Sort by *
Cour des comptes
Le Premier président
Réf.:
n
°:
S 2015 0977 1
à
Monsieur Manuel Valls
Premier ministre
Objet
: l'accueil et l'hébergement des demandeurs d'as
il
e
Le
3 0
JUIL.
2015
La
Cour des comptes, à l'issue de son contrôle sur la politique d'accueil et
d'hébergement des demandeurs d'asile au cours des exercices 2009 à 2013, m'a demandé,
en
application de l'article
R.
143
-1
du code des juridictions financières, d'appeler votre
attention sur les principales observations et recommandations résultant de ses travaux.
La
Cour
a
constaté
que
les
conditions
d'accueil,
d'hébergement
et
d'accompagnement des demandeurs d'asile,
en
vigueur jusqu'à
la
réforme en cours,
n'étaient pas satisfaisantes, en dépit de la forte croissance ininterrompue des dépenses
correspondantes depuis 2009. Les raisons
de
cette situation dégradée sont multiples : une
hausse de la demande d'asile jusqu'en 2013, des délais de procédure qui s'élè
ve
nt à deux
ans environ et une concentration des demandes sur certains territoires,
en
particulier
l'Île-de-France.
Il
en résulte
un
engorgement des centres d'accueil pour demandeurs d'asile
(CADA) et un report sur l'hébergement d'urgence de droit commun, également arrivé à
saturation.
La
Cour a noté les avancées prévues par la réforme de l'
asi
le, préparée par le
ministère de l'intérieur et définitivement adoptée par l'Assemblée nationale
le
15 juillet 2015.
Elle estime, à la lumière de ses constats, que quatre sujets mé
ri
teraient plus particulièrement
votre attention pour que la mise
en
oeuv
re
de la réforme puisse être mieux assurée par
l'administration et les opérateurs concernés et que la politique d'asile soit mieux maîtrisée :
l'enjeu prioritai
re
de la réduction des délais
de
la
procédure
(1),
le pilotage interministériel à
consolider (
Il
), le dispositif d'hébergement spécialisé à rationaliser (Ill) et
la
dilution de
la
politique d'asile à éviter (IV).
13
rue
Cam
bon -
75
1
OO
PARIS
CEDEX
01 - T +33 1 42 98
95
OO
-
www
.ccomptes.
fr
Référé n° S 2015 0977 1 Cour des comptes
2 /
10
1.
UN
ENJEU PRIORITAIRE:
LA
RÉDUCTION
DES
DÉLAIS DE
LA
PROCÉDURE
La
durée de
la
procédure est une des données majeures des conditions de mise
en
oeuvre de
la
politique d
'a
ccueil des demandeurs d'asile.
En
France, le dél
ai
global ju
squ
la
décision de
la
Cour nationale
du
droit d'asile (CNDA) est
de
deux ans en moyenne, sans
prendre en compte les demandes de réexamen, alors que
les
durées moyennes dans
les
autres États européens sont bien inférieures : cette durée est ainsi d'un an en Allemagne.
La
réforme
de
l'asile a pour objectif principal
la
réduction des délais de procédu
re
pour
les
demandes d'asile,
en
visant
un
délai moyen de neuf mois
de
procédure, dont trois
mois à !'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), inscrit dans
le
contrat d'objectifs et de performance
de
l'opérateur, et cinq mois à
la
CNDA, inscrit dans
la
loi. L'objectif est ambitieux, même s'il s'agit de délais moyens, et non maxima, qui
ne
seront
pas sanctionnés
en
cas de dépassement.
Il
est subordonné à d'importants efforts
d'adaptation des principaux acteurs concernés et à des mes
ure
s de clarification pour la
bonne mise en oeuvre de
ces
délais plus contraignants.
Une mobilisation intense des opérateurs
La mise
en
place, dans
le
cadre de
la
réforme,
de
guichets uniques regroupant, sur
un
même lieu, des agents des préfectures pour l'admission au séjour et des agents de
l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFll) chargés de l'ouverture des droits
des demandeurs d'asile et
de
leur hébergement doit, en premier lieu, permettre
le
raccourcissement du délai d'enregistrement des demandes d'asile désormais
fi
à trois
jours, alors qu'il s'élève aujourd'hui à plusieurs mois dans certaines régions.
Le
rappel du
délai variant, selon les régions, entre 1 et 90 jours, avant l'obtention par
le
demandeur d'as
ile
de son premier rendez-vous
en
préfecture, montre l'ampleur des efforts attendus pour tenir
le
nouveau délai. Ils devront être fournis tout
en
menant le
cessaire processus
d'intégration des agents des préfectures et de l'OFll, ainsi que
le
redéploiement
in
terne des
personnels
de
l'Office
en
fonction de ses missions nouvelles.
L'effort est à porter surtout sur l'instruction puis
les
délais d'examen des recour
s.
L'objectif d'un délai d'instruction de
90
jours à l'OFPRA d'
ici
2016 avait été annoncé
dès 2010 sans jamais être atteint : en 2014,
le
délai exécuté a été de 203 jours.
Par ailleurs, l'OFPRA qui a bénéficié de
la
création de 55 emplois
au
1er janvier 2015
a souligné,
au
cours de
la
procédure
de
contradiction avec
la
Cou
r,
les limites des gains
de
productivité à attendre, au
vu
de
l'évolution
du
droit d'asile et de ses nouvelles contra
in
tes
(généralisation d'un entretien, interprétariat, présence de tiers).
S'agissant de la CNDA, elle n'a pas obtenu tous
les
emplois demandés
en
2015,
au
titre de
la
réforme de l'asile, afin de réduire ses délais, sachant que
le
délai moy
en
constaté
en 2014 s'est élevé
à
huit mois.
Des mesures
à
clarifier
Conformément
à
la directive 2013/33/UE du Parlement européen et
du
Conseil du
26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant
la
protection
internationale,
la
loi
relative
à
la
réforme du droit d'asile prévoit désormais que
l'enregistrement de
la
demande doit avoir lieu
au
plus tard trois jours ouvrés ap
rès
sa
présentation
à
l'autorité
administrative
compétente,
sans
condition
préalable
de
domiciliation ;
ce
délai peut être porté
à
dix jours ouvrés lorsqu'un nombre élevé d'étrangers
demande l'asile simultanéme
nt.
13
ru
e
Ca
mb
on -
75
1
OO
PARIS
CEDEX 01 - T +33 1 42
98
95
OO
- www.ccomptes.fr
Référé n° S 2015 0977 1 Cour des comptes
3 /
10
Toutefois, le point
de
départ du délai d'enregistrement de trois jours n'est pas
clairement défini. Son interprétation diverge selon les intervenants :
à
partir
de
la
présentation du demandeur devant
le
pré-accueil, organisé par les acteurs associa
ti
fs ou
bien
à
compter
de
la
transmission du dossier au nouveau guichet unique tenu par les
services
de
la
préfecture et de l'OFll.
Il
conviendrait donc de veiller
à
la bonne mise en
oeuvre de
la
réduction
à
trois jours du délai d'enregistrement
de
la demande d'asile, en
clarifiant son point de départ ainsi qu'en précisant les motifs justifiant l'application du délai
dérogatoire
de
dix jours, d'autant plus que ce délai était prévu dès
la
directive 2003/9/CE du
Conseil du 27 janvier 2003 relative
à
des normes minimales pour l'accueil des demandeurs
d'asile dans les États membres mais que
la
France
ne
l'a jamais respecté.
Un fort enjeu budgétaire s'attache
à
la
réduction des délais d'examen des demandes
d'asile. Leur réduction significative prévue par
la
réforme devrait permettre de diminuer les
dépenses en matière d'allocation et d'hébergement. Une réduction d'
un
mois permettrait
d'économiser entre 10 et 15 M€ selon le ministère de l'intérieur.
La
diminution des délais
permettrait également de dissuader certaines demandes d'asile
a priori
infondées et de
rendre moins délicat l'éloignement des personnes déboutées qui ne se seront pas encore
intégrées en France, ce qui redonnerait du sens
à
la
procédure d'asile. Cet objectif doit êt
re
considéré comme prioritaire.
Il.
UN
PILOTAGE INTERMINISTÉRIEL
À
CONSOLIDER
Les décisions prises dans le cadre de la politique d'accueil et d'hébergement des
demandeurs d'asile, financées par le programme 303 -
Immigration et asi
le
de la mission
Immigration, asile et intégration,
ont des conséquences sur
la
politique d'hébergement
généraliste à destination des personnes sans domicile ou éprouvant des difficultés à se loger
et sur son programme support 177 -
Pr
évention de
/'e
xclusion et
in
sertion des personnes
vulnérables
de la mission
Égalité des territoires et logement.
En effet, certains demandeurs
d'asile sont abrités dans des hébergements d'urgence généralistes avant d'obtenir une
autorisation provisoire de séjour ; d'autres y sont également hébergés pendant la procédure
en
raison de l'engorgement du dispositif spécifique aux demandeurs d'asile. Enfin,
à
l'issue
de la procédure, les réfugiés et les personnes déboutées du droit d'asile sont, pour
la
plupart, hébergés dans des structures
de
droit commun.
Une bonne articulation entre les deux programmes budgétaires et,
ce
faisant, entre
les deux politiques publiques, passe par une plus grande coordination de l'action des
services de l'État et des opérateurs chargés des dispositifs d'accueil et d'hébergement des
demandeurs d'asile et des personnes vulnérables.
À
cet égard, la loi sur la réforme de l'asile
prévoit que le schéma national d'accueil des demandeurs d'asile soit arrê
par le ministre
de l'intérieur, après avis des ministres chargés du logement et des affaires sociales. En
outre, le plan d'action du Gouvernement présenté le 17 juin 2015 p
v
oi
t la mise en place
d'un pilotage interministériel rapproché, entre le ministère de l'intérieur et cel
ui
chargé du
logement, qui se réunira toutes les semaines, mais qui devrait êt
re
pérenne.
Il
s'agit d'avancées importantes qui pourraient cependant se révéler délicates dans la
mise en oeuvre : des progrès sont, en effet, nécessaires pour remédier au défaut de
connaissance et
de
suivi de l'ensemble des demandeurs d'asile, lequel
exigerait une
coordination plus efficace des acteurs chargés d'animer, au plan opérationnel, les dispositifs
spécialisé
et
généraliste d'hébergement,
à
savoir les services de
l'
OFll, d'une part, et les
services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO), d'autre part, et les systèmes d'information
de ces deux dispositifs.
13 rue Cambon -
75
100 PARIS
CE
DEX 01 - T +33 1 42 98
95
OO
- www.ccomptes.fr
Référé
n° S
2015
0977
1
Cour
des
comptes
4 / 10
Une connaissance et un suivi des demandeurs d'asile
à
affiner
L'OFll, désormais chargé
au
sein des guichets uniques de
l'
hébergemen
t,
ne
suit que
les places d'hébergement proposées par les CADA, même
si
une expérimenta
ti
on
est en
cours pour les places
en
hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA). Les
demandeurs d'asile hébergés chez des tiers ou dans
les
structures d'hébergement
généraliste
ne
sont connus
ni
par l'OFI
1
ni
par le ministère chargé du logemen
t.
Il
n'existe
pas,
en
effet, de données chiffrées précises sur
le
nomb
re
de demandeurs d'asile,
de
réfugiés
et
de personnes déboutées qui sont abrités dans les structures d'hébergement
de
droit commun.
L'administration fait valoir
le
caractère non obligatoire
du
renseignement des
informations relatives
à
la
situation administrative des demandeurs d'une place
en
hébergement généraliste et
les
réticences des gestionnaires
à
les renseigner. En dépit
d'initiatives récentes, tels que les diagnostics territoriaux dits
«
à
360
°
»
(de
la
rue
au
logement) prévus dans
le
plan pluriannuel contre
la
pauvreté et pour l'inclusion sociale,
il
n'est pas prévu
de
recenser les demandeurs d'asile et les personnes déboutées
du
droit
d'asile, hébergés dans les structures financées par
le
programme 177.
De
plus,
ne
sont
connus
ni
le
nombre de demandeurs ayant une autorisation de trav
ail
,
ni
le nombre
de
demandeurs d'asile déboutés demandant une autorisation provisoire de séjour pour
so
i
ns
ou
ayant été régularisés,
ni
le
nombre
de
personnes déboutées étant assignées
à
résidence
ou
ayant bénéficié d'une aide
au
retour.
Une politique publique
ne
peut être correctement mise en oeuvre si l'administration
ne
dispose pas des données nécessaires
à
un
état des lieux précis afin de définir les actions
à
mener, avant d'en évaluer l'efficacité et l'efficience. L'absence de connaissance et
de
suivi
des demandeurs d'asile hébergés dans les structures de droit commun risque ainsi de
fragiliser notamment
la
mise
en
oeuvre de l'hébergement directif qui constitue une mesure
importante de
la
réforme (cf.
infra
point Ill).
Il
importe donc que
le
ministère de l'intérieur,
le
ministère chargé des affaires sociales et
le
ministère chargé du logement
se
me
tt
ent en
capacité de regrouper l'ensemble des données du parcours des demandeurs d'asile pour
assurer leur suivi,
au
cours de
la
procédure, quel que soit leur
li
eu
d'hébergement et,
à
l'issue de celle-
ci,
pour les personnes déboutées qui demeurent sur
le
territoi
re
national.
De
même,
si
un
progrès important
va
résulter de
la
mise
au
point
du
système
d'information transversal (SI)
Asile,
permettant la communication ent
re
les systèmes
d'information de l'OFll, de l'OFPRA et
du
ministère
de
l'intérieur,
les
demandeurs d'asile
hébergés chez
un
tiers ou dans
les
structures de droit commun n'y seront pas suivis en
ce
qui concerne leur hébergement. L'absence de système d'information national dans
le
c
ham
p
de l'hébergement d'urgence généraliste complique, en outre,
l'
échange souhaitable des
informations entre les différents acteurs de
la
politique de l'asile.
Le
pilotage renforcé et
la
gestion optimale
du
dispositif d'accueil et d'hébergement
des demandeurs d'asile impliquent ainsi de créer les conditions d'une bonne alimentation,
pour les informations nécessaires,
du
système d'information
Asile
à
partir des SIAO
po
ur un
pilotage efficace
et
complet de la politique de l'asile.
13 rue Cambon - 751
OO
PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95
OO
-
www
.
cco
mptes.
fr
Référé n° S 2015 0977 1 Cour des comptes
5/10
Des dépenses en forte croissance
à
mieux maîtriser
En 2013, l'ensemble des dépenses directes de
la
politique de l'asile s'est élevé
à
690 M€, dont 540 M€
au
titre du programme 303, auxquels il convient d'ajouter les dépenses
de santé, eu égard aux droits spécifiques ouverts aux demandeurs d'asile (CMU
1
,
CMU-C
2
et
AME
3
)
et les frais de scolarisation des enfants qu'il est difficile d'évaluer avec précision.
Les crédits consacrés
à
l'asile, au sein du programme 303, sont
en
augmentation de
72
%
entre les lois de finances initiales de 2009 et 2013 et de 52
%
entre les lois de
règlement
de
2009 et 2014. Cette hausse est supérieure
à
celle du nombre de demandes
d'asile adressées
à
la
France, qui a atteint 36 % sur la même période. Les principaux postes
de dépenses concernés sont le financement des centres d'accueil pour demandeurs d'asile,
l'allocation temporaire d'attente (ATA) en hausse de 179 % entre 2009 et 2013, et le
financement de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile en augmentation de
106
%.
Sur le programme 177, la dépense d'hébergement d'urgence a progressé de 89 %
entre 2009 et 2014, en raison notamment de
la
prise en charge des personnes déboutées du
droit d'asile.
Comme l'évolution des dépenses d'asile, qui dépend notamment de facteurs
exogènes, est difficile
à
prévoir,
la
Cour constate, dans ses notes annuelles d'analyse
de
l'exécution budgétaire, une sous-budgétisation quasiment structurelle
du
programme 303,
qui en affecte la sincérité. Ainsi, l'écart cumulé entre les crédits prévus en loi de finances
initiale et l'exécution s'est élevé
à
582 M€ entre 2009 et 2013. Pourtan
t,
le programme 303 a
bénéficié d'
un
traitement exceptionnel sur cette période, le faisant échapper aux contraintes
de
la
politique
de
maîtrise générale
de
la
dépense publique.
Des tensions budgétaires devraient également apparaître en 2015
à
la
su
ite
d'annulations
de
crédits, du gel de la réserve de précaution, du retard pris pour la mise en
oeuvre de la réforme par rapport au calendrier initialement envisagé et de besoins
complémentaires au titre de l'ATA qui pourraient atteindre 200 M€. Ainsi, ma
lg
les
économies attendues de la mise en oeuvre de
la
réforme,
la
programmation des crédits des
programmes 177 et 303 pour les années 2015
à
2017 pourrait être insuffisante
à
cause de
l'évolution
à
attendre des dépenses, ce qui appelle un renforcement encore amplifié du
pilotage de celles-ci.
Ill.
UN
DISPOSITIF D' HÉBERGEMENT SPÉCIALISÉ
À
RATIONALISER
L'adaptation
du
dispositif d'hébergement des demandeurs d'asile devrait constituer
une priorité afin
de
redonner aux structures d'hébergement de droit commu
n,
aujou
rd
'hui
saturées, une capacité de réponse
à
l'ensemble des situations d'urgence.
L'engorgement des places d'hébergement
Moins d'un tiers des demandeurs d'asile est hébergé dans les structures spécifiques,
les centres d'accueil pour demandeurs d'asile, financés par le programme 303 -
Immigration
et asile
de
la
mission
Immigration,
asile
et intégration.
Ils
y bénéficient
d'un
accompagnement, contrairement aux personnes accueillies dans les autres structures
d'hébergement spécialisé, les hébergements d'urgence des demandeurs d'asile, qui
comportent
de
nombreuses places en hôtels.
Le
ministère de l'intérieur reconnaît que moins
1
CMU : couverture maladie universelle.
2
CMU-C : couverture maladie universelle complémentaire.
3
AME : aide médicale de
l'
État.
13 r
ue
Cambon -
751
OO
PARIS
CEDEX 01 - T +33 1
42
98 95
OO
-
www.c
comptes.fr
Référé n° S 2015 0977 1 Cour des comptes
6/10
de
la moitié des demandeurs d'asile bénéficient d'un hébergement dédié
4
à cause de
la
longueur des procédures, de la hausse du nombre de demandeurs d'asile jusqu'en 2013 et
de la présence indue des déboutés (6 % des places en 2013 en moyenne mais jusqu'à
18,1 % dans les Pays de
la
Loire).
Il
existe ainsi une situation d'inégalité entre les demandeurs d'asile selon leur mode
d'hébergement. Leur accompagnement différencié selon le type d'hébergement ne présente
pourtant pas de corrélation évidente avec
le
taux d'octroi du statut de réfugié, ce qui peut
interpeller sur l'efficacité du modèle des
CADA
et
justifier
la
recherche d'un meilleur
dimensionnement des prestations de ces centres.
L'engorgement des hébergements pour les demandeurs d'asile se répercute sur
l'hébergement d'urgence
de
droit commun, financé par le programme 177. Ce dernier est, lui
aussi, saturé compte tenu des principes d'inconditionnalité de l'accueil
5
et
de continuité de la
prise en charge
6
.
Selon une enquête réalisée par
la
direction départementale de
la
cohésion
sociale (DDCS) du Rhône en décembre 2012, les demandeurs d'asile occupaient 9
%
des
places de l'hébergement d'urgence de droit commun, les réfugiés 35 % et les personnes
déboutées 25
%,
soit un total
de
près de 70
%.
Lié à l'attente de la décision de l'
OFPRA
et de
la
CNDA puis,
le
cas échéant, d'une
régularisation à un autre titre, le maintien des demandeurs d'asile dans les structures
d'hébergement de droit commun peut entraîner un effet d'éviction des autres publics
vulnérables auxquels ces structures sont destinées.
Une programmation des places d'hébergement en CADA à améliorer
Malgré l'augmentation du nombre total de demandeurs d'asile (hors procédure
Dublin) de 18 500 entre 2009 et 2013, 1
000
places seulement d'hébergement en
CADA
ont
été créées en 2009 et en 2012, 2 000 en 2013
et
moins de 1 000 en 2014. Le ministère de
l'intérieur a indiqué qu'il envisageait de disposer de 33 200 places en
CADA
d'ici 2017,
contre 23 700 places en 2014, essentiellement par transformation d'
HUDA
en CADA. Au
total,
le
nombre de places disponibles (CADA
et
HUDA) passerait de
48
900 en 2014 à
52
900
en 2015, avant de diminuer à
51
700 en 2017, soit une création nette de 2 800
places. Toutefois, dans le cadre de son plan d'action du 17 juin 2015,
le
Gouvernement a
annoncé
jusqu
'à 4 000 places supplémentaires d'hébergement des demandeurs d'asile d'ici
fin 2016, sans en préciser le statut (CADA ou
HUDA
en gestion nationale ou en gestion
déconcentrée).
Ces créations de places sont annoncées au coup par coup, sans qu'
un
plan
d'ensemble ait été défini pour en préciser le statut, le financement et le calendrier de
réalisation. La réforme de l'asile consacrant
les
CADA
comme
«
modèle pivot
»
pour
l'hébergement des demandeurs d'asile, une véritable programmation est à développer,
assortie, comme la réforme le prévoit, d'une adaptation du taux d'encadrement en CADA
pour mieux maîtriser les coûts de l'hébergement ainsi que d'un assouplissement de leur
statut juridique.
La
Cour
recommande
en
outre, dans
le
même
sens, l'élaboration de référentiels de
prestations et de coûts adaptés pour l'hébergement
et
l'accompagnement des demandeurs
d'asile.
4
Plan d'action du Gouvernement « Répond
re
au défi des migrations : respecter les droits, faire respecter le
droit»,
en date du
17 juin
201
5.
5
Article
L.
345-2-2 du code de l'action socia
le
et des familles.
6
Article
L.
345-2-3 du code de l'action socia
le
et des familles.
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33
14298
95
OO
- www.ccomptes.fr
Référé
n° S 2
015
09
77
1 Cour
des
comp
t
es
7/10
Un
pr
érequis
pour
/'hébergement
dir
ec
tif
En
raison
de l'insuffisance
de
la
péréquation nationale et régionale pour
l'hébergement des demandeurs d'asile, la loi sur la réforme de l'asile prévoit un schéma
national de l'hébergement des demandeurs d'asile ayant pour finalité leur orientation
directive. Les demandeurs d'asile seront, en effet, orientés de façon contraignante vers les
places disponibles, y compris hors du lieu de leur première demande d'accueil. Toutefois,
en
cas de refus, ils devront renoncer à l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) et ne devraient
plus pouvoir être hébergés dans les structures de droit commun financées par le programme
177.
La
loi portant réforme de l'asile prévoit,
en
effet, que l'OFI
1
devra informer les SIAO de
l'identité des demandeurs d'asile qui ont refusé l'offre d'hébergement. Les SIAO devront tenir
compte de ce refus et ne pourront en principe orienter ces personnes sur des places
d'hébergement d'urgence financées par le programme 177 que si elles sont dans une
situation de détresse.
Cependant, la mise en oeuvre de l'hébergement directif risque
de
ne pas être
effective car les SIAO, comme indiqué
supra,
ne distinguent pas les demandeurs selon leur
situation et ne seront d'ailleurs pas tenus d'informer l'OFll des demandeurs hébergés dans
les structures de droit commun. Compte tenu de l'organisation de l'hébergement d'urgence
en France et de l'inconditionnalité de l'accueil à l'égard des personnes en situation de
détresse, quelle
qu
'en soit l'origine, le demandeur d'asile pourra
de facto
être hébergé par
les dispositifs de droit commun, même en cas de refus d'un hébergement au titre de
la
demande d'asile.
Se
trouve ainsi confirmée
la
nécessité
de
disposer de l'ensemble des
données relatives
aux
parcours des demandeurs d'asile hébergés dans les structures
dédiées mais aussi
de
droit commun.
IV.
ÉVITER
LA
DILUTION DE
LA
POLITIQUE DE
L'ASILE
Il appartient à
la
puissance publique, en se conformant aux textes législatifs et
réglementaires sur les conditions d'
en
trée et de séjour des étrangers en France, d'éviter que
la relation nécessairement étroite entre
la
politique de l'asile et la politique de contrôle de
l'immigration soit source
de
confusi
on
.
Augmenter le taux de réadmission des demandeurs d'asile rel
ev
ant du règlement
Dublin
Le règlement dit Dublin
111
7
prévoit qu'un pays est désigné responsable pour
l'instruction
et
la
décision relatives à une demande d'asile, si les empreintes du demandeur
d'asile ont déjà été enregistrées dans
la
base de données européennes
EURODAC
et
si
le
demandeur admet, ou s'
il
peut être démontré, qu'
il
a traversé ou séjourné dans un autre
pays.
Il
s'agit généralement du premier pays dans lequel le demandeur est entré sur
le
territoire européen. Dans ce cas, le demandeur d'asile doit être réadmis dans le pays
responsable de
la
demande d'asile, dans un délai de 6 mois, pouvant être prolongé jusqu'à
18 mois en cas de fuite
de
l'intéress
é.
Alors qu'un objectif déjà peu ambitieux de
25
% de
réadmissions est fixé par le ministère de l'
in
térieur
8
,
le
taux d'exécuti
on
des réadmissions
des demandeurs d'asile sous procédu
re
Dublin, inférieur à 13 %, est particulièrement faible
en France, puisqu'
il
représente un demandeur relevant de cette procédure effectivement
transféré sur huit.
La
mise en oeuvre du règlement Dublin dépend de
la
bonne coopération
entre les différents États membres et av
ec
les personnes concernées. L'important taux
7
Règlement (UE) N° 604/2013 du Parlement européen et du
Co
nseil du 26 juin 2
01
3.
8
Ce taux de 25 % apparaît dans la maquette budgétaire pour
le
financement
de
la réforme de l'asile de la direction générale
des étrangers
en
France - DGEF (mai 2014).
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95
OO
-www
.ccomptes.fr
Référé n° S 2015 0977 1 Cour des comptes
8 / 10
d'échec des réadmissions s'explique notamment par
la
disparition de l'intéressé, dès la
notification
du
refus
de
séjour jusqu'à l'expiration
du
délai de transfert,
la
multiplication des
recours,
la
présentation incomplète d'une famille
au
moment
du
transfert
ou
la
demande d'un
autre titre de séjour. Ainsi, alors que les transferts avec délai prolongé ne représentaient que
13,5
%
du total des transferts effectués
en
2009, leur part s'est établie à 42.4
%
en 2013.
La
loi sur
la
réforme de l'asile prévoit la possibilité d'assigner à résidence des
demandeurs d'asile, sous règlement Dublin, dès
le
début de la procédure, pour une durée
maximale de six mois renouvelable une fois.
La
Cour ne peut qu'encourager le recours à
cette nouvelle mesure. Au demeurant,
la
comparaison avec les autres pays européens
9
montre que certains États, qui ont des conditions d'accueil plus contraignantes pour les
demandeurs d'asile relevant
du
règlement Dublin, obtiennent des taux de transfert vers
la
France beaucoup plus élevés :
53
% pour la Norvège et 82 % pour les Pays-Bas.
Renforcer le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF)
74 % des demandes d'asile ont été rejetées chaque année en moyenne entre 2009 et
2013,
en
France. L'enquête de
la
Cour fait apparaître que le taux d'e
cution des obligations
de quitter
le
territoire français (OQTF), not
ifi
ées
au
x personnes déboutées
du
droit d'asile,
est de 6,8
%
10
,
à comparer avec une moyenne de 16,8
%
pour l'ensemble des étrangers en
situation irrégulière. Cependant, seule une personne déboutée sur deux reçoit une OQTF
11
.
ln fine,
plus de
96
%
des personnes déboutées resteraient en France
12
,
compte tenu,
d'une part,
du
taux d'exécution très faible des OQTF et, d'autre part, des procédures et des
recours engagés par les demandeurs d'asile. Comme l'avait noté la Cour en 2009,
«
trois
perspectives s'ouvrent [aux personnes déboutées) : repartir avec éventuellement une aide
au
retour, rechercher une régularisati
on ou
venir grossir
la
population des résidents
irréguliers
en
France
»
13
.
Il
en résulte une politique publique
de
main
ti
en
sur le territoire
national des personnes déboutées, qui paraît subie car elle n'est pas maîtrisée par l'État,
pris entre le respect du principe de l'inconditionnalité de l'accueil de toute personne
vulnérable,
fi
xé à l'article
L.
345-2-2 du code de l'action sociale et des familles, et celui des
conditions de séjour régulier en France, imposées par l'article
L.
311-1
du code de l'entrée et
du
séjour des étrangers et du droit d'asi
le
, à l'expiration d'
un
délai de trois mois.
La
loi
sur la
réforme de l'asile n'aborde pas la question des personnes déboutées du droit d'asile se
maintenant sur le territoire français.
Néanmoins, le plan d'action
du
Gouvernement annoncé
le
17
juin 2015 prévoit
«
la
mise
en
oeuvre d'une politique d'éloignement plus efficace dissuadant le maintien de
personnes en situation irrégulière dans des structures d'hébergement d'urgence
»,
en
renforçant
«
très significativement l'utilisation de la capacité de 1 400 places [en centres de
rétention] actuellement ouvertes
en
métropole
»,
car seulement deux tiers des places
de
rétention sont occupées. Les dernières circulaires
du
ministère de l'intérieur relatives à
la
lutte contre l'immigration irrégulière font également de l'éloignement des personnes
déboutées une priorité de l'action des préfets. Enfin, l'article 14
du
projet de loi relatif
au
droit
des étrangers prévoit des délais plus courts pour l'éloignement des personnes déboutées
du
droit d'asile.
9
Assemblée nationale, MEC. Rapport
de
Mme Jeanine Dubié et M. Arnaud Richard
sur
l'évaluation
de
la
po
litique d'accueil des
demandeurs d'asile. Mai 2014.
10
1 432 personnes déboutées
du
droit d'asile ont été éloignées
sur
20 910 OQTF notifiées en 2014 selon la DGEF.
11
20 910 OQTF notifiées en 2014 pour 40 206 personnes déboutées selon la DGEF.
12
1 432
pe
rsonnes déboutées
du
droit d'asile ont été éloignées
sur
40
206 personnes déboutées
en
2014.
13
Cour des comptes.
Rapport public annuel 2009.
La
prise
en
compte de la demande d'asile : des améliorations
à
poursuivre.
P.
603-630. La Documentation française, 2009, disponible
sur
www
.ccomptes.fr.
13 rue Cambon - 75
10
0 PARIS CEDEX
01
- T +33 1 4
298
95
OO
- www.ccomptes.fr
Référé
n° S
2015
0977
1
Cour
des
comptes
9 / 10
La
Cour prend acte de l'ensemble de ces mesures qu'elle appelle à amplifier pour
lutter contre
la
sollicitation
de
la politique de l'asile au-delà
de
son
ob
j
et
et pour contribuer
au
rétablissement
de
son intégrité.
-=oOo=-
La
Cour formule donc les recommandations suivantes :
Recommandation n° 1
: veiller à
la
bonne mise en oeuvre de la réduction à trois jours
du
délai d'enregistrement de la demande d'asile,
en
clarifiant le point de départ de ce délai et en
précisant les motifs justifiant l'application du délai dérogatoire de dix jours ;
Recommandation n° 2
: enregistrer l'ensemble des données du parcours des demandeurs
d'asile pour assurer leur suivi,
au
cours de
la
procédure, quel que soit leur lieu
d'hébergement, et à l'issue
de
celle-ci, pour les personnes déboutées qui demeurent sur le
territoire national ;
Recommandation
3 : créer les conditions d'une bonne alimentation, pour les
informations nécessaires,
du
système d'information (SI)
Asile,
à partir des services intégrés
d'accueil
et
d'orientation (SIAO) pour
un
pilotage efficace
et
complet de
la
politique de
l'asile;
Recommandation
4
: définir
un
plan pluriannuel
de
création de places
en
centres
d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), s'inscrivant dans
la
programmation budgétaire
triennale, en tenant compte
de
la baisse
du
taux d'accompagnement, et poursuivre les
assouplissements en cours quant
à
leur statut juridique ;
Recommandation n° 5
: élaborer
un
référentiel de prestations et de coûts complets pour
l'hébergement et l'accompagnement des demandeurs d'asile ;
Recommandation
6
: renforcer les mesures de nature
à
permettre la mise
en
oeuvre
effective et rapide de
la
procédure de réadmission des demandeurs d'asile,
en
application
du
règlement Dublin Ill ;
Recommandation
7
: augmenter le taux d'exécution, sous les garanties
du
code de
l'entrée et
du
séjour des étrangers et
du
droit d'asile, des obligations de quitter le territoire
français (OQTF) pour les personnes déboutées
du
droit d'asile.
-=oOo=-
Je
vous serais obligé de
me
faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à
l'article
L.
143-5
du
code des juridictions financières,
la
réponse que vous aurez do
nn
ée
à
la
présente communication
14
.
14
La Cour vous remercie de lui faire pa
rv
enir votre rép
on
se, sous
vo
tre
sig
na
tu
re
personnelle exclusivem
en
t,
so
us
forme
dématérialisée
(un
fi
c
hi
er
PDF
comprenant
la
sig
n
at
ure et un
fi
ch
ier Ward)
à
l'adresse électronique suivante:
greffepres
ide
nce@ccomptes.fr.
13
rue
Cambon -
75
1
OO
PAR
IS
CEDEX
01
- T
+33 1
42
98 95
OO
-
www.ccomptes.fr
R
éf
éré n° S 2015 0977 1 Cour des comptes
10
/
10
Je vous rappelle qu'
en
application des dispositions
du
même code :
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions
des finances et,
da
ns leur domaine de compétence,
au
x autres
comm1ss1ons
permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Il
sera accompagné de
votre réponse
si
elle est parvenue
à
la
Cour dans ce délai.
A
défaut, votre réponse
leur sera transmise dès sa réception par
la
Cour (article L. 143-5) ;
dans le respect des secrets protégés par
la
loi, la Cour pourra mettre en ligne sur
son
si
te internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article
L.
143-1
) ;
l'article
L.
143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire
du
présent référé,
vous fournissiez
à
la
Cour un compte rendu des suites données
à
ses observations,
en
vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit
être adressé
à
la Cour, selon les modalités de
la
procédure de suivi annuel
coordonné, convenue entre elle et votre administrati
on
.
13
rue
Cambon - 75100 PARIS CE
DE
X
01
- T +33 1 42 98
95
OO
-
www
.ccomptes.
fr