Un parc immobilier d’une très grande taille, confronté à des enjeux de rationalisation et de mise aux normes au regard des enjeux climatiques
Depuis une quinzaine d’années, la politique immobilière de l’État s’articule autour de deux axes : la rationalisation du parc et la prise en compte du changement climatique. Ces objectifs présentent à ce jour des résultats décevants. La rationalisation des surfaces n’a que peu progressé, le ratio d’occupation des bureaux ne s’est pas amélioré et la mutualisation interministérielle des bâtiments demeure faible. De plus, la rénovation énergétique des bâtiments, difficile à évaluer, n’a pas été inscrite dans une stratégie pluriannuelle et les objectifs chiffrés se sont additionnés pour être ensuite repoussés dans le temps. D’autres réglementations - en matière d’accessibilité, de désamiantage et d’état sanitaire - accusent elles aussi des retards et carences. L’immobilier de l’État voit donc se dresser devant lui un « mur » de mise aux normes et d’investissement qui nécessite une réponse ne faisant pas aujourd’hui l’objet d’une stratégie explicite. Au vu des enjeux, il est indispensable que les objectifs, les échéances pluriannuelles, les indicateurs cibles et les moyens soient rassemblés dans un document d’ensemble, afin que la stratégie immobilière soit plus claire, plus explicite et mieux suivie. La réduction des surfaces occupées doit cheminer de concert avec la prise en compte du changement climatique. L’annonce d’un objectif de réduction des surfaces de bureaux de 25 % par le ministre en charge de l’économie le 19 novembre 2023 va dans ce sens mais exigera un pilotage interministériel beaucoup plus fort.
Une organisation de la fonction immobilière qui a atteint ses limites
La politique immobilière de l’État repose sur le cadre mis en place en 2016 avec la création de la direction de l’immobilier de l’État (DIE), la réorganisation des services locaux, le renforcement des schémas directeurs et la simplification de la gouvernance interministérielle. Certains progrès sont notables : un réseau territorial de la DIE a été constitué autour de 18 missions régionales de la politique immobilière de l’État (MRPIE), en charge de l’animation de la stratégie régionale, de l’élaboration des schémas directeurs régionaux et de l’accompagnement des projets locaux ; malgré des retards et des difficultés, les différents schémas directeurs prévus depuis 2006 ont vu le jour. Ces progrès ont cependant porté sur l’outillage de la politique immobilière, et non sur son fondement, la réforme de 2016 n’ayant pas remise en cause le principe selon lequel ce sont les ministères occupants qui exercent les responsabilités du propriétaire et gèrent les crédits correspondants, sans que cela constitue pour eux une mission prioritaire. C’est ce qui explique le manque d’entretien des bâtiments, auquel sont privilégiées de facto les grandes opérations emblématiques, ainsi que les retards dans la mise aux normes et la rationalisation des surfaces. La DIE dispose de peu d’autorité vis-à-vis des ministères occupants pour faire valoir les intérêts de l’État-propriétaire et les conférences immobilières annuelles par ministère ne donnent pas lieu à des arbitrages budgétaires. De surcroît, si des structures spécialisées existent dans quelques ministères, l’action de la DIE n’a pas permis de constituer une filière professionnelle à même de se saisir à plein des enjeux de l’immobilier, en particulier au niveau déconcentré. Dans ces conditions, l’organisation actuelle a clairement atteint ses limites.
Trois scénarios de réforme
La mise en œuvre efficace des investissements à venir exige au préalable que soient mieux garantis les intérêts de l’État-propriétaire. Elle impose également que la gestion immobilière soit davantage professionnalisée tout en satisfaisant les besoins des occupants. Pour ce faire, trois scénarios d’évolution sont identifiés par la Cour. Le premier scénario est celui d’un renforcement de la DIE en tant que représentante de l’État-propriétaire : il consisterait à l’associer davantage à la procédure budgétaire en confortant le rôle et la portée des conférences immobilières et en rendant obligatoire la « labellisation » interministérielle de toutes les opérations financées sur le budget de l’État. Le deuxième scénario consisterait à organiser une séparation des responsabilités de propriétaire et d’occupant, en opérant une centralisation des opérations du propriétaire sur une ou plusieurs structures professionnelles placées sous l’autorité de la DIE. Le troisième scénario, le plus réformateur, propose de transférer la propriété des biens à une ou plusieurs foncières, externes à l’administration mais détenues par l’État et soumises à son contrôle, qui factureraient des loyers réels aux ministères occupants. Quel que soit le scénario retenu, il gagnerait à être en priorité appliqué au parc de bureaux, puis dans un second temps aux logements. En tout état de cause, il importe d’engager rapidement une réforme de l’organisation actuelle qui apparaît largement inadaptée à une gestion efficiente et durable des bâtiments de l’État.
« La gestion par l’État de son patrimoine immobilier doit faire l’objet d’une réforme profonde pour franchir le mur d’investissement qui se dresse devant elle et pour assurer la mise aux normes, la préparation au changement climatique et la nécessaire rationalisation de ses 192 000 bâtiments », souligne le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici.