PRÉSENTATION À LA PRESSE DU RAPPORT SUR
L’ACCOMPAGNEMENT DES PERSONNES EN SITUATION DE
HANDICAP VIEILLISSANTES
Mercredi 13 septembre, 9h30
Cour des comptes
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour et merci de votre présence. J’ai grand plaisir à vous accueillir aujourd’hui pour vous
présenter le rapport de la Cour des comptes portant sur l’accompagnement des personnes
en situation de handicap vieillissantes.
Je souhaite avant tout saluer le travail remarquable et très approfondi de l’ensemble des
artisans de ce rapport, qui sont nombreux
. Ce travail est en effet issu d’une formation dite
« inter-juridictions », pour lequel les équipes de la 6
ème
Chambre de la Cour et celles de sept
CRC, en métropole et en Outre-Mer, ont associé leurs efforts. Je remercie chaleureusement
la présidente de la 6
e
chambre de la Cour, Véronique
Hamayon,
qui a présidé cette formation,
le précédent rapporteur général Vincent
Feltesse,
auquel a succédé M. Luc
Machard
et ses
équipes. Je ne peux tous les nommer mais je leur transmets mes félicitations.
Il était important que la Cour examine la prise en charge des personnes en situation de
handicap lors de leur vieillissement
. Les conséquences du vieillissement général de la
population française ont déjà été soulignées dans de nombreux et récents travaux de la Cour ;
nous avons publié des rapports sur la prévention de la perte d’autonomie des personnes
âgées en 2021 et sur la prise en charge médicale des personnes âgées en EPHAD en 2022. Ce
phénomène concerne, au même titre, les personnes en situation de handicap. S’il n’existe pas
de définition administrative de la personne en situation de handicap vieillissante, le rapport
a étudié les personnes dont la situation de handicap a précédé le vieillissement, en fixant un
seuil statistique de vieillissement à 50 ans – un seuil que nous ne devons pas prendre pour la
population générale. Il n’existe pas non plus de politique publique spécifique pour
l’accompagnement
des
personnes
en
situation
de
handicap
vieillissantes.
Or,
l’accompagnement de leurs parcours est un véritable enjeu de société, à la croisée des
politiques du handicap et du grand âge. Rappelons que l’ensemble des dépenses publiques
consacrées au handicap en général dépasse les 50 Md€ par an. Le vieillissement est aussi un
2
phénomène qui concerne de manière croissante les personnes handicapées en raison de la
pyramide des âges et des progrès de la science, j’y reviendrai.
D’ailleurs, et j’ai déjà eu l’occasion de l’évoquer, un autre rapport lié aux politiques du
handicap est en cours, sur la thématique de l’école inclusive
. Il s’agit d’une proposition de
contrôle issue de la plate-forme de participation citoyenne lancée en 2022, ce qui illustre
l’intérêt de nos concitoyens pour cet enjeu. La Cour s’empare de ces sujets qui sont très
importants, qui nous concernent tous, qui nous touchent personnellement et qui sont en
résonance avec la vie quotidienne de nos concitoyens.
I.
Tout d’abord, ce rapport est profondément novateur et utile car il permet de poser
des constats chiffrés, complets et territorialisés. Nous avons tenu à cette dernière
dimension.
En effet, les personnes vieillissantes en situation de handicap constituaient jusqu’à présent
une population insuffisamment connue
.
Mais l’équipe a exploité plusieurs bases de données
jamais analysées jusqu’alors, communiquées notamment par la Caisse nationale de solidarité
pour l’autonomie et par l’Agence technique de l’information médicale.
Pour la première fois, ces données ont permis de chiffrer les besoins et, partant, les tensions
sur l’offre d’accompagnement des personnes en situation de handicap vieillissantes.
Ensuite, les personnes concernées ont elles-mêmes directement contribué au diagnostic de
la situation.
Une consultation publique a été lancée auprès des personnes en situation de
handicap et de leurs aidants, recueillant plus de 1 700 réponses. Les constats qui ont pu en
être tirés ont nourri le diagnostic et l’analyse de la Cour.
Cette enquête est également assortie de huit diagnostics territoriaux menés par les CRC
dans les départements de la Dordogne, de l’Essonne, du Maine-et-Loire, de la Marne, de la
Martinique, de la Meuse, du Nord et de la Savoie. Ces monographies livrent de multiples
illustrations sur l’accompagnement des personnes en situation de handicap vieillissantes ;
elles contribuent grandement à la compréhension du phénomène, tout en soulignant les
disparités territoriales dans la mise en œuvre de cette politique publique
II.
J’en viens au contenu de notre rapport, qui vise à éclairer le débat public sur le
vieillissement des personnes en situation de handicap, et à orienter les décideurs publics
dans l’amélioration de leur accompagnement.
L’enquête dresse tout d’abord un état des lieux de ce phénomène démographique d’ampleur
(1). Il révèle ensuite que les besoins croissants d’accompagnement sont souvent insatisfaits,
en raison de fortes tensions sur l’offre d’accompagnement (2). En conséquence, la Cour et les
CRC invitent à repenser le pilotage de la politique du handicap et à garantir le respect du droit
à l’accompagnement, en augmentant significativement l’offre de soutien à domicile (3). La
Cour n’est pas tout le temps en train de proposer des réductions de dépenses. Il arrive aussi
3
qu’elle préconise d’investir.
(1)
En premier lieu, les personnes en situation de handicap vieillissantes constituent
une population particulièrement hétérogène et de plus en plus nombreuse.
Avant toute chose, il faut souligner la diversité des situations des personnes en situation de
handicap, notamment entre handicap physique, handicap sensoriel et handicap psychique,
intellectuel ou cognitif.
En France, 9,7 millions de personnes, chiffre énorme, sont atteintes
de limitations motrices et 3,5 millions de troubles psychiques, intellectuels ou cognitifs. Il me
semble important de rappeler qu’au sens de la loi du 11 février 2005, le terme «
handicap
»
englobe des situations très diverses, par le type et la sévérité. Les parcours diffèrent aussi, et
c’est un critère fondamental, selon la présence ou non d’un entourage familial ou d’une aide
professionnelle. J’aimerais insister sur ce point, car le rapport a souhaité présenter la diversité
de ces situations et donc la diversité des besoins et des réponses associées.
Le principal constat du rapport est un vieillissement important de la population des
personnes en situation de handicap.
Certes, ce phénomène démographique est connu
depuis une vingtaine d’années. Mais il était peu pris en compte dans la politique du handicap,
alors que le nombre de détenteurs de droits de plus de 50 ans a considérablement augmenté
au cours des dernières années. Le nombre de bénéficiaires de l’allocation aux adultes
handicapés (AAH) de plus de 50 ans a augmenté de 55 % entre 2011 et 2019, tandis que celui
des personnes accueillies en établissement médico-social a progressé de 50 % entre 2010 et
2018.
D’autre part, la pyramide des âges des personnes avec une limitation « motrice ou organique
» ou un « trouble psychique, intellectuel ou cognitif » montre une très forte augmentation de
leur nombre avec l’avancée en âge.
(2)
Fort de ce diagnostic, notre rapport révèle que les besoins croissants de cette
population sont rarement satisfaits, en raison de tensions sur l’offre d’accompagnement,
avec des conséquences parfois dramatiques sur les parcours.
Si les besoins des personnes en situation de handicap sont en partie identiques à ceux de la
population vieillissante en général, certaines spécificités s’y ajoutent
. Premièrement, les
personnes âgées en situation de handicap ont un besoin accru d’accès aux soins.
Deuxièmement, le besoin de compensation du handicap pour maintenir l’autonomie dans la
vie quotidienne, une vie sociale et une stimulation cognitive, s’amplifie avec l’avancée en âge.
Les besoins d’accompagnement sont d’autant plus importants que le vieillissement
représente une rupture forte, pour la plupart des situations et des parcours.
Près de 90 %
des personnes en situation de handicap vieillissantes vivent dans un domicile autonome. Pour
ces dernières, le double effet du vieillissement de la personne en situation de handicap et de
ses aidants, souvent ses parents, peut déboucher sur des situations critiques. S’agissant des
travailleurs d’Esat, le passage à la retraite est un changement de vie qui s’effectue trop
souvent sans accompagnement. Si les travailleurs sont logés en foyer d’hébergement, la
4
retraite implique même de quitter son logement, et elle signe la fin de l’accompagnement
médico-social.
Ce constat est cependant à nuancer : les risques de rupture sont plus limités
pour les personnes accueillies dans des établissements pour adultes handicapés. De
nombreux établissements aménagent leur prise en charge pour accompagner le
vieillissement de leurs résidents, y compris dans les situations de perte d’autonomie et de fin
de vie. Un résident entré jeune a donc de fortes probabilités d’y rester très longtemps.
L’enquête montre aussi que les personnes atteintes tardivement d’un handicap ou celles
souffrant d’un handicap psychique, ont accès plus difficilement et plus rarement à des
solutions institutionnelles
.
En d’autres termes, plus le handicap est tardif et la situation
complexe, moins il y a de chances de trouver un établissement adapté.
On
est
donc
confrontés
à
des
situations
vraiment
dramatiques,
et
l’offre
d’accompagnement à domicile ou en établissement est insuffisante, en qualité comme en
quantité
.
Sur le volume d’offre, la Cour met en évidence que les besoins sont bien supérieurs aux
solutions offertes actuellement.
Les tensions sur l’offre étaient observées empiriquement
par les acteurs du secteur, mais l’analyse inédite des données disponibles par la Cour permet
d’en documenter l’ampleur. Selon l’estimation plutôt prudente présentée dans le rapport,
seules 60 % des personnes orientées vers un établissement ou un service médico-social voient
leur demande satisfaite, soit 40% non satisfaites. La tension est plus forte encore sur les
services d’accompagnement à domicile : seuls 41 % des demandeurs y accèdent.
L’inadéquation entre l’offre et la demande d’accompagnement est aggravée par la carence
en compétences qui affecte de nombreux secteurs médicaux et sociaux, ainsi que le relève
l’enquête. Ces métiers d’accompagnement sont en tension et souffrent d’un défaut
d’attractivité, auquel il faut urgemment remédier.
Sur la qualité de l’offre, la Cour constate une absence de gradation dans l’offre
d’accompagnement à domicile
. Pourtant, une intervention parfois plus légère et plus précoce
limiterait l’impact humain et financier de prises en charge, plus tardive, de situations dégradées.
En raison des tensions sur l’offre d’accompagnement, les personnes en situation de
handicap vieillissantes sont plus de 40 000 à être accueillies en EHPAD.
Cette solution, qui
semble parfois être la seule disponible, n’est pas toujours adapté. Les EHPAD sont
insuffisamment outillés pour ce public spécifique. Ils ne peuvent devenir une solution
acceptable d’hébergement que pour certains profils, à condition d’adapter leur prise en
charge et que leur mode de financement soit revu pour permettre cet accueil – et par ailleurs
dans un autre rapport nous avons analysé l’insuffisance des places en EHPAD donc c’est une
situation cumulative.
(3)
L’analyse étant faite, j’en viens aux recommandations formulées par la Cour, pour
améliorer le pilotage de la politique du handicap et garantir le respect du droit à
l’accompagnement.
5
Premièrement, le rapport préconise d’améliorer le pilotage de la politique du handicap dans
son ensemble.
Les difficultés rencontrées par les personnes en situation de handicap vieillissantes sont le
résultat d’un défaut d’anticipation du phénomène démographique que le rapport met en
évidence
. Elles sont aussi symptomatiques des obstacles rencontrés par toutes les personnes
en situation de handicap, en raison notamment de blocages structurels comme la dispersion
des compétences entre départements et ARS. À cela s’ajoutent, les cahiers territoriaux le
montrent, les fortes disparités territoriales en matière d’offre médico-sociale, comme le
démontrent les huit monographies réalisées par les juridictions financières.
Ces insuffisances en termes de pilotage, de prévision et d’accompagnement du
vieillissement ont des conséquences très concrètes sur l’ensemble de la politique du
handicap et des établissements médico-sociaux
. L’accroissement de la demande en
établissements médicalisés réduit en effet l’accès des plus jeunes adultes à une offre adaptée
à leurs besoins. Cette situation appelle une réponse globale et prospective.
En conséquence, le rapport formule deux recommandations pour améliorer le pilotage par
les données, grâce au renforcement de l’information statistique :
-
De conditionner le versement d’une fraction des ressources allouées aux opérateurs,
au respect de l’obligation de renseignement des systèmes d’information ;
-
Et de créer un observatoire national du handicap chargé d’analyser régulièrement, de
manière pluri partenariale, les données du secteur. On a besoin de mieux agir pour mieux
connaître.
Deuxièmement, le rapport recommande d’augmenter significativement l’offre de soutien à
domicile, afin de garantir le respect du droit à l’accompagnement.
La loi du 11 février 2005 a créé le droit pour les personnes en situation de handicap
de
bénéficier d’un accompagnement conforme aux orientations prononcées par la maison
départementale des personnes handicapées (MDPH). Or, force est de constater que ce droit
n’est, trop souvent, pas respecté, ce qui a déjà donné lieu à plusieurs condamnations de l’État
pour carence.
La réponse graduée aux besoins des personnes en situation de handicap vieillissantes peut,
et doit, être renforcée, à travers la mise en œuvre de plusieurs recommandations formulées
par la Cour.
-
La première d’entre elles, c’est de renforcer en priorité l’accompagnement à
domicile, par des moyens supplémentaires à hauteur d’un milliard d’euros par an
. Cet effort
doit permettre de d’augmenter l’offre d’accompagnement par bassin de vie, en accordant
une priorité à des solutions graduées et diversifiées ;
6
-
La Cour préconise aussi d’améliorer le repérage des personnes en situation de
handicap vivant à domicile, en confiant cette responsabilité aux
ma
isons départementales
des personnes handicapées
. Celles-ci pourraient leur proposer, à partir de 50 ans, une
évaluation des besoins médico-sociaux liés au vieillissement ;
-
La Cour émet enfin plusieurs recommandations pour renforcer et adapter la prise en
charge des personnes en situation de handicap dans les établissements médico-sociaux
–
qu’il s’agisse des établissements pour personnes en situation de handicap ou des
établissements pour personnes âgées. Je suis à votre disposition pour approfondir ces pistes
concrètes dans les questions réponses, dont nous pensons par ailleurs qu’elles génèreraient
des pistes d’économies.
*
Mesdames, messieurs,
je crois ce rapport profondément instructif et utile au débat public
sur une question difficile et d’une sensibilité extrême
. Il présente un état des lieux objectif
des besoins des personnes en situation de handicap vieillissantes, de l’insuffisance des
réponses qui leur sont apportées et des pistes de politiques publiques qu’il conviendrait
d’emprunter.
Le grand âge et le handicap sont deux enjeux primordiaux, dont la bonne prise en compte
par les politiques publiques est la condition de notre vivre ensemble
. A travers ce rapport,
c’est évidemment plus largement les questions centrales et républicaines de l’inclusion et de
l’accès aux droits qui sont posées. Nous y reviendrons à travers l’école un peu plus tard.
Merci de votre attention et de votre intérêt
. Je suis à votre disposition, ainsi que l’équipe qui
a instruit ce rapport, pour vos questions.