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Présentation à la presse du rapport public annuel 2010
Intervention de M. Alain Pichon
Doyen des présidents de chambre
faisant fonction de Premier président
Mardi 9 février 2010
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d’abord de vous souhaiter une très cordiale bienvenue à la Cour pour la
présentation du rapport public annuel 2010.
Ce cru, ce millésime, a un goût bien amer puisqu’il me revient de vous présenter ce rapport
en lieu et place du Premier président Philippe Séguin, qui nous a quittés le 7 janvier dernier. Chacun
sait combien il avait su prêter sa voix aux messages de ce rapport auquel l’opinion publique
identifie tant la Cour.
Mais les institutions sont ainsi faites qu’elles survivent à ceux qui les ont, un temps, incarné.
En ma qualité de doyen des présidents de chambre, j’ai donc remis hier le rapport public annuel
2010 au président de la République, et le déposerai solennellement cet après-midi, après notre
rencontre, à l’Assemblée nationale puis au Sénat.
Vous le savez, le rapport public annuel est l’occasion pour la Cour et les chambres
régionales des comptes de dresser un panorama des finances et de la gestion publiques.
Pour réaliser cette photographie grand angle, la Cour et les chambres régionales disposent
d’un vaste champ de compétences lui permettant certes de contrôler l’utilisation des deniers publics,
mais également d’évaluer l’action publique.
Il ne s’agit donc pas uniquement de vérifier la régularité de la gestion publique et le cas
échéant d’en dénoncer les manquements les plus graves fut-ce devant la Cour de discipline
budgétaire et financière, voire au juge pénal, mais également d’apprécier son efficacité, et
notamment celle des politiques publiques. Le rapport public annuel se veut ainsi une aide au
Gouvernement pour moderniser l’administration et un outil pour assister le Parlement dans le
contrôle de l’action du Gouvernement. Vous constaterez ainsi que toutes les insertions se concluent
par des recommandations, des préconisations, ce qui nous permet de mieux mesurer les suites qui
leur sont apportées.
Mais surtout, ce rapport est un vecteur essentiel de notre mission constitutionnelle
d’information de nos concitoyens dont vous êtes un relais essentiel. Mais il ne l’épuise pas, loin
s’en faut, puisque la Cour n’a jamais autant rendu publics ses travaux.
En plus des 5 rapports que nous publions chaque année sur l’exécution des lois de finances
et de financement de la sécurité sociale, la Cour a en effet présenté à la presse 6 rapports
thématiques en 2009, le dernier portant sur les effectifs de l’Etat.
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Nous avons également publié 6 rapports relatifs à des organismes faisant appel à la
générosité publique, comme par exemple la SPA ou le Sidaction.
Et nous avons réalisé à la demande des commissions des finances et des affaires sociales de
l’Assemblée nationale et du Sénat 11 communications qui ont été pour la plupart publiées par les
commissions concernées.
2009 aura également été marqué par le premier contrôle de la gestion des services de la
Présidence de la République, ainsi que de celui des concours publics accordés aux établissements de
crédits affectés par la crise financière, qui ont également été rendus publics.
L’année 2009 aura donc été bien remplie et je vous renvoie à la fin du premier tome pour de
plus amples informations sur l’activité de la Cour et des chambres régionales.
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J’en viens à présent à la présentation du premier tome, qui regroupe les résultats de
25 contrôles que la Cour, mais également les chambres régionales des comptes, ont mené en 2009.
Comme il est désormais de tradition, ce premier tome s’ouvre sur une analyse de la situation
de nos finances publiques. Chacun connaît les maux dont elles sont affectées, mais ce n’est pas une
raison pour ne pas les rappeler.
Le déficit public tout d’abord : après avoir atteint 3,4% du PIB en 2008, il devrait s’élever,
selon les dernières prévisions du Gouvernement, à 7,9 % en 2009, soit plus qu’un doublement en un
an.
L’essentiel de cette dégradation, c'est-à-dire près des deux tiers, résulte directement d’un
effondrement sans précédent des recettes fiscales et sociales du à la crise. A cela s’ajoute l’impact
du plan de relance et de soutien à l’économie, qui porte à 4 points de PIB l’augmentation du déficit
liée à la conjoncture économique.
Il n’en demeure pas moins que la dégradation du déficit public n’est pas imputable à la seule
crise. Nous avons en effet calculé que le déficit structurel, c'est-à-dire hors variations
conjoncturelles, a augmenté de 0,6 point de PIB en 2009.
Au total, la moitié du déficit a en 2009 une composante structurelle, qui ne pourra être
résorbée par le seul retour espéré de la croissance. Ce déficit structurel résulte en effet de la
persistance du dynamisme de la dépense publique et des allègements pérennes d’impôts consentis
depuis 2009.
Nous assistons en conséquence à un emballement de la dette publique, qui atteindrait 77,4%
du PIB en 2009. Entre 2003 et 2009, la dette est passée de 1 000 à près de 1 500 milliards d’euros.
Si les tendances actuelles se poursuivaient, la dette pourrait atteindre 2000 milliards d’euros dès
2013 soit 100% du PIB. Notre dette serait alors égale à toute la richesse que notre pays produit en
une seule année !
A court terme, cette accélération de notre rythme d’endettement n’est pas encore trop
douloureuse, mais lorsque les taux d’intérêt seront relevés, ce qui ne manquera pas d’arriver, les
charges d’intérêt pourraient devenir insupportables.
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Une dette de 100 % du PIB équivaudrait à 90 milliards de charges annuelles avec un taux
d’intérêt de 4 %. Cela représente 3 500 euros par personne ayant un emploi. Et cette somme permet
juste de rembourser les intérêts de la dette, et non la dette elle-même !
Vous l’aurez compris, les règles européennes et nationales pour piloter les finances
publiques ne peuvent plus servir de repères dans ce contexte. Cela explique sans doute les débats
actuels sur la fixation de nouvelles règles budgétaires.
C’est qu’en effet la dégradation de nos finances publiques fait peser de graves hypothèques
sur le potentiel de croissance de notre pays dans un contexte de sortie de crise.
Deux leviers devraient être privilégiés pour redresser les comptes publics.
Tout d’abord, une plus forte maîtrise de l’évolution de la dépense publique. Les dépenses de
personnel constituent bien sûr une variable essentielle, puisqu’elles représentent près de la moitié
des dépenses nettes du budget de l’Etat.
Comme la Cour l’a souligné dans son rapport sur les effectifs de l’Etat en décembre dernier,
ceux-ci ont connu une diminution depuis 2007.
Contrairement à ce que d’aucuns ont voulu faire dire à la Cour, celle-ci n’a pas remis en
cause la politique de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Elle en a
critiqué les modalités de mise en oeuvre qui excluaient, jusqu’aux annonces récentes du
Gouvernement, les opérateurs de l’Etat de cette norme contraignante, et qui ne tenaient pas
suffisamment compte de l’évolution des missions de service public.
La Cour a également souligné que les effets de cette politique sur les comptes publics
seraient limités au regard des 50 milliards d’économies recherchées par le Gouvernement, d’autant
que le nombre de fonctionnaires partant à la retraite va prochainement diminuer. Il faudra donc
rechercher les économies ailleurs, par une réduction du périmètre d’intervention des administrations
publiques, un réexamen des dépenses d’intervention et une simplification des structures
administratives
Comme la Cour le répète depuis plusieurs années, la sécurisation des recettes est le second
levier pour redresser nos finances publiques. Il faudra donc augmenter le rendement des
prélèvements obligatoires c'est-à-dire des impôts existants, en commençant par une réduction
rigoureuse et volontaire des dépenses fiscales et niches sociales.
C’est qu’en effet le coût de certains dispositifs d’allègement d’impôts apparaît
particulièrement disproportionné, comme dans le cas des défiscalisations prévues par la loi dite
Girardin en 2003 pour favoriser les
investissements privés en outre mer
. Nos contrôles dans
l’immobilier en Nouvelle-Calédonie et dans le secteur industriel à Wallis et Futuna ont montré que
ces dispositifs conduisent l’Etat à rembourser aux investisseurs leur mise de fonds via des
allègements d’impôt, mais également à les rémunérer très généreusement pour leur placement. Ces
dispositifs qui sont plus onéreux pour l’Etat que s’il investissait directement devraient donc être
complètement révisés et mieux contrôlés par l’administration.
Les annonces qui ont été faites tant dans le programme de stabilité qu’au cours de la
conférence sur les déficits publics marquent une volonté de rupture avec les pratiques budgétaires
antérieures. Les décisions sont renvoyées aux conclusions de groupes de travail. La Cour pourra en
disposer pour mener ses travaux dont elle rendra compte au printemps dans son rapport sur la
situation des finances publiques.
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La Cour consacre ensuite de nombreuses insertions à la gestion des services de l’Etat et des
organismes publics.
Plusieurs d’entre elles portent sur la gestion des ressources humaines de l’Etat et de certains
organismes publics, en raison du poids des rémunérations dans leur budget et du rôle des personnels
dans la productivité et la qualité des services publics. Et dans ce domaine, il faut bien le reconnaître,
les résultats sont perfectibles, pour employer une litote chère à la Cour.
Il en va ainsi de la
gestion des personnels de la navigation aérienne
, qui est
principalement dictée par un souci d’éviter des conflits sociaux tant une grève du contrôle aérien a
un effet immédiat sur le secteur et sur ses usagers. La Cour a déjà consacré plusieurs rapports
publics à ce sujet, mais a encore constaté que les engagements pris par les ministres successifs pour
remédier aux errements dénoncés ne s’étaient pas traduits dans les faits. Nous revenons donc à la
charge cette année.
C’est ainsi que les contrôleurs aériens ne travaillent qu’un jour sur deux, et doivent en
conséquence effectuer des vacations plus longues que dans les pays voisins. Or cette organisation
est contraire à l’impératif de sécurité, car ce travail demande un haut niveau de concentration.
A cela s’ajoute un système d’autorisation officieuse d’absence, appelé « clairances », qui est
censé réduire les sureffectifs en périodes de faible activité. Mais en la matière l’opacité a été bien
organisée, puisque aucune possibilité de suivi individualisé du travail n’a été jusqu’à présent mise
en place.
La Cour a néanmoins calculé que, même en comptant les jours de formation en travail
effectif, les contrôleurs aériens ont disposé en 2008 de 20 semaines de congés ou de repos officiel,
et de 11 semaines d’absence officieuse !
A cela s’ajoute l’augmentation continue des avantages statutaires et des primes servies aux
corps techniques qui ont su jouer de la surenchère, sans que des contreparties suffisantes soient
obtenues en termes de productivité. Autant dire qu’une profonde réorganisation du travail au sein de
la DGAC est impérieuse.
Malgré les tentatives de la direction de
la SNCF
, la gestion de ses personnels demeure
entravée par des rigidités réglementaires et structurelles qui pèsent sur les performances de
l’entreprise publique. Des efforts ont pourtant été faits.
La réforme du régime de retraite des cheminots l’a rapproché de la situation de l’ensemble
du secteur public et a permis d’apurer le bilan de l’entreprise. Mais cette réforme devrait se traduire
par un surcoût de 380 millions sur la période 2010-2030, sans que cette évolution ne permette un
rééquilibrage durable de ce régime subventionné à plus de 60% par l’Etat.
Les relations sociales ont également évolué avec la mise en oeuvre des dispositions de la loi
du 21 août 2007 sur le service et l’information des usagers. Les résultats sont cependant meilleurs
pour les grèves nationales d’une journée que pour les grèves localisées et tournantes, comme celles
intervenues à Nice ou à la gare Saint-Lazare.
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En outre, la productivité n’a pas suffisamment progressé pour tirer parti de la réduction de
ses effectifs. La durée journalière de travail effectif des conducteurs de lignes et de manoeuvre – qui
ne se confond pas avec le temps de conduite qui est sensiblement inférieur -, n’est que de 6h22. On
comprend donc que l’écart de productivité entre la SNCF et les entreprises concurrentes en matière
de fret soit de 30%.
D’autres insertions, peut-être moins volumineuses en termes financiers, témoignent de la
persistance d’avantages acquis ou de pratiques difficilement justifiables au regard de l’évolution du
contexte économique et social.
Le corps des inspecteurs de l’académie de Paris
constitue ainsi une survivance injustifiée.
Bien que leur inutilité soit patente puisqu’ils n’exercent guère de mission d’inspection et que leur
activité n’est pas suivie, leur nombre a triplé entre 2002 et 2007. Des nominations récentes, qui ne
sont soumises à aucune condition particulière de diplôme ou d’expérience professionnelle, ont été
accordées sur des critères liés à la proximité des intéressés avec les autorités politiques successives
auprès desquelles elles avaient servi. Ces intégrations sont en effet particulièrement prisées
puisqu’elles offrent le statut de fonctionnaire et une rémunération nette supérieure à 4000€ par
mois. La suppression de ce corps est désormais acquise, mais la Cour vérifiera que la régularisation
de ces situations ne soit pas purement formelle.
En 2009, la Cour a également contrôlé
la caisse de retraite des anciens membres du
Conseil économique, social et environnemental
. Ce régime « très spécial » offre un certain
nombre d’avantages particuliers à ses bénéficiaires, qui n’en financent que 15%, et qui par ailleurs
bénéficient de la couverture de régimes obligatoires au titre de leur activité professionnelle
antérieure ou principale. Ce régime est très déséquilibré ; il constitue à court terme un risque
budgétaire de plus de 200 millions d’euros pour l’Etat ; il devrait donc être réformé.
Le rapport aborde également cette année le contrôle et la lutte contre la fraude dans plusieurs
secteurs. Des efforts ont été faits au cours de la période pour renforcer les moyens des
administrations publiques dans ces domaines et améliorer leurs résultats. Mais il reste encore
beaucoup de marges d’amélioration.
Ainsi en est-il des
contrôles fiscaux des entreprises et des particuliers
. Ils ont été
réorientés sur les erreurs et fraudes les plus faciles à détecter et à sanctionner pour offrir un plus
grand rendement budgétaire. Mais la conséquence, c’est que les contribuables ne sont pas égaux
face aux contrôles, et que les différents impôts ne font pas l’objet de la même attention.
Certains secteurs professionnels continuent d’échapper ainsi largement au contrôle, comme
l’agriculture ou l’hôtellerie-café-restauration, tandis que le bâtiment et les travaux publics sont
davantage ciblés. Le même constat peut être fait pour les petits impôts, moins contrôlés que l’impôt
sur le revenu, sur les sociétés ou la TVA. Il en est de même des divers crédits d’impôts,
exonérations, réductions.
La Cour recommande donc de mieux couvrir l’ensemble des contribuables, impôts et
dispositifs dérogatoires et de moderniser les outils et méthodes du contrôle fiscal.
La lutte contre la fraude à l’indemnisation du chômage
a mobilisé l’Unedic et les
Assedic au cours de la période récente, avec la création d’un corps d’auditeurs spécialisés et la
modernisation des outils de contrôle.
Cependant, ces organismes restent largement démunis faute d’une coopération suffisante
avec les autres services publics. De même, la complexité des dispositifs de sanction administrative,
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qui relèvent des préfets, nuit à leur efficacité et entraîne d’importantes inégalités de traitement entre
régions. Un rapprochement du droit et des pratiques de Pôle emploi avec ceux de la sécurité sociale
apparaît donc nécessaire afin d’optimiser les résultats à en attendre.
Nous revenons sur les procédures de
contrôle des aides à l’agriculture. Dans ce rapport il
s’agit des aides au développement rural
qui ne sont pas directement liées aux productions
agricoles mais concernent la modernisation des exploitations, l’aménagement du territoire et la
gestion des ressources naturelles.
Ces aides versées par la nouvelle Agence unique de paiement devraient être simplifiées Et
leur contrôle renforcé, la Cour ayant chiffré à 60 millions d’euros les sommes injustement versées
en 2006. Enfin, nous demandons que le ministère de l’agriculture cesse de ralentir ou de faire
obstacle aux sanctions qui sont prononcées.
Plusieurs insertions sont consacrées cette année à certains aspects de la gestion des services
de l’Etat. Elles visent non seulement à freiner les dérives constatées dans leur gestion, mais
identifient également des gisements d’économie ou de recettes supplémentaires.
Les programmes d’armement
constituent, avec 12 milliards d’euros en 2009, la première
dépense d’investissement de l’Etat. Or, la conduite de ces programmes montre de nombreuses
insuffisances tout au long de la chaîne de production : études préalables limitées, exigences
technologiques trop ambitieuses, sous-estimation des coûts. En outre, le recours à des coopérations
internationales tant à maximiser ces difficultés, comme l’illustre bien l’A400M.
Les améliorations récemment apportées à la gouvernance de ces programmes devront être
mises en oeuvre de manière résolue pour mettre un terme aux déficiences constatées.
En matière de dépenses de fonctionnement, nous relevons des défaillances graves dans la
gestion du
parc automobile des services centraux de la police nationale
. Le nombre de voitures
banalisées a ainsi augmenté de 21% entre 2003 et 2008, sans réelle justification, tandis que la
moitié de ces véhicules sont suréquipés, avec des motorisations inutilement puissantes ou des
aménagements trop luxueux.
L’utilisation de ces véhicules est très mal suivie, et les usages à titre privé sont répandus,
bien au-delà des contraintes normales de service, tout comme la mise à disposition de chauffeurs et
de véhicules à des personnes n’exerçant aucune fonction au ministère de l’intérieur. Enfin, le
nombre d’accidents est anormalement élevé (un tous les quinze mois en moyenne) et les sanctions
ont été longtemps inexistantes. Nous invitons à normaliser ces pratiques, à réduire le coût
d’entretien de ce parc et à lutter contre une accidentologie excessive.
La gestion du produit des amendes de circulation routière
appelle également des
remarques critiques. L’enjeu est d’importance, puisque les quelque 33 millions d’amendes émises
en 2008 ont rapporté plus de 1,5 milliard d’euros au budget de l’Etat.
Les procédures de paiement et de recours apparaissent toujours complexes et onéreuses,
malgré l’institution d’amendes forfaitaires. Seule la création des radars automatiques a permis une
modernisation d’une partie des amendes, dont le nombre reste toujours mal connu et le suivi
lacunaire faute de consolidation des données détenues par près de 2 800 services qui sont impliqués
dans le circuit global des amendes de circulation.
Ce contexte favorise la perpétuation de pratiques d’annulation d’amendes pourtant interdites
par les textes. Par exemple, à la préfecture de police de Paris, 965 000 amendes forfaitaires ont été
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annulées en 2007, soit plus de 15% de celles émises. Parmi elles, 525 000 ont fait l’objet de ce que
l’on appelle une « indulgence », c'est-à-dire d’une annulation pure et simple par les services de la
préfecture de police, alors même que le code de procédure pénale réserve exclusivement cette
faculté aux officiers du ministère public, c'est-à-dire à un juge assermenté à cet effet.
L’insertion relative à
la transaction des Bons-Enfants
décrit pour le contester le versement
par l’Etat d’une indemnité de 300 000€ aux petits-fils de l’architecte du bâtiment de la rue des
Bons-Enfants, occupé par le ministère de la culture et de la communication. Invoquant le droit
moral d’auteur, ces héritiers demandaient la dépose de la résille installée en 2005 en façade. Mais ce
droit ne justifie aucunement une transaction que la Cour juge précipitée et d’un montant excessif en
échange d’un abandon des poursuites dont les risques ont été insuffisamment évalués par le
ministère.
Le rapport consacre également plusieurs insertions à la gestion de divers organismes publics.
La Cour s’est tout d’abord intéressée au
domaine national de Chambord
, un organisme
aux enjeux financiers certes limité, mais qui est un lieu exceptionnel trop mal valorisé.
Ensuite, nous avons contrôlé
la RATP
, dont le modèle économique
est remis en cause par
les perspectives d’ouverture à la concurrence. La loi du 8 décembre 2009 a apparemment mis fin à
un imbroglio juridique, comptable et financier sur la propriété et la gestion des infrastructures
désormais attribuées à la RATP, tandis que le matériel roulant doit revenir au syndicat national des
transports d’Ile-de-France, le STIF.
En tout état de cause, les nouvelles conditions d’exploitation auront, dans un contexte
d’ouverture à la concurrence des transports urbains, des conséquences comptables et financières
auxquelles la Cour sera attentive. Cela pose également la question du portage par la RATP d’une
dette
de
4,3
milliards
d’euros
qu’elle
ne
parvient
pas
à
rembourser.
Une opération vérité s’avère nécessaire pour distinguer la dette de l’entreprise de celle des
collectivités locales, afin de permettre à la RATP de financer ses équipements futurs.
Les systèmes de cartes d’assurance maladie
ont indéniablement amélioré le service aux
usagers et permis une gestion plus efficace et économe des remboursements de soins. Près d’un
milliard de feuilles de soins électroniques sont transmises par cartes Vitale chaque année,
permettant une économie annuelle de 1,5 milliards d’euros. Là il faut le reconnaître et s’en féliciter :
la carte Vitale, ça marche, c’est en gros un succès dont notre pays peut s’enorgueillir ! Et avec peu
de fraude (0,01%).
Toutefois, l’approche incitative privilégiée par l’Etat à l’égard des médecins rencontre
aujourd’hui ses limites. L’assurance maladie reçoit encore 150 millions de feuilles de soins papier
soit une dépense de 200 millions d’euros qui pourrait être économisée. Il est particulièrement
inacceptable de constater qu’à Paris, 44% des généralistes et 60% des spécialistes refusent ce
dispositif. La Cour recommande donc que le montant de la contribution forfaitaire au frais de
gestion enfin votée soit fixé par le Gouvernement à un niveau dissuasif pour les médecins.
Enfin, nous avons examiné le
fonds d’épargne
géré par la Caisse des dépôts et
consignations. Il doit servir au financement de missions d’intérêt général, au premier rang
desquelles le logement social. Ses ressources sont fournies par
l’épargne populaire, dont les 46
millions de Livret A ouverts fin 2008 constituent le produit phare.
Ce dispositif original a été déstabilisé à partir de 2005 par une perte de compétitivité des
prêts du fait de la hausse du taux du livret A, qui a amené la Caisse à investir dans des placements
financiers qui l’ont exposé à la chute des marchés d’actions. Dans le même temps, l’Etat a sollicité
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le fonds de manière croissante pour financer la construction de nouveaux logements sociaux et pour
soutenir d’autres secteurs. Dès lors le fonds d’épargne a connu en 2008 son premier résultat négatif
de son histoire, de 1,6 milliard d’euros.
La loi de modernisation de l’économie de 2008 a cherché à restaurer la viabilité financière
du fonds d’épargne, en modifiant la formule d’indexation du livret A et en réduisant les
commissions versées aux réseaux. Elle a par ailleurs ouvert la distribution du livret A à tous les
établissements de crédits sous la pression de Bruxelles.
Malgré ces avancées, l’équilibre du fonds d’épargne n’est toujours pas assuré. Le niveau des
ressources du fonds dépend désormais largement de la politique commerciale des banques, qui
pourraient proposer à leurs clients des produits d’épargne plus rémunérateur pour elles, dans un
contexte où le taux du Livret A est bas. Côté dépenses, le fonds a été très fortement mobilisé par
l’Etat pour soutenir les établissements de crédit, participer au sauvetage de Dexia et financer une
partie du plan de relance.
L’Etat devra donc garantir au fonds des ressources suffisantes et abaisser leur coût en
réduisant les commissions de distribution versées aux banques, tout en encadrant ses engagements,
à fin de préserver ce dispositif essentiel au financement du logement social.
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Le rapport annuel présente également deux insertions relatives au secteur local portant sur
la
commune d’Hénin Beaumont
et
les sociétés d’économie mixte de la commune de Barcarès
.
Ces insertions soulignent la nécessité de mettre en place des dispositifs de nature à prévenir et
remédier aux dérives des finances et de la gestion locales.
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Comme chaque année, la Cour examine l’efficacité de plusieurs politiques publiques qui
concernent directement nos concitoyens.
La lutte contre le surdendettement des particuliers
, qui a été mise en place par la loi
Neiertz de 1989, n’a pas su prévenir ce type de difficultés. Le nombre des dossiers déposés devant
les commissions de surendettement a ainsi plus que doublé en 20 ans.
La création d’un fichier de l’endettement des particuliers aurait du permettre de
responsabiliser les organismes prêteurs, tandis que les cartes mixtes de fidélité offrant également
des crédits renouvelables devaient être davantage encadrées. Sur ces sujets, l’examen en cours au
Parlement du projet de loi réformant le crédit à la consommation devrait apporter des réponses et de
meilleures garanties de protection.
Les commissions de surendettement devraient également être réformées, car ni l’Etat, ni la
Banque de France qui en assure le secrétariat, ne les pilotent réellement. Les décisions de ces
commissions sont trop hétérogènes entre les départements et le suivi des plans de désendettement
est insuffisant. La Cour montre en outre que des gains de productivité peuvent être dégagés par la
Banque de France afin de mettre en place et de financer un suivi social des surendettés qui est
encore aujourd’hui étonnamment inexistant.
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L’impulsion nouvelle donnée à
la politique en faveur des services à la personne
devait
permettre la création de 500 000 emplois en trois ans, dans des domaines tels que le ménage, le
bricolage ou l’assistance aux personnes fragiles…
Cet objectif n’a pas été atteint puisque seuls 108 000 emplois équivalents temps plein ont été
créés sur la période 2006-2008, malgré des aides publiques massives, d’un montant de 6,6 milliards
d’euros en 2009.
Cette politique très coûteuse a davantage profité aux ménages aisés par le biais des
mécanismes d’exonérations fiscales et sociales, qu’aux personnes les plus vulnérables. En outre
cette attention aux aspects quantitatifs a conduit l’Etat à négliger la dimension plus qualitative de la
professionnalisation des salariés.
Certes, il s’agit avant tout d’une politique de développement de l’emploi, mais son coût
conduit la Cour à recommande de réorienter ces aides vers les plus fragiles et vers la formation des
salariés dans la perspective de la montée en puissance de la dépendance des personnes âgées.
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Nous dressons également un bilan de
la formation professionnelle en alternance financée
par les entreprises,
qui a été réformée par la loi du 4 mai 2004. Les contrats de
professionnalisation, ouverts aux jeunes de moins de 26 ans et aux demandeurs d’emplois, ont
répondu aux besoins des entreprises, mais restent encore insuffisamment développés faute d’une
mobilisation suffisante de l’Etat et des partenaires sociaux et en raison de leur coût élevé pour les
employeurs.
Les périodes de professionnalisation destinées aux salariés en CDI souhaitant se former en
alternance sont en revanche un échec. Elles sont trop concentrées sur certains secteurs et sur les plus
grandes entreprises, et non sur des publics prioritaires. A défaut d’un meilleur ciblage sur certains
publics, ce dispositif devrait être supprimé.
La politique de lutte contre le VIH/SIDA
a mobilisé 1,1 milliard d’euros en 2007 au titre
de la prise en charge sanitaire, mais à peine 90 millions d’euros pour la prévention et le dépistage.
Si le nombre de personnes nouvellement infectées a globalement diminué de près d’un
quart, les populations à risque –homosexuels ou migrants originaire d’Afrique subsaharienne- sont
toujours autant exposées. La prévention devrait donc davantage cibler ces groupes, et être renforcée
dans les lieux de rencontre. Le dépistage précoce devrait également être étendu, puisqu’entre 30 et
40% des personnes infectées ignoreraient leur séropositivité.
La Cour a procédé au contrôle des
instruments de la gestion durable de l’eau
. La
législation européenne, puis la loi Grenelle I, ont fixé des objectifs ambitieux de bon état écologique
des six grands bassins hydrographiques de la métropole. Mais les leviers d’action apparaissent
insuffisants pour atteindre ces objectifs, et sont mal coordonnés entre eux. Les redevances perçues
par les Agences de l’eau ne reposent pas suffisamment sur le principe pollueur-payeur, en
particulier dans le secteur agricole. Les prêts et subventions de ces agences sont dispersés et peu
orientés vers des actions de prévention, tandis que la police de l’eau, qui relève de l’Etat, n’est pas
suffisamment répressive.
La Cour est enfin revenue sur un sujet qu’elle a examiné à diverses reprises depuis dix ans
:
la décristallisation des pensions versées aux militaires issus des pays anciennement colonisés
par la France
. Ces pensions avaient été gelées suite à l’accession à l’indépendance de ces pays,
induisant une inégalité de traitement avec les pensionnés français, situation condamnée par la
justice administrative. Une série de mesures devait permettre de réaligner la situation des
« cristallisés » sur celle des pensionnés français. Pourtant, la Cour constate que ces inégalités
perdurent tant pour les pensions d’invalidité que pour les pensions militaires. Elle invite une
nouvelle fois à un alignement de ces pensions sur le droit commun appliqué aux Français, même si
elle en connaît le coût. Le Premier président Philippe Séguin était, vous le savez, très attentif à cette
question d’honneur national.
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A l’issue de la présentation des nouvelles insertions du rapport public 2010, je vois poindre
parmi vous peut-être un doute, ou à tout le moins, des interrogations sur leur utilité. C’est pour y
répondre que, depuis cinq ans, un tome du rapport public annuel est consacré aux suites réservées
aux précédentes interventions de la Cour.
Je rappelle qu’en outre les insertions du premier tome que je viens de vous présenter sont
également un moyen pour nous d’enfoncer le clou sur certains sujets sensibles, comme l’aviation
civile ou les aides agricoles.
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Nous présentons un indicateur statistique portant sur les recommandations formulées dans
nos publications et dans les référés adressés aux ministres et communiqués au Parlement.
L’ensemble des chambres ont participé à ce recensement systématique, pour les années 2006, 2007
et 2008.
Sur les 688 recommandations formulées par la Cour, 502 ont donné lieu à des réformes,
parfois partielles ou encore en cours. Le ratio de près des 3/4 de recommandations suivies d’effet
est donc tout à fait satisfaisant et atteste de notre contribution à l’amélioration de la gestion
publique.
Cette approche quantitative présente toutefois des limites évidentes, car elle ne permet pas
d’apprécier la portée des suites données à nos recommandations. C’est l’objet des vingt enquêtes de
suivi présentées dans le rapport annuel cette année.
Le bilan est globalement positif, notamment pour les suites données aux recommandations
que nous avons formulées sur l’exécution du budget et sur les comptes de l’Etat ainsi que sur
l’application des lois de financement de la sécurité sociale.
Je ne citerai pas l’ensemble des organismes contrôlés, mais voudrait insister sur les plus
emblématiques.
Nombre d’entre eux ont fait des progrès importants et mis en oeuvre l’essentiel des
recommandations de la Cour. Il s’agit par exemple du
médiateur de la République
, qui connaît
aujourd’hui un fonctionnement administratif satisfaisant. Autre exemple positif
l’institut national
de la jeunesse et de l’éduction populaire
, dont la gouvernance a évolué dans le sens souhaité par
la Cour. Je tiens également à souligner les améliorations engagées par
la Française des jeux
dans
les domaines du développement informatique et de la sécurité des jeux.
Pour d’autres, on peut dire : pas mal, mais doit pouvoir mieux faire !
L’impératif de qualité de services est désormais mieux pris en compte par
Aéroports de
Paris
dans son organisation, son fonctionnement et sa culture d’entreprises, même si les
améliorations restent inégales. En revanche, les contrôles de sécurité connaissent des problèmes
persistants de saturation, tout comme les contrôles aux frontières sous la responsabilité de la police
aux frontières.
En matière de politiques publiques, les résultats sont encore plus contrastés.
Ils sont inégaux pour la politique du logement, à laquelle nous consacrons trois insertions de
suivi.
La Cour se félicite que le Gouvernement et les acteurs
du 1% Logement
aient remédié aux
graves dysfonctionnements identifiés dans le précédent rapport public annuel.
Nous avions relevé en 2008 que
la gestion du parc locatif social
favorisait les occupants au
détriment des nombreux ménages à faibles revenus désireux d’y accéder. Plusieurs des
recommandations de la Cour ont été inscrites dans la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le
logement et de lutte contre l’exclusion pour y remédier. Mais le fonctionnement des commissions
d’attribution des logements demeure opaque et il est encore trop tôt pour juger des efforts du
Gouvernement en matière de construction de logements sociaux.
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Notre déception est grande s’agissant des
aides personnelles au logement
. Nous n’avons ni
été entendu sur le recentrage des aides sur les personnes ayant le plus de difficulté à se loger et les
étudiants aux plus faibles ressources, ni sur le redéploiement des aides au profit des locataires du
parc privé, qui peinent à faire face à leur loyers et charges, à la différence de nombreux locataires
du parc social. Nous ne manquerons donc pas de revenir sur ces questions dans les prochaines
années sur ce sujet.
Enfin, force est de constater que les réponses apportées pour limiter les risques auxquels
sont confrontées
les collectivités locales en matière d’emprunt
ne sont pour l’heure pas à la
hauteur des enjeux. A cet égard l’année 2010 présente un haut niveau de sinistre pour certaines
collectivités locales ou établissements hospitaliers.
Les résultats sont à l’inverse très encourageants pour les
ports français
, qui ont fait l’objet
d’un rapport public thématique en 2007. Après plus de quinze ans de critiques répétées, comme
quoi l’obstination est parfois une qualité, une série de textes adoptés au cours des deux dernières
années ont fait évoluer le cadre institutionnel dans le sens souhaité par la Cour. Mais il importe
désormais que la mise en oeuvre de la réforme portuaire ne souffre aucun délai.
Mesdames et Messieurs,
J’en arrive au terme de cette présentation, sans doute trop longue. Je suis à présent à votre
disposition, avec Claire Bazy-Malaurie, présidente de chambre et rapporteur général, et l’ensemble
des présidents de chambres de la Cour et des rapporteurs qui ont contribué à ce rapport annuel, pour
répondre à vos questions.