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Le 19 octobre 2023
Le Premier président
à
Madame Élisabeth Borne
Première ministre
Réf. : S2023-1143
Objet
:
Le temps de travail des personnels non enseignants des universités : Suivi des suites
du référé du 19 septembre 2019
La Cour
a eu l’occasion de
souligner
régulièrement, à l’occasion de ses contrôles des
comptes et de la gestion des universités, la non-application de la durée légale du temps de
travail pour les personnels non enseignants des universités, dits agents BIATSS
(bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé), dont le nombre
s’él
evait à 77 000 équivalents temps plein annuel travaillés (ETPT) en 2022.
Dans sa communication à la commission des finances du Sénat de juin 2015 sur
l’autonomie financière des universités,
elle avait déjà enjoint au ministère de corriger cette
situation. Cette recommandation était restée sans suite.
Dans son référé sur le temps de travail des personnels non-enseignants de
l’enseignement supérieur du 19 septembre 2019
1
,
adressé au ministre de l’enseignement
supérieur et de la recherche,
la Cour constatait que la situation n’avait pas évolué
. Aucune
université contrôlée depuis 2015 par la Cour ne respectait la durée annuelle légale du temps
de travail, fixée à 1 607 heures. Ce non-respect des dispositions légales et réglementaires par
les établissements d’enseignement supérieur s’expliqu
e essentiellement par
l’
application, de
bonne
foi,
d’une
circulaire
ministérielle
irrégulière,
la
circulaire
2002
-007
du 21 janvier 2002
2
.
La Cour rappelait donc au ministère de l’enseignement supérieur et de la
recherche la nécessité d’abroger cette circulaire.
Cette recommandation
n’a
toujours
pas été suivie d’effet, alors même que la loi de
transformation de la fonction publique de 2019
3
réaffirme que la durée légale de 1 607 heures
s’applique à
l’ensemble des agents publics.
1
Le temps de travail des personnels non-
enseignants de l’enseignement supérieur | Cour des comptes
(ccomptes.fr)
2
Bulletin officiel de l'éducation nationale spécial n°4 du 7 février 2002 (education.gouv.fr)
3
LOI n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique (1) - Légifrance (legifrance.gouv.fr)
Cour des comptes
Référé n°S2023-1143
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En application des articles L. 111-2 et L. 111-3 du code des juridictions financières, la
Cour a donc décidé de procéder au suivi des suites de ce référé afin de mieux analyser les
facteurs de blocage qui expliquent les difficultés, tant du ministère que des universités, à
opérer un retour à la norme et
afin d’être en mesure de proposer des pistes d’évolution
adaptées pour sortir de cette impasse.
À l’issue de
ce contrôle, elle
m’a demandé, en application des dispositions de l’article
R. 143-11 du même code, d'appeler ainsi votre attention sur les observations et
recommandations suivantes.
Les conclusions de ce contrôle ont fourni également matière à des observations
définitives qui seront mises en ligne et consultables sur le site de la Cour après publication du
présent référé.
1. UNE DURÉE LÉGALE DU TEMPS DE TRAVAIL
QUI N’EST
TOUJOURS PAS
RESPECTÉE
1.1. Un dispositif administratif fautif
La durée annuelle du temps de travail des personnels non-enseignants des universités
s’établit à 1
467 heures en moyenne par an et par agent, alors que la loi fixe cette durée à
1 607 heures. La différence moyenne par agent est donc de 140 heures.
Comme la Cour l’avait souligné dans son référé d
e 2019, le non-respect des
dispositions légales et réglementaires relatives au temps de travail par les établissements
d’enseignement supérieur s’expli
que en partie par le cadre juridique qui leur est appliqué par
le ministère.
Ce cadre, imprécis sur la nature des congés des personnels BIATSS et fixé notamment
par une simple circulaire de 2002 déjà citée, conduit à réduire de manière irrégulière la durée
du temps de travail pour les personnels non enseignants des universités. Cette circulaire
ministérielle
explique pour l’essentiel (à hauteur de 61
%) l’écart moyen de 140 heures avec
la durée légale.
Cet
écart n’est
toutefois pas imputable uniquement à cette circulaire. Il résulte
également des dispositifs retenus par les universités, le plus souvent au moment du passage
aux 35 heures au 1
er
janvier
2002, pour mettre en œuvre le cadrage ministériel, qui excèdent
bien souvent les dispositions de celui-ci et aggravent le déficit en temps de travail effectif.
1.2.
Les conséquences néfastes de l’écart avec la norme juridique
Le non-
respect du cadre légal n’est pas sans conséquences
lourdes. Il induit un
préjudice financier pour le ministère comme pour ses opérateurs. Il a en effet privé les
universités
4
de 9,7 millions d’heures travaillées en 2022, soit l’équivalent de
près de 6 000
équivalents temps plein annuel travaillé (ETPT). Valorisé en euros, ce « déficit » en heures
travaillées s’élève à 313,6 M€
5
. Une partie de la masse salariale des universités, à hauteur du
montant précité, correspond ainsi a
u paiement d’heures
qui ne sont pas réalisées en raison
d’un temps de travail trop faible de leurs personnels non
-enseignants.
U
n retour instantané à la durée annuelle légale ne se traduirait cependant pas à court
terme, pour de nombreuses raisons techniques, par une économie équivalente en termes
d’emplois et de masse salarial
e. Mais ces éléments soulignent les ordres de grandeur du
potentiel dont se privent les établissements, notamment pour mieux répondre aux divers
besoins des étudiants.
4
Base de calcul : chiffres transmis par 67 universités.
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Base de calcul : chiffres transmis par 65 universités.
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Il n’y a pas pour autant
de fatalité à ce que ces anomalies perdurent. Des universités
ont
d’ores et déjà
saisi l’opportunité
qui leur était ouverte de fusionner pour se rapprocher de
la norme de 1
607 heures tandis que d’autres ont choisi de faire de cet objectif un levier de
leur politique indemnitaire. Ces initiatives, différentes les unes des autres, ne couvrent pas
l’ensemble du champ universitaire. Il en résulte
que la non-application de la législation sur la
durée du temps de travail pour les personnels non enseignants est un facteur
d’inégalité entre
personnels
d’une part
et entre universités
d’autre p
art, une situation qui non seulement est
susceptible d’entraver le bon fonctionnement des services
mais induit également une
complexité de gestion aussi excessive
qu’inutile
.
2. UNE RÉGULARISION IMPÉRIEUSE MAIS PROGRESSIVE
Dans le sillage de ses précédentes recommandations, la Cour estime que, sauf à
changer la loi, l’objectif à terme ne peut être que celui d’un respect de la norme des 1
607
heures de durée annuelle du temps de travail. Ce retour à la loi
ne saurait s’appliquer
aveuglément. Il doit tenir com
pte du déficit d’attractivité des corps de BIATSS. Cet enjeu
, qui
concerne l’ensemble de la fonction publiq
ue, se pose avec une acuité toute particulière dans
les universités, compte tenu de la relative faiblesse de la rémunération des personnels non
enseignants par rapport au reste de la fonction publique. Ainsi, par exemple, le montant moyen
de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE) s’élevait en 2022, pour un agent
de catégorie B de la filière recherche et formation
6
, à 5 651
€ par a
n en moyenne au sein de
l’enseignement supérieur, à
6 965
€ au sein de l’éducation nationale et à
9 211
€ dans les
autres ministères
7
.
Pour satisfaire à cet objectif de retour à la norme, la Cour préconise donc désormais
une approche progressive et pluriannuelle qui repose sur trois chantiers complémentaires.
2.1.
Intégrer l’objectif d’augmentation du temps de travail dans la politique
contractuelle du ministère
À court terme, le ministère pourrait soutenir dans le cadre des contrats d’objectifs, de
moyens et de performance (COMP) en cours de déploiement, des démarches locales
d’augmentation du temps de travail. Ce
lles-ci pourraient consister, dans certaines universités,
à régulariser les modalités de comptabilisation du temps de pause quotidien de vingt minutes,
qui est actuellement considéré à tort en raison de la circulaire de 2002 comme du travail
effectif, pour
qu’il réponde
aux critères de temps travaillé effectif
8
.
Elles devraient s’inscrire
dans un processus pluriannuel d’accompagnement financier par l’État dans les cas des
universités dont les ressources propres mobilisables sont insuffisantes.
2.2. Régulariser le cadre juridique ministériel
Une remise à plat du cadre juridique ministériel est indispensable dans un délai
raisonnable, soit avant la fin 2024. Le ministère devrait produire un nouvel arrêté et une
nouvelle circulaire sur le temps de travail. Bien que cette remise à plat concerne
a priori
aussi
les personnels BIATSS
de l’enseignement scolaire,
il conviendrait de tenir compte, pour ceux
des universités,
des besoins spécifiques de l’enseignement supérieur et de la recherche en
matière de temps de travail.
2.3.
Inscrire le sujet du temps de travail des personnels BIATSS à l’agenda social
du ministère
Il ne sera raisonnablement possible de parvenir à un retour au cadre légal pour les
personnels non enseignants
qu’en engageant un chantier plus large sur l’attractiv
ité de ces
métiers.
6
Ces agents représentent 22 % des
agents BIATSS du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.
7
Source : données DGAFP.
8
Les agents devraient, pendant ce temps de pause, rester à proximité de leur poste de travail et être mobilisables
à tout moment pour qu’il soit comptabi
lisé comme du temps de travail effectif.
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Le retour aux 1 607 heures annuelles
devrait donc s’accompagner de mesures de
compensation indemnitaire, qui pourraient être examinées notamment dans le cadre du
chantier
d’actualisation
de la loi de programmation de la recherche prévu en 2023.
L’augmentation du temps de travail des agents BIATSS à la suite de son alignement sur la
durée légale viendrait en partie atténuer le coût pour les finances publiques de cette
revalorisation indemnitaire.
Si l’on compare le coût annuel de la revalorisation indemnitaire avec le «
gain »
théorique attendu d’une régularisation du temps de travail des agents BIATSS à 1
607 heures,
le bilan s’avèrerait positif à hauteur de 103
M€.
Le retour aux 1 607 heures devrait enfin
s’inscrire dans une réflexion plus large sur
d’autres éléments d’attractivité de ces filières et corps spécifiques
(parcours de carrière,
conditions d’accueil des personnel
s, organisation du travail, etc.). Les travaux qui ont été
récemment ouverts par le ministère de la transformation et de la fonction publiques sur la
réforme de l’attractivité de la fonction publique pourraient constituer une fenêtre d’opportunité
pour remettre à plat l’ensemble de ces éléments, y compris la question du temp
s de travail
des personnels BIATSS.
La Cour formule donc les recommandations suivantes :
Recommandation n° 1 :
i
nclure l’augmentation du temps de travail pour les personnels non
enseignants de l’enseignement supérieur dans les contrats d’objectifs, de
moyens et de
performance souscrits entre les universités et le ministère (M
inistère de l’enseignement
supérieur et de la recherche) ;
Recommandation n° 2 :
prendre avant fin 2024 un nouvel arrêté qui tienne compte des
particularités de l’enseignement supérieur, notamment la possibilité de fixer un nombre de
jours congés annuels allant jusqu’à 45 jours dans le respect des 1
607 heures, ainsi qu’une
nouvelle cir
culaire d’application conforme aux dispositions réglementaires
(Ministère de
l’enseignement supérieur et de la recherche
, Ministère de la transformation et de la fonction
publiques) ;
Recommandation n° 3 :
i
nscrire à l’agenda social
du ministère, une trajectoire visant au
respect de la durée légale du temps de travail pour les personnels non-enseignants de
l’enseignement supérieur
(M
inistère de l’enseignement supérieur et de la recherche
, Ministère
de la transformation et de la fonction publiques).
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu
à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez
donnée à la présente communication
9
.
Je vous
rappelle qu’en application des dispositions du même code
:
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances
et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de
l’Assemblée nationale et du Sénat.
Il sera accompagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site
internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
9
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante
:
greffepresidence@ccomptes.fr
(
cf
. arrêté du 8 septembre 2015 modifié portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).
Cour des comptes
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l’article L.
143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez
à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur
présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour
selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et
votre administration.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici