Un casino est un établissement comportant habituellement trois activités distinctes : le jeu, l’animation et la restauration. L’environnement juridique des casinos se caractérise de longue date par un fort encadrement par les pouvoirs publics. Ces établissements de jeux se sont historiquement développés dans les stations balnéaires ou thermales et de façon plus précoce dans les métropoles. En Nouvelle-Calédonie, la création du premier casino remonte à 1974. On compte aujourd’hui deux casinos, le Grand Casino et le Casino Royal, tous deux implantés à Nouméa et possédant le même exploitant, la société en nom collectif Casino de Nouméa.
Le secteur des casinos n’avait jusqu’à présent pas fait l’objet d’un contrôle spécifique par la chambre territoriale des comptes de la Nouvelle-Calédonie. Compte tenu des singularités du cadre juridique des casinos en Nouvelle-Calédonie et des enjeux financiers qui s’attachent à ces établissements dans un contexte de dégradation des finances publiques locales, la chambre a inscrit à son programme 2024 le contrôle des casinos de Nouméa pour les exercices 2019 et suivants avec pour objectifs de dresser un bilan de l’activité de ces établissements, d’examiner la situation financière de leur société exploitante et d’analyser les retombées directes (financières notamment) ou indirectes de la présence des casinos.
Le contrôle a été ouvert simultanément à l’égard de la société en nom collectif Casino de Nouméa et de la commune de Nouméa, partie contractante des cahiers des charges conclus pour l’exploitation des deux casinos. Il correspond ainsi à un contrôle coordonné tel que prévu à l’article R. 262-117-1 du code des juridictions financières selon lequel « les observations issues du contrôle coordonnée de plusieurs organismes relevant de la compétence de la chambre régionale des comptes et figurant à son programme peuvent donner lieu à un unique rapport d’observations provisoires ».
La réglementation des casinos en Nouvelle-Calédonie est marquée par un partage des compétences entre l'État et les institutions locales.
Schéma n° 1 : Répartition des compétences en matière de réglementation des casinos
Source : chambre territoriale des comptes d’après les données recueillies.
En France hexagonale, les casinos sont soumis à un principe d'interdiction avec des dérogations possibles pour certaines communes. En Nouvelle-Calédonie, cette interdiction est également en vigueur, mais des autorisations peuvent être accordées dans les communes possédant des infrastructures touristiques, notamment hôtelières, de haut niveau.
L'arrêté du haut-commissaire de la République du 26 août 2003 régit actuellement les établissements de jeux, imposant des critères stricts pour l'autorisation et le fonctionnement des casinos. Les autorisations sont temporaires et doivent être renouvelées périodiquement. Leur durée maximale est fixée à dix-huit ans, contrairement aux cahiers des charges conclus avec la commune d’implantation qui ne peuvent dépasser cinq ans.
Les cahiers des charges actuels pour les deux casinos de Nouméa ont jusqu’à présent revêtu un caractère succinct et peu opérant, manquant de précision sur les engagements des exploitants, notamment en matière de développement touristique et culturel. La commune de Nouméa n'effectue pas de suivi rigoureux de ces cahiers des charges, ce qui est en contradiction avec le renforcement réglementaire de leur portée. La chambre recommande l’élaboration d’un cadre contractuel robuste pour les deux casinos, incluant des engagements précis et un contrôle effectif par la commune. Elle constate que le nouveau cahier des charges signé en décembre 2024 pour le Grand Casino, établi pour un an, va dans ce sens.
Au regard de la jurisprudence administrative, les cahiers des charges relatifs à l’exploitation des casinos peuvent être analysés comme des conventions de délégation de service public. Cela impliquerait en principe une mise en concurrence préalable, ce qui n'a jamais été le cas jusqu’à présent en Nouvelle-Calédonie. Le cadre juridique actuel, au surplus, est peu propice à l’engagement d’une telle procédure en raison de la durée très limitée des cahiers des charges, ce qui rend la qualification de délégation de service public inopérante. Selon la chambre, une évolution de ce cadre juridique serait souhaitable.
Constituée en janvier 1995 à l’époque de la reprise de l’exploitation du Casino Royal, la société Casino de Nouméa est contrôlée par la société des hôtels de Nouméa, elle-même filiale de PromoSud, société d’économie mixte de la province Sud. Son statut de société en nom collectif implique une forte responsabilité et solidarité des associés.
Organigramme n° 1 : La société Casino de Nouméa et son groupe
Source : chambre territoriale des comptes d’après les données recueillies.
Le cadre statutaire et la répartition du capital social sont demeurés relativement stables. La société des hôtels de Nouméa détient près de 90 % des parts sociales, aux côtés de deux associés minoritaires, et possède ainsi un poids prépondérant dans les prises de décisions.
Le fonctionnement de la gouvernance est globalement satisfaisant. Le gérant dispose de pouvoirs étendus, les associés se prononcent régulièrement soit en assemblée générale soit par le biais de consultations écrites. La chambre constate toutefois que le délai de communication des informations en amont de l’assemblée générale n’est pas toujours respecté et invite donc la société à y veiller. En outre, l’organisation actuelle de la gérance, sous la forme d’une cogérance, semble fragile au regard du texte des statuts qui n’envisage pas cette possibilité.
La société Casino de Nouméa assure un pilotage centralisé des deux casinos à travers des objectifs stratégiques transversaux, une équipe de direction commune et une mutualisation des fonctions support.
L’immobilier des deux casinos est maîtrisé, la société Casino de Nouméa étant propriétaire des murs du Casino Royal et locataire de ceux du Grand Casino, pris à bail auprès d’une société civile immobilière émanation de la société d’économie mixte PromoSud. La rénovation du Casino Royal est envisagée depuis plusieurs années mais n’a pas à ce jour, même si plusieurs études ont été entreprises, débouché sur la présentation d’un projet en assemblée générale, qui avait pourtant été annoncée à horizon 2022.
Les casinos sont soumis à une réglementation stricte, avec un contrôle exercé par la police des jeux et la direction des services fiscaux. La police des jeux assure la surveillance des équipements de jeu, la conformité aux règlements, et le respect des obligations fiscales et sécuritaires. Elle surveille les activités quotidiennes des casinos.
Les activités des casinos incluent les jeux, la restauration et l'animation. L'activité de jeu est très prépondérante. Elle est divisée entre machines à sous et jeux de table, incluant les jeux électroniques. La règlementation autorise un nombre spécifique de machines à sous par table de jeu installée. Les produits bruts des jeux fluctuent mais montrent une tendance positive, avec une augmentation notable en 2023, exercice durant lequel ils ont atteint 5,26 MdF CFP. Les machines à sous représentent à elles seules près de 90 % du produit brut des jeux des casinos.
Tableau n° 1 : Evolution des produits bruts des jeux (en MF CFP)
Source : chambre territoriale des comptes d’après les comptes de la société
L'activité restauration est structurellement déficitaire, bien que des efforts soient faits pour en améliorer les résultats. Des investissements ont été réalisés pour diversifier l'offre de restauration, avec l'introduction du concept de "Résidence des chefs" au Grand Casino. L'activité animation et spectacles est en développement. Elle est rattachée comptablement à la restauration.
La fréquentation des casinos, qui avait été impactée par la crise sanitaire, a connu une évolution très favorable en 2023-2024 mais a fléchi suite aux troubles à l’ordre public survenus dans l’agglomération. Elle est notamment analysée via les entrées (toutes personnes transitant par les casinos) et le trafic (joueurs sur les machines). Les casinos fonctionnent avec un système "full cashless", obligeant l'utilisation de cartes magnétiques pour jouer sur les machines. Cela permet une analyse rationnelle de la fréquentation et du niveau de jeu. Les données de fréquentation demeurent néanmoins perfectibles car les informations relatives aux jeux de table sont incomplètes.
La société Casino de Nouméa a mis en place des mesures pour lutter contre l'addiction au jeu, en s'inspirant des dispositions métropolitaines tout en adaptant ces mesures aux spécificités locales dans le cadre d’un programme « jeu responsable ». Ce dernier comporte trois axes : prévention joueur (mesures d’auto-protection et auto-exclusion), communication (sensibilisation du grand public), et accompagnement (identification et suivi des comportements à risque). Les résultats sont encourageants mais nécessitent une mise en œuvre complète de l'axe prévention et accompagnement afin de mieux identifier les joueurs pathologiques.
La tenue des comptes est rigoureuse, avec une certification par les commissaires aux comptes et une approbation des résultats par l'assemblée générale.
La situation financière de la société Casino de Nouméa a connu une évolution financière favorable entre 2019 et 2023. Les charges sont maîtrisées, principalement composées d'impôts et taxes et de charges de personnel. Les indicateurs financiers sont favorablement orientés : la capacité d'autofinancement a augmenté de 44 % entre 2019 et 2023, atteignant 1,18 MdF CFP en 2023. Ces bons résultats s’expliquent principalement par le volume de jeu sur les machines à sous – c’est-à-dire le montant total des mises – dont les recettes ont représenté en moyenne 83 % du chiffre d’affaires de la société. Ces résultats sont d’autant plus remarquables au regard du taux de redistribution en faveur des clients, la société Casino de Nouméa affichant un taux supérieur à celui fixé par la règlementation.
Le résultat de l’exercice clos au 30 septembre 2024, de 756,2 MF CFP, bien qu’en baisse par rapport au précédent exercice, s’établit à un niveau supérieur à celui de l’exercice clos en 2019 (644,1 MF CFP).
La trésorerie nette est nettement excédentaire dépassant le milliard de francs au titre des exercices clos en 2022 et 2023. Elle est toutefois impactée par le versement mensuel des taxes sur les jeux et la distribution des résultats aux associés. En effet, la société distribue l’intégralité de son résultat à ses associés, à proportion du nombre de leurs parts sociales. Principale bénéficiaire, la société des hôtels de Nouméa s’est ainsi vue distribuer 3,14 MdF CFP entre 2019 et 2023.
Conséquence directe, la société a eu recours à divers emprunts, principalement des prêts garantis par l’État pour un montant total de 1 MdF CFP entre 2020 et 2021 afin de faire face à ses charges de structure lors de la crise sanitaire. Les autres emprunts souscrits ont permis quant à eux de financer en partie ses investissements. À ce propos, la société affiche une politique d’investissement qui n’est pas à la hauteur de ses objectifs entre 2019 et 2024, le montant réel des investissements s'étant établi en moyenne à 59 % du budget alloué. À la clôture de l’exercice 2023, la dette est contenue avec un ratio d'endettement financier faible de 18,6 %, laissant entrevoir des marges de manœuvre pour lever de nouveaux capitaux. La chambre recommande à la société d’élaborer une programmation pluriannuelle des investissements et d’en assurer le suivi afin d’améliorer la planification de ses investissements.
Les deux casinos contribuent de façon très significative aux recettes fiscales des collectivités du territoire. Les taxes sur les produits des jeux, après une baisse sensible en 2020 2021 lors de la crise sanitaire, ont atteint 2,5 MdF CFP en 2023. Marquée par des troubles à l’ordre public à compter du mois de mai, l’année 2024 voit le montant des taxes revenir au niveau de 2019 (1,84 MdF CFP) alors que les premiers mois de l’année marquaient une tendance haussière. La principale bénéficiaire des taxes sur les jeux est la province Sud pour laquelle les centimes additionnels ont représenté en cumul 8,8 MdF CFP entre 2019 et 2024, tandis que les taxes au profit de la commune de Nouméa via le prélèvement sur le produit net des jeux se sont élevées à 2 MdF CFP.
Graphique n° 1 : Montant des taxations par typologie et par année civile (en MF CFP)
Source : chambre territoriale des comptes d’après le récapitulatif détaillé par la société
En revanche, les retombées indirectes, notamment touristiques, liées à la présence des casinos sont difficiles à évaluer.
A l’issue de son contrôle, la chambre formule trois recommandations à destination de la société en nom collectif Casino de Nouméa et une à destination de la commune de Nouméa.
- (Commune de Nouméa) : Définir en lien avec la société Casino de Nouméa un cadre contractuel plus ambitieux pour l’exploitation de chacun des deux casinos, comportant une définition des engagements de la société en matière de développement touristique et de manifestations culturelles et artistiques ainsi que des modalités du contrôle de la commune, assortie d’indicateurs permettant d’en assurer le suivi (échéance : fin 2025).
- (SNC Casino de Nouméa) : Mentionner dans les statuts de la société la possibilité de nommer un ou plusieurs gérants (échéance : fin 2025)
- (SNC Casino de Nouméa) : Réaliser les études du projet de rénovation du Casino Royal et présenter le projet en assemblée générale aux fins de validation (échéance : 2026)
- (SNC Casino de Nouméa) : Élaborer une programmation pluriannuelle des investissements et en assurer le suivi (échéance : 2025)


