « petit réseau connecté », la France a demandé à la
Commission européenne que la Corse relève de cette catégorie. En cas de réponse favorable,
ceci lui permettrait de continuer à bénéficier de dérogations par rapport au fonctionnement du
marché européen continental, a minima durant une certaine durée.
Comme il apparait dans le graphique n°1, de toutes les ZNI, c’est en Corse qu
e le coût
de production de l’électricité est le plus faibl
e (cf. supra). Mais
il s’agit
en réalité
d’
un coût de
16
Figure également dans la directive n°2009/72/CE la notion de « micro réseau isolé ». Dans cette directive,
un « petit réseau isolé » qui désigne « tout réseau qui a une consommation inférieure à 3 000 GWh en 1996 et qui
peut être interc
onnecté avec d’autres réseaux pour une quantité inférieure à 5 % de sa consommation annuelle ».
Un « micro réseau isolé » désigne « tout réseau qui a eu une consommation inférieure à 500 GWh en 1996, et qui
n’est pas connecté à d’autres réseaux. La directive n°2019/944 précise qu’un «
petit réseau connecté » est un réseau
qui avait une consommation inférieure à 3 000 GWh en 1996, et qui peut être interconnecté avec d'autres réseaux
pour une quantité supérieure à 5 % de sa consommation annuelle.
17
Il existe deux interconnexions entre la Corse et la Sardaigne
: une ligne SARCO d’une capacité de
100
MW qui transporte du courant alternatif, l’électricité pouvant être injectée directement sur le réseau corse
depuis 2006 et une autre dite SACOI (SArdaigne-COrse-It
alie) d’une capacité de 300 MW qui transporte du
courant continu qui est transformé en courant alternatif dans la station de conversion située à Lucciana mis en
service en 1985. Le gestionnaire du réseau corse peut prélever 50 MW sur cette ligne. Un projet de renouvellement
et de redimensionnement de cette ligne figure depuis 2015 dans la PPE de la Corse. Une fois que le projet conduit
par EDF et Terna aura été mené à bien, le gestionnaire du réseau corse pourra prélever 100 MW, la capacité de la
ligne étan
t portée à 400 MW. L’achèvement du projet est prévu pour 2025. Pour la partie française, le coût du
projet a été estimé en 2019 à 270 M€ dont 130 pour la construction de la nouvelle station de conversion et 140
pour le renouvellement des réseaux câblés en mer et sur terre.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
25
revient de l’électricité injectée sur le réseau. En 2021,
17,8% de la consommation électrique de
la Corse a ainsi été importée de Sardaigne et 9
% depuis l’Italie continentale
. En raison de la
présence de deux centrales thermiques à charbon en Sardaigne, cette électricité présente
l’inconvénient d’être
fortement carbonée. Ces importations étant réalisées lorsque le coût de
l’électricité importée e
st plus faible que celui de la production locale, elles diminuent le coût de
revient moyen de l’électricité injectée sur le réseau corse.
Le cas de la Corse illustre ainsi l’avantage résultant d’une interconnexion avec un autre
réseau de taille substantielle
: l’importation d’électricité est préférable lorsque le prix de
l’électricité importée est plus bas que le coût
local
de production et permet d’éviter d’investir
dans de nouvelles capacités nécessaires pour couvrir la période de pointe.
En 2021, le so
utien à la ZNI Corse a atteint 371,2 M€, dont 275 M€ au titre des
mécanismes de solidarité prenant en charge les surcoûts de production et d’achats d’électricité
issus des seules énergie fossiles
18
. Au titre de 2022, l’estimation de la CRE atteint un montan
t
de 530 M€, dont 404 M€ au titre des mécanismes de solidarité relatifs aux surcoûts de
production et d’achats d’électricité issus d’énergies fossiles. Pour 2023, l’estimation de la CRE
atteint les montants respectifs de 474,3 M€ et 353,3 M€
19
.
L’évolution
technologique relative aux câbles électriques et de la pose de ces derniers a
rendu possible des projets d’interconnexions électriques sous
-marines à très haute tension sur
des distances et des profondeurs de plus en plus grandes. De nombreux projets ont ainsi vu le
jour, particulièrement dans l’est du bassin méditerranéen, où les projets et réalisations se
multiplient (Cf. Annexe 1
). Parmi eux, l’interconnexion achevée entre la Crête et le
Péloponnèse (135 km de câble sous-marin) et celle en cours entre l
a Crête et l’Attique sont
éclairants. S’agissant de la seconde pour laquelle un premier câble sous
-marin de 500 MW a
été posé (le second de 500 MW sera mis en service en 2024), le projet d’un montant total
d’environ 1 Md€ doit permettre d’économiser 550 M€
par an tout en réduisant les émissions de
CO2 de la Grèce en raison de l’arrêt de centrales à charbon et au fioul.
La question
d’une liaison directe de
la Corse au réseau continental français peut donc
être posée, la distance ne constituant pas un obstacle réel.
Il semble qu’une
telle liaison n’a
it
jamais été étudiée au cours des dernières décennies, alors même que le coût de l
’étude pourrait
figurer parmi les dépenses compensables au titre des charges de service public.
Une telle interconnexion ne se substituerait pas à la production locale, indispensable en
cas d’avarie ou en période d’entretien d’un câble, mais elle viendrait la compléter et renforcerait
le dispositif d’interconnexion passant par la Sardaigne qui conduit à importer de l’énergie
carbo
née. L’interconnexion avec le réseau hexagonal pourrait notamment permettre d’absorber,
sans investissements disproportionnés dans des nouveaux moyens de production, la pointe
estivale qui sera plus marquée à l’avenir avec le développement des véhicules él
ectriques et de
la climatisation.
Un tel projet étant long à mettre en œuvre alors que le statut dérogatoire de «
petit réseau
non connecté » demeurera vraisemblablement précaire en raison de la suppression de
nombreuses ZNI dans l’Union Européenne au fu
r et à mesure du développement des
interconnexions, l
a Cour recommande qu’un projet d’interconnexion entre la Corse et le réseau
18
Délibération du 3 novembre 2022 de la CRE, Annexe 1 page 28.
19
Les montants prévisionnels pour 2022 et 2023 figurent dans l’annexe n°1 de la délibération de la CRE
du 13 juillet 2022.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
26
hexagonal soit étudié
sans tarder, en vue d’une mise en œuvre à l’horizon 2040
et que cette
étude soit inscrite dans la PPE de la Corse.
Recommandation n° 2.
(DGEC, 2025) : Dans le cadre de la PPE de la Corse, étudier un
projet d’interconnexion à terme entre la Corse et le réseau continental, en complément de
moyens de production locaux.
1.2.3
Les tarifs réglementés dans le cadre de la péréquation
1.2.3.1
La péréquation tarifaire pour les ménages
L
a péréquation tarifaire proprement dite, c’est
-à-
dire l’alignement du prix en ZNI sur
celui pratiqué en zone continentale, ne vaut que pour les ménages qui sont, de ce point de vue
considérés comme des usagers d’un service
public national au même titre que leurs
compatriotes continentaux.
Ainsi, pour les clients dont la puissance souscrite est inférieure ou égale à 36 kVA et
raccordés en basse tension, les barèmes des tarifs réglementés bleus résidentiels et non
résidentie
ls de la métropole continentale s’appliquent.
Le graphique ci-dessous montre la répartition des bénéficiaires en nombre et en
consommation électrique.
Graphique n° 8 :
Répartition 2020 par ZNI pour les clients en TRVE Bleu (moins de 36 kVA) en
nombre de sites et en consommation
Source : CRE
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
27
1.2.3.2
Les différents tarifs pour les professionnels
Les tarifs Vert (gros industriels) et Jaune (petits industriels) ont été maintenus en ZNI.
Leur dénomination varie selon les zones. Il existe ainsi des tarifs Vert et Jaune en Corse alors
que les territoires ultramarins fonctionnent avec des tarifs Vert et « Bleu plus ».
Si le dispositif des TRV Bleu n’appelle pas d’observations puisqu’il reprend le tarif
général applicable sur l’ensemble du territoire national, la construction des tarifs V
ert, Bleu
Plus (Outre-
Mer) et Jaune (Corse) est plus incertaine puisqu’ils n’ont plus d’équivalents
dans
l’Hexagone
, ce qui rend la notion de péréquation tarifaire beaucoup moins claire.
En application de l’article R. 337
-19-
1 du code de l’énergie, les tar
ifs réglementés
professionnels évoluent par catégorie tarifaire «
dans les mêmes proportions que le coût de
l'électricité, déterminé par la Commission de régulation de l'énergie, facturé aux
consommateurs pour les mêmes puissances souscrites en France métropolitaine continentale
».
Cette règle n’est pas équivalente à une péréquation et il parait difficile d’en cerner l’application
pratique lorsque les prix de marché s’éloignent significativement des coûts moyens de
production nationaux, ce qui a été le cas en 2021 et 2022.
Les TRV Vert, Jaune et Bleu Plus sont en fait construits comme des tarifs administrés à
partir
de
la
méthode
d’empilement
des
coûts
(énergie,
capacité,
acheminement,
commercialisation et rémunération normale) avec une référence aux prix pratiqués sur le
marché continental qui ne traduit pas un objectif de « péréquation ».
Les dernières augmentations tarifaires décidées par la CRE au 1
er
août 2022 ne
permettent
pas de comprendre comment est utilisée la règle de l’évolution «
dans les mêmes
proportions
» qu’en France continentale. Ainsi, la dernière hausse a été, en août 2022, de
+ 5,7
% HT pour les tarifs Jaune et Bleu Plus et de + 13,1 % HT pour les tarifs Vert, en ZNI. Elles
ne reflètent pas l’état du marché européen et ne traduise
nt donc pas une évolution «
dans les
mêmes proportions
» que les contrats d’électricité des clients professionnels en métropole, sans
préjudice des différents dispositifs de « bouclier ».
Cette situation n’appelle en soi pas de critique. Les ZNI sont des
territoires
économiquement fragiles et le maintien d’une forme de péréquation avec des prix continentaux
calés sur les coûts de production nationaux n’est pas anormale. On v
errait
d’ailleurs
mal
l’intérêt de leur imposer les hausses des prix européens. Toutefois, l’objectif poursuivi par les
TRV professionnels mériterait d’être clarifié au regard
de leur modalités de détermination et du
coût en découlant pour les finances publiques.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
28
1.2.4
Des outils complexes associant État, collectivités et opérateurs
1.2.4.1
Les progra
mmations pluriannuelles de l’énergie (PPE)
La programmation pluriannuelle de l′énergie
des ZNI est un instrument créé par la
LTECV de 2015. Quelques modalités ont été complétées par décret en 2016
20
. Le code de
l’énergie prévoit que les ZNI faisant l’objet
d’une PPE sont
la Corse, la Guadeloupe, la Guyane,
la Martinique, Mayotte, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon et les îles Wallis et Futuna.
Ces PPE précisent les objectifs de politique énergétique et identifient les enjeux et les
risques pour orienter les travaux des différents acteurs des ZNI. Elles fixent notamment les
trajectoires de développement des filières renouvelables à différents horizons temporels. La
particularité de ces instruments est de faire l’objet d’une co
-élaboration entre les services
déconcentrés de l’État et
l
es collectivités concernées, avant d’être ensuite validés par décret.
Les PPE s’appuient notamment sur le bilan prévisionnel de l'équilibre entre l'offre et la
demande d'électricité préparé par le gestionnaire de réseau. Chaque PPE est révisée au moins
tous les cinq ans pour deux périodes de cinq ans et, le cas échéant, les années restant à courir
de la période pendant laquelle intervient la révision. Elle peut faire l’objet d’une «
révision
simplifiée » à l'initiative du gouvernement ou du président de la collectivité. Le code de
l’énergie précise que cette révision simplifiée ne doit pas modifier l'économie générale de la
PPE initiale, notamment «
au regard de leur impact sur les ressources publiques
», et elle doit
porter sur la même période.
Les PPE des ZNI couvrent de nombreux domaines. Une première série concerne des
sujets qui, sur le continent, sont identiques à ceux de la PPE nationale
21
et relatifs :
-
«
A la sécurité d'approvisionnement
» (…)
;
-
«
A l'amélioration de l'efficacité énergétique et à la baisse de la consommation
d'énergie primaire, en particulier fossile
» (…) ;
-
«
Au développement
de
l'exploitation
des
énergies
renouvelables
et
de
récupération
» (…)
-
«
Au développement équilibré des réseaux, du stockage et de la transformation des
énergies et du pilotage de la demande d'énergie
» (…)
;
S’y
ajoutent des volets spécifiques aux ZNI
22
relatifs :
-
«
A la sécurité d'approvisionnement en carburants et à la baisse de la
consommation d'énergie primaire fossile dans le secteur des transports
» ;
-
«
A la sécurité d'approvisionnement en électricité. Ce volet définit les critères de
sûreté du système énergétique
» (…)
23
;
20
Décret n°2016-1098 du 11 août 2016 relatif aux mo
dalités d’évaluation et de révision simplifiée de la
programmation pluriannuelle de l’énergie.
21
Article L. 141-2
du code de l’énergie, cité par l’article L.141
-5-I.
22
Article L.141-5-II
du code de l’énergie
.
23
S’y ajoutent, pour la Guyane, des précisions
sur «
les actions mises en œuvre pour donner accès à
l'électricité aux habitations non raccordées à un réseau public d'électricité ainsi que les investissements dans les
installations de production d'électricité de proximité ».
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
29
-
«
Au soutien des énergies renouvelables et de récupération mettant en œuvre une
énergie stable. La biomasse fait l'objet d'un plan de développement distinct qui
identifie les gisements par type de biomasse valorisable et les actions nécessaires
pour exploiter ceux pouvant faire l'objet d'une valorisation énergétique, tout en
limitant les conflits d'usage
» ;
-
«
Au développement équilibré des énergies renouvelables mettant en œuvre une
énergie fatale à caractère aléatoire, des réseaux, de l'effacement de consommation,
du stockage et du pilotage de la demande d'électricité
» (…).
Le code de l’énergie ajoute que
la PPE précise les enjeux de développement des filières
industrielles sur les territoires, de mobilisation des ressources énergétiques locales et de création
d'emplois.
Enfin, les PPE des ZNI doivent fixer, le cas échéant la date d'application des obligations
de l’État et des collectivités concernant leurs parcs de véhicules, les objectifs de déploiement
des dispositifs de charge pour les véhicules électriques et hybrides rechargeables, et les objectifs
de développement des véhicules à faibles émissions dans les flottes de véhicules publiques.
Le nombre et l’importance des sujets traités, de la décarbonation de la production
électrique et des transports à la maitrise de l’énergie en passant par la question agricole de la
production de biomasse locale, donne aux PPE un rôle central tout en limitant le cadre de
négociation à l’État et aux collectivités locales, les opérateurs techniques, le gestionnaire de
réseau et la CRE étant cantonnés en théorie à un rôle de conseil alors que la prise en compte de
leurs points de vue sur les sujets qui les concernent directement est essentielle pour la réussite
de la négociation puis de la mise en œuvre des PPE.
1.2.4.2
Les opérateurs historiques et les administrations
de l’État
Une des particularités du cadre institutionnel dans les ZNI est l
’absence
de séparation
complète des activités de production et de gestionnaire de réseau, qui confère un rôle particulier
à EDF Systèmes Énergétiques Insulaires (EDF SEI)
24
dans ces territoires, sauf à Mayotte où il
incombe à Électricité de Mayotte (EDM), et, à Wallis et Futuna, à Eau et Électricité de Wallis
et Futuna (EEWF, filiale du groupe Engie).
EDF SEI est en situation de monopole pour ce qui concerne la fourniture d’électricité
aux tarifs réglementés de vente. En revanche, l’activité de
production est partagée entre (i) EDF
SEI qui continue à exploiter le parc historique de production qui lui appartient (environ 26 %
de l’énergie produite en 2020) et (ii) des producteurs tiers comme EDF PEI
25
, Albioma,
Voltalia, Akuo, TotalEnergies, Corsica Sole, etc. Au total, en ZNI, EDF SEI gère près de 9 000
contrats d’obligation d’achat en tant qu’a
cheteur unique.
Les directives de libéralisation des marchés de l’électricité et du gaz, tout en imposant
la séparation des activités de gestionnaire de réseau des activités de production et de
24
EDF SEI est la direction d
’EDF SA qui, en tant qu’opérateur intégré, produit, transporte, distribue et
commercialise l’électricité dans
toutes les ZNI autres que Mayotte. Elle gère 36 500 km de réseaux électriques et
achemine de l’électricité auprès de 1,2 million de consommateurs.
En 2020, le volume d’énergie soutirée sur les
réseaux d’EDF SEI s’élevait à 8,6 TWh
.
25
EDF
Production Électrique Insulaire, filiale à 100 % d’EDF SA
.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
30
commercialisation, prévoient des dérogations pour les petits systèmes isolés comme les ZNI.
La CRE assure une mission de contrôle des comptes et d
es activités d’EDF
-SEI ainsi que sur
toute la chaîne d’activités
: les
contrats d’achat de gré à gré sont audités et validés par la CRE,
l’activité de réseaux fait l’objet d’une tarification
ad hoc
(TURPE) définie par la CRE et, en
l’absence de marché, cette dernière fixe les tarifs réglementés de vente.
Dans les ZNI, le gest
ionnaire de réseau est chargé par le code de l’énergie de définir le
bilan prévisionnel qui établit, territoire par territoire, les besoins en matière de sécurité
d’approvisionnement. Ce bilan fournit une des bases de travail pour préparer les PPE.
Certains acteurs considèrent que cette situation particulière pourrait poser la question de
l’indépendance du gestionnaire de réseau puisque le bilan prévisionnel définit des
dimensionnements de moyens de production et des besoins d’équilibrage du système
, ce qui
pourrait affecter leurs projets de développement. Pour cette raison, le rapport IGF-CGEDD de
2017 avait recommandé de distinguer les fonctions de gestionnaire de réseau et d’opérateur de
de production dans les ZNI. C
e n’est pas l’option qui a été retenue par le
Gouvernement. La
réponse privilégiée a été de confier davantage de pouvoir à la CRE, qui est saisie des projets de
PPE pour évaluer les besoins et les solutions retenues.
Au sein des administrations centrales, la DGEC
a un rôle moteur. La présence d’
un
conseiller ZNI auprès du directeur général permet une bonne prise en compte des questions
concernant les ZNI à cet échelon, ainsi qu’un appui efficace auprès des administrations
déconcentrées. Pour limiter tout risque de centralisation, de personnalisation de cette fonction
et de perte de mémoire en cas de changement de titulaire, la DGEC indique veiller à renforcer
le partage d’information avec la sous
-direction en charge du système électrique et des énergies
renouvelables et à faire en sorte que les DEAL aient une vision exhaustive des enjeux
énergétiques de leur territoire.
Dans les autres administrations centrales concernées, la spécificité des questions liées
aux ZNI n’est pas toujours bien identifiée et il pourrait être utile d’y nommer un référent en
charge des ZNI. Cela pourrait être le cas notamment à la direction générale des Outremers
(DGOM), à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGTIM) et à
la direction générale de l’a
ménagement, du logement et de la nature (DGALN).
1.2.4.3
Le rôle de la CRE
La CRE s’est vue confier par la loi un nombre croissant de missions liées au soutien aux
ZNI. L’introduction en 2014 au sein de son collège d’un commissaire nommé «
en raison de sa
connaissance et de son expérience des zones non interconnectées » (sur proposition du ministre
chargé de l'outre-
mer), témoigne de l’ampleur qu’a pris ce sujet au sein des activités de la CRE.
Deux missions principales de la CRE peuvent être distinguées concernant les ZNI.
S’agissant des conséquences de la péréquation, l
a CRE fixe chaque année les tarifs
réglementés de vente d’électricité (TRV) qui s'appliquent dans les ZNI
et évalue, en
conséquence,
le montant des charges prévisionnelles de service public de l’é
nergie à financer
pour l’année suivante. Ces charges comprennent les surcoûts de production et les surcoûts
d’achat au titre de la péréquation tarifaire, les coûts des actions de maîtrise de la demande en
énergie,
les coûts d’unités de stockage d’énergie (
tous supportés par EDF SEI, EDM et EEWF)
et les coûts des études en vue de projets d’approvisionnement énergétique.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
31
S’agissant de l’évolution du parc de production, elle
évalue le niveau de compensation
dont pourront bénéficier les producteurs dans le cadre des contrats de gré à gré. Pour cela, elle
calcule le coût normal et complet (CNC) des projets d’unités des producteurs
26
, ainsi que la
compensation des actions de maîtrise de la consommation et des installations de stockage
27
.
Enfin, la CRE joue un rôle
non négligeable dans l’élaboration des PPE
même si elle
n’est pas partie prenante au dispositif de négociation. Il s’agit notamment pour elle de prévenir
tout risque de surcapacités résultant de la mise en service de projets développés par EDF PEI à
la fin
des années 2000 et de l’introduction croissante d’énergies renouvelables dans le mix des
ZNI, le tout dans un contexte économique et démographique souvent peu dynamique. La CRE
s’est dotée d’un outil informatique important qui lui permet d’être le seul ac
teur de la politique
des ZNI capable d’analyser les bilans prévisionnels établis par EDF SEI.
Cet outil lui permet aussi de remettre en question le dimensionnement des nouveaux
moyens de production,
afin d’éviter des coûts échoués.
Ainsi, en Corse, elle a critiqué la
technologie proposée (dont le régime de production envisagé permettait difficilement d’amortir
coûts d’investissement) et le surdimensionnement de la puissance envisagée (250 MW, alors
qu’une installation de 150
MW lui paraissait suffisante) pour une installation. La CRE a ainsi
proposé des solutions alternatives avec des économies pour le budget de l’État comprises entre
2,4 et 2,9
Md€ sur 25 ans. En
Guadeloupe, la CRE a contesté les ambitions du projet de révision
de la PPE en soulignant le risque de surdimensionnement en moyens de production
renouvelable
(ces moyens risquaient d’être
sous-appelés ou largement écrêtés, ce qui aurait
conduit à un coût de production anormalement élevé ; cf. infra).
1.2.4.4
Contrats d’obligation d’achat, appels d’offres
et contrats de gré-à-gré
La péréquation nationale permet de compenser les surcoûts de production dans les ZNI.
Trois instruments économiques sont utilisés pour soutenir le développement de la production
d'électricité dans les ZNI : l’obligation d'achat par le biais de tarifs, les appels d’offre
s et les
contrats de gré à gré. Ces outils sont plus ou moins bien adaptés aux différentes filières selon
leur degré de maturité et le niveau de concurrence existant sur leur marché.
L’obligation d'achat par le biai
s de tarifs est un dispositif décliné par ZNI. Un tarif
garanti en €/MWh injecté est défini par arrêté pour l’installation soutenue, sur une durée de 15
à 25 ans. Cet instrument est privilégié pour les filières pour lesquelles les coûts sont
suffisamment c
onnus et homogènes d'un projet à l'autre. Il concerne aujourd’hui les
installations photovoltaïques de faible puissance
28
et les projets éoliens. L’obligation d’achat
s’inscrit dans les objectifs fixés par les PPE de chaque territoire. Les projets d’arrêté
s tarifaires
font l’objet d’un avis de la CRE.
26
Le CNC, définie par la CRE,
correspond au coût de production et d’exploitation d’une unité de
production permettant de répondre à un objectif de politique énergétique prévu par la PPE.
27
Dans les ZNI, qui ne bénéficient pas de la résilience du réseau métropolitain, l’impact de
la variabilité
des énergies renouvelables est plus grand. Le stockage permet d’augmenter le seuil d’injection instantanée qui
était jusqu’ici forfaitairement fixé à 30 %. Pour en assurer le développement, la loi prévoit, depuis 2012, que les
ouvrages de stockage centralisés pilotés par le gestionnaire de réseau peuvent être financés au titre des charges de
service public de l’énergie dans la limite des surcoûts de production qu’ils permettent d’éviter.
28
Actuellement moins de 100kWc. Il est prévu que cette limite soit prochainement portée à 500kWc.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
32
Dans le cas des appels d’offres, les lauréats bénéficient d’un contrat d'achat pour leur
production sur une période définie et à leur prix de soumission en €/MWh injecté. Cet
instrument est adapté aux filières pour lesquelles le niveau de concurrence est suffisamment
élevé, critère aujourd’hui satisfait par les installations photovoltaïques de grande taille.
L’obligation d’achat s’inscrit dans les objectifs fixés par les PPE de chaque territoire et fait
l’objet d’un suivi strict de cohérence, la CRE se chargeant de l’instruction des procédures
d’appel d’offres. D
epuis 2015, cinq
appels d’offres ont été lancés
dans les ZNI, portant sur des
installations photovoltaïques.
Enfin, les contrats de gré à gré sont uti
lisés dans tous les autres cas, c’est
-à-dire pour les
filières biomasse, géothermie et thermique (diesel, charbon…)
; ils peuvent aussi concerner la
prolongation de l’exploitation d’un parc éolien à la suite d’un contrat d’obligation d’achat.
Ils
sont conc
lus, après validation par la CRE, entre le porteur de projet et l’opérateur historique.
Pour accorder un contrat de gré à gré, la CRE s’assure de
sa conformité aux objectifs énoncés
dans la PPE. Elle évalue également sa pertinence économique au regard des alternatives
existantes, conformément aux recommandations du rapport IGF-CGEDD de 2017 sur les ZNI.
La CRE analyse au cas par cas le coût « normal et complet » (CNC) des installations, selon une
méthodologie publique.
La compensation d’une installation soutenue par ce type de contrat est constituée d’une
part fixe qui rémunère le capital investi et couvre les charges fixes d’exploitation, et d’une part
variable qui couvre les charges variables d’exploitation. Environ 60 moyens de production
d’électricité bénéficient aujourd’hui d’un contrat de gré
-à-gré dans les ZNI. Depuis 2015, la
CRE a validé en gré à gré 24 installations
de production d’électricité
(de puissance supérieure
ou égale à 5 MW), et 13 projets de
stockage d’électricité
dans le cadre de deux guichets ouverts
en 2018 et 2019.
En 2006, le taux de rémunération des capitaux investis dans les moyens de production
d’électricité dans les ZNI est passé de 7,5% à 11%
29
. Au cours des années suivantes, ce système
de taux uniforme pour toutes les ZNI et relativement élevé a révélé de sérieux inconvénients. Il
a notamment entraîné, sur la période 2006-2013, une hausse des charges de service public de
l’énergie de 257 M€, tout en empêchant de prendre en compte la diversité des technologies et
les spécificités géographiques et climatiques des ZNI. En 2017, la mission IGF-CGEDD-CGE
a recommandé «
une révision du taux de rémunération des capitaux investis, dont la fixation et
la révision périodique pourraient être confiées à la CRE, dans un cadre qui devrait tenir compte
de l’évolution des taux de refinancement et des conditions locales d’investissement
», ainsi
qu’un ajustement de l’assiette des capitaux concernés.
En 2020, un nouveau dispositif a été adopté par le gouvernement
30
. Il s’applique à
la
production d
’électricité, au stockage et à la MDE. Désormais, le taux de rémunération nominal
avant impôt du capital immobilisé est fixé, pour chaque projet, par arrêté du ministre chargé de
l'énergie. Le calcul du taux vise notamment à mieux prendre en compte les particularités des
différents territoires et les caractéristiques des projets. Il conviendra de vérifier si cette nouvelle
structure de rémunération reste incitative pour les porteurs des projets et pour le maintien de
29
Arrêté du 23 mars 2006, pris à la suite de la n°2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les
orientations de la politique énergétique (prévoyant que les conditions de rémunération du capital immobilisé
seraient
définies par arrêté du ministre chargé de l’énergie
).
30
Arrêté du 06/04/2020 relatif au taux de rémunération du capital immobilisé pour les installations de
production électrique, pour les infrastructures visant la maîtrise de la demande d'électricité et pour les ouvrages de
stockage piloté par le gestionnaire de réseau dans les zones non interconnectées.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
33
l’équilibre du système électrique dans les territoires. D’après EDF SEI, cela risque de ne pas
être le cas.
Dans le prolongement de cet arrêté d’avril 2020, la CRE a actualisé sa méthodologie de
2015 en décembre 2020 pour préciser sa méthode de calcul de la rémunération et pour actualiser
l’as
siette des investissements à prendre en compte.
D’après EDF SEI, cette méthodologie est
pertinente pour de petits projets classiques mais non pour
des projets d’une taille significative
,
notamment parce qu’elle ne prend pas assez en compte les divers aléas
pesant sur la
rémunération des contrats.
Les effets potentiellement bénéfiques pour les finances publiques de cette réforme de
2020
n’apparaîtront que progressivement car ses modalités ne s’appliquent qu’aux nouvelles
installations. La CRE est chargée pa
r l’arrêté de 2020 d’établir un rapport de mise en œuvre
tous les cinq ans à partir de 2023.
1.2.4.5
Des actions de maîtrise de la demande d
’électricité (MDE) à développer
La maîtrise de la demande d’électricité (MDE) consiste à mettre en place des actions
permettant de réduire le recours aux moyens de production les plus carbonés, limiter les
investissements futurs et éviter les émissions de CO2, particulièrement dans les territoires au
mix très carboné. Depuis 2013, le coût de ces actions est financé par les charges de service
public de l’énergie. En janvier 2019, la CRE a approuvé un plan d′aides à l′investissement de
534 M€ sur cinq ans. En 2019 et 2020, plus de 172 M€ ont été mobilisés, permettant chaque
année d′économiser 330 GWh et d′éviter le rejet de 216 0
00 tonnes de CO2. Sur les trente
prochaines années, 831 M€ d′économies devraient ainsi être réalisés sur les charges de service
public de l′énergie, d’après la CRE
31
.
Pour encadrer le dispositif de la MDE, la CRE a mis en place des méthodologies
spécifiques
: en 2015 pour les projets d’infrastructures (supérieurs à un million d’euros) et en
2017 pour les « petites » actions (promotion des ampoules basse consommation, remplacement
de parcs de chauffe-eau électriques par des chauffe-eau solaires, etc.). Pour les petites actions
de MDE, chaque ZNI doit constituer un comité MDE et élaborer un plan stratégique de
déploiement des actions, appelé « cadre territorial de compensation ». Validés par la CRE, ces
documents précisent, pour une période de cinq ans à partir de 2019, la nature et les
caractéristiques des actions retenues ainsi que le montant maximal des aides financées par les
charges de service public de
l’énergie. Les aides s’adressent aux particuliers, entreprises et
collectivités locales.
D’abord réservée
au fournisseur historique de chaque ZNI, cette disposition a été
étendue aux collectivités et aux opérateurs publics en 2020. Mais la participation financière des
acteurs autres que le fournisseur historique reste limitée. Aucun opérateur n’a déclaré de
c
harges au titre des projets d’infrastructure visant la MDE pour les années 2021, 2022
et 2023.
Comme le regrette la CRE, le montant total des participations tierces a même tendance à
diminuer.
Enfin, la CRE a publié des bilans des cadres territoriaux pour les années 2019 et 2020
qui décrivent les résultats positifs engrangés mais aussi les retards et perturbations entraînés par
31
Rapport annuel 2021 de la CRE.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
34
la crise du Covid et le manque critiquable de communication des comités MDE à l’attention du
public en Guyane et en Corse, qui empêche une bonne appropriation de ce dispositif par les
consommateurs.
Pour l’année 2021, les actions MDE réalisées en 2021 et financées par les charges de
service public de l’énergie ont représenté un montant total de 78,9 M€. Elles devraient permettre
d’éviter 521,3 M€ de surcoûts de production, engendrant ainsi une économie nette de charges
de service public de l’énergie de 442,4 M€ sur la durée de vie des dispositifs de MDE –
qui
s’étalent de 3 à 30 ans.
La majeure partie des actions de MDE sont prises en charge par EDF SEI. Entre 2017
et 2021, elles ont permis une augmentation de 75% des coûts évités de charges de service public
de l’énergie, avec une économie nette progressant de 63%, d’après EDF SEI
. Toutefois, leur
efficience (rapport entre les charges de SPE évitées et les charges de SPE consacrées à ces
actions) est en baisse.
Cette diminution s’explique, selon EDF SEI, par une prédominance des volumes des
actions vers les clients particuliers, notamment précaires, fortement accompagnés ces trois
de
rnières années (74% des coûts évités avec une efficience moyenne de l’ordre de 2), par
rapport aux actions vers les clients entreprises (26% des coûts évités avec une efficience
moyenne de l’ordre de 4,3). Il serait rationnel économiquement de focaliser l’
effort de MDE
sur les actions où son efficience en termes d’économies de charges de SPE est la plus forte,
c’est
-à-dire les actions vers les entreprises.
Recommandation n° 3.
(CRE, 2023) :
Focaliser l’effort de maîtrise de
la demande
d
’électricité dans les ZNI sur les actions
les plus efficientes des entreprises
1.2.4.6
Des outils complémentaires
Deux autres outils contribuent au soutien aux ZNI mais dans des proportions plus
modestes que ceux mobilisés notamment au travers des PPE : le financement des aides aux
collectivités pour l’électrification rurale (Facé) et le fonds de péréquation de l’électricité (FPE).
Les crédits du Facé concernant les ZNI représentent 8,5 M€ au PLF 2023 (soit 2,4% du
budget du Facé), en augmentation de 2 M€ par rapport à 2022. Ils visent à soutenir des act
ions
situées dans les ZNI afin de
«
favoriser la production d’électricité via les énergies
renouvelables, en évitant des extensions trop coûteuses du réseau de distribution
».
Le rapport de la Cour sur le Facé publié en septembre 2022 constate que plusieurs de
ses préconisations de 2017 ont été mises en œuvre
32
. Mais il déplore des résultats décevants au
regard de moyens financiers alloués. La Cour relève notamment des niveaux extrêmement
faibles de consommation des enveloppes spécifiques du programme 794 consacrées aux ZNI
ou aux actions de maîtrise de la demande d’énergie (MDE). Elle explique ces difficultés à
mobiliser puis à utiliser les crédits du Facé notamment par le manque d’ingénierie de certains
32
Le
Financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale
, Relevé d’observations
définitives de la Cour des comptes n°S2022-1005.
aides-aux-collectivites-pour-lelectrification-rurale
.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
35
syndicats, en particulier à Mayotte et en Guyane. El
le estime que l’effet de levier des aides du
Facé n’est pas suffisant à lui seul pour déclencher les opérations particulières d’extension, de
modernisation et de renforcement du réseau de distribution dont ont besoin les territoires
ultramarins.
S’agissa
nt du FPE, c
réé par la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité
et du gaz, il a pour objet de compenser l’hétérogénéité des conditions d’exploitation des réseaux
publics de distribution d’électricité entre les différentes concessions pré
sentes sur le territoire
national. Il vise ainsi à assurer la couverture de certains coûts des concessions les moins
rentables, en pratique celles qui se situent en zone rurale. EDF SEI considère la rémunération
issue du FPE déterminante pour la réalisation des investissements nécessaires dans les réseaux
ultra-marins.
Le code de l’énergie prévoit que les charges liées à la gestion des réseaux dans les
ZNI puissent être intégrées dans le mécanisme de la péréquation. En 2017, EDF SEI et EDM
ont demandé leur intégration au FPE. La CRE a fixé le niveau de leur dotation et le cadre de
régulation pour deux périodes : 2018-2021 puis 2022-
2025. Les dotations annuelles d’EDF SEI
et EDM sont résumées dans le tableau suivant
33
.
Tableau n° 5 :
Dotations d’EDF SEI et EDM au FPE sur les
périodes 2018-21 et 2022-25
Source : CRE
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
Le législateur a généralisé dans les ZNI la péréquation tarifaire nationale ce qui permet
à leurs habitants de bénéficier de tarifs
de l’électricité identiques à ceux de l’
Hexagone, alors
que les coûts de production y sont localement beaucoup plus élevés, entraînant des charges de
service public importantes, supportées par le budget de l’État
.
Le droit européen autorise pour ces territoires des exceptions aux règles du marché
intérie
ur de l’électricité, notamment s’agissant de la séparation stricte des activités de
production, de fourniture et de gestion du réseau de transport d’électricité et
du maintien de
tarifs réglementés pour les entreprises.
L’électricité produite dans les ZNI
présente la double particularité, par rapport à
l’Hexagone, d’être encore très carbonée, tout en comportant, pour plusieurs d’entre elles, une
part élevée de production d’origine renouvelable.
33
La méthode utilisée pour définir ces dotations
s’inspire de celle du tarif d’utilisation des réseaux publics
de distribution (TURPE). Les opérateurs soumettent à la CRE un dossier de demande tarifaire comportant leurs
prévisions de charges. Après avoir réalisé un audit et, le cas échéant, ajusté ces prévisions, la CRE détermine le
niveau des charges à couvrir pour la période considérée.
2018
2019
2020
2021
2022
2023
2024
2025
EDF SEI
181,9
189,5
188,1
183,2
171,8
189,1
192,8
186,1
EDM
10,877 15,607 15,331 18,574 22,486 24,795 27,515 29,708
Total
192,8
205,1
203,4
201,8
194,3 213,9
220,3
215,8
Prévisionnel
Dotations (M€)
Réalisé
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
36
La qualité du service, mesurée par le
temps d’interruption de fourniture d’électricité
,
est globalement satisfaisante dans ces territoires.
Les particularités géographiques des ZNI rendent toutefois
l’équilibre de
leurs réseaux
électriques fragile. L’intégration des EnR non pilotables et le développement de la mobilit
é
électrique représentent un enjeu particulier pour ces zones. La poursuite probable de la forte
augmentation des ventes de véhicules électriques aura un impact sur l’équilibre des réseaux
électriques et créera un risque financier significatif. Il devient
nécessaire d’encadrer les
modalités de recharge pour préserver la stabilité des réseaux.
Les efforts de maîtrise de la demande d’électricité devraient également être renforcés,
en particulier là où ils s’avèrent les plus efficaces.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
37
2
DES OBJECTIFS AMBITIEUX MAIS PAS NECESSAIREMENT
COHERENTS
2.1
Une maîtrise des coûts de moins en moins assurée
2.1.1
Des dépenses en progression constante
Les crédits budgétaires consacrés au soutien aux ZNI pour la tarification de l’électricité,
ou charges de SPE, sont retracés dans le tableau ci-dessous pour ces dernières années (Cf.
Annexe 2 pour leur évolution sur longue durée) :
Tableau n° 6 :
Crédits budgétaires ZNI (en M€)
Années
2017
2018
2019
2020
2021
2022
2023
Transition
énergétique
383,4
500,5
506,9
566,2
592,6
748,0
Mécanismes de
solidarité
1398,3
1444,8
1486,2
1625,8
1956,6
1730,0
Total
Soutien
dans les ZNI
1686,7
1781,7
1945,3
1993,1
2192,0
2549,2
2478,0
Source : CRE
Les charges de SPE progressent en moyenne de 150 M€ par an entre 2017 et 2021, soit
une augmentation de + 30%
en fin de période. Si l’on tient compte des années 2022 et 2023
(prévision), on observe une hausse de 50% depuis 2017 mais l’impact du prix du pétrole est
tellement massif sur 2022 que ces deux derniers exercices ne sont pas comparables à la période
précédente marquée par une augmentation quasi linéaire des crédits.
On distingue, depuis 2018, les crédits affectés à la transition énergétique, qui sont de
même nature que ceux supportés pour le financement des EnR au plan national, et ceux
directement rattachés aux mécanismes de solidarité.
La séparation en deux lignes de crédits fait apparaitre que la part du financement de la
transition énergétique proprement dite représente, selon les années, entre 20% et 25% des
crédits globaux affectés aux ZNI. Leur dynamisme reste modéré, +5%/an en moyenne depuis
2018, en ligne avec les mêmes dépenses de transition énergétique en zone connectée, et elles
ne sont pas la cause principale de la hausse globale des crédits.
Cette répartition des crédits en deux catégories donne des informations utiles mais
trouve ses limites au fur et à mesure que le mix de production évolue. Dès lors que l’objectif
est celui d’un mix 100% renouvelable en 2030, le coût de la transition
déterminera celui du mix
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
38
à terme. C’est en effet
de la différence entre ce futur coût et celui du mix continental que
découlera chaque année le montant des crédits affecté à la péréquation.
Le coût des mécanismes de péréquation représente de 75% à 80% de la charge de service
public
totale, et explique l’essentiel
de ses variations. Ce coût
dépend fortement, d’une part,
des cours mondiaux des produits pétroliers (
l’énergie primaire la plus utilisée dans le mix de
production des ZNI)
, ainsi que de la parité euro/dollar, et d’autre part de l’évolution des
tarifs
réglementés de vente (TRV)
métropolitains qui déterminent l’écart de coûts de production à
combler. Les décisions politiques prises sur le bouclier tarifaire en 2023 auront ainsi un impact
sensible sur les charges de péréquation. La hausse annoncée des TRV bleus devrait les faire
sensiblement baisser.
On peut également noter que le coût du mix actuel comprend un coût des quotas de CO2
imputés aux productions fossiles. Pour EDF, ces coûts étaient de 58 M€ en 2021 et sont estimés
à 82 M€ en 2023. Ces charges sont
payées à l’État et viennent donc atténuer les charges du
budget général. Lorsqu’un site passe au biocarburant, ces quotas ne sont plus payés et ne pèsent
plus sur les coûts de production mais les recettes de l’État en sont diminuées d’autant.
2.1.2
Une part de recettes tarifaires de plus en plus réduite
Les coûts de production en ZNI sont la somme des coûts de production propres des
fournisseurs historiques et des coûts d’achat auprès des opérateurs tiers
(Cf. Annexe 3).
Ces coûts augmentent beaucoup plus vite que les recettes tarifaires qui sont calées sur
le coût du mix métropolitain,
resté relativement stable jusqu’en 2021. Les effets de la hausse
des TRV nationaux en 2022 et surtout en 2023 ne sont pas encore connus mais ils devraient
aller dans le sens d’une
réduction des charges de la péréquation et donc d’une meilleure
couverture des coûts de production locaux par les recettes tarifaires.
La conséquence de cette évolution divergente, pour la période antérieure à 2022, est que
l’écart se creuse régulièrement depuis quinze ans, à l’exception de la période 2015
-2017
marquée par une forte baisse du prix du pétrole brut :
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
39
Graphique n° 9 :
Évolution des coûts globaux de production d’électricité dans les ZNI (noir),
financés par les recettes tarifaires (vert) et les charges de SPE (orange)
Source : CRE
2.1.3
Une connaissance insuffisante de la rentabilité des producteurs
Dès lors que les ZNI fon
ctionnent avec des prix d’achat de l’énergie garantis par le
régulateur, il est légitime de s’interroger sur l’efficacité de cette régulation
et donc sur la
rentabilité des opérateurs régulés. Même si le nombre de producteurs à prendre en compte est
limité, cet aspect
n’est pas, à l’heure actuelle, bien documenté.
L
e code de l’énergie
prévoit, au a) du II
de l’article
R. 121-28, que «
la Commission de
régulation de l'énergie évalue le coût de production normal et complet pour le type
d'installation de production considérée dans cette zone en appliquant le taux de rémunération
du capital immobilisé fixé, après avis de cette Commission, par arrêté du ministre chargé de
l'énergie en application de l'article L. 121-7.
». La CRE instruit donc les projets de production
d’électri
cité sous leurs aspects économiques et financiers et les producteurs sont rémunérés en
considération de leur coût normal et complet (CNC).
L’annexe de la délibération de la CRE sur l’évaluation des charges de SPE pour 2022,
largement consacrée aux ZNI (partie C, pages 15 à 31), présente les charges annoncées par les
gestionnaires de réseau qui supportent les coûts d’achat de l’énergie. Les montants à verser aux
producteurs sont détaillés par territoire, nature de production et nature de charges, mais sont
essentiellement déclaratifs dès lors que les producteurs bénéficient, soit de prix administrés au
titre de l’obligation d’achat, soit de contrats de gré à gré. La rentabilité de ces opérateurs est
donc réputée avoir été auditée en amont par la méthode du CNC.
La rémunération des capitaux investis, découlant de
l’arrêté ministériel du 6 avril 2020,
est actuellement comprise entre 7,7 et 12,7 % en ZNI selon les risques industriels supportés.
Les taux les plus élevés concernent les zones plus difficiles (Mayotte, la Guyane, Wallis et
Futuna
). La vérification ex post de cette rémunération n’
étant pas faite systématiquement, il est
difficile de savoir si les tarifs appliqués conduisent à des profits supérieurs à la rémunération
cible.
-
500
1 000
1 500
2 000
2 500
3 000
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
M€
Recettes tarifaire
Surcouts compensés au FH
Couts (achat + production FH)
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
40
Un moyen
indirect pour évaluer cette rentabilité est d’examiner les comptes sociaux des
entreprises régulées. Si on laisse de côté les exploitants de moyens de productions diffus
(essentiellement photovoltaïques
) qui bénéficient de tarifs d’obligation d’achat sans
coûts
variables, cela conduit à examiner la situation financière des deux grands opérateurs historiques
qui
exploitent des centrales supportant d’importants coûts variables et qui sont
les principaux
producteurs en ZNI : EDF-PEI et Albioma.
Le cas du gestionnaire de réseau, EDF-SEI, également producteur historique, est
différent
car cette entité n’est pas une société mais un service d’EDF qui gère à la fois
le service
public de transport et de distribution financé par le TURPE et les sites de production
(principalement les barrages hydroélectriques). La CRE soumet donc EDF-SEI à une double
procédure de contrôle et de tarification :
l’audit prévisionnel des cycles tarifaires, comme pour
RTE et Enedis, afin de fixer l’évolution du TURPE en fonction d’un progr
amme
d’investissements dans le réseau
34
et un audit de ses coûts de production (essentiellement des
coûts fixes) au titre de la compensation par les charges de SPE.
Au vu des informations financières publiques, les deux principales entreprises de
production en ZNI, EDF-PEI et Albioma, sont en bonne santé financière sans que les
informations disponibles permettent de conclure à une rentabilité excessive des sites que ces
sociétés exploitent dans les ZNI françaises, sachant que certains producteurs présents en ZNI
exploitent aussi des sites à l’étranger
.
L
’a
justement de leurs marges pour une régulation plus exigeante de leur rentabilité
dépend donc des taux de rémunération fixés par les arrêtés ministériels applicables aux
investissements nouveaux. Pour permettre leur fixation au niveau adéquat, il convient que la
CRE contrôle périodiquement leur niveau de rentabilité.
2.2
Une absence de vision à moyen terme
2.2.1
Un o
bjectif d’autonomie énergétique
aux conséquences incertaines
La première mention législativ
e d’un objectif
d
’autonomie énergétique figure dans le
projet de loi, devenue la loi n°2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en
œuvre du Grenelle de l’environnement
. Il ne fixait toutefois un tel objectif daté que pour la
seule Réunion. À la suite du dépôt de plusieurs amendements de parlementaires ultra-marins, a
finalement été adopté ce qui est devenu l’article 56 de cette loi qui mentionne notamment
:
«
cette ambition pour l’outre
-mer poursuit, en outre, les orientations suivantes :
–
dans le
domaine de l’énergie : parvenir à l’autonomie énergétique, en atteignant, dès 2020, un objectif
de 30 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale à Mayotte et de 50 % au
minimum dans les autres collectivités ; développer les technolog
ies de stockage de l’énergie et
de gestion du réseau pour augmenter la part de la production d’énergie renouvelable
34
En se limitant à la période récente, un audit intermédiaire de 2017 a porté sur la trajectoire du TURPE
pour le cycle 2014-2017. Un second a porté, en 2021, sur les charges réelles des exercices 2018-2020 et sur les
charges prévisionnelles pour la période 2022-
2025. Ces audits successifs ne font pas apparaître d’erreur
significative par rapport à la trajectoire prévisionnelle des coûts.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
41
intermittente afin de conforter l’autonomie énergétique des collectivités territoriales d’outre
-
mer ; développer, pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion, des
programmes exemplaires, spécifiques pour chacune d’elles, visant à terme l’autonomie
énergétique, à l’horizon 2030
»
.
Cet
objectif d’autonomie énergétique ne figurait
par contre pas dans le projet de loi sur
la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) en 2015. Il a été introduit par voie
d’amendement parlementaire ajoutant aux objectifs de la
politique énergétique nationale celui
de : «
8- Parvenir à l'autonomie énergétique dans les départements d'outre-mer à l'horizon
2030, avec, comme objectif intermédiaire, 50 % d'énergies renouvelables à l'horizon 2020
35
»
(8
ème
alinéa de l’article L
.100-4-
I du code de l’énergie
).
Ces dispositions législatives appellent plusieurs remarques :
-
l’autonomie énerg
étique
n’est pas définie ;
-
l’autonomie énergétique
est implicitement confondue avec le fait de disposer
d’
une
production d’énergie à base d’énergies renouvelables
;
- le dénominateur du ratio
de l’objectif intermédiaire pour 2020 n’est pas précisé, de
so
rte que l’on ne sait pas si le ratio désigne la part d’ENR dans la production d’électricité, ou
s’il s’agit, comme mentionné
dans
la loi de programmation relative à la mise en œuvre du
Grenelle de l’environnement de 2009, de la part des ENR dans la consomm
ation finale
d’énergie
,
ou encore de la part des ENR dans la production d’énergie primaire, auquel cas
l’autonomie énergétique signifie
rait
la fin des importations d’énergie primaire.
Dans ce dernier cas, une difficulté importante apparaîtrait dès lors que cet objectif - qui
n’a d’ailleurs pas d’équivalent au plan national, ni localement pour d’autres secteurs, comme
l’alimentation
- s
’applique
rait
à l’ensemble des consommations
énergétiques (électricité,
transport, chaleur). Or, les ressources en énergie primaire sont limitées dans les collectivités
ultramarines, à l’exception de la Guyane.
L
’objectif d’autonomie énergétique
a ainsi perturbé
l’élaboration des PPE dans la
mesure où sa logique propre peut entrer en conflit
d’une part
avec la maitrise des coûts et
d’autre
part avec la limitation des risques de déséquilibre du réseau.
La loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables du 10 mars
2023 apporte cependant plusieurs précisions utiles.
En effet, son article 19 quater modifie le 8
ème
alinéa de l’article L
.100-4-I du code de
l’énergie
cité ci-dessus, désormais rédigé de la façon suivante :
«
8° De parvenir à l’autonomie
énergétique et à un mix de production d’électricité composée à 100 % d’énergies renouvelables
dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution à l’horizon 2030
»
.
De plus, l’article 19
bis
B de cette même loi crée un article L. 141-9-1 au sein du code
de l’énergie, qui dispose, notamment, que «
dans les zones non interconnectées au réseau
métropolitain continental, à l’exception de la Corse, il est possible de substituer aux énergies
35
Dans l’amendement déposé par M. Serge Letchimy adopté en première lecture par l’Assemblée
nationale figurait une distinction entre Mayotte et les autres départements d’outre
-
mer. L’objectif pour Mayotte
était d’atteindre 30% d’ENR contre 50% pour les autres DOM mais le
sénateur de Mayotte, M. Thani Mohamed
Soilihi, a déposé un amendement (n°337)
pour enlever l’objectif spécifique de 30% de Mayotte
, lequel a été adopté.
En deuxième lecture, l’Assemblée nationale a introduit les mots «
à l’horizon
» devant le chiffre « 2020 » et
« 2030 ».
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
42
fossiles de la biomasse, dans les centrales recourant aux énergies fossiles ainsi que pour les
projets de centrales recourant aux énergies fossiles mentionnées dans les programmations
pluriannuelles de l’énergie
(…
)
». Ce même article 19
bis
B complète en outre le premier alinéa
de l’article L. 322
-10-
1 du code de l’énergie de façon à préciser que lorsque le gestionnaire du
réseau
de distribution d’électricité donne la priorité, lors de l’appel des moyens de production
d’électricité, aux installations qui utilisent des énergies renouvelables, il fait appel aux
installations «
valorisant une production locale, puis aux installations qui utilisent des énergies
renouvelables valorisant une production importée »
.
Ces précisions sont cohérentes (Cf. 2.2.3
infra
) avec la conversion à la biomasse
importée (biocarburant, granulés) des centrales thermiques fossiles historiques, effective à La
Réunion et engagée aux Antilles, en Guyane et à Mayotte. Cette évolution peut permettre
d’atteindre un mix
électrique 100% EnR
36
entre 2025 et 2028 aux Antilles et en Guyane
37
.
Ainsi, si l’objectif d’autonomie énergétique n’est toujours pas explicitement d
éfini, il
est implicitement transformé pour les collectivités d’outre
-
mer en un objectif d’une production
d’électricité 100 % renouvelable
-
donnée précise dont on peut apprécier l’évolution dans le
temps -
et qui pourra pour partie résulter d’une importat
ion de biomasse.
Pour autant, le maintien dans la loi de l’objectif d’autonomie énergétique, pourrait, faute
de définition explicite, et au regard de l’attachement de principe qui lui est accordé dans chacun
des territoires, continuer à perturber la poursuite de ce que doit être
l’objectif premier d
u
gestionnaire de réseau
, c’est
-à-dire
le maintien de la sécurité et de l’équilibre du réseau
électrique.
En France continentale, la PPE se construit à partir de l’objectif prioritaire de
sécurité
d’approvisionnement, donc de fonctionnement fiable du système électrique en toutes
circonstances. L’objectif de décarbonation vient s’y ajouter, ce qui conduit à proposer des
scénarios (Cf.
ceux de RTE pour 2050) qu’on peut départager par leur niveau de ri
sque et par
leurs coûts.
2.2.2
D
es PPE qui n’éclairent pas la trajectoire de transition énergétique
2.2.2.1
L’importance d’avoir un mix de production cible
La PPE de la zone continentale ne fixe que des objectifs généraux et il appartient au
gestionnaire de réseau dire quels sont ses besoins pour garantir le bon fonctionnement du
système électrique, à charge pour les pouvoirs publics de faire les choix nécessaires. Les
scénarios 2050 de RTE présentent ainsi différentes options en détaillant des mix de production
36
La Cour a souligné dans son rapport de décembre 2021 le bilan environnemental contrasté des
biocarburants.
37
La Corse pourrait également être concernée mais la décision sur le biocarburant
n’était pas encore
arbitrée au moment de la préparation du document prévisionnel de SEI. Le cas de Mayotte est plus complexe que
celui des Antilles car le système électrique doit aussi absorber une hausse de la consommation et une demande
puissance à la pointe plus élevée. Toutefois
, il n’y a pas d’obstacle technique à l’augmentation de la puissance des
centrales au biocarburant liquide, notamment celle de Petite Terre. Les tests ont d’ailleurs été effectués avec succès
à la centrale de Longoni, sur Grande Terre.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
43
cible
s à l’horizon 2050 et en évaluant le chemin critique pour y arriver, notamment en ce qui
concerne le calendrier des investissements et le chiffrage des coûts prévisionnels. Le choix du
scénario cible relève d’une décision politique, étant noté qu’il n’y a pas d’étanchéité totale entre
les scénarios les plus proches et que des ajustements restent possibles pour passer de l’un à
l’autre en cours d’exécution.
Il en va autrement en ZNI. Aucun scénario cible n’est adopté pour chacun des territoires
et le point d
’aboutissement de la succession des cycles de 5 ans n’est jamais explicité
ex ante
.
I
l ne peut donc pas faire l’objet d’une décision politique claire. Pourtant, la notion de parc de
production cible est indispensable pour traiter des investissements qui, du fait de leur longue
durée de vie, engagent les charges de SPE à moyen et long terme.
Ainsi, les moyens de production pilotables, mobilisables à la pointe ou pour compenser
la défaillance d’autres moyens de production, bénéficient de prix qui rémunèrent d
es services
de capacités comme l’explique la CRE
: «
Pour les installations pilotables, la part fixe est
versée
en fonction d’un objectif de disponibilité et non en fonction de l’énergie produite par la
centrale. Ainsi, même
si à l’avenir, l’
installation est peu appelée mais
qu’elle atteint son
objectif de disponibilité
, l’
ensemble de ses coûts fixes et de ses charges de capital seront
couverts ».
Il en va de même pour les moyens de stockage centralisés dont la rémunération, qui
dépend des coûts de
production qu’ils permettent d’éviter, comprend une part fixe, couvrant les
charges de capital et les charges fixes d’exploitation et une part variable, proportionnelle à
l’énergie soutirée ou injectée. Mais le dimensionnement de ces investissements n’a de
sens que
pour un parc de production à une échéance plus longue que celle d’une PPE, autrement dit dans
le cadre d’un mix de production cible. Ainsi, dans sa consultation publique 2022
-04 du 21 avril
2022 sur les systèmes de stockage en ZNI, la CRE explique sa méthode relative aux «
2.3.3
Coûts variables de production des centrales du parc cible
» qui visent explicitement des
centrales futures : «
Pour les centrales qui n’existent pas au moment de la saisine de la CRE
mais qui feront partie du parc de production cible
» (page 10), et doit aussi préciser sa méthode
pour la
«
2.3.4 Modélisation et optimisation du fonctionnement du parc cible
» (page 11).
On ne peut qu’approuver ces résolutions,
mais force est de constater que les modalités
de détermination du parc cible ne sont pas définies.
2.2.2.2
La procédure de sélection des projets pour de futures centrales
En dehors des petits sites de production fonctionnant en guichet ouvert avec les tarifs
de l’obligation d’achat (en moyenne, entre 140
€/MWh et 200
€/MWh selo
n la puissance
installée, avec des tarifs un peu plus bas en Corse et un peu plus élevés à Mayotte), les
principaux projets de transition énergétique font l’objet d’un contrat de gré à gré.
La procédure suivie par la CRE consiste, en premier lieu, à vérifier que le projet répond
bien à un des objectifs de la PPE du territoire et donc à un besoin identifié ; en deuxième lieu,
à
vérifier que le projet est cohérent avec les besoins et les contraintes du système électrique du
territoire ; et en troisième lieu, à fixer le montant
des investissements à réaliser et leur taux de
rémunération ainsi que le niveau prévisionnel des coûts variables sur la période d’exploitation
pour aboutir à la fixation d’un coût normal complet.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
44
Si la dernière étape est classique, les deux premières deviennent problématiques lorsque
les PPE ne sont pas adoptées dans les délais prévus. Et même lorsqu’elles sont adoptées, le
cycle de cinq ans est trop court pour donner une vision de l’évolution souhaitée du mix
électrique à plus long terme et de son adéquation aux besoins du réseau.
Ainsi, il n’est jamais clairement indiqué quel devrait être l’
équilibre entre moyens
pilotables et moyens intermittents et si les investissements engagés sont des investissements de
transition ou des investissements qui détermineront le mix de production de manière pérenne.
Le flou qui entoure le projet de moyen-long terme poursuivi est une des raisons des
retards des PPE en ZNI, les collectivités locales pouvant avoir leur propre agenda, notamment
en ce qui concerne l’objectif d’autonomie comme point d’arrivée des PPE successives sans
considération des charges de SPE qui en résulteraient. Les discussions peuvent être rendues
encore plus difficiles lorsque des scénarios alternatifs circulent sans être arbitrés.
2.2.2.3
Des scénarios ADEME peu exploitables pour la préparation des PPE
L’ADEME a, de son côté, traité la question de l’autonomie
énergétique pour toutes les
grandes ZNI dans son rapport de 2020, «
Vers l’autonomie énergétique des ZNI
»
. Ce travail a
le double mérite de « prendre au sérieux
» l’objectif d’autonomie en 2030,
au moins pour la
production d’électricité
,
et d’aborder la question des coûts de production selon les technologies
mobilisées dans les différents scénarios, ce qui est
rarement fait dans d’autres documents ayant
une ambition prévisionnelle.
Il se présente comme un «
outil d’aide à la décision pour les instances locales
» dans le
cadre de la révision des PPE 2023-2028. Certains acteurs locaux, dans plusieurs ZNI, se réfèrent
d’ailleurs à ces scénarios de l’ADEME pour
leurs grandes orientations.
Pourtant ce rapport n’a suscité ni réactions ni débats et l’État n’a pas jugé utile de
produire des scénarios alternatifs sur lesquels pourraient s’appuyer les administrations charg
ées
d’élaborer les PPE. Prenant acte des divergences entre ses propositions et la seule PPE adoptée
dans les délais, celle de La Réunion, l’ADEME fait le constat que la question du mix cible, sur
laquelle elle a travaillé, n’est pour l’instant pas traitée par l’Etat.
Ce constat confirme l’absence de guide de moyen long terme (2035
-2040) pour la
préparation des PPE, ce qui est aussi une cause probable de leur enlisement dans presque toutes
les ZNI.
2.2.3
Le risque sur la rentabilité des investissements engagés
Deux risques doivent être distingués
: le financement d’investissements sans préciser
leur caractère pérenne ou transitoire et la validation de projets couteux dont l’arbitrage est
décidé en vue de favoriser l’autonomie énergétique. Ces risques ne sont pas
encore avérés
compte-
tenu de l’échec actuel des PPE, mais quelques exemples de décisions déjà prises sans
disposer d’un mix cible montrent qu’ils sont réels et qu’ils deviendront d’autant plus aigus que
la marche vers l’autonomie énergétique sera une prio
rité affirmée.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
45
2.2.3.1
La conversion aux combustibles biocarburants
Les biocarburants sont des carburants de substitution obtenus à partir d’une matière
première d’origine végétale, animale ou issue de déchets. Ils sont généralement incorporés dans
les carburant
s d’origine fossile. La filière des biocarburants gazole, souvent regroupés sous
l’appellation «
biodiesel
», comprend différents produits, dont les esters méthyliques d’acides
gras (EMAG), les plus abondants étant
fabriqués à partir d’huiles issues de pla
ntes oléagineuses
(colza, tournesol).
Pour atteindre un mix 100% renouvelable
d’ici 2030, l’utilisation d’EMAG de colza a
été validée par la CRE. Cette conversion, qui n’est, pour l’instant, inscrite que dans la PPE de
La Réunion pour la centrale Port-Est, a également été validée pour la nouvelle centrale du
Larivot en Guyane qui doit remplacer celle de Degrad des Cannes, en fin de vie. Elle est
également engagée en Martinique, en Guadeloupe et à Mayotte dont les PPE ne sont pas encore
adoptées. Il s’agit donc d’une conversion d’ampleur, qui touchera dans beaucoup de territoires
les principaux moyens de production en activité.
Cette opération a pour avantage principal de continuer à utiliser les centrales fuel ou
diesel existantes, et non amorties, en décarb
onant leur combustible. L’objectif d’un mix 100%
EnR peut donc être atteint dès que le changement de combustible a été opéré. Toutefois, le
caractère pérenne de cette solution n’est pas clairement affirmé
, ce qui brouille les
conséquences à tirer sur la future trajectoire des charges de SPE.
L’article 19
bis
B de la loi
relative à l’accélération de la production d’énergie renouvelable, évoqué plus haut, précise
toutefois (deuxième alinéa du nouvel article L. 141-9-1) que «
la modification de la durée de
vie
des installations converties à la biomasse justifie l’inscription de cette substitution dans la
programmation pluriannuelle de l’énergie
(…)
».
La délibération de la CRE, n°2022-274 du 3 novembre 2022, mentionne les éléments
chiffrés relatifs à la conversion de la centrale Port-Est à la Réunion. Elle indique un surcoût
prévisionnel de charges de SPE de 74 M€/an
38
si l’on retient un prix de marché du CO2, soit
90€/t en 2022, ou de 41 M€/an si on retient le prix tutélaire du CO2 de 250€/t.
39
Cet exemple montre les limites des décisions prises au coup par coup, au fur et à mesure
de l’instruction des demandes de contrats de gré à gré
, les effets sur les charges de SPE pouvant
être importants lorsqu’on fait varier ce
rtains paramètres :
-
un développement rapide
des EnR intermittentes, tel qu’envisagé par la PPE, pourrait
amener la production de la centrale autour de 350 GWh/an en 2028 au lieu de 566 GWh/an
dans le scénario de référence et ferait passer le coût des charges de
SPE à 40 M€/an contre
74
M€/an
; ce co
ût serait même annulé avec un prix du carbone tutélaire à 250€/t
;
-
d
e même, le scénario retenu considère que l’écart de prix entre le fuel lourd
et
l’EMAG
colza sera fixe à l’avenir, de 205
€/t, en considérant que les prix des biocarburants et des
carburan
ts fossiles évolueront de manière corrélée comme aujourd’hui. Mais cette
38
Il est prévu dans la PPE et la délibération de la CRE que la production de la centrale Port-Est baisse
progressivement de moitié jusqu’en 2028 pour être remplacée par celle d’EnR intermittentes. Le surcout serait
donc plus élevé en début de période, soit
93 M€ 2028 en hypothèse haute et 50 M€ en hypothèse basse. Ces valeurs
ne remettent pas en cause le raisonnement suivi sur l’augmentation des charges de CSPE entre 2022 et 2028.
39
Le « prix tutélaire
» est l’expression consacrée pour désigner le prix qui p
ermettrait, selon les études
prévisionnelles, de remplir les objectifs climatiques de la France, en l’occurrence la neutralité carbone en 2050.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
46
hypothèse pourrait être contredite dès lors que la baisse des débouchés pour les EMAG
européens utilisés comme biodiesel, consécutive à l’électrification du parc automobile,
pourrait conduire à des prix spécifiques pour le biocarburant, et en particulier pour la filière
électrique si elle arrivait à négocier des contrats de long terme avec des producteurs
européens et notamment français
40
. À titre d’exemple un écart de coût de 150
€/t
a
baisserait de moitié les charges moyennes de SPE (41M€/an)
;
-
un développement plus lent des programmes éoliens et solaires porterait le surcoût du
biocarburant à plus de 100 M€/an
pour un taux de réalisation de 80% du volet EnR de la
PPE et annulerait l’effet favorable de la prise en compte d’un prix tutélaire du carbone.
Au surplus, toutes les simulations jusqu’en 2036 et 2043 sont faites par simples
prolongations des tendances constatées en 2022 et anticipées jusqu’en 2028. Il ne peut en être
autrement fa
ute de PPE de plus de dix ans et faute de mix cible à l’horizon 2035
-2040. La
visibilité est donc réduite sur le fonctionnement durable de ces centrales après leur conversion.
Enfin, les 12 groupes de la centrale Port-Est sont des dispositifs disponibles en 30
minutes et facilement mobilisables pour des usages en pointe ou des services réseau ; il
conviendrait donc de s
’interroger sur l’
intérêt à les conserver
, au moins en partie, une fois qu’ils
seront amortis dès lors qu’ils seront assez peu sollicités à
partir de 2028 en comparaison de leur
capacité actuelle. Là encore une réflexion sur le mix cible apparait nécessaire pour mieux
anticiper les charges de SPE.
2.2.3.2
La conversion à la biomasse
De même, la conversion des centrales charbon à la biomasse entrainerait un surcoût pour
les charges de SPE, évalué par la CRE en 2020, de 59 M€ /an avec un prix bas du CO2 (60€/t
en 2019) et un surcoût de 4 M€/an avec un prix tutélaire à 100€/t. Autant dire, aucun surcoût
avec les valeurs du carbone mises à jour en 2022.
Cette neutralité pour les charges de SPE est encore plus claire pour la conversion de la
centrale Albioma Le Gol à la biomasse pour laquelle la délibération de la CRE 2022-65 du 24
février 2022 prévoit un surcoût moyen de l’ordre de 22 M€/an en prenant en c
ompte un coût
des tonnes de
CO2 évitées de 54€/t et une économie moyenne de 11 M€/an avec une hypothèse
de prix du CO2 à sa valeur tutélaire ancienne de 100
€/t.
Autrement dit, le passage à 99,7% EnR à La Réunion dès 2023 se ferait à un coût
inférieur à 10
0 M€ pour les charges de SPE, voire très inférieur si on appliquait la nouvelle
valeur tutélaire du carbone de 250
€/t à l’horizon 2030.
On peut toutefois noter que ces différentes estimations portent sur d’assez longues
durées : treize ans pour la centrale EDF-PEI, plus de vingt ans pour les centrales Albioma, et
sont très sensibles aux hypothèses retenues comme le mentionne à juste titre la CRE elle-même,
mais
sans le détailler du fait de l’obligation de préserver le secret industriel et commercial. On
40
A titre d’exemple, Albioma a engagé un début d’intégration verticale en rachetant un producteur de
granulés de bois canadien pour sécuriser le coût de son approvisionnement. Un effet équivalent peut être obtenu
par des contrats de gré à gré capables de sécuriser tant le producteur d’EMAG que l’acheteur, d’autant que la
France est un producteur important d’ester de
colza, ce qui va dans le sens de l’autonomie énergétique à l’échelon
national.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
47
do
it également approuver le choix de mettre l’accent sur le scénario le
moins coûteux (faible
coût du carbone en comparaison de la valeur tutélaire et utilisation soutenue de la centrale
jusqu’en 2030).
D’autre part, les centrales thermiques bagasse
-biomasse
sont d’un usage beaucoup plus
contraint que les groupes biodiesel pour le suivi de charge et les services réseau. La couverture
de leurs coûts complets pourrait être plus difficile si les EnR intermittentes les évincent de leurs
plages de fonctionnement n
ormale en base. Là encore, l’absence de mix cible ne permet pas
d’avoir une vision complète de l’évolution possible des coûts de SPE qu’entraînent les choix
d’investissements de long terme faits dans le cadre des PPE sur un cycle court de cinq ans.
2.2.3.3
Le cas
de la Centrale électrique de l’ouest guyanais (CEOG)
Le projet de la centrale électrique de l’ouest guyanais (CEOG) correspond à un besoin
exprimé par le gestionnaire de réseau de disposer d’une production complémentaire de
puissance garantie en journée de 10 MW à proximité de Saint-Laurent-du-Maroni dont le
dynamisme démographique demande l’installation de moyens nouveaux.
Le projet CEOG, développé par l’entreprise Hydrogène de France (HDF) présenté en
2019 pour répondre à ce besoin, comportait un parc PV de 55 MW, un stockage électrochimique
de 10,5M/40MWh
et une infrastructure hydrogène (électrolyseur, stockage hydrogène et pile à
combustible pour un stockage de 88 MWh). La centrale prévoit de produire une électricité selon
deux plages de puissance : 10 MW le jour (8h à 20h) et 3 MW la nuit (20h à 8h).
Ce projet innovant faisait face à un projet plus classique de stockage par batterie
électrochimique adossé à un groupe électrogène fonctionnant avec un carburant fossile.
Par un bleu du Premier ministre du 23 novembre 2020, le Gouvernement a décidé de
mettre en place une défiscalisation du projet et de lui accorder une subvention d’investissement
au titre du plan hydrogène afin de pouvoir l’inscrire dans une PPE simplifiée. La collectivité de
Guyane a approu
vé le projet de révision simplifiée le 5 mai 2021 et l’État l’a validé par le décret
n°2021-1126 du 27 août 2021.
La réalisation de ce projet, qui a connu plusieurs épisodes et dont le feuilleton n’est
peut-être pas achevé illustre les faiblesses de la procédure de PPE, qui peut être facilement
contournée par le dispositif des révisions simplifiées, alors même que le processus de révision
normale, qui nécessite de nombreux avis consultatifs, est toujours enlisé en Guyane.
2.2.3.4
Des PPE sans boussole
Les deux exemples ci-
dessus montrent les inconvénients de l’absence d’une véritable
étude d’impact, en termes de sécurité et de coûts, pour atteindre une transition EnR achevée à
l’horizon 2030 dans le cadre d’une recherche d’autonomie énergétique. Ils montrent aussi l
es
inconvénients résultant de l’absence de scénarios établissant un ou plusieurs mix cibles par
territoire qui permettraient de fixer les étapes intermédiaires à franchir à chaque révision des
PPE.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
48
Ces absences conduisent à laisser les arbitrages politiques se faire, en grande partie, soit
au coup par coup, soit dans une certaine confusion sur la planification des projets et des appels
d’offres alors que l’horizon des décisions s’est fortement raccourci.
Dans un contexte où il est encore trop tôt pour savoir si la conversion aux biocarburants
sera considérée comme une solution pérenne ou transitoire, et à quel niveau de production, il
est d’autant plus nécessaire de disposer d’une vision claire, partagée et arbitrée des principaux
scénarios envisageable
s à l’horizon 2035 ou 2040, selon les territoires.
Recommandation n° 4.
(DGEC, 2023) : Demander aux gestionnaires de réseau des ZNI
des scénarios chiffrés de mix de production cible
à l’horizon 2040
selon les territoires,
assortie d’
une analyse des besoins de développement et de renforcement des réseaux en
découlant.
2.2.4
Les PPE, des outils à repenser
2.2.4.1
Un processus lourd et trop formel
Les principales dispositions législatives concernant les ZNI appellent les remarques
suivantes :
1) Les PPE qui ont un caractère très exhaustif et un processus d
’élaboration très formel
sont inadaptées aux plus petites ZNI tels que Saint-Pierre et Miquelon.
2) En sens inverse, une révision simplifiée de ces PPE est exagérément aisée alors même
que les décisions prises peuvent limiter très fortement les options relatives à la PPE suivante.
3) S’agissant des principales ZNI, alors que l’élaboration d’une PPE particulière pour
chacun d’elle visait à adapter au mieux les objectifs à leurs situation
s très contrastées, le
législateur a au contraire fixé po
ur l’ensemble d’entre elles le même objectif
général, sans que
l’on puisse d’ailleurs
être certain de
ce qu’il recouvre exactement.
4) Bien que
les PPE fassent l’objet, sur la base des éléments fournis par la CRE, d’une
étude d’impact économique et social
sur les charges de service public, a
ucune ne fait état d’une
budgétisation des coûts nécessaires à l’atteinte des objectifs mentionnés. Les objectifs ne sont
pas hiérarchisés et ne prennent pas en compte la nécessité de les réaliser au moindre coût pour
la collectivité.
5) Alors que le maintien de la sécurité et de l’équilibre du réseau électrique dans les ZNI
est explicitement mentionné par l’article L
. 121-
3 du code de l’énergie, cette mission du service
public ne figure pas dans les différentes PPE (même si les décrets des PPE font référence à la
sécurité d’approvisionnement et définissent les critères de défaillance et le seuil de déconnexion
des énergies renouvelables intermittentes)
alors qu’
elle est préalable à la réalisation des autres
objectifs.
Il
n’est ainsi à ce stade pas démontré
que les PPE constituent un instrument adapté à un
développement rationnel des capacités électriques des ZNI qui tout en garantissant la sécurité
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
49
et l’équilibre de leur
s réseaux électriques permettrait une décarbonation de la production
électrique au moindre coût.
2.2.4.2
Un processus paralysé par des retards préoccupants
Le code de l’énergie prévoit que les PPE couvrent une décennie, sous la forme de deux
périodes de cinq ans, avec une révision au moins tous les cinq ans. Les premières PPE des ZNI,
couvrant les périodes 2018-2023 et 2023-2028, auraien
t dû faire l’objet de révisions publiées à
la fin de l’année 2018. Début 2023, seule la PPE révisée de La Réunion avait été publiée –
avec
plus de trois ans de retard, en avril 2022. Les autres révisions ont au moins quatre ans de retard
(cf. tableau suivant).
Par ailleurs, les PPE couvrant la période suivante (2029-2033), devraient en théorie être
adoptées au plus tard en 2023. L’objectif de cette règle est de donner de la visibilit
é aux acteurs
(particulièrement les opérateurs et porteurs de projets) pour une période de dix ans. Il s’agit de
réviser les objectifs de la période 2023-2028 et de définir ceux pour la période 2029-2033. Dans
la plupart des ZNI, les travaux en ce sens restent embryonnaires.
Tableau n° 7 :
Dates de publication des PPE des ZNI
Source : Décrets de publication des PPE
Dans son rapport public annuel 2021, la CRE a alerté les pouvoirs publics sur la gravité
de ces retards : «
au 1
er
janvier 2022, aucune PPE révisée, ajustant les objectifs 2018-2023 et
ajoutant une période de programmation 2023-
2028, n′a été publiée, bien que le code de
l′énergie impose de les réviser au moins tous les cinq ans pour couvrir la décennie suivante.
Des objectifs ambitieux et réalistes de développement des énergies renouvelables sont
cependant indispensables, à la fois pour converger vers les objectifs fixés par la loi relative à
la transition énergétique pour la croissance verte et pour assurer la bonne intégration de ces
énergies en termes de sé
curité d′approvisionnement, d′optimisation des coûts de production et
de réseau, et de sollicitation des moyens. La CRE invite les pouvoirs publics à avancer au plus
vite sur ces PPE et se tient à leur disposition pour les accompagner dans leurs travaux
».
L
e président de la CRE s’est montré plus alarmiste dans un courrier 9 février 2022 aux
ministres de la transition écologique et de l’intérieur, pour souligner le caractère
«
préoccupant
» de cette situation, d’autant plus, rappelait
-
il, que l’État et les
collectivités
2018-2023 et 2023-2028
Approbation
Révision simplifiée
Approbation
Corse
18/12/2015
11/12/2019
Guyane
30/03/2017
27/08/2021
Réunion
12/04/2017
20/04/2022
Guadeloupe
19/04/2017
Martinique
04/10/2018
30/06/2021
Mayotte
19/04/2017
Wallis et Futuna
24/09/2018
St-Pierre et Miquelon
2016-2018 et 2019-2023
Périodes des PPE
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
50
auraient déjà dû être alors en cours de préparation des projets de PPE pour la période suivante
(allant jusqu’à 2033), à adopter avant 2023. Il estimait dès lors «
indispensable de s’interroger
sur ces processus d’élaboration des PPE en ZNI qui n’avancent pas au rythme attendu,
retardent la transition énergétique de ces territoires et font porter, à terme, sur certains
territoires, des risques de ruptures d’approvisionnement, faute de visibilité sur les
investissements à réaliser. Une vision de long terme est également indispensable pour apporter
des éclairages sur l’électrification des usages, notamment liés à la mobilité, et pour anticiper
les évolutions à apporter sur le réseau électrique afin d’accompagner ces changements
».
Enfin, le prési
dent de la CRE indiquait avoir pris l’initiative, «
dans l’intérêt du consommateur
final et afin d’assurer la transition énergétique dans ces territoires
», d’écrire aux préfets
concernés pour faire progresser ces travaux.
Ces retards compliquent singulièrement le processus de validation des projets locaux
par la CRE, avec un risque de fragilisation de leur base juridique. Si la CRE a le pouvoir
d’évaluer le
coût normal et complet des projets (de production, de stockage ou de MDE), elle
ne peut pas les acc
epter s’ils ne sont pas
conformes à la PPE. Cela reviendrait pour elle à
déterminer la politique énergétique de chaque territoire en se substituant au Gouvernement et
aux collectivités. La CRE le rappelle dans une méthodologie publiée en 2020 : «
un projet de
mise en service ou de prolongation d’exploitation d’un moyen de production qui ne répondrait
pas à un objectif de la PPE ne pourrait donner lieu à l’établissement d’un CNC
[coût de
production normal et complet]
par la CRE qui n’instruirait alors pas le
dossier
»
41
.
La CRE a déjà délibéré sur le coût d
e projets qui n’étaient pas
prévus dans les PPE en
vigueur mais qui pouvaient se rattacher aux objectifs présents dans les PPE révisées alors en
cours d’élaboration.
Dans ces cas, la CRE, dans ses délibérations, justifie par différents moyens
sa transmission au ministre chargé de l’énergie de sa proposition de prime pour les projets
concernés
: elle cite l’état d’avancement de ces PPE révisées (délibérations des collectivités,
avis publiés, consultations publiques, etc.) et les dispositions qui concernent ces projets ; elle
cite ses échanges avec les services de l’État et des collectivité attestant que les
projets seront
bien soutenus et inscrits dans la future PPE ; enfin, elle précise que les charges de service public
de l’énergie associées ne seront
compensées que si la PPE définitive inclut finalement ces
projets.
Une première raison du retard des PPE tient aux
difficultés d’appropriation par les
collectivités de ces sujets. Dans toutes les collectivités, une gouvernance des PPE a été mise en
place, avec une « comitologie » plus ou moins foisonnante, associant collectivités, État,
ADEME et EDF. La crise sanitaire a souvent perturbé les travaux de ces différentes instances
mais les retards existaient déjà avant le Covid. Les services des collectivités ne disposent pas
toujours des compétences techniques nécessaires dans ce domaine.
À
Mayotte,
territoire
confronté
à
des
difficultés
économiques
et
sociales
particulièrement fortes (analysées par la Cour en juin 2022
42
), la collectivité bénéficie de l’aide
41
Délibération de la CRE du 17/12/2020 portant communication relative à la méthodologie applicable à
l’examen des coûts d’investissement et d’exploitation dans des moyens de production d’électricité situés dans les
zones non interconnectées et portés par EDF SEI, EDM ou EEWF ou qui font l’objet de contrats de gré à gré entre
les producteurs tiers et EDF SEI, EDM ou EEWF.
42
Quel développement pour Mayotte. Mieux répondre aux défis de la démographie, de la
départementalisation
et
des
attentes
des
Mahorais.
Rapport
public
thématique,
juin
2022.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
51
de l’AFD et de l’ADEME. La révision de la PPE de 2017 a été lancée en mai 2019, avec
un
objectif de publication du décret en mai 2022. À la demande du préfet de Mayotte, la CRE a
produit en 2020 un rapport pour aider les rédacteurs
43
. Une révision simplifiée de la PPE est en
cours d’examen par le conseil départemental
.
En Guyane, les travaux de révision de la PPE de 2017 ont été lancés en juin 2018 et
ceux de révision complète en 2022. La PPE a, par ailleurs, fait l’objet d’une
révision simplifiée
en août 2021, incluant notamment la conversion au bioliquide de la centrale de production
d’électricité de Larivot.
Une nouvelle révision simplifiée de la PPE est, par ailleurs, en
préparation pour répondre aux besoins des communes de Maripasoula et de Saul.
En Martin
ique, la PPE de 2018 a fait l’objet d’une
révision simplifiée le 30 juin 2021.
Elle trip
le notamment l’objectif pour 2023 de puissance supplémentaire installée pour l’éolien
avec stockage (de 12 à 36 MW). Les travaux de révision complète (2023-2033) ont débuté en
2022.
2.2.4.3
Un outil à simplifier
Des PPE « simplifiées » sont parfois utilisées pour surmonter la paralysie du processus
des PPE,
Le code de l’énergie prévoit que
cette révision simplifiée peut être proposée par le
gouvernement ou le président de la collectivité ; quand elle émane de la collectivité, le ministre
chargé de l’énergie doit vérifier que les modifications envisagées «
ne modifient pas l’économie
générale de la programmation initiale, notamment au regard de leur impact sur les ressources
publiques
»
; le projet n’est ralenti par aucun avis préalable obligatoire, il est seulement transmis
pour information au Conseil national de la transition écologique, avant d’être app
rouvé par
l'organe délibérant de la collectivité puis par décret.
Le recours à ces PPE simplifiées illustre le besoin d’allègement des procédures des PPE.
Par exemple, a
vant de faire l’objet d’une consultation publique et d’un vote définitif de
l’assemblé
e territoriale, les projets de PPE
sont soumis à une procédure d’avis de diverses
instances dont la valeur ajoutée est parfois contestable.
Ainsi la PPE révisée de La Réunion du 20 avril 2022 a-t-elle été soumise aux cinq
instances suivantes : Autorité environnementale (avis du 5 mai 2021), Conseil supérieur de
l’énergie (avis du 18 novembre 2021 –
une page), Conseil national de la transition écologique
(avis 19 novembre 2021
–
deux pages),
Comité du système de distribution publique d’électricité
(avis du 26 novembre 2021
–
une page), Comité de gestion des charges de service public de
l’électricité (avis du 7 décembre 2021).
Souvent, les propositions de ces instances sont consensuelles et déjà en cours de mise
en œuvre, ou au contraire ambitieuses et trop t
ardives pour être intégrées au projet de PPE
auquel elles s’adressent
44
. Cette procédure d’avis préalable mérite
rait
d’être modifiée dans un
sens permettant d’alléger le dispositif d’élaboration et de renouvellement des PPE.
43
Orientations de la CRE sur la programmation pluriannuelle de l’énergie de Mayotte
. CRE, février 2020.
44
Par exemple, le rapport annexé à la PPE 2018 de la Martinique indique que les propositions du Conseil
supérieur de l’énergie repr
ésentent une contribution intéressante mais qui servira surtout à alimenter la PPE
révisée, donc plusieurs années après l’adoption de la première PPE, car «
ces modifications substantielles ne sont
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
52
Par ailleurs la procédure des PPE peut être améliorée dans deux directions.
Premièrement, l
’évaluation de la mise en œuvre des PPE est perfectible. D’une part, les
évaluations prévues par le code de l’énergie ne sont pas toujours effectuées
45
. D’autre part, si
la DGEC reçoit des évaluat
ions effectuées par les services déconcentrés de l’État, destinées à
être publiées après la publication des révisions des PPE, les méthodologies ne sont pas
homogènes, les évaluations sont insuffisamment partagées entre les différents acteurs chargés
de l’élaboration des PPE, et elles ne font pas assez l’objet de débat public. L’évaluation de la
mise en œuvre des PPE des ZNI devrait donc être améliorée pour la rendre plus systématique,
plus rapide, plus professionnelle et plus utile pour le débat public. Une option possible serait
d’en confier la tâche à un organisme indépendant.
Deuxièmement, la politique de l’énergie dans les ZNI est difficilement dissociable d’un
grand nombre d’autres politiques publiques locales, concernant par exemple les transports, l
e
stockage de l’énergie ou la gestion des déchets. Or les PPE des ZNI ne prennent pas toujours
suffisamment en compte ces autres politiques. Cela aboutit à traiter les enjeux de manière
cloisonnée alors qu’ils sont interdépendants. C’est le cas en matière
de transports à Mayotte.
C’est aussi le cas en matière de déchets en Corse.
Alors que le coût moyen de traitement des
déchets y est d’un niveau deux fois supérieur à celui rencontré dans l’
Hexagone, que les sites
d’enfouissement sont saturés ou proches de l’être, et qu
e la Corse est conduite à exporter une
partie de ces déchets vers des régions du continent, à un coût prohibitif, la PPE de la Corse ne
prévoit pas
la création d’usine
s
d’incinération. De telles usines pourraient pourtant, de surcroît,
produir
e de l’électricité et de la chaleur récupérable. Il pourrait donc être utile d’inscrire dans
la PPE de Corse une ou plusieurs usines d’incinération de déchets
et plus généralement, de
mieux intégrer ces différents enjeux dans les PPE des ZNI.
En conclusion, l’échec des PPE souligne la nécessite d’adapter à la fois leur processus
d’élaboration, leur contenu et leurs modalités d’évaluation, tout en restant vigilant sur le risque
d’instrumentalisation politique locale qui contribue parfois aussi à
dégrader l’efficacité de cet
outil, comme l’illustre la section suivante.
Recommandation n° 5.
(DGEC,
2023) :
Systématiser,
homogénéiser
et
publier
l’évaluation de la mise en œuvre des PPE de chacune des ZNI.
Recommandation n° 6.
(DGEC, 2023) : Mieux prendre en compte, dans les PPE des
ZNI, l
es politiques locales de transport, de stockage de l’énergie et de gestion des déchets.
pas compatibles avec un délai cohérent d’élaboration du pr
ésent projet
» (page 134). Ce rapport cite aussi des
propositions du Conseil supérieur de l’énergie qui sont déjà en cours de réalisation (page 135)
.
45
Le code de l’énergie prévoit que la mise en œuvre et le coût de chaque PPE font l'objet d'une évaluation
tous les vingt-quatre mois. Cette évaluation doit être transmise au Conseil supérieur de l'énergie et au Conseil
national de la transition écologique. L'année précédant l'échéance d'une période de la PPE, elle doit être intégrée
au rapport sur la mise en
œuvre de la politique énergétique nationale prévu pour être transmis au Parlement. Ces
dispositions n’ont pas été respectées.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
53
2.2.4.4
D
es cas d’instrumentalisation politique locale
Le conflit sur la valorisation des déchets à La Réunion
La Réunion est la seule ZNI à avoir réussi à adopter une deuxième PPE (publiée le 20
avril 2022, et couvrant les périodes de 2018 à 2023 et de 2024 à 2028). Elle prévoit un mix
électrique 100% renouvelable en 2025, avec des objectifs ambitieux en matière de
photovoltaïque, de conversion des centrales charbon à la biomasse solide et de recours aux
bioliquides en substitution du fuel lourd.
Toutefois, cette adoption a été tardive. Ses travaux préparatoires ont été paralysés
pendant presque deux ans par un contentieux politique local concernant la valorisation des
combustibles solides de récupération (CSR).
La PPE de La Réunion de 2017 prévoyait la mise en place d’unités de valorisation
énergétique des déchets pour une puissance de 16 MW en 2023. Mais, après le début des travaux
de préparation de la PPE révisée, en janvier 2018, la Région a annoncé une stratégie dite « zéro
déchets 2030 » limitant le recours à la valorisation énergétique des déchets et privilégiant la
pyro-gazéification
46
. Le 29 mars 2019, le conseil régional a ainsi adopté un projet de PPE
révisée n’inclua
nt pas de valorisation énergétique des déchets.
Pourtant, la solution du CSR semblait rationnelle d’un point de vue scientifique et
économique, compte-
tenu notamment de la saturation des capacités d’enfouissement des
déchets de la Réunion, annoncée par le CGEDD pour 2020-2021
47
. Elle semblait aussi
consensuelle : le rapport annexé à la PPE de 2017 ne laissait aucun doute sur la préférence des
signataires, Région et État, pour le CSR.
Ce changement de stratégie de la Région est intervenu dans un contexte de rivalité
politique entre des élus du conseil régional de l’époque et
les élus locaux qui proposaient
notamment une unité de valorisation pour la partie Sud et Ouest de l’île.
Le 9 avril 2019, le G
ouvernement a rappelé la nécessité de mettre en œuvre le vo
let CSR
de la PPE de 2017
48
. En décembre 2019, face à la paralysie des travaux de révision de la PPE,
le gouvernement a signifié formellement au président de la région sa volonté de maintenir la
stratégie de CSR, avec une ambition au moins équivalente aux 16 MW de la PPE de 2017
49
.
Au début de l’année 2020, le président du conseil régional de La Réunion s’est
finalement rallié à la position de l’État
50
. La PPE du 20 avril 2022 a donc intégré un objectif de
46
Procédé consistant à chauffer les déchets à plus de 1000 degrés
en présence d’une faible quantité
d’oxygène
, pour les convertir en gaz. Son développement industriel n
’est pas
envisagé avant plusieurs années.
47
Gestion des déchets sur l'île de la Réunion, CGEDD, juillet 2018. Le CGEDD a estimé « nécessaire de
maintenir dans la PPE en cours de révision une production d’énergie à part
ir de déchets et de prévoir dans le
PRPGD [Plan Régional de Prévention et de Gestion des Déchets] l’installation d’une ou plusieurs unités de tri et
une ou plusieurs installations de production d’électricité à partir de CSR
».
48
Réponse à une question parlementaire du 09/04/19, par Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État
auprès
du
ministre
d'État,
ministre
de
la
transition
écologique
et
solidaire.
49
Lettre du 04/11/2019 des ministres de la transition écologique et solidaire et des Outre-mer au préfet
de La Réunion. Lettre du 05/12/19 du préfet de La Réunion au président du conseil régional de La Réunion.
50
Lettre du 26/02/2020 du président du conseil régional de La Réunion au préfet de La Réunion.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
54
16,7 MW en 2023 pour la valorisation des CSR. La CRE a validé un projet
d’unité de
valorisation sur la commune de Saint-Pierre
51
.
Les difficultés du processus PPE en Guadeloupe
En Guadeloupe, un premier projet de révision de la PPE a dû être revu en profondeur à
la suite d’une analyse critique de la CRE en 20
20. Ensuite, un conflit social local a longtemps
bloqué le processus de révision.
À la suite de la première PPE adoptée en avril 2017, les travaux de révision ont débuté
en avril 2018 pour ajuster les objectifs pour la période 2019-2023 et ajouter une période de
programmation supplémentaire de cinq ans portant sur la période 2024-2028, conformément au
code de l’énergie. La directrice de l’énergie a demandé à la CRE, le 18 octobre 2019, d’analyser
le projet en cours. Dans son rapport publié en février 2020,
la CRE s’était dite «
très perplexe
»
sur la pertinence du projet. Estimant les objectifs de développement des EnR trop ambitieux et
sources de surcoûts importants, elle a invité les parties prenantes à les reconsidérer. La DEAL
de Guadeloupe a alors affiné le projet et obtenu une validation de la nouvelle version par la
CRE en mai 2020. Les nouveaux objectifs devaient être partagés avec la Région en juillet 2020.
Mais, entre-
temps, un conflit social concernant la centrale d’Énergies Antilles (située à
Jarry) est venu paralyser ce processus. Le Gouvernement souhaitait que le contrat de cette
centrale fonctionnant au fioul lourd ne soit pas renouvelé
, en se fondant sur l’absence de besoin
de moyen de production d’électricité en base
52
. Un reclassement avait été organisé pour la
vingtaine de salariés concernés, mais quelques-uns ont refusé ce principe et ont obtenu le
soutien de la Région. En novembre 2020, cette dernière a adopté unilatéralement un projet de
PPE révisée
–
prévoyant notamment le renouvellement
du contrat d’Energie Antilles –
et l’a
transmis au MTES. Aucune suite n’a été donnée à ce projet préparé sans concertation avec les
services de l’État.
Pour surmonter le blocage et donner de la visibilité aux acteurs économiques, le
directeur de l’énergie
et du climat et la directrice générale des Outre-Mer ont proposé, en avril
2022, de préparer une révision simplifiée avec un objectif de publication en mai 2022. Le projet
a été soumis en mars 2023 au conseil régional qui doit désormais prendre position. En parallèle,
les travaux de préparation de la prochaine PPE ont commencé en juillet 2022, pour une adoption
envisagée fin 2023.
Le conflit sur le gaz naturel en Corse
En Corse, la révision de la PPE de 2015 a été longtemps paralysée par un débat sur la
q
uestion de l’alimentation en gaz des centrales électriques. L’option du gaz naturel faisait
l’objet d’un consensus auprès des élus et de l’opinion publique corses depuis le projet de
gazoduc Algérie-Sardaigne-Italie (ASI) en 2003. Sa remise en question actuelle a suscité une
controverse et des négociations longues et complexes entre élus corses et État, au détriment de
la PPE.
51
Délibération de la CRE du 06/02 2020 portant décision sur le projet de contrat d’achat entre la société
EDF (centre EDF Réunion) et le syndicat mixte de traitement de déchets ILEVA, pour une installation de
production d’électricité à partir de biogaz et de combustibles solides de récupération à La Réunion.
52
Réponse de la ministre de la transition écologique et solidaire à une question parlementaire le
23/06/2020.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
55
La Corse dispose de deux centrales thermiques, à Lucciana (Haute Corse) et au Vazzio
(Ajaccio). Cette dernière est devenue vétuste
: mise en service en 1982, elle aurait dû s’arrêter
de fonctionner en 2012. L’État et la Collectivité territoriale de Corse ont décidé de la remplacer
par une nouvelle centrale à proximité, au Ricanto et d’approvisionner en gaz naturel les deux
centrales.
La PPE de 2015 a donc prévu la réalisation d’une infrastructure d’alimentation en
gaz naturel comprenant deux éléments : un terminal flottant au large de Lucciana
53
de stockage
et de regazéification, et un gazoduc reliant le terminal de Lucciana à la nouvelle centrale
d’Ajaccio. Ce schéma a été confirmé le 12 décembre 2016 par un protocole d’accord entre l’État
et la Collectivité territoriale de Corse prévoyant notamment la mise en service de la nouvelle
centrale d’Ajaccio en 2023.
Cette stratégie n’a toutefois pas été mise en œuvre. Aucun opérateur n’a effectué de
demande d’approbation d’investissement à la CRE pour la réalisation de l’infrastructure
d’alimentation,
malgré l’organisation d’un appel à manifestation d'intérêt (AMI) en 2016. Une
procédure de dialogue concurrentiel portant sur la sélection d’un opérateur a été lancée en 2017
mais a été déclarée sans suite pour motif d’intérêt général, en raison de diffic
ultés liées
notamment aux aspects fonciers du gazoduc.
Entre-temps, un redimensionnement du projet de nouvelle centrale à Ajaccio (dont
l’ouverture est désormais prévue en 2027) a été décidé, notamment en raison de l’adaptation
des prévisions de consommat
ion et de production d’électricité. Une révision simplifiée de la
PPE publiée le 11 décembre 2019 a traduit juridiquement cette évolution en remplaçant dans la
PPE les mots « cycle combiné » par « moyens de production ». Une nouvelle procédure de
sélection
d’un opérateur a été lancée en
2020 (reportée à deux reprises en raison de la crise
sanitaire) mais a été déclarée sans suite, les deux offres reçues
n’apportant pas les réponses
techniques attendues.
En septembre 2021, f
ace à l’absence de solution satis
faisante pour assurer
l’approvisionnement en gaz, l’État
, reprenant une option présentée par EDF lors de la
concertation sous l’égide
de la Commission nationale du débat public (CNDP) en avril 2021, a
proposé de modifier le mode d’alimentation des deux cen
trales, en remplaçant le gaz naturel
par des bioliquides, avec une conversion de la centrale de Lucciana prévue pour 2025. Les
conséquences énergétiques de la guerre en Ukraine fournissent un argument supplémentaire en
faveur de cette évolution.
Cette nou
velle stratégie nécessite d’être intégrée dans la PPE. Comme les travaux de
révision de la PPE progressent trop lentement, l’État a proposé de procéder à une deuxième
révision simplifiée de la PPE de 2015, à publier au début de l’année 2022. Ce n’est que l
e 30
mars 2023 qu’ont été adoptées par l’Assemblée de Corse la révision simplifiée et la présentation
du projet de nouvelle PPE.
Ces délais ont retardé
le chantier de la future centrale d’Ajaccio et risquent de fragiliser
le réseau électrique corse en rai
son de l’obsolescence de la centrale du Vazzio. Ils s’expliquent
par la volonté des élus corses d’obtenir une «
compensation
» de l’État pour l’abandon de
53
Terminal de stockage et de regazéification pouvant accueillir des navires méthaniers de petite capacité
assurant le transport de gaz naturel liquéfié (GNL) à partir de terminaux situés en Méditerranée.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
56
l’option du gaz naturel, option qui leur avait été promise par l’État ces dernières années
54
. Les
élus soulignai
ent qu’une alimentation en bioliquides impliquera
it
entre 400 et 500 M€
d’investissements en moins en Corse qu’une alimentation au gaz naturel. Ils demand
aient que
l’État s’engage à investir en Corse une fraction de cette somme.
L
’État a finaleme
nt accordé
une enveloppe de 152
M€ sur 10 ans pour assurer la conversion des usages du GPL dans les
communes d’Ajaccio et de Bastia et une enveloppe de 48
M€ pour accélérer la transition
énergétique par la rénovation énergétique dans le reste de la Corse.
Bilan environnemental des bioliquides envisagés en Corse
L’approvisionnement des centrales de Lucciana et du Ricanto nécessitera de mobiliser environ 500
kt de graines de colza par an (à comparer avec une production annuelle mondiale de colza de 72
Mt en moyenne quinquennale).
EDF PEI a effectué des tests notamment avec l’IFPEN, à la centrale de Jarry, en Guadeloupe. Ses
conclusions sont les suivantes : par rapport au fonctionnement au fioul de la centrale du Vazzio,
la biomasse liquide permettrait de réduire en totalité les émissions directes de CO2. En analyse de
cycle de vie (ACV), la réduction des émissions de gaz à effet de serre par rapport au fioul serait
d’environ 70%, et d’environ 50% par rapport au gaz naturel.
Enfin, le recours à la biomasse liqu
ide permettrait de bénéficier d’une réduction sensible des autres
émissions gazeuses, notamment en matière d’oxydes de soufre (‐99%), d’oxydes d’azote (‐70%)
et de particules fines (‐73%), soit un niveau équivalent aux Valeur Limite d’Emission (VLE) en
fonctionnement au gaz naturel liquéfié (GNL) pour ces dernières. Il est prévu que ces VLE soient
rendues contraignantes par leur inscription dans les arrêtés préfectoraux d’exploitation.
Source : EDF PEI
À cet égard, il convient de noter qu’une ordonnance du 14 juin 2022 a autorisé l’État à
financer partiellement la conversion des usages, à l’électricité ou aux EnR, des réseaux de GPL
dans les ZNI
55
, à condition, notamment, que cela soit prévu par la PPE de la ZNI concernée.
Cette ordonnance mentionne les ZNI mais ne concerne en réalité que les communes d’Ajaccio
et de Bastia. On peut déplorer que les dispositions du code de l’énergie sur les PPE des
ZNI
aient été alourdies par un sujet qui ne concerne que deux communes.
Face à ces retards massifs et à ces interférences politiques locales, et à défaut de remettre
en cause de façon plus globale le dispositif des PPE des ZNI, il est à tout le moins indispensable
d
e l’
améliorer. Les développements suivants proposent des pistes en ce sens.
54
Par exemple, extrait du discours du premier ministre Edouard Philippe du 04/07/2019 à Ajaccio : «
la
transition énergétique de la Corse passe par le gaz, une source d'énergie fossile, mais qui offre une transition
entre le fioul et les énergies renouvelables. (…) le gaz permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais
c'est aussi un enjeu de qualité de l'air pour les agglomérations de Bastia et d'Ajaccio
».
https://www.vie-
publique.fr/discours/267953-edouard-philippe-4072019-transition-energetique-corse
55
Ordonnance n°2022-887 du 14 juin 2022 portant prise en charge partielle par l
’État, dans les zones non
interconnectées au réseau métropolitain continental, des coûts associés à la conversion des usages des réseaux de
gaz de pétrole liquéfié à l’électricité ou aux énergies renouvelables, prise sur la base de l’article 96 de la loi n
°2021-
1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
57
2.2.4.5
Une gouvernance peu efficace et déresponsabilisante
Conformément au code de l’énergie, la PPE de chaque ZNI est co
-
produite par l’État et
les collectivités, sur la base
du bilan prévisionnel de l’équilibre offre
-
demande d’électricité
fourni localement par EDF SEI, et avec une validation finale par la CRE. Mais les services
déconcentrés de l’État et les collectivités ne
disposent pas toujours de
l’expertise technique
néce
ssaire sur ces sujets. Ils doivent alors s’appuyer, plus que ne le prévoient les textes, sur
EDF (sensé n’intervenir qu’en début de processus, avec les bilans prévisionnels) et sur la CRE
(sensée n’intervenir qu’en fin de processus, en validant les PPE).
Les collectivités s’appuient aussi sur deux autres types d’acteurs
:
-
D’une part, les services déconcentrés de l’État eux
-
mêmes. Or ces derniers n’ont pas
toujours l’habitude des questions de politique d’énergie (ces questions étant en
dehors de la sphère de compétence de leurs homologues en régions métropolitaines).
Il conviendrait donc de renforcer les compétences des DEAL et DREAL concernées
en matière de politique énergétique.
-
D’autre part,
l
es assistants à maîtrise d’ouvrage. Or certains d’entre eux s
ont aussi
parfois les conseils de porteurs de projets, ce qui pourrait créer de graves situations
de conflit d’intérêt
s. Ces conseils peuvent être ainsi dans une position leur
permettant potentiellement d’influencer le contenu des PPE à l’avantage de leurs
clients porteurs de projets. Aucune disposition du code de l’énergie n’est prévue
pour éviter ce type de conflit d’intérêt
s. Il conviendrait de remédier à ce manque.
Enfin, le rôle de la CRE dans l’élaboration des PPE est ambigu. Certes, son rôle officie
l
dans ce processus est réduit. Mais de fait elle dispose de l’expertise technique la plus avancée
sur ces sujets et elle est souvent sollicitée pour appuyer les acteurs responsables de cette
élaboration (État et collectivités). Elle peut aussi parfois être tentée de jouer un rôle proactif
pour compenser leurs lacunes. La CRE a ainsi rédigé, à la demande du préfet de Mayotte, des
propositions pour élaborer la PPE ; elle a, à la demande du Gouvernement, fourni une analyse
qui a permis d’amener la collectivit
é de Guadeloupe à reconsidérer en profondeur son projet de
PPE ; plus globalement,
elle a fait de nombreuses propositions à l’issue de ses missions de
terrain dans les ZNI entre 2015 et 2018 ; enfin, en février 2022, le président de la CRE a fixé,
par cour
rier, des orientations à chaque préfet concernant l’élaboration de la PPE de son
territoire.
Une convention de partenariat pluriannuelle signée en novembre 2022 par la CRE avec
la collectivité territoriale de Martinique couvre la période 2022-2025. Elle a pour objet
d’
«
encadrer l’accompagnement et l’expertise que la CRE apporte à la Martinique pour la
réussite de sa transition énergétique
». Son champ est large : révision de la PPE ; études
préalables à la réalisation d’installations de production
; déve
loppement des filières d’EnR,
notamment photovoltaïque et géothermie
; maîtrise de la demande d’électricité (MDE).
Chacune des actions envisagées pour ces quatre rubriques devra faire l’objet d’une convention
particulière entre la CRE et la collectivité.
S’agissant de la PPE, les actions envisagées sont les suivantes
: d’une part, expertise
technique sur l’élaboration des objectifs de la PPE et ses impacts économiques (sur sollicitation
expresse de la collectivité ou du comité de rédaction de la PPE)
; d’a
utre part, participation de
la CRE à certaines réunions du comité de pilotage et du comité technique PPE «
lorsque cela
est pertinent
».
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
58
La CRE est ainsi amenée à jouer un rôle qui n’est pas prévu dans les textes, ce qui est
problématique, étant donné l’i
mportance de la politique énergétique et des enjeux financiers et
industriels pour les territoires concernés.
Recommandation n° 7.
(SG MTECT, DGEC, 2023) : Renforcer les compétences en
matière de politique énergétique des services déconcentrés de l’État chargés de
l’élaborati
on et du suivi des PPE dans les ZNI.
Recommandation n° 8.
(DGEC, 2023)
: Instaurer dans la procédure d’élaboration des
PPE dans les ZNI, une règle d’incompatibilité entre les rôles d’assistant à maîtrise
d’ouvrage des collectivités et de conseil des opérateurs industriels.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
L’objectif d’autonomie énergétique des ZNI, introduit dans le dispositif de soutien à ces
zones, s’avère mal défini
et difficile à combiner avec les autres axes de ce dispositif, au risque
de faire perdre de vue les objectifs
opérationnels de sécurité d’approvisionnement
et
d’équilibre du réseau électrique
et d’entraîner une moindre maîtrise des coûts
.
Une partie du dispositif de soutien aux ZNI repose, par ailleurs, sur une co-production
de mesures entre État et collectivités territoriales. Mais cette architecture est largement
défaillante.
En premier lieu, les choix locaux pour la mise en œuvre de la transition énergétique se
font sans étude d’impact en termes de sécurité d’approvisionnement et de coûts, et sans
scénarios de mix énergétiques cibles par territoire qui permettraient de fixer les étapes
intermédiaires à franchir. Une vision claire, arbitrée et partagée des principaux scénarios
envisageables en vue de cette transition dans chacun de ces territoires serait pourtant
nécessaire. Il apparait opportun que les gestionnaires de réseau des ZNI établissent des
scénarios chiffrés de mix de production cible à l’horizon
d’une quinzaine d’années
.
En second lieu, l’outil des PPE est à revoir en grande partie. Les retards massi
fs de
renouvellement accumulés dans presque toutes les ZNI signent l’échec d’une méthode
ambitieuse mais dévoyée par des enjeux ou des conflits locaux et une procédure inadaptée.
Une meilleure prise en compte dans les PPE des politiques de transport, de stockage de
l’énergie et de gestion des déchets s’avère à cet égard nécessaire, de même qu’une meilleure
prévention des conflits d’intérêts au niveau local.
À
cet effet, les moyens d’expertise des services
de l’
État dans les ZNI gagneraient à être renforcés.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
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ANNEXES
Annexe n° 1.
Les principales réalisations et projets d’interconnexion en cours
(Méditerranée, France, Irlande)
..........................................................
60
Annexe n° 2.
Évolution des charges de service public de l’énergie (2003
-
2022)
...................................................................................................
63
Annexe n° 3.
Circuit financier de la compensation des coûts de production
...........
64
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
60
Annexe n° 1.
Les principales réalisations
et projets d’interconnexion
en cours (Méditerranée, France, Irlande)
Le groupe français Nexans, un des leaders mondiaux du secteur, et le groupe italien
Prysman ont installé en 2011 deux câbles sous-marins de
250 km de long jusqu’à une
profondeur de 1
500 mètres reliant les Baléares à l’Espagne et permettant de transporter 200
MW chacun. Le contrat avait été attribué en 2007 à ce consortium pour un coût de 267 M€
56
.
En novembre 2021, Nexans a remporté auprès de Terna, l’opérateur du réseau de
transport italien, un contrat-
cadre d’un montant d’environ 650 M€ portant sur la fourniture
d’une solution de câblage d’interconnexion destinée au projet de liaison
Tyrrhenian
en Italie.
Dans le cadre de ce contrat, Nexans va fabriquer et poser 500 km de câble 500 kV à
imprégnation de matière (IM) et de câble fibre optique (FO) par plus de 2000 m de profondeur
d’eau, soit le câble d’énergie sous
-marin le plus profond jamais posé en Méditerranée. Le projet
Tyrrhenian
a pour objet de créer entre la Sicile, la Sardaigne et la Campanie un nouveau corridor
électrique de 1 GW qui permettra de mettre en place la première boucle entre les deux îles et le
réseau continental italien.
En novembre 2021 également, Nexans a débuté la pose du câble sous-
marin d’une
capacité de 500 MW destiné à relier la Crête à la Grèce continentale, interconnexion qui est
entrée en service en juillet 2022. Le montant du contrat qui portait sur la partie sous-marine de
la liaison, soit 335 km était d’environ 220 M€. Certaines sections du câble sont situées à 1
200
mètres de profondeur. Un deuxième câble entrera en service en 2024 doublant la capacité de
transport à 1 000 MW. Le projet comprend ces deux liaisons, deux centrales de conversion et
une sous-
station et son montant total, en partir pris en charge par l’UE, est d’environ 1 Md€.
L’opérateur grec du réseau de transport a évalué à 550 M€ par an les économies générées par
le projet qui permettra par arrêt des centrales à charbon et au fioul de réduire les émissions de
CO2 de la Grèce. Un groupe néerlandais a pour sa part construit et posé un autre câble de 135
km reliant la Crête au Péloponnèse.
56
Siemens s’est vu attribuer le marché de construction de deux centrales de conversion pour 100 M€.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
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En juillet 2022, EuroAsia Interconnector Limited, promoteur du projet européen
d’interconnexion entre les réseaux électriques d’Israël, de Chypre et de la Grèce (Crète) a retenu
Nexans comme fournisseur préférentiel pour l’attribution de la fourniture et de la pose de câbles
à courant continu haute tension destinés à la liaison Chypre-Grèce (Crète) de 1 000 MW (et à
terme 2 000 MW) par une profondeur record de 3 000m.
En juin 2022 ont démarré les analyses couts bénéfices du projet d’interconnexion de 2
GW devant relier la Grèce, via la Crête et l’Egypte. Le déma
rrage du projet est prévu pour la
mi 2023.
Les 29 îles grecques constituant jusqu’ici des ZNI sont en cours de fusion du fait de la
mise en place d’interconnexions entre plusieurs d’entre elles ou de disparition lorsque l’une
d’entre elles est relié au réseau continental. L’objectif des autorités grecques et de faire
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
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disparaitre ces ZNI et de faire de la Grèce, alors reliée à Chypre, Israël et l’Egypte un hub
électrique permettant l’exploitation du gisement solaire d’Egypte.
En novembre 2022, Nexans s’est v
u attribuer le contrat
Celtic Interconnector
prévoyant
le raccordement des réseaux français et Irlandais par une liaison de 575 km, dont 500 km de
câble sous-marin, plus longue liaison électrique sous-marine au monde. Les deux câbles
permettront le transport de 700 MW à partir de 2026. Le coût total du projet est passé de 930
M€ à 1,48 Md€
57
de 2019 à novembre 2022, ce qui n’a pas dissuadé la CRE et son homologue
irlandaise de donner leur accord.
57
Auxquels s’ajoutent 141 M€ de provisions pour risques.
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
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Annexe n° 2.
Évolution des charges de service public de l’énergie
(2003-2022)
Source : CRE, annexe 7 de la d
élibération du 13 juillet 2022 relative à l’évaluation des charges de service public
de l’énergie pour 2023
LES SOUTIENS PUBLICS AUX ZONES NON INTERCONNECTÉES (ZNI)
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Annexe n° 3.
Circuit financier de la compensation des coûts de
production
Schéma n° 1 :
Les Charges de Service Public de l’Électricité
: la compensation par le budget de l’Etat
des couts de production et de MDE (annuelle)
Source : EDF SEI (présentation à la Cour)