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ENTITÉS ET POLITIQUES PUBLIQUES
LE SERVICE
NATIONAL
UNIVERSEL
Un premier bilan, cinq années
après son lancement
Rapport public thématique
Septembre 2024
Le Service national universel - septembre 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
Sommaire
Procédures et méthodes
................................................................................
5
Synthèse
.........................................................................................................
9
Récapitulatif des recommandations
...........................................................
15
Introduction
..................................................................................................
17
Chapitre I Un dispositif progressivement élargi
mais dont les objectifs sont incertains
........................................................
19
I - Une montée en charge sans débat parlementaire
et sans atteinte des objectifs quantitatifs
........................................................
19
A - Un dispositif initialement centré sur les enjeux de défense
et dont le format et l'ambition ont évolué au fil du temps
.....................................
20
B - Un dispositif lancé à législation constante
......................................................
20
C - Des objectifs quantitatifs de jeunes accueillis non atteints
.............................
21
II - Une ambition difficile à saisir et des résultats décevants
en matière de mixité sociale
...........................................................................
23
A - Des perceptions et des attentes différentes selon les acteurs
..........................
24
B - Deux objectifs clés non atteints : la mixité sociale et l'engagement
................
25
C - Un fort taux de satisfaction des jeunes volontaires, malgré un décalage
entre leurs attentes et la réalité des séjours
...........................................................
28
III - Un dispositif sans pilotage budgétaire et dont le coût
est sous-estimé
...............................................................................................
29
A - Une sous-exécution systématique des crédits budgétaires inscrits
en loi de finances
..................................................................................................
30
B - Un coût par jeune largement sous-estimé
.......................................................
31
Chapitre II Un pilotage institutionnel et une organisation
peu satisfaisants pour une politique prioritaire du gouvernement
..........
37
I - Une gouvernance mal assurée qui ne garantit pas la mobilisation
des parties prenantes
......................................................................................
37
A - Un pilotage administratif confié au ministère de l'éducation nationale
et de la jeunesse sans être accompagné des moyens nécessaires
..........................
38
B - Une coordination interministérielle qui demeure très insuffisante
..................
38
C - Des parties prenantes trop peu associées
........................................................
39
II -
Des séjours de cohésion dont l’organisation se heurte
à des limites majeures
....................................................................................
42
A -
Des modes d’organisation
variables selon les territoires
................................
42
B - Des difficultés logistiques considérables
........................................................
43
C - Des encadrants très impliqués mais trop peu formés et accompagnés
............
45
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4
D - Des contraintes très fortes induisant une dégradation sensible
des conditions de travail des personnels
...............................................................
47
Chapitre III Un dispositif non stabilisé et dont les perspectives
doivent être clarifiées
...................................................................................
51
I - Un coût important qui nécessite de clarifier les objectifs
du dispositif et d’en définir la trajectoire
.......................................................
51
II - La généralisation nécessite de lever des contraintes juridiques,
organisationnelles et financières
....................................................................
53
A - Une nécessaire évolution juridique
.................................................................
54
B - Des obstacles nombreux sur le plan opérationnel
...........................................
55
C - Un coût important, qui reste à quantifier puis à planifier,
dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint
..........................................
58
Liste des abréviations
..................................................................................
63
Annexes
.........................................................................................................
65
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Procédures et méthodes
Les rapports de la Cour des comptes sont réalisés par l’une des
six
chambres
1
thématiques que comprend la Cour ou par une formation
associant plusieurs chambres et/ou plusieurs chambres régionales ou
territoriales des comptes.
Trois principes fondamentaux
gouvernent l’organisation et l’activité
de la Cour ainsi que des chambres régionales et territoriales des comptes,
donc aussi bien l’exécution de leurs contrôles et enquêtes que l’élaboration
des rapports publics : l’indépendance, la contradiction et la co
llégialité.
L’
indépendance
institutionnelle des juridictions financières et
l’indépendance
statutaire de leurs membres garantissent que les contrôles
effectués et les conclusions tirées le sont en toute liberté d’appréciation.
La
contradiction
implique que toutes les constatations et
appréciations faites lors
d’un contrôle ou d’une enquête, de même que toutes
les
observations
et
recommandations
formulées
ensuite,
sont
systématiquement soumises aux responsables des administrations ou
organismes concernés ; elles ne peuvent être rendues définitives qu’après
pris
e en compte des réponses reçues et, s’il y a lieu, après audition des
responsables concernés.
La
collégialité
intervient pour conclure les principales étapes des
procédures de contrôle et de publication. Tout contrôle ou enquête est confié
à un ou plusieur
s rapporteurs. Le rapport d’instruction, comme les projets
ultérieurs d’observations et de recommandations, provisoires et définitives,
sont examinés et délibérés de façon collégiale, par une formation
comprenant au moins trois magistrats. L’un des magistr
ats assure le rôle de
contre-rapporteur et veille à la qualité des contrôles.
1
La Cour comprend aussi une chambre contentieuse, dont les arrêts sont rendus publics.
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Sauf pour les rapports réalisés à la demande du Parlement ou du
Gouvernement, l
a publication d’un rapport est nécessairement précédée par
la communication du projet de texte que la Cour se propose de publier aux
ministres et aux responsables des organismes concernés, ainsi qu’aux autres
personnes morales ou physiques directement intéressées. Leurs réponses
sont présentées en annexe du rapport publié par la Cour.
La Cour s’est at
tachée à retracer les conditions dans lesquelles le
Service national universel (SNU) a été déployé depuis son lancement en
2019 : objectifs assignés, moyens consacrés, gouvernance au niveau central
et au niveau déconcentré, modalités de mise en œuvre sur l
e terrain,
poursuite de la montée en charge, perspectives de généralisation.
Le lancement des travaux a été notifié au délégué interministériel à
la jeunesse, au ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse
(secrétaire général ; déléguée générale au SNU ; directeur de la jeunesse, de
l’éducation populaire et de la vie associative ; directeur général de
l’enseignement scolaire), au ministère des armées (secrétaire général pour
l’administration ; directrice du service national et de la jeunesse ; chef
d’état
-
major des armées) et au ministère de l’intérieur et des outre
-mer
(secrétaire général ; directeur général de la police nationale ; directeur
général de la gendarmerie nationale) le 14 juin 2023. Des questionnaires ont
été envoyés au cours de l’instruction au ministère de l’éducation nationale
et de la jeunesse (services centraux et déconcentrés). Une quarantaine
d’entretiens, auprès d’une centaine de personnes, ont été conduits avec les
administrations en charge du déploiement de ce dispositif, tant au niveau
central qu’au niveau déconcentré, ainsi qu’avec les parties prenantes (autres
ministères, associations, etc.).
Des visites sur place ont été organisées dans deux centres SNU lors
des séjours de cohésion de juillet 2023 et en région Centre-Val-de-Loire en
novembre 2023 (rectorat, DRAJES, SDJES, visite d’un centre SNU) ainsi
que dans les locaux de la délégation générale au SNU.
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PROCÉDURES ET MÉTHODES
7
Le projet de rapport a été préparé, puis délibéré le 12 février, par la
troisième chambre et adressé pour contradiction le 22 février au secrétaire
général du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, à la déléguée
générale au SNU, au directeur de la jeunesse, de l’éducation populaire et de
la vie associative, au chef du contrôle général des armées et à la directrice
du budget. Seul le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse a
transmis une réponse. Après examen de celle-ci, les observations définitives
ont été délibérées par la troisième chambre le 11 avril 2024 présidée par
M Meddah, et composée de MM. Rousselot, Hayez, Lefebvre, conseiller
maître, ainsi que, en tant que rapporteure, Mme Fechner, conseillère
référendaire en service extraordinaire, assistée de Mme Della Gaspera,
vérificatrice, et, en tant que contre-rapporteur, M. Guaino, conseiller maître.
Il a été examiné et approuvé, le 30 avril 2024, par le comité du rapport
public et des programmes de la Cour des comptes, composé de M. Moscovici,
Premier président, M. Rolland, rapporteur général, M. Charpy, Mme Camby,
Mme Démier, M. Bertucci, Mme Hamayon, M. Meddah et Mme Mercereau,
présidentes et présidents de chambre de la Cour, M. Lejeune, M. Serre,
Mme Bonnafoux, présidente et présidents de chambre régionale des comptes,
M. Gautier, procureur général, entendu en ses avis.
Les rapports publics de la Cour des comptes sont accessibles en ligne
sur le site internet de la Cour et des chambres régionales et territoriales des
comptes : www.ccomptes.fr.
Ils sont diffusés par La Documentation Française.
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Synthèse
Un dispositif dont les objectifs demeurent à ce jour incertains
Le Service national universel (ou SNU), qui fait suite à une annonce
lors
de la campagne présidentielle de 2017 d’un «
service national
obligatoire
» permettant aux jeunes de «
faire l’expérience de la vie
militaire
», est déployé depuis 2019 sur l’ensemble du territoire, selon un
schéma éloigné de cette ambition initiale. Il se décline en trois phases.
Schéma n° 1 :
les trois phases du SNU
Source : Cour des comptes
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COUR DES COMPTES
10
Le SNU reste à ce jour fondé sur le volontariat ; seule la deuxième
phase, la mission d’intérêt général, est obligatoire pour les jeunes
volontaires ayant effectué un séjour de cohésion (première phase), qui,
selon l’article R. 113
-1 du code du service national, «
s’engagent à
participer à une mission d’intérêt général
» ; toutefois, aucune sanction
n’est prévue en cas de non
-participation à cette deuxième phase. Dans la
perspective d’une généralisation, il reste difficile de savoir, parmi les
différentes p
hases du SNU, ce qui relèvera d’une obligation et ce qui
relèvera d’un engagement
, volontaire, du jeune.
Les objectifs assignés au SNU, décrit dans les documents
budgétaires comme un «
projet de société
», sont nombreux et
s’articulent
autour des notions de résilience de la Nation, de cohésion nationale,
d’engagement, d’orientation et d’insertion des jeunes, avec une
communication centrée sur les aspects proches du cadre militaire du
dispositif. Plus de cinq années après son démarrage, ses objectifs
demeurent incertains et dès lors mal compris par le grand public, en
particulier par les jeunes qui en constituent pourtant la cible. Si les jeunes
participants sont
, jusqu’à présent,
satisfaits de leur expérience, force est de
constater qu’en matière de mixité sociale comme d’engagement, les
ambitions du dispositif ne sont pas atteintes.
Une gouvernance qui a évolué de nombreuses fois
mais dont la dimension interministérielle demeure à construire
Le portage gouvernemental ainsi que les administrations centrales
concernées ont connu de très nombreuses évolutions, sans que cela
aboutisse pour autant à une structuration permettant de consolider le
caractère interministériel du dispositif.
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SYNTHÈSE
11
Schéma n° 2 :
les étapes du déploiement et les évolutions
de la gouvernance du SNU
Source : Cour des comptes. En vert, les étapes concernant les pilotes politiques du dispositif.
La stratégie de mobilisation des acteurs locaux, parmi lesquels les
collectivités territoriales et acteurs associatifs du domaine de l’éducation
populaire, reste toujours à définir.
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COUR DES COMPTES
12
Un pilotage budgétaire qui reste à mettre en place,
un coût largement sous-estimé
Le portage budgétaire du dispositif est assuré par le programme 163
(« jeunesse et vie associative ») qui, au sein de la mission « sport, jeunesse
et vie associative »
,
relève du
ministère de l’éducation nationale et de la
jeunesse (MENJ), avec un effort consenti important, et une croissance
rapide du montant correspondant, de 30 M€ en 2020 à 160 M€ en 2024 en
loi de finances initiale (LFI). Les crédits exécutés ont pourtant été, chaque
année, largement inférieurs aux crédits inscrits en LFI.
Le coût du SNU correspond principalement, et jusqu’à ce jour, aux
séjours
de
cohésion.
L’hébergement,
la
restauration
ainsi
que
l’encadrement en constituent les princip
aux postes de dépense. Toutefois,
le calcul du coût par jeune reconstitué par le
ministère de l’éducation
nationale et de la jeunesse (MENJ) chaque année présente des faiblesses
importantes, qui empêchent de l’établir avec précision. De surcroît,
l’estimation, proche de 2 300 € par jeune pour 2021 et 2022, ne prend pas
en compte les coûts d’administration du dispositif, portés par le programme
214 (soutien de la politique de l’éducation nationale), ni les coûts supportés
par les autres ministères. En effet le SNU mobilise notamment le ministère
des armées, principalement pour la réalisation de la Journée Défense et
Mémoire (qui remplace la Journée Défense et Citoyenneté pour les jeunes
volontaires), et les forces de sécurité intérieure (police, gendarmerie,
services départementaux d’incendie et de secours).
Selon la Cour, la prise
en compte des charges correspondantes conduit à un coût par jeune proche
de 2 900 € pour l’année 2022. Ce chiffrage reste incomplet, non seulement
parce
que l’implication des autres
financeurs (collectivités territoriales
notamment) ne peut être quantifiée, mais encore parce
qu’il ne concerne
que la phase 1 du SNU.
Une montée en charge à marche forcée
malgré d
’important
es difficultés de déploiements
Le déploiement du SNU a rencontré de multiples difficultés :
identification de lieux d’hébergement susceptibles d’accueillir des mineurs
dans le respect des jauges prévues par le cahier des charges, conditions de
recrutement et rémunération des encadrants, transport des jeunes vers et
depuis les centres, transport des encadrants accompagnateurs des jeunes,
gestion des tenues et des matériels, identification des offres de missions
d’intérêt général, etc. Ces difficultés ont été exacerbées par la crise
sanitaire, qui a conduit à l’annulation
des séjours de cohésion en 2020 et a
perturbé leur déploiement jusqu’en 2022. Elles résultent de la montée en
puissance à marche forcée du SNU et aux fortes contraintes qu’elle suscite
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SYNTHÈSE
13
sur toute la chaîne des acteurs impliqués, des agents de l’administrati
on
aux prestataires, sans que des outils et moyens adaptés n’aient été mis en
œuvre au fil du déploiement. Cette situation de désorganisation et de
gestion dans l’urgence entraîne des perturbations de l’organisation de la
commande publique. Elle se traduit notamment par des difficultés dans la
passation des marchés publics nécessaires et des surcoûts, par exemple par
le biais d’achats « hors marché ».
La réalisation des séjours de cohésion n’a pu être assurée que grâce
à l’engagement des agents des services
, en administration centrale comme
au niveau déconcentré, mais aussi des encadrants et des partenaires du
dispositif, notamment associatifs. Les renforts d’effectifs dans les services,
déjà réalisés ou prévus en 2024, sont dans ce contexte insuffisants pour
absorber la charge de travail supplémentaire.
Une généralisation du dispositif non préparée à ce stade
Les crédits consacrés au SNU représentent 18 % du programme 163
(jeunesse et vie associative) dans la loi de finances initiale 2024 pour un
objectif de 80 000 jeunes. La loi de programmation des finances publiques
pour les années 2023-2027 prévoit une montée en charge importante de ces
crédits (329 M€ en 2027). Celle
-
ci n’est toutefois pas compatible avec une
généralisation du SNU à l’ensemble d’une classe d’âge d’ici 2027.
L’organisation des séjours de cohésion depuis 2019 montre que la
généralisation soulève des questions opérationnelles majeures, tant
s’agissant des capacités d’hébergement que de l’encadrement des jeunes, qui
n’ont à ce jour pas été r
ésolues. Pourtant, le dispositif monte en puissance
chaque année, avec des objectifs quantitatifs (nombre de jeunes à accueillir
en séjour de cohésion) toujours rehaussés, sans sortir de la gestion dans
l’urgence qui prévaut depuis 2019.
La création de cen
tres pérennes permettant d’accueillir tout au long
de l’année des séjours de cohésion, avec des ressources humaines
affectées
à
l’encadrement des jeunes
, pourrait à la fois simplifier la gestion du
dispositif et rationaliser certains coûts. Elle n’a toutef
ois pas été arbitrée ni
suffisamment planifiée.
Selon le
ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse (
MENJ),
le chiffrage du coût du SNU dans sa configuration actuelle et généralisé à
l’ensemble d’une classe d’âge (soit environ 850 000 jeunes)
est de 2 milliards
d’euros
. Cependant, il est centré sur la phase 1 du dispositif et les seuls coûts
supportés par le programme 163. Il ne correspond donc pas à une évaluation
du coût global du dispositif pour les pouvoirs publics.
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COUR DES COMPTES
14
Malgré toutes les incertitudes liées aux estimations actuelles, du fait
des modifications profondes du dispositif qui seront nécessaires pour le
généraliser à l’ensemble d’une classe d’âge, tant du point de vue du pilotage
administratif que de l’organisation logistique,
il est davantage probable que
les coûts de fonctionnement annuels du séjour de cohésion (soit la phase 1
du dispositif) se situent aux environs de
2,5 milliards d’euros, ce qui porterait
le coût de fonctionnement annuel du dispositif (trois phases) à un total de 3,5
à 5 milliards
d’euros
, sans compter l
es coûts d’investissement à venir dans
les centres d’hébergement
, les éventuels surcoûts liés au changement
d’échelle et les coûts
portés par les autres financeurs publics. Le contexte de
restriction budgétaire en 2024 renforce la nécessité de mettre en place un
suivi budgétaire exhaustif des coûts actuels et une projection complète des
coûts de l’ensemble des pouvoirs publics dans la perspective de la poursuite
de la montée en charge jusqu’à la généralisation.
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Récapitulatif des recommandations
1.
Clarifier les objectifs du dispositif et prévoir leurs modalités
d’évaluation
(
ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse ;
ministère des armées ; ministère délégué chargé des comptes publics
).
2.
Créer les conditions d'un pilotage ministériel et administratif adapté
aux ambitions du dispositif (
ministère de l’éducation nationale et de
la jeunesse ; ministère des armées ; ministère délégué chargé des
comptes publics
).
3.
Définir les modalités d'implication des collectivités territoriales et des
associations d'éducation populaire et de jeunesse (
ministère de
l’éducation nationale et de la jeunesse ; ministère des armées
;
ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;
ministère
délégué chargé des comptes publics
).
4.
Donner une assise juridique au dispositif, permettant d
’assurer sa
montée en charge et de tirer toutes les conséquences de sa
généralisation (notamment statut des séjours de cohésion, statut des
jeunes participants et des futurs « non volontaires », participation des
jeunes de nationalité étrangère, structures d'accueil des séjours de
cohésion) (
ministère de l’éducation nationale et de la jeune
sse ;
ministère des armées ; ministère délégué chargé des comptes publics
).
5.
Quantifier, programmer et planifier l'évolution des moyens (budget de
fonctionnement et d'investissement ; effectifs) de l'ensemble des
financeurs publics concernés dans une trajectoire pluriannuelle
cohérente avec la montée en charge des trois phases du dispositif
(
ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse ; ministère des
armées
; ministère de l’intérieur et des outre
-mer ; ministère de la
transition écologique et de la cohésion des territoire ; ministère de
l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et
numérique ; ministère délégué chargé des comptes publics
).
6.
Structurer une filière métier afin de répondre, tant en nombre qu'en
qualité, aux besoins en personnels de direction et d'encadrement des
centres accueillant les séjours de cohésion (
ministère de l’éducation
nationale et de la jeunesse ; ministère des armées ; ministère délégué
chargé des comptes publics
).
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Introduction
Dispositif ouvert aux jeunes de 15 à 17 ans, dont l’ambition affichée est
d’encourager l’engagement des jeunes dans la société et de renforcer la
cohésion sociale, le Service national universel (SNU) a été expérimenté dans
13 départements en 2019. Il a ensuite été déployé, toujours sur une base
volontaire, sur l’ensemble du territoire. Le schéma initial se décline en trois
phases successives : un « séjour de cohésion » de 12 jours, une mission d’intérêt
général (obligatoire en principe jusqu’en 2023), puis
un engagement, facultatif,
pendant trois mois minimum, auprès d’une association ou institution publique.
Son extension progressive, initialement censée aboutir à une
généralisation à l’ensemble d’une classe d’âge en 2024, a été fortement
perturbée par la
crise sanitaire, avec notamment l’annulation des séjours de
cohésion de l’année 2020. Depuis, chaque année, le nombre de participants
aux séjours de cohésion a été très inférieur à l’objectif fixé dans la loi de
finances initiale.
Mais ces difficultés révè
lent surtout l’absence d’horizon clair pour le
dispositif ainsi qu’une insuffisante planification des moyens nécessaires à sa
montée en charge. Ainsi, dans la perspective de la généralisation du dispositif
en 2026, le caractère obligatoire des trois phases qui le composent reste à
préciser. Ce défaut d’anticipation a eu des conséquences concrètes sur
l’organisation des séjours de cohésion au cours des cinq années écoulées, mises
en évidence par les nombreux dysfonctionnements logistiques constatés.
Le présent rapport
s’est attaché à retracer les conditions dans lesquelles
le dispositif a été déployé depuis 2019. Au terme de ses investigations, la Cour
relève que la montée en charge du dispositif ne s’est pas accompagnée d’une
clarification de ses objectifs, qui restent incertains (Chapitre I). Les modalités
de son pilotage, alors qu’il s’agit d’une politique prioritaire du gouvernement,
ainsi que les conditions dans lesquelles il est mis en œuvre sur le terrain sont
insatisfaisantes et sources de dysfonctionnements (Chapitre II). Alors que son
coût est objectivement important au regard des crédits inscrits au programme
budgétaire « jeunesse et vie associative » (programme 163) mais aussi des
contributions des autres financeurs publics, il est désormais urgent de clarifier
l’horizon du dispositif dans le cadre d’un débat parlementaire et, si ce choix
était confirmé, de lever les nombreuses incertitudes quant à la faisabilité de sa
généralisation (Chapitre III).
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Chapitre I
Un dispositif progressivement élargi
mais dont les objectifs sont incertains
Le dispositif « Service national universel » a été lancé en 2019 et,
malgré des perturbations liées à la crise sanitaire au cours des premières
années de déploiement, poursuit depuis sa montée en charge, sans débat
parlementaire ni atteinte de ses objectifs quantitatifs en nombre de jeunes
accueillis en séjour de cohésion (I). Les objectifs du dispositif restent à
clarifier, et, en particulier en
matière de mixité sociale et d’engagement de
la jeunesse, ne sont pas atteints (II). Son pilotage budgétaire reste à mettre
en place alors que son coût est actuellement largement sous-estimé (III).
I -
Une montée en charge sans débat
parlementaire et sans atteinte
des objectifs quantitatifs
Relevant dès l
’origine
du code du service national et destiné à
succéder au service militaire, le dispositif « Service national universel » en
est finalement éloigné, dans son format comme dans ses objectifs (A). Son
déploiement
, qui s’est fait à législation constante (B), n’a
pas atteint ses
objectifs quantitatifs (C).
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COUR DES COMPTES
20
A -
Un dispositif initialement centré sur les enjeux
de défense et dont le format et l'ambition
ont évolué au fil du temps
Initialement annoncé, dans une période encore fortement marquée
par les attentats de 2015, comme un «
service national obligatoire
»,
destiné à succéder au service militaire suspendu par le législateur en 1997,
le « service national universel » ou SNU devait permettre aux jeunes de
«
faire l’expérience de la vie militaire et d’être des acteurs à
part entière
de l’esprit de défense
»
2
. Le dispositif retenu s’en est finalement éloigné,
dans son format comme dans ses objectifs.
Après les travaux menés en 2017 par différents corps d’inspection
puis en 2018 par un groupe de travail dirigé par le général Daniel
Ménaouine, le schéma retenu a été celui d’un SNU ouvert aux jeunes de 15
à 17 ans et comprenant trois phases : la première consiste en un « séjour de
cohésion » en hébergement collectif d’une durée de deux semaines hors du
département de résidence du jeune. Dans le code du service national, les
séjours de cohésion sont présentés comme une composante d’
« autres
formes de volontariat »
, à l’instar du service civique
3
. Durant les deux
phases suivantes que sont la mission d’intérêt général, obligatoir
e à ce jour
en principe pour tout participant au séjour de cohésion
4
, réalisée dans
l’année qui
le
suit, et la phase dite d’«
engagement », facultative, réalisée
entre 16 et 25 ans, le jeune doit s’engager auprès d’une association ou d’une
institution publique.
B -
Un dispositif lancé à législation constante
Le dispositif a été expérimenté puis étendu à tout le territoire, tout
en conservant son caractère volontaire, à législation quasi-constante, alors
que le groupe de travail de 2018 recommandait de lancer une
« consultation
approfondie, d’abord avec la jeunesse, ensuite avec les parties prenantes
»
et de poser les bases législatives du dispositif par l’adoption d’une loi de
programmation
5
. Celle-
ci aurait eu pour objet d’expliciter les objectifs du
2
Discours du candidat Emmanuel Macron sur les enjeux de défense, le 18 mars 2017.
3
Codifié à l’a
rticle L.111-2 du code du service national.
4
Conformément aux dispositions de
l’a
rticle R. 113-1 du code du service national :
« Les participants à ce séjour de cohésion s'engagent à participer à une mission
d'intérêt général validée par l'autorité administrative compétente »
.
5
Rapport relatif à la création d’un service national un
iversel, établi par le général de
division Daniel Ménaouine, rapporteur du groupe de travail SNU, avril 2018.
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UN DISPOSITIF PROGRESSIVEMENT ÉLARGI
MAIS DONT LES OBJECTIFS SONT INCERTAINS
21
dispositif
, de procéder aux modifications législatives d’ores
et déjà
identifiées comme nécessaires (comme le statut des jeunes « appelés », la
mobilisation de locaux appartenant aux collectivités, le statut des
encadrants) et d’habiliter le gouvernement à procéder
par ordonnance à
d’autres modifications législatives à préciser, par exemple pour faciliter
l’hébergement ou la prise en compte des spécificités ultramarines.
Mais seules quelques modifications législatives, relatives aux
conditions de recrutement et d’emp
loi des encadrants ont été adoptées par
voie d’ordonnance
6
,
sans qu’
ait été donnée
au Parlement l’occasion de
débattre du dispositif, ni dans ses principes, ni dans ses modalités. Le reste
des dispositions nécessaires à la mise en œuvre des séjours de cohésion et
des
missions d’intérêt général
a été introduit par décret
7
.
Ce choix de me
ttre en œuvre un dispositif majeur pour la jeunesse
sans débat parlementaire a eu des conséquences opérationnelles concrètes
pour la bonne organisation des séjours, parmi lesquelles le recours au cadre
juridique existant des accueils collectifs de mineurs (ACM) pour les
séjours de cohésion.
C -
Des objectifs quantitatifs de jeunes accueillis
non atteints
Un premier séjour de cohésion a été organisé en juin 2019 dans
13 départements préfigurateurs. La crise sanitaire a fortement perturbé le
dispositif en 2020, les séjours envisagés en juin étant annulés, mais
également en 2021 et sur les premiers séjours de 2022 (la situation sanitaire
ayant engendré de nombreux désistements).
La croissance du nombre de jeunes volontaires participant aux
séjours de cohésion, certes réelle à compter de 2021, est restée en-deçà des
objectifs fixés annuellement, et considérablement en-deçà des ambitions
affichées en 2020, à savoir 100 000 jeunes en 2021 puis 200 000 en 2022,
avant généralisation en 2024
8
. L
e ministère de l’éducation
nationale et de
la jeunesse (MENJ) évoque l’importance des désistements de jeunes en
amont des séjours de cohésion, et ce
jusqu’en dernière minute, qui vient
diminuer le nombre de jeunes effectivement présents par rapport au nombre
de jeunes inscrits (cf. tableau n° 1). Mais ce facteur ne suffit pas à expliquer
que les objectifs ne soient pas atteints : même en considérant le nombre
6
Ordonnance n° 2021-1159 du 8 septembre 2021.
7
Principalement par le décret n° 2020-922 du 29 juillet 2020.
8
Annonce du
secrétaire d’État à la
jeunesse en février 2020.
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22
d’inscrits, les résultats sont très décevants.
Le taux de désistement a été, en
2023, le plus élevé depuis le lancement du dispositif (28 % des inscrits,
contre 19 % en 2022 et 22 % en 2021), dans un contexte de difficultés
logistiques importantes (cf. Chapitre II).
Tableau n° 1 :
nombres de jeunes en cible, inscrits et effectifs
en séjour de cohésion depuis 2019
Nombre de jeunes
2019
2020
2021
2022
2023
Objectif cible* (a)
2 000 à
3 000
20 000
25 000
50 000
64 000
Jeunes inscrits (b)
NC
NC
18 803
39 933
56 063
Jeunes en séjour de cohésion (c)
1 978
73
14 653
32 212
40 135
Taux de réalisation de la cible (%)
(= c/a)
NC
NC
59 %
64 %
63 %
Taux de désistement (% des inscrits)
(= (b-c)/b)
NC
NC
22 %
19 %
28 %
Source : MENJ et documents budgétaires
* Objectif fixé par la loi de finances initiale (LFI).
NC : non communiqué.
S’agissant de la mission d’intérêt général (MIG), en principe
réalisée
dans l’année qui suit le séjour de cohésion, les jeunes volontaires
sont assez peu nombreux à l’avoir effectuée six mois après le séjour de
cohésion. De fait, les objectifs fixés en la matière dans les documents
budgétaires ont été sensiblement abaissés entre 2021 (55 %) et 2023 (25 %)
(cf. tableau n° 2).
Tableau n° 2 :
part de jeunes (en %) réalisant leur MIG
dans les six mois suivant leur séjour de cohésion
Année
Cible
Réalisation
2021
55 %
21,90 %
2022
30 %
22,60 %
2023
25 %
NC
Source
: Cour des comptes, d’après
les PAP et RAP de la mission Sport, jeunesse et vie associative.
NC : non communiqué
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MAIS DONT LES OBJECTIFS SONT INCERTAINS
23
Le taux de réalisation est plus significatif un an après le séjour de
cohésion : ainsi, 69 % des jeunes ayant réalisé leur séjour de cohésion en
2021 ont commencé ou terminé leur
mission d’intérêt général
un an après
9
.
Toutefois, les difficultés pour les jeunes à trouver des structures d’accueil
sont importantes. Le travail à fournir par les services déconcentrés pour
promouvoir le SNU et accompagner les structures locales (collectivités
territoriales, administrations et services de l’État, associations, etc.) pour
faire émerger des offres de
mission d’intérêt général
adaptées est
conséquent. En effet, une telle mission consiste à accueillir un jeune
mineur, qui doit être encadré par un tuteur, sans compensation financière
pour la structure, hors temps scolaire, et à proximité du domicile du jeune.
En outre, les structures d’accueil
visées sont déjà sollicitées par différents
dispositifs présentant des objectifs proches ou en tout état de cause perçus
comme tels (missions de service civique, stages de seconde pour les élèves
de lycées généraux et technologiques, réserve citoyenne, etc.).
La phase 3 du SNU
n’a
,
jusqu’à présent
, pas été une priorité pour
les services ; de fait, les jeunes n’ont aucunement l’obligation de déclarer
cet engagement. En octobre 2023, seuls 217 avaient renseigné sur le
compte personnel SNU, les informations relatives à leur engagement dans
cette phase.
Au final, les capacités d’action des services sont quasi entièrement
accaparées par la phase 1 du SNU, le séjour de cohésion, dont les objectifs
quantitatifs fixés chaque année en nombre de jeunes accueillis ne sont
pourtant pas atteints.
II -
Une ambition difficile à saisir et des résultats
décevants en matière de mixité sociale
Le SNU affiche des ambitions multiples dont la vocation échappe
encore à de nombreux acteurs (A). Les objectifs les plus souvent mis en
avant, la mixité s
ociale et l’engagement, n’ont pas été atteints (B). Le taux
de satisfaction des jeunes volontaires, bien réel, doit être relativisé (C).
9
Parmi lesquels 15 % ont demandé à faire reconnaître, en lieu et place de la MIG, un
engagement antérieur. Cf. INJEP Analyses et synthèses n° 63, janvier 2023.
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24
A -
Des perceptions et des attentes différentes
selon les acteurs
Les objectifs assignés au dispositif sont nombreux et variés :
renforcer la cohésion nationale, faire vivre les valeurs républicaines,
participer à la mixité sociale et territoriale, développer une culture de
l'engagement, accompagner l’orientation et l’insertion des jeunes,
développer la résilience et l’esprit
de défense, etc. Ils se sont multipliés au
fil de sa mise en œuvre, la communication ayant insisté sur certains d’entre
eux, en fonction de l’actualité. Certains objectifs
restent
d’ailleurs difficiles
à saisir concrètement : ainsi en est-il de la « cohésion nationale », à laquelle
chacun ne peut qu’adhérer mais qui demande à être précisée pour trouver
son sens en pratique. Ils sont en outre peu mesurables et évaluables.
La diversité des objectifs trouve sa traduction dans la multiplicité et
la densité des modules qui structurent le séjour de cohésion : ainsi pour les
séjours de 2024 sont distinguées des « thématiques transversales » (activités
sportives, physiques et de cohésion ; développement durable ; autonomie des
jeunes : santé et prévention des addictions, auto positionnement, démocratie
interne, éducation financière et budgétaire) et des modules « nationaux »
(valeurs de la République ; journée défense et mémoire ; journée sécurité
intérieure ; PSC1
10
)
11
. Depuis février 2024, les séjours de cohésion sont
déclinés en quatre « colorations » : « défense et mémoire », « sports et jeux
olympiques
et
paralympiques »,
« environnement »,
« résilience
et
prévention des risques ». Au cours des douze journées du séjour de cohésion,
trois sont consacrées à des activités relevant de la coloration du séjour.
Cette diversité d’objectifs a entretenu une incertitude sur l’ambition
et le sens du SNU, se traduisant par des attentes diverses et contradictoires.
La communication autour du séjour de cohésion, centrée sur sa dimension
militaire et sportive, a contribué à brouiller son image. À titre d’exemple, des
jeunes se sont vu proposer un séjour de cohésion par des éducateurs ou des
juges qui pensaie
nt qu’il s’agissait d’une sorte d
e centre de rétention ou de
redressement pour mineurs
12
. C
e point a également été relevé par l’Institut
national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP)
13
, en charge de
l’évaluation du dispositif, évoquant la confusion et même parfois la
déception
de jeunes qui s’attendaient à un entraînement sportif et militaire.
10
Formation prévention et secours civiques de niveau 1.
11
Cf. Guide des contenus, SNU, septembre 2023.
12
Cf. retours d’expérience annuels des services déconcentrés du MENJ.
13
Les enquêtes annuelles d’évaluation du SNU sont réalisées par l’Institut national de
la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), service à compétence nationale du
ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse.
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MAIS DONT LES OBJECTIFS SONT INCERTAINS
25
Les retours d’expérience des services déconcentrés du ministère
témoignent aussi de ce que la réalité du SNU se révèle très différente selon
les territoires et les encadrants ; cela refl
ète la volonté assumée de l’inscrire
dans une « triple culture » (armées, éducation nationale, éducation
populaire), mais également les difficultés à mettre en pratique ce concept,
tout comme les difficultés pour les pouvoirs publics à maîtriser la
déclinaison du dispositif dans les territoires.
Plus fondamentalement, cette incertitude sur la vocation du dispositif
pose la question de son public-cible
qui peut être l’ensemble d’une classe
d’âge, en incluant les jeunes étrangers ou uniquement les jeunes
Français.
Elle pose aussi la question de l’articulation du dispositif avec l’enseignement
moral et civique (EMC) et le parcours citoyen à l’école ainsi que celle de la
priorité à donner à certains jeunes (issus des territoires ruraux, des quartiers
prioritaires de la politique de la ville, « décrocheurs », etc.). Malgré le travail
de refonte des contenus des séjours de cohésion entrepris à l’automne 2023
par l’administration, en lien avec celle en cours des programmes
d
’enseignement moral et civique
, ces questi
ons n’ont pas encore été
clarifiées. Ainsi, les objectifs fixés aux services déconcentrés restent
globaux, limités aux seuls quotas de jeunes par département. Ces services ne
disposent pas des moyens nécessaires pour cibler les publics pourtant
identifiés comme prioritaires par le ministère
14
.
B -
Deux objectifs clés non atteints :
la mixité sociale et l'engagement
Malgré cette diversité, deux objectifs structurants se dégagent : la
mixité sociale et l’engagement. Mais ni l’un ni l’autre n’ont été atteints à
ce jour.
S’agissant de la mixité sociale, les milieux d’origine des jeunes
participants se caractérisent, depuis 2019, par une sur-représentation de
jeunes dont les parents servent ou ont servi dans les corps en uniforme et
de catégories socio-professionnelles plus favorisées. Les participants sont
majoritairement scolarisés en filières générale et technologique. En outre,
une proportion importante (46
% pour les séjours de 2023) d’entre eux a
« au moins un de ses parents ayant régulièrement participé à des activités
14
L’instruction relative à la mise en œuvre du SNU en 2023 affirmait la nécessité de
porter une attention particulière aux élèves de voie professionnelle, aux jeunes issus des
QPV et du monde rural, ainsi qu’aux jeunes en situation de décrochage.
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26
bénévoles, caritatives, associatives, syndiquées ou politiques »
15
(cf.
tableau n° 3)
. À cet égard, le conseil d’orientation des
politiques de
jeunesse notait aussi, dans son avis de décembre 2022
16
, une
« sur-
représentation de jeunes déclarant avoir déjà participé à des activités
associatives (près de 60 % soit une différence de plus de 20 points avec la
population générale de moins de 30 ans) »
.
Ces caractéristiques sont des constantes depuis 2019, en dépit de
quelques variations, liées notamment à la date de réalisation des séjours de
cohésion au cours de l’année scolaire, et d’une progression de certains
paramètres entre 2021 et 2023, comme le passage de 4 à 5 % de la
proportion de jeunes habitant dans un quartier prioritaire de la politique de
la ville (QPV). La mise en place des séjours des « classes et lycées
engagés » en 2024 vise à augmenter la proportion de jeunes issus des QPV
ou de lycées agricoles accueillis en séjour de cohésion, mais
jusqu’en 2023,
cet objectif de mixité sociale n’a pas été atteint, ainsi que l’avait constaté
le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse en 2022
17
.
15
INJEP, Notes & Rapports, n° 2023/13, décembre 2023.
16
Le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ) est une commission
administrative consultative placée auprès du Premier ministre. Cf. 5
ème
avis du COJ
relative au déploiement du SNU, adopté le 5 décembre 2022.
17
Cf. 5
ème
avis du COJ relative au déploiement du SNU, adopté le 5 décembre 2022.
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MAIS DONT LES OBJECTIFS SONT INCERTAINS
27
Tableau n° 3 :
profil des jeunes ayant participé aux séjours
de cohésion en 2023 et éléments de comparaison
avec la population générale
Profil des jeunes
(en pourcentage)
Cohorte
2023
Population
générale
Répartition Hommes/Femmes en %
44 / 56
51 / 49*
Scolarisation :
Voie générale ou technologique (%)
Voie professionnelle (%)
Non scolarisés (%)
Résultats scolaires « excellents »
ou « très bons » (%)
Résultats scolaires « bons »
84
15
1
23
66
67**
29**
4**
NC
NC
Jeunes habitant dans un QPV
18
(%)
5
9*
Parents (%) :
Père/Mère cadre supérieur
Père/mère ouvrier/ouvrière
Activités bénévoles caritatives
ou associatives
Ayant travaillé dans l’armée, police,
gendarmerie ou pompiers
25 / 22
17 / 5
46
26
NC
NC
NC
2*** (policiers, militaires
et pompiers)
Source
: Cour des comptes, d’après INJEP
19. * Données concernant les jeunes de 15 à 17 ans
reconstituées par l’INJEP à partir du recensement de l’INSEE
2019. ** Données INJEP à partir des
données de la DEPP, 2020. *** donnée INJEP à partir de l’étude de l’INSEE de 2021 « Population
selon le sexe, le statut d’activité et la catégorie socioprofessionnelle. Données annuelles 2021 ».
NC : non communiqué
S’agissant de l’incitation à l’engagement, des marges de progression
réelles demeurent. D’une part, cet objectif du dispositif est insuffisamment
perçu par les jeunes eux-mêmes, dont les principales motivations pour
s’inscrire en séjour de cohésion sont la
« volonté de faire des rencontres »
,
«
d’avoir une expérience à valoriser sur leur CV
»
et
« le cadre militaire
18
Quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV).
19
INJEP, Notes & Rapports, n° 2023/13, décembre 2023.
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28
et sportif »
20
. D’autre part, le séjour de cohésion lui
-même, et malgré un
travail d’information mené par les équipes encadrantes
21
, oriente toujours
« massivement »
les jeunes
« vers les corps en uniforme »
: en 2023,
« 43
% des participants souhaitent réaliser cet engagement dans l’armée,
35 % dans la police, 26 % chez les pompiers, 24 % en association et 24 %
dans un club sportif »
22
. Il est à cet égard intéressant de constater que même
chez les jeunes « non volontaires », dont la participation au séjour de
cohésion est imposée, en général par la famille, et
a priori
plutôt moins
attirés par le cadre militaire, une proportion non négligeable souhaite
réaliser une
mission d’intérêt général
dans l’armée (23
% des jeunes de la
cohorte 2022) et dans la police ou la gendarmerie (27 %)
23
. La perception
de l’engagement par les jeunes avant et après le séjour de cohésion reste
donc partielle, et révélatrice du flou entretenu sur les objectifs du dispositif.
La possibilité de rendre les
missions d’intérêt général
facultatives, toujours
en réflexion début 2024, prend acte de cette réalité, mais apparaît
contradictoire avec l’ambition affichée sur l’engagement
. Elle est la
conséquence d’une insuffisante concertation avec les structures d’accueil
potentielles dans l’élaboration du dispositif.
C -
Un fort taux de satisfaction des jeunes volontaires,
malgré un décalage entre leurs attentes
et la réalité des séjours
Cette incertitude sur les objectifs n’empêche pas de constater un
taux de satisfaction élevé chez les jeunes ayant participé au séjour de
cohésion : 96 % des jeunes interrogés en 2023
24
se déclarent ainsi
« satisfaits » selon
l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation
populaire (INJEP). Ce constat
n’
est au demeurant pas surprenant dans la
mesure où les jeunes concernés étaient volontaires et, pour beaucoup
d’entre eux, issus de milieux favorables
a priori
à ce type d’expérience.
Parmi les quelque 10 % des jeunes ayant participé au séjour de cohésion
20
INJEP, Fiches repères, n° 2023/08, 01/12/2023.
21
Les séjours de cohésion 2023 proposent aux jeunes un «
forum de l’engagement
» au
cours duquel diverses structures (armées, forces de sécurité, associations, etc.) viennent
à leur rencontre.
22
INJEP, Fiches repères, n° 2023/08, 01/12/2023.
23
Les taux cités sont moindres que ceux constatés chez les volontaires (respectivement
47 % et 36 %), mais restent substantiels. Données issues de INJEP Analyses et
synthèses n° 61, octobre 2022.
24
INJEP, Fiches repères, n°2023/08, 1
er
décembre 2023.
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MAIS DONT LES OBJECTIFS SONT INCERTAINS
29
sans être véritablement volontaires
il s’agit alors de cas de participation
au séjour de cohésion imposée au jeune mineur, en général par sa famille
25
,
les taux de satisfaction sont moindres. En 2022, seuls 18 % se disaient
« très satisfaits » contre 42 % chez les jeunes « réellement » volontaires
26
;
en 2023, 43 % des « non volontaires » se déclaraient « très satisfaits »
contre 69 % des volontaires
27
.
Lorsque des déceptions sont exprimées, elles font écho au flou qui
entoure la nature du dispositif, certains jeunes se disant ainsi déçus de
trouver moins de « discipline
» ou d’activités sportives qu’escompté
28
, ou
à la densité du programme des séjours de cohésion
29
. Enfin, les conditions
matérielles de réalisation du séjour (qualité des dortoirs, de la nourriture,
des uniformes)
30
ainsi que le caractère « dépaysant » du lieu du séjour de
cohésion, par opposition à l’expérience scolaire
31
, apparaissent aussi
importants dans le ressenti des jeunes participants.
III -
Un dispositif sans pilotage budgétaire
et dont le coût est sous-estimé
Le pilotage budgétaire du SNU, fondé sur des objectifs ambitieux,
aboutit à une dépense moindre que prévu (A). Les hypothèses qui sous-
tendent les projections financières sont faussées par un coût individuel
incomplet (B).
25
« En 2023, 8 % des participants au SNU déclarent que leur participation leur a été
imposée, dans la très grande majorité, par leur famille (98 %). Cette proportion est
relativement stable depuis 2019, et les garçons restent très largement sur-représentés
parmi ces non-volontaires »
. Cf. INJEP, Fiches repères, n°2023/08, 1
er
décembre 2023.
26
INJEP, Analyses et synthèses, n° 61, octobre 2022.
27
INJEP, Fiches repères, n° 2023/08, 1
er
décembre 2023.
28
«
Un participant sur deux estime qu’il n’y a pas assez de sport pendant le séjour
»
,
INJEP Fiches repères n° 2023/08, 1
er
décembre 2023.
29
«
Ainsi, moins du tiers des participants est très satisfait de l’emploi du temps et de
l’organisation des journées, jugées très denses. En conséquence, de nombreux jeunes
pointent le manque de temps de pause (38 %) et de temps prévu pour le sommeil
(44 %). »
INJEP Fiches repères n°2023/08, 1
er
décembre 2023.
30
INJEP, Fiches repères, n°2023/08, 1
er
décembre 2023.
31
En 2022, la part de « très satisfaits » est plus élevée dans les centres situés en milieu
rural et dans les centres qui accueillent de petits effectifs. INJEP Analyses et synthèses
n° 61, octobre 2022.
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30
A -
Une sous-exécution systématique des crédits
budgétaires inscrits en loi de finances
Au sein de la mission « sport, jeunesse et vie associative », le portage
budgétaire du SNU est essentiellement assuré par le programme 163
(« jeunesse et vie associative ») du MENJ, piloté par la direction de la
jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA). Les
moyens budgétaires consacrés au dispositif ont sensiblement augmenté avec
la montée en charge du dispositif, sans que cette croissance ne se soit
appuyée sur des projections documentées. Les crédits inscrits en loi de
finances initiale (LFI) ont été sous-exécutés dans des proportions très
importantes chaque année depuis 2021, l’objectif fixé en
nombre de jeunes
n’ayant jamais été atteint. Les effets de la crise sanitaire (de 2020 à 2022) ou
les désistements des jeunes volontaires constituent des facteurs explicatifs de
cette sous-exécution. Toutefois, ni le nombre cible de volontaires fixé chaque
année par l’administration centrale aux services déconcentrés, ni la capacité
des centres identifiés ne permettent d’atteindre l’objectif annuel inscrit au
projet de loi de finances, ce qui met en question le réalisme des estimations
présentées dans les projets de lois de finances successifs (cf. tableau n° 4).
Tableau n° 4 :
taux d'exécution budgétaire
et coût/jeune (programme 163)
2019
2020
2021
2022
2023
2024
Objectif (nombre de jeunes)
2000
à 3000
20 000*
25 000
50 000
64 000
80 000
Nombre de jeunes accueillis
1978
73
14 653
32 212
40 135
-
Taux de réalisation de l’objectif
NC
NC
59 %
64 %
63 %
-
Crédits inscrits en LFI (M€)
-
30
62,2
110,1
140
160
Crédits consommés (M€)
4,1
3,6
39,9
75,2
96,3
-
Taux d’exécution des crédits
-
NC
64 %
68 %
69 %
-
Coût/jeune prévisionnel
(€)
NC
1 500
2 488
2 202
2 187,5
2000
Coût/jeune effectif
(€)
2 056
NC
2 725
2 335
2 399
-
Coût/jeune effectif retraité
par le MENJ
(€)
2 991**
NC
2 303***
2 274
2 475
-
Source
: Cour des comptes, d’après documents budgétaires
et données du MENJ.
Nd : non déterminé
* Pour l’année 2020, les objectifs ont varié entre 20
000 et 25 000 dans les documents budgétaires.
** Estimation du MENJ incluant les dépenses de transport (prises en charge sur le P214) et de formation (prise en
charge par le ministère des armées).
*** Le RAP 2021 indique un coût/jeune de 2 371 €.
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UN DISPOSITIF PROGRESSIVEMENT ÉLARGI
MAIS DONT LES OBJECTIFS SONT INCERTAINS
31
Pour chacun des exercices passés, le projet de loi de finances (PLF) a
prévu des objectifs très ambitieux s’agissant du nombre de jeunes volontaires
attendus dans les séjou
rs de cohésion de l’année à venir tout en sous
-estimant
le coût par jeune de ces séjours. Un rééquilibrage artificiel a logiquement eu
lieu en exécution, chaque année sur l’ensemble de la période, le coût effectif
par jeune s’établissant à un niveau sensib
lement plus élevé tandis que le
nombre de jeunes volontaires était bien inférieur à l’objectif fixé. Cette
pratique récurrente a permis au gouvernement de bénéficier d’une
présentation budgétaire plus avantageuse au stade du PLF, avec un nombre
important de jeunes à accueillir pour un coût unitaire apparemment limité.
Elle a permis également d’améliorer le taux d’exécution des dépenses.
Le MENJ rappelle que la trajectoire du nombre de jeunes à accueillir
chaque année est fixée dans le cadre de la politique prioritaire du
gouvernement relative au SNU
32
. Mais le réalisme des estimations qui
fondent cette trajectoire n’est pas démontré, tout comme les capacités des
services administratifs à la mettre en œuvre. Chaque année depuis 2019, la
Cour a souligné dans les notes d’analyse de l’exécution budgétaire (NE
B) de
la mission « sport, jeunesse et vie associative » la nécessité de définir une
trajectoire budgétaire du dispositif à moyen et long terme (cf. annexe 1).
Enfin, la sous-exécution budgétaire a permis à la DJEPVA,
responsable du programme 163, de redéployer chaque année des crédits
importants vers d’autres dispositifs
. Ainsi, en 2022, 27,6
M€ ont été
redéployés vers les « colos apprenantes », « 1 jeune, 1 mentor » ou vers
l’aide au brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur
33
.
B -
Un coût par jeune largement sous-estimé
L’estimation du coût par jeune élaborée par l’administration
centrale, sur la base des crédits du programme 163, apparaît contestable, la
méthode de calcul utilisée présentant plusieurs points de faiblesse. La Cour
n’a pu à ce jour obtenir de
s clarifications suffisantes pour permettre
d’établir avec précision le coût par jeune des séjours de cohésion pour les
exercices budgétaires passés. L’ampleur des erreurs et omissions
identifiées en la matière conduit à mettre en doute la fiabilité des coûts par
32
Cf. Instruction de la Première ministre du 19 septembre 2022 « Politiques prioritaires
du Gouvernement ». « Généraliser le SNU » est un des 13 « chantiers
» de l’axe 4
«
Renforcer l’ordre républicain et encourager l’engagement
» de la feuille de route
gouvernementale du 26 avril 2023 (https://www.info.gouv.fr/politiques-prioritaires).
33
Cour des comptes,
Analyse de l’exécution budgétaire 2022, Mission «
Sports,
jeunesse et vie associative »
, avril 2023
.
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COUR DES COMPTES
32
jeune calculés
a posteriori
par l’administration centrale autant que la
fiabilité des hypothèses budgétaires retenues dans les PLF successifs.
Les informations fournies à la Cour par le MENJ à ce stade font état
d’un coût par jeune, pour les exerci
ces 2021 et 2022, aux alentours de
2 300
€. La ventilation de ces coûts correspond en premier lieu aux
dépenses d’hébergement et
de restauration des séjours de cohésion ; le
second poste de coût correspond à la masse salariale des encadrants. Les
coûts de transport restent relativement maîtrisés dans un contexte de
mobilité majoritairement infrarégionale pour les jeunes volontaires des
cohortes 2021 et 2022, mais augmentent de manière importante en 2023.
Tableau n° 5 :
ventilation du coût par jeune
(crédit du programme 163) en euros
Ventilation du coût par jeune
2021
2022
2023
Coûts en région
1 205
1 269
1 294
dont hébergement et restauration
807
973
NC
dont activités
230
296
NC
Tenues
248
194
186
Transport
88
99
317
Communication, évaluation, numérique
(start up
d’
État)
186
205
120
Encadrants (masse salariale)
591
472
525
Frais de gestion ASP
(agence de services et de paiement)
50**
38**
33
TOTAL (montant retraité par le MENJ)
2 368
2 277
2 475
Sources
: Cour des comptes d’après données MENJ et RAP
NC : non communiqué
* Les frais de logistique des DRAJES correspondent à des dépenses d’essence, de santé, de
transports pendant les séjours, etc.
** Les frais de gestion
par l’Agence de services et de paiement (
ASP) tiennent ici compte des
versements effectués en
année n+1 au titre de l’année n.
L
es coûts imputés au SNU par l’administration centrale relèvent
uniquement du programme 163. I
ls n’incluent pas les frais de personnel
dans les services du MENJ et ne prennent en compte que les rémunérations
des encadrants portées par le programme 163. Or, une enquête menée par
le ministère estime à 157,7 ETP les effectifs mobilisés par le SNU dans les
services déconcentrés au 1
er
janvier 2023. Sur cette base, une estimation du
coût d’administration du SNU par le ministère s’élève à 342 € par jeune
sur l’année 2022.
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UN DISPOSITIF PROGRESSIVEMENT ÉLARGI
MAIS DONT LES OBJECTIFS SONT INCERTAINS
33
Compte tenu de ces éléments, l’objectif fixé en PLF 2024 d’un coût
par jeune à 2 000 €, donc très inférieur au coût par jeune constaté en 2022 et
2023, est non seulement très ambitieux pour le programme 163 mais encore
très éloigné du coût du dispositif pour le seul ministère chargé de la jeunesse.
De surcroît, cette estimation ne tient pas compte de la mobilisation des
moyens des autres ministères, y compris au niveau déconcentré, pour la
préparation des contenus pédagogiques, la formation des encadrants et le
déroulement de certaines activités lors des séjours de cohésion. C’est
notamment le cas des coûts induits par l’organisation de la journée défense et
mémoire (JDM)
34
par le ministère des armées, ainsi que de la journée
« sécurité intérieure » qui fait intervenir les forces de sécurité intérieure
35
lors
des séjours de cohésion. Sur la base des chiffrages fournis par le ministère des
armées et le ministère de l’intérieur,
la Cour estime le surcoût à
250 € par
jeune à ajouter au budget des « activités » des séjours de cohésion pour
l’année 2022. S’agissant des autres ministères, leur investissement correspond
à ce stade majoritairement à l’élaboration de contenus pédagogiques pour les
séjours de cohésion du SNU par des agents en administration centrale, qui
n’est pas comptabilisé. Le coût de
la
participation d’autres financeurs, comme
les collectivités territoriales, n’est pas non plus comptabilisé.
L’ensemble de ces éléments conduit à une estimation d
u coût par
jeune proche de 2 900
pour
l’année 2022.
Ce coût résulte des choix qui
ont été faits pour son déploiement, à savoir accueillir des mineurs de 15 à
17 ans, un accueil en séjour d’une durée de 12 jours et la gratuité totale
pour toutes les familles. À
l’inverse,
au Royaume-Uni, le
National Citizen
Service
propose des séjours collectifs «
away from home »
de cinq jours
pour les jeunes âgés de 16 à17 ans avec une participation financière des
familles, sauf pour les boursiers
36
.
La difficulté à estimer un coût complet met en lumière la nécessité de
créer les conditions d’un suivi budgétaire fin et exhaustif de l’ensemble des
ressources mobilisées au niveau central et déconcentré pour la mise en œuvre
du SNU, tant au sein du ministère de l’éducation na
tionale et de la jeunesse
(MENJ) que des autres ministères et plus généralement au sein de l’ensemble
de pouvoirs publics. Un tel suivi devient impératif dans le contexte de
restriction budgétaire et dans la perspective de généralisation du dispositif.
34
La JDM remplace la journée défense et citoyenneté (JDC) pour les jeunes effectuant un
séjour de cohésion (cf. article R.112-21, code du service national). La JDM est financée
par le programme 167 « Lien entre la Nation et son armée
», dont l’action 01 (Liens
armée-jeunesse), a pour objet le financement de la journée défense et citoyenneté.
35
Constituées des sapeurs-pompiers, policiers et gendarmes.
36
Cf. National Citizen Service - GOV.UK (www.gov.uk). Le site indique que la durée
de ces séjours, précédemment de deux semaines, a été réduite à cinq jours.
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COUR DES COMPTES
34
____________ CONCLUSION ET RECOMMANDATION ___________
Initialement annoncé comme un service national obligatoire destiné
à succéder au service militaire, le dispositif en est finalement éloigné dans
son format comme dans ses objectifs. Destiné aux jeunes de 15 à 17 ans
pour sa première phase (le séjour de cohésion), le dispositif a été lancé à
législation constante, alors que les travaux initiaux recommandaient une
phase de concertation ainsi que de poser les bases législatives du dispositif
par une loi de programmation. Ce choix a eu des conséquences concrètes
qui ont nui à sa bonne organisation.
Les objectifs assignés au dispositif sont nombreux et pour certains
difficiles à saisir concrètement tout comme à évaluer. Cette situation a
entretenu une incertitude sur
l’
ambition du SNU et son sens pour la
jeunesse. S’agissant en particulier de mixité sociale et d’engagement, ces
deux objectifs structurants
n’ont pas été atteints pour les cohortes de
jeunes accueillis en séjour de cohésion entre 2019 et 2023.
La croissance du nombre de jeunes participant depuis 2019 au
séjour de cohésion a été réelle, malgré les répercussions de la crise
sanitaire, mais les chiffres sont restés jusqu’en 2023 bien en
-deçà des
objectifs fixés chaque année, et considérablement en-deçà des ambitions
initialement affichées en 2018-2019. L
’objectif annuel
de nombre de jeunes
à accueillir en séjour de cohésion, fixé en loi de finances initiale, a
pourtant, chaque année
et jusqu’en 2024
, été très ambitieux. Ceci a
conduit,
jusqu’en 2023
, à une sous-exécution budgétaire importante des
crédits alloués au SNU et des redéploiements des crédits non utilisés qui
ont nui à la lisibilité du coût du dispositif. En outre, la méthodologie
d’évaluation
et de suivi des coûts du SNU pour le programme 163 présente
des faiblesses conduisant à mettre en doute la fiabilité des coûts par jeune
et leur ventilation par postes de dépense (hébergement, restauration,
tenues, transports, etc.) calculés
a posteriori
jusqu’en 2023.
Enfin, le coût du dispositif dépasse largement les coûts induits pour
le programme 163 « jeunesse et vie associative ». Ceux-ci correspondent
majoritairement à la première phase du SNU, le séjour de cohésion. La
Cour estime qu’ajout
er les coûts
d’administration par le mini
stère de
l’éducation nationale et de la jeunesse
, portés par un autre programme
budgétaire, ainsi que ceux
induits par l’organisation de la journée défense
et mémoire et de la journée sécurité intérieure, au sein des séjours de
cohésion, conduit à une estimation proche de 2
900 € par jeune
pour
l’année 2022
.
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UN DISPOSITIF PROGRESSIVEMENT ÉLARGI
MAIS DONT LES OBJECTIFS SONT INCERTAINS
35
La Cour formule la recommandation suivante :
1.
Clarifier les objectifs du dispositif et prévoir les modalités
d’évaluation de leur atteinte
(ministère de l’éducation nationale et de
la jeunesse ; ministère des armées ; ministère délégué chargé des
comptes publics).
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Chapitre II
Un pilotage institutionnel et une
organisation peu satisfaisants pour une
politique prioritaire du gouvernement
Confié au ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, le
pilotage du dispositif a connu des évolutions nombreuses, sans clarification
de son positionnement interministé
riel ni de l’implication des parties
prenantes (I). L’organisation des séjours de cohésion se heurte à des limites
majeures sur le plan administratif, logistique et en matière de ressources
humaines (II).
I -
Une gouvernance mal assurée qui ne garantit
pas la mobilisation des parties prenantes
Le pilotage du dispositif, au niveau politique comme au niveau
administratif, a connu de nombreuses évolutions (A), sans consolider son
positionnement interministériel (B). Les parties prenantes sur le terrain,
que ce soi
t les partenaires associatifs ou les collectivités territoriales, n’ont
pas été suffisamment associées (C).
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38
A -
Un pilotage administratif confié au ministère
de l'éducation nationale et de la jeunesse
sans être accompagné des moyens nécessaires
Le portage gouvernemental du dispositif a évolué plusieurs fois :
initialement dans le portefeuille du secrétariat d’État auprès du ministre de
l’éducation nationale et de la jeunesse, il relève depuis 2022 du secrétariat
d’
État chargé de la jeunesse et du SNU, placé sous la double autorité du
ministre des armées et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Son pilotage institutionnel a également connu de nombreuses
évolutions
: création d’une mission de préfiguration avec des agents mis à
disposition par d
ivers ministères, nomination d’un conseiller du
Gouvernement, création d’une sous
-direction au sein de la direction de la
jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA), puis
enfin d’une délégation générale au SNU (DG SNU) en 2023, pl
acée auprès
du secrétariat général du MENJ, et dont la déléguée générale est placée
sous l’autorité des ministres chargés des armées, de l’éducation nationale
et de la jeunesse.
Alors que les premiers séjours de cohésion ont eu lieu en juin 2019
sous le pilotage des préfets des départements préfigurateurs, en lien avec les
directeurs académiques des services de l’éducation nationale (DASEN), le
pilotage du SNU au niveau déconcentré n’a été clarifié qu’en juillet 2020,
par un décret
37
confiant la responsabilité du dispositif aux recteurs de régions
académiques, dans le contexte de la réforme de l’organisation territoriale de
l’
État
38
, qui voit le rattachement des services « jeunesse et sport » à
l’éducation nationale, avec la création des délégations régionales
académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (DRAJES) et des
services départementaux à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (SDJES).
B -
Une coordination interministérielle
qui demeure très insuffisante
Le choix a été fait en 2022 d’une double tutelle par les ministères en
charge de la jeunesse et des armées, l’implication du ministère des armées
dans le pilotage du dispositif restant toutefois symbolique. Le SNU n’en
revêt pas moins une portée intrinsèquement interministérielle, les
37
Décret n° 2020-922 du 29 juillet 2020, articles 3 à 5.
38
Réforme de l’Organisation territoriale de l’État, dite «
réforme OTE ». Cf. décret
n° 2020-1542 du 9 décembre 2020.
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UN PILOTAGE INSTITUTIONNEL ET UNE ORGANISATION PEU
SATISFAISANTS POUR UNE POLITIQUE PRIORITAIRE DU GOUVERNEMENT
39
différentes thématiques abordées lors des séjours de cohésion appelant la
contribution des ministères intéressés. Le Gouvernement a
d’ailleurs prévu
de mettre en place un
« mécanisme de taxation interministérielle »
afin que
l
’ensemble des ministères contribuent au financement du dispositif.
Toutefois, si les différents ministères ont entretenu des échanges
bilatéraux avec le MENJ et ont bien été mis à contribution pour la
production de ressources pédagogiques des séjours de cohésion, le SNU ne
fait pas l’objet d’un pilotage interministériel
. La nécessité de clarifier les
rôles des différents ministères, soulignée par la Cour en 2021
39
, reste donc
d’actualité. La Cour avait d’ailleurs recommandé, dans un référé de janvier
2020
40
, que la responsabilité de la coordination interministérielle du SNU
soit confiée au délégué interministériel à la jeunesse. À cet égard, le choix
de créer une délégation générale rattachée au secrétariat général du
ministère de l’éducation nationale et de l
a jeunesse, et de ne pas la
positionner à un niveau interministériel fragilise le pilotage politique et
administratif du dispositif, cinq années après son lancement et bien qu’il
s’agisse d’une politique prioritaire du gouvernement.
C -
Des parties prenantes trop peu associées
Le collège associatif du SNU, qui rassemble une quarantaine
d’acteurs concernés par le dispositif
(associations de jeunesse, d’éducation
populaire, sportives, fédérations, etc.) ne s’est plus réuni depuis 2020. Dès
l’origine, le gouvernem
ent a exprimé son opposition à toute « cogestion »,
mais cette position de principe s’est heurtée à la réalité des moyens et des
compétences des services centraux et déconcentrés. Les associations,
notamment d’éducation populaire, ont été des relais essent
iels, en particulier
pour l’organisation des séjours de cohésion. Toutefois, leur mobilisation
croissante sur le SNU pose la question de leur capacité à poursuivre leurs
autres missions, tandis que le mode de fonctionnement par appels d’offres
les place, de fait, dans une position de prestataires. Enfin, les mouvements
de jeunesse regrettent de ne pas avoir été impliqués dans la construction du
dispositif. Toutefois, le MENJ met en place des actions de conventionnement
avec des associations, notamment pour
la réalisation d’activités lors des
séjours de cohésion mais aussi pour les phases suivantes du SNU.
39
Cour des comptes,
La formation à la citoyenneté
, communication au comité d’évaluation
et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, octobre 2021.
40
Cour des comptes,
L’action en faveur de la jeunesse c
onduite par la DJEPVA
, référé,
janvier 2020.
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COUR DES COMPTES
40
S’agissant des collectivités territoriales, il n’existe pas de stratégie
nationale pour encourager leur implication. L’initiative est laissée au niveau
local, selon le contexte et la volonté des acteurs, avec des situations très
variables de recours aux établissements d’enseignement pour l’organisation
des séjours de cohésion suivant les régions. Or, l’implication de ces dernières,
compétentes en matière d’h
ébergement, restauration dans les lycées mais
aussi de transport, est susceptible de faciliter le déploiement du dispositif.
Il est à cet égard notable qu’aucun pilotage n’est assuré par
l’administration centrale, laquelle ne dispose pas d’une vision cons
olidée
des conventions conclues par les services déconcentrés avec les parties
prenantes au dispositif. La Cour n’a ainsi
pas pu obtenir la liste complète
de ces conventions.
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UN PILOTAGE INSTITUTIONNEL ET UNE ORGANISATION PEU
SATISFAISANTS POUR UNE POLITIQUE PRIORITAIRE DU GOUVERNEMENT
41
Schéma n° 3 :
a
cteurs intervenant dans la mise en œuvre du SNU
Source : Cour des comptes
SG MENJ
: secrétariat général du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, du ministère de
l'enseignement supérieur et de la recherche et du ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques ;
DG SNU : délégation générale au SNU ; DRAJES : délégations régionales académiques à la jeunesse, à
l’engagement et aux sports
; IA-DASEN : inspecteur d'académie-directeur académique des services de
l'éducation nationale; SDJES
: service départemental à la jeunesse, à l’engagement et aux sports
; JDM :
journée défense et mémoire ; JSI : journée sécurité intérieure.
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COUR DES COMPTES
42
II -
Des séjours de cohésion dont l’organisation
se heurte à des limites majeures
Les modalités d’organisation des séjours de cohésion sont variables
suivant les territoires et s’appuient sur les acteurs associatifs de l’éducation
populaire (A). Les difficultés rencontrées par les services en charge de leur
organisation et leurs prestataires sont importantes que ce soit sur le plan
logistique (B)
ou sur le plan des ressources humaines pour l’enc
adrement
des jeunes (C) comme pour la gestion des agents administratifs (D).
A -
Des modes d’organisation variables
selon les territoires
Alors que la position initiale consistait à affirmer que le séjour de
cohésion n’avait pas vocation à être délégué à des tiers, s’agissant d’un
dispositif régalien, la réalité a contraint l’État à assouplir cette position et
à s’appuyer sur les associations d’éducation populaire. À partir de 2022,
puis davantage en 2023, les services déconcentrés du MENJ ont confié par
voie d
e marché public à des associations l’organisation de séjours de
cohésion, sur la base d’un cahier des charges national. Cette modalité
d’organisation déléguée a concerné
quatre séjours en 2022 puis 65 en 2023.
Bien que jugé plus coûteux qu’une organisation
en régie par les services de
l’État
41
, mais sans que la différence de coût n’ait été objectivée par le
MENJ, ce choix pragmatique permet de
s’appuyer
sur l’expertise et le
réseau dont disposent ces associations, tout en recentrant les services de
l’État su
r leurs missions régaliennes.
En effet, une difficulté majeure du SNU tient au fait que les services
en charge des contrôles des accueils collectifs de mineurs (ACM) sont les
services qui mettent en œuvre le SNU sur le territoire
42
. Ces services se
retrouve
nt de fait en charge d’organiser
ces accueils
qu’ils doivent par
ailleurs contrôler, alors même qu’ils sont sous
-dimensionnés pour remplir
leur mission régalienne d’inspection
43
. S’agissant des séjours de cohésion
41
La comparaison du coût des séjours délégués aux associations devrait impérativement
prendre en compte le coût d’administration du SNU par le MENJ.
42
Les services départementaux à la jeunesse, à l'engagement et aux sports ou SDJES.
43
Le renforcement des contrôles des ACM fait partie des indicateurs de performance
du programme 163. Toutefois, avec le déploiement du SNU, les SDJES ont vu leurs
ressources mobilisables pour leurs missions d’inspection diminuer. À titre d’exemple,
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SATISFAISANTS POUR UNE POLITIQUE PRIORITAIRE DU GOUVERNEMENT
43
délégués à des associations, ce mode
d’organisation n’a pas complètement
clarifié le positionnement des services de l’État
44
et nécessite, au-delà du
cahier des charges, d’affiner les exigences
de l’État et de pouvoir mettre en
œuvre des contrôles des séjours.
B -
Des difficultés logistiques considérables
L’organisation des séjours de cohésion s’est heurtée à diverses
difficultés d’ordre logistique
qui ont particulièrement concerné le transport
des jeunes volontaires et des encadrants au démarrage et à l’issue des
séjours de cohésion tant en 2022 qu’en 2023.
En 2022, le support contractuel utilisé par le MENJ était le marché
ministériel de déplacements professionnels des agents du ministère.
Confrontées à des difficultés organisationnelles importantes (par exemple
modifications de dernière minute des schémas de transport), plusieurs
délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux
sports (DRAJES) ont émis de vives critiques sur ce sujet, certaines
recommandant de régionaliser la gestion du transport.
En 2023, le MENJ a choisi,
dans le cadre d’un appel d’offres propre
aux transports du SNU, un nouveau prestataire qui a pris en charge les
séjours de cohésion à partir du mois d’avril, dans un contexte de montée en
charge du dispositif et de très forte complexité organisationnelle en raison
de la décision de passer à une mobilité inter-régionale des jeunes. Or, dès
les séjours d’avril
2023 et plus encore pour les séjours du mois de juin, les
défaillances de transport ont été très nombreuses. La fragilité du nouveau
prestataire a été accentuée par les délais très courts dans lesquels
l’administration lui a fourni, pour chaque période de sé
jours, les
informations nécessaires à l’élaboration des plans de transport (répartition
des jeunes dans chaque centre et points de rassemblement), elles-mêmes
dépendant de la date de clôture d’inscription des jeunes.
Face à ces défaillances, les services déconcentrés se sont organisés
pour trouver des solutions en urgence, parfois à l’aide de partenaires
associatifs, pour récupérer des jeunes et leurs accompagnateurs en gare,
trouver des solutions d’hébergement, et les acheminer vers les centres
SNU, dans certains cas par taxi sur de grandes distances. Pour les séjours
de juillet 2023, la DG SNU avait mis en place une cellule de crise
une DRAJES interrogée par la Cour fin 2023 estimait que la capacité d’inspection des
SDJES a diminuée de 20 à 25 % au cours des deux dernières années.
44
En particulier s’agissant de l’employeur du chef de centre qui a pu dans certains cas
êt
re l’association prestataire, dans d’autres le rectorat.
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44
mobilisant en continu ses agents pour sécuriser les lignes de transports
réservées par le prestataire. L’engagement des agent
s, au niveau central
comme au niveau déconcentré, a permis de faire face à ce défi, mais
l’ampleur de la désorganisation a induit des risques pour la sécurité des
jeunes volontaires et des surcoûts de transport significatifs.
Pour les séjours de l’année 2024, l’administration a pris la décision
de revenir à une mobilité intrarégionale, ce qui doit diminuer les coûts de
transport tout en permettant un brassage territorial
par l’accueil d
es jeunes
en séjour de cohésion en dehors de leurs départements d’origin
e.
S’agissant des hébergements, les difficultés sont d’ordre divers
:
insuffisance de capacités dans certains territoires, complexité liée à
l’utilisation de sites temporaires, jauge par centre exigée par le cahier des
charges national, etc. Au cours de la période 2021 à 2023, les séjours de
cohésion ont été majoritairement organisés dans des établissements
d’enseignement, dont les propriétaires sont principalement des collectivités
territoriales (régions
pour les lycées) ou l’
État (lycées agricoles,
notamm
ent). Les centres de vacances représentent près d’un tiers du total
des sites (cf. tableau n° 6).
Tableau n° 6 :
répartition des lieux des 711 séjours de cohésion
au cours de la période 2021 à 2023
Type de lieu de séjour de cohésion
Nombre
Proportion
Établissements
d’enseignement
365
51 %
Centres de vacances
213
30 %
Centres de formation
27
4 %
Autres sites (dont hôtels, campings, etc.)
106
15 %
Source
: Cour des comptes, d’après données MENJ
En ce qui concerne les structures privées, comme les centres de
vacances, la mise en place de marchés publics pour l’hébergement et la
restauration
n’
a été progressive
qu’
à partir de 2022, sur la base de modèles
de cahiers des charges fournis par l’adminis
tration centrale. Les services
achats des régions académiques
45
soulignent le faible nombre de réponses
aux appels d’offres. Cette fragilité est la conséquence logique des délais
très contraints dans lesquels sont passés ces marchés, ainsi que du manque
45
Il est notable que l’administration centrale n’a pas été en mesure de fournir ces
éléments à la Cour
: elle n’assure en effet aucune consolidation des données s’agissant
des réponses reçues aux ap
pels d’offres lancés au niveau régional.
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UN PILOTAGE INSTITUTIONNEL ET UNE ORGANISATION PEU
SATISFAISANTS POUR UNE POLITIQUE PRIORITAIRE DU GOUVERNEMENT
45
de
lisibilité sur l’avenir du dispositif. Celui
-ci empêche les acteurs privés
et associatifs de se projeter à moyen terme (ce qui est la condition pour se
structurer afin de pouvoir prendre en charge un nombre important de
séjours) et fait peser sur eux un risque financier non négligeable
46
en cas
d’annulation ou
de
modification du séjour, en cas d’échec aux appels
d’offre ou encore lorsque les désistements de jeunes sont nombreux.
Au final, du fait des spécificités rencontrées (délais contraints,
absence de connaissance du nombre de volontaires par séjour, à la fois du
fait de modifications décidées par l’administration centrale et de
désistements de dernière minute), les services achats des rectorats soulignent
la difficulté à respecter les règles de la commande publique. Cette situation
génère des surcoûts, pour pallier des urgences ou des incompatibilités avec
les marchés ministériels existants ou les marchés d’hébergement et de
restauration conclus à la hâte, ainsi que des frais engagés par des encadrants
sur leurs deniers personnels, sans possibilité de remboursement.
Enfin, les difficultés opérationnelles s’étendent également à la
question des matériels (par exemple sportifs, utilisés lors de séjours de
cohésion) et des tenues (portées par les jeunes et les encadrants), pour
lesquels aucune stratégie de gestion des stocks n’a été mise en place
. C
’est
aussi le cas pour les systèmes d’information. Sur ce dernier point, le MENJ
s’appuie actuellement sur la «
start-
up d’
État Engagement », qui construit et
gère la plateforme numérique de parcours des jeunes volontaires (inscription
aux séjours de cohésion, choix des
missions d’intérêt général
) mais
également une plateforme numérique d’outils opérationnels, en particulier
pour l’affectation, la convocation et le t
ransport des jeunes vers les centres.
Ce mode de fonctionnement en appui sur une « start-
up d’État
», ne permet
pas à l’administration de maîtriser les outils opérationnels qu’elle développe,
ni, malgré les actions d’estimation des besoins et de suivi mené
es, leur coût
de développement et d’utilisation par la
start-up
.
C -
Des encadrants très impliqués mais trop peu formés
et accompagnés
Le recrutement des encadrants qui relève de la responsabilité du chef
de projet SNU départemental et du chef de centre, représente une charge
de travail importante. Malgré la forte mobilisation des intéressés, les
recrutements sont parfois très tardifs, nuisant à la préparation des séjours
tant en matière de projet pédagogique que de gestion des équipes. Un faible
46
Dans le cas des séjours délégués, les organisateurs sont des associations, par ailleurs
subventionnées par l’
État et fonctionnant grâce au bénévolat.
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46
soutien de cer
tains partenaires locaux dans le domaine de l’éducation
populaire, ainsi que des effets de concurrence avec d’autres dispositifs dans
un contexte de forte pénurie d’animateurs ont pu
amplifier ces limites. En
outre, des difficultés particulières de recrutement existent sur certains
postes, notamment celui de « référent sanitaire
» dont l’importance est
pourtant centrale pour accompagner les jeunes lors des séjours.
Toutefois, ce sont les difficultés d’ordre administratif et financier
qui sont les plus prégnantes. Des retards considérables dans la signature
des contrats de travail et dans la mise en paiement des rémunérations ou
indemnités ont fortement dégradé l’imag
e du SNU auprès des encadrants.
À cela s’ajoutent des différences de rémunération (ou d’
indemnisation) à
fonction égale dans les centres
47
, peu compréhensibles et peu incitatives
pour les fonctionnaires, qui ont pu
d’ailleurs se retrouver en situation de
cu
mul d’activité.
Un point d’achoppement majeur concerne le contrat d’engagement
éducatif (CEE
48
), majoritairement utilisé pour recruter les encadrants des
séjours de cohésion et dont le plafond, fixé à 80 jours sur 12 mois
consécutifs, limite très fortement le nombre de séjours réalisables par an
49
.
Or aucune évolution du mode de gestion des encadrants n’est prévue avant
2025, alors même que les séjours de cohésion et le nombre de jeunes à
accueillir augmentent considérablement en 2024. Les enquêtes de
l’
Institut
national de la jeunesse et de l’éducation populaire
(INJEP) ont pourtant
signalé dès 2021 les très fortes contraintes induites par ces contrats et
l’existence de pratiques destinées à contourner leur plafond, tels des jours
travaillés non comptabilisés, des périodes de repos non respectées ou
encore le recrutement d’encadrants par une tierce structure sur les journées
de préparation des séjours et de formation
50
.
47
Elles sont liées aux différentes modalités de recrutement, mais aussi à des
modifications en ce qui concerne les fonctionnaires (cumul d’activité avant 2022 puis
mise en congé ensuite).
48
Le CEE, régi par les articles L. 432-1 à L432-6 du code de l'action sociale et des
familles est un dispositif dérogatoire au code du travail.
49
Fixé à 80 jours sur 12 mois consécutifs, le plafond ne permet pas aux personnels de
direction de réaliser plus de deux séjours par an et limite à trois séjours par an les
capitaines et tuteurs.
50
Defasy A., Desjonqueres T., Hervieu M., Leplaideur M., 2022,
Déploiement du
Service national universel sur l’ensemble du territoire français en 2021. Enseignements
de l’évaluation des séjours de cohésion,
avec les contributions de l’INJEP (Anne
-
Sophie Cousteaux et Samuel James) et des équipes des cabinets Pluricité et Itinere
Conseil, INJEP Notes & Rapports/Rapport d’étude.
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UN PILOTAGE INSTITUTIONNEL ET UNE ORGANISATION PEU
SATISFAISANTS POUR UNE POLITIQUE PRIORITAIRE DU GOUVERNEMENT
47
Ces difficultés engendrent une mobilité importante qui fragilise le
dispositif, en limitant la possibilité de capitaliser sur l’expérience acquise
par les encadrants, mais plus largement les équipes en charge des politiques
de jeunesse.
Par ailleurs, un besoin important de formation mais aussi
d’accompagnement des personnels d’encadrement a été identifié dès 2019, les
séjours de cohésion étant propices à la libération de la parole chez des jeunes
en situation de souffrance
51
. Une contrainte importante pèse sur les services
départementaux du fait de l’absence d’outils adaptés pour adresser un
signalement auprès des autorités du département d’origine du jeune. En outre,
au-delà de la problématique de la santé mentale des jeunes, les informations
sur l’état de santé général des participants ne parviennent aux équipes
d’encadrement
que dans des délais très courts voire au début des séjours de
cohésion. Elles ne peuvent donc pas mettre en place les actions collectives
nécessaires pour assurer la sécurité des jeunes présentant des problématiques
de santé particulières. La manipulation de ces données personnelles, et par
nature sensibles, doit faire l’objet d’une
analyse approfondie.
Enfin, une réflexion sur le renforcement quantitatif et qualitatif de
la formation nationale des encadrants a été engagée par l’administration
centrale
avec l’expérimentation d’une
formation renforcée en janvier
2024
; il conviendra d’en apprécier les effets lors des retours d’expérience
des séjours de 2024.
D -
Des contraintes très fortes induisant
une dégradation sensible des conditions
de travail des personnels
La mission de préfiguration puis la sous-direction SNU comprenait
16 agents.
La DG SNU, d’un effectif théorique de 31 ETP
52
à partir de sa
création en 2023, est en réalité à effectifs réels bien inférieurs, à cause de
nombreux postes vacants et de la nécessité de recréer des postes sur des
fonctions transversales (ressources humaines, budget, etc.). Le constat de
la Cour en 2021, selon lequel la sous-direction était
« à peine mieux dotée
(16 ETP) que l’ancienne mission de préfiguration
»
53
reste donc d’actualité
début 2024 pour la DG SNU.
51
Des encadrants ont indiqué à la Cour que la proportion de jeunes victimes de violences
en contexte familial ou scolaire pouvait dépasser 10 % lors des séjours de cohésion.
52
Parmi lesquels six postes mis à disposition par le ministère des armées.
53
Cour des comptes,
La formation à la citoyenneté
, communication au co
mité d’évaluation
et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, octobre 2021
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48
Au niveau déconcentré, les équipes des délégations régionales
académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (DRAJES) et des
services départementaux à la jeunesse, à l'engagement et aux sports
(SDJES)
n’ont que marginalement évolué avec la création de 80 postes de
chefs de projets départementaux en 2022, malgré la charge de travail
induite par le SNU, estimée à 157,7 ETP au 1
er
janvier 2023, et dans le
contexte de la réforme de l’organisation territoriale de l’
État, qui a pu
déstabiliser les équipes. De ce fait, le temps disponible pour réaliser les
autres missions de ces services a été réduit, avec des conséquences
inévitables sur la qualité du service rendu et le bien-être des agents. Le
manque de stabilité des équipes
54
est un révélateur du coût humain de la
mise en œuvre à marche forcée d’un dispositif non planifié et auquel n’ont
pas été consacrés les moyens nécessaires.
L’engagement exceptionnel des agents des services centraux
comme déconcentrés a permis de faire face à la charge de travail
supplémentaire et aux difficultés de mise en œuvre du SNU, mais cette
situation anormale n’est pas soutenable dans la durée et l’est encore moins
à mesure que le dispositif monte davantage en charge.
La situation dégradée des ressources humaines constitue une
fragilité majeure pour la poursuite de la montée en charge du SNU à
laquelle les renforts d’effectifs prévus en loi de finances initiale 2024, qui
représentent 75 ETP supplémentaires pour le SNU (dont 18 ETP consacrés
au déploiement de la nouvelle modalité du SNU, les « classes engagées »)
ne seront pas en mesure de remédier.
54
En avril 2023, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail
a ainsi
constaté, à l’issue d’une enquête menée dans trois DRAJES,
« un manque de stabilité
des équipes » (turn-over et postes vacants) ainsi que « des effectifs qui ne couvrent pas
tous les besoins »
.
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UN PILOTAGE INSTITUTIONNEL ET UNE ORGANISATION PEU
SATISFAISANTS POUR UNE POLITIQUE PRIORITAIRE DU GOUVERNEMENT
49
___________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS ___________
Le portage politique et institutionnel du dispositif a connu de
nombreuses évolutions depuis 2019. Le choix, en 2023, de créer une
délégation générale au SNU, sous double tutelle des ministères en charge de
la jeunesse et des armées, rattachée au secrétariat général du ministère de
l’éducation nationale et de la jeunesse
,
n’a pas consolidé le positionnemen
t
interministériel du dispositif en adéquation avec ses ambitions.
En ce qui concerne les parties prenantes de terrain, deux types
d’acteurs se distinguent
: d’une part les associations d’éducation populaire
,
mobilisées de manière croissante pour l’organisation et l’encadrement des
séjours de cohésion,
qui regrettent d’être cantonnées à un rôle de prestataire
s,
d’autre part les collectivités territoriales, dont les compétences en matière de
transport
ainsi
qu’en
matière
d’hébergement/restauration
dans
les
établissements d’enseignement
en font des acteurs incontournables. Aucune
stratégie de partenariat n
’est
venue, à ce jour, clarifier leur implication.
Le déploiement des séjours de cohésion
s’
est heurté à des difficultés
considérables tant sur le plan de l
’organisation logistique que de la gestion
administrative, notamment en matière de gestion des ressources humaines.
Les délais contraints
et l’instabilité
des conditions de déploiement (jauges
d’accueil des jeunes, dates
des séjours, etc.) ont impacté l
’ensemble de la
chaîne de la commande publique, conduisant à des surcoûts et à des achats
en dehors des procédures de mise en concurrence. Au final, le SNU a pu
se déployer grâce à l’engagement des agents des services décon
centrés et
d’administration centrale. L
a situation dégradée de leurs conditions de
travail constitue une fragilité majeure du dispositif, à laquelle les renforts
d’effectifs obtenus en 2022 et
prévus en loi de finances 2024 ne seront pas
en mesure de reméd
ier, compte tenu de l’ambition de poursuite de la
montée en charge et de généralisation à échéance proche.
La Cour formule les recommandations suivantes :
2.
créer les conditions d’un pilotage ministériel et administratif adapté
aux ambitions du dispositif (m
inistère de l’éducation nationale et de
la jeunesse ; ministère des armées ; ministère délégué chargé des
comptes publics) ;
3.
définir les stratégies d’implication des collectivités territoriales et des
associations d’éducation populaire et de jeunesse
(ministère de
l’éducation nationale et de la jeunesse ; ministère des armées ;
ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;
ministère délégué chargé des comptes publics).
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Chapitre III
Un dispositif non stabilisé et dont les
perspectives doivent être clarifiées
Le coût du dispositif est devenu important au sein du programme
budgétaire « jeunesse et vie associative » et continuera à croître du fait des
ambitions de montée en charge,
rendant d’autant plus nécessaire
la
clarification des objectifs et de la trajectoire des trois phases du dispositif
(I). La généralisation du SNU
à l’ensemble d’une classe d’âge nécessite de
lever des obstacles sur les plans juridique, organisationnel et budgétaire
(II). Les optimisations des coûts attendus par le Gouvernement restent à
quantifier et les modalités de financement, par l’ensemble des financeurs
publics, doivent être débattues et arbitrées (III).
I -
Un coût important qui nécessite de clarifier
les objectifs du dispositif et d’en définir
la trajectoire
Les prévisions du gouvernement, formalisées dans la loi de
programmation des finances publiques (LPFP) 2023-2027, anticipent une
forte montée en charge de l’effort budgétaire en faveur du SNU, sans
trajectoire documentée : les montants retenus correspondent à une
augmentation des effectifs
, jusqu’à 150
000 jeunes en 2027
55
. Pour l’année
2024, ils sont d’ores et déjà différents des crédits prévus en LFI (160 M€).
55
Sur la base d’un coût par jeune de 2
190 € pris comme référence par le MENJ.
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52
Graphique n° 1 :
t
rajectoire budgétaire pluriannuelle du SNU (M€)
selon les travaux préparatoires à la loi de programmation
des finances publiques 2023-2027
Source : Cour des co
mptes, d’après les documents budgétaires et données du MENJ
Les montants inscrits sont évalués en écart à la loi de finances initiale 2022 (coût par jeune de 2
190 €).
En loi de finances initiale (LFI) 2024, les crédits consacrés au SNU
représentent 18 % du programme 163
56
. Cette enveloppe de 160
M€, qui
doit permettre d’accueillir 80
000 jeunes en séjour de cohésion pendant 12
jours, est à comparer aux 519 M€ consacrés au Service civique, qui doivent
permettre à 150
000 jeunes de réaliser une mission d’une
durée de 6 à
12
mois. L’effort relatif consenti pour le SNU est donc très important.
Les objectifs volontaristes de montée en charge du dispositif - le
cabinet de la secrétaire d’
État a indiqué à la Cour, en novembre 2023, que
l’objectif était de généraliser le SNU à l’ensemble d’une classe d’âge en
2026-2027 - signifient que ce coût budgétaire ne fera que croître, alors
même qu’à l’heure actuelle et à dimensionnement constant, la pérennité du
dispositif n’est pas garantie
à cause de moyens insuffisants. Les mesures
56
Les crédits consacrés au développement de la vie associative (action 01) représentent
58 M€ (6
% du total), ceux consacrés aux actions en faveur de la jeunesse et de
l’éducation populaire (action 02) 164 M€ (18
%) et ceux consacrés au Service civique
(act
ion 04) 519 M€ (58
%).
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UN DISPOSITIF NON STABILISÉ ET DONT LES PERSPECTIVES
DOIVENT ÊTRE CLARIFIÉES
53
d’économie prises ou envisagées par l’administration (retour à une mobilité
infrarégionale des jeunes en 2024, rationalisation de l’utilisation des
matériels), ne sont actuellement ni quantifiées ni quantifiables. Dans ce
contexte, il est urgent de stabiliser la gouvernance du dispositif ainsi que
sa trajectoire de montée en charge, et de donner aux services les moyens
de le déployer efficacement dans la durée.
Malgré cet urgent besoin de clarification, des incertitudes
persistantes pèsent sur l’h
orizon du dispositif, à savoir le maintien du
volontariat avec la poursuite d’une montée en charge ou une généralisation
avec obligation, et dans ce dernier cas, de son échéance.
Il faut aujourd’hui
définir l’horizon de ce dispositif afin de donner la visi
bilité nécessaire à
ceux qui doivent le mettre en œuvre.
Cette clarification doit intervenir rapidement, car les décisions prises
pour l’année 2024 puis pour 2025 (appels à projets «
classes et lycées
engagés », poursuite importante de la montée en charge) vont avoir un
impact majeur sur le dispositif, et ne pourront pas aisément être remises en
cause ultérieurement. Deux autres éléments de contexte à prendre en compte
concernent la trajectoire fixée pour la montée en puissance d’une part des
réserves des
forces armées et de sécurité intérieure, et d’autre part des
effectifs de jeunes en service civique, les deux options étant les cibles de la
phase d’engagement ou phase 3 du SNU, mais sans aucune clarification des
objectifs et des budgets correspondants pour les années à venir.
II -
La généralisation nécessite de lever
des contraintes juridiques, organisationnelles
et financières
La généralisation du dispositif à l’ensemble d’une classe d’âge
impose de lui donner une assise juridique afin de répondre aux enjeux
soulevés (A), tout comme de planifier les moyens nécessaires en matière
d’hébergement et d’encadrement (B). Le coût complet reste à établir, les
estimations des ministères ne portant que sur le séjour de cohésion et sur
les coûts de fonctionnement, et les moyens budgétaires à arbitrer et
planifier dans un contexte budgétaire restreint (C).
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54
A -
Une nécessaire évolution juridique
En l’état actuel des textes, il existe une confusion entre le dispositif
actuel et la notion de «
service national universel
» telle
qu’explicitée dans
le code du service national
57
. Une généralisation du dispositif exigerait de
modifier l’article L. 111
-2 du code du service national pour inclure le
séjour de cohésion parmi les composantes obligatoires du «
service
national universel
», au même titre que le recensement, la journée défense
et citoyenneté (JDC) et l’appel sous les drapeaux
58
.
Cette perspective pose la question de la possibilité, pour le
législateur, d’imposer cette nouvelle sujétion
(un séjour de cohésion
obligatoire) à cad
re constitutionnel constant. Plus précisément, il s’agit de
déterminer si la rédaction actuelle de la Constitution, qui, dans son article
34, dispose que «
la loi fixe les règles concernant
(…)
les sujétions
imposées par la Défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs
biens
», permet au législateur, par une loi ordinaire, de rendre le SNU et en
particulier son séjour de cohésion obligatoire, ou bien si, au contraire, une
révision constitutionnelle est nécessaire.
La question n’est pas tranché
e,
étant précisé qu
’un avis du Conseil d’État a indiqué, en 2019, qu’une telle
révision était nécessaire
Deux problèmes, non résolus à ce jour, se
présentent alors. En premier lieu, il convient de savoir si le SNU relève des
«
sujétions imposées par la Défense nationale aux citoyens
», selon les
termes de la Constitution. En second lieu, se pose la possibilité, pour le
législateur, d’imposer une sujétion aux mineurs
: la loi ne permet
a priori
d’imposer des sujétions qu’aux citoyens, statut dont ne relèvent pas les
jeunes de 15 à 17 ans,
placés sous l’autorité de leurs parents. Enfin, se
posera la question de l’extension de cette obligation aux jeunes étrangers.
Une généralisation exigerait également de clarifier des points très
concrets, tels que le statut des centres SNU, celui des encadrants ou encore
le cadre juridique de leur recrutement. Il importera également de clarifier
l’articulation du SNU avec le temps scolaire,
en particulier du fait des
séjours de cohésion organisés dans le contexte d
e l’appel à projet
« classes
et lycées engagés »
pour l’année scolaire 2023
-2024 et de sa reconduction
pour 2024-2025. Alors même que le séjour de cohésion de ces « classes
57
Articles L. 111-1 («
Les citoyens concourent à la défense et à la cohésion de la
Nation. Ce devoir s'exerce notamment par l'accomplissement du service national
universel
») et L. 111-2 du code du service national («
Le service national universel
comprend des obligations : le recensement, la journée défense et citoyenneté et l'appel
sous les drapeaux
(…)
»).
58
L’appel sous les drapeaux, actuellement suspendu, existe toujours en droit.
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UN DISPOSITIF NON STABILISÉ ET DONT LES PERSPECTIVES
DOIVENT ÊTRE CLARIFIÉES
55
engagées », qui a lieu sur le temps scolaire, ne peut être imposé aux élèves,
la question de son intégration
aux 36 semaines de l’année scolaire prévues
par le code de l’éducation
doit être clarifiée
59
.
Une question connexe, non négligeable, concerne le devenir de la
journée défense et citoyenneté (JDC) et des équipes du ministère des
a
rmées qui l’organisent. Les textes prévoient d’ores
et déjà que le jeune qui
a réalisé un séjour de cohésion est réputé avoir accompli sa JDC
60
; en cas
de généralisation du SNU avec obligation, la JDC serait donc
nécessairement remplacée par la journée défense et mémoire.
B -
Des obstacles nombreux sur le plan opérationnel
Au regard des conditions de déploiement du SNU depuis 2019, la
perspective de sa généralisation soulève des questions opérationnelles
majeures, plus particulièrement pour le séjour de cohésion.
L’hébergement, déjà identifié en 2018 comme la difficulté
« la plus
importante à surmonter »
61
, sera un enjeu central. Une généralisation du
SNU à toute une classe d’âge (estimée à 850
000 jeunes) nécessiterait un
nombre important de centres, évidemment variable suivant leur capacité
d’accueil
et les conditions de généralisation, soit hors ou pendant le temps
scolaire. Une estimation sur la base du nombre de jeunes par centre en 2023
(126) et du modèle d’encadrement actuel confirme l’importance du nombre
de centres à mobiliser (cf. tableau n° 7). Pour des séjours de cohésion
or
ganisés sur le temps scolaire, il est possible d’estimer que 14 sessions
(correspondant à 14 périodes de deux semaines sur le temps scolaire)
permettraient d’accueillir l’ensemble des jeunes dans 482 centres (ouverts
à chaque session). Pour des séjours de cohésion organisés uniquement sur
le temps des vacances scolaires, au cours de quatre sessions (février,
mars/avril, juin et juillet)
, le nombre de centres et d’encadrants nécessaires,
est plus de trois fois supérieur.
59
Article L. 521-1
du code de l’éducation.
60
Cf. Article R. 112-21 du code du service national
(« La journée défense et citoyenneté
peut être accomplie, de manière continue ou fractionnée, dans le cadre du séjour de
cohésion prévu à l’article R. 113
-1
»).
61
Rapport relatif à la création d’un service nati
onal universel, établi par le général de
division Daniel Ménaouine, rapporteur du groupe de travail SNU, avril 2018.
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56
Tableau n° 7 :
estimation du nombre de centres et d'encadrants
nécessaires en cas de généralisation du SNU
Période choisie pour la généralisation
du SNU
Sur temps
scolaire
Hors temps
scolaire
Nombre de jeunes dans la classe d’âge (a)
850 000
Nombre de jeunes par centre (b)
126 (moyenne 202362)
Nombre de
sessions organisées dans l’année (c)
14
4
Nombre de centres par session (d = a / b / c)
482
1 687
Nombre d’encadrants par session
63 (16 x d)
7 712
26 984
Source : Cour des comptes à partir des hypothèses DJEPVA en 2023 sur le nombre de jeunes
cibles, le nombre de séjours par an et la taille des centres.
Une généralisation impliquerait donc de mobiliser des structures
d’accueil diversifiées afin de mettre à profit toutes les capacités disponibles,
et pose à l’évidence la question d’investir dans de nouveau
x bâtiments tout à
la fois pour l’
É
tat et pour les propriétaires des structures d’accueil.
Les internats scolaires et les centres de vacances représentent des
capacités potentielles
64
, mais soulèvent des questions différentes. Les
centres de vacances, disponibles en période scolaire, peuvent offrir un
cadre intéressant pour des séjours de cohésion, mais leur utilisation pose la
question de la dépendance de l’
État vis-à-vis de leurs propriétaires,
notamment privés, ainsi que celle de la concurrence entre le SNU et les
autres dispositifs publics en faveur de la jeunesse et des familles qui
mobilisent ces mêmes lieux (classes découverte, colonies de vacances).
Les internats offrent, quant à eux, un cadre adapté aux mineurs, mais
très similaire à leur environnement scolaire. Or, le « dépaysement » est un
facteur important de la réussite des séjours de cohésion, notamment
lorsqu’il s’agit de jeunes en situation d’échec scolaire. Non prévue par le
c
ode de l’éducation, leur utilisation suppose
qu’ils soient disponibles
,
c’est
-à-dire que les séjours de cohésion se déroulent hors temps scolaire.
Elle suppose également
l’accord des collectivités
territoriales propriétaires
et une entente entre celles-ci
et l’
État sur les modalités de mise à
disposition, notamment sur les coûts afférents, à ce stade très variables.
62
Moyenne constatée lors des séjours de cohésion de l’année 2023.
63
Sur la base des instructions de mise en œuvre du SNU de 2021 à 2023, un
centre
accueillant 126 jeunes dispose d’une équipe de 16 personnels d’encadrement (un chef
de centre, un adjoint, deux cadres spécialisés, deux cadres de compagnie et un cadre de
réserve, huit tuteurs de maisonnées et un tuteur de réserve.
64
Selon l’IGESR
, un potentiel de 230
000 places existe s’agissant des internats.
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UN DISPOSITIF NON STABILISÉ ET DONT LES PERSPECTIVES
DOIVENT ÊTRE CLARIFIÉES
57
En tout état de cause, un recensement précis des capacités des
différents types d’hébergement et de leurs contraintes, puis la définition d’une
stratégie cohérente avec les objectifs de montée en charge du dispositif restent
à établir avec l’ensemble des acteurs concernés.
La création de la trentaine de centres pérennes envisagés par le MENJ
dès 2025 paraît ainsi souhaitable. Elle ne serait cepen
dant qu’une première
étape de la création d’un réseau de centres SNU, à condition d’acter le
principe d’une généralisation du SNU sur le temps scolaire, de définir les
conditions d’utilisation des centres, et de quantifier puis planifier les
investissement
s et enfin les conditions de la gestion immobilière d’un futur
réseau qui devrait comprendre environ 500 centres (cf. tableau 7).
Le recrutement des encadrants est un autre enjeu majeur qui appelle
des réponses immédiates de l’
État pour permettre la poursuite de la montée
en charge. En cas de généralisation, le besoin de recrutement sera d’abord
massif
du
fait
du
nombre
d’encadrants
nécessaires
(
cf.
tableau
n° 7).
L’hypothèse de travail du MENJ, sur la base d’une généralisation sur
le temps scolaire, se situe entre 10 000 et 13 000 ETPT (équivalent temps
plein travaillé), ce qui correspond à un vivier d’environ 15
000 agents.
L’évolution prévisible du public accueilli lors des séjours de cohésion
pose de surcroît la question de l’adaptation du niveau d’enc
adrement (nombre
d’encadrants, compétences). Une généralisation impliquera en effet une part
accrue de jeunes réticents à participer au dispositif, susceptibles de fragiliser
la cohésion de
groupe et de soulever des difficultés d’ordre disciplinaire. En
2023, le MENJ recensait 33 exclusions de jeunes volontaires pour motif
d’agressions
, commises par ceux-ci.
L’arrivée de jeunes participants issus des «
classes engagées » en 2024
constitue à cet égard une prise de risque. La question du taux d’encadrement,
de la sélection et de la formation des encadrants est donc centrale, notamment
pour une gestion adéquate des situations de souffrance dont les jeunes font
part lors des séjours de cohésion (actuellement auprès de tuteurs qui peuvent
être âgés de quelques années de plus seulement et ayant bénéficié de cinq
jours de formation sur le SNU), mais aussi pour assurer un encadrement
irréprochable et garantissant l’entière sécurité des jeunes participants.
Sur les sessions organisées durant le premier semestre 2023, le
ministère rapporte 17 situations d’agression,
de harcèlement ou de propos
délictueux de la part d’encadrants
65
, un chiffre qui paraît élevé au regard
65
Ces situations ont fait l’objet de sept
enquêtes administratives, quatre signalements
au procureur au titre de l’article 40 du code de procédure pénale et
de six mises à pied.
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58
des statistiques d’«
évènements graves » en accueil collectif de mineurs
(ACM) recueillis par ailleurs
66
. Généraliser le dispositif sans stratégie
d’emploi et de recrutement représenterait une prise de risque majeure.
S’agissant du pilotage du dispositif, les ressources limitées de
l’administration centrale et des services déconcentrés devront être
sensiblement rehaussées pour faire face à la charge de travail induite par
une généralisation. La DG SNU estime le besoin à 763 ETP
67
.
Enfin, la création d’un système d’information efficace
et sécurisé
pour prendre en charge les différents processus d’inscription, d’
affectation,
de plan de transport et de gestion opérationnelle des centres apparaît
comme une étape indispensable, qui nécessite également d’être préparée et
financée, et en s’assurant que l’administration soit en capacité de le piloter
et d’en maîtriser l
es coûts. Compte tenu de la sensibilité des données à
traiter, une analyse d’impact des données personnelles constitue une étape
préalable indispensable.
À ce stade, et plus de quatre ans après le démarrage du dispositif,
force est de constater que l’«
expérimentation » du SNU, menée par les
équipes dans l’urgence et sans outils adéquats, n’a pas permis de préparer
le
changement d’échelle que constituerait une généralisation à l’ensemble
d’une classe d’âge.
C -
Un coût important, qui reste à quantifier
puis à planifier, dans un contexte budgétaire
de plus en plus contraint
1 -
Une première estimation du coût de fonctionnement
entre 3,5 et 5
milliards d’euros
La création de centres pérennes, avec des personnels à l’année,
pourrait potentiellement permettre diverses économies à moyen terme en
diminuant les frais de formation et de rémunération des encadrants du fait
de la stabilisation des équipes, les coûts d’habillement grâce à la possibilité
de stocker les tenues et d’en optimiser la répartition e
t la réutilisation, les
coûts d’investissement et de stockage de matériels (sportifs, informatiques,
etc.) dont les dépenses ne sont à ce stade pas rationalisées, les coûts de
transports (stabilisation des acheminements, possibilité d’affréter des
66
Sur les pé
riodes estivales, 260 évènements graves, au sens de l’article R.227
-11 du code
de l’action sociale et des familles, sont recensés en 2022 et 265 en 2023 par le MENJ.
67
Dont 77 ETP en administration centrale, 193 ETP à l’échelon régional et académique
et 49
3 ETP à l’échelon départemental.
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UN DISPOSITIF NON STABILISÉ ET DONT LES PERSPECTIVES
DOIVENT ÊTRE CLARIFIÉES
59
trains,
etc.). Le MENJ n’a cependant pas communiqué le chiffrage des
économies ainsi attendues, bien que l’ouverture de 26 centres qui
pourraient fonctionner sur une dizaine de séjours dès leur première année
de fonctionnement, ait été prévue en 2024. Il a toutefois annoncé la
conduite, en 2024, de « chantiers stratégiques », qui ont pour objectif de
mettre en place les conditions de la réussite de la généralisation, mais sur
lesquels la Cour n’a pas reçu d’information.
En tout état de cause, une première estimation conduite par le
ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse
en lien avec le ministère
des armées, dans la phase préparatoire du dispositif, aboutissait à un coût
estimé entre 1,8 et 2
milliards d’euros par an en année pleine.
Des travaux
complémentaires des ministères, menés en 2022 et 2023,
sur la base d’un
coût moyen par jeune évalué à 2
367 €
par le MENJ, aboutissaient à un coût
à généralisation de 2
milliards d’euros pour les
seuls séjours de cohésion.
Cette estimation correspond à un coût de fonctionnement annuel
dans la configuration actuelle du dispositif (en particulier durée du séjour
de cohésion, taux d’encadrement, etc.). Elle
ne concerne que les dépenses
relatives aux séjours de cohésion (phase 1 du dispositif) pour le
programme 163 (jeunesse et vie associative) et ne tient pas compte
d’éventuels surcoûts liés au changement d’échelle.
L’analyse
menée par la Cour a mis en évidence des coûts induits par
le séjour de cohésion en dehors du programme 163. Sans prétendre à
l’
exhaustivité, ont été identifiés dans cette première approche les coûts
d’administration
par le MENJ et des coûts induits par la journée défense et
mémoire (JDM) et la journée sécurité intérieure (JSI), (cf. Chapitre I),
portant le coût par jeune à un minimum de 2
900 €
pour l’année 2022
.
Malgré toutes les incertitudes liées à cette estimation, et les modifications
profondes du dispositif qui seront nécessaires pour le généraliser à
l’ensemble d’une classe d’âge,
tant du point de vue du pilotage
administratif que de l’organisation logistique,
il est de ce fait davantage
probable que le coût de la généralisation de la phase 1 - hors coûts
d’investissement ou
portés par les autres acteurs publics (cf. infra) - soit
proche de
2,5 milliards d’euros.
En tenant compte des coûts à venir des
phases 2 et 3
68
du dispositif, un coût de fonctionnement annuel compris au
minimum entre 3,5
et 5 milliards d’euros est probable.
68
Ainsi, en ce qui concerne le service civique, les 519
M€ du programme 163 en loi de
finances initiale étaient prévus pour un objectif de 150 000 volontaires. Une estimation
grossière du coût du service civique pour la moi
tié d’une classe d’âge (425
000 jeunes)
pourrait donc correspondre à 1,47 milliards d’euros, et pour l’ensemble d’une classe
d’âge à 2,9 milliards d’euros.
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60
2 -
Des coûts supplémentaires qui restent à établir
Pour aboutir à un chiffrage global du coût pour les pouvoirs publics
du SNU généralisé à l’ensemble d’une classe d’âge, au
-delà du travail
nécessaire de quantification des coûts de fonctionnement des trois phases
du SNU, devront être considérés les futurs coûts
d’investissement
dans les
centres, qui pourraient être très différents suivant les options (construction,
location ou modèle hybride avec des centres loués et des centres
construits). Ainsi, une hypothèse « haute », qui ne pourrait être envisagée
pour une généralisation à courte échéance du fait de la durée des travaux
de construction, de 241 centres pour accueillir 252 jeunes
69
sur 14 sessions
dans l’année correspond
rait à un investissement de plus de 6 milliards
d’euros
70
en coût de construction (hors coûts d’acquisition).
Enfin, les coûts complets devront tenir compte des coûts pour les
autres acteurs publics, tels que les collectivités territoriales.
3 -
Une programmation des moyens non préparée
Les crédits inscrits dans la loi du 18 décembre 2023 de programmation
des finances publiques pour les années 2023-2027 ne sont pas en adéquation
avec une possible généralisation à toute une classe d’âge d’ici 2027
(en effet,
l’enveloppe prévue en 2027 correspond à une cible de 150
000 jeunes, cf.
graphique 1). Celle-
ci ne pourrait donc avoir lieu qu’en définissant des
modalités de financement qui dépasseront largement le seul budget du MENJ.
Ainsi, s’agissant des coûts concernant les services de l’État, une «
taxation »
interministérielle,
c’est à dire
une contribution financière par les différents
ministères, a été envisagée par le Gouvernement dès 2025.
L’ampleur des montants concernés et des conséquences en matière
de dépense publique, s’agissant de surcroît d’un dispositif structur
ant pour
l’avenir de la jeunesse, rend d’autant plus nécessaire un débat
parlementaire pour décider de l’avenir du dispositif en s’appuyant sur un
suivi budgétaire précis des coûts induits par le SNU dans sa configuration
actuelle,
pour l’ensemble des fina
nceurs concernés, et une quantification
des coûts de généralisation.
69
Les ministères ont travaillé sur deux hypothèses de centres à 126 jeunes (ce qui
correspond à la moyenne de nombre de jeunes pour un centre de vacances de capacité
moyenne, ainsi qu’à la moyenne constatée pour les séjours de cohésion de l’année 2023)
et à 252 jeunes.
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UN DISPOSITIF NON STABILISÉ ET DONT LES PERSPECTIVES
DOIVENT ÊTRE CLARIFIÉES
61
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
Alors que l’effort budgétaire consenti pour le SNU est important au
regard de l’enveloppe du programme 16
3 « jeunesse et vie associative »,
il ne pourra que croître à mesure de la montée en charge, ainsi que le
prévoit la loi de programmation des finances publiques 2023-2027.
Malgré l’annonce de la généralisation, des incertitudes demeurent
sur l’horizon du dispositif, à savoir le maintien du v
olontariat avec la
poursuite d’une montée en charge ou une généralisation à toute une classe
d’âge, soit 850
000 jeunes environ, avec obligation.
Cette perspective soulève des questions d’ordre juridique et
opérationnel
importantes,
notamment
pour
l’héberg
ement
et
l’encadrement. Le déploiement du SNU depuis 2019, menée par les agents
dans l’urgence et sans outils adéquats, n’a pas permis de préparer ce
changement d’échelle.
L
a création de centres d’accueil pérennes (fonctionnant toute
l’année), avec des enc
adrants affectés spécifiquement au SNU, pourrait
permettre des économies qu
i n’ont pas été
suffisamment quantifiées. Les
travaux d’estimation du coût à généralisation
par les ministères, dans la
configuration actuelle du séjour de cohésion, aboutissent à deux milliards
d’euros
. Ce montant ne constitue pas une estimation du coût de
généralisation du SNU dans la mesure où il se concentre sur le séjour de
cohésion et ne tient donc pas compte des phases 2 et 3 du SNU, ni des coûts
d’investissement
. De la même manière, les coûts induits pour les autres
acteurs publics, tels que les collectivités territoriales, ne sont pas connus.
La Cour estime quant à elle, en première analyse, les coûts de
fonctionnement du SNU entre 3,5 et 5 milliards d’euros.
La Cour formule les recommandations suivantes :
4.
donner une assise juridique au dispositif, permettant de tirer toutes les
conséquences de la généralisation du SNU (notamment statut des
séjours de cohésion, statut des jeunes participants et des futurs “non
volontaires”, pa
rticipation des jeunes de nationalité étrangère,
structures d’accueil des séjours de cohésion)
(ministère de l’éducation
nationale et de la jeunesse ; ministère des armées ; ministère délégué
chargé des comptes publics) ;
5.
programmer et planifier
l’évolution des moyens (budget de
fonctionnement et d’investissement
; effectifs) de l’ensemble des
financeurs publics concernés dans une trajectoire pluriannuelle
cohérente avec la montée en charge des trois phases du
dispositif
(ministère de l’éducation n
ationale et de la jeunesse ;
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62
ministère des armées ; ministère de l’intérieur et des outre
-mer ;
ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoire ;
ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle
et numérique ; ministère délégué chargé des comptes publics) ;
6.
structurer une filière métier afin de permettre de répondre, tant en
nombre qu’en qualité, aux besoins en personnels de direction et
d’encadrement des centres accueillant les séjours de cohésion
(ministère d
e l’éducation nationale et de la jeunesse ; ministère des
armées ; ministère de l’intérieur et des outre
-mer ; ministère de la
transition écologique et de la cohésion des territoire ; ministère de
l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle
et
numérique ; ministère délégué chargé des comptes publics).
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Liste des abréviations
ACM
............
Accueil collectif de mineurs
ASP
..............
Agence de services et de paiement
CEE
..............
Contrat d’engagement éducatif
DASEN
........
Directeur académique des services de l’éducation nationale
DG SNU
.......
Délégation générale au SNU
DJEPVA
.......
Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire
et de la vie associative
DRAJES
.......
Délégation régionale académique à la jeunesse,
à l’engagement et aux sports
EMC
.............
Enseignement moral et civique
IA-DASEN ...
Inspecteur d’académie
- directeur académique
des services de l'éducation nationale
INJEP
...........
Institut national de la
jeunesse et de l’éducation populaire
JDC
..............
Journée Défense et Citoyenneté
JDM
..............
Journée Défense et Mémoire
JSI
................
Journée sécurité intérieure
LFI
................
Loi de finances initiale
LPFP
............
Loi de programmation des finances publiques
MENJ
...........
Ministère de l’éducation nationale et
de la jeunesse
MIG
..............
Mission d’intérêt général
PLF
...............
Projet de loi de finances
PSC1
............
Formation prévention et secours civiques de niveau 1
QPV
..............
Quartier prioritaire de la politique de la ville
SDIS
.............
Service départemental d’incendie et de secours
SDJES
..........
Service dép
artemental à la jeunesse, à l’engagement et aux sports
SG MENJ
.....
Secrétariat général du ministère de l’éducation nationale
et de la jeunesse, du ministère de l'enseignement supérieur
et de la recherche et du ministère des sports et des jeux olympiques
et paralympiques
SNU
..............
Service national universel
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Annexes
Annexe n° 1 : recommandations précédentes de la Cour sur le SNU
............
66
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66
Annexe n° 1 :
recommandations précédentes
de la Cour sur le SNU
La formation à la citoyenneté,
communication au comité
d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée
nationale, octobre 2021
Si les expérimentations débouchent sur la généralisation du projet,
donner une assise juridique et budgétaire au SNU (MENJS).
L’action en faveur de la jeunesse conduite par la DJEPVA
,
référé, janvier 2020
Recommandation n° 4 : en ce qui concerne le pilotage de la politique
de la jeunesse : donner explicitement au délégué interministériel à la
jeunesse la responsabilité de la coordination interministérielle du SNU et à
la DJEPVA les moyens d’en piloter le déploiement.
Note d’analyse de l’exécution budgétaire
, Mission « sport,
jeunesse et vie associative » 2019
Recommandation N° 2 (nouvelle) : (DJEPVA) Définir dès que
possible une trajectoire budgétaire de la montée en charge du SNU et
identifier tous les leviers possibles pour limiter le coût du séjour pour
chaque jeune.
Note d’analyse de l’exécution budgétaire,
Mission « sport,
jeunesse et vie associative » 2020
Recommandation n° 2 (reformulée) : Définir une trajectoire
budgétaire de la montée en charge du SNU appuyée sur une identification
claire des coûts (DJEPVA).
Note d’analyse de l’exécution budgétaire
, Mission « sport,
jeunesse et vie associative » 2021
Définir une trajectoire budgétaire de la montée en charge du Service
national universel appuyée sur une identification claire des coûts
(DJEPVA) (réitérée).
Note d’analyse de l’exécution bu
dgétaire, Mission « sport,
jeunesse et vie associative » 2022
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ANNEXE
67
(Recommandation reformulée) : Dans la perspective de la
généralisation du Service national universel, définir une trajectoire
budgétaire soutenable appuyée sur une optimisation des coûts (DJEPVA).
Note d’analyse de l’exécution budgétaire
, Mission « sport,
jeunesse et vie associative » 2023
Recommandation n° 1 (reformulée) : Programmer et planifier
l’évolut
ion des moyens dans une trajectoire pluriannuelle cohérente avec
l’objectif de généralisation du Service national universel et appuyée sur
une optimisation des coûts (DJEPVA, DB).
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