LA TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE
(TVA), UN IMPÔT À RECENTRER SUR
SON OBJECTIF DE RENDEMENT POUR
LES FINANCES PUBLIQUES
Février 2023
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
III
Le Conseil des prélèvements obligatoires,
une institution associée à la Cour des comptes
Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) est «
chargé d
’
apprécier l
’évolution et
l’
impact économique, social et budgétaire de
l’
ensemble des prélèvements obligatoires,
ainsi que de formuler des recommandations sur toute question relative aux prélèvements
obligatoires
» (articles L.411-1 et suivants du code des juridictions financières (CJF)).
Placé auprès de la Cour des comptes et présidé par le Premier Président de la Cour des
comptes, le collège du CPO comporte seize membres, huit magistrats et hauts
fonctionnaires et huit personnalités qualifiées choisies, à raison de leur expérience
professionnelle, par les Présidents de l
’
Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil
économique, social et environnemental, ainsi que par les ministres chargés de
l
’
économie et des finances, des affaires sociales et de l
’
intérieur (articles L. 411-4 et
L. 411-5 du CJF).
Le président du CPO peut désigner, pour une durée d'un an, au plus quatre personnalités
qualifiées, afin d'éclairer les délibérations du Conseil. Ces personnalités qualifiées
assistent aux réunions du conseil mais n'ont pas voix délibérative (article L. 411-8
du CJF).
Situé, comme la Cour des comptes, à équidistance du Gouvernement et du Parlement, le
CPO est un organisme pluridisciplinaire et prospectif qui contribue à l
’
élaboration de
la doctrine et de l
’
expertise fiscale, grâce à l
’
indépendance de ses membres et à la
qualité de ses travaux.
Le CPO peut être chargé, à la demande du Premier ministre ou des commissions de
l’
Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances et des affaires sociales, de
réaliser des études relatives à toute question relevant de sa compétence (article L. 411-3
du CJF).
L
’
organisation des travaux
du Conseil des prélèvements obligatoires
Le CPO est
indépendant
. A cette fin, les membres du Conseil jouissent d
’
un mandat qui
a été porté de deux à trois ans par la loi du 6 décembre 2021 portant diverses
dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l'information du
Parlement sur les finances publiques, mandat qui est renouvelable une fois. Ils «
ne
peuvent solliciter ou recevoir aucune instruction du Gouvernement ou de toute autre
personne publique ou privée
». Le secret professionnel s
’
impose à eux (article L.411-12
du CJF).
Le CPO est
pluridisciplinair
e dans sa composition et
collégia
l dans son mode de
délibération. Il entend en audition des représentants de la société civile et du monde
économique.
Afin d’assurer l’information du CPO,
le directeur général du Trésor, le directeur de la
législation fiscale, le directeur du budget, le directeur général des collectivités locales,
le directeur de la sécurité sociale, le directeur général des entreprises et le directeur
général de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale assistent, à la demande
de son président, à ses réu
nions et s’y expriment, sans voix délibérative, ou s’y font
représenter.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
IV
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
L
’
élaboration des rapports
du Conseil des prélèvements obligatoires
Le CPO fait appel à des rapporteurs habilités, comme ses membres, à se faire
communiquer tous documents, de quelque nature que ce soit (articles L. 411-8 et
suivants du CJF). Pour l
’
exercice de leurs missions, les membres du CPO comme les
rapporteurs ont libre accès aux services, établissements, institutions et organismes
entrant dans leur champ de compétences. Ceux-ci sont tenus de leur prêter leur
concours, de leur fournir toutes justifications et tous renseignements utiles à
l
’
accomplissement de leurs missions.
Les agents de ces services, établissements, institutions et organismes sont déliés du
secret professionnel à l
’
égard du CPO, à l
’
occasion des études qu
’
il réalise.
Chaque étude ou enquête est réalisée par un ou deux rapporteurs généraux, qui
s
’
appuient sur les travaux de rapporteurs particuliers choisis en fonction de leur
expertise.
Le rapport général comme les rapports particuliers, sont rendus publics et sont
consultables sur le site internet www.ccomptes.fr/CPO. Seul le rapport général engage
le CPO.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
V
Les rapports du
Conseil des prélèvements obligatoires
Octobre 2022
Février 2022
La fiscalité locale dans la perspective du Zéro
artificialisation nette (ZAN)
Redistribution, innovation, lutte contre le changement
climatique : trois enjeux fiscaux majeurs en sortie de
crise sanitaire
Septembre 2020
Adapter la fiscalité des entreprises à une économie
mondiale numérisée
Septembre 2019
La fiscalité environnementale au défi de l
’
urgence
Climatique
Janvier 2018
Les prélèvements obligatoires sur le capital des
ménages
Janvier 2017
Adapter l
’
impôt sur les sociétés à une économie
ouverte
Décembre 2015
La taxe sur la valeur ajoutée
Février 2015
Impôt sur le revenu, CSG, quelles réformes ?
Mai 2014
Fiscalité locale et entreprises
Juillet 2013
La fiscalité affectée : constats, enjeux et réformes
Janvier 2013
Les prélèvements obligatoires et les entreprises du
secteur financier
Février 201
Prélèvements à la source et impôt sur le revenu
Novembre 2011
L
’
activité du Conseil des prélèvements obligatoires
pour les années 2006 à 2011
Mai 2011
Prélèvements
obligatoires
sur
les
ménages :
progressivité et effets redistributifs
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
VI
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Octobre 2010
Entreprises et "niches" fiscales et sociales
–
Des
dispositifs dérogatoires nombreux
Mai 2010
La fiscalité locale
Octobre 2009
Les prélèvements obligatoires des entreprises dans
une économie globalisée
Mars 2009
Le patrimoine des ménages
Novembre 2008
La répartition des prélèvements obligatoires entre
générations
et
la
question
de
l
’
équité
intergénérationnelle
Mars 2008
Sens et limites de la comparaison des prélèvements
obligatoires entre pays développés
Mars 2008
Les prélèvements obligatoires des indépendants
Mars 2007
La fraude aux prélèvements obligatoires et son
contrôle
Les notes du
Conseil des prélèvements obligatoires
Février 2022
Note n°3 Baromètre des prélèvements obligatoires
en France
–
Première édition 2021
Juillet 2021
Note
n°2
Les
enjeux
pour
la
France
des
négociations à l’OCDE sur la taxation des bénéfices
des multinationales
Juillet 2021
Note n°1 Quel taux pour l’impôt sur les sociétés e
n
France ?
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
VII
Les rapports du Conseil des impôts
2005
2004
2003
La fiscalité dérogatoire
La concurrence fiscale et l’entreprise
La fiscalité dérogatoire
–
pour un réexamen des
dépenses fiscales
2002
Les
relations
entre
les
contribuables
et
l’admi
nistration fiscale
2001
La taxe à la valeur ajoutée
2000
L’imposition des revenus
1999
La fiscalité des revenus de l’épargne
1998
L’imposition du patrimoine
1997
La taxe professionnelle
1995
La contribution sociale généralisée
1994
Fiscalité et vie des entreprises
1992
L
a fiscalité de l’immobilier urbain
1990
L’impôt sur le revenu
1989
La fiscalité locale
1987
La fiscalité des entreprises
1986
L’imposition du capital
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
VIII
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
1984
L’impôts sur le revenu
1983
La taxe sur la valeur ajoutée
1980
1979
1977
1974
1974
1972
L’imposition des bénéfices agricole
s
L’impôt sur le revenu
L’imposition des bénéfices industriels et commerciaux
L’impôt sur le revenu
Application de l’article 5 de la loi d’orien
tation du
commerce et de l’artisanat
L’impôt sur le revenu
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
IX
Le
Conseil
des
prélèvements
obligatoires
est
présidé
par
M. Pierre MOSCOVICI, Premier président de la Cour des comptes.
Il comprend :
M. Patrick LEFAS, président de chambre maintenu à la Cour des comptes,
suppléant le Premier président de la Cour des comptes.
En sont membres :
-
M. Dominique BAERT, maire de Wattrelos et conseiller maître en service
extraordinaire à la Cour des comptes
-
M. Alain CHRÉTIEN, maire de Vesoul et président d
’
agglomération
-
M. Samy BENOUDIZ, maire d
’
Aigremont et dirigeant de sociétés
-
M. Pierre COLLIN, conseiller d
’
État
-
M. Patrick WYON, conseiller à la Cour de cassation
-
M
me
Mathilde LIGNOT-LELOUP, conseillère maître à la Cour des comptes
-
M
me
Selma MAHFOUZ, inspectrice générale des finances
-
M
me
Cécilia BERTHAUD, inspectrice générale des finances
-
M. Pierre-Louis BRAS, inspecteur général des affaires sociales
-
M. Alain BAYET, inspecteur général de l
’
institut national de la statistique et des
études économiques
-
M. Pierre BOYER, professeur d
’
économie à l
’
École Polytechnique
-
M. Frédéric DOUET, professeur de droit à l
’
université Rouen
–
Normandie
-
M
me
Lise PATUREAU, professeure d
’
économie à l
’
université Paris Dauphine
-
M. Rémi PELLET, professeur de droit à l
’
université de Paris Cité et de Sciences
Po Paris
-
M
me
Nathalie MOGNETTI, directrice fiscale de TotalEnergies
-
M. Jacques CREYSSEL, délégué national de la fédération des entreprises du
commerce et de la distribution
En est membre, sans voix délibérative, M
me
Elisabeth ASHWORTH, associée chez
CMS Francis Lefebvre.
Le
secrétariat du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) est assuré par
M. Guilhem BLONDY, conseiller maître à la Cour des comptes, secrétaire général
du CPO, ainsi que par M. Dimitri GRYGOWSKI, conseiller référendaire en service
extraordinaire à la Cour des comptes.
Les travaux de secrétariat du conseil sont réalisés par M
me
Marie DIAWARA
CAMARA, chargée de mission.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
X
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Le rapport, présenté par M. Louis de CREVOISIER, inspecteur des finances, a été
délibéré et arrêté au cours des séances du 5 janvier et du 17 janvier 2023.
Les études préliminaires au rapport ont été effectuées par :
-
M
me
Oumnia ALAOUI, inspectrice des finances
-
M. Gaspard BIANQUIS, inspecteur des finances
-
M. François René BURNOD, auditeur au Conseil d
’
État
-
M. Vincent DEDRIE, auditeur à la Cour des comptes
-
M. Cédric DUTRUEL, inspecteur des finances
-
M
me
Capucine GRÉGOIRE, inspectrice des finances
-
M. Ivan SALIN, inspecteur des finances
-
M. Paul-Armand VEILLON, administrateur de l
’
INSEE
-
M
me
Valentine VERZAT, inspectrice des finances
Par ailleurs, ont été auditionnés par le Conseil :
-
M
me
Marie-Pascale ANTONI, directrice des affaires fiscales du Mouvement des
entreprises de France (MEDEF)
-
M. Bernard BACCI, directeur fiscal du groupe Vivendi
-
M. Christophe BEAUX, directeur général du MEDEF
-
M. Stéphane BUYDENS, OCDE, Centre for Tax Policy and Administration,
VAT Advisor
-
M. Matthieu DECONINCK, direction de la législation fiscale, sous-directeur
de la fiscalité des transactions, fiscalité énergétique et environnementale
-
M
me
Juliette FLEURY, directrice fiscale du groupe Carrefour
-
M. Felix MONTAG, enseignant-chercheur à l
’université de
Munich
-
M. Gérard ORSINI, président de la commission fiscale de la Confédération des
petites et moyennes entreprises (CPME)
-
M. Lionel VIGNAUD, directeur des affaires économiques, juridiques et fiscales
de la CPME
Les études préliminaires sont des documents de travail n
’
engageant pas en tant que tels
le Conseil des prélèvements obligatoires. Ces études sont consultables sur le site internet
www.ccomptes.fr/CPO.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
SOMMAIRE
1
Sommaire
Sommaire
..............................................................................................................................
1
Synthèse du rapport
.............................................................................................................
3
Synthèse des constats et des recommandations
.................................................................
7
Introduction
..........................................................................................................................
9
CHAPITRE I
-
L’ENJEU DE LA S
ÉCURISATION DES RECETTES DE TVA
.......
13
I -
Principal impôt national, disposant d’un cadre harmonisé au niveau européen,
la
TVA contribue au financement de l’État et, désormais, des organismes de
protection sociale et des collectivités territoriales
.........................................................
13
A -
La TVA est un impôt national dont le cadre est largement harmonisé au niveau de
l’Union européenne
......................................................................................................
13
B -
La TVA est le principal impôt du système fiscal français
.....................................
15
C -
Les affectations de TVA en dehors du champ des organismes de protection sociale
et des collectivités territoriales doivent être évitées
.....................................................
19
II -
La numérisation de l’économie génère de nouveaux risques de fraude à la
TVA,
qui ont conduit à adapter son cadre juridique
..............................................................
22
A -
Les estimations de la fraude à la TVA sont plus importantes celles disponibles
en 2015
.........................................................................................................................
22
B -
Face à la baisse des droits de TVA rappelé
s, les moyens et l’organisation du
contrôle fiscal ont été renforcés
...................................................................................
24
C -
Les évolutions du régime de territorialité de la TVA contribuent à sécuriser son
recouvrement, notamment face à la fraude liée au commerce en ligne
........................
26
D -
La TVA à l’ère numérique doit s’appuyer sur de nouveaux instruments de lutte
contre la fraude et de simplification pour les entreprises
.............................................
29
III - Les taux réduits de TVA, plus largement utilisés en France que dans le reste de
l’Europe, sont coûteux pour les finances publiques, peu efficaces économiquement et
rarement évalués
..............................................................................................................
32
A -
Les taux réduits de TVA sont relativement importants en France, en comparaison
européenne
...................................................................................................................
32
B -
Les taux réduits de TVA sont des outils inefficaces de politique économique
......
35
C -
L’adoption de nouveaux taux réduits doit être évitée et les mesures dérogatoires
existantes soumises à des modalités révisées d’évaluation, conduisant à
supprimer ou
relever les taux réduits inefficaces
...............................................................................
37
CHAPITRE II
–
LA TVA FACE À DE NOUVELLES QUESTIONS
..........................
41
I - La
TVA n’est pas
un outil efficace de pilotage conjoncturel de l’économie et
n’intègre pas suffisamment les enjeux de compétitivité du secteur financier
............
41
A -
La TVA a été utilisée à des fins conjoncturelles dans certains pays
......................
41
B -
La TVA est toutefois un instrument de pilotage conjoncturel peu pertinent
..........
43
C -
Dans le contexte post-
Brexit,
les enjeux de compétitivité justifient, en revanche, de
moderniser le régime de TVA du secteur financier
.....................................................
44
II - Une baisse de la TVA ne constitue pas une solution pérenne au choc énergétique
et à l’inflation qu’il génère
..............................................................................................
46
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
2
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
A -
À la différence de ses voisins européens, la
France a privilégié d’autres
instruments que la TVA en réponse au choc énergétique
............................................
46
B -
Une baisse de la
TVA ne suffirait pas à limiter la hausse des prix de l’énergie ni à
protéger le pouvoir d’achat des ménages les plus vulnérables
.....................................
47
C -
Une réflexion générale sur la fiscalité des énergies apparaît nécessaire
................
50
III - La
TVA est moins efficace que d’autres outils pour relever les défis
socio-économiques de long terme
...................................................................................
54
A -
Face aux inégalités de revenu, des transferts ciblés doivent être préférés à une
baisse de la TVA sur les produits de première nécessité
.............................................
54
B -
Insuffisamment ciblée, la
TVA n’est pas le meilleur instrument face aux défis
environnementaux et de santé publique
.......................................................................
56
C -
Un soutien sectoriel doit être préféré à une baisse de la TVA pour soutenir les
secteurs économiques « sobres »
.................................................................................
59
Conclusion
...........................................................................................................................
63
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
SYNTHÈSE
3
Synthèse du rapport
La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est un impôt général sur la consommation
directement facturé aux clients sur les biens qu’ils consomment ou sur les services qu’ils
utilisent en France. Les modifications substantielles de son cadre budgétaire et juridique,
de même que les évolutions récentes du contexte économique, marqué par la crise
sanitaire, la crise énergétique et l’inflation, ainsi que par des préoccupations croissantes
pour des enjeux de long terme tels que le changement climatique, conduisent le Conseil
des prélèvements obligatoires
(CPO) à s’in
téresser à cette imposition, huit ans après son
précédent rapport sur la TVA. Les conclusions du présent rapport peuvent être résumées
en deux idées clés.
La TVA doit rester un impôt de rendement avec pour objectif prioritaire le
financement des services publics.
Principal impôt du système fiscal français, avec un rendement dynamique
de 186
Md€
et représentant 17 % des prélèvements obligatoires en 2021, la TVA
présente de nombreux avantages pour les finances publiques et pour l’économie. Dans
ce contexte,
alors qu’elle abondait essentiellement le budget de l’État, celui
-ci ne perçoit
désormais plus que la moitié des recettes de
TVA en raison d’affectations successives de
fractions de TVA aux organismes de protection sociale et aux collectivités territoriales,
notamment pour compenser la suppression de recettes préexistantes. Ces affectations
répondent à des choix structurants d’organisation des relations financières entre l’État et
ces organismes. Elles ne peuvent ainsi
être appréciées qu’au regard de l’équi
libre des
finances sociales et des finances locales dans leur ensemble. Elles posent néanmoins la
question de la soutenabilité des finances publiques, l’État se trouvant, toutes choses
égales par ailleurs, doté de ressources fiscales moindres pour financer un niveau
équivalent de dépenses publiques. Les affectations de TVA en dehors de ces deux
champs, comme c’est le cas pour l’audiovisuel public depuis
2022, génèrent des effets
indésirables soulignés à plusieurs reprises par le CPO, et devraient être évitées. Elles
seront, au demeurant, interdites à compter de
2025, en application de l’article
2 modifié
de la loi organique relative aux lois de finances.
Malgré ces affectations, la TVA conserve sa vocation de financement des
services publics. Or, son rendement est menacé par deux phénomènes de nature
distincte : le développement de la petite et de la grande fraude, et la multiplication des
taux réduits rarement associés à des études d’impact
a priori
ou d’évaluation
a posteriori
et qui sont très difficiles à remettre en cause, même lorsque leur efficacité apparaît
limitée.
D’une part, les récentes estimations de la fraude à la
TVA sont plus importantes
que ce qui avait été suggéré antérieurement
, l’INSEE estimant les irrégularités,
intentionnelles ou non, entre 20 et 26
Md€ sur la base de données de
2012. Si certains
schémas de fraude à la TVA sont désormais bien identifiés par les pouvoirs publics, tels
que la fraude « carrousel
» et l’économie souterraine, de nouveaux mécanismes
frauduleux apparaissent en lie
n avec la numérisation de l’économie. À
ce titre, le
paquet TVA « e-commerce », entré en vigueur en 2021, a profondément révisé le cadre
juridique des importations dans l’Union
européenne
(UE) en provenance d’États tiers
,
en instituant notamment un mécanisme de redevabilité pour les plateformes de vente de
biens en ligne aux particuliers. De même, afin de lutter contre les activités économiques
occultes et les distorsions économiques et fiscales qu’elles génèrent, un mécanisme de
reporting
a été imposé aux plateformes de mise en relation par voie électronique de
l’«
économie du partage
» ainsi qu’aux
prestataires de service de paiement. Enfin, la
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
4
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
facturation électronique entre entreprises et la transmission des données de transactions
seront déployées en Fra
nce à l’horizon
2024 à 2026.
Dans ce contexte, le
CPO suggère d’approfondir ces dispositifs dans le sens
d’un contrôle plus étroit des plateformes de ventes de biens d’États tiers à l’UE, de la
redevabilité des plateformes de mise en relation par voie électronique, et de
l’harmonisation de la facturation électronique au sein de l’UE. C’est le sens du
récent
paquet «
TVA à l’ère numérique
», présenté par la Commission européenne
le 8 décembre 2022. Ces orientations, de même que la réorganisation des services
d’enquêtes fiscales et des autorités judiciaires, et le recours en matière fiscale à de
nouveaux instruments juridiques, tels que la reconnaissance préalable de culpabilité et la
convention judiciaire d’intérêt public, devraient permettre, à court terme,
d’inverser la
tendance à la baisse constatée ces dernières années en matière de droits de TVA rappelés.
Elles pourront utilement alimenter les réflexions en cours sur le plan de lutte contre les
fraudes, fiscale, sociale et douanière, annoncé par le Gouvernement pour la fin du
premier semestre 2023.
D’autre part, les taux réduits de
TVA représentent un manque à gagner
important en comparaison internationale
, de l’ordre de 47
Md€ aujourd’hui, soit
l’équivalent de
24 % de son rendement. Dans ce contexte, la directive du 5 avril 2022 a
ouvert de nouvelles possibilités d’adoption de taux réduits de
TVA, qui restent, à ce
stade, peu exploitées en Europe et en Fra
nce. Alors que les taux réduits étaient jusqu’ici
strictement encadrés, cet assouplissement, certes limité, s’explique par l’adoption
d’un
régime de territorialité fondé sur le pays de destination, générant des risques plus limités
de concurrence fiscale e
ntre États membres qu’une taxation au pays d’origine.
Or, les taux réduits de TVA ont une efficacité qui apparaît limitée pour atteindre
des objectifs économiques et constituent une source de complexité pour les entreprises,
comme l’illustre la problématiq
ue des offres composites. Le bilan des taux existants doit
ainsi conduire à éviter l’adoption de nouveaux taux réduits de
TVA
et à préférer d’autres
outils pour poursuivre des objectifs économiques et de politique publique. En parallèle,
le présent rapport
suggère de renforcer le suivi et l’évaluation des taux réduits de
TVA
existants par le CPO ou une instance
ad hoc
et, sur la base de ces évaluations, de
supprimer les taux réduits inefficaces ou, à défaut, de les relever à un taux supérieur dans
le barème.
La
TVA n’est pas le meilleur instrument dont disposent les pouvoirs
publics pour répondre aux conséquences des crises actuelles ainsi qu’aux enjeux
économiques de long terme.
En premier lieu, une baisse de TVA apparaît peu pertinente pour relancer
l’écon
omie française. Dans le contexte de la crise sanitaire de 2020, plusieurs États
membres, comme l’Allemagne, ont procédé à des baisses de
TVA sectorielles ou
générales à des fins de relance contracyclique. De fait, les études empiriques sur ces
expériences démontrent des effets limités pour un coût élevé.
La TVA apparaît donc
comme un instrument de politique conjoncturelle moins efficace que d’autres outils pour
agir sur la croissance économique.
En revanche, dans le contexte actuel post-
Brexit,
la TVA doit intégrer des
enjeux de compétitivité du secteur financier. En effet si l’exonération des activités
financières constitue une spécificité forte du régime de TVA européen, les règles de
territorialité applicables n’excluent pas toute concurrence fiscale entr
e pays européens
ou avec des États tiers. Le présent rapport formule ainsi des orientations pour moderniser
le régime de TVA de ce secteur.
En deuxième lieu, face au choc énergétique et à l’inflation qui en découle, une
baisse de TVA sur les énergies appa
raît moins efficace que d’autres instruments
budgétaires ou fiscaux.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
SYNTHÈSE
5
À la différence de la plupart de ses voisins européens, la France a privilégié
d’autres instruments qu’une baisse de la
TVA en réponse à la hausse des prix de
l’énergie. Les simulations r
éalisées pour le CPO confirment que le « bouclier tarifaire »
apparaît plus eff
icace qu’une baisse de la
TVA à 10
% sur le gaz et l’électricité pour
limiter la hausse des prix, tout en étant trois fois plus coûteux. De même, le chèque
énergie protège davan
tage les ménages vulnérables qu’une mesure de
baisse de TVA
non ciblée, tout en engendrant un coût moindre pour les finances publiques.
Les mesures de soutien non ciblées aux dépenses énergétiques ne doivent
toutefois pas remettre en cause l’atteinte des o
bjectifs environnementaux nationaux, et
ne peuvent être ainsi être que temporaires. En effet, à long terme la priorité doit être de
modifier les comportements par des incitations structurelles à la décarbonation. Dans ce
contexte, une réflexion générale sur la fiscalité des énergies apparaît nécessaire. Elle doit
viser une mise en cohérence des accises et de la TVA avec les objectifs nationaux de
réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ces évolutions du cadre fiscal pourront
s’accompagner, en parallèle, d’un soutien temporaire aux entreprises et
au pouvoir
d’achat des ménages modestes.
Enfin, d’autres instruments apparaissent plus efficaces que la
TVA pour réduire
les inégalités et relever les défis environnementaux et de santé publique.
D’une part,
la
TVA est un impôt régressif, au sens où sa part dans le revenu des ménages est plus élevée
pour les ménages modestes, qui consomment une part plus grande de leur revenu. Ce
constat doit toutefois être nuancé à deux titres. D’abord, une analyse sur l’ens
emble du
cycle de vie, qui tient compte de la consommation ultérieure d’une partie de l’épargne,
confirme le caractère régressif de la TVA, mais celui-ci se trouve réduit de près de
moitié. Ensuite, ce constat peut être relativisé en considérant le système socio-fiscal dans
son ensemble, c’est
-à-dire en prenant en compte le fait que la TVA finance des dépenses
qui, pour certaines, bénéficient davantage aux ménages modestes, comme le
CPO l’a
montré dans son rapport de février 2022
1
. Dans ce contexte, une baisse de la TVA,
notamment sur les produits alimentaires, constitue une mesure moins efficace pour
soutenir le pouvoir d’achat des ménages modestes que des transferts monétaires, en
raison de l’incertitude sur le taux de répercussion sur les prix et de l’imp
ossibilité de
cibler certaines catégories de ménages à travers une baisse de TVA.
De même, la
TVA n’est pas un instrument efficace face aux défis
environnementaux
et
de
santé
publique.
La
proposition
d’une
« TVA
environnementale » ou modulée selon un étiquetage alimentaire de type « Nutri-score »,
en particulier, se heurte à d’importants obstacles juridiques, économiques et financiers
qui limitent les possibilités de ciblage ainsi que son impact sur les différentes étapes de
la chaîne de valeur. Ces élément
s suggèrent de privilégier d’autres instruments, tels que
les transferts ciblés, les accises, le système européen d'échange de quotas d'émission, les
investissements ou la réglementation d’une part, et la fiscalité nutritionnelle existante
d’autre part, po
ur poursuivre ces objectifs économiques de long terme. Le présent rapport
aboutit à une conclusion similaire pour le soutien aux secteurs économiques « sobres »
que sont le transport ferroviaire et l’économie circulaire.
1
CPO, février 2022, « Redistribution, innovation, lutte contre le changement climatique : trois enjeux
fiscaux majeurs en sortie de crise sanitaire ».
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
SYNTHÈSE
7
Synthèse des constats et des
recommandations
I - Constats
Constat n° 1 : La TVA est le premier impôt en France et représente 17 % des
prélèvements obligatoires en 2021. Cette part est toutefois relativement faible par rapport
à d’autres pays européens, en raison d’un taux normal parmi les
plus bas et de
l’importance des taux réduits en France.
Constat n° 2
: L’organisation de l’autorité judiciaire et des services d’enquête, en France
et au niveau européen, a connu de profonds changements depuis 2015, qui visent à
renforcer la lutte contre la fraude fiscale, dont la fraude à la TVA.
Constat n° 3 : Les taux réduits de TVA, plus largement utilisés en France que dans le
reste de l’Europe
, réduisent les recettes de TVA. Bien que leurs effets économiques sur
les prix, l’emploi ou l’activité ne so
ient pas démontrés, ils sont très rarement supprimés.
Constat n° 4 : À court terme, le chèque énergie est plus efficace et plus
efficient qu’une
baisse de TVA pour protéger temporairement les ménages modestes face à la hausse des
prix de l’énergie.
Constat n° 5 : La TVA est un impôt régressif, au sens où sa part dans le revenu des
ménages est plus élevée pour les ménages modestes, qui consomment une part plus
grande de leur revenu. Ce constat peut toutefois être nuancé si l’on prend en
considération la conso
mmation différée d’une partie de l’épargne et le fait que la TVA
finance des dépenses qui, pour certaines, bénéficient davantage aux ménages modestes.
Constat n° 6
: Des mesures de soutien ciblé, à l’offre et à la demande, apparaissent
préférables à une baisse de la TVA sur les billets de train pour favoriser le recours au
transport ferroviaire.
Constat n° 7
: Le soutien aux services de réparation et de réemploi, ainsi qu’à
l’écoconception des produits, suppose de tenir compte des spécificités de chaque fil
ière,
ce que ne permet pas une baisse de la TVA.
II - Recommandations
Recommandation n° 1 : Éviter les affectations de TVA en dehors du champ des
organismes de protection sociale et des collectivités territoriales.
Recommandation n° 2 : Définir une méthodologie destinée à évaluer le montant de la
fraude à la TVA et communiquer annuellement les résultats au Parlement.
Recommandation n° 3 : Renforcer la lutte contre la fraude à la TVA dans le contexte de
l’économie des plateformes à travers :
▪
l’évaluation de l’eff
icacité des obligations de
reporting
des plateformes de mise en
relation par voie électronique ;
▪
l’adaptation de la programmation du contrôle fiscal pour tenir compte des
obligations de
reporting
des prestataires de services de paiement ;
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
8
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
▪
le soutien, sous réserve des arbitrages sur divers points de difficultés, à une réforme
au niveau européen du régime de redevabilité des plateformes de services de
transport et d’hébergement.
Recommandation n° 4
: Afin de réduire l’importance des taux réduits, qui minoren
t les
recettes de TVA, confier au CPO ou à une instance
ad hoc
l’examen pluriannuel des taux
réduits en identifiant leurs objectifs, en évaluant leur atteinte et en proposant des mesures
plus efficaces et plus efficientes le cas échéant.
Recommandation n° 5 : Supprimer les taux réduits de TVA dont les évaluations
confirment l’inefficacité
; à défaut de leur suppression, les relever à un taux supérieur
dans le barème.
Recommandation n° 6 : Moderniser le régime de TVA du secteur financier en actualisant
le pé
rimètre et les notions du régime d’option et en conduisant une réflexion sur l’usage
des règles d’exonération avec droit à déduction à des fins compétitives.
Recommandation n° 7 : Conduire une réflexion générale sur la fiscalité des énergies
visant la mise en cohérence de la TVA et des accises avec les objectifs environnementaux
nationaux.
Recommandation n° 8 : Préférer le recours aux prestations sociales et les transferts
monétaires ciblés à une baisse de la TVA pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages
modestes.
Recommandation n° 9
: Systématiser l’intégration de la dimension environnementale
dans les évaluations des mesures fiscales, y compris dans le champ de la TVA.
Recommandation n° 10 : Préférer les accises à la TVA comme principal instrument de
fiscalité incitative en matière environnementale.
Recommandation n° 11 : Écarter la modulation des taux de TVA comme instrument de
santé publique en matière nutritionnelle.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
9
Introduction
La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est un impôt général sur la consommation
qui est directement facturé aux clients sur les biens qu’ils consomment ou sur les services
qu’ils utilisent en France. Ainsi, la TVA est un impôt indirect, au même titre que les
droits de douane ou les accises sur les énergies. Elle est versée par les entreprises
redevables mais payée par les consommateurs finaux qui en supportent, en principe, la
charge. Son cadre juridique est harmonisé de longue date au niveau européen, tout en
octroyant des marges de manœuvre importantes aux États membres.
Promue par le français Maurice Lauré et introduite en France en 1954, avant
d’être généralisée en
1968, la
TVA est aujourd’hui le premier impôt du système fiscal
français, représentant 17 % des prélèvements obligatoires en 2021
. C’est aussi une taxe
quasi-unive
rselle à deux titres. Elle concerne, d’une part, l’ensemble des agents
économiques, qu’ils soient redevables ou contribuables. Supportée pour l’essentiel par
les ménages, la charge fiscale est aussi acquittée par les entreprises, les administrations
publiq
ues et, de façon résiduelle, par le secteur associatif. D’autre part, 172
États dans le
monde appliquent la TVA ou une taxe assi
milée. De ce fait, l’usage qui
est fait de cette
imposition, en
France comme à l’étranger, suffit en lui
-même à justifier que le Conseil
des prélèvements obligatoires (CPO) ait décidé de consacrer un nouveau rapport à
la TVA, après des travaux du Conseil des impôts en 2001 et un précédent rapport
du CPO en 2015.
Deux autres motifs, non moins importants, justifient également ce choix : les
évolutions qu’a connues cette imposition depuis
2015, dans un contexte marqué par la
numérisation croissante de l’économie et par d’importantes réformes fiscales en
France,
notamment de la fiscalité locale ; et le contexte économique récent, marqué par les crises
sanitaires et énergétiques, et par des préoccupations croissantes pour des enjeux de long
terme tels que le changement climatique et la santé publique.
Le cadre budgétaire et juridique de la TVA a considérablement évolué
depuis 2015.
Sur le plan budgétaire, les recettes de
TVA, de l’ordre de
186
Md€ en
2021, ont
poursuivi leur évolution haussière, caractéristique du dynamisme de cette imposition,
avec un rendement en hausse de 7 % entre 2015 et 2021 en tenant compte de
l’accroissement du p
roduit intérieur brut (PIB). Toutefois, la répartition de cette recette
a sensiblement évolué car, en
2021, le budget de l’État
ne recevait plus que 51 % du
produit de la TVA contre 93 % en 2015 : cette évolution tient aux affectations
croissantes de TVA à la fois aux organismes de protection sociale et aux collectivités
territoriales, notamment en compensation de la révision ou de la suppression d’autres
prélèvements obligatoires. Alors que, comme le rappelait le CPO en 2015, la TVA a été
conçue comme un i
mpôt à assiette large destiné à alimenter le budget de l’État, son
affectation croissante en dehors du budget de l’État mérite d’être interrogée.
D’autre part, les travaux de chiffrage de la fraude à la
TVA, qui affecte son
rendement, suggèrent un phénomène de plus grande ampleur que les estimations
réalisées dans les années 2010 : les différents chiffrages réunis par le CPO en 2015
convergeaient vers un mont
ant de l’ordre de
10
Md€ par an. Or,
des travaux de l’Institut
national de la statistique et des études économiques (INSEE) de 2022 actualisent cette
estimation pour un montant compris entre 20 et 25
Md€ sur la base de données de
2012.
Ce phénomène est, au
jourd’hui, alimenté de façon croissante par la numérisation de
l’économie,
au travers notamment du recours à des plateformes de ventes en ligne. Dans
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
10
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
ce contexte, le paquet TVA « e
-
commerce », adopté en décembre 2017 et entré en
vigueur en juillet 2021, a profondément modifié le cadre juridique des importations
provenant d’États tiers dans l’Union européenne
(UE) en instituant un nouveau mode de
déclaration
via
un guichet électronique, et un mécanisme de redevabilité pour les
plateformes de vente en ligne a
ux particuliers. Leur bonne mise en œuvre est donc
essentielle.
En parallèle, le développement des plateformes de mise en relation dans le cadre
de l’«
économie du partage
», notamment dans les secteurs de l’hébergement ou des
transports, facilite la fraude
via
des opérations occultes faussement présentées comme
des services entre particuliers, et
est à l’origine depuis plusieurs années de
distorsions
fiscales et économiques avec les opérateurs traditionnels concurrents. Pour y répondre,
un dispositif de
reporting
auprès de l’administration fiscale a été introduit en
France,
dès 2019, pour ces plateformes.
Dans ce contexte, le récent paquet «
TVA à l’ère numérique
», présenté
le 8 décembre 2022
par
la Commission
européenne,
propose
des
pistes
d’approfondisse
ment de ces différentes mesures, visant à moderniser les obligations
déclaratives en matière de TVA, renforcer la capacité des États membres à suivre et à
contrôler les transactions des opérateurs, offrir aux entreprises la faculté de procéder à
un enregistrement unique à la
TVA dans l’ensemble de l’UE, enfin, moderniser les règles
de TVA applicables aux plateformes en ligne.
Quant aux taux réduits de TVA, la directive du 5 avril 2022 a introduit une
inflexion significative en octroyant une plus grande souplesse dans la fixation de taux
réduits de TVA par les États membres. Cette évolution tire les conséquences de
l’abandon, annoncé dès
2011, de la règle du pays d’origine pour fonder le régime de
territorialité définitif de la TVA sur le principe de destination, limitant ainsi les risques
de concurrence fiscale et de distorsion de concurrence liés à la disparité des taux réduits.
Ce cadre juridique révisé pose, légitimement, la question de l’adoption de nouveaux taux
réduits de TVA en France. On peut toutefois noter que, dans un contexte où les taux
réduits de TVA ont un coût croissant pour les finances publiques, la recommandation
du CPO formulée en
2015 d’évaluer et de supprimer les taux réduits inefficaces n’a
jusqu’ici pas été suivie d’effets, notamment
p
arce qu’
ils donnent très rarement lieu à des
évaluations de leurs effets économiques.
En parallèle, trois séries d’évolutions économiques majeures réinterrogent
l’usage de la
TVA.
En premier lieu, les crises récentes (crise sanitaire, crise énergétique et crise
géopolitique) ont façonné un contexte économique nouveau, marqué notamment par la
résurgence de l’inflation
2
et la montée corrélative de préoccupations liées au pouvoir
d’achat. Dans ce contexte, et contrairement à ce que constatait le
CPO en 2015, plusieurs
pays
, à l’instar de l’Allemagne et du
Royaume-Uni, ont mis en place récemment des
politiques de soutien à la demande par des baisses temporaires de TVA. De même, la
majorité des États membres de l’UE ont eu recours, après le début de la guerre
en Ukraine, à des baisses de
TVA sur le gaz, l’électricité ou les combustibl
es, en
complément de baisses de
fractions d’accise
s sur les énergies. Si la France a privilégié
d’autres catégories d’instruments, le débat relatif à une baisse de la
TVA est réapparu à
l’occasion de l’augmentation récente des prix de
s carburants. Alors que les chocs
économiques de grande ampleur semblent se multiplier, le CPO a souhaité examiner si
la TVA constitue un instrument efficace et pertinent de réponse à ces crises.
2
Selon les donnée
s de l’INSEE, en
décembre 2022, les prix à la consommation ont augmenté en
moyenne de 5,9 % sur un an, de 12,1
% pour l’alimentation et
de 15,1
% pour l’énergie
en France.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
11
En deuxi
ème lieu, l’acuité toujours croissante des débats relatifs aux défis socio
-
économiques de long terme, tels que les inégalités, le changement climatique ou encore
la santé publique, suscite
dans le débat public des propositions nombreuses d’utilisation
de la
TVA à des fins de redistribution et d’orientation des comporte
ments.
L’absence
d’éléments probants confirmant l’efficacité de la TVA comme instrument de
redistribu
tion et d’incitation économique, soulignée par le rapport du CPO de 2015, n’a
pas éteint les débats sur ce sujet. Au contraire, ceux-ci apparaissent plus nombreux
depuis la directive du 5 avril 2022 qui autorise, comme cela est rappelé ci-avant, un
usage plus souple des taux réduits par les États membres. Dans ce contexte, le CPO a
souhaité écla
irer les choix des pouvoirs publics sur l’efficacité à attendre de tels
dispositifs.
Enfin, le contexte budgétaire national est marqué par une dégradation sans
précédent des finances publiques. La crise sanitaire, par le repli de l’activité économique
qu’e
lle a provoqué et les mesures qui ont été prises pour en atténuer les effets, a conduit
à un déficit de 8,9 points de PIB en 2020, soit le niveau le plus élevé observé depuis
l’après
-
Guerre. Si le rebond de l’économie en
2021 a permis de réduire le déficit public
et de le ramener à 6,4 points de PIB, il reste plus de deux fois supérieur à ce
lui d’avant
crise. Avec ces niveaux de déficit, la dette publique a ainsi augmenté de 15,1 points
de PIB entre 2019 et 2021, pour atteindre 112,5 % du PIB
3
. Au total, la France sort des
deux années de crise avec un déficit structurel et une dette publique parmi les plus
dégradés de la zone euro
4
. Dans ce contexte de très forte tension sur les finances
publiques
et de remontée des taux d’intérêt nominaux
, et alors que les investissements
écologiques et numériques devraient être accélérés, l’objectif de rendement budgétaire
de la TVA revêt une dimension stratégique.
Au vu de ces évolutions, le présent rapport réexamine à la fois la place de
la TVA dans les finances publiques
et les objectifs qu’elle doit poursuivre.
Il répond plus précisément à la problématique suivante : 70 ans après sa
création, dans un contexte marqué par des crises multiples, par des enjeux structurels qui
appellent la mise en œuvre de nouvelles politique
s publiques, ainsi que par une forte
tension sur les finances publiques, quels peuvent être la place et les objectifs de la TVA
dans le système des prélèvements obligatoires en France ?
Pour répondre à cette question, le présent rapport s’articule en deux
chapitres :
▪
chapitre I
: dans le contexte d’affectation croissante des recettes de
TVA à d’autres
administrations publiques que l’État, comment sécuriser son rendement au regard de
la fraude fiscale et d
e l’importance des taux réduits
?
Cette première partie actualise des éléments de réponse à une problématique
classique sur la sécurisation des recettes de la
TVA, telle qu’elle apparaissait déjà
dans le rapport du CPO de 2015 notamment.
Si le recours à des taux réduits résulte de la volonté du législateur et ne peut donc, à
ce titre, être questionné dans les mêmes termes que la fraude, force est de constater
qu’il s’
agit, en France, des deux facteurs qui réduisent le plus fortement le potentiel
de rendement de la TVA ;
▪
chapitre II : quels doivent être les usages de la TVA face aux défis économiques de
court et de long terme ?
3
113,7
% du PIB à la fin du troisième trimestre 2022 selon l’INSEE.
4
Cf. Cour des comptes, 2022, « La situation et les perspectives des finances publiques ».
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
12
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Cette deuxième partie présente, en revanche, une réflexion originale sur la TVA par
rapport aux précédents travaux du CPO, justifiée par les évolutions du contexte
économique et les enjeux socio-économiques de long terme qui ont émergé
depuis 2015 tels que rappelés ci-avant.
Enfin, cinq rapports particuliers,
issus d’échanges des rapporteurs avec
près
de 170 personnes dans le secteur public et le secteur privé, en Franc
e et à l’étranger
,
détaillent les principaux constats de ce rapport. Ils portent sur :
▪
le cadre juridique de la TVA (rapport particulier n° 1) ;
▪
la place de la TVA dans les finances publiques (n° 2) ;
▪
la comparaison internationale des systèmes de TVA (n° 3) ;
▪
la TVA comme outil de politique économique (n° 4) ;
▪
la TVA face aux grands défis économiques et sociaux (n° 5).
*
*
*
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
13
Chapitre I
-
L’enjeu de la sécurisation des
recettes de TVA
I - Principal impôt national, d
isposant d’un
cadre harmonisé
au niveau européen, la TVA contribue au financement de
l’État et, désormais, des organismes de protection sociale et
des collectivités territoriales
A -
La TVA est un impôt national dont le cadre est largement
harmonisé au niveau de l’Union européenne
La TVA est un impôt général sur la consommation à paiement fractionné.
Le fonctionnement de la
TVA n’a que peu évolué depuis son introduction en
France
en 1954 et sa généralisation en 1968 : à chaque opération, les entreprises sont redevables
de la
TVA qu’elles facturent à leurs clients sur la tota
lité du prix de vente ; en
contrepartie, elles peuvent déduire la TVA amont qui a grevé le coût des biens et services
qu’elles utilisent. C’est la combinaison de ces deux
opérations qui permet,
in fine
, de
faire peser la TVA de façon proportionnelle sur le consommateur et de rendre, en théorie,
la taxe neutre pour les entreprises.
Visant à imposer la consommation finale, la TVA partage donc un objet
identique avec les taxes sur les ventes, mais le paiement fractionné facilite, en principe,
la collecte de la taxe et la lutte contre la fraude. Elle se distingue également des taxes sur
le chiffre d’affaires
appliquées à chaque étape du circuit économique, qui génèrent des
distorsions économiques puisque la charge fiscale augmente avec le nombre d’opérations
intermédiaires avant la vente au consommateur final.
Le cadre juridique de la TVA est harmonisé de longue date au niveau
européen
5
.
C’est dans le contexte de la mise en place du marché unique, par le traité
de Rome, que la première directive de 1967 a jeté les bases de la généralisation de
la
TVA et de l’harmonisation de ses règles de fonctionnement. Venue remplacer des
taxes cumulatives sur le chiffre d’affaires incompatibles avec l’unification du marché
intérieur, elle permet en effet aux États membres de recevoir des ressources importantes
de fiscalité indirecte, tout en évitant les distorsions de concurrence. Un texte juridique
européen, la directive TVA du 28 novembre 2006
, fixe aujourd’hui le corpus de règles
fondamentales régissant cet impôt, transposé en droit interne au titre II de la première
partie du code général des impôts (CGI)
6
. Toutefois, la directive TVA confère à chaque
État membre des marges de manœuvre
significatives, pour déterminer des taux réduits,
le calcul des droits à déduction, la col
lecte de l’impôt ou encore les obligations
déclaratives. À ce titre, cinq taux de
TVA sont aujourd’hui applicables en
France
métropolitaine, en complément de taux spécifiques en Corse et dans trois territoires
ultramarins (cf. tableau 1).
5
Pour le détail du cadre juridique de la TVA, cf. rapport particulier n° 1 : F-R. Burnod, 2022, « Le
cadre juridique de la taxe sur la valeur ajoutée ».
6
Un travail de codification devrait toutefois aboutir, en 2023, à inscrire le régime fiscal de la TVA dans
le nouveau code des impositions sur les biens et services (CIBS).
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
14
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Tableau 1 : Taux de TVA applicables en France au 31 décembre 2022
Territoire
concerné
Taux normal
Taux
intermédiaire
Taux
réduit
Taux
super
réduit
Taux
zéro
Métropole (hors
Corse)
20 %
10 %
5,5 %
2,1 %
0 %
(vaccins
et tests
covid-19)
7
Corse
20 %
13 % (produits
pétroliers)
10 %
5,5 %
2,1 %
0,90 %
Guadeloupe,
Martinique,
Réunion
8
8,5 %
2,1 %
2,1 %
1,75 %
1,05 %
Source
: CPO, d’après le code général des impôts.
L’assiette de la
TVA est très large, mais certaines activités sont hors du
champ ou sont exonérées.
Sont en effet soumises à la TVA les seules livraisons de biens
et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant
que tel. Toutefois, les personnes publiques ne sont pas considérées comme des assujettis
pour les activités ou opérations qu’elles accomplissent en tant qu’autorités publiques
ainsi que pour des opérations d’intérêt général, telles que la santé ou l’éducation, quand
bien même, en tant qu’a
cteurs économiques, elles bénéficieraient du mécanisme de
déduction (cf. encadré 1). De plus, en
France, diverses activités d’intérêt général
exercées par des personnes privées peuvent, pour leur part, êt
re exonérées lorsqu’elles
agissent sans but lucratif et avec une gestion désintéressée
–
on parle d’organismes sans
but lucratif (OSBL).
Encadré 1
: L’assujettissement des personnes publiques à la
TVA
Un opérateur exerçant une activité non-
assujettie ou exonérée n’est pas autorisé
à déduire la TVA qu’il a supportée sur les biens et services qu’il utilise. Cette
rémanence de TVA explique que des personnes publiques peuvent avoir un
intérêt à être taxées à la TVA, surtout s’il s’agit d’un taux réduit ou que leurs
clients peuvent eux-mêmes exercer un droit à déduction.
Or, dans l’ensemble, les règles sur le non
-assujettissement des personnes
publiques manquent de lisibilité au regard des règles européennes fondées sur :
▪
l’exercice de
la marge de manœuvre nationale
: les États disposent
d’une marge de manœuvre pour fixer le périmètre de certaines
exonérations, notamment pour des activités liées au sport ou à la culture.
Les OSBL exonérés, voire les personnes publiques hors champ, peuvent
avoir intérêt à demander à être soumis à la TVA, surtout s’il s’agit d’un
taux réduit. Or, la France applique déjà un taux réduit sur un grand nombre
d’activités culturelles. Quant aux activités liées à la fourniture
d’installations sportives ou de cour
s de sport, elles sont soumises au taux
plein
: toutefois, la directive permet aux États d’y
appliquer un taux réduit ;
▪
le
traitement
d’éventuelles
dist
orsions
de
concurrence
:
le
non-assujettissement des activités des personnes publiques à la TVA
suppose
qu’il ne conduise pas à des distorsions de concurrence d’une
7
S’y ajoute une exonération avec droit à déduction sur la vente par les pêcheurs en mer des produits
de leur pêche, qui a
le même effet qu’un taux à
0 %.
8
La
TVA n’est provisoirement pas applicable dans les collectivités de
Guyane et Mayotte ; dans ces
territoires, l’octroi de mer se substitue pour partie à la
TVA.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
15
certaine importance. Or, une incertitude juridique demeure sur les
distorsions de concurrence en défaveur des personnes publiques résultant
de leur non-assujettissement. De récents arrêts sur les cantines scolaires ou
les piscines municipales
9
montrent la difficulté pour les collectivités
territoriales, notamment, de déterminer le traitement TVA de services
publics, même gérés
a priori
de façon non lucrative.
Ces règles ont donc vocation à être réexaminées dans le cadre des travaux de
recodification de la partie du CGI relative à la TVA au sein du code des
impositions sur les biens et services (CIBS).
D’autres activités économiques, pour lesquelles la taxation à la
TVA a été jugée
trop complexe
ou pour lesquelles une harmonisation n’était pas possible, sont également
exonérées
: c’est le cas pour une large partie des opérations immobilières (cf.
encadré 2),
qui donneront lieu à des travaux ultérieurs du CPO, et du secteur bancaire, financier et
assurantiel (cf. section II.I.C
infra
).
Encadré 2 : Principales spécificités du régime de TVA du secteur immobilier
Un particulier procédant à une cession immobilière à titre privé ou à une
location ponctuelle de son appartement est hors champ de la TVA, mais dans
le cas général, la directive prévoit que ces opérations sont exonérées. Jusqu’à
la réforme de la TVA immobilière en 2010, la France avait commis une erreur
de transposition en excluant ces opérations du champ de la TVA.
De plus, un régime dérogatoire de
TVA sur marge s’applique aux marchands
de biens et promoteurs exerçant une activité d’achat
-revente, dont le régime a
été récemment précisé par la Cour de justice de l’Uni
on européenne (CJUE,
30 septembre 2021,
Icade Promotion
).
Enfin, le régime des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) est étroitement
associé à celui de la TVA immobilière. En effet, certaines transactions
bénéficient d’
un taux réduit de DMTO lorsque la vente est soumise
obligatoirement à TVA sur le prix total.
B -
La TVA est le principal impôt du système fiscal français
La TVA représentait 17 % des prélèvements obligatoires en 2021
, une
proportion relativement stable depuis 2015. Générant des recettes de l
’ordre
de 186
Md€, il s’agit
de la troisième catégorie de prélèvements obligatoires (PO) dans
les comptes nationaux, derrière les recettes d’imp
osition des revenus (impôt sur les
revenu et contribution sociale généralisée (CSG)) et les cotisations sociales, dont le
rendement était respectivement de 288
Md€ (soit
26 % des PO) et de 374
Md€ (34
%
des PO) en 2021 (cf. graphique 1).
9
Conseil d’État, 2021,
Commune de Sarlat-la-Canéda
, n° 441739, et
Commune de Castelnaudary
,
n° 442378.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
16
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Graphique 1 : Poids des principales catégories de prélèvements obligatoires en France
entre 2010 et 2021 (en
Md€)
Source
: CPO, à partir des comptes nationaux produits par l’INSEE.
En considérant chaque impôt isolément, sans les classer par catégorie, la TVA
est toutefois la première imposition en France, devant la CSG (129
Md€ en
2021),
l’impôt sur le revenu (80
Md€) et l’impôt sur les sociétés (46
Md€) –
hors cotisations
sociales. C’est aussi la principale composante des impôts indirects et, plus généralement,
de la fiscalité sur la consommation (60 % en valeur en
2021). C’est à ce titre que le
CPO
soulignait, en 2015, la vocation budgétaire de la
TVA et recommandait d’exploiter
encore davantage son potentiel de rendement.
La TVA présente de nombreux avantages pour les finances publiques et
l’économie
10
.
Outre son rendement élevé, elle se caractérise en effet par son dynamisme
et sa bonne prévisibilité : ainsi, entre 2015 et 2021, le rendement de la
TVA s’est accru
de 7 % corrigé de la hausse du PIB
11
, et son taux d’exécution par rapport aux prévisions
de loi de finances initiale a été, chaque année, supérieur à 98 % entre 2015 et 2019. Elle
est par ailleurs relativement simple et peu coûteuse à recouvrer pour l’administration
fiscale, puisque sa collecte repose en grande partie sur les entreprises. Sur le plan
économique, la TVA est une imposition en théorie neutre pour les entreprises et, par
rapport à d’autres impositions indirectes à visée protectionniste telles que les droits de
douane et l’octroi de mer, elle déplace les incitations des acteurs économ
iques vers le
développement de l’activité économique en ne pénalisant pas la production nationale.
10
Pour une présentation détaillée de la TVA dans les finances publiques en France, cf. rapport
particulier n° 2 : C. Dutruel et V. Verzat, 2022, « La place de la taxe sur la valeur ajoutée dans les
finances publiques ».
11
Ce dynamisme peut provenir de trois facteurs dont la contribution est difficile à mesurer : la hausse
de la part de la consommation finale dans le PIB ; une diminution de la fraude ; un effet de
composition lié, par exemple, à une consommation au taux normal plus importante.
0
200
400
600
800
1 000
1 200
2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021
TVA
Impôts sur les produits
Impôts sur la production
Impôts sur le revenu
Autres impôts
Cotisations sociales
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
17
Ces avantages expliquent le caractère quasi-universel de cette imposition.
La
TVA est en effet devenue, en l’espace d’une soixantaine d’années, un impôt quas
i-
universel, présent dans 172 États et concernant 95 % de la population mondiale
(cf. carte
1), à l’exception notable des
États-
Unis qui disposent néanmoins d’une «
sales
tax
» sur les ventes de détail
12
.
Carte 1 : Diffusion de la TVA dans le monde depuis le début des années 1960
Source
: CPO, d’après des données du
Fonds monétaire international (FMI).
En comparaison des autres pays de l’UE, le poids de la
TVA dans les finances
publiques en
France est toutefois l’un des plus faible
s.
La France se situe en effet
au 24
ème
rang de l’UE à
27 en termes de poids de la TVA dans les prélèvements
obligatoires et au 19
ème
rang en termes de part dans le PIB. Cette situation tient
notamment à l’adoption, en
France, d’un taux normal de
TVA parmi les plus faibles
de
l’UE (20
%, soit le 4
ème
taux no
rmal le plus faible), ainsi qu’à
des taux réduits avec
une assiette plus large (cf. section I.III.A
infra
)
–
aboutissant à un taux effectif de TVA
13
faible au sein de l’UE, de l’ordre de
9,7 % en 2019 (cf. graphique 2).
12
Pour une présentation détaillée de la
TVA à l’international,
cf. rapport particulier n° 3 : O. Alaoui,
V. Dedrie et A. Garcia-Gonzalez, 2022, « La comparaison internationale des systèmes de taxe sur
la valeur ajoutée ».
13
TVA effectivement perçue rapportée à la base taxable.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
18
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Graphique 2 : Dépenses publiques dans le PIB et taux effectif de TVA au sein de
l’UE
à 28 en 2019
Source
: CPO, d’après des données de la Commission européenne et d’Eurostat.
Il est toutefois difficile de tirer une conclusion de ce classement, dans la mesure
où le paramétrage de la TVA dans chaque pays est plus généralement lié aux spécificités
de son système socio-fiscal. Ainsi, sauf exceptions, la part de la TVA dans les
prélèvements obligatoires est moins importante dans les États membres de l’UE où
l’imposition des revenus, qui contribue en général positivement à la
progressivité d’un
système fiscal
, est plus forte, à l’instar de la
Suède et du Danemark, (cf. graphique 3 et
section II.III.A
infra
).
Graphique 3 : Place de la
TVA au sein des prélèvements obligatoires dans l’UE
en 2021 (en %)
Source
: CPO, à partir d’Eurostat.
BE
BG
CZ
DK
DE
EE
IE
EL
ES
FR
HR
IT
CY
LV
LT
LU
HU
MT
NL
AT
PL
PT
RO
SL
SK
FI
SE
UK
6
8
10
12
14
16
18
20,0
25,0
30,0
35,0
40,0
45,0
50,0
55,0
60,0
Taux effectif de TVA
Dépenses publiques par rapport au PIB
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Croatie
Bulgarie
Hongrie
Lettonie
Estonie
Lituanie
Chypre
Islande
Portugal
Roumanie
Pologne
Malte
Finlande
Slovénie
Rep. Tchèque
Suède
Slovaquie
Danemark
Grèce
Norvège
Pays-Bas
UE-27
Irlande
Espagne
Autriche
Euro zone
Allemagne
France
Italie
Luxembourg
Belgique
Suisse
TVA
Autres taxes sur les produits (dont accises)
Imposition des revenus et de la richesse
Imposition du capital
Contributions sociales (nettes)
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
19
Constat n° 1 : La TVA est le premier impôt en France et représente 17 % des
prélèvements obligatoires en 2021. Cette part est toutefois relativement faible par
rapport à d’autres pays européens, en raison d’un taux normal parmi les plus bas
et de l’importan
ce des taux réduits en France.
C -
Les affectations de TVA en dehors du champ des organismes
de protection sociale et des collectivités territoriales doivent être
évitées
L’État ne perçoit désormais que la moitié des recettes
de TVA.
En effet,
en 2021, seuls 51 % du produit de la TVA abondaien
t le budget de l’État contre 93
%
en 2015 (cf. graphique 5). Conséquemment, la part de la TVA dans les recettes fiscales
de l’État a diminué, passant de
51 % à 32 % entre 2015 et 2021 (cf. graphique 4). Cette
évolution s’explique par les transferts de recettes de
TVA, appelés affectations, à
d’autres organismes publics.
Graphique 4 : Part des i
mpôts dans les recettes fiscales de l’État de
2015 à 2021
Source
: CPO, d’après les lois de règlement.
Note de lecture : La TVA représentait 32
% des recettes fiscales de l’État en
2021, et l’impôt sur le
revenu 27 %.
La TVA a été affectée de façon croissante aux organismes de protection
sociale et aux collectivités territoriales.
D’une part, dans le champ de la protection
sociale, la
TVA est essentiellement affectée aujourd’hui à l’Assurance maladie (20
% de
ses recettes en
2021) et à l’Unédic (10
%). I
l est notable que l’affectation de TVA aux
organismes de protection sociale a été quadruplée en 2019, en passant de 6 % des
recettes totales de TVA en 2018 à 24 % en 2019 (cf. graphique 5). Cette forte hausse
traduit principalement la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et
l’emploi
(CICE) en une réduction de cotisations d’assurance maladie et une extension
des allègements généraux aux cotisations d’assurance retraite complémentaire et
d’
assurance chômage
–
conduisant à affecter une fraction de
TVA à l’Urssaf Caisse
25 %
25 %
25 %
25 %
25 %
29 %
27 %
12 %
11 %
12 %
9 %
12 %
14 %
16 %
5 %
6 %
4 %
5 %
5 %
3 %
6 %
51 %
51 %
52 %
53 %
46 %
44 %
32 %
8 %
8 %
8 %
8 %
12 %
10 %
19 %
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
Impôt sur le revenu
Impôt sur les sociétés
TICPE
TVA
Autres recettes fiscales
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
20
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
nationale
14
pour compenser l’Unédic et l’AGIRC
-
ARRCO. Les logiques à l’œuvre sont
toutefois différentes selon les cas
: alors que l’affectation à l’Assurance maladie
répondait,
historiquement, à une logique de compensation des exonérations, tel n’est plus
strictement le cas aujourd’hui
. E
lle s’inscrit
désormais dans le financement pérenne de
cette branche. En revanche, ce lien subsiste pour la TVA affectée
à l’Unédic et à
l’AGIRC
-ARRCO, pour lesquels le montant compensé correspond à la perte de recettes
engendrée par l’exonération sur les bas salaires.
Graphique 5 : Affectation des recettes de TVA entre 2015 et 2021
Source
: CPO, d’après les documents
annexes aux lois de finances et des données de la direction du
budget.
Note de lecture : En 2018, 93
% des recettes de TVA abondaient le budget de l’État, 6
% étaient
affectées aux organismes de protection sociale et 2 % aux collectivités territoriales.
D’autre part, la
TVA joue un rôle majeur dans la réforme de la fiscalité locale
en cours. Elle se trouve, d’abord, affectée depuis
2018 aux régions pour compenser des
dotations de l’État (~4
Md€ en
2021). Ensuite, à partir de 2021, elle a été intégrée aux
recettes de fiscalité locale des régions (~10
Md€) pour compenser, notamment, la perte
des recettes de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), et des
départements et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à
fiscalité propre (~23
Md€) dans le cadre de la réforme de la taxe d’habitation. De ce
fait, 20 %
de
la TVA
était
affectée
aux
collectivités
territoriales
en 2021
(cf. graphique 5). Elle constitue désormais leur première ressource, pour un total de
53,2
Md€
en loi de finances initiale pour 2023. Cette évolution conduit à réduire, en
partie
15
, le pouvoir de taux des collectivités territoriales sur leurs recettes fiscales : en
effet, si le Conseil constitutionnel a considéré que les affectations de TVA ont le
caractère de ressources propres pour les collectivités bénéficiaires
16
, elles ne fixent ni le
taux ni l’assiette de cet impôt national.
14
Nouveau nom, depuis
2021, de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS).
15
Les collectivités territoriales n’avaient aucun pouvoir de modulation des taux ou de l’assiette de
la CVAE
; en revanche, les communes et EPCI disposent d’
un pouvoir de taux pour la taxe
d’habitation.
16
Conseil constitutionnel, décision n° 2019-796 DC du 27 décembre 2019.
93%
93%
93%
93%
74%
70%
51%
7%
8%
7%
6%
24%
28%
29%
2%
2%
2%
20%
0%
20%
40%
60%
80%
100%
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
État
Protection sociale
Collectivités territoriales
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
21
La
TVA fait également l’objet d’une affectation dans certains
Etats
membres
de l’
UE.
En effet, si la majeure partie des pays européens n’affectent pas
la TVA, compte tenu du dynamisme de son rendement, elle fait traditionnellement partie
des sources de financement des collectivités territoriales dans les États de type fédéral
ou assimilé
–
c’est ainsi le cas en
Allemagne, en Espagne, en Belgique ou en Italie
(cf. graphique 6). En revanche, dans les pays nordiques, la forte fiscalisation des
dépenses sociales exclut toute forme de fléch
age ou d’affectation de la
TVA.
Graphique 6 : Évolution de la part de TVA affectée dans cinq États européens (en %
du rendement)
Source
: CPO, d’après les ministères nationaux.
La TVA constitue désormais un véhicule budgétaire « ordinaire » des
relations financières entre l’État d’une par
t, et les organismes de protection sociale
et les collectivités territoriales d’autre part.
Ces affectations répondent en effet à des
choix structurants d’organisation des relations financières entre l’État et
les
administrations publiques sociales et locales, et ne peuvent ainsi
être appréciées qu’au
regard de l’équilibre des
finances sociales et des finances locales dans leur ensemble
–
ce qui sera l’objet de travaux ultérieurs du
CPO sur la fiscalité locale. Comme le notait
le CPO en
2015, l’affectation de la
TVA spécifiquement tient moins à l’absence
de « transférabilité
» des autres grands impôts de l’État qu’à la facilité de l’utilisation de
la TVA pour ces transferts, compte tenu de son rendement, de son dynamisme et de son
caractère peu volatile.
Toutefois, ces affectations posent la question de la soutenabilité des finances
publiques dans leur ensemble. Qu’il s’agisse des collectivités territoriales ou des
organismes de protection sociale, dès lors que des affectations de TVA compensent des
recettes préalables supprimées ou réduites, elles fragilisent, toutes choses égales par
ailleurs, l’objectif de soutenabilité des finances publiques, l’État se trouvant doté de
ressources fiscales moindres pour financer un niveau équivalent de dépenses publiques.
De ce fait, la poursuite de ces affectations n’est soutenable qu’à condition de
s’accompagner d’un effort de maîtrise des dépenses publiques partagé entre l’ensemble
des administrations publiqu
es ou d’une hausse des recettes fiscales.
Allemagne
Espagne
Belgique
Italie
France
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
22
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
L
’affectation de
TVA à d’autres organismes doit être évitée.
C’est le cas,
notamment, de la fraction de TVA affectée au compte de concours financier « Avances
à l’audiovisuel public
», en compensation de la suppression de la contribution à
l’audiovisuel public
(CAP) fixée par la loi de finances rectificative du 16 août 2022. Le
recours à ce mécanisme dérogatoire et complexe pour financer par la TVA des entités
économiques opérant sur des marchés concurrentiels, peut être interrogé. Cette
affectation illustre la tendance, désormais bien engagée, consistant, à chaque réforme
fiscale d’ampleur, à puiser dans les recettes de
TVA de l’État en compensation.
Au
demeurant,
aux
termes
de
la
loi
organique
n° 2021-1836
du 28 décembre 2021, à partir de 2025 les impositions de toutes natures ne pourront être
ou rester affectées à un tiers autre que les organismes de Sécurité sociale et les
collectivités territoriales que s’il est doté de la personnalité morale et si ces impositio
ns
sont en lien avec les missions de service public qui lui sont confiées. Dans ce contexte,
et compte tenu des effets indésirables de ce type d’affectations, que le
CPO a analysés à
plusieurs reprises
17
, les affectations de TVA en dehors du financement des organismes
de protection sociale et des collectivités territoriales devraient être évitées, au profit
d’autres modes de financement (crédits budgétaires, autres impôts
remplissant les
conditions de la loi organique)
18
.
Recommandation n° 1 : Éviter les affectations de TVA en dehors du champ des
organismes de protection sociale et des collectivités territoriales.
II -
La numérisation de l’économie génère de nouveaux
risques de fraude à la TVA, qui ont conduit à adapter son
cadre juridique
A -
Les estimations de la fraude à la TVA sont plus importantes
celles disponibles en 2015
Si certains schémas de fraude à la TVA sont désormais bien identifiés par les
pouvoirs publics, de nouveaux mécanismes frauduleux apparaissent.
Les fraudes
« classiques » (dissimulation du chif
fre d’affaires, surfacturation, etc.), de même que la
fraude « carrousel
», semblent connues de l’administration fiscale et, dans l’ensemble,
correctement appréhendées. Le réseau Eurofisc observe ainsi une nette diminution du
nombre de sociétés « carrousélistes » opérant en France en 2021, ainsi que du nombre
d’opérations intracommunautaires fraudogènes à partir ou à destination de la
France.
17
CPO, 2013, « La fiscalité affectée. Constats, enjeux et réformes » ; CPO, 2018, « Les taxes
affectées : des instruments à mieux encadrer ».
18
Cf. Inspection générale des finances, 2022, « Réforme du financ
ement de l’audiovisuel public
».
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
23
Deux mécanismes frauduleux sont, en revanche, en plein essor
–
sans qu’il soit
possible d’en chiffrer le préjudice
pour la puissance publique
. D’une part, la livraison
directe («
dropshipping
»), qui fait intervenir un site de vente en ligne sans stock localisé
dans un pays tiers, souvent asiatique, comme intermédiaire entre un fournisseur à
l’étranger et un particulier
en France, donne rarement lieu à facturation et à collecte de
la
TVA. D’autre part, le
régime dit «
de l’article
42
», qui permet d’importer en
exonération
de
TVA
des
biens
qui
font
ensuite
l’objet
d’une
livraison
intracommunautaire, apparaît également fraudogène
19
, notamment lorsque des biens en
transit sont en réalité revendus en France.
Les chiffrages récents de la fraude à la TVA identifient un phénomène de
plus grande ampleur que de précédents travaux.
Le CPO estimait la fraude à la TVA
(cf. encadré 3) à environ
10 Md€ en
2015 sur la base d’une synthèse de différentes
sources.
Encadré 3 : Définir la fraude à la TVA
20
La fraude fiscale se caractérise à la fois par un élément matériel, la soustraction
ou tentative de soustractio
n totale ou partielle au paiement de l’impôt dû,
et par
un acte intentionnel de la part du contribuable en vue de contourner la loi pour
éluder l’impôt.
La fraude constitue ainsi un sous-
ensemble de l’irrégularité, qui regroupe
l’ensemble des cas où le contribuable n’a pas respecté ses obligations, qu’il ait
agi de façon volontaire ou non
–
la frontière entre ce qui relève de
l’intentionnel et de l’involontaire est, en pratique, loin d’être toujours évidente
.
De ce fait, les chiffrages de la fraude à la TVA embrassent indistinctement les
irrégularités non intentionnelles et la fraude
stricto sensu.
Or, plusieurs travaux récents, fondés sur une variété de méthodes, aboutissent à
réévaluer l’ampleur de ce phénomène. En particulier, la Cour des comptes et l’
INSEE
estimaient ce montant entre 12 et 20
Md€ en
2019
21
. Une actualisation de ces travaux
par l’INSEE en juillet
2022,
exploitant des données de 2012
, mettait en avant
un
montant compris entre 20 et 26
Md€
, tout en soulignant que la méthodologie
employée r
este fragile. Cette estimation s’écarte assez substantiellement de l’«
écart
de TVA » calculé par la Commission européenne pour la France, qui comprend
essentiellement la fraude, et qui est de
l’ordre de
14
Md€ en
2020. En tout état de cause,
l’actualisati
on de ces résultats en améliorant les méthodes employées devrait être
poursuivie et donner lieu, en application de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014, à
une information annuelle au
Parlement sur l’«
écart de TVA » entre les montants perçus
et théoriquement attendus et les causes de cet écart, dont la part imputable à la fraude.
Les travaux ultérieurs du
CPO sur l’évaluation de la fraude fiscale pourront également
répondre à ce besoin.
Recommandation n° 2 : Définir une méthodologie destinée à évaluer le montant de
la fraude à la TVA et communiquer annuellement les résultats au Parlement.
19
Cour des comptes, 2
015, « L’action de la douane dans la lutte contre les fraude
s et trafics ».
20
CPO, 2007, « La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle ».
21
Cour des comptes, 2019, « La fraude aux prélèvements obligatoires ».
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
24
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
B -
Face à la baisse des droits de TVA rappelés, les moyens et
l’organisation du contrôle fiscal ont été renforcés
Les droits de TVA recouvrés dans le cadre du contrôle fiscal enregistrent
une tendance baissière.
En effet, le montant des encaissements diminue depuis 2015, à
l’exception d’une forte hausse en
2019, et se situe en 2021 à un niveau inférieur de 15 %
à celui de 2018 (cf. graphique 7).
Graphique 7 : Encaissements sur droits de la TVA dans le cadre du contrôle fiscal
(en
M€)
Source : CPO, à partir de données DGFiP.
Le faible taux des droits et pénalités recouvrés rapportés aux créances fiscales,
de l’ordre de
51 % en 2021 pour la TVA, à comparer avec 88
% pour l’imp
ôt sur les
sociétés, n’explique que très partiellement cette situation car il apparaît stable dans le
temps
–
ce qui peut être lié en partie au caractère éphémère des entreprises entrant dans
des schémas de fraude à la TVA.
Il semble difficile d’admettre que cette situation provienne d’une moindre
intensité des comportements frauduleux. En effet, si les données de la Commission
européenne mettent en avant une diminution de «
l’écart de
TVA » de la France
depuis 2015 (de 9,5 % en 2015 à 8 % en 2020), les do
nnées sur l’ampleur de la fraude à
la TVA présentées
supra
nuancent cette analyse et invitent à renforcer le contrôle fiscal.
À ce titre, la programmation des contrôles par le recours aux nouvelles
technologies (
datamining
) devrait permettre de renforcer l
’efficacité des contrôles
(cf. encadré 4), de même que les mesures de la loi du 23 octobre 2018 de lutte contre la
fraude fiscale (accès des services d’enquête aux données fiscales, indemnisation des
aviseurs fiscaux, etc.) et le déploiement en cours de la facturation électronique et de la
transmission automatique de données (cf. section I.II.D
infra
).
1231
1268
1022
1070
1280
829
904
0
200
400
600
800
1000
1200
1400
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
25
Encadré 4 : La lutte contre la fraude à la
TVA dans l’Union européenne
Les États membres de l’UE s’appuient sur divers outils pour lutter contre la
fraude à la TVA, tels que le contrôle fiscal de droit commun, des obligations
spécifiques de transmission de données, des programmes de coopération entre
administrations fiscales et, plus récemment, le guichet unique de TVA
(OSS/IOSS) mis en place au niveau européen (cf. section I.II.C
infra
). La
plupart des administrations fiscales appliquent par ailleurs désormais des
techniques de sciences des données afin d’améliorer le ciblage
des contrôles.
L’OCDE note que ces outils permettent d’atteindre un degré de conformité
mieux maîtrisé
22
, avec des effets très variables au sein de l’UE
: tandis que
certains États membres ne recouvrent qu’un reliquat supplémentaire de recettes
de TVA (0,2 % en Suède
), d’autres recouvrent une part significative des
recettes totales (9,1 % en Espagne, 15,5 % à Chypre). La France (1,9 %) se
situe au-
dessous de la moyenne de l’UE à
28 (3,6 %). Ces résultats doivent
cependant être interprétés avec prudence, ca
r ils reflètent aussi l’importance de
la fraude dans chaque pays. La Commission européenne, pour sa part, suggère
aux États
membres d’intensifier les
efforts en matière d’analyse des risques,
d’automatisation des processus et d’échange d'informations
et invite les
administrations fiscales à recruter plus d’informaticiens et à investir dans la
science des données
23
.
Depuis 2015, l’organisation de l’autorité judiciaire et des services d’enquête
a évolué afin de renforcer la lutte contre la fraude fiscale.
En complément des
juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) et du Parquet national financier (PNF),
institués respectivement en 2004 et en 2013, la juridiction nationale chargée de la lutte
contre la criminalité organisée
(Junalco) et le service d’enqu
êtes judicaires des
finances (SEJF), compétents pour les affaires fiscales complexes du « haut du spectre »,
ont été créés en 2019. Au niveau de
l’UE, le
Parquet européen, opérationnel depuis
le 1
er
juin 2021, doit également permettre de lutter plus efficacement contre les fraudes
d’ampleur (plus de
10
M€) transfrontalières. Fin
2021, près de 20 % des enquêtes du
Parquet européen concernaient la fraude à la TVA, pour un préjudice estimé à 2,5
Md€.
Plus généralement, le développement des coopérations entre l
’autorité judiciaire et
l’administration fiscale doit permettre d’apporter une réponse aux cas de fraude les plus
graves, de même que le recours à de nouveaux instruments (échanges de données,
reconnaissance préalable de culpabilité, convention judiciaire
d’intérêt public, etc.).
Constat n° 2
: L’organisation de l’autorité judiciaire et des services d’enquête, en
France et au niveau européen, a connu de profonds changements depuis 2015, qui
visent à renforcer la lutte contre la fraude fiscale, dont la fraude à la TVA.
22
OCDE, 2022, «
Tax Administration 2022
».
23
Commission européenne, 2021, 9
ème
rapport sur les procédures d'immatriculation, de perception et
de contrôle en matière de TVA.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
26
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
C -
Les évolutions du régime de territorialité de la TVA
contribuent à sécuriser son recouvrement, notamment face à la
fraude liée au commerce en ligne
Le régime de territorialité d’une opération transfrontalière permet de connaître
quelles règles fiscales nationales sont applicables et auprès de quel État les assujettis sont
redevables de la TVA et peuvent exercer leur droit à déduction. Le cadre juridique
applicable est complexe (cf. encadré 5) e
t a connu d’importantes évolutions depuis
2015.
Encadré 5 : Le régime de territorialité de la TVA en vigueur
La territorialité des livraisons de biens et des prestations de services suit des
règles distinctes pour les biens et les services :
▪
livraisons de services : les prestations fournies en « BtoB »
24
sont taxées
au lieu d’établissement du client assujetti, selon le principe de destination.
Les prestations de services en « BtoC » sont, quant à elles, taxées au lieu
d’établissement du prestataire selon le principe d’origine, sauf pour
certains
services
exposés
à
la
concurrence
fiscale,
notamment
électroniques et de télécommunication, taxés au lieu de résidence du
consommateur final. Ces règles sont, dans leur principe, similaires pour
les opérations intracommunautaires et vis-à-vis des pays tiers. Enfin,
certains services matériellement localisables (notamment, transport,
restauration) sont taxés au lieu de réalisation de la prestation ;
▪
livraisons de biens :
-
entre un État de l’UE
et un État tiers
: une importation provenant d’un
État tiers entraîne le paiement par l’importateur d’une
TVA à
l’importation, souvent auprès des services douaniers. À l’inverse, une
exportation vers un État tiers permet d’obtenir le remboursement de
la TVA amont ;
-
la traversée d’une frontière de l’UE donne lieu
: soit à la taxation de la
vente directement dans l’État de destination pour les opérations
« BtoC » (ventes dites « à distance »), soit à deux opérations
symétriques lorsque qu’elle concerne une op
ération « BtoB », à savoir
une livraison exonérée (LIC) dans le pays de départ et, si la
qualification de la LIC est documentée par le vendeur, une acquisition
intracommunautaire (AIC) soumise à la TVA dans le pays d'arrivée.
Face au développement du commerce en ligne, le cadre juridique des
importations « BtoC
» d’États tiers a été profondément transformé par la directive
du 5 décembre 2017
relative à la TVA sur le commerce électronique.
Sans remettre en
cause le principe de redevabilité de la TVA par le destinataire réel des biens, la directive
a introduit deux évolutions majeures. D’une part, elle a créé, à côté du régime traditionnel
et sur option facultative du vendeur, une procédure entièrement distincte de collecte de
la TVA fondée sur un guichet unique électronique dit IOSS (
Import One-Stop-Shop
)
pour les envois de moins de 150
€ (cf.
encadré 6).
24
Les opérations réalisées entre assujettis sont qualifiées dans ce rapport
d’opérations
business-to-
business
, ou «
BtoB
», et les opérations réalisées par un assujetti pour un non-assujetti de
business-
to consumer
, ou «
BtoC
».
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
27
Encadré 6 : Le recours au guichet unique IOSS de TVA
L’IOSS permet aux opérateurs qui y adhèrent de ne plus avoir à
s’immatriculer dans chaque État
membre afin de déclarer et payer la TVA
due. En effet, l’opérateur fait le choix d’un État membre d’identification dans
lequel il détient un établissement et s’enregistre,
via
un intermédiaire
accrédité, auprès de son administration fiscale qui lui attribue un numéro
IOSS unique valable dans toute
l’UE. Ainsi, c’est uniquement auprès de
l’administration fiscale de l’État membre où il se sera inscrit à l’IOSS que
l’opérateur déclarera et reversera mensuellement,
via
le guichet unique,
la
TVA qu’il aura colle
ctée. Dans ce cadre, le vendeur hors UE devient
redevable de la TVA dès la vente selon les règles du pays du consommateur
final ; la TVA relative à la vente ayant été réglée sur le portail IOSS,
l’opération est exonérée de
TVA à l’importation.
D’autre par
t, la directive du 5 décembre 2017 a introduit un mécanisme inédit
de redevabilité des plateformes de vente de biens en ligne d’un pays tiers vers l’UE,
réputées effectuer elles-mêmes la livraison au regard de la TVA pour les ventes à
distance de biens de moins de 150
€. En transposant le paquet commerce électronique
au 1
er
juillet 2021, la France a fait le choix de généraliser le recours à ce mécanisme :
la
TVA à l’importation doit
donc être acquittée dans tous les cas par la plateforme qui
facilite
l’opér
ation lorsque celle-ci intervient dans la transaction
; le consommateur n’est
plus, dans aucun cas, redevable de la TVA.
Le bilan de ces évolutions est positif, bien que tout risque de fraude ne soit
pas écarté.
Le bilan de la création du guichet IOSS est perçu comme très positif, tant du
point de vue de la simplif
ication pour les entreprises qu’au regard de la sécurisation
des
recettes fiscales des États membres. La directive de 2017
n’a pour autant pas éradiqué la
fraude. Les ventes à distance de biens importés donnent lieu à deux types de fraude, liées
à la sous-valorisation en douane
et à la dissimulation de la qualité du vendeur, c’est
-à-
dire l’envoi d’un colis présenté
frauduleusement comme un simple envoi de particulier
à particulier (pour lequel une franchise de 45
€ s’applique
). Ces fraudes concernent tout
autant l’évitement des droits de douane que de la
TVA et les possibilités matérielles de
contrôle sont particulièrement limitées. S’y ajoute une montée des cas d’usurpation du
numéro
IOSS d’opérate
urs enregistrés.
Plus stable, le cadre juridique des importations en « BtoB
» d’États tiers est
marqué par la généralisation de l’autoliquidation.
Dès l’origine, la
France avait
retenu le paiement de la
TVA à l’importation directement en douanes, notamment
face
au risque de développement de la fraude « carrousel », qui oblige les entreprises à
avancer la
TVA à l’importation au
Trésor. À
l’inverse, une majorité d’États de
l’UE a
opté pour l’autoliquidation, c’est
-à-dire la simultanéité du paiement et de la déduction
de la TVA, neutre pour la trésorerie des entreprises. Cela incitait les assujettis français à
dédouaner des biens importés dans d’autres États de
l’UE au régime plus favorable. Dans
ce contexte, la loi de finances pour 2020 a généralisé, à compter du 1
er
janvier 2022,
l’autoliquidation de la
TVA acquittée à l’importation en «
BtoB ».
Les livraisons de biens intracommunautaires en « BtoC » ont aussi été
sécurisées par le recours à un guichet électronique.
Jusqu’à la transposition du paquet
commerce électronique, la vente à distance de biens à des consommateurs était en
principe taxable au pays d’origine du vendeur. La taxation dans le pays de destination
ne s’appliquait qu’au
-
delà d’un seuil fixé par chaque État membre, mais cette règle était
mal comprise, voire donnait lieu à des comportements abusifs de la part de certains
vendeurs qui déclaraient incorrectement la TVA sur ces opérations. Depuis
le 1
er
juillet 2021, ces règles ont évolué dans le sens de la généralisation de la taxation
au pays de destination. Seules les entreprises dont la valeur annuelle des ventes à distance
réalisées dans
l’UE
est inférieure à 10 000
€ sont taxées dans le pays d’origine des biens.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
28
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Les assujettis réalisant des ventes à distance dans
l’UE peuvent désormais acquitte
r
la TVA correspondante sur un guichet unique
One-Stop-Shop
(OSS). En revanche, le
développement des guichets uniques sur les opérations « BtoC » (IOSS, OSS) ne trouve
pas de contrepartie en « BtoB » (cf. encadré 7).
Encadré 7 : Le « nouveau régime définitif » de TVA proposé par la Commission
européenne
Dès la première directive TVA de 1967, le Conseil affichait un objectif
d’évolution
du système vers un « régime définitif » fondé sur la règle du pays
d’origine.
Les propositions de la Commission en ce sens ont cependant toutes
échoué face à la difficulté de parvenir à une harmonisation des taux et à une
clef de répartition des recettes fiscales entre États.
Le système actuel, adopté
en 1991, constitue une solution de compromis : il permet une abolition des
frontières physiques du marché intérieur et des contrôles en douanes. En
revanche, il tire les conséquences de la non-harmonisation entre États membres
de la gestion et des règles TVA. Conformément au principe de destination,
lorsqu’un
bien
traverse
une
frontière,
deux
opérations
symétriques
interviennent : la détaxation de la TVA issue du pays de départ et
l’application
intégrale de la TVA du pays
d’arrivée.
Dans ce contexte, la Commission a annoncé dès 2011 son intention
d’abandonner
la règle du pays
d’origine
et de fonder le régime définitif sur le
principe de destination. Dans ce système,
qu’elle
a présenté en 2017, le
vendeur réalisant une opération intracommunautaire devrait déclarer et payer
la TVA sur un guichet unique selon les règles du pays
d’
arrivée. La TVA
déclarée sur le guichet unique ouvrirait droit à déduction, dans le pays de
destination, par
l’acheteur
en « BtoB ». Une telle réforme serait, en principe,
neutre sur les recettes fiscales et sur leur répartition entre États membres.
Toutefois, le droit à déduction associé à la TVA déclarée sur le guichet unique
a suscité des réserves de la part de certains États membres en raison de la
diversité des situations en termes de contrôle et de lutte contre la fraude. De ce
fait, le développement des guichets uniques sur les opérations « BtoC » (IOSS,
OSS) ne trouve pas de contrepartie en « BtoB » du fait de la question des droits
à déduction.
Le paquet
TVA à l’ère numériq
ue présenté par la Commission
le 8 décembre 2022 élargit les obligations des plateformes de vente de biens en
provenance de pays tiers à
l’UE
(cf. encadré 8). La proposition de texte impose aux
plateformes vendant des biens en provenance de pays tiers à des consommateurs au sein
de
l’UE de s’enregistrer auprès du guichet
IOSS, permettant un transfert intégral au
vendeur de la responsabilité de la TVA sur la vente à distance des biens importés.
Encadré 8 : Le paquet
TVA à l’ère numé
rique de 2022
La Commission européenne a présenté le 8 décembre 2022 une série de mesures
visant à moderniser le système de TVA de
l’UE et à le rendre plus efficace pour
les entreprises et plus résistant à la fraude dans le contexte du développement de
l’é
conomie des plateformes. Tr
ois actions clef sont proposées et feront l’objet
d’un examen
pour adoption par le Conseil et à titre consultatif par le Parlement
européen :
▪
le passage à la déclaration numérique en temps réel fondée sur la facturation
électronique pour les entreprises qui exercent des activités transfrontières
dans l’UE
(cf. section I.II.D
infra
) ;
▪
la mise à jour des règles de TVA applicables au transport de personnes et
aux plateformes d’
hébergement de courte durée (cf. section I.II.D
infra
) ;
▪
l’introduction d'un enregistrement uniqu
e à la
TVA dans l’
ensemble
de
l’UE.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
29
Dans ce contexte, une attention particulière devra être portée à la question de la
sécurisation du numéro IOSS ; une possibilité serait de faire évoluer le guichet IOSS,
d’une simple déclaration agrégée de chiffre d’affaires vers un état récapitulatif de
l’ensemble des envois, permettant l’attribution d’un numéro unique aux envois déclarés
sur ce guichet. Le paquet
TVA à l’ère numérique généralise par ailleurs la redevabilité
des plateformes vendant des biens en provenance de pays tiers à des consommateurs au
sein de l’UE, qu’elles soient situées à l'intérieur ou à l'extérieur de l’UE.
D -
La TVA à l’ère numérique doit s’appuyer sur de nouveaux
instruments de lutte contre la fraude et de simplification pour les
entreprises
La facturation électronique devrait conduire à une refonte en profondeur
de la déclaration et de la collecte de la TVA.
Aux termes de la loi de finances rectificative pour 2022, la France a décidé de
généraliser la facturation électronique entre entreprises assujetties à la TVA
(«
e-invoicing
») ainsi que la transmission des données de transactions («
e-reporting
»)
(cf. encadré 9
), sur la base d’un calendrier de m
ise en place
qui s’étale
entre 2024
et 2026. En choisissant de rendre obligatoire un mécanisme en théorie facultatif pour les
entreprises, la France a dû, comme l’Italie avant elle, solliciter une dérogation à la
directive TVA.
Il s’agit d’une avancée impo
rtante dans le système de collecte de la TVA
en France, qui doit permettre de renforcer la lutte contre la fraude. Selon les autorités
italiennes, la mise en place de la facturation électronique associée à la transmission des
données aurait permis de réduire son « écart de TVA » de 3,5
Md€ en
2020.
Encadré 9 : «
e-invoicing
» et «
e-reporting
», de quoi parle-t-on ?
À l’heure actuelle,
les obligations des assujettis vis-à-
vis de l’administration
fiscale sont fondées sur la déclaration de TVA, la facture et, pour les opérations
transfrontalières, les états récapitulatifs. Ces documents sont transmis à
échéances régulières à l’administration (
sur une base mensuelle, trimestrielle
ou annuelle, selon les cas), mais ne permettent pas de détecter rapidement les
opérations suspectes ou frauduleuses. Deux mécanismes de déclaration en
temps réel par voie électronique permettront de répondre à cette
problématique :
▪
la facturation électronique, ou «
e-invoicing
»,
s’appliquera aux
transactions domestiques entre assujettis (« BtoB »). Ceux-ci seront
soumis à l’obligation d’établir une facture électronique sur la base d’une
norme harmonisée et de la transmettre à leur client, soit
via
un portail
public qui en extrait au passage les données dont la transmission à
l’administration fiscale est obligatoire, soit
via
une plateforme privée qui
achemine la facture vers le client de l’émetteur et transmet à la plateforme
publique celles des données dont la transmission est obligatoire (schéma
dit « en Y ») ;
▪
la
transmission
automatique
de
données,
ou
«
e-reporting
»
,
s’appliquera à certaines opérations transfrontalières,
notamment les
livraisons de biens et les prestations de service intracommunautaires ainsi
que les opérations « BtoC ». Les données relatives au statut du paiement
des
opérations
devront
être
transmises
automatiquement
à
l’administration, dès lors que ces éléments déterminent l’exigibilité de
la TVA. Ce mécanisme devrait permettre, à terme, le développement de
solutions de pré-remplissage des déclarations de TVA.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
30
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Les régimes nationaux de facturation électronique vont être encadrés au niveau
européen. Comme la
France, d’autres États membres ont déjà mis en place des solutions
de déclaration en temps réel par voie électronique. Toutefois, ces mesures prises
isolément peuvent entraîner une fragmentation dans l’UE, avec pour conséquence
des
coûts accrus de mise en conformité pour les entreprises et des contrôles transfrontières
inefficaces. Dans ce contexte, le paquet
TVA à l’
ère numérique, présenté par la
Commission le 8 décembre
2022, prévoit (i) la généralisation dans l’UE de la facturation
électronique pour les opérations transfrontalières entre entreprises, (ii) la faculté pour les
États membres d’introduire une facturation électronique obliga
toire pour les opérations
nationales entre entreprises sans demande de dérogation, suivant une norme européenne
vers laquelle ils devront converger à l’horizon
2028. La Commission estime que le
passage à la facturation électronique contribuera, dans les dix prochaines années, à
réduire la fraude à la TVA à hauteur de 11
Md€ par an dans l’UE et les coûts de mise en
conformité pour les entreprises de plus de 4,1
Md€ par an.
Au final, deux points d’attention devront guider le déploiement de la facturation
électronique et de la transmission des données de transactions en France :
▪
d’une part, s’assurer de mettre en place un dispositif
qui soit à la fois interopérable
et conforme aux normes européennes, de façon à ne pas avoir à changer de système
à l’horizon
2028 ;
▪
d’autre part,
prévoir une évaluation
ex post
indépendante de ces mécanismes, ce qui
ne semble pas avoir été réalisé, à ce stade, à l’étranger.
La numérisation de l’économie vient partiellement remettre en cause les
fondements du système commun de TVA
, qui reposait, depuis son invention
au XX
ème
siècle, sur une distinction fondamentale entre les entreprises, opérateurs
assujettis réalisant une activité économique à titre habituel et indépendant, et les
particuliers, personnes non-assujetties ne devant pas collecter la TVA sur les opérations
qu’elles réalisent. En effet, les opérations économiques sont aujourd’hui réalisées de
façon croissante par des personnes indépendantes, parfois coordonnées ou référencées
sur des plateformes, sans que celles-ci revêt
ent d’un point de vue juridique la qualité
d’employeur ou de donneur d’ordre –
un phénomène parfois qualifié
d’«
ubérisation ».
Cette situation génère un triple risque.
Un risque de perte de ressources
fiscales par les États, d’abord,
lié à la démultiplica
tion du nombre d’acteurs chargés de
la collecte de la TVA, aux facilités que le caractère « occulte
» de l’activité exercée offre
pour la fraude en se présentant comme de « faux particuliers
» et, lorsqu’elle est déclarée,
à la non-taxation liée à la multiplication de franchises en base TVA. Ce phénomène est
également la source de distorsions économiques générées par le système de TVA
lui-même
: dans le secteur des transports et de l’hébergement de courte durée,
notamment, les acteurs traditionnels assujettis à la TVA sont pénalisés par la
concurrence de prestataires qui échappent à la taxation et opèrent sur les plateformes. La
dématérialisation des échanges facilite, d’ailleurs, le caractère éphémère des activités
économiques, peu compatible avec l’efficac
ité du contrôle fiscal. Il y a enfin un risque
d’insécurité juridique
pour des personnes qui, de bonne foi, n’estiment pas relever d’une
activité économique.
Les obligations fiscales des plateformes ont été renforcées afin de lutter
contre les activités occultes.
D’abord,
la loi de finances pour 2019, puis la loi de
finances pour 2022, transposant une directive du 22 mars 2021 (dite « DAC 7 »),
ont instauré des obligations larges de
reporting
pesant sur les plateformes de mise en
relation par voie électronique. Celles-ci doivent transmettre chaque année à
l’administration
fiscale un document récapitulatif des transactions réalisées
–
mais il
n’est
toutefois pas certain que ce mécanisme, prévu au niveau européen, réponde
efficacement aux besoins de l
’administration
fiscale française liés spécifiquement au
calcul de la TVA sur des opérations internes. En outre, depuis le 1
er
janvier 2020,
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
31
l’administration
fiscale peut engager la solidarité de paiement de ces plateformes si
celles-ci ne réagissent pas à un signalement relatif au non-respect par un assujetti de ses
obligations en matière de TVA.
En parallèle, une directive du 18 février 2020, transposée au 1
er
janvier 2023, a
institué pour les prestataires de services
de paiement établis dans l’UE
une obligation de
reporting
pour leurs opérations transfrontalières. Alors que les fraudes à la TVA à
l’importation concernent, dans leur grande majorité, des opérations «
BtoC »
d’achats en
ligne
via
de tels prestataires, cette obligation permettra de compléter les outils de contrôle
de l’administration fiscale, dont la programmation devra être adaptée en conséquence.
Enfin, face aux distorsions de concurrence, un mécanisme de solidarité de
paiement des plateformes d’hébergement et de transport est envisagé.
En effet, le
paquet
TVA à l’
ère numérique du 8 décembre 2022 propose que les plateformes servant
d’intermédiaires dans les secteurs de l’hébergement de courte durée et du transport de
personnes garantissent la perception et le reversement de la TVA sur les ve
ntes qu’elles
facilitent lorsque le fournisseur sous-
jacent ne l’a pas fait.
Cette réforme tire les
conséquences de la logique même de l’économie du partage
–
ce n’est plus le particulier
utilisateur de la plateforme qui rend le service, mais la plateforme elle-même, en tant
qu’assujettie à la
TVA
–
et doit permettre d’éliminer des distorsions de concurrence
, tout
en générant un surcroît de recettes fiscales, estimé à 660
M€ par an dans l’UE.
Le
transfert de responsabilité de la collecte de la TVA aux plateformes présente toutefois
plusieurs difficultés qui devront donner lieu dans un proche avenir à des arbitrages,
relatifs au maintien ou non de la franchise en base, à la portée du droit à déduction pour
les prestataires référencés sur les plateformes, ou encore aux opérations reposant sur le
troc.
Les éléments qui précèdent doivent conduire à moderniser le système de TVA
pour le rendre plus résistant à la fraude dans le contexte du développement de l’économie
des plateformes. Ils pourront utilement alimenter les réflexions en cours sur le plan de
lutte contre les fraudes, fiscale, sociale et douanière, annoncé par le Gouvernement pour
la fin du premier semestre 2023.
Recommandation n° 3 : Renforcer la lutte contre la fraude à la TVA dans le
contexte de l’économie des plateformes à travers
:
▪
l’évaluation de l’efficacité des
obligations de
reporting
des plateformes de mise
en relation par voie électronique ;
▪
l’adaptation de la programmation du contrôle fiscal pour tenir compte des
obligations de
reporting
des prestataires de services de paiement ;
▪
le soutien, sous réserve des arbitrages sur divers points de difficultés, à une
réforme au niveau européen du régime de redevabilité des plateformes de
services de transport et d’hébergement.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
32
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
III - Les taux réduits de TVA, plus largement utilisés
en
France que dans le reste de l’Europe, sont coûteux pour
les finances publiques, peu efficaces économiquement et
rarement évalués
A -
Les taux réduits de TVA sont relativement importants
en France, en comparaison européenne
L’application de taux réduits est strictement encadrée au niveau européen.
Dans le
régime « définitif » de TVA initialement proposé (cf. encadré 7), fondé sur le
principe d’origine
, le risque de concurrence fiscale entre États membres, qui pourraient
être tentés de réduire les taux pratiqués pour attirer l’activité éco
nomique, justifiait un
encadrement strict des taux réduits applicables.
Ainsi, jusqu’en
2022, sauf « clause de gel » concernant des taux pratiqués
avant 1992, la directive
TVA n’admettait qu’un taux plein, d’au moins
15 %, et deux
taux réduits d’au moins
5 %. Les États membres ne pouvaient pas accorder un taux
super-réduit
, c’est
-à-dire inférieur à 5 %, ni un taux 0 %, équivalent à une exonération
avec droit à déduction. De plus, les deux taux réduits ne pouvaient être appliqués qu’à
des biens et services compris dans une liste de catégories éligibles fixée par la directive.
Sur cette base, en France, le
CGI prévoit l’application de taux réduits à une centaine de
catégories de biens et services, qui exploitent la quasi-totalité des possibilités offertes
par la directive TVA.
Les mesures dérogatoires au taux normal de TVA représentent un manque
à gagner d’au
moins 47
Md€
, soit l’équivalent de
24 % de son rendement en 2021.
Parmi ces mesures, 43
sont considérées par l’administration fiscale comme des dépenses
fiscales, pour 17
Md€ en
2022, d’autres
non
25
, pour un coût estimé à 30
Md€ en
2020.
Ces mesures sont diverses, mais les dix premières représentent plus de 82 % du montant
total des mesures dérogatoires de TVA (cf. tableau 2).
25
Sont considérés comme des dépenses fiscales, les taux ayant une visée de soutien sectoriel ou
incitative
; à l’inverse, ne sont pas considérés comme des dépenses fiscales les taux réduits de TVA
destinés non à favoriser un secteur ou un comportement, mais visant à influer sur la consommation
de certains produits de base.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
33
Tableau 2 : Dix mesures dérogatoires de TVA les plus coûteuses en 2020
Dix mesures de TVA les plus coûteuses
Coût
en
Md€
Taux de 5,5
% sur l’eau, les boissons non alcooliques, les produits
d’alimentation h
umaine
20,1
Taux de 10 % pour les travaux autres que de rénovation énergétique des
logements
3,3
Taux de 10 % pour la restauration commerciale
3,0
Taux spécifiques en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion
2,9
Taux de 10 % sur les transports de voyageurs
2,8
Taux de 2,10 % applicable aux médicaments remboursables
2,6
Taux de 5,5 % pour les travaux d'amélioration de la qualité énergétique des
logements
1,3
Taux de 5,5
% dans le secteur de l’accession sociale à la propriété et dans le
secteur du logement locatif social
1,0
Taux de 5,5 % pour les ventes portant sur certains équipements spéciaux pour
les handicapés
0,9
Taux de 10 % dans le secteur du logement locatif social
0,9
Total
38,8
Source
: CPO, d’après le PLF
2022 et la Cour des comptes.
Le coût des dépenses fiscales de TVA a doublé entre 2001 et 2022
, passant
de 9,3 à 17,0
Md€. Outre l’effet mécanique de la hausse des recettes de
TVA,
l’augmentation de
la part des dépenses fiscales dans le total des recettes de TVA, de
l’ordre de 1
point de pourcentage, a trois principaux déterminants
: l’adoption des taux
rédui
ts sur les travaux d’amélioration des logements et pour les services à la personne à
la fin des années 1990
; l’adoption du taux réduit sur la restauration commerciale
en 2009, renchérissant le coût des dépenses fiscales au-delà de 15
Md€
; enfin
l’extensi
on progressive des assiettes des taux réduits en matière de logement et de
protection de l’environnement dans les années
2010, maintenant le coût des dépenses
fiscales au-delà de 15
Md€
en dépit du relèvement du taux intermédiaire. Cette évolution
explique en partie le recul de la part de la TVA dans le PIB, passée de 9 % dans les
années 1970 à 7 % en moyenne ces dernières années.
Le poids des mesures dérogatoires de TVA en France apparaît élevé en
comparaison avec le reste de l’Union européenne.
En effet, la France se caractérise
par une assiette taxée au taux normal relativement plus faible que ses voisins, qui
représente 65
% de l’assiette totale pour une moyenne européenne de
71 %, se situant
ainsi au 19
ème
rang de l’UE (cf.
graphique 8).
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
34
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Graphique 8 : Part de la base taxable de TVA soumise au taux normal ou à un taux
réduit en 2019
Source : CPO, à partir de DIW Econ et Commission européenne.
Cette situation singulière trouve deux principaux facteurs explicatifs.
Le
recul de la part de la TVA dans le PIB en France tient, en premier lieu, au poids des
dérogations de départ, prises notamment pour tenir compte des taxes préexistantes
supprimées et limiter le nombre de perdants, mais aussi pour intégrer certaines des
spécificités des territoires ultramarins. Ainsi, les mesures dérogatoires actuelles
remontant
pour l’essentiel à
la création de la TVA, représentent 84 % du coût des taux
réduits de TVA, en prenant en compte les évolutions respectives de chaque mesure dans
le temps et l’évolution du niveau des taux. Cette «
dépendance au sentier »
26
en matière
de taux se retrouve ailleurs en Europe : les quatre États européens avec le plus grand
nombre d’items soumis à des taux réduits
(Irlande, Italie, Luxembourg et France) ont un
système de TVA ancien, adopté avant
1975. Ainsi, la création d’une nouvelle mesure
dérogatoire en matière de TVA est, de fait, une décision pérenne.
La situation actuelle tient, en second lieu, à l’extension
progressive des taux
réduits existants à des secteurs connexes à ceux initialement concernés afin de corriger
des distorsions de concurrence et de répondre à un objectif de simplification.
On
constate, en effet, que la création d’un taux réduit crée une forte pression à l’extension
de son champ d’application à des activités proches afin de maintenir les conditions d’une
concurrence non faussée au sein d’un même secteur économique. Les débats s’appuient
notamment sur la complexité réelle du système de taux en vigueur, et peuvent conduire
à des mesures de simplification qui élargissent
l’assiette des taux réduits. À titre
d’exemple, la distorsion entre restauration sur place et restauration à emporter a conduit,
à la suite de demandes répétées de l’Allemagne e
t de la France, à réviser la directive
en
2009 afin d’inclure la restauration sur place dans la liste des activités pouvant
bénéficier de taux réduits ; depuis lors, en France, la restauration sur place et à emporter
est soumise au même taux (5,5 % initialement, puis 7 % à la création du taux
intermédiaire et 10 % depuis sa hausse en 2014).
26
Difficulté à prendre des décisions futures en raison de l’influence des décisions passées.
0%
20%
40%
60%
80%
100%
Danemark
Bulgarie
Estonie
Lituanie
Slovaquie
Lettonie
Allemagne
Roumanie
Suède
Portugal
Hongrie
Autriche
Finlande
Malte
Luxembourg
Pays-Bas
Croatie
Belgique
France
Rep. Tchèque
Slovénie
Pologne
Grèce
Irlande
Chypre
Italie
Espagne
EU-27
Taux standard
Taux réduit
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
35
B -
Les taux réduits de TVA sont des outils inefficaces de politique
économique
La littérature académique a tendance à favoriser
le choix d’
un taux unique
de TVA
, en soulignant notamment trois avantages : la neutralité,
car il n’en résulte
pas
de distorsions dans les choix de consommation des ménages ; la simplicité, car il permet
d’éviter
des démarches coûteuses aux entreprises
; et l’impossibilité pour les groupes
d’intérêt
s de faire pression pour créer de nouvelles mesures dérogatoires injustifiées au
regard
de l’efficience économique et
du bien-
être collectif. Dans l’UE, seul le
Danemark
est dans cette situation, avec un taux normal de TVA de 25 % et aucun taux réduit.
L’a
dministration fiscale danoise justifie son modèle singulier par la volonté de préserver
un système simple et lisible et par la difficulté de supprimer les taux réduits, une fois
créés (cf. section I.III.C
infra
).
L’existence de taux réduits de
TVA peut toutefois être théoriquement justifiée
dans de rares cas.
La littérature académique reconnaît que des taux réduits peuvent se
justifier dans trois cas
27
:
▪
pour poursuivre un objectif d’équité, en taxant à taux réduit des biens relativement
plus consommés par les ménages modestes. En pratique, la capacité des taux réduits
de TVA à atteindre des objectifs de redistribution apparaît toutefois limitée
(cf. section II.III.A
infra
) ;
▪
pour taxer plus fortement les biens dont la production est source d’externalités
négatives, suivant une logique « pollueur-payeur », ou pour appliquer des taux
réduits aux biens dont la production est source d’externalités positives, afin de
modifier les comportements des consommateurs (logique dite « pigouvienne »).
Toutefois, la capacité de taux réduits de TVA à atteindre cet objectif apparaît, en
pratique, également limitée (cf. section II.III.B
infra
) ;
▪
pour soutenir un secteur économique donné et répondre aux difficultés particulières
qu’il connaît. Dans ce cas, le risque est que
la mesure soit pérennisée et étendue,
alors même que la cause d’origine a disparu et ne légitime pl
us cet avantage
(cf. section I.III.C
infra
).
Les évaluations existantes des taux réduits de TVA démontrent une efficacité
économique limitée.
D’une part, l’e
xpérience des baisses passées souligne leur faible
capacité à atteindre leurs objectifs (inefficacité), en n’étant que p
artiellement répercutées
sur le prix final
; une étude de l’INSEE de
2014 estime ainsi à 20 % le taux de
répercussion sur les prix de la baisse de TVA dans la restauration, sans atteindre les
objectifs de baisse des prix et de création d’emplois escomptés
28
. D
’autre part, le coût de
ces mesures peut être disproportionné par rapport aux objectifs atteints (inefficience) ;
c’est le cas, par exemple, du taux réduit sur les travaux d’entretien et d’amélioration des
logements de plus de deux ans
29
.
Il n’est pas surprenant que
le Comité d’évaluation des dépenses fiscales de
2011 ait
pu, sur la base de ces critères, juger inefficaces ou inefficientes 21 dépenses fiscales liées
27
Cf. pour plus de détails sur les taux réduits de TVA, rapport particulier n° 4 : G. Bianquis, I. Salin
et R. Mir, 2022, « La taxe sur la valeur ajoutée comme outil de politique économique ».
28
INSEE, Q. Lafféter et P.
Sillard, mai 2014, « L’addition est
-elle moins salée ? La réponse des prix
à la baisse de TVA dans la restauration en France », document de travail, F1404.
29
Cour des comptes, 2016, « Le taux réduit de
TVA sur les travaux d’entretien et d’amélioration des
logements de plus de deux ans » ; 2016, «
L’efficience des dépenses f
iscales relatives au
développement durable ».
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
36
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
à la TVA pour 8,9
Md€, soit
65 % du montant total.
Les taux réduits sont par ailleurs un élément de complexité pour les
entreprises.
En effet, des mesures dérogatoires peuvent avoir un effet individuel positif,
mais des effets indirects et croisés négatifs, notamment au travers de la complexité
accrue
et de l’instabilité du système fiscal qu’elles peuvent induire. Pour ne prendre
qu’un seul exemple, les débats récurrents sur le taux applicable au chocolat selon qu’il
est noir (5,5 %), au lait ou blanc (20 %), sous forme de chocolat de ménage (5,5 % pour
le chocolat au lait) ou de bonbons de chocolat (5,5
%), illustrent les limites d’un tel
système
30
. Cette situation n’est pas propre à la
France, les autres systèmes de TVA
européens avec des taux réduits produisant des exemples tout aussi incongrus.
Au Royaume-Uni, le cas du «
Jaffa cake
», taxé différemment selon qu’il était considéré
comme un gâteau (taux zéro) ou un biscuit (taux normal), a été tranché devant la CJUE
31
.
Le problème posé par les offres composites (cf. encadré 10) illustre aussi la
complexité et l’insécurité juridique que génèrent les mesures dérogatoires de
TVA.
Constat n° 3 : Les taux réduits de TVA, plus largement utilisés en France que dans
le reste de l’Eur
ope, réduisent les recettes de TVA. Bien que leurs effets
économiques sur les prix, l’emploi ou l’activité ne soient pas démontrés, ils sont très
rarement supprimés.
Encadré 10 : Le régime de taux de TVA des offres composites
Les offres complexes ou composites regroupent plusieurs opérations qui, si
elles étaient dissociées, relèveraient de régimes distincts de TVA. La
jurisprudence de la CJUE (2010,
Commission/France
, C‑94/09) semblait
impliquer que les États membres pouvaient distinguer des éléments d’une
prestation complexe globale et les soumettre, à ce titre, à un taux distinct.
Conformément à ce principe, lorsqu’un assujetti propose une offre
composite, la règle française pour déterminer le taux applicable a longtemps
été la ventilation du chiffre d’affaires en fonction du régime applicable.
Toutefois, la CJUE a récemment jugé (2018,
Stadion Amsterdam
,
C-463/16 ; 2021,
Frenetikexito-Unipessoal Lda
, C-581/19) qu
’en
principe,
un taux unique devait être appliqué à une prestation complexe. Dès lors, la
ventilation ne trouverait à s’appliquer qu’
à condition que les prestations
soient
indépendantes au sein d’un même forfait. Cette évolution de la loi
fiscale a fait craindre, chez certains acteurs économiques, une insécurité
juridique sur les taux applicables aux prestations qu’ils réalisent, d’autant que
l’analyse doit être opérée en tenant compte du point de vue du
« consommateur moyen ». Diverses prises de position récentes de
l’administration fiscale, par exemple sur les corbeilles assemblées pour
Noël
ou sur les entrées dans les parcs zoologiques et botaniques, illustrent la
complexité de ce régime. La loi de finances pour 2021 a modifié le CGI pour
s’adapter à
la jurisprudence de la CJUE relative aux opérations complexes.
Elle n’a pas, pour autant, mis
fin à sa complexité.
30
D’autres curiosités existent. Ainsi la v
ente de taureaux de combat accompagnée de la fourniture de
spectacle taurin (toreros et membre de la troupe, chevaux, transport, etc.) constitue une prestation
unique relevant du taux normal de la TVA. En revanche, en application du 3° de l'
article 278 bis du
CGI
, la vente à la boucherie de taureaux morts au combat est soumise au taux réduit de 10 % de la TVA
dès lors qu'ils sont destinés à la consommation humaine.
31
CJUE, C-309/06 (Marks & Spencer), 2008.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
37
C -
L’adoption de nouveaux taux réduits doit être évitée
et les
mesures dérogatoires existantes soumises à des modalités révisées
d’évaluation, conduis
ant à supprimer ou relever les taux réduits
inefficaces
L
’abandon du projet de «
système définitif » fondé sur la taxation au pays
d’origine
a permis de réduire les risques de concurrence fiscale et de distorsion de
concurrence liés à la disparité des taux réduits. À compter de 2018, il a donc été admis
qu’une souplesse plus grande pouvait être accordée aux États membres dans la
détermination des taux de TVA. Dans ce contexte, la directive du 5 avril 2022 a élargi
les marges de manœuvre des États membres da
ns deux directions :
▪
la liste des catégories de biens et services éligibles aux taux réduits est étendue à un
nombre limité de nouveaux items se rattachant aux politiques publiques de la santé,
de l’environnement et de la transformation numérique ;
▪
les États membres peuvent pratiquer, en plus du taux plein et des deux taux réduits
supérieurs à 5 %, un taux réduit inférieur à 5 % et un taux zéro sur une liste plus
réduite de biens et services dits prioritaires
.
C
es nouvelles marges de manœuvre
sont néanmoins encadrées (cf. tableau 3) : dans
la liste des biens et services éligibles, les États membres doivent se limiter à 24 items
pour les taux réduits supérieurs à 5 %, et 7 items pour les taux super-réduits inférieurs
à 5 %.
Tableau 3
: Marges de manœuvre des États membres en matière de taux réduits
de TVA
Date
Taux super-réduit (0-5 %)
Taux réduit (5-15 %)
Taux
normal
(>15 %)
Structure
des taux
Avant
2022
Aucun (sauf « clauses de gel »)
2 taux réduits
1 taux plein
Après
2022
1 taux 0 % et un 1 entre 0-5 %
2 taux réduits
1 taux plein
Catégories
de biens et
services
éligibles
Avant
2022
« Clauses de gel »
Liste
d’items
fixée par la
directive
Aucune
restriction
Après
2022
7 items sur une liste plus
réduite fixée par la directive
24 items sur la liste élargie
fixée par la directive
Aucune
restriction
Source : CPO.
Le bilan des taux existants doit toutefois conduire à limiter l’adoption de
nouveaux taux réduits.
En effet, le choi
x d’une mesure de
TVA est rarement le plus
rationnel économiquement
: d’autres outils permettent d’atteindre à moindre coût des
objectifs en matière d’emploi ou de mieux prendre en compte les effets redistributifs des
dépenses budgétaires ou fiscales. De ce fait, dès lors que le recours à un taux réduit
de
TVA est envisagé, les autres outils existants permettant d’atteindre les mêmes
objectifs devraient être étudiés et comparés (cf. section II.II
infra
). La faible capacité à
suivre les effets des taux réduits de TVA en comparaison des mesures budgétaires
(cf. encadré 11
) incite aussi à privilégier cette deuxième catégorie d’outils.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
38
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Encadré 11 : Le suivi administratif des taux réduits de TVA
Le suivi de la performance des dépenses publiques grâce, en particulier, à
l’information au Parlement, est réalisé depuis
2001
via
des programmes et
rapports annuels de performances. Au sein de ces documents, suivant la
logique de justification au premier euro, les crédits budgétaires engagés sont
associés à des objectifs de politique publique, dont l’atteinte est mesurée par
des indicateurs de performance. De manière générale, les dépenses fiscales
ne sont pas incluses dans ce dispositif : ainsi, aucun taux réduit de
TVA n’est
rattaché,
au sein des missions du budget de l’État, à un indicateur de
performance, et la majorité des taux réduits considérés comme des dépenses
fiscales n’est pas rattachée à des objectifs au sein des programmes. De plus,
les taux réduits de TVA poursuivent des objectifs imprécis et les objectifs
initiaux ne sont pas retracés dans l’information fournie au Parlement.
Le suivi des taux réduits de TVA présente, en outre, des limites
supplémentaires propres : les taux réduits destinés non à favoriser un secteur
ou un comportement, mais visant la consommation de certains produits de
base (alimentation, médicaments, par exemple), ne sont pas considérés
comme des dépenses fiscales. Or, dès lors qu’une dérogation n’est plus
considérée comme une dépense fiscale, son coût pour les finances publiques
n’est plus calculé ni son impact (nombre de bénéficiaires par exemple) évalué
et, si ces données existent, elles ne sont pas mises à disposition du public et
des parlementaires dans le cadre des projets de loi de finances.
Le très faible nombre d’évaluations des taux réduits existants ne plaide pas
non plus pour l’adoption de nouveaux taux réduits.
Hormis de rares revues de
dépenses, une fois en place, les taux réduits de TVA ne sont ni évalués, ni rattachés à
une administration centrale
qui aurait la responsabilité d’en assurer le suivi. Ni l’impact
de ces mesures sur les secteurs concernés ni leur efficience ne sont donc aujourd’hui
connus.
Surtout, malgré les résultats des évaluations et les recommandations de remettre
en cause les taux réduits inefficaces, les « effets de cliquet
» que produit l’adoption d’un
taux réduit l’emportent
: parmi les taux réduits supprimés depuis 1977, les règles puis
les contentieux européens sont la seule s
ource identifiée de suppression d’un taux réduit,
les autres taux réduits ayant souvent été étendus, parfois ajustés, mais toujours
maintenus. Même quand le risque de non-conformité des taux est connu, ceux-ci sont
tout de même maintenus
; c’est le cas des
taux réduits applicables en
Corse. L’étude des
débats parlementaires révèle en effet une pression forte en faveur de
l’élargissement des
taux réduits, et quasi-inexistante en faveur de leur maîtrise et/ou de leur évaluation : sur
504 questions parlementaires au Gouvernement sur la TVA durant la XIV
ème
législature
(2017-2022), seules 3 portent sur des hausses de taux réduits ou leur abandon et sur
l’évaluation de leur efficacité.
En tout état de cause, dès lors qu’il est établi qu’une mesure dérogatoire es
t
difficile à remettre en cause, les nouvelles mesures de taux réduits de TVA ne devraient
pas
s’appuyer sur des
difficultés conjoncturelles de secteurs de l’économie mais
seulement, si cela est jugé nécessaire, sur des objectifs de long terme (cf. section II.II
infra
).
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
39
À court terme, le suivi et l’évaluation des taux réduits de
TVA doivent être
renforcés.
L’amélioration du suivi des dérogations fiscales en matière de
TVA doit
s’inscrire dans une démarche de transparence et de performance. Il conviendrait à
ce titre
de présenter dans les documents accompagnant les projets de lois de finances les mêmes
informations sur les taux réduits qui ne sont pas considérés comme des dépenses fiscales
que sur ceux qui le sont (objectif, coût pour les finances publiques, bénéficiaires). De
plus, les taux réduits, anciens comme nouveaux, devraient être associés à des objectifs
et à des indicateurs de performance permettant leur évaluation régulière. À ce titre, sur
le modèle de l’évaluation approfondie du crédit d’impôt
recherche (CIR) par la
commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation (CNEPI), les principaux
taux réduits de
TVA devraient faire l’objet d’une évaluation économétrique
pluriannuelle confiée au CPO ou à une instance
ad hoc
, permettant de comparer leur
efficacité et leur
efficience avec celles d’autres politiques sectorielles.
Recommandation n° 4
: Afin de réduire l’importance des taux réduits, qui
minorent les recettes de TVA, confier au CPO ou à une instance
ad hoc
l’examen
pluriannuel des taux réduits en identifiant leurs objectifs, en évaluant leur atteinte
et en proposant des mesures plus efficaces et plus efficientes le cas échéant.
À moyen terme, les résultats de ces évaluations doivent conduire à remettre
en cause ou relever les taux réduits inefficaces.
À ce stade, aucune évaluation
économique détaillée n’existe pour les taux réduits de
TVA à 5,5 %. En revanche, des
études confirment que les taux intermédiaires de 10 % applicables à la restauration et
aux travaux d’amélioration des logements (hors rénovation énergétique) n’ont pas fait la
preuve de leur efficacité, et pourraient utilement être remplacés par des mesures plus
ciblées sur les objectifs d’emploi et de maintien de l’activité
, tout en étant moins
coûteuses. Cependant, dans les deux cas, le passage au taux normal de 20 % constituerait
une évolution abrupte et les effets sur les secteurs concernés seraient difficiles à
anticiper. E
n outre, un tel retour au taux normal poserait des problèmes d’acceptabilité.
Dans ce contexte, pourrait être étudiée la possibilité de relever de plusieurs
points le taux intermédiaire de TVA de 10 %, en le rapprochant du taux normal. Les
simulations réalisées pour le
CPO montrent qu’une hausse, par exemple à 12,5
%,
permettrait à la fois de réduire les dépenses fiscales inefficaces sans avoir à cibler un
secteur
bénéficiaire du taux intermédiaire en particulier, d’améliorer la situation des
finances publiques avec un gain estimé à 3,4
Md€, et de rapprocher le taux intermédiaire
du taux normal à équidistance entre le taux réduit à 5,5 % et le taux normal. Le poids
d’une telle mesure sur le pouvoir d’achat et sur les secteurs affectés devrait, bien entendu,
être compensé par des mesures mieux ciblées et plus efficaces, et, par conséquent, plus
économes pour les finances publiques.
Recommandation n° 5 : Supprimer les taux réduits de TVA dont les évaluations
confirment l’inefficacité
; à défaut de leur suppression, les relever à un taux
supérieur dans le barème.
Conseil des prélèvements obligatoires
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LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
41
Chapitre II
–
La TVA face à de nouvelles
questions
I - La
TVA n’est pas un outil efficace de pilotage conjoncturel
de l’économie et n’intègre pas suffisamment les enjeux de
compétitivité du secteur financier
A -
La TVA a été utilisée à des fins conjoncturelles dans certains
pays
La TVA constitue en théorie un instrument de politique budgétaire contra-
cyclique.
Face à un ralentissement de la croissance, une baisse temporaire de TVA peut,
en effet, stimuler la demande à court terme
via
un effet sur les prix, en provoquant une
substitution intertemporelle de consommation
32
, les agents anticipant une future hausse
de l’impôt. L’accroiss
ement de la demande revêt des proportions toutefois variables, en
fonction du taux de répercussion sur les prix et de de l’élasticité
-prix. La baisse de
la TVA peut être ciblée sur certains secteurs économiques ou généralisée. À
l’inverse, il
est possible
de stabiliser l’économie dans une situation de surchauffe par les mêmes
mécanismes, en relevant les taux de TVA
. Contrairement à d’autres outils de politique
budgétaire contra-
cyclique, comme une hausse de l’investissement public, qui
nécessitent de longs délais de mise en place, une baisse temporaire de TVA ou une
hausse ne supposent
qu’une modification de la loi fiscale et peu
vent donc être effectives
très rapidement.
Un mouvement de hausse des taux de TVA est intervenu en Europe après
la crise de 2008.
D
u fait de la contraction économique qui s’en est suivie, le
Royaume-
Uni a d’abord cherché à créer un «
stimulus fiscal » par une baisse de 2,5 points du taux
normal (de 17,5 % à 15 %) entre 2008 et 2009. Puis, compte tenu de la forte dégradation
des soldes publics, un mouvement de hausse des taux normaux est intervenu
au Royaume-Uni (à 20 % en 2010), puis en Espagne, en Italie et au Portugal, enfin
en France (de 19,6 % à 20 % en 2014) (cf. graphique 9). Cette évolution a aussi touché
les taux réduits, qui ont été relevés en France, en Espagne ou encore au Portugal.
32
Les ménages substituent de la consommation présente à de la consommation future.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
42
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Graphique 9 : Évolution du taux normal de TVA dans huit pays européens et dans
l’OCDE
(en %)
33
Source : CPO, à partir des données de
l’OCDE
.
Dans le contexte de la crise sanitaire de 2020, de nombreux États ont procédé à des
baisses de TVA, généralement sectorielles et temporaires.
Afin de tenir compte de la
contraction de la consommation et de la richesse nationale liée aux confinements,
plusieurs États de l’UE ont temporairement réduit la
TVA pesant sur certains produits
ou secteurs affectés
: c’est le cas en
Belgique pour la TVA sur les aliments et boissons
consommés sur place entre mai 2020 et septembre 2021, ou encore en Autriche pour
la TVA
sur les restaurants et l’hôtellerie
et certains services et biens culturels de
juin 2020 à décembre 2021. En outre, deux États ont adopté des baisses générales du
taux normal, l’Allemagne pendant six
mois en 2020 et
l’Irlande pendant six mois aussi
entre septembre 2020 et février
2021. Ces mesures s’ajoutent aux dérogations accordées
au niveau européen dès mars 2020 pour faire face à la pandémie (cf. encadré 12).
Encadré 12
: L’assouplissement du système européen de taux de
TVA
pendant la crise sanitaire
En réaction à la pandémie de covid-19, la Commission européenne a
suspendu les droits de douane ainsi que la
TVA sur l’import
ation de matériels
médicaux dès avril 2020. De plus, à partir de décembre 2020, les États
membres ont pu exonérer avec droit à déduction les vaccins et le matériel de
dépistage. Dans ce contexte, de nombreux pays européens ont appliqué des
taux réduits ou nuls aux livraisons de matériels et équipements médicaux de
lutte contre la covid-
19, dont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique,
l’Espagne, la France, la Grèce, les Pays
-Bas et le Portugal. Ces dispositions
spéciales ont pris fin avec la révision de la directive TVA du 5 avril 2022, qui
a mis en cohérence les différents mécanismes créés au cours de la crise
sanitaire, et introduit un mécanisme en vertu duquel les États peuvent
accorder une exonération avec droit à déduction aux biens bénéficiant de la
franc
hise à l’importation en cas de situations exceptionnelles (article
101 bis
de la directive TVA).
33
Graphique au 1
er
janvier de chaque année ; de ce fait la baisse de TVA en Allemagne de juillet 2020
n’apparaît pas.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020
Moyenne OCDE non pondérée
Danemark
France
Allemagne
Italie
Espagne
Suède
Royaume-Uni
Portugal
Suède
Portugal
Espagne
Royaume-Uni
Allemagne
France
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
43
B -
La TVA est toutefois un instrument de pilotage conjoncturel
peu pertinent
La TVA
n’est pas
un instrument de politique conjoncturelle.
Les
justifications apportées à la TVA à sa création sont triples : éviter les taxes en cascade,
rapprocher les impôts des sources de production et favoriser les investissements pour
soutenir l’économie de manière structurelle. À aucun moment les idées d’utilisation de
la TVA à des fins de relance conjoncturelle par la consommation ou encore de baisses
temporaires de TVA ne sont mises en avant. Au demeurant, la
TVA n’est pas un
instrument de régulation conjoncturelle efficace, puisque selon les études académiques,
l’élasticité de s
es recettes par rapport au
PIB est quasi unitaire et qu’en l’absence de
modulation de ses taux ou de son assiette elle a un effet faible de stabilisation
automatique
34
. Au contraire, la TVA a été conçue avec
l’
objectif premier de procurer aux
administrations
publiques
des
ressources
financières
dynamiques
(cf. section I.I.A
supra
).
De fait, une baisse de
TVA est moins efficace que d’autres outils de relance
budgétaire.
Selon le modèle de macro-simulation
Mésange
de la direction générale
du Trésor,
une baisse de TVA est significativement moins efficace pour relancer la
consommation des ménages et l’investissement privé que d’autres outils classiques, pour
un montant de stimulus budgétaire égal. Ainsi, une baisse de 2 points de TVA en France
a pour effet une augmentation de 0,16 % du
PIB au bout d’un
an, alors que les outils
alternatifs que sont la
CSG, la dépense publique et l’investissement public permettent
des hausses du PIB de respectivement 0,20 %, 0,39 % et 0,66
% au bout d’un an. Au
bout de deux ans, les
écarts d’efficacité se maintiennent, voire s’accentuent
(cf. tableau 4
). Ce résultat s’explique notamment par des multiplicateurs budgétaires
plus importants que les multiplicateurs fiscaux dans le modèle de référence utilisé.
Tableau 4 : Effets à
2 ans d’une baisse du taux normal de
TVA de 2 points ou de
mesures de coût équivalent (en %)
Facteur
macroéconomique
TVA
CSG
Dépense
publique
Investissement
public
PIB
+ 0,33
+ 0,42
+ 0,53
+ 0,69
Consommation des
ménages
+ 0,52
+ 0,84
+ 0,68
+ 0,45
Investissement
+ 0,68
+ 0,81
+ 0,98
+ 3,49
Revenu des ménages
+ 0,55
+ 0,93
+ 0,79
+ 0,49
Solde primaire des APU
(points de PIB)
- 0,18
- 0,25
- 0,16
- 0,13
Source
: CPO, d’après Més
ange 2017 (DG Trésor).
Les études empiriques sur les mesures prises en Europe depuis 2008
révèlent des effets limités pour un coût élevé.
Ainsi, les effets d’une baisse temporaire
de TVA sur la croissance économique sont réels,
même si leur ampleur est l’
objet de
débats dans les cas britannique (2008-2009) et allemand (2020).
La baisse temporaire
de TVA de 2020 en
Allemagne aurait permis d’
augmenter de 26
Md€ la consommation
totale des ménages (Bachmann
et al.
, 2022), soit environ 1,6 % de la consommation
totale des ménages allemands. L
’ampleur
des effets de cette mesure ne fait cependant
34
Cf.
pour plus de détails, en particulier sur l’ét
ude Lafféter et Pak, 2015, page 30 du rapport
particulier n° 4 « La taxe sur la valeur ajoutée comme outil de politique économique » (G. Bianquis,
I. Salin et R. Mir).
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
44
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
pas consensus : Jaravel
et al.
(2021) montrent que son effet sur la croissance économique
a été marginal. Le recours à des baisses temporaires de
TVA s’es
t, de plus, avéré très
coûteux : la baisse temporaire de TVA de six mois mise en place en Allemagne a
coûté 7
Md€, soit
1,9 % du budget fédéral annuel ou encore 0,2 % du PIB allemand
de 2020. Ainsi, une baisse temporaire de
TVA érode fortement les recettes fiscales d’un
État sans pour autant être très efficace.
Cinq facteurs au moins peuvent expliquer l’impact limité d’une baisse temporaire
de TVA : des comp
ortements d’épargne «
ricardiens », liés au fait que les agents
anticipent que le creusement du déficit public présent entraînera une hausse des impôts
pour le financer à l’avenir
; un taux de répercussion sur les prix limité ; la faible
élasticité-prix de certains produits
; un effet d’éviction externe, c’est
-à-dire la
consommation de biens importés qui bénéficient aussi de la mesure
; l’incertitude,
particulièrement élevée en période de crise, qui vient affecter la demande.
C -
Dans le contexte post-
Brexit,
les enjeux de compétitivité
justifient, en revanche, de moderniser le régime de TVA du
secteur financier
L’exonération des activités bancaires, financières et d’assuranc
e constitue
une spécificité du régime de TVA européen.
Des règles particulières s’appliq
uent aux
entreprises du secteur financier : en raison des difficultés à calculer la production des
services financiers, les règles françaises et européennes ont prévu dès l’origine une
exonération de ces opérations. Ce traitement spécifique du secteur financier continue de
faire débat sous trois angles
: ce régime n’a pas été modifié depuis l’
origine, alors que le
rôle de la finance dans l’économie et son fonctionnement ont connu une transformation
profonde depuis lors ; les entreprises supportent une fraction de
TVA amont qui n’est
pas déductible et qui constitue une charge croissante à raison des évolutions
technologiques récentes (par exemple, investissements informatiques des opérateurs,
soumis à TVA)
; s’y ajoutent des interrogations autour de l’équité
et de la juste
contribution des services financiers au budget des États membres.
De ce fait, un projet de réforme avait été présenté par la Commission européenne
en 2008, sans aboutir. Il pourrait être relancé, car cette thématique faisait partie du plan
d’action pour une fiscalité équitable et simplif
iée présenté en juillet 2020. Une
consultation publique a même été lancée,
mais aucune proposition législative n’a été
formulée à ce jour. L
e contexte actuel d’augmentation des taux d’inté
rêt rend plus
difficile une éventuelle suppression de
l’exonération des services financiers, qui pourrait
renchérir le coût du crédit pour les opérations « BtoC ».
Les règles de territorialité applicables n’excluent pas toute concurrence
fiscale entre pays européens ou avec des États tiers.
Avec la dématérialisation des
services financiers, ceux-ci peuvent être aisément réalisés de façon transfrontalière, par
un prestataire établi dans un État à destination d’un client
(assujetti ou non établi dans
un autre État). Dans ce cadr
e, peut jouer une concurrence fiscale entre pays de l’UE ou
avec des États tiers visant, pour chaque État, à assurer la compétitivité de sa place
financière.
Les services financiers « BtoC » sont en effet taxables, sur la base du principe
d’origine, dans l’État du prestataire de services. Dès lors, les États peuvent être engagés
dans une concurrence fiscale directe portant sur les taux applicables aux services
financiers « BtoC » non-exonérés
–
par exemple les services de conseil financier fournis
à des particuliers. Les services financiers « BtoB » sont taxables selon le principe de
destination, dans l’État du preneur du service. Dans ce cas, la directive TVA encadre en
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
45
principe les droits à déduction que l’État du prestataire peut lui accorder sur une tel
le
opération transfrontalière. Ce régime est néanmoins vulnérable à la concurrence fiscale
menée par des États tiers, non sou
mis à la directive, voire par d’autres États de l’UE
lorsqu’ils accordent à leurs acteurs financiers des arrangements pratiques des
tinés à
limiter leur rémanence de TVA.
Dans le contexte actuel post-
Brexit
, le régime de TVA du secteur financier
pourrait être modernisé.
En effet, des réflexions sont en cours au Royaume-Uni sur la
réforme des exemptions des services financiers post-
Brexit
afin de renforcer la
compétitivité du secteur,
première source d’exportation de services du pays. Dans le
cadre du budget pour 2020, le Trésor britannique (
HM Treasury
) a annoncé une révision
du régime des fonds britanniques et une réflexion plus large sur l'avenir de la TVA. Dans
ce contexte, compte tenu de la sensibilité à la fiscalité des choix de localisation de filiales
étrangères dans la finance
35
, le régime de TVA du secteur financier pourrait être
modernisé selon deux axes
: l’actualisation, au ni
veau européen, du périmètre et des
notions du régime d’option (cf.
encadré 13)
; une réflexion sur l’usage des règles
d’exonération avec droit à déduction à des fins compétitives, qui pourrait être condui
te
dans le cadre de l’OCDE.
Encadré 13
: Régime d’option et régime de groupe
TVA dans le secteur financier
Les entreprises du secteur financier ont accès à deux régimes de TVA qui
prennent de l’ampleur
:
▪
le régime d’option
: ave
c l’Allemagne, la France se singularise au sein
de l’UE par un droit d’option pour la taxation large
, ouvert aux acteurs
financiers. Pour les activités bénéficiant de l’option et assujetties, les
rémanences supportées par les opérateurs diminuent (car la TVA sur ces
opérations devient déductible), de même que la taxe sur les salaires (TS)
qu’ils acquittent (due au titre des activités non assujetties à la
TVA)
36
.
Alors que l’option s’appliquait de manière «
globale » à toutes les
opérations réalisées par l’assujetti et éligibles au droit d’option, la loi de
finances pour
2022 a fait évoluer ce régime en permettant d’exercer
l’option
, opération par opération. Si on peut attendre de cette évolution
qu’elle permette
une gestion plus fine des rémanences, son périmètre et
les notions employées n’ont pas été substantiellement modifiés
depuis 1979 et pourraient être actualisés ;
▪
le régime de groupe TVA :
contrairement à ses voisins, la France n’a
vait
jamais utilisé la faculté ouverte par la directive TVA de créer un régime
de groupe ou d’assujetti unique. À
la suite d’un
arrêt de la CJUE qui a
remis en cause le régime des groupements de moyens, la France a
instauré ce régime de groupe en LFI pour
2021, susceptible d’être
adoptée par toutes les entreprises. Ce régime constitue un bon substitut,
car il élimine la taxation à la TVA de la fourniture de services intra-
groupe concourant à des opérations exonérées, et une adoption large de
ce régime est anticipée par les groupes bancaires et d’assurance.
Toutefois, la majorité des entreprises des autres secteurs ne sont pas en
mesure d’adopter ce régime du fait de son impact sur la
TS dont elles
deviennent redevables. L
a constitution d’un «
groupe TS », qui
permettrait de neutraliser cet effet, pourrait être envisagée.
35
Conseil d’analyse économique,
2017, « Brexit : saisir les opportunités et limiter les risques dans la
finance ».
36
CPO, 2013, « Les prélèvements obligatoires et les entreprises du secteur financier », p. 128 et s.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
46
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Recommandation n° 6 : Moderniser le régime de TVA du secteur financier en
actualisant le périmètre et les notions du régime d’option et en conduisant une
réflexion sur l’usage des règles d’exonération avec droit à déduction à des fins
compétitives.
II - Une baisse de la TVA ne constitue pas une solution
pérenne au choc énergétique et à l’inflation qu’il génère
A -
À la différence de ses voisins européens, la France a privilégié
d’autres instruments que la
TVA en réponse au choc énergétique
Face au choc énergétique, de nombreux États européens ont adopté des
baisses de TVA sur les énergies pour contenir la hausse des prix pour les ménages.
Ainsi, 20 des 27
États membres de l’UE
ont eu recours à des baisses de TVA sur le gaz,
l’électricité ou les combustibles pour en diminue
r les prix (cf. figure
1), ce qui n’a pas
été le cas en France. La majeure partie des mesures se concentre sur le gaz, qui
représente un cinquième du mix énergétique européen, et fait directement suite à
l’invasion de
l’
Ukraine par la Russie et à la déstabilisation des marchés européens du
gaz qui s’en est suivie. Ces mesures se sont le plus souvent accompagnées de baisses des
fractions d’accise sur les énergies.
Dans un deuxième temps, certains gouvernements ont mis en place des mesures
ciblées de soutien
au revenu des ménages. En effet, la hausse des prix de l’énergie se
répercute davantage sur les ménages les plus modestes
: les dépenses d’énergie
représentent 12,7 % des dépenses de consommation des ménages du premier décile de
niveau de vie, contre 9,5 % pour le dernier.
Figure 1 : Mesures de réduction de
TVA dans le secteur de l’énergie dans l’UE à
28
Source : CPO.
En France, le « bouclier tarifaire »
a protégé l’ensemble des ménages face
à la hausse des prix de l’énergie.
Le Gouvernement a, en effet, mis en place des mesures
visant à baisser leur prix pour les consommateurs par un « bouclier tarifaire » sur les prix
du gaz, de l’électricité et des carburants (cf.
encadré 14), et à soutenir le revenu des
ménages vulnérables, notamment par un chèque énergie exceptionnel versé à 12 millions
de ménages. Au total, le coût net de l’ensemble des mesures exceptionnelles annoncées
Début de la guerre
en Ukraine
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
47
fin septembre
2022 pour faire face à la hausse des prix de l’énergie s’élève à
22,1
Md€
en 2022 et leur coût prévisionnel à 17,3
Md€ en
2023. D’après les analyses de l’OFCE
(E. Heyer et X. Timbeau, 2022), le « bouclier tarifaire
» sur les prix de l’énergie
permettrait de réduire l’inflation de
2,1 points en 2022 et de 3,6 points en 2023. Au-delà
de ces mesures, la question s’est posée, dans le débat public, de l’opportunité d’une
baisse de la TVA sur les énergies comme ailleurs en Europe.
Encadré 14 : Le « bouclier tarifaire » mis en place en France
Le « bouclier tarifaire
» porte sur les prix du gaz, de l’électricité et des
carburants :
▪
pour le gaz, le bouclier tarifaire prend la forme d’un gel des tarifs
réglementés de vente
(TRVg) d’Engie à leur niveau du mois
d’octobre
2021 et jusqu’au
1
er
janvier 2023. En avril 2022, le bouclier a
été étendu aux logements chauffés par un chauffage collectif au gaz ou
par un réseau de chaleur urbain au gaz naturel. Pour 2023, le
gouvernement a annoncé la prolongation de la mesure avec une hausse
du prix du gaz gelée à 15 % ;
▪
pour l’électricité, la hausse des tarifs réglementés a été plafonnée à
4 %
le 1
er
février 2022. Cette mesure repose sur la baisse de la taxe intérieure
sur la consommation finale d’électricité
(TICFE) ainsi que sur
l’augmentation du volume d’
électricité nucléaire vendu à bas coût
par
EDF à ses concurrents. De même, l’augmentation des tarifs
réglementés de vente d
’
électricité devrait être plafonnée à 15 %
en 2023 ;
▪
pour le carburant, le Gouvernement a introduit une remise sur les prix du
carburant
d’un
montant
de 18
ct€/l
TTC
fin mars 2022,
portée
à 30
ct€/l
TTC du 1
er
septembre au 15 novembre 2022 et à 10
ct€/l
TTC
du 16 novembre au 31 décembre 2022.
B -
Une baisse de la TVA ne suffirait pas à limiter la hausse des
prix de l’énergie
ni à protéger le pouvo
ir d’achat des ménages les
plus vulnérables
Les effets d’une baisse de la
TVA peuvent être comparés aux deux principales
mesures mises en place pour soutenir les ménages face à la hausse des prix de l’énergie
:
le « bouclier tarifaire », et le chèque énergie qui apporte un soutien complémentaire ciblé
sur les ménages modestes.
Rapportée au niveau de vie, une baisse de la TVA a un effet plus limité que
le « bouclier tarifaire ».
En effet, une baisse du taux de TVA à 10
% sur le gaz et l’électricité, par ex
emple,
aurait un effet sur le prix de l’électricité trois
fois inférieur à celui du « bouclier
tarifaire », et deux fois inférieur pour le prix du gaz. Pour un ménage médian, une baisse
de
TVA réduit le taux d’effort
37
de 0,4 point, contre 1,2 point pour le « bouclier
tarifaire ». Pour les ménages modestes, ceux qui appartiennent au premier décile de
revenu, cet écart est encore plus marqué, de l’ordre de 0,9
point pour une baisse de
la TVA, et 3,1 points pour le « bouclier tarifaire ». Plus efficace, le « bouclier tarifaire »
37
Défini comme les dépenses d’énergie
hors carburants rapportées au revenu.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
48
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
est aussi trois fois plus coûteux qu’une baisse de taux de
TVA à 10 % sur le gaz et
l’électricité
; mais une baisse au taux de 5,5 % aurait un impact toujours deux fois
inférieur au « bouclier tarifaire ».
Graphique 10 :
Taux d’effort en
2019 et 2022 selon plusieurs scénarios par déciles de
niveau de vie
Source : CGDD, modèle Prometheus.
Note de lecture :
Le taux d’effort des ménages modestes (1
er
décile en niveau de vie) en 2019 serait de
près de 10 % ; en
2022, en l’absence d
e mesures, il serait de près de 15 %. Après application du
« bouclier tarifaire », il serait de près de 12 %. Avec une baisse de
TVA il serait de l’ordre de 14 %.
Au final, l’ensemble des ménages subissent une hausse de leur facture
énergétique malgré la mise en place du « bouclier tarifaire », mais celle-ci est plus
marquée pour les ménages modestes
: la part des dépenses d’énergie rapportée au niveau
de vie (ou taux d’effort) s’accroît ainsi de
1,4 point pour les ménages du premier décile
contre 0,3 point pour le dernier décile. Cette situation justifie des mesures
complémentaires visant à soutenir les ménages les plus vulnérables face à la hausse du
prix de l’énergie.
Le chèque énergie « ordinaire »
38
protège davantage les ménages modestes
qu’une baisse de
TVA
pour un coût moindre pour les finances publiques.
La baisse
de
TVA n’est pas un outil redistributif pertinent dans la mesure où le bénéfice dépend
de la valeur consommée et non, comme pour le chèque énergie, du niveau de vie : ainsi,
le bénéfice, en euros, associé à la baisse du taux de
TVA sur le gaz et l’électricité s’élève
à 130
€ pour le dernier décile contre
82 à 84
€ pour les trois premiers déciles
; à l’inverse,
le gain associé au chèque énergie s’élève à
174
€ pour le prem
ier décile, à 54
€ pour le
deuxième décile et est inférieur à 20
€ pour les déciles suivants (cf.
graphique 11).
38
La simulation présentée dans ce rapport est réalisée sur la base du chèque énergie
« ordinaire » versé chaque année à 5,8 millions de ménages modestes, et non du chèque énergie
exceptionnel de décembre 2022.
0%
5%
10%
15%
D1
D2
D3
D4
D5
D6
D7
D8
D9
D10
Taux d'effort 2022 sans mesure
Taux d'effort 2022 avec baisse de la TVA à 10%
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
49
Graphique 11 : Bénéfice comparé sur les dépenses énergétiques entre une baisse
de
TVA et le chèque énergie (en €)
Source : CGDD, modèle Prometheus.
Le chèque énergie cumulé au « bouclier tarifaire » permet de protéger le premier
décile face à la hausse des prix de l’électricité et du gaz. En effet, le taux d’effort
de ce
décile s’élèverait à
10,4
% après l’application de ces deux mesures
, soit un niveau
identique à 2019 (cf. graphique 12). De plus, le chèque énergie permet une diminution
du taux de précarité énergétique
39
plus importante que la baisse de TVA, de 0,2 point de
pourcentage. Moins ciblée, la baisse de TVA est en outre plus coûteuse : le coût
budgétaire de la baisse du taux de TVA à 10
% sur le gaz et l’électricité est de
2,7
Md€
contre
0,7 Md€ pour le chèque énergie.
Graphique 12
: Taux d’effort après blocage des prix et chèque énergie (en
% du
niveau de vie)
40
Source : CGDD, modèle Prometheus.
Note de lecture : En 2022, après application du « bouclier tarifaire »
, le taux d’effort du premier décile
de niveau de vie s’élève en moyenne à
11,8 % ;
après prise en compte du chèque énergie ce taux s’élève
à 10,4 %. Sans « bouclier tarifaire » ni chèque énergie, la hausse serait de 14,9 %.
39
Un ménage est considéré en précarité énergétique lorsque son taux d’effort énergétique est
supérieur à 8
% et qu’il appartient aux
30 % des ménages les plus modestes.
40
La simulation présentée n’intègre pas le chèque énergie exceptionnel et le chèque bois de décembre
2022, ou encore l’indemnité carburant de 2023, de ce fait les taux d’effort réels diffèrent de ceux
présentés.
82
80
84
88
89
91
94
101
108
130
174
54
19
5
2
1
1
0
1
1
0
50
100
150
200
D1
D2
D3
D4
D5
D6
D7
D8
D9
D10
Part de la hausse empêchée par la baisse de TVA qui s'ajoute au blocage des prix
Part de la hausse empêchée par le chèque énergie qui s'ajoute au blocage des prix
11,8%
7,5%
6,2%
5,2%
4,7%
4,1%
3,7%
3,4%
3,0%
2,0%
10,4%
7,2%
6,1%
5,2%
4,7%
4,1%
3,7%
3,4%
3,0%
2,0%
14,9%
9,4%
7,7%
6,6%
5,9%
5,1%
4,6%
4,2%
3,7%
2,5%
0%
2%
4%
6%
8%
10%
12%
14%
16%
D1
D2
D3
D4
D5
D6
D7
D8
D9
D10
Blocage de prix
Blocage de prix et chèque énergie
Hausse de prix sans mesures
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
50
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
En conclusion, le chèque énergie permet de réduire davantage le nombre de
ménages en situation de précarité énergétique pour un coût pour les finances publiques
quatre fois moins élevé qu’une baisse de la
TVA de 20 % à 10 % sur le gaz et
l’électricité. Cette situation tient au fait qu’à la différence d’une baisse de
TVA, qui
profite à tous les ménages, il s’agit d’un instrument ciblé. Le chèque énergie est aussi
plus vertueux au point de de vue environnemental
, dans la mesure où il limite l’aide à un
montant de dépenses énergétiques donné.
Le soutien aux dépenses énergétiques des ménages ne doit pas remettre en
cause l’atteinte des
objectifs environnementaux nationaux.
La France s’est
notamment engagée à réduire ses émissions brutes de gaz à effet de serre (GES) de 40 %
(hors secteur des terres et des forêts) en 2030 par rapport à 1990, objectif qui doit être
rehaussé dans le cadre du paquet européen «
Ajustement à l’
objectif 55 » (
Fit for 55
)
à -50 % (et -55 %
en émissions nettes). Or, si des mesures d’urgence sont justifiées à
court terme face à la forte volatilité des prix de l’énergie, elles ne doivent pas brouiller
le signal-prix pour le consommateur, au risque de décourager des investissements
« verts » en faveur de la rénovation énergétique et
de l’acquisition de
véhicules
électriques. Elles ne peuvent donc être que temporaires et centrées sur les ménages
modestes. Quant au coût pour les finances publiques, il est mécaniquement plus élevé
pour un dispositif non ciblé qui tend à bénéficier aussi aux gros consommateurs,
susceptibles d’appartenir aux derniers déciles de la distribution des revenus. En cela, les
mesures de régulation des prix conduisent à une impasse à moyen terme
41
.
Constat n° 4 : À court terme, le chèque énergie est plus efficace et plus efficient
qu’une baisse de
TVA pour protéger temporairement les ménages modestes face à
la hausse des prix de l’énergie.
C -
Une réflexion générale sur la fiscalité des énergies apparaît
nécessaire
S’il existe un la
rge éventail de politiques publiques pour lutter contre le
changement climatique, une meilleure prise en compte du signal-prix du carbone
fait consensus parmi les économistes.
À ce titre, une tarification du carbone,
a fortiori
si elle prend la forme d’
une augmentation de la fiscalité sur les énergies carbonées,
constitue un outil pertinent pour inciter les ménages à réduire leur consommation en
énergies carbonées. Les études empiriques montrent qu’une hausse des prix du carburant
de 10 % se traduit, à long terme, par une baisse de la consommation comprise entre 5 %
et 12 % (cf. Labandeia
et al.
, 2017). Celle-ci serait plus marquée si la hausse du prix
provenait
d’une augmentation de la tarification carbone,
celle-ci ne paraissant toutefois
socialement accep
table qu’à condition de réutiliser tout ou partie de ses recettes pour
soutenir les ménages financièrement vulnérables et réduire le prix des énergies
alternatives, comme l’a
montré le CPO dans ses rapports de septembre 2019
et février 2022.
41
Cf. pour plus de détails sur la TVA face au choc énergétique, rapport particulier n° 5 : C. Grégoire
et P-A. Veillon, 2022, « La taxe sur la valeur ajoutée face aux défis socioéconomiques ».
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
51
La structure d
e la fiscalité de l’énergie présente des incohérences au regard
de cet objectif.
La fiscalité des énergies hors TVA (44
Md€ en
2020) est composée
à 90
% de l’accise sur l’énergie, subdivisée en cinq fractions regroupant les anciennes
«
taxes intérieures de consommation
». À
cela, s’ajoute la
TVA sur les consommations
finales d’énergie,
qui obéit à un régime dual avec l’application du taux réduit à
5,5 %
aux abonnements d’électricité, de gaz et de chaleur et du taux normal
de 20 % aux
fournitures d’énergie hors abonnement
42
.
Outre sa complexité, cette structure présente plusieurs incohérences avec les
objectifs environnementaux nationaux. En particulier, les tarifs des accises ne permettent
pas d’établir une corrélation
entre la charge fiscale et la contribution au réchauffement
climatique des différentes sources d’énergie. Ainsi, l’électr
icité demeure en moyenne
taxée à un niveau plus élevé que le gaz naturel, soit plus de 30
€ contre moins de
10
€
par mégawattheure (cf. graphique 13). De plus, plusieurs taux réduits de TVA favorisent
la
consommation d’énergie
s carbonées (cf. section II.III.C
infra
).
Pour remédier à cette situation, une réflexion générale apparaît nécessaire sur la
fiscalité des énergies dans deux directions complémentaires : la mise en cohérence de
la TVA
et
des
accises
avec
les
objectifs
environnement
aux
d’une
part
(cf. section II.III.B
infra
s’agissant de la
TVA), le soutien aux ménages en situation de
précarité énergétique d’autre part.
Graphique 13 : Niveau de taxation effective des différen
tes sources d’énergies
Source
: CPO, d’après la direction de la législation fiscale
(DLF) et le service des données et études
statistiques
(SDES) du ministère de l’environnement.
42
Pour les abonnements d’électricité, le taux réduit ne s’applique que lorsque la p
uissance souscrite
est inférieure ou égale à 36 kilovoltampères. La fourniture de chaleur peut toutefois bénéficier du
taux réduit à 5,5
% lorsque le réseau de chaleur utilise plus de 50 % d’énergie renouvelable ou de
récupération.
323
299
202
99
76
59,4
30,1
9,3
74,6
13,4
0
10
20
30
40
50
60
70
80
0
50
100
150
200
250
300
350
Gazole, y compris
bio incorporé (TWh)
Électricité (TWh)
Gaz naturel, y
compris bio injecté
(TWh-PCi)
Essence, y compris
bio incorporé (TWh)
Combustibles
pétroliers (TWh)
Assiette (TWh Pci)
Taxe (€/MWh)
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
52
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Plusieurs scénarios d’évolution de la fiscalité française des énergies
pourraient être envisagés en tenant compte des exigences du cadre européen.
En
cours d’examen au Conseil, la proposition de révision de la directive relative à la taxation
de
s produits énergétiques et de l’électricité vise à renforcer l’harmonisation fiscale e
ntre
États membres et à mettre en cohérence la fiscalité énergétique avec la réduction de 55 %
des émissions de GES en 2030 (cf. encadré 15). À la date de parution du présent rapport,
cette proposition de
révision, soumise à la règle de l’unanimité, ne fait toutefois pas
l’objet d’un consensus entre les États membres.
Encadré 15 : La révision de la directive relative à la taxation des produits
énergétiques
La proposition initiale de révision de la directive relative à la taxation des
produits énergétiques et de l’
électricité introduit un principe de mise en
cohérence des différentes accises avec les objectifs du paquet « Ajustement
à l'objectif 55 » (
Fit for 55
), principalement au travers de trois principes :
▪
l’interdiction faite aux États membres de différencier les niveaux de
taxation des énergies fossiles ;
▪
l’obligation de respecter une hiérarchie environnementale,
tendant à
taxer les produits fossiles davantage que les biocarburants et ceux-ci
davantage que l’électricité ;
▪
l’obligation de taxer certains produits hors du champ de la
réglementation actuelle, par exemple le bois de chauffage utilisé dans les
grandes installations ;
▪
une refonte de tous les régimes sectoriels favorables (aérien, maritime et
fluvial, agriculture, etc.) pour les rendre plus simples (interdiction de
démultiplier
les
tarifs),
moins
favorables
(remplacement
des
exonérations par des tarifs réduits) et plus cohérents.
L’application de ces principes exig
erait de la France deux ajustements
structurels majeurs
: d’une part, le rattrapage gazole
-essence et combustibles
fossiles-
électricité, d’autre part, la mise en conformité des régimes sectoriels
favorables à l’industrie, soit
près de 30 régimes fiscaux différents sans
cohérence d’ensemble.
Quelle que soit
l’issue des négociations européennes,
la refonte de la structure
des accises et de la
TVA au profit d’une taxation à terme défavorable aux combustibles
fossiles reste possible en sortie de « bouclier tarifaire » au plan national. Les objectifs de
réduction des émissions de
GES, de même que le droit européen, en matière d’accises
comme de
TVA, suggèrent une taxation de l’électricité
moindre que celle des produits
fossiles.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
53
Outre la suppression des taux réduits de TVA sur le bois de chauffage et le gaz
en application du droit européen (cf. section II.III.B
infra
), il pourrait ainsi être étudié
un scénario de convergence des tarifs des accises sur l’électricité et le gaz réalisée à
budget constant
43
dans le cadre de trajectoires
qui auraient l’avantage d’offrir
de la
visibilité aux acteurs
44
.
Cet alignement des tarifs d’accise pourrait être l’occasion d’unifier les taux
de TVA applicables
aux offres de gaz, d’électricité, de bois et de chaleur
45
en les fixant
au taux normal de 20 %, mettant ainsi fin à un risque contentieux devant la CJUE. Dans
ce cas, la baisse des tarifs de la fraction d’accise sur l’électricité serait en partie
compensée par la hausse de la TVA sur la part abonnement.
In fine
, cette correction de
la structure des accises pourrait s’accompagner d’une hausse progressive des tarifs de la
fraction de l’accise applicable au gaz, sous réserve du financement de mesures de soutien
à la décarbonation et de compensations ciblées.
L’accompagnement de to
us les acteurs économiques, ménages comme
entreprises, devrait reposer, avant tout, sur des incitations structurelles à la
décarbonation.
Face aux hausses prévisibles et durables des prix de l’énergie, il
convient d’accompagner les acteurs économiques, mén
ages comme entreprises, dans la
décarbonation en les encourageant à réduire dans la durée, et non uniquement en période
de hausses subites, leurs consommations énergétiques, en particulier carbonées, et en
soutenant leurs investissements ciblés dans des équipements moins émetteurs de GES.
Dans ce contexte, le recours à la fiscalité de l’énergie dans une logique incitative
suppose un soutien temporaire au pouvoir d’achat des ménages modestes. En particulier,
les recettes associées à une hausse du prix du ca
rbone, qu’elles proviennent d’une taxe
carbone ou d’une extension du système d’échange de quotas d’émission
(SEQE) de
l’UE, doivent être au moins en partie redistribuées sous la forme d’aides forfaitaires aux
ménages les plus modestes
46
.
Recommandation n° 7 : Conduire une réflexion générale sur la fiscalité des
énergies visant la mise en cohérence de la TVA et des accises avec les objectifs
environnementaux nationaux.
43
Le tarif commun d’accise sur l’électricité et les combustibles fossiles devrait être fixé à
environ 18,5
€/MWh contre
8,45 €/MWh sur le gaz naturel combustible et au moins
20 €/MWh sur
l’électricité aujourd’hui (source DLF).
44
De tels alignements conduiraient à (i) un transfert de charge fiscale des ménages se chauffant à
l’électricité vers les ménages se ch
auffant au gaz, au fioul domestique, au GPL et au bois, et (ii) un
effet différencié sur les particuliers et les entreprises, l’écart entre les niveaux de taxation de
l’électricité et du gaz étant supérieur pour les premiers que pour les secondes.
45
Le ma
intien d’un soutien fiscal à la chaleur renouvelable pourrait passer par une extension à la
chaleur de la taxe incitative
relative à l’utilisation d’
énergie renouvelable dans le transport
(TIRUERT).
46
CPO, M. Clément, A. Godzinski, I. Vincent, 2019, « Les effets économiques de la fiscalité
environnementale sur les ménages et les entreprises ».
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
54
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
III - La
TVA est moins efficace que d’autres outils pour
relever les défis socio-économiques de long terme
A -
Face aux inégalités de revenu, des transferts ciblés doivent être
préférés à une baisse de la TVA sur les produits de première
nécessité
La TVA est un impôt régressif
,
au sens où sa part dans le revenu des
ménages est plus élevée pour les ménages modestes.
En effet, le montant de TVA
rapporté au revenu disponible annuel décroît avec le niveau de vie : il représente 12,5 %
du revenu disponible du premier décile contre 4,7 % pour le dernier décile. Entre le
deuxième et le neuvième décile, les écarts sont moins marqués, et ce ratio décroît
de 9,5 % à 7,5 %. Le caractère régressif de la
TVA s’explique entièrement par la
propension à consommer, c’est
-à-dire la part de la consommation dans le revenu, plus
élevée pour les ménages modestes. Toutefois, la
consommation différée d’une partie de
l’épargne nuance ce constat
47
: une analyse sur l’ensemble du cycle de vie, qui neutralise
les effets des variations de l’épargne sur la consommation, confirme le caractère régressif
de la TVA, mais celui-ci se trouve réduit de près de moitié. Cette analyse devrait être
prolongée pour établir un bilan complet en prenant en compte le fait
que l’épargne
accumulée tout au long du cycle de vie,
qui n’est pas
soumise à la TVA, a vocation à
être taxée lors de sa transmission par la fiscalité des donations et des successions.
Les effets de la TVA doivent toutefois être mis en regard des effets
redistributifs du système socio-fiscal français pris dans son ensemble.
De précédents
travaux du CPO
48
ont souligné l’importance de tenir compte de l’ensemble des
prélèvements, des transferts et des dépenses publiques dans l’étude de la redistribution.
En effet, les effets redistributifs des prélèvements obligatoires sont cumulatifs et le
caractère régressif d’un prélèvement peut être totale
ment neutralisé par un autre
prélèvement. Par ailleurs, la contrepartie des prélèvements fiscaux et sociaux consiste en
des transferts monétaires ou en nature (santé, éducation, action sociale et logement) ainsi
qu’en des
dépenses collectives, qui induisent eux-mêmes des effets redistributifs.
À cet égard, il apparaît clairement que le caractère anti-redistributif de la TVA
est plus que compensé par les transferts monétaires, en particulier les prestations sociales
qui assurent une progressivité du système socio-fiscal pris dans son ensemble. Le modèle
français s’appuie ainsi
sur les transferts en espèces ou en nature pour corriger les
inégalités et, dans une moindre mesure, sur une fiscalité progressive. Dès lors, comme
le soulignait déjà le CPO en 2022, la principale contribution des prélèvements
obligatoires pour réduire les inégalités provient non pas de leur progressivité «
mais de
leur rôle de financement des transferts sociaux et des services
publics
». À l’inverse de
la France, cette approche holistique des effets de la TVA semble bien intégrée par
l’opinion publique ailleurs en
Europe, notamment au Danemark et en Suède, où cette
imposition ne donne pas lieu à débat.
47
S. Georges-Kot, 2015, «
Annual and lifetime incidence of the value-added tax in France
»,
documents de travail de l’INSEE.
48
CPO, 2022, M. André, « Les prélèvements obligatoires au regard des enjeux redistributifs ».
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
55
Constat n° 5 : La TVA est un impôt régressif, au sens où sa part dans le revenu des
ménages est plus élevée pour les ménages modestes, qui consomment une part plus
grande de leur revenu. Ce constat peut toutefois être nuancé si l’on prend en
considération la consommation différée d’une partie de l’épargne et le fait que la
TVA finance des dépenses qui, pour certaines, bénéficient davantage aux ménages
modestes.
À date, les taux réduits ne contribuent que très marginalement à réduire
les effets régressifs de la TVA.
Les gains liés aux taux réduits de TVA rapportés à la
consommation ne varient
que très peu en fonction du niveau de vie, attestant de l’impact
redistributif limité, voire nul, de la structure de taux. Les taux réduits confèrent par
ailleurs un gain en euros croissant avec le décile de niveau de vie. Ces résultats montrent
la faible pertinence de la TVA comme outil redistributif. En effet, les gains associés à la
baisse du taux de TVA sur une catégorie de produits sont proportionnels au montant
consommé par le ménage. Or, quelle que soit la catégorie de produit hors tabac, le
montant
consommé croît avec le revenu. À l’inverse, la plupart des prestations sous
conditions de ressources sont calculées à partir d’un montant forfaitaire en euros qui
décroît avec les ressources et la composition familiale du ménage.
Une baisse de la TVA ne constituerait pas une mesure efficace pour
soutenir le pouvoir d’achat des ménages modestes.
De nombreuses propositions de
baisse de la TVA sur les produits dits de « première nécessité » sont régulièrement
formulées dans le débat public. L’Espagne a adopté
une telle mesure, de façon
temporaire, au 1
er
janvier 2023, en réduisant pour une durée de six mois le taux de TVA
sur les aliments de première nécessité de 4 à 0
% et sur l’huile et les pâtes de
10 à 5 %.
Cette mesure n’a pas été retenue, à date, par le
Gouvernement en
France, au motif d’une
répercussion incertaine sur les prix.
Au demeurant, même avec une hypothèse de transmission de la baisse de TVA
à hauteur de 80
% au consommateur, cette mesure n’aurait qu’un impact limité sur le
pouvoir d’achat des plus modestes. D’une part, à coût budgétaire équivalent, une baisse
de TVA sur les produits alimentaires, par essence indifférenciée selon le revenu du
consommateur, serait moins efficace que le versement d’une prestation monétaire ciblée,
pour un coût budgétaire identique (cf. graphique 14). Indépendamment de leur
pertinence, les scénarios présentés au graphique 14 attestent du meilleur ciblage des
transferts monétaires, de type prime ou chèque, par rapport à une baisse de la TVA
–
non
ciblée sur certaines catégories de ménages.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
56
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Graphique 14 :
Variation du niveau de vie pour plusieurs mesures de soutien au
pouvoir d’achat (en
% du niveau de vie)
Source
: CPO, d’après données INSEE, DGFiP, IPP. Les montants du chèque et de la prime ont été
calibrés de façon
à avoir le même coût pour les finances publiques qu’une suppression de la
TVA sur
les produits alimentaires, soit 9,4
Md€.
Note de lecture
: Le versement d’un chèque de
1620
€ aux ménages éligibles au chèque énergie
augmenterait de 7,3 % le niveau de vie du premier décile contre une hausse de 1,5 % pour la
suppression de la TVA sur les produits alimentaires.
D’autre part, une modification en profondeur de la structure des taux, par
exemple en appliquant le taux super-réduit de 2,1 % aux produits alimentaires et le taux
normal de 20 % aux services de restauration, ne suffirait pas à atténuer le caractère
régressif de la TVA. Une telle évolution ne réduirait que marginalement (-0,5 point)
l’écart de taux d’effort entre le premier et le dernier décile de niveau de vie, lequel s’élève
à 8 points.
Recommandation n° 8 : Préférer le recours aux prestations sociales et les transferts
monétaires ciblés à une baisse de la
TVA pour soutenir le pouvoir d’achat des
ménages modestes.
B -
Insuffisamment ciblée, la
TVA n’est p
as le meilleur instrument
face aux défis environnementaux et de santé publique
La
TVA est aujourd’hui peu utilisée pour poursuivre des objectifs
environnementaux ou de santé publique.
En France, quatre taux réduits visent
directement à soutenir la transition environnementale, et représentent 9 % des dépenses
fiscales de TVA. Le seul taux réduit de 5,5 % pour les travaux d'amélioration
énergétique des logements représente 90 % du montant de ces quatre taux réduits,
soit 1,76
Md€. En outre, certains produits
de santé et médicaments bénéficient du taux
intermédiaire de 10 % et du taux super-réduit de 2,1 %. En revanche, la TVA ne poursuit
aucun objectif nutritionnel.
Pour autant, il n’existe pas de vision exhaustive de l’impact environnemental
des différents taux réduits de
TVA. En effet, le rapport sur l’impact environnemental du
budget de l’État (ou «
budget vert
») ne procède pas à la cotation de l’ensemble des taux
réduits de
TVA, mais seulement d’une part minime d’entre eux, excluant notamment les
mesures non considérées comme des dépenses fiscales (cf. tableau 5). De ce fait, il
n’intègre pas d’autres mesures susceptibles d’avoir des effets indirects sur
l’environnement, tels que le taux réduit sur les abonnements de gaz, l’exonération sur les
trajets aériens à l’étranger et le taux intermédiaire sur les liaisons aériennes domestiques.
0%
2%
4%
6%
8%
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
Décile de niveau de vie
Chèque de 1620 € pour les ménages éligibles au chèque énergie
Prime individuelle de 250 € (pour les individus avec revenu < 2000€/mois)
Suppression de la TVA sur les produits alimentaires
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
57
Tableau 5 : Taux réduits de TVA évalués dans le « budget vert » 2023
Taux réduit
Montant
en 2021
Cotation
environnementa
le
Taux à 5,5 % pour les travaux d'amélioration énergétique
des logements
1 760
M€
Favorable
Taux à 5,5 % pour les prestations de collecte des déchets
des ménages
82
M€
Favorable
Taux à 5,5
% pour la fourniture d’énergie d'orig
ine
renouvelable
66
M€
Favorable
Taux
à 10
%
pour
l’alimentation
des
animaux
producteurs de denrées alimentaires et aux engrais
utilisables en agriculture biologique
27
M€
Favorable
Sous-total dépenses favorables
1 935
M€
-
Taux à 10 % applicable aux livraisons de bois de
chauffage
157
M€
Mixte
Sous-total dépenses mixtes
157
M€
-
Taux à 10 % pour des opérations du secteur du logement
locatif
198
M€
Défavorable
Taux à 2,10 % pour des opérations du logement social en
Outre-mer
7
M€
Défavorable
Sous-total dépense défavorables
205
M€
-
Source
: CPO, d’après le rapport sur l’impact environnemental du budget de l’État, projet de loi
finances pour 2023.
Cette situation ne permet donc pas d’apprécier la cohérence de l’architecture de
s
taux de TVA avec les objectifs environnementaux de la France. Or, il existe un enjeu
transverse de mise en cohérence du système fiscal avec les engagements
environnementaux souscrits par la France (cf. section II.II.C
supra
), qui mériterait d’être
éclairé par des travaux d’évaluation de l’impact carbone des mesures fiscales, y compris
pour certains taux réduits de TVA qui ne sont pas qualifiés de dépenses fiscales. Il existe
aussi un fort enjeu d’efficience de la dépense publique car, en l’absence d’évaluation des
dépenses fiscales de TVA (cf. section I.III.C
supra
), il est difficile de comparer
l’efficacité des taux réduits visant directement à soutenir la transition environnementale
à celle d’autres mesures visant
le même objectif de politique publique.
Recommandation n° 9
:
Systématiser
l’intégration
de
la
dimension
environnementale dans les évaluations des mesures fiscales, y compris dans le
champ de la TVA.
Au demeurant, le régime dual de
TVA applicable à la fourniture d’énergies sera
amené à évoluer pour se conformer au cadre juridique européen.
En effet, en application
de la directive du 5 avril 2022, le taux réduit de 5,5
% sur l’abonnement aux offres de
gaz naturel et le bois de chauffage devra être supprimé au plus tard le 1
er
janvier 2030,
ce qui devrait procurer des
recettes supplémentaires de l’ordre de
500
M€. Un tel
réaménagement devrait être envisagé dans le cadre d’une réforme en profondeur de la
fiscalité des énergies (cf. section II.II.C
supra
).
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
58
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
L’introduction d’une «
TVA environnementale » se heurte à des obstacles
juridiques et économiques.
La proposition de moduler la
TVA selon l’impact
écologique des biens et services est régulièrement avancée dans le débat public. Or, il
apparaît peu pertinent, et difficile en pratique, de généraliser le principe d’une «
TVA
environnementale », sur le fondement de quatre principaux arguments :
▪
les contraintes du système de taux :
malgré l’assouplissement permis par la directive
du 5 avril 2022, seuls les biens et services recensés par la directive TVA peuvent
bénéficier d’u
n taux réduit incitatif. De plus, la limitation du nombre de taux de TVA
à 5 (dont deux inférieurs à 5 %) fait
obstacle à l’introduction d’un système de bonus
-
malus écologique souple. Au demeurant, s’agissant des produits alimentaires,
ceux-ci sont déjà taxés à 5,5 % en France, ce qui réduit les marges de modulation
possibles ;
▪
le risque juridique posé par le principe de neutralité de la TVA : la jurisprudence de
la
CJUE s’oppose à l’application de taux différents à des produits présentant des
propriétés analogues et répondant aux mêmes besoins du consommateur final. À ce
titre, outre l’absence d’affichage environnemental obligatoire,
il n’est pas certain que
le caractère vertueux pour l’environnement d’un bien ou d’un
service constitue, aux
yeux du consommateur final, une propriété spécifique justifiant, à elle seule,
l’application d’un taux distinct. En découle un fort risque d’insécurité juridique des
taux pratiqués sur ce fondement ;
▪
l’effet
nul
des
taux
réduits
sur
les
opérations
«
BtoB »
:
l’empreinte
e
nvironnementale d’un produit dépend largement de celle de technologies et intrants
entrant dans son processus de production. Or, en application du principe de
déduction de la TVA amont, quel que soit le taux de TVA appliqué à une opération
« BtoB » elle pourra être déduite par le client assujetti. Autrement dit, un taux réduit
portant sur un bien destiné à la consommation intermédiaire des entreprises n’a
aucun impact ;
▪
son coût pour les finances publiques au regard des résultats attendus, c’est
-à-dire une
faible efficience, et le risque d’une concentration du bénéfice du dispositif sur les
ménages les plus aisés.
Les éléments qui précèdent amènent à considérer que les accises
, à condition d’en
réviser
l’architecture,
constituent
des
outils
bien
plus
adaptés
de
fiscalité
environnementale généra
lisé à l’ensemble de l’économie en complément du
SEQE de
l’UE
(cf. section II.II.C
supra
).
Elles ont pour effet, quelle que soit l’étape du circuit de
production à laquelle elles sont prélevées (« BtoB » ou « BtoC »), de produire
l’incidence fiscale souhaitée.
Recommandation n° 10 : Préférer les accises à la TVA comme principal instrument
de fiscalité incitative en matière environnementale.
Plus généralement, les exemples de taux réduits visant des objectifs de long
terme demeurent rares en Europe,
peu d’États s’étant, à ce stade, emparés des nouvelles
possibilités
de
taux
réduits
ouvertes
par
la
directive
du
5
avril
2022
(cf. section I.III.C
supra
). L’Allemagne a ainsi adopté un taux zéro sur l’installation de
panneaux p
hotovoltaïques ainsi qu’un taux réduit à
7 % sur les billets de train. Ces
expériences étrangères tendent néanmoins à montrer que l’efficacité de taux réduits ou
des taux zéro sur des produits identifiés comme « vertueux » peut être très variable. Elle
dép
end de l’élasticité
-
prix de la demande et se heurte aux limites de l’utilisation de
la TVA comme instrument de politique économique, exposées à la section I.III.B
supra
.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
59
Face aux enjeux de santé publique, les spécificités de la fiscalité
nutritionnelle doivent être préservées.
Les contraintes budgétaires tendent à orienter
les consommateurs vers des aliments de forte densité énergétique et riches en sel, sucres
et graisses, là où ce type d’aliments favorise l’obésité et les maladies chroniques. Dès
lors, une baisse du prix relatif des aliments de bonne qualité nutritionnelle permettrait
d’améliorer la santé nutritionnelle de la population, en particulier pour les ménages sous
budget contraint, comme le recommandent l’OMS et l’OCDE.
L’efficacité d’une fiscali
té nutritionnelle, capable
d’influer sur le prix et la
composition des aliments et de promouvoir une alimentation de meilleure qualité,
dépend directement de son ciblage. Le choix qui a été fait en 2012 de mettre en place
deux contributions, l’une sur les boissons sucrées, l’autre sur les boissons édulcorées,
semble à cet égard le plus pertinent. Les possibilités de ciblage de la TVA sont, en
revanche, limitées, y compris en présence d’un
étiquetage nutritionnel de type « Nutri-
score
», qui n’est actuelleme
nt pas obligatoire. Dans ce contexte, il apparaît préférable
de préserver, voire de renforcer, la spécificité de la fiscalité nutritionnelle actuelle en
tenant compte des enseignements des taxes déjà existantes, et de mobiliser les autres
instruments à disposition des pouvoirs publics (marquage alimentaire informationnel par
exemple). À ce titre, le programme national nutrition santé 2019-2023 prévoit
l’évaluation de l’impact de la contribution sur les boissons sucrées, révisée à la hausse
en 2018, sur la d
iversification de l’offre, sur les ventes et les choix des consommateurs.
Recommandation n° 11 : Écarter la modulation des taux de TVA comme
instrument de santé publique en matière nutritionnelle.
C -
Un soutien sectoriel doit être préféré à une baisse de la TVA
pour soutenir les secteurs économiques « sobres »
Plusieurs acteurs, dont la Convention citoyenne pour le Climat, ont proposé
l’application du taux réduit de
5,5 % au transport ferroviaire de voyageurs
,
actuellement soumis au taux intermédiaire de TVA de 10 %. Le transport de voyageurs
figure, en effet, parmi les items de la directive éligibles à un taux réduit inférieur à 5 %,
et
a fortiori
au taux réduit de 5,5 % en
France. L’objectif de cette proposition est
d’inciter les consommateurs à privilégier l
e train pour leurs trajets en diminuant les prix
des billets et, ainsi, de réduire les émissions de GES générées par le transport de
personnes. Le transport ferroviaire constitue en effet l’un des modes de mobilité les plus
sobres du point de vue environnemental. Le coût pour les finances publiques de cette
mesure est estimé à 300
M€ par an.
L’impact d’une baisse de
TVA sur le volume du trafic ferroviaire est
toutefois incertain.
En premier lieu, une baisse de la TVA sur les billets de train, même
répercutée dans les prix, aurait un effet limité sur la fréquentation des lignes opérant déjà
à un niveau proche de leur capacité maximale, comme c’est le cas pour les services de
trains à grande vitesse (TGV). En outre, la transmission de la baisse de la TVA dans les
prix apparaît difficile à estimer
ex ante
, et dépend des modalités d’organisation des
segments ferroviaires, qui sont réglementés (TER et intercités) ou non (TGV). Au
demeurant,
l’absence d’évaluation de la baisse de
TVA sur les billets de train
en
Allemagne ne permet pas, à date, de conclure sur son effectivité. Enfin, l’application
de taux de TVA distincts aux différents modes de transport compliquerait fortement le
traitement fiscal des offres multimodales, dont le développement a été encouragé par la
loi du 24 décembre
2019 d’orientation des mobilités
(LOM).
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
60
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Face à la hausse des prix des billets de train, des mesures de soutien ciblé
apparaissent préférables
pour soutenir les usagers les plus modestes et dépendants.
Dans le prolongement de la tendance observée dans le secteur ferroviaire en 2022, de
nouvelles hausses de prix sont anticipées pour 2023 en raison du renchérissement attendu
des consommations d’électricité. Là où un
e baisse de TVA ne permet pas un soutien
ciblé aux ménages les plus affectés par cette hausse, d’autres outils plus ciblés
mériteraient d’être étudiés, tels qu’une mesure de type «
bouclier tarifaire » ciblée sur
les voyageurs les plus dépendants des transports urbains au quotidien et/ou les plus
modestes, ou la mise en œuvre de forfaits multimodaux au niveau national –
comme
c’est le cas en
Allemagne, depuis le 1
er
janvier 2023, avec le
Deutschlandticket
.
Surtout, l’incitation au report modal ne dépend pas
uniquement de
l’attractivité du prix des billets
, mais aussi d’autres facteurs comme la qualité des
infrastructures et le maillage territorial. En effet, le coût marginal de déplacement en
euros par voyageur pour 100 kms est en moyenne moins élevé pour le train (TGV,
Intercité et
TER) que pour les trajets en voiture empruntant l’autoroute et l’avion hors
compagnies à bas coût (
low cost
)
.
Mais, en dépit du coût marginal déjà moins important
du transport ferroviaire, la part modale de l’automobile demeure ma
joritaire pour les
trajets journaliers et de moins de 500 kms. Ce constat suggère que les choix de report
modal ne s’opèrent pas uniquement sur les prix relatifs des différents modes
de transport,
déjà favorables pour le rail : le maillage territorial, la
qualité de l’offre et la durée des
trajets occupent aussi une place importante dans le choix des usagers. À cet égard,
l’incitation au report modal vers le train suppose de développer un réseau
d’infrastructures ferroviaires local, national et transeuropée
n qui offre une bonne qualité
de service, un maillage territorial adapté et ouvert à la concurrence, ce que ne permettrait
pas de faire une baisse de la TVA.
Constat n° 6
: Des mesures de soutien ciblé, à l’offre et à la demande, apparaissent
préférables à une baisse de la TVA sur les billets de train pour favoriser le recours
au transport ferroviaire.
Des propositions ont aussi émergé, dans le débat public, en vue de
l’application d’un taux réduit à certains services de l’économie circulaire
(cf. encadré 16), sur le modèle de la Suède, qui applique depuis le 1
er
juillet 2022 un taux
réduit de 6 % sur les services de réparation sur le périmètre des vélos, chaussures et
autres articles en cuir, et linge de maison.
Encadré 16
: Le réemploi et la réutilisation, deux composantes de l’économie
circulaire
L’article
L. 541-1-
1 du code de l’environnement distingue
:
▪
le réemploi, qui désigne «
toute opération par laquelle des substances,
matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau
pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus
». Un
produit est ainsi donné ou vendu par son propriétaire initial à un tiers qui,
a priori
, lui donnera une seconde vie ;
▪
la réutilisation, qui désigne «
toute opération par laquelle des
substances, matières ou produits qui sont devenus des déchets sont
utilisés de nouveau
». Elle permet, dès lors, le second usage d’un bien
déjà au stade du déchet.
Conseil des prélèvements obligatoires
La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
61
Or, une baisse de T
VA n’est pas la mesure la mieux adaptée pour
surmonter les freins au développement de l’économie circulaire.
D’abord, la
TVA
ne constitue pas une réponse aux freins non-financiers (appropriation, habitudes,
professionnalisation, etc.) qui continuent de pénaliser la demande pour le réemploi et la
réparation. Ensuite, l’atomisation et les enjeux des acteurs de la réparation et du réemploi
suggèrent un besoin d’accompagnement à la structuration des deux secteurs, que ne
permet qu’indirectement la
TVA (
via
une éventuelle consolidation des marges des
acteurs), ainsi qu’une approche sectorielle et de proximité. Enfin, le degré de
transmission au prix d’une baisse de la
TVA est incertain, compte tenu de la
fragmentation des marchés de la réparation et du réemploi.
Le cadre juridique européen offre par ailleurs des marges de manœuvre
contraintes pour appliquer un taux réduit à ce type d’opérations.
Pour les services
de réparation, d’une part, la directive du
5 avril
2022 a étendu la possibilité d’appliquer
un taux r
éduit aux services de réparation d’appareils ménagers, en plus des chaussures
et articles en cuir, vêtements et linge de maison, et des services de réparation de vélos.
Ne sont cependant éligibles au taux réduit que les services de réparation, et non la vente
de pièces détachées sauf lorsqu’elles sont fournies de manière annexe ou accessoire.
L’application d’un taux réduit à un bien issu du réemploi, d’autre part, n’est possible que
pour les catégories de biens éligibles énumérés par la directive, qui apparaissent
limitées
49
. Cette mesure supposerait par ailleurs
d’instituer un système de traçabilité
afin
de s’assurer que les biens commercialisés au taux réduit ont fait l’objet d’un réemploi
.
E
n l’absence de capacités effectives de contrôle, les risques de fr
aude seraient
significatifs.
Plutôt que la modulation du taux de TVA, le recours à des mesures non-
fiscales mises en œuvre par des éco
-
organismes certifiés a jusqu’ici été privilégié
afin
d’agir de manière ciblée sur l’offre et la demande
, tout en tenant compte des
spécificités des différentes filières (textiles, électroménagers, etc.). À cet égard, trois
innovations de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire
(dite « loi AGEC ») du 10 février 2020 semblent présenter des avantages par rapport à
la TVA
: la mise en œuvre de «
fonds réparation », le système de primes et pénalités
appliquées aux éco-
organismes, et la création d’un fond de réemploi. Un bilan d’étape
de ces mesures législatives, dont la mise en œuvre est encore e
n cours, apparaît
nécessaire avant d’envisager de nouvelles incitations. Plusieurs points d’attention sont
d’ailleurs d’ores et déjà identifiés par des représentants de ces filières
50
.
Constat n° 7 : Le soutien aux services de réparation et de réemploi, ain
si qu’à
l’écoconception des produits, suppose de tenir compte des spécificités de chaque
filière, ce que ne permet pas une baisse de la TVA.
49
On peut identifier notamment les équipements médicaux ou à destination des handicapés, les livres,
les vêtements et chaussures pour enfants ou encore les bicyclettes.
50
Notamment s’agissant du pro
cessus de labélisation des réparateurs éligibles au « bonus
réparation
», du périmètre du fonds de réemploi et de la mise en œuvre du système de primes et
pénalités d’écoconception.
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La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques - février 2023
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LA TVA, UN IMPÔT À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
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Conclusion
Soixante-dix ans après la création de la TVA, dans un contexte marqué par des
crises multiples, par d
es enjeux structurels qui appellent la mise en œuvre de nouvelles
politiques publiques, ainsi que par une forte tension sur les finances publiques,
l’ambition du présent rapport est de contribuer à éclairer le débat public autour du
principal impôt du système fiscal français, qui représente 17 % des prélèvements
obligatoires en 2021, proportion relativement stable depuis 2015.
Les éléments qui précèdent confirment la plasticité de la TVA, dont les
mutations depuis 2015 permettent de poursuivre un objectif
qui n’est plus uniquement la
couverture des dépenses de l’État, mais des administrations publiques dans leur
ensemble
–
État, organismes de protection sociale et collectivités territoriales. Cet
objectif doit être préservé, car la TVA contribue à la progressivité du système
socio-fiscal français dans son ensemble. Le CPO réitère ainsi la recommandation
générale qu’il formulait en
2015 consistant à centrer la TVA sur sa mission de
rendement, par un réexamen des mesures dérogatoires et un renforcement de la lutte
contre la fraude
dans le contexte de la numérisation de l’économie.
Pour autant, les travaux du
CPO montrent qu’il convient de poser des bornes
aux mutations de cette imposition, qui ne pourrait qu’imparfaitement poursuivre en
même temps d’autres obje
ctifs de politique publique. La TVA présente notamment de
faibles possibilités de ciblage de catégories particulières de biens et services ou de
contribuables, et ne constitue pas, de ce fait, le meilleur outil à disposition des pouvoirs
publics pour répon
dre aux conséquences des crises actuelles ainsi qu’aux défis
socio-économiques de long terme que sont les inégalités de revenu ou encore le
changement climatique. Des outils plus ciblés, tels que des transferts, les accises, des
investissements ou la régle
mentation, peuvent permettre d’y répondre de manière plus
efficace et efficiente.
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