Un projet territorial innovant permettant à des publics durablement privés d’emploi d’exercer des activités de proximité utiles
L’expérimentation « Territoire zéro chômeur de longue durée » est issue des réflexions de l’association ATD Quart-Monde. Du point de vue de ses initiateurs, elle met en œuvre le « droit à l’emploi ». La principale caractéristique de cette expérimentation, comparativement aux dispositifs préexistants notamment ceux relatifs à l’insertion par l’activité économique, est d’offrir en contrat à durée indéterminée un travail adapté aux capacités, ainsi qu’aux contraintes et aux freins qui ont maintenu ces personnes durablement éloignées de l’emploi. Au sein d’entreprises à but d’emploi (EBE), grâce à l’adaptation des conditions de travail et à la possibilité de travailler à quotité de temps choisie, l’expérimentation a démontré sa capacité à remettre en emploi des personnes qui en étaient très éloignées à l’instar des personnes en situation de handicap, seniors, parents isolés, aidants, etc. À partir de coopérations territoriales ciblées sur l’emploi, l’expérimentation a permis de développer des activité utiles aux territoires et répondant à des besoins non satisfaits. Ce sont souvent des activités à faible productivité et qui engendrent un chiffre d’affaire relativement modeste, mais qui révèlent des gisements de valeur pour créer une offre de services utiles socialement et une approche inclusive des personnes éloignées de l’emploi : lutte contre l’isolement, précarité alimentaire et fracture numérique, renforcement du lien social, accompagnement du vieillissement et transition écologique. Les entretiens menés par la Cour permettent de distinguer plusieurs caractéristiques des bénéficiaires de l’expérimentation : pour certains, le passage par une entreprise à but d’emploi (EBE) est très provisoire et permet un rebond vers un emploi classique ; d’autres peuvent bénéficier d’un accompagnement durable avec l’objectif de pouvoir à terme aller également vers l’emploi en milieu ordinaire. Mais pour d’autres encore, l’EBE représente une réponse durable leur permettant de revenir vers une activité pérenne. La Cour recommande que la notion de parcours soit favorisée et encouragée en renforçant les passerelles vers l’emploi ordinaire et en suivant un indicateur de sortie vers l’emploi.
Une gouvernance nationale et un pilotage territorial à revoir
Le pilotage national de l’expérimentation a été confié par la loi à une association gestionnaire du « fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée » (ETCLD), dont le suivi par les administrations de l’État est exercé a minima. Sur le plan local se met en place une articulation entre un « comité local pour l’emploi » et les équipes de direction des entreprises à but d’emploi. Les acteurs locaux, en particulier les collectivités territoriales concernées par l’expérimentation, sont très impliqués dans le déploiement de proximité de cet accompagnement vers l’emploi. Compte tenu de la relation directe entre les territoires et l’association gestionnaire du fonds, cette structuration a eu pour corollaire de tenir éloignés de la mise en œuvre les services déconcentrés de l’État et ceux de France Travail, qui sont pourtant au cœur du déploiement territorial de la politique nationale de l’emploi. Ce fonctionnement atypique et exorbitant du droit commun a souvent isolé l’expérimentation des autres dispositifs d'insertion par l'emploi, comme l’insertion par l’activité économique, et a suscité une certaine défiance de la part des acteurs économiques des territoires concernés. La Cour recommande donc de mettre fin à cette gestion associative de façon à ce que les « comités locaux pour l’emploi », l’habilitation des territoires et la gestion des crédits se fassent dans le cadre du réseau pour l’emploi mis en place par la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi.
Un déséquilibre financier à assumer
L’expérimentation repose sur une aide publique au financement de chaque emploi, dont le coût devrait être compensé par les dépenses évitées (indemnités de chômage, autres prestations, coût du non emploi). Mais cet équilibre n’est pas démontré et le coût par emploi créé est en augmentation significative, notamment du fait des coûts inhérents au fonctionnement de l’association gestionnaire du fonds : le montant du financement public en 2023, rapporté au nombre de salariés bénéficiaires de l’expérimentation en équivalent temps plein (ETP), fait apparaitre un coût annuel de 28 000 € par ETP. Une rationalisation est d’autant plus nécessaire qu’en l’absence de numerus clausus pour les recrutements dans les « entreprises à but d’emploi », ces emplois pourraient faire courir le risque que l’augmentation rapide de la dépense budgétaire ne soit pas suffisamment contrôlée. Même si les EBE développent des ressources propres, le déséquilibre financier de l’expérimentation reste patent. Les EBE continuent de rencontrer des difficultés financières, traduisant une viabilité économique encore précaire, et elles dépendent étroitement des subventions publiques, lesquelles représentent 85 % des produits d’exploitation en 2023.
« Territoire zéro chômeur de longue durée » est une expérimentation qui fait localement la preuve de son utilité, mais qui demande des moyens élevés, tant humains que financiers. L’expérimentation se trouve à un moment charnière quant au devenir du dispositif : la loi d’expérimentation en cours trouvera son terme le 30 juin 2026 et la suite qui pourrait lui être donnée relève de la compétence du Parlement. Les recommandations de la Cour mettent l’accent sur la nécessité d’insérer l’expérimentation dans le droit commun du réseau pour l’emploi : une plus grande coordination avec les autres structures d’emploi accompagné est en effet nécessaire pour permettre aux acquis de l’expérimentation d’irriguer plus largement les politiques conduites en faveur de l’accompagnement des personnes les plus fragilisées sur le marché de l’emploi.