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Le 18 mars 2025
Le Premier président
à
Monsieur François Bayrou
Premier ministre
Réf. :
S2025-0104
Objet
: Le soutien au développement de l’hydrogène décarboné
En application des dispositions de l’article L111-13 du code des juridictions financières,
la Cour a réalisé une enquête sur le soutien au développement de l’hydrogène décarboné
depuis 2018. À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions
de l’article R. 143-11 du même code, d'appeler votre attention sur les observations qui suivent.
La France s’est dotée, depuis 2018, de deux plans stratégiques de soutien au
développement de l’hydrogène décarboné : le plan dit « Hulot » de 2018 et la stratégie
nationale hydrogène (SNH) de 2020. Ces plans visent à faire de l’hydrogène un levier de la
décarbonation de l’économie. Une actualisation de cette stratégie nationale a été soumise à
consultation publique en décembre 2023 mais n’a toujours pas abouti. Cette stratégie
sectorielle fixe notamment des trajectoires de production et de consommation d’hydrogène
décarboné à moyen terme. Elle s’inscrit dans le cadre plus général de la stratégie française
énergie-climat (SFEC) soumise elle-même à consultation publique en novembre 2024.
Les trajectoires de production et de consommation d’hydrogène sous-jacentes aux
documents stratégiques soumis à consultation apparaissent inatteignables tant d’un point de
vue opérationnel qu’au regard des montants de soutien public qu’elles pourraient nécessiter.
Dès lors, les scénarios attachés aux objectifs climatiques de la France qui se fonderaient sur
de telles trajectoires verraient leur crédibilité fragilisée.
Il importe donc de sécuriser les scénarios de décarbonation envisagés dans la
prochaine SFEC en les articulant avec une nouvelle stratégie nationale hydrogène fondée sur
des trajectoires de développement des capacités de production d’hydrogène décarboné et de
ses usages plus réalistes.
Cour des comptes – Référé n°S2025-0104
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1. LES OBJECTIFS DE CAPACITÉS DE PRODUCTION D’HYDROGÈNE
DECARBONÉ FIXÉS PAR LES STRATÉGIES HYDROGÉNES PARAISSENT
HORS DE PORTÉE
La stratégie française en faveur de l’hydrogène vise, depuis 2018, d’une part à
décarboner la production d’hydrogène pour les usages déjà existants (notamment à
destination du raffinage et de la production d’ammoniac) et d’autre part à développer de
nouveaux usages, en particulier dans l’industrie et les transports, afin de contribuer à la
décarbonation de ces secteurs. À cette fin, elle cherche à développer une filière nationale de
production d’hydrogène selon des procédés d’électrolyse, qui ne consomment que de l’eau et
de l’électricité. Les émissions du mix français de production d’électricité devraient en effet
permettre de qualifier la production d’hydrogène électrolytique de « bas carbone », à défaut
d’être reconnue comme « renouvelable ». À ce jour, l’hydrogène utilisé est produit
essentiellement à partir d’hydrocarbures, ce qui conduit à l’émission d’environ 10 millions de
tonnes en équivalent CO2 (MtCO
2eq
) par an.
La stratégie nationale hydrogène (SNH), publiée en 2020, prévoit la mise en place d’ici
2030 de 6,5 GW de capacités de production d’hydrogène (H
2
) par électrolyse de l’eau. Cet
objectif de 6,5 GW est repris dans le projet de seconde stratégie nationale hydrogène soumis
à consultation fin 2023. Le projet de SFEC mentionne quant à lui l’objectif d’installer « jusqu’à
6,5 GW » en 2030.
Ces objectifs apparaissent toutefois hors de portée. En effet, à date, seuls 0,3 GW ont
été installés ou ont été contractualisés dans le cadre d’un soutien public. D’ici 2030, sur la
base de l’ensemble des projets susceptibles d’être soutenus par la puissance publique
1
, le
niveau de capacités de production ne pourrait excéder 3,1 GW. L’atteinte de 3,1 GW en 2030
nécessiterait par ailleurs la réunion de conditions qui sont loin d’être acquises :
(i)
La réalisation d’ici 2030 de l’ensemble des projets d’électrolyseurs ayant fait
l’objet d’une demande d’aide dans le cadre des aides d’État autorisées par la
Commission européenne (1,1 GW) ;
(ii)
La mise en service en moins de quatre ans des 200 MW susceptibles d’être
soutenus par le premier appel d’offres du mécanisme de soutien à la production
d’hydrogène décarboné lancé en décembre 2024 (0,2 GW) ;
(iii)
La publication rapide des deux prochains appels d’offres du mécanisme et la
réduction des délais de mise en service afin de tenir le délai de 2030 (0,8 GW) ;
(iv)
La mise en service d’ici 2030 de 1 GW de capacités électrolytiques
supplémentaires par le seul effet de l’extension de la TIRUERT à l’hydrogène
décarboné (1 GW).
2. LEUR ATTEINTE RISQUE DE DÉPENDRE D’UN SOUTIEN BUDGÉTAIRE
INCOMPATIBLE AVEC LA SITUATION DES FINANCES PUBLIQUES
La production d’hydrogène décarboné par électrolyse de l’eau présente aujourd’hui un fort
déficit de compétitivité par rapport à la production d’hydrogène à partir d’hydrocarbures. Seuls
des progrès technologiques significatifs, améliorant les rendements des électrolyseurs, ou une
très forte augmentation du prix des quotas carbone pourrait permettre de combler ce déficit
sans intervention fiscale ou budgétaire. Or, les perspectives d’amélioration des rendements,
par exemple grâce à l’électrolyse à haute température, restent encore lointaines.
1
A travers : (i) les aides directes aux entreprises autorisées par la Commission européenne (Projets importants
d’intérêt européen commun (PIIEC) et Lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de
l’environnement et à l’énergie (LDAEE)) ; (ii) le mécanisme de soutien à la production d’hydrogène ; (iii) la taxe
incitative relative à l’utilisation d’énergies renouvelables dans les transports (TIRUERT).
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Le développement effectif de l’hydrogène décarboné en remplacement de l’hydrogène
carboné suppose donc une intervention de l’État pour inciter les acteurs privés à opérer cette
transition. La stratégie nationale hydrogène s’appuie du reste déjà sur une enveloppe de
soutien public annoncée de 9 Md
€
, dont 4 Md
€
au titre du mécanisme budgétaire de
subvention de la production d’hydrogène annoncé dès 2020, qui vise à soutenir l’installation
d’1GW de capacités de production à travers les trois appels d’offres visés ci-dessus
Or, la réalisation des trajectoires de production d’hydrogène prévues par les documents
de stratégie en consultation et leurs sous-jacents à horizon 2050 impliquerait de combler un
différentiel de compétitivité substantiel. En moyenne, entre 2024 et 2050, ce déficit
représenterait entre 3,4 Md
€
et 8,6 Md
€
/an ; sur la seule période 2031-2035 il serait déjà
compris entre 1,6 Md
€
et 4,1 Md
€
/an. Une prise en charge de ce déficit de compétitivité par
l’État, par exemple sur le principe du mécanisme de soutien budgétaire dont le premier appel
d’offre a été lancé en décembre 2024 poserait un problème évident de soutenabilité pour les
finances publiques.
À court terme, viser le soutien de 1 GW de capacités à travers les trois appels d’offres
annoncés peut poser question étant donnés l’absence de perspectives consolidées sur les
besoins de la filière et le contexte dégradé des finances publiques.
3. LE MAINTIEN D’OBJECTIFS IRRÉALISTES DE DÉVELOPPEMENT DES
USAGES DE L’HYDROGÈNE FRAGILISE LES SCÉNARIOS DE
DÉCARBONATION DE LA FRANCE
Le projet de nouvelle SFEC prévoit, une forte augmentation de la consommation
d’hydrogène, que l’installation de capacités de production électrolytique doit permettre de
couvrir. Cette hausse vise la décarbonation d’une partie des usages énergétiques et non
énergétiques de l’industrie (2 Mt H
2
/an en 2050), ainsi que d’une partie du transport aérien
(grâce aux électro-carburants, pour 1,5 Mt H
2
/an en 2050). Au total, en 2050, la consommation
annuelle d’hydrogène est ainsi projetée à plus de 4 Mt.
Or, de nombreux organismes et institutions ont récemment revu à la baisse leurs
prévisions de développement des usages de l’hydrogène, ce qui pourrait remettre en question
le maintien du niveau d’ambition de la stratégie française. L’Agence internationale de l’énergie
(AIE) a ainsi baissé de 30 % ses perspectives de consommation d’hydrogène décarboné pour
2030 entre 2021 et 2023 ; le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives
(CEA) ainsi que la Cour des comptes européenne ont souligné l’irréalisme des objectifs
européens en matière de production et de consommation d’hydrogène décarboné à horizon
2030.
Par ailleurs, pour alimenter les niveaux de consommation d’hydrogène projetés en
France, près de 225térawattheure (TWh)/an de production électrique devraient être consacrés
à la seule production d’hydrogène électrolytique en 2050. Afin d’assurer le bouclage électrique
à cet horizon, le projet de SFEC repose ainsi sur des hypothèses de production électrique de
l’ordre de 900 TWh/an. De tels niveaux de production électrique semblent peu réalistes. En
tout état de cause, ils excèdent les fourchettes projetées par les scénarios de référence
présentés par Réseau de transport d’électricité (RTE) dans son étude « futurs énergétiques »,
qui se situaient à l’horizon 2050 entre 675 TWh/an et 775 TWh/an
2
.
2
Seul le scénario « M0 – réindustrialisation profonde » affiche un niveau de production brute atteignant 900 TWh
en 2050
.
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Retenir des trajectoires de consommation d’hydrogène excessivement ambitieuses
risque dans ces conditions de remettre en cause l’atteinte des objectifs de décarbonation, dans
la mesure où ces derniers nécessiteraient en réalité le recours à d’autres leviers. De même,
le dimensionnement des capacités de production électrique risquerait de s’engager sur de
mauvaises bases, si les besoins en électricité s’avéraient surestimés du fait de scénarios trop
optimistes en matière de production et de consommation d’hydrogène. La SNH et la prochaine
SFEC doivent donc tirer les conséquences de ces incertitudes et se fonder sur les trajectoires
réalistes de production et de consommation d’hydrogène décarboné.
La Cour formule donc la recommandation suivante :
Recommandation unique
: Fixer dans les documents de planification énergétique des
trajectoires de consommation et de production d’H
₂
réalistes au regard des perspectives de
développement et de compétitivité de la filière.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez
donnée à la présente communication
3
.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances
et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de
l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site
internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L. 143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez
à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur
présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour
selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et
votre administration.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici
3
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
:
(
https://send-tpro.ccomptes.fr/home/index?c=Cour%20des%20comptes)
à
l’adresse
électronique
suivante :
greffepresidence@ccomptes.fr
(cf. arrêté du 19 juillet 2024 relatif aux caractéristiques techniques de l’application
« Correspondance JF »).