ENTITÉS ET POLITIQUES PUBLIQUES
LA POLITIQUE
DE LUTTE CONTRE
L’IMMIGRATION
IRRÉGULIÈRE
Rapport public thématique
Synthèse
Janvier 2024
2
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
g
AVERTISSEMENT
Cette synthèse est destinée à faciliter la lecture et l’utilisation
du rapport de la Cour des comptes.
Seul le rapport engage la Cour des comptes.
Les réponses des administrations, des organismes et des collectivités
concernés figurent en annexe
.
3
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Sommaire
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5
1
L’immigration irrégulière, un phénomène singulier
7
2
La gestion des frontières : une pression croissante,
une efficacité incertaine
9
3
La gestion des étrangers en situation irrégulière :
des administrations et des juridictions sous pression
13
4
L’éloignement : un enchaînement d’obstacles structurels . .17
5
Des moyens significatifs, une stratégie d’ensemble
à construire
21
Recommandations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
4
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
5
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Le présent rapport analyse les moyens et les résultats de la politique de lutte
contre l’immigration irrégulière en France, au regard des objectifs que se fixe l’État .
À ce titre, il s’intéresse à la politique de surveillance des frontières, de gestion
administrative des étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire
national et d’organisation du retour dans leur pays d’origine .
Le présent rapport n’aborde pas les thématiques liées à l’immigration régulière et au
droit d’asile, qui ont fait l’objet d’un rapport public thématique publié en mai 2020
et intitulé
« L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères ».
Introduction
6
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
7
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
L’immigration irrégulière est, par
définition, un phénomène difficile à
appréhender . Il s’agit à la fois d’une
réalité humaine et d’une construction
politique et administrative, dont la
définition est liée au droit en vigueur
relatif à l’entrée et au séjour des
étrangers en France ainsi qu’au droit
d’asile . Les étrangers en situation
irrégulière, c’est-à-dire les personnes
qui se maintiennent illégalement sur le
territoire national, peuvent avoir franchi
la frontière française sans droit ni titre,
ou être entrés légalement en France
(par exemple, comme étudiant, touriste
ou demandeur d’asile) et s’y maintenir
au-delà de la durée de séjour autorisée .
Il s’agit d’une catégorie mouvante, car
une même personne peut basculer
d’une catégorie à l’autre, en fonction
des démarches administratives qu’elle
entreprend .
Le nombre d’étrangers en situation
irrégulière présents en France est
incertain . Il est généralement estimé
par le biais du nombre de bénéficiaires
de l’aide médicale d’État, qui s’élevait
à 439 000 à la fin juin 2023
1
, mais ce
chiffre ne permet pas, en lui-même,
d’évaluer précisément le nombre de
personnes en situation irrégulière .
1
Ce chiffre est estimé à 466 000 à la fin 2023 . Cf . Claude Evin, Patrick Stefanini,
Rapport sur
l’aide médicale d’État
, décembre 2023, à l’attention du ministre de l’intérieur et de l’outre-mer,
du ministre de la santé et de la prévention et de la ministre déléguée chargée de l’organisation
territoriale et des professions de santé .
En effet, l’aide médicale d’État peut
bénéficier à des personnes qui ne
restent pas sur le territoire national,
tandis que certains publics éligibles
n’y ont pas recours . L’immigration
irrégulière est une composante
minoritaire de l’immigration en France,
car la vaste majorité des sept millions
de personnes immigrées recensées par
l’Insee est en situation légale .
La politique de lutte contre
l’immigration irrégulière poursuit
deux objectifs : d’une part, empêcher
les personnes non autorisées d’accéder
au territoire national (contrôle aux
frontières) et, d’autre part, faire partir
ceux qui n’ont pas ou plus le droit d’y
demeurer (départ spontané, retour
volontaire aidé, éloignement forcé) .
Elle s’exerce dans un cadre juridique en
partie harmonisé au niveau européen,
qui cherche à ménager un équilibre
entre l’expression de la souveraineté
nationale dans le choix de la politique
d’immigration et la protection des
droits fondamentaux des personnes,
sous le contrôle du juge français et
européen . Ainsi, la directive européenne
« retour » du 16 décembre 2008 définit
des normes et procédures communes
aux États membres pour le retour
1
L’immigration irrégulière,
un phénomène singulier
8
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
L’immigration irrégulière, un phénomène singulier
des étrangers en situation irrégulière,
tandis que les accords de Schengen de
1995 consacrent la libre-circulation des
personnes dans 27 pays européens et
encadrent les modalités de surveillance
des frontières intérieures . En France, la
politique de lutte contre l’immigration
irrégulière repose à la fois sur un
cadre légal fixé par le code de l’entrée
et du séjour des étrangers et du droit
d’asile (CESEDA) et sur la pratique
administrative, car la plupart des
procédures applicables relèvent de la
police administrative .
9
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Le premier maillon de la lutte contre
l’immigration irrégulière consiste
à empêcher l’entrée en France des
étrangers qui n’ont pas le droit d’y
pénétrer . Cette mission incombe à deux
autorités considérées comme « gardes-
frontières » par l’Union européenne : la
police aux frontières, direction active
de la police nationale, et les douanes,
administration qui relève du ministère
chargé de l’économie et des finances .
Elles assurent deux types de mission
de surveillance des frontières .
D’une part, elles se partagent la tenue
de 126 points de passage frontaliers,
principalement des aéroports et des
ports internationaux, répartis sur
l’ensemble du territoire national . Ils
sont des points d’entrée dans l’espace
Schengen depuis des pays tiers .
D’autre part, depuis le rétablissement
du contrôle aux frontières intérieures
à la fin de l’année 2015, les gardes-
frontières, appuyés d’autres forces
de sécurité intérieure, réalisent des
contrôles aux frontières terrestres de
l’Hexagone . Ce dispositif dérogatoire
des accords de Schengen, censé être
exceptionnel, a été reconduit depuis
huit ans . La France le justifie par la
persistance de plusieurs menaces
liées au contexte géopolitique, aux flux
migratoires ou au terrorisme . Bien que
sa prolongation doive être autorisée
tous les six mois par l’Union européenne,
la France n’envisage pas d’y renoncer
à ce stade . Ce rétablissement permet
d’accroître les prérogatives de contrôle
et de surveillance des frontières . En
matière de lutte contre l’immigration
irrégulière, les gardes-frontières
peuvent prononcer des refus d’entrée à
toute personne étrangère franchissant
illégalement la frontière, la renvoyant
de l’autre côté de la frontière : la France
a prononcé près de 240 000 refus
d’entrée à ses frontières intérieures
entre 2018 et 2022 . Malgré cela, le
nombre global d’entrées irrégulières
sur le territoire national s’accroît
depuis 2015 .
2
La gestion des frontières :
une pression croissante,
une efficacité incertaine
10
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
La gestion des frontières : une pression croissante,
une efficacité incertaine
Non-admissions et étrangers en situation irrégulière (ESI) ayant fait l’objet
d’une procédure des forces de sécurité intérieure, par zone (France hexagonale)
Nord
13 942
+ 450 %
Ouest
75
- 31 %
Île-de-France
5 785
- 32 %
Sud-ouest
9 901
+ 87 %
Sud
45 832
+ 72 %
Sud-est
11 511
+ 7 %
Est
2 114
+ 4 %
Non-admissions (2022)
Variation 2022/2019
Zone
ESI procédurés (2022)
3 000
7 000
15 000
>
<
15 000
10 000
4 000
>
<
Non-admissions (2022)
Légende
Source : Cour des comptes, d’après les données de la DNPAF (PAFISA)
Ce contrôle frontalier est très
consommateur en moyens humains et
matériels pour les gardes-frontières,
et repose en grande partie sur le
renfort d’unités de forces mobiles, à
la présence aléatoire selon les autres
besoins nationaux . Les contrôles
opérés sont très limités . La police
aux frontières ne relève que l’identité
déclarée des personnes interpellées,
sans l’intégrer dans un système
d’information national . Les empreintes
des étrangers interpellés ne sont pas
prises, en l’absence de cadre légal .
Leurs documents d’identité ne sont
pas scannés, alors qu’ils seraient utiles
ultérieurement en vue d’un éloignement
(si la personne réussit finalement à
passer la frontière) . Les personnes
interpellées ne font pas, sauf exception,
l’objet de vérifications avec les fichiers
de police . La Cour recommande de
recueillir et conserver les données
d’identité des étrangers interceptés
alors qu’ils franchissent irrégulièrement
les frontières intérieures .
11
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
La gestion des frontières : une pression croissante,
une efficacité incertaine
Dans ce contexte, les coopérations
avec les pays limitrophes sont encore
limitées . L’agence Frontex apporte un
soutien réduit, car elle est compétente
uniquement sur la surveillance des
frontières extérieures de l’espace
Schengen . Par ailleurs la France
peine à développer des dispositifs de
coopération opérationnelle avec ses
voisins, y compris avec les Britanniques .
Malgré des moyens significatifs engagés
pour la surveillance des frontières
aériennes, maritimes et terrestres,
l’organisation des gardes-frontières
n’est pas suffisamment optimisée : les
prérogatives respectives de la police aux
frontières et des douanes diffèrent, sans
que ces disparités ne soient toujours
justifiées ; les synergies opérationnelles
sont encore insuffisantes tandis que la
répartition des tâches, en particulier sur
un plan géographique, est historique
et ne s’est pas adaptée aux évolutions
des enjeux de sécurité et des flux
migratoires . Les apports de la « force
frontière » annoncée à l’été 2023
demeurent flous . Pour améliorer cette
articulation entre douanes et police
aux frontières, la Cour recommande
d’aligner les pouvoirs d’inspection de
la police aux frontières avec ceux des
douanes, lorsque les gardes-frontières
se trouvent sur la bande frontalière,
et de revoir la répartition des points
de passage frontalier attribués à
chaque force .
12
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
13
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
La politique de lutte contre
l’immigration irrégulière fait l’objet
d’une attention politique et médiatique
particulière . Le cadre législatif a fait
l’objet de 133 modifications en moins
de dix ans, tandis que le ministère
de l’intérieur a tendance, au gré de
l’actualité, à réaffirmer ses priorités par
circulaires, sans constituer pour autant
de stratégie globale .
Par contraste avec cette réitération
rapide de consignes ministérielles,
les administrations et juridictions
chargées de la gestion administrative
des personnes en situation irrégulière
peinent à assurer leurs missions . En
effet, la mise en œuvre des réformes
législatives et réglementaires est
conditionnée à la « capacité à faire »
des administrations concernées, en
fonction de leurs moyens et de leur
organisation . L’enjeu de la lutte contre
l’immigration irrégulière est autant
organisationnel que juridique .
À l’exception des peines d’interdiction
de territoire français, prononcées
par un juge dans le cadre d’un délit
ou d’un crime (7 251 entre 2019 et
2022), le traitement des personnes
étrangères en situation irrégulière est
une procédure administrative dont le
préfet de département est le donneur
d’ordre à tous les maillons de la chaîne .
Il prononce les mesures d’éloignement,
décide du placement en rétention ou
en assignation à résidence, assure la
défense de l’État lors des procédures
contentieuses, et entreprend les
démarches d’éloignement auprès des
consulats étrangers . Entre 2019 et
2022, les préfets ont prononcé 447 257
obligations de quitter le territoire
français (y compris outre-mer) . La moitié
d’entre elles émanait de dix préfectures,
tandis que 50 départements
représentent moins de 10 % des
mesures prononcées, témoignant d’une
pression migratoire différenciée sur le
territoire . Sur les cinq dernières années,
le nombre d’obligations de quitter le
territoire français (OQTF) délivrées a
augmenté de 60 % alors que les effectifs
préfectoraux consacrés à l’éloignement
et au contentieux des étrangers ont
crû de 9 % . La plupart des préfectures
sont surchargées, commettent
régulièrement des erreurs de droit face
à un cadre juridique particulièrement
complexe, et rencontrent des difficultés
à respecter les délais légaux . En outre,
elles n’assurent quasiment plus la
défense contentieuse de leurs décisions
devant les juridictions administratives .
Celles-ci sont également saturées par ce
contentieux de masse, qui a représenté
41 % des affaires des juridictions
administratives en 2021 .
3
La gestion des étrangers
en situation irrégulière :
des administrations
et des juridictions sous pression
14
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
La gestion des étrangers en situation irrégulière
sur le territoire national : des administrations
et des juridictions sous pression
Évolution des effectifs des services préfectoraux de l’éloignement et du contentieux
(échelle de gauche) au regard du nombre d’OQTF prononcées (échelle de droite)
entre 2015 et 2022
0
20 000
40 000
60 000
80 000
100 000
120 000
140 000
160 000
0
100
200
300
400
500
600
2015
2016
2017
2018
2019
2021
2022
Éloignement
Contentieux
OQTF prononcées (échelle de droite)
Source : Cour des comptes, d’après données d’effectifs de la DMATES et Eurostat
Note : pas de données pour 2020 du fait de la pandémie de covid 19.
La qualité juridique des procédures
est essentielle à une politique de
lutte contre l’immigration irrégulière
efficace . Aussi, la Cour recommande
de renforcer les moyens humains des
services chargés des étrangers dans
les préfectures, afin d’améliorer la
qualité des décisions et d’assurer une
défense contentieuse systématique .
En parallèle, une simplification du
contentieux des étrangers doit s’opérer .
Par ailleurs, la population des étrangers
en situation irrégulière est, par
définition, difficile à suivre . Néanmoins,
les personnes en situation irrégulière
« apparaissent » dans de nombreuses
procédures administratives lors de leur
parcours migratoire . Une douzaine
de systèmes d’information visent à
contrôler les frontières et les étrangers
qui les franchissent . Or, ces systèmes
d’information sont insuffisamment
interconnectés, ce qui ne permet pas
aux préfectures de disposer d’une
vision complète du parcours de chacun,
de son entrée à la sortie du territoire,
d’autant que le logiciel AGDREF
de
gestion des étrangers en France est
obsolète . Un rapprochement de ces
différents systèmes d’information
apparaît dès lors nécessaire .
Par ailleurs, les logiciels du ministère
de
l’intérieur
communiquent
insuffisamment avec les bases de
données des autres ministères :
le prononcé d’une obligation de
quitter le territoire français n’est
pas automatiquement transféré aux
15
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
La gestion des étrangers en situation irrégulière
sur le territoire national : des administrations
et des juridictions sous pression
organismes de sécurité sociale ou aux
bailleurs sociaux, ce qui peut entraîner
le versement indu de prestations
sociales . Comme elle l’a déjà fait
lors de la certification des comptes
2022 du régime général de sécurité
sociale, la Cour des comptes rappelle
donc sa recommandation d’accélérer
les travaux de rapprochement des
bases de données, dans le respect
des règlementations relatives au
traitement de données personnelles .
Cette action doit également s’accom-
pagner d’un effort accru pour lutter en
profondeur et sur le long terme contre
les réseaux criminels qui contribuent
à l’immigration irrégulière . L’ensemble
des acteurs, au-delà de la police aux
frontières, doit investir le nouvel office
central de lutte contre le trafic illicite de
migrants, afin de renforcer le démantè-
lement des filières de passeurs et de
fraude documentaire et à l’identité, dont
le développement apparaît inquiétant .
Répartition géographique des OQTF délivrées entre 2019 et 2022, en cumul
(hors outre-mer)
Nombre d’OQTF
par département
[ 152 ; 1 000 [
[ 1 000 ; 2 500 [
[ 2 500 ; 5 000 [
[ 5 000 ; 10 000 [
[ 10 000 ; 20 000 ]
8 533
2 976
668
1 745
550
315
17 682
1 437
2 601
5 453
1 000
792
2 740
1 695
3 458
4 787
3 044
6 169
1 549
2 706
1 911
405
344
1 449
7 161
788
929
18 748
1 190
1 277
1 742
740
823
1 454
3 443
880
1 816
9 439
1 156
1 680
1 184
2 189
2 972
840
3 478
486
3 423
403
9 839
681
1 569
5 225
392
808
178
336
1 830
4 431
2 611
2 097
894
9 372
505
578
152
152
340
17 605
3 810
2 739
656
772
3 843
3 750
758
752
11 875
2 015
6 973
10 673
11 195
545
11 884
18 366
14 924
20 000
2 515
516
490
11 123
776
2 519
1 110
1 042
697
578
Source : Cour des comptes, d’après les données AGDREF
16
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
17
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
4
L’éloignement :
un enchaînement
d’obstacles structurels
L’un des deux objectifs de la politique de
lutte contre l’immigration irrégulière
est de faire partir les étrangers en
situation irrégulière . Ce retour dans
le pays d’origine peut être volontaire
(la personne y retourne d’elle-même),
aidé (la personne perçoit une aide
financière au retour) ou forcé .
Pour préparer un éloignement forcé,
les préfectures peuvent restreindre
la liberté d’aller et de venir de la
personne étrangère, en l’assignant
à résidence ou en la plaçant dans
l’un des 22 centres de rétention
administrative (CRA) répartis sur le
territoire national, pour une durée
maximale de 90 jours, sauf exception .
Entre 2019 et 2022, 5 % des étrangers
en situation irrégulière titulaires d’une
obligation de quitter le territoire
français ont été placés dans l’une des
1 717 places disponibles en CRA . Près
de la moitié des personnes placées
en centre de rétention administrative
ont été effectivement éloignées, ce
qui rend la rétention indispensable à
l’efficacité de l’éloignement forcé .
La faible exécution des mesures
d’éloignement a conduit le ministère
de l’intérieur à prioriser les moyens
déployés pour l’éloignement forcé sur
les individus qui présentent une menace
à l’ordre public ou ont fait l’objet d’une
condamnation pénale récente . Depuis
août 2022, ces personnes sont placées
de manière prioritaire en rétention
administrative : elles représentaient
plus de 90 % des retenus à la fin de
l’année 2022, contre moins de 50 %
six mois auparavant . Le changement
rapide des profils placés en rétention
a des conséquences importantes sur
la gestion des centres de rétention
administrative : le délai moyen de
rétention s’est allongé, les dégradations
et incidents ont augmenté .
Le ministère a engagé un plan de
construction de nouvelles places en
centre de rétention administrative pour
atteindre 3 000 lits, mais il se heurte
à des difficultés pour affecter des
nouveaux personnels sur ces métiers
peu attractifs .
18
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
L’éloignement : un enchaînement
d’obstacles structurels
Nombre de personnes placées en CRA (échelle de gauche) et durée moyenne
de rétention en jours (échelle de droite) par année
0
5
10
15
20
25
30
0
5 000
10 000
15 000
20 000
25 000
30 000
35 000
2018
2019
2020
2021
2022
Durée moyenne de rétention (en jours)
Nombre de personnes placées
en CRA dans l'année
CRA métropole
CRA outre-mer
Durée moyenne
de rétention en métropole
Durée moyenne
de rétention en outre-mer
Source : Cour des comptes, d’après données DNPAF
Note : Mayotte représente 92 à 95 % des placements en CRA des territoires ultramarins.
Malgré l’existence d’une rétention
administrative, seule une petite minorité
– autour de 10 % – des obligations
de quitter le territoire français sont
exécutées, c’est-à-dire se traduisent
par le départ effectif de la personne qui
en est destinataire . Plusieurs obstacles
expliquent ce faible taux d’exécution .
L’administration peine à démontrer
l’identité des étrangers en situation
irrégulière, qui souvent ne possèdent
pas de document d’identification ou
l’ont détruit à dessein . De nombreux
pays d’origine sont réticents à délivrer
un laissez-passer consulaire à leurs
ressortissants, pourtant indispensable
à leur éloignement en l’absence de
passeport . La mise en œuvre de
l’éloignement forcé, qui s’effectue
majoritairement par vol commercial,
se heurte fréquemment au refus
d’embarquement de la personne
étrangère ou de la compagnie aérienne .
Face à l’ensemble de ces blocages, dont
une partie s’impose à l’administration,
l’État peut mieux s’organiser . La Cour des
comptes recommande en particulier de
centraliser la procédure de demande
de laissez-passer consulaires, sauf
exception, pour améliorer les relations
avec les consulats et le taux de succès
des demandes .
Ce découplage entre le nombre de
mesures d’éloignement prononcées et
leur exécution effective démontre les
difficultés de l’État à faire appliquer, y
compris sous la contrainte, ses décisions
particulièrement nombreuses . Il envoie
un mauvais signal : s’il est difficile de
prouver que des éloignements plus
nombreux conduiraient à réduire le
flux entrant d’immigration, il existe en
19
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
L’éloignement : un enchaînement
d’obstacles structurels
revanche une corrélation nette entre le
volume des éloignements forcés et le
volume des retours aidés et volontaires .
Plus les éloignements forcés sont
nombreux, plus les étrangers en
situation irrégulière sollicitent l’aide au
retour volontaire, car la menace d’un
éloignement forcé est crédible .
Pourtant, d’après Eurostat, et selon les
années, la France est le pays qui procède
au plus d’éloignements forcés de l’Union
européenne : 11 409 éloignements
forcés ont été réalisés en 2022 et 18 915
en 2019, dernière année pré-pandémie .
Comme le montre le présent rapport,
il est sans doute possible d’accroître le
nombre d’éloignements forcés, grâce à
des mesures d’organisation du ministère
de l’intérieur et à une plus grande
mobilisation du ministère de l’Europe
et des affaires étrangères . Néanmoins,
les comparaisons internationales
suggèrent qu’il n’est pas possible
d’éloigner les plus de 100 000 personnes
titulaires d’une mesure d’éloignement
exécutoire . Ainsi, le Royaume-Uni a
procédé à 3 531 éloignements forcés
l’an dernier, tandis que l’Allemagne a
éloigné 12 945 personnes en 2022 .
Depuis août 2022, le ministère de
l’intérieur a opéré une priorisation
pertinente des éloignements forcés
en concentrant les efforts sur les
personnes présentant des troubles à
l’ordre public (profils « TOP »), même si
l’éloignement de certains d’entre eux,
originaires de pays en guerre ou en
très forte instabilité, ne sera souvent
pas possible . La définition des profils
« TOP » n’est toutefois pas formalisée
ni partagée entre les services . Il apparaît
désormais nécessaire de mieux identifier
ces personnes présentant des troubles
à l’ordre public dans les systèmes
d’information et de mieux suivre leur
éloignement effectif .
Ensemble des départs constatés par la police aux frontières à la suite
d’une mesure administrative type OQTF (hors outre-mer)
9 681
10 305
12 016
5 447
5 724
7 214
4 589
5 372
6 899
3 664
4 367
4 195
1 078
2 070
2 752
1 658
1 570
2 103
2 219
2 210
2 088
1 615
1 742
1 888
0
5 000
10 000
15 000
20 000
25 000
2017
2018
2019
2020
2021
2022
Éloignements forcés
Remises
Retours aidés
Retours spontanés /
volontaires
Source : Cour des comptes, d’après les statistiques annuelles de la DNPAF
20
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
L’éloignement : un enchaînement
d’obstacles structurels
En parallèle, la question reste ouverte
quant aux perspectives à envisager pour
les étrangers en situation irrégulière
qui se maintiennent sur le territoire
national – c’est-à-dire une majorité
d’entre eux – et dont l’éloignement
n’est pas prioritaire .
Pour ces profils, l’aide au retour
volontaire peut être l’une des réponses
possibles . Elle vise à encourager le
départ d’une personne étrangère en
situation irrégulière de manière non
coercitive, en lui versant une somme
d’argent allant jusqu’à 2 500 € . Avec
4 979 retours aidés exécutés en 2022,
la France accuse un retard notable par
rapport à ses voisins européens (26 545
en Allemagne en 2022), en particulier
à cause de paramètres trop rigides en
matière de publics éligibles, de montant
de l’aide et de durée de séjour en
France . L’aide au retour volontaire est
pourtant nettement moins coûteuse
qu’un éloignement forcé . Malgré la
réforme récente, la Cour recommande
d’assouplir ce dispositif pour le rendre
plus attractif .
21
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
5
Des moyens significatifs,
une stratégie d’ensemble
à construire
La Cour des comptes évalue le
coût de la politique de lutte contre
l’immigration irrégulière à environ
1,8 Md€ par an, porté à 90 % par le
ministère de l’intérieur . Le coût d’une
journée de rétention s’élève à 602 €
tandis qu’un éloignement forcé
effectif coûte en moyenne 4 414 € . La
lutte contre l’immigration irrégulière
mobilise environ 16 000 fonctionnaires
et militaires à temps plein, dont trois
quarts sont des agents de la police
aux frontières . Cette dernière est la
seule force opérationnelle dont la
lutte contre l’immigration irrégulière
est une priorité permanente . Elle se
trouve souvent seule dans la mise en
œuvre de cette mission . Pour faire face
aux besoins croissants, elle a connu une
hausse globale de ses effectifs depuis
2017, mais souffre encore d’une gestion
des ressources humaines par à coups .
En 2022, elle compte près de 10 500
effectifs dans l’Hexagone et 1 300 en
outre-mer, soit un peu moins de 10 %
des effectifs de la police nationale .
Le pilotage de la politique de lutte
contre l’immigration irrégulière
incombe principalement au ministère
de l’intérieur, qui définit seul ses
orientations stratégiques et pourvoit
l’essentiel des moyens mobilisés . En
effet, la constitution de la direction
générale des étrangers en France
(DGEF) en 2013 a concentré sur le
ministère de l’intérieur l’essentiel des
moyens d’actions et des pouvoirs,
entraînant la suppression des services
chargés de la politique migratoire dans
les autres ministères . Dans ce contexte,
la coordination interministérielle,
en particulier avec le ministère de
l’Europe et des affaires étrangères, est
insuffisamment développée .
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Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Des moyens significatifs, une stratégie d’ensemble
à construire
Nombre d’obligations de quitter le territoire français prononcées par nationalité
entre 2019 et 2022, en cumul
1 000
2 500
5 000
10 000
20 000
0
60 000
Source : Cour des comptes, d’après les données AGDREF (hors Mayotte)
Or, l’immigration irrégulière affecte en
réalité un vaste nombre de ministères . La
politique de lutte contre l’immigration
clandestine conduite par le ministère
de l’intérieur a des conséquences
importantes pour d’autres domaines de
l’action publique situés en aval, comme
l’hébergement d’urgence, le travail ou
la santé . À l’inverse, le ministère de
l’intérieur est lui-même tributaire des
actions menées par d’autres adminis-
trations, comme la délivrance des visas
et l’organisation du contentieux .
La Cour recommande donc de formaliser
une stratégie interministérielle de
lutte contre l’immigration irrégulière
à trois niveaux . Au niveau français,
elle fixerait l’implication de chaque
ministère et identifierait les failles
juridiques et organisationnelles à
combler en priorité pour accroître
l’efficacité du dispositif . Au niveau
européen, la France doit poursuivre
ses efforts de mobilisation des leviers
communautaires, en particulier sur les
visas, la politique commerciale et la
protection des frontières extérieures .
Au niveau international, la lutte contre
l’immigration irrégulière pourrait
être mieux prise en compte dans les
politiques portées par le ministère de
l’Europe et des affaires étrangères,
en particulier sur l’aide publique au
développement et la délivrance des
visas . Le suivi de la mise en œuvre de
cette stratégie pourrait échoir à une
instance interministérielle .
Au terme de ses observations,
la Cour des compte formule dix
recommandations susceptibles
d’améliorer l’efficacité de la politique de
lutte contre l’immigration irrégulière,
sans remettre en cause les objectifs
fixés par le législateur depuis plusieurs
années, ni le cadre légal de protection
des droits fondamentaux .
23
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Recommandations
1.
Revoir la répartition des points de
passage frontalier entre la police aux
frontières et les douanes afin de confier
à la première ceux dont le trafic des
voyageurs a fortement augmenté et
qui présentent des enjeux de sécurité
importants
(ministère de l’intérieur et
des outre-mer, ministère de l’économie,
des finances et de la souveraineté
industrielle et numérique)
2.
Recueillir et conserver les données
d’identité des étrangers interceptés
lorsqu’ils franchissent irrégulièrement
les frontières intérieures et
extérieures,
via
la constitution de
systèmes d’information et d’un
cadre juridique adapté
(ministère de
l’intérieur et des outre-mer)
3.
Sur la bande frontalière, aligner les
pouvoirs d’inspection de la police aux
frontières sur le cadre applicable aux
douanes en matière d’inspection de
véhicules
(ministère de l’intérieur et
des outre-mer)
4.
Renforcer les effectifs des
services chargés des étrangers
en préfecture, afin d’améliorer la
qualité des décisions et d’assurer la
représentation systématique de l’État
aux audiences devant le juge judiciaire
et le juge administratif
(ministère de
l’intérieur et des outre-mer)
5.
Simplifier le contentieux de
l’éloignement en réduisant le nombre
de procédures juridictionnelles et en
les distinguant selon le degré réel
d’urgence
(ministère de l’intérieur et
des outre-mer, ministère de la justice)
6.
Améliorer l’urbanisation des sy-
stèmes d’information et applications
utilisées pour le contrôle des frontières
et le suivi des étrangers afin d’en
simplifier l’utilisation et de renforcer
la fiabilité des données
(ministère de
l’intérieur et des outre-mer)
7.
Centraliser la procédure de déli-
vrance de laissez-passer consulaires,
sauf pour les préfectures ayant un
consulat à proximité
(ministère de
l’intérieur et des outre-mer, ministère
de l’Europe et des affaires étrangères)
8.
Identifier de manière systématique
les obligations de quitter le territoire
français prononcées pour troubles à
l’ordre public et suivre l’exécution de
la mesure d’éloignement
(ministère
de l’intérieur et des outre-mer)
9.
Rendre le dispositif de l’aide
au retour volontaire plus souple
en termes de personnes éligibles,
de modulation du montant et de
présence requise sur le territoire
national
(ministère de l’intérieur et
des outre-mer)
10.
Formaliser une stratégie
interministérielle de lutte contre
l’immigration irrégulière, et s’assurer
de sa mise en œuvre par une instance
interministérielle
(Première ministre)
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Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes