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PRÉSENTATION À LA PRESSE DU RAPPORT PUBLIC THÉMATIQUE SUR
LES MOBILITÉS ENTRE LES SECTEURS PUBLIC ET PRIVÉ
Mercredi 14 mai 2025 – 9h30
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour et merci de votre présence.
Je vais aujourd’hui vous présenter les conclusions du rapport public
thématique consacré aux mobilités entre les secteurs public et privé, thème
choisi par nos concitoyens et proposé à la Cour
via
notre plateforme
citoyenne.
Je souhaite avant tout saluer le travail remarquable et approfondi de
l’ensemble des artisans de ce rapport, qui sont nombreux
. Ce travail est en
effet issu d’une formation spécifique, la formation « inter-juridictions »
compétente pour l’ensemble de la fonction publique. La formation inter-
juridictions relative à la fonction publique réunit toutes les juridictions
financières, c’est-à-dire les différentes chambres de la Cour et chambres
régionales des comptes, avec l’objectif d’appréhender les trois versants de la
fonction publique dans une approche transversale, générale et horizontale.
Je remercie chaleureusement
André Barbé
, qui préside cette formation
permanente, le contre-rapporteur
Guillaume Boudy
, les rapporteurs généraux
Pierre Farouilh et Lucie Le Du, Laura Souty,
et l’ensemble des équipes de la
Cour et des chambres régionales des comptes qui ont contribué à ce travail. Je leur
transmets mes félicitations.
Notre rapport est tout à fait inédit.
En effet, il paraît cinq ans après le vote de
la loi qui instaure le régime actuel de contrôle des mobilités public / privé ainsi
que la création de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.
Or,
depuis cette date, aucun bilan d’ensemble, ni par versant de la fonction publique,
ni couvrant l’ensemble de la fonction publique, n’a été fait. Aussi, la Cour a tenté
d’estimer l’ampleur du phénomène et ses caractéristiques et a apprécié le degré
de mise en œuvre du système de contrôle instauré, ses effets mais aussi ses limites.
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Il faut bien le dire, les expressions publiques sur ce sujet sont souvent
polémiques ou circonstancielles, et relatives, majoritairement, à des
situations individuelles
. Notre rapport vise au contraire à objectiver le débat.
Il montre notamment l’ampleur limitée de ce type de mobilités, entre le
public et le privé
. C’est un exercice difficile car, depuis 2019, le dénombrement
de ces mobilités a été abandonné. C’est dû principalement au caractère partagé du
dispositif de contrôle, auparavant centralisé par la commission de déontologie de
la fonction publique, et désormais réparti entre plusieurs instances. En effet depuis
la loi de 2019, le contrôle des mobilités public / privé est dévolu, d’une part à la
haute autorité pour la transparence dans la vie publique pour les emplois
supérieurs, d’autre part aux responsables hiérarchiques pour les autres agents. Ce
régime vaut pour les trois fonctions publiques, d’État, territoriale et hospitalière.
Avant d’entrer dans le détail de nos messages et recommandations,
j’aimerais insister sur un point :
la Cour n’a pas porté d’appréciation sur
l’état du droit, ni sur la jurisprudence de la Haute autorité
. Nous avons aussi
rappelé le caractère préventif du contrôle administratif, qui est surplombé par
l’appréciation indépendante et ultime du juge pénal. Notre rapport est donc axé
sur le respect des règles et procédures de contrôle des mobilités public/privé ; et
leur degré d’exigence est élevé.
J’en viens à présent aux principaux messages de notre rapport.
D’abord, premier message, les mobilités sont peu nombreuses et centrées sur
la haute fonction publique, quels que soient ses versants.
Ensuite, nous constatons que l’effectivité des contrôles est extrêmement
variable selon les fonctions publiques
: elle est en ordre dans la fonction
publique de l’Etat, en cours de l’être dans la fonction publique territoriale, et
quasi-inexistante dans la fonction publique hospitalière.
Troisièmement, nous analysons que les refus de mobilité demeurent limités,
car les restrictions aux départs sous forme de « réserves » demeurent la règle
générale.
Enfin, la Cour fait plusieurs recommandations, car des améliorations sont
nécessaires pour fluidifier un dispositif complexe, parfois mal compris.
Le premier message de notre rapport est le suivant : le nombre de mobilités
professionnelles entre les secteur public et privé est globalement limité.
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Chaque année, environ 500 000 personnes quittent la fonction publique, soit
environ 10 % des effectifs, et autant la rejoignent
. Mais les mobilités
professionnelles entre la sphère publique et le secteur privé ne représentent qu’une
faible part de ces mouvements.
Une estimation avait été réalisée en 2019, avec un ordre de grandeur de 10
000 personnes concernées par ces mouvements public/privé
. Notre enquête n’a
pas actualisé ce chiffrage, comme je l’évoquais, faute d’outils statistiques fiables
instaurés depuis cette date et sur l’ensemble de la fonction publique.
Mais nous avons tout de même produit des données nouvelles, en conduisant
une enquête sur les principaux ministères et les corps administratifs
supérieurs
. Nous en tirons plusieurs constats.
D’abord, les mobilités dans les emplois supérieurs demeurent contenues.
Environ 10 % des membres des corps et services techniques et administratifs
supérieurs de l’État étaient affectés dans le secteur privé en janvier 2024. C’est
loin d’être négligeable, mais ce n’est pas non plus une « fuite des cerveaux » ou
une privatisation de la haute fonction publique. D’importantes variations selon
l’origine sont observées, qui ne sont en réalité pas nouvelles, mais inscrites dans
l’histoire de certains corps ou services : l’affectation dans le secteur privé en
janvier 2024 concernait 29 % des ingénieurs des mines et seulement 3 % des
membres de l’Inspection générale de l’administration. Au sein de l’Inspection
générale des finances, de la Cour des comptes et du Conseil d’État, ces taux sont
respectivement de 27 %, de 7,5 % et de 7 %.
Par ailleurs, si 22 % des anciens élèves de l’ENA ont rejoint momentanément
le secteur privé durant leur carrière, seulement 8 % d’entre eux ont
définitivement quitté la fonction publique
.
Troisième constat : un tiers des directeurs de cabinet et directeurs adjoints
en poste dans les cabinets ministériels au 1
er
juillet 2024 ont fait, au cours de
leur carrière, au moins un passage dans le secteur privé.
Après l’exposé de ces résultats, passons aux facteurs des mobilités vers le
privé.
Les motivations des fonctionnaires pour rejoindre le secteur privé sont très
diverses. Si les considérations tenant aux écarts de rémunération jouent
assurément un rôle important, de nombreux autres facteurs sont à l’œuvre et
interagissent : la nature des métiers et des compétences acquises, plus ou moins
recherchés par les employeurs privés, les opportunités de carrière souvent liées
aux niveaux hiérarchiques, les motifs personnels, selon la localisation des emplois
ou les conditions de travail.
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Par ailleurs la mobilité peut être organisée voire promue par les employeurs
publics eux-mêmes
. Cette « respiration » entre les deux sphères est souvent jugée
utile, surtout dans la haute fonction publique de l’État, pour que les pouvoirs
publics disposent de talents et de compétences qui enrichissent les approches
managériales et la compréhension des enjeux techniques, économiques et sociaux.
Le nombre de mobilités professionnelles entre le public et le privé demeure
donc significatif mais contenu, avec des facteurs et motivations très divers.
Mais certaines évolutions en cours rendent leur contrôle effectif d’autant plus
important.
Dans certaines professions, comme celles des chercheurs ou des praticiens
hospitaliers, la loi a prévu des règles plus souples pour les mobilités ou les
cumuls d’activités que celles applicables aux autres agents publics
. Ces
dérogations, souvent anciennes, sont justifiées par une forte concurrence entre
activités privée et publique. En leur absence, la fonction publique hospitalière ne
parviendrait pas à pourvoir certains emplois.
Mais cela ne doit toutefois pas conduire à ne pas appliquer les règles
déontologiques, communes aux trois versants de la fonction publique.
Par ailleurs, c’est mécanique, les mobilités entre les secteurs public et privé
concernent davantage les agents contractuels que les fonctionnaires
. Or
l’emploi contractuel se développe rapidement, même dans des champs de
responsabilité exposés aux conflits d’intérêts : entre 2015 et 2023, le nombre de
contractuels dans la fonction publique a augmenté d’un peu plus de 300 000
personnes. Ces agents, qui ne cherchent pas tous à être titularisés, ni à bénéficier
d’un emploi à vie dans les administrations, sont plus mobiles que les
fonctionnaires. Il est donc essentiel que les administrations prennent davantage en
compte cette évolution structurelle.
Au final, les mobilités professionnelles entre les secteurs public et privé
relèvent de choix personnels des agents.
Mais elles sont en voie de devenir,
peut-être plus qu’auparavant, un enjeu de gestion des ressources humaines, en
raison de la montée en puissance des agents contractuels et des problèmes
d’attractivité de la fonction publique pour certains métiers, notamment dans les
domaines technique, numérique et de la santé.
J’en viens donc au deuxième message de ce rapport : si la Haute autorité
pour la transparence de la vie publique et les services de l’Etat effectuent de
nombreux contrôles, ceux-ci sont encore en cours de déploiement dans la
fonction publique territoriale. Surtout, ils sont quasi-inexistants dans la
fonction publique hospitalière
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Comme je l’évoquais en introduction, le cadre normatif des contrôles
déontologiques a été progressivement renforcé en France, depuis la mise en
place en 1991 de la commission de déontologie de la fonction publique.
Celle-ci n’était alors compétente que pour la fonction publique de l’État, et sa
saisine n’était obligatoire que dans des cas restreints.
La HATVP a été créée, rappelons-le, en 2013 à la suite de l’affaire Cahuzac
pour faire la lumière sur le patrimoine des élus et des responsables politiques
.
Si la création de cette autorité administrative indépendante illustre bien la volonté
de répondre à la préoccupation croissante des citoyens pour les enjeux de probité
et de déontologie à la suite de cette affaire, les mobilités public-privé étaient déjà
contrôlées auparavant par la commission de déontologie avant sa création.
La loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a marqué
une étape importante.
Elle a supprimé la Commission de déontologie de la
fonction publique et elle a confié à la Haute autorité, le contrôle des mobilités vers
le secteur privé des agents dont les responsabilités sont les plus importantes. Cela
concerne environ 14 000 personnes, y compris les membres des cabinets
ministériels. Pour les autres agents, la loi charge les autorités hiérarchiques au sein
des administrations d’effectuer le contrôle déontologique des mobilités. La loi
crée aussi un contrôle spécifique pour ceux qui, ayant exercé une activité dans le
secteur privé, souhaitent accéder à la fonction publique ou y revenir.
Le contrôle préalable effectué par les autorités administratives, la HATVP
ou les employeurs selon le cas, est un contrôle préventif – du risque pénal, et
du risque déontologique.
Ceux-ci examinent si l’activité envisagée risque de
placer l’agent public dans la situation de commettre l’infraction de prise illégale
d’intérêts.
Elles vérifient également si l’activité envisagée comporte des risques de nature
déontologique, c’est-à-dire susceptibles de compromettre le fonctionnement
normal, l’indépendance ou la neutralité du service public ou de méconnaître les
principes de dignité, d’impartialité, de neutralité, d’intégrité et de probité des
agents publics.
Nous avons donc examiné le respect de ces procédures et l’effectivité de leur
mise en œuvre.
Le nombre de saisines obligatoires de la Haute autorité est un indicateur du
degré de respect des procédures de contrôles déontologiques.
Entre 2021 et
2023, la Haute autorité a été saisie 584 fois pour des départs de la fonction
publique de l’État ; 135 fois pour des départs de la fonction publique territoriale ;
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et seulement 15 fois pour des départs de la fonction publique hospitalière, et
jamais pour l’entrée dans celle-ci.
S’agissant de la fonction publique territoriale, des avancées récentes ont été
constatées.
Mais nous constatons également des lacunes en matière de contrôle,
notamment pour les postes à responsabilité. Ces dernières ont été observées dans
les collectivités territoriales, conduisant les chambres régionales des comptes à
faire des rappels à la loi et parfois des signalements au juge pénal. Deux segments
de l’action locale appellent à plus de vigilance. Il s’agit d’une part des mobilités
vers le secteur parapublic concurrentiel, où l’absence de contrôle est la plus
marqué. En effet, les décideurs locaux estiment, à tort, que ces mobilités sont sans
risques car elles sont comprises dans la sphère publique. D’autre part, nous
appelons à la vigilance sur les départs des agents des filières techniques vers des
entités privées, pour lesquelles ils ont été donneurs d’ordre.
Dans la fonction publique hospitalière, la situation est beaucoup plus
problématique.
Les données recueillies lors de l’enquête témoignent d’une
méconnaissance générale et du non-respect des procédures de contrôle
déontologique, y compris pour les postes de direction. Même lorsqu’un collège
de déontologie a été créé au sein d’un organisme, sa saisine demeure rare, y
compris dans de très grands établissements comme l’Assistance Publique-
Hôpitaux de Paris. Par ailleurs, les conditions du cumul d’activités publique et
privée par le personnel de santé sont rarement respectées, alors qu’ils peuvent
avoir une forte incidence sur le fonctionnement et la qualité du service public.
En somme, nous relevons que les employeurs de la fonction publique
hospitalière doivent rapidement appliquer les contrôles prévus par la loi du
6 août 2019, quand bien même un système dérogatoire a été créé pour les
praticiens hospitaliers.
Le troisième message de notre rapport est le suivant : les refus de mobilité
sont rares.
La Haute autorité et les employeurs publics n’interdisent les mobilités qu’à
un petit nombre de personnes.
Moins de dix décisions d’incompatibilité ont été
rendues pour chacun des ministères inclus dans le champ de notre enquête, sur la
période 2020-2023, et seuls 7 % des avis rendus par la Haute autorité en 2023
étaient des avis d’incompatibilité. Ces refus de mobilité sont très généralement
motivés par des risques pénaux potentiels.
Il faut intégrer à ces chiffres une variable importante : certains agents se
désistent avant de réaliser leurs projets professionnels, par exemple à la suite
d’échanges avec leur référent déontologue et leur employeur
.
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Par exemple, dans les secteurs publics les plus exposés aux interactions avec le
secteur privé, et pour les agents occupant des fonctions de contrôle ou de
surveillance des acteurs économiques, le fait que la mobilité dans le secteur privé
soit très encadrée et difficile est une donnée très intégrée par les agents.
Si les refus sont rares, la Haute autorité et les ministères émettent
majoritairement des réserves sur les projets de mobilité des agents.
Elles
consistent notamment en des interdictions de démarches auprès de leur précédente
administration, lorsque des risques déontologiques sont repérés. En 2023, les avis
de compatibilité avec réserves ont représenté 77 % des avis de la Haute autorité,
toutes mobilités confondues.
Ce recours aux réserves permet en quelque sorte une respiration, une
souplesse du système de contrôle, tout en assurant une prévention
indispensable des risques.
J’en viens maintenant au dernier message de notre rapport : le dispositif de
contrôle doit absolument être amélioré, et il peut aisément l’être.
Sans alourdir des procédures de contrôle déjà importantes, voire parfois
ressenties comme lourdes et longues, des ajustements devraient être apportés
aux pratiques actuelles
. Certains sont d’ailleurs de nature à améliorer la fluidité
du dispositif et sa compréhension par les agents.
Pour améliorer l’efficacité du dispositif de contrôle, la Cour formule plusieurs
recommandations.
Premièrement, la Cour recommande aux administrations de recenser les
mobilités.
En effet, si le suivi des situations individuelles ne fait en général pas
défaut, le suivi statistique et agrégé des mobilités est très partiel, voire inexistant.
La Cour demande donc que l’appareil statistique en matière de connaissance des
allers-retours des agents publics avec le secteur privé soit étoffé. Nous
préconisons notamment de comptabiliser, d’une part, les mouvements des agents
du secteur public vers le secteur privé et, d’autre part, ceux des personnels en
poste dans le secteur privé rejoignant le secteur public.
Deuxièmement, la Cour préconise de renforcer l’effectivité des contrôles
dans la fonction publique hospitalière, largement défaillants
. Il est impératif
que les employeurs de la fonction publique hospitalière appliquent rapidement les
contrôles prévus par la loi du 6 août 2019, quand bien même un système
dérogatoire a été créé pour les praticiens hospitaliers.
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Troisièmement, la Cour recommande de mettre en place des registres des
déports (dans le cadre du contrôle pré-nomination) et des réserves (en cas de
départ vers le secteur privé), qui soient aisément accessibles
. En effet, il
revient aux employeurs publics de garantir l’effectivité des déports et des
réserves, en les portant largement à la connaissance des services intéressés. La
mise en place de registres des déports et des réserves aisément consultables par
les agents des administrations apparaît donc nécessaire. Nous recommandons bien
entendu l’instauration de registres numériques : outre les avantages en termes
d’accessibilité, cela garantit une traçabilité plus importante encore de ces réserves,
ainsi que leur mise à jour en temps réel.
Quatrièmement, la Cour recommande d’accroître la responsabilisation des
agents sur le respect des règles déontologiques
. Les agents publics devraient
s’engager par écrit sur le respect des réserves auxquelles ils sont soumis, durant
les trois années après leur départ. Cet engagement devrait être adressé à leurs
employeurs et annexé à leur arrêté de mise en disponibilité. Il s’agirait de
généraliser une pratique déjà en cours, par exemple pour les ingénieurs des mines.
Pour autant, il n’apparaît pas souhaitable de renforcer de manière générale les
contrôles réalisés par l’administration, sur la plupart des mobilités des agents
publics. En effet, cette perspective pourrait dissuader les mobilités vers le secteur
privé. En second lieu, un contrôle généralisé serait inopportun, car il faudrait y
consacrer des moyens humains importants. Enfin, il est préférable de préserver
une logique de responsabilisation des agents publics, plutôt que des agents, dans
l’application des réserves.
La Cour recommande tout de même un renforcement des contrôles de
l’administration, mais de manière ciblée, sur les situations les plus à risque.
Ces situations peuvent concerner les agents qui occupent des fonctions dans le
privé, dans un secteur économique qui était précisément celui sur lequel ils
travaillaient dans le cadre de leurs précédentes fonctions publiques.
Ils peuvent aussi concerner les agents ayant exercé des fonctions de contrôle des
acteurs privés, au sein de l’administration, ou encore les agents contractuels, qui
sont moins incités à informer leur précédente administration de leurs emplois
ultérieurs dans le secteur privé, dès lors que plus aucun lien juridique ne les lie à
cette administration.
Une attention particulière pourrait être également portée au suivi de la
situation des agents créant une entreprise, ou rejoignant des sociétés de
conseil ou des cabinets d’avocats
. En effet, le contrôle déontologique effectué
avant leur départ est limité, en l’absence de connaissance des clients finaux à cette
date.
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Enfin, les contrôles devraient être renforcés pour les agents détenant les
responsabilités les plus importantes (les membres des cabinets ministériels,
ou encore les agents chargés du contrôle d’entités du secteur privé), et sur les
hauts-fonctionnaires relevant du périmètre de compétence de la HATVP.
Celle-ci devrait intensifier le suivi du respect des réserves et des avis
d’incompatibilité, et l’identification des défauts de saisine. La Haute autorité
réfléchit d’ailleurs à adapter son organisation, justement pour renforcer le suivi
du respect des réserves, à travers des recherches en sources ouvertes.
Par ailleurs, pour rendre la procédure plus fluide pour les employeurs et les
agents publics, plusieurs voies devraient être explorées selon notre rapport.
La Cour recommande d’abord de renforcer la prévisibilité et la fluidité du
dispositif de contrôle
. Cela permettrait aux agents publics de se projeter plus
aisément dans leur carrière. À cette fin, il est nécessaire de continuer à augmenter
le volume d’avis anonymisés, publiés sur le site internet de la Haute autorité.
Celle-ci doit également rendre publique sa doctrine en matière de publication,
pour renforcer la transparence à l’égard des agents qui peuvent, dans le contexte
actuel, craindre que le choix de publication de l’avis les concernant ne revête un
caractère discrétionnaire.
La HATVP pourrait aussi mieux délimiter le périmètre des structures qui lui
sont soumises, dans le champ concurrentiel public
. Les employeurs publics
constatent en effet que la délimitation du périmètre de compétences de la Haute
autorité entre secteur public et privé, c’est-à-dire la détermination du caractère
concurrentiel ou non de l’activité de certains organismes, demeure trop incertain.
A titre d’exemple, la situation des activités de la Caisse des dépôts et
consignations n’a été que très récemment clarifiée. D’autres clarifications
permettraient aux agents et aux administrations d’anticiper les difficultés, dans la
poursuite d’un parcours professionnel.
Enfin, les procédures internes de la Haute autorité devraient être renforcées,
d’une part, pour accorder davantage de place au contradictoire avec les
agents contrôlés, et d’autre part, pour leur permettre d’être entendus par le
collège de la Haute autorité à leur initiative.
La procédure contradictoire pâtit en effet d’une absence d’encadrement.
Elle
n’est pas mentionnée dans le règlement intérieur de la HATVP, et son périmètre
précis est incertain, ce qui est un sujet d’incertitudes et d’incompréhension pour
les agents concernés. Il est donc nécessaire de préciser le périmètre et les
modalités d’application de cette procédure contradictoire,
a minima
dans le
règlement intérieur de la Haute autorité.
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De plus, lors des entretiens avec la Cour, plusieurs administrations ont
déploré que les agents ne puissent pas être plus fréquemment entendus en
séance, sur le modèle de ce qui était prévu pour l’ancienne Commission de
déontologie de la fonction publique.
La HATVP craint que l’instauration d’une telle procédure ne conduise à
augmenter considérablement la durée des séances du collège, et à dégrader les
délais de traitement des dossiers.
Mais il est peu probable que les agents pour lesquels un avis de compatibilité
simple des réserves « classiques » sont rendues, soient incités à solliciter une
audition.
Il est donc nécessaire de modifier le règlement intérieur de la Haute autorité
pour mentionner la possibilité d’être entendu à la demande de l’agent public,
en se faisant assister par toute personne de son choix.
Le renforcement des
éléments contradictoires de la procédure est impératif ; d’autant plus qu’en cas de
recours contentieux, les opportunités professionnelles qui se présentaient au
moment de la saisine ne sont plus forcément valides, au moment où le Conseil
d’État statue sur la requête, plusieurs mois après la saisine. La procédure de référé
suspension reste certes ouverte aux intéressés, mais ses conditions sont plus
délicates à réunir.
Voilà, mesdames et messieurs, les principaux constats et recommandations
de notre rapport sur ce sujet sensible, et important pour les citoyens.
La loi du 6 août 2019, qui a instauré le dispositif actuel, n’a pas fixé de chef
de fil chargé de veiller à sa mise en œuvre harmonisée dans les trois versants
de la fonction publique.
L’amorce d’une gouvernance transversale est
indispensable pour accélérer la mise en œuvre de la loi du 6 août 2019 dans la
fonction publique territoriale, et surtout s’assurer de son respect dans la fonction
publique hospitalière. La HATVP a déjà entrepris des actions de sensibilisation
territoriale et anime un réseau de déontologues.
La Cour encourage donc la HATVP à renforcer la coordination avec la DGAFP,
la direction générale des collectivités locales et la direction générale de l’offre des
soins, qui exercent
de facto
une responsabilité de tête de réseau pour leurs
fonctions publiques respectives.
Comme vous le voyez, le contrôle des mobilités, qui s’inscrit dans un
mouvement international, doit être exercé de manière équilibrée pour ne pas
se traduire par des restrictions à la mobilité, qui entraveraient gravement la
liberté d’entreprendre, garantie par la Constitution
. Ce point d’équilibre est
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difficile à trouver ; en témoignent les positions exprimées dans le débat public ou
au sein des assemblées parlementaires, que ce soit du côté des promoteurs ou des
détracteurs des mobilités professionnelles entre les secteurs public et privé. La
Haute autorité comme les employeurs publics continuent de rechercher ce point
d’équilibre, qui s’incarne souvent dans les réserves qui assortissent un avis
favorable.
Mesdames, messieurs, je vous remercie pour votre attention
. Je me tiens à
votre disposition, avec l’équipe qui a instruit ce rapport, pour répondre à vos
questions.