Sort by *
1
PRÉSENTATION À LA PRESSE DU RAPPORT SUR L’APPLICATION DES LOIS DE
FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE 2025
Lundi 26 mai – 9h30
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et Messieurs,
Bonjour et merci de votre présence
. Je suis heureux de vous présenter l’édition 2025 du rapport sur
l’application des lois de financement de la sécurité sociale (RALFSS).
Je voudrais tout d’abord remercier
le président de la 6
e
chambre de la Cour, Bernard Lejeune, ainsi
que les nombreux rapporteurs qui ont contribué à la réalisation de ce rapport, sous la houlette du
rapporteur général, Nicolas Fourrier, et du rapporteur général adjoint, Axel Maybon.
Le RALFSS constitue une obligation de la Cour, dans le cadre de sa mission constitutionnelle
d’assistance au Parlement et au Gouvernement
. Depuis 2023, notre rapport accompagne le projet de
loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, dans l’objectif d’éclairer les parlementaires et les
citoyens sur l’exécution des recettes et des dépenses sociales.
Comme l’an dernier, nous avons structuré notre rapport autour de trois axes
:
-
D’abord, une présentation de la situation financière de la sécurité sociale ;
-
Ensuite, une analyse de six postes de dépenses qui méritent toute notre attention, car des
réformes permettraient d’en améliorer l’efficacité budgétaire ;
-
Enfin, un examen, à travers cinq exemples, du service rendu aux assurés sociaux, enjeu central à
nos yeux.
*
Permettez-moi, avant tout, de vous présenter brièvement l’avis sur la cohérence des tableaux
d’équilibre et du tableau de situation patrimoniale pour 2024.
Cet avis nous est demandé, je le rappelle, par la loi organique.
Les
tableaux d’équilibre
correspondent
à des comptes de résultat combinés, qui couvrent l’ensemble des régimes obligatoires de base de la
sécurité sociale et le fonds de solidarité vieillesse. Le
tableau de situation patrimoniale
correspond à
un compte de bilan consolidé, qui intègre la dette sociale portée par la Cades et le fonds de réserve
pour les retraites.
2
La Cour estime que les tableaux d’équilibre et le tableau de situation patrimoniale fournissent une
représentation cohérente des comptes de la sécurité sociale, sous certaines réserves explicitées dans
le cadre de la certification des comptes.
C’est l’occasion pour moi de vous présenter les principaux enseignements de notre rapport de
certification des comptes de la sécurité sociale
. La Cour a certifié avec réserve les comptes 2024 de
quatre des cinq branches de prestations du régime général de la sécurité sociale, ainsi que ceux de
l’activité de recouvrement ; en revanche, nous avons renouvelé notre impossibilité de certifier les
comptes de la branche famille.
En effet, s’agissant de la branche famille, la faiblesse du contrôle interne conduit à un montant élevé
d’erreurs non corrigées
. Elles représentent 6,3 Md
de versements sont indus, erreurs qui ne seront
jamais régularisées ! Ces erreurs représentent 8 % du montant total des prestations et concernent
notamment le RSA, la prime d’activité et les aides au logement. En particulier, plus d’un quart des
montants versés au titre de la prime d’activité est entaché d’erreurs. C’est inacceptable.
La branche famille a, certes, engagé des actions de redressement depuis le second semestre 2023
.
Mais celles-ci n’ont pas été suffisantes jusqu’à présent, et elles n’ont pas encore pleinement produit
leurs effets sur l’exercice 2024. D’où cette impossibilité de certifier les comptes de la branche pour la
seconde année consécutive, après un refus de certification au titre des comptes 2022.
Les autres branches voient leurs comptes certifiés avec réserve
. Des erreurs importantes entachent
encore les comptes de la branche maladie, notamment les règlements de frais de santé. Le montant
de ces erreurs augmente par rapport à 2023 et atteint 3,3 Md
. La Cour relève une insuffisance de
pièces justificatives pour 1,6 % des prestations en nature, correspondant à un montant estimé de 1,6
Md
en 2024. Par ailleurs, une dette ancienne de 0,8 Md
appelle une action de la part de la branche
et des pouvoirs publics pour la régler ou l’annuler.
La branche vieillesse connaît des améliorations que nous avons notées
. En 2024, une prestation de
retraite sur 10 attribuée à d’anciens salariés comporte une erreur financière. Ce constat s’améliore
puisqu’il était d’une prestation sur 8 en 2023.
La branche autonomie doit quant à elle revoir son organisation comptable et financière et déployer
un nouveau logiciel comptable.
Au total, le rapport de certification insiste sur plusieurs chantiers prioritaires pour améliorer la
fiabilité des comptes du régime général de la sécurité sociale en 2025
. Il est impératif de lever les
trop nombreuses réserves encore identifiées par la Cour. Je note avec satisfaction que le
Gouvernement, dans sa réponse au rapport, a indiqué n’avoir quasiment aucun point de désaccord
avec la Cour. Il s’est engagé à établir une trajectoire pour lever progressivement ces réserves. Je me
réjouis que nos analyses soient entendues et il faut désormais que cela se traduise par des
améliorations concrètes.
***
Je vous propose à présent d’examiner la première partie du RALFSS, qui porte sur la situation
financière de la sécurité sociale
Et celle-ci est, comme vous l’imaginez, particulièrement alarmante.
J’ai parlé « d’année noire » pour
les finances publiques en 2024. Cela vaut pour la sécurité sociale, dont le financement n’est plus assuré
à terme, sauf mesures vigoureuses de redressement.
3
Pour 2024, la LFSS prévoyait un déficit stable par rapport à 2023
. Cela était déjà peu ambitieux,
puisque ce déficit n’avait cessé de se réduire depuis la fin de crise sanitaire. En réalité, la situation a
été bien plus grave. Le déficit s’est creusé de près de 50 % par rapport à cette prévision. Il a atteint
15,3 milliards d’euros en 2024. Et pour 2025, le déficit prévu est encore plus élevé, à hauteur de
22 milliards d’euros.
Il faut que chacun se rende compte de la gravité de la situation : entre 2023 et 2025, le déficit de la
sécurité sociale aura plus que doublé !
Et encore, ces projections se fondent sur des hypothèses
économiques encore trop favorables.
La dégradation que nous avons connue en 2024 est inédite hors période de crise.
Elle résulte de deux
phénomènes bien identifiés depuis plusieurs mois.
D’abord, les prévisions de croissance et de recettes ont été optimistes
. Le rendement de la TVA
apparaît particulièrement en retrait par rapport aux prévisions.
Seconde cause de ce déficit : l’absence – une nouvelle fois – de maîtrise des dépenses d’assurance
maladie
. Cette branche porte désormais, à elle seule, 90 % du déficit total de la sécurité sociale. Je
veux le dire clairement : l’assurance maladie est intégralement responsable de la dégradation
financière de la sécurité sociale par rapport à 2023.
En conséquence, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (l’ONDAM) n’est pas respecté
pour la quatrième année consécutive
. Il a dépassé la prévision d’environ 1,3 milliard d’euros. Certes,
ce dépassement est inférieur à ceux des deux années précédentes. Mais il est plus inquiétant, car il est
constaté malgré des conditions tout à fait normales d’exécution. Nous y consacrons un chapitre pour
éclairer cette situation.
Entre 2023 et 2024, l’ONDAM hors COVID a progressé de 3,4 %.
La forte hausse des dépenses de soins
de ville, de +5 milliards d’euros, reflète notamment une absence totale de pilotage. Le déficit des
hôpitaux atteint près de 3 milliards d’euros, soit un creusement d’1 milliard en un an. Leur modèle
économique est devenu insoutenable : deux tiers des hôpitaux publics sont désormais en déficit !
Ainsi, 1 milliard d’euros des mesures de maîtrise des dépenses qui étaient prévues l’an dernier dans
le champ de l’ONDAM, n’a pas été réalisé
. Et l’année prochaine risque d’être encore plus difficile. Les
mesures nouvelles pour 2025 atteignent 6,2 milliards d’euros. Cela implique des mesures d’économie
de 4,3 Md
, un niveau jamais atteint auparavant. Sans attendre, il est indispensable de définir
précisément les économies recherchées, et surtout, de les appliquer.
Au-delà de l’assurance maladie, nous faisons également le point sur les autres branches, en
particulier celle des retraites qui concentre le reste du déficit
. Nos analyses sont en cohérence avec
les deux rapports que nous avons rendus au Premier ministre il y a quelques semaines.
La baisse des naissances a atténué la progression des dépenses de la branche famille.
Mais les
dépenses de la branche autonomie sont, quant à elles, toujours dynamiques – nous y consacrons cette
année un chapitre.
Au global, nous avions parlé l’an dernier d’un « point de bascule » en 2027, l’année où le déficit
deviendrait supérieur à la capacité d’amortissement de la CADES
. Ce constat est en fait bien plus
grave : le point de bascule est atteint dès cette année, avec une prévision de déficit pour 2027
supérieure d’un tiers à ce qu’elle était en 2024 !
4
La succession des déficits conduit à accumuler une dette sociale qui n’est pas financée
. En 2028, la
dette sociale devrait avoisiner les 175 milliards d’euros, dont une majorité reposerait non plus sur la
caisse d’amortissement de la dette sociale, mais sur l’Acoss, dont la mission n’est pourtant pas de
financer cette dette à moyen terme.
C’est mécanique : l’accumulation de cet endettement conduit à un risque de plus en plus sérieux de
crise de liquidité
. La taille du marché sur lequel l’Acoss se finance pourrait ne pas être suffisante pour
absorber un volume d’emprunt aussi important. Et ce risque pourrait se matérialiser dès 2027.
Alors, que faire ? Nous avons publié, il y a quelques semaines, une « note structurelle » sur
l’assurance maladie, qui proposait des réformes permettant d’économiser environ 20 milliards
d’euros
. Ce sont là de premières pistes d’économies. Et les recommandations que vous trouverez dans
le RALFSS constituent de nouvelles pistes pour amorcer le redressement de nos finances sociales.
Nos efforts doivent en effet se concentrer sur la maîtrise des dépenses d’assurance maladie afin de
tenir,
a minima
, les objectifs fixés par la loi
. Nous avons impérativement besoin d’un programme
pluriannuel de maîtrise des dépenses de l’ONDAM, en développant la prévention en santé et en
réorganisant l’offre de soins.
Concernant la dette sociale, une solution pourrait être de prolonger la durée de la vie de la CADES,
qui doit s’éteindre en 2033
.
Je rappelle toutefois que cela nécessite une loi organique. Et avant d’en arriver là, il nous faut définir
une trajectoire crédible de retour à l’équilibre. Nous suggérons, dans ce rapport, de nouvelles pistes
en ce sens, que je vais vous exposer dans un instant.
Mais d’abord, permettez-moi de revenir sur les analyses qui clôturent la première partie du RALFSS :
l’examen d’un dispositif central pour l’emploi en France, les « allègements généraux » de cotisations
sociales
. Ce dispositif bénéficie principalement aux salaires au niveau du SMIC. Créées il y a plus de
trente ans, ces exonérations ont représenté
plus de 77 milliards d’euros
en 2023. Elles ont certes
permis un véritable allègement du coût du travail sur les bas salaires, sans appauvrir les salariés. Si ces
exonérations étaient supprimées, un million d’emplois pourrait être détruit.
Toutefois, ces allègements généraux sont insuffisamment pilotés et évalués.
Leur coût a augmenté
de 18 Md
ces trois dernières années, sous le seul effet de l’inflation. Or, ces exonérations fragilisent
le financement de la protection sociale, en la privant de ressources. Certes, elles sont en grande partie
compensées par l’État, mais une part reste à la charge de la Sécurité sociale pour plus de 5 milliards
d’euros en 2024.
Dans le contexte actuel de dégradation de l’équilibre financier de la sécurité sociale, nous proposons
donc de revoir les modalités de ce dispositif d’allègements.
Il conviendrait en effet d’en réduire le
coût, mais sans remettre en cause l’objectif de soutien à l’emploi.
S’agissant du dispositif d’allègements sur les bas salaires, une réforme est prévue pour l’année
prochaine
.
Ce n’est pas notre rôle de préempter les arbitrages exacts qui seront faits. En revanche,
nous soulignons une chose : il est indispensable de mieux calibrer le plafond d’éligibilité, l’assiette de
calcul et la dégressivité de ces allègements généraux. L’intégration des compléments de salaire dans
le calcul doit également être examinée.
Nous avons aussi examiné un autre dispositif d’allègements de cotisations, qui s’applique aux
cotisations famille, y compris sur les salaires élevés.
Les évaluations n’ont pas démontré l’efficacité
de ces exonérations sur l’emploi et sur la compétitivité, en ce qui concerne sur les salaires élevés.
5
Plusieurs milliards d’euros d’économies pourraient donc être obtenus en réduisant le plafond
d’exonérations de ces allègements « famille » de 3,3 SMIC à 2,5 SMIC.
***
J’en arrive à la deuxième partie du RALFSS, dans laquelle la Cour examine six postes de dépenses
dont l’évolution a eu des incidences importantes sur les déficits sociaux.
Nous nous penchons d’abord sur l’intérim paramédical
. Le RALFSS de l’an dernier comprenait un
chapitre sur l’intérim médical. Or, les professions paramédicales sont également concernées, en
particulier les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes et les aides-soignants. Cette solution, qui
devait rester exceptionnelle, est devenue de plus en plus courante, allant jusqu’à créer des situations
irrégulières d’un point de vue juridique. Bien sûr, cette hausse s’explique par des difficultés de
recrutement de ces personnels.
La dépense est, pour l’instant, limitée mais elle a été multipliée par plus de trois depuis 2019 dans
les hôpitaux publics, pour atteindre près de 500 M
en 2023.
Le coût horaire d’un intérimaire dépasse
de 50 % à 130 % celui du personnel équivalent de l’hôpital où il exerce.
Cette hausse de l’intérim dérègle la gestion des ressources humaines dans les établissements
. La
charge de travail est accrue pour les personnels permanents, qui doivent former les intérimaires. Les
contraintes du travail la nuit et le week-end sont mal réparties.
Et la prise en charge des patients peut être affectée par la rotation des soignants sur une courte
période, ou par la fatigue d’intérimaires qui accumulent les heures sur plusieurs postes, sans aucun
contrôle.
C’est pourquoi la maîtrise de l’intérim paramédical est indispensable, en contrôlant les situations de
cumuls d’emplois et en plafonnant les rémunérations des intérimaires
.
Au-delà, il faut en traiter les causes structurelles, en améliorant la formation des professionnels
paramédicaux, en régulant la concurrence entre établissements pour attirer les nouveaux diplômés et
en développant l’attractivité des hôpitaux.
*
Toujours à l’hôpital, un chapitre est également consacré au personnel non soignant.
Il s’agit d’un
thème proposé par les citoyens sur notre plateforme de participation citoyenne, et qui constitue donc
une interrogation forte de nos concitoyens. Nous entendons en effet souvent qu’au sein des hôpitaux
publics, il y aurait une proportion trop importante de personnels administratifs par rapport aux pays
comparables ou aux cliniques privées.
Un constat s’impose d’emblée : les comparaisons que l’on voit circuler ne sont pas valables
. Il
n’existe, en effet, pas de cadre statistique fiable pour définir les « personnels non soignants », qui
recouvrent des métiers très différents relevant de la blanchisserie, de l’entretien des bâtiments, de la
gestion comptable ou de la recherche clinique. La frontière avec le personnel soignant peut être ténue
(manipulateurs radio, distribution des repas dans les services).
En 2023, selon une acception large, nos hôpitaux publics comptaient donc 29 % de personnels non
soignants.
Après retraitements, cette proportion est similaire à celle de l’Allemagne
.
6
Il faut donc nous garder de tout raccourci sur ce sujet ! Les effectifs de ces personnels sont restés
stables jusqu’en 2020. La crise sanitaire a ensuite rendu nécessaire de les renforcer, pour décharger
les soignants.
Je veux par ailleurs rappeler que ces personnels sont indispensables au parcours des patients.
La
Cour appelle régulièrement à recentrer les soignants vers leur c
œ
ur de métier. Pour cela, les fonctions
support sont absolument nécessaires.
Pour autant, il y a des pistes d’amélioration
. Leur performance devrait pouvoir être comparée entre
les hôpitaux. Les services doublonnés entre plusieurs établissements devraient être mutualisés.
L’intérêt de leur externalisation, lorsqu’elle est possible, devrait être appréciée au cas. Par ailleurs, les
fonctions support doivent être modernisées, notamment la facturation et le recouvrement, en utilisant
mieux le numérique et l’intelligence artificielle.
*
Troisième poste de dépenses analysé, le RALFSS fait également un bilan de la gestion des stocks
stratégiques de masques
. Ce sujet a été au c
œ
ur des préoccupations du pays durant la crise sanitaire,
et il nous faut continuer à le suivre.
En janvier 2024, ce stock était constitué de 2,1 milliards de masques.
Il s’agit d’un stock important
mais vieillissant : 700 millions d’entre eux sont déjà périmés. La totalité des masques acquis durant la
crise sera périmée l’année prochaine, mais le renouvellement du stock est en cours et devrait être
réalisé d’ici 2029 si les fournisseurs – français – livrent les masques commandés en temps et en heure.
Avec la saturation des plateformes de stockage dès 2026, la question de la destruction des masques
périmés va se poser de façon de plus en plus pressante.
Des études américaines ont contesté qu’ils
perdent leur efficacité après cinq ans. Leur péremption serait liée à la rupture plus fréquente des
élastiques ! Cela invite à analyser quand les masques jugés périmés deviennent réellement
inutilisables, et quand ils doivent être détruits pour laisser de la place.
Au-delà, la doctrine du ministère reste peu étayée
. Après trois ans de réflexion, un nouvel objectif de
stockage de 2 milliards de masques a été fixé en 2024, mais les populations-cibles et les conditions de
leur répartition n’ont pas été précisées. Il est urgent qu’une doctrine en la matière soit arrêtée.
Il nous faut également une gestion « tournante » et non « dormante » de ce stock.
Cela permettrait
de transférer les masques gratuitement aux hôpitaux avant péremption, plutôt que d’avoir à les
détruire ; c’est une absolue évidence mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Outre l’économie pour les
hôpitaux évaluée à 30 M
par an, cela obligerait Santé publique France à rénover ses systèmes
d’information et ses processus logistiques, pour pouvoir distribuer les masques qu’il détient et
préparer ainsi sa réponse à une future crise.
*
Par ailleurs, après nos deux rapports commandés par le Premier ministre sur le système des retraites,
le RALFSS comprend deux chapitres dédiés à cette branche.
Le premier traite du cumul emploi-retraite, qui permet à un retraité d’exercer une activité
rémunérée.
Environ 710 000 personnes en bénéficient, hors militaires et catégories actives des
régimes spéciaux comme les cheminots. Leur nombre a augmenté de 75 % depuis 2009, trois fois plus
vite que celui des retraités de leur tranche d’âge.
7
Les règles, particulièrement complexes, qui encadrent le cumul, sont avantageuses en France par
rapport aux autres pays européens.
Le cumul est intégral, sans plafond de revenu, pour 90 % des
cumulants. Dans les autres pays, la retraite est, en règle générale, diminuée ou supprimée tant que
l’âge d’obtention automatique du taux plein de la retraite n’est pas atteint.
Nous avons retenu plusieurs enseignements de l’analyse des personnes en situation de cumul
. En
réalité, les profils des retraités qui complètent une pension modeste par des activités ponctuelles ou
qui prolongent simplement leur activité après 67 ans sont minoritaires. Le plus grand nombre est
constitué de cadres encore actifs et de personnes qui, ayant commencé à travailler tôt, bénéficient
d’un dispositif de retraite pour carrière longue.
La règlementation sur le cumul a donc besoin d’une remise en ordre
. Plusieurs pistes sont possibles
pour simplifier ces règles, notamment en réservant le cumul sans plafond de revenu aux personnes
qui ont atteint 67 ans.
Un écrêtement des pensions à hauteur des revenus d’activité pourrait être envisagé, pour les
personnes partant à la retraite avant l’âge d’ouverture des droits
. Cela permettrait d’inciter à la
poursuite d’activité, lorsque c’est possible. Il faudrait également simplifier les plafonds de revenus.
Alors que le cumul est une option coûteuse pour les finances publiques par rapport à d’autres
dispositifs comme celui de la surcote, ces mesures permettraient d’économiser de l’ordre de 500
millions d’euros chaque année.
*
Un second chapitre est consacré aux retraites. Il s’agit d’un sujet sensible : la fraude aux retraites
versées à l’étranger.
Ce sujet est également issu de notre plateforme citoyenne, probablement parce
qu’il fait l’objet de débats récurrents. Nous avons donc cherché à éclairer les citoyens sur ce sujet.
Le nombre de pensionnés concernés au régime général est de 1,1 million, pour 3,9 Md
de pensions
versées
. Parmi eux, 900 000 perçoivent une retraite complémentaire, pour un montant de 2 Md
. Les
retraités se concentrent dans six pays : la moitié est en Europe, et 40 % en Afrique du Nord.
Ces pensions sont sujettes à des fraudes spécifiques, notamment le décès non déclaré du
bénéficiaire.
Depuis notre dernier rapport sur le sujet en 2017, nous avons constaté une claire amélioration du
contrôle de cette fraude.
C’est notamment permis par des échanges informatisés de données d’état-
civil avec un nombre croissant de pays européens, avec le développement des contrôles physiques en
Algérie et au Maroc, et avec la mise en place de contrôles sur pièces renforcés depuis 2022 par des
agents formés à la fraude documentaire.
Toutefois, des améliorations sont encore possibles
. Le coût annuel de la fraude reste encore estimé
entre 40 et 80 M
pour l’Algérie, premier pays de destination des retraités, et autour de 12 M
pour
le Maroc. L’objectif est d’intensifier le recours aux contrôles physiques d’existence dans ces deux pays,
en s’appuyant notamment sur des partenaires locaux. Le recours à l’identification faciale biométrique
est en cours de développement.
Par ailleurs, la fraude à l’allocation de solidarité aux personnes âgées
, qui est soumise à condition de
résidence en France, doit faire l’objet de contrôles dédiés, pour mieux tracer les départs à l’étranger.
Je veux donc dissiper un certain nombre de préjugés sur ce sujet
: les contrôles existent et sont
efficaces pour la plupart. Ils sont en cours de renforcement et la Cour suivra la mise en
œ
uvre des
actions engagées.
8
*
Les indus sont un autre sujet central pour la confiance dans notre sécurité sociale.
Ils correspondent
aux sommes qui sont versées à tort par les caisses de sécurité sociale aux assurés. Cela peut résulter
d’erreurs, d’omissions, mais aussi de fraudes volontaires.
En 2023, leur montant a atteint près de 19 milliards d’euros pour les quatre principales branches du
régime général, soit près de 5 % des prestations versées.
10 milliards sont détectés grâce aux
contrôles, le reste est seulement estimé.
Globalement, les indus détectés sont plutôt bien récupérés, mais les indus non détectés sont encore
bien trop nombreux
. Ils sont estimés à 8,6 milliards d’euros, majoritairement au sein de la branche
famille.
Il nous faut donc agir à plusieurs niveaux
: en améliorant l’information des assurés et des
professionnels de santé sur leurs déclarations, en améliorant les outils à la disposition des caisses, et
en renforçant les contrôles, avant même le paiement des prestations. Lorsque l’indu est constaté, il
faut en améliorer le recouvrement, ce qui passe par une meilleure mobilisation des près de 4 000
agents dont c’est le métier.
En résumé, la détection et le recouvrement des indus frauduleux ont progressé mais restent
insuffisants
. Le recours à l’intelligence artificielle pourrait aider à exploiter les nombreux dossiers
concernés.
Un dernier sujet concerne les participations et franchises forfaitaires en tiers payant dues par les
assurés, par exemple pour l’achat de boîtes de médicaments.
La caisse nationale d’assurance maladie
n’a que partiellement repris leur recouvrement en 2023. La branche gagnerait entre 500 M
et 1 Md
par an si tous les montants dus étaient recouvrés.
***
Permettez-moi à présent de passer à la dernière partie du rapport. Celle-ci porte sur cinq exemples
d’amélioration possible de la qualité de la dépense sociale, et du service rendu aux usagers.
Nous nous sommes d’abord intéressés à la branche la plus récente de la sécurité sociale, créée en
2020 pour prendre en charge la perte d’autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap.
L’effort budgétaire consenti pour cet enjeu est important : 90 milliards d’euros cette année, dont près
des deux tiers financés par la sécurité sociale. La création d’une nouvelle branche a eu des vertus
indéniables, en renforçant l’information du Parlement et en rendant ces enjeux plus visibles.
Toutefois, le premier bilan que nous dressons est très insatisfaisant
. De fortes disparités territoriales
existent dans les prestations.
Le montant moyen de l’allocation personnalisée d’autonomie (l’APA) varie du simple au double selon
les départements en fonction des conditions d’octroi et des montants alloués. Par ailleurs,
l’autorisation, le financement et le contrôle des EHPAD sont fragmentés. La branche alloue des
financements aux départements, qui sont devenus illisibles. Les usagers et leurs aidants font face à un
trop grand nombre d’interlocuteurs qui ne se coordonnent pas. Le contrôle interne et la lutte contre
la fraude sont également insuffisants.
En clair, le vieillissement constitue un enjeu central pour notre pays dans les prochaines années, et
il n’est pas correctement pris en compte.
Et pour preuve : la branche et l’État ne disposent d’aucune
9
projection des besoins au-delà de 2028. L’effet démographique devrait pourtant se renforcer
fortement à partir de 2030, lorsque la génération du baby-boom aura 85 ans. Le Gouvernement
considère que, jusqu’à cette date, le «
virage domiciliaire
» qu’il appelle de ses v
œ
ux devrait suffire. Il
faudrait pour cela renforcer considérablement le secteur de l’aide à domicile.
Le pilotage des EHPAD devrait aussi être réformé, en clarifiant les responsabilités des agences
régionales de santé, des départements et de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie
.
L’objectif doit être, pour les assurés, de réduire les fortes disparités existantes sur l’implantation des
établissements, et de rétablir une certaine égalité de droits dans les prestations versées.
Autre chapitre sur ce volet « amélioration de la dépense » : nous nous sommes également intéressés
à un maillon essentiel du soin en France, nos quelques 20 500 pharmacies d’officine.
Un constat d’abord : nous perdons en moyenne plus de 200 pharmacies chaque année depuis 2015
.
Les zones rurales sont les plus fortement touchées, car elles peinent à attirer des repreneurs. L’État a
mis en place récemment des dispositifs pour y remédier, mais ils nous paraissent peu efficaces. Il faut
soutenir les officines fragiles, en évitant tout effet d’aubaine. Les règles, trop rigides, d’installation des
officines pourraient également être repensées.
Le réseau officinal est d’autant plus indispensable que les pharmaciens n’ont cessé de voir s’étendre
leur rôle dans l’accès aux soins.
Ils ont été autorisés à vacciner contre la grippe puis contre la Covid-
19. Ils peuvent désormais dépister les angines et cystites bactériennes, et délivrer des antibiotiques.
Ces nouvelles missions connaissent un véritable succès auprès des patients et soulagent les médecins,
mais elles ne représentent que 4 % de la rémunération des officines. Nous appelons à généraliser les
expérimentations en cours en la matière et à rééquilibrer les conditions de la rémunération.
Il nous faut porter une attention particulière aux risques qui pèsent sur le financement de ce secteur.
Le danger lié à la «
financiarisation
» n’est pas encore avéré, puisque seuls des pharmaciens peuvent
intégrer le capital d’une officine.
Toutefois, faute de financement, des jeunes pharmaciens ont de plus en plus recours à des fonds
d’investissement privés, qui peuvent altérer l’indépendance des professionnels par une recherche de
la rentabilité maximale. Nous appelons donc à renforcer le contrôle de cet enjeu par l’Ordre des
pharmaciens, afin de préserver l’indépendance de ses professionnels.
La sécurité sociale est également responsable d’un service public devenu essentiel dans la vie de
certaines familles : celui des pensions alimentaires.
Pour répondre à l’enjeu des impayés de pensions
alimentaires, ce service public a été mis en place en 2017 et est fondé sur l’Agence de recouvrement
et d’intermédiation des pensions alimentaires (dite ARIPA). En 2024, cette agence a récupéré près de
300 millions d’euros d’impayés et reversé 300 millions d’euros payés à bonne échéance.
Mais le besoin est toujours très mal mesuré
. En effet, le nombre de divorces n’est plus connu des
pouvoirs publics avec la généralisation des divorces par consentement mutuel, et il en va de même
pour les dissolutions de PACS et les ruptures d’unions libres. Une collecte statistique n’est pas non plus
assurée sur le nombre et le montant des pensions alimentaires. Nous appelons à y remédier. Nous
proposons aussi plusieurs pistes d’évolution, en particulier l’amélioration des liens entre l’ARIPA et le
monde de la justice.
Par ailleurs, pour un public souvent fragile d’un point de vue financier, l’ARIPA est en deçà des
attentes : les taux d’erreurs et les délais de réponse, notamment, sont trop importants
. Malgré
d’indéniables avancées, le service public des pensions alimentaires, qui répond à un véritable besoin
10
social, n’est pas jugé assez réactif par les usagers. Cette attente des familles doit être entendue, et nos
recommandations permettraient d’améliorer cette situation.
*
Nous nous sommes également intéressés au sujet des pensions d’invalidité
.
Ces pensions sont versées aux personnes dont la capacité de travail est réduite, à cause d’un accident
ou d’une maladie qui ne sont pas d’origine professionnelle
. 800 000 personnes en ont bénéficié en
2023, dont une majorité de femmes, et leur nombre est en hausse. Près de 10 milliards d’euros au
total sont consacrés à l’invalidité.
Ce dispositif est indispensable pour les personnes concernées mais il reste mal piloté par les pouvoirs
publics
. Les territoires connaissent donc des disparités importantes. Le taux de personnes en invalidité
va du simple au triple selon les départements, et le taux d’acceptation des demandes de 30 à 85 %.
En outre, la « capacité à occuper un emploi », concept central dans le versement des pensions, n’est
pas assez fréquemment réévaluée : moins de 3 % des pensions ont été réexaminées en 2023.
Cela
permettrait à la sécurité sociale de faire des économies, car 21 % des personnes jugées incapables
d’occuper un emploi cumulent pourtant leur pension avec une activité professionnelle. Le retour à
l’emploi supposerait un concours plus actif des employeurs pour procéder à des adaptations de poste
ou à des reclassements, comme en Belgique ou aux Pays-Bas. Au-delà, la mise en invalidité des
personnes en congé maladie de longue durée est trop tardive, ce qui ne favorise pas leur réinsertion
professionnelle. En effet, les personnes invalides ont droit à un accompagnement renforcé pour le
retour sur le marché du travail et il faut leur reconnaître rapidement ce statut pour qu’elles en
bénéficient.
*
J’en arrive au dernier chapitre du RALFSS, qui est consacré à nouveau au sujet des retraites, cette
fois-ci celle des artistes-auteurs
. Ces derniers tirent des revenus de leurs créations et peuvent être
écrivains, graphistes, compositeurs ou cinéastes. Il s’agit d’une population diverse, de moins de
400 000 personnes, avec des revenus généralement faibles et complétés par d’autres activités.
L’URSSAF a repris, depuis 2019, le recouvrement des cotisations retraites de cette population- après
de graves dysfonctionnements constatés pour une des deux associations agréées par l’État qui en
avaient la responsabilité
. Ces associations ont dû fusionner, pour former la « sécurité sociale des
artistes-auteurs ». Après une première phase chaotique, la situation s’est progressivement normalisée
et a permis d’améliorer la fiabilité du recouvrement.
La réforme doit donc être parachevée dans une perspective de simplification et d’amélioration de la
qualité de service.
Il nous paraît nécessaire de transférer à l’URSSAF les missions qu’a conservées la
sécurité sociale des artistes-auteurs, bien mieux armée pour répondre aux besoins de ces publics
spécifiques.
***
Voilà, Mesdames et Messieurs, pour la description des différents chapitres du RALFSS.
Je mesure et
j’espère que vous mesurez désormais toute l’étendue et l’apport de ce rapport dans le débat public,
pour améliorer le fonctionnement de la sécurité sociale, dans une situation financière critique.
11
Avant de terminer, je voudrais alerter une nouvelle fois sur l’urgence, pour notre sécurité sociale,
d’entreprendre des réformes qui doivent permettre une résorption de son déficit.
Nous avons, au travers de ce RALFSS mais aussi de précédents rapports, proposé de nombreuses pistes
de réforme, pour maîtriser voire réduire la dépense. Et ce, sans jamais peser sur les assurés ni sur la
qualité de la dépense sociale. Un exercice continu de « revue des dépenses » me paraît, je le répète,
indispensable pour maitriser nos finances sociales.
Le service public de la sécurité sociale, dont nous célébrons cette année le 80
e
anniversaire, est un
trésor national, au c
œ
ur de notre pacte social.
Loin d’être figé, il doit être réformé pour garder toute
son efficacité. Or, l’accumulation de déficits non maîtrisés fait peser sur lui un risque majeur, et
amoindrit la confiance de nos concitoyens dans la sécurité sociale.
Une perspective doit donc urgemment être donnée sur les conditions de résorption de la dette
sociale
. Les modalités de son financement doivent être rapidement définies sous peine d’une profonde
fragilisation de notre modèle social.
Je vous remercie pour votre attention et me tiens, ainsi que l’équipe de magistrats, à votre
disposition pour répondre à vos interrogations.