1
Jean d’Haussonville
Monaco, le 16 octobre 2023
Objet : Domaine national de Chambord
–
Eléments de réponse
de Jean d’Haussonville
I
–
Remarques transversales
sur la raison d’être de l’établissement public
1°)
Une référence au précédent rapport de la Cour des comptes qui aurait pu être plus étendue
Le précédent rapport de la Cour des Comptes (novembre 2009) a été livré juste avant mon entrée en
fonction à Chambord (1
er
janvier 2010). Il a servi de guide stratégique au Domaine national de
Chambord jusqu’à l’adoption du premier projet d’établissement en décembre 2014
dont il a été une
source d’inspiration déterminante. Cet établissement s’est efforcé avec loyauté et ténacité de mettre
en œuvre toutes les recommandations formulées à l’époque par la Cour, y compris celles qui
déclenchaient les difficultés les plus certaines, par exemple la clarification de la base juridique publique
ou privée du domaine de l’Etat. Si les observations provisoires font référence à deux reprises au
rapport de 2009 (positivement sur a domanialité, négativement sur une nécessaire banalisation de la
tutelle, alors qu’aucune intervention de l’Elysée n’est rapportée dans la gestion de l’établissement
), il
aurait été utile et équitable
, pour une meilleure vision d’ensemble et pour l’autorité du rapport
définitif, de revenir sur les recommandations précédentes
et d’observer, du moins
ce fut un effort
colossal de notre part
, qu’elles o
nt été traitées avec respect et méthode.
Il aura fallu près d’une
d
ouzaine d’années pour parvenir au quasi
-achèvement de certaines recommandations (contentieux
en cours sur le bail rural de la ferme du Pinay par exemple).
2°)
Le caractère industriel et commercial de cet établissement public
Ce caractère
est souvent mentionné, notamment pour appeler à juste titre à la mise en place d’une
véritable équipe commerciale dans le cadre d’une stratégie de développement ou d’un
comité
d’év
aluation des investissements. Il semble, malgré tout, que Chambord soit plus saisi comme un
établissement public administratif sur le modèle d’un château
-musée, que comme un établissement
public légitime à développer une production industrielle
et commerciale supposant l’acceptation d’une
part raisonnable de risque propre à tout projet économique. Des gelées tardives peuvent par exemple
engendrer un retard dans la croissance d’une vigne et un décalage par rapport à un plan d’affaires sans
que la crédibilité du projet soit remise en cause. Il
n’est pas
non plus
surprenant qu’un projet d’atelier
de venaison soit « solitaire »
(c’est d’ailleurs à ce stade une précaution sanitaire)
et comporte une part
de risque puisqu’il s’agit d’un projet
-pilote destiné au contraire à encourager la naissance de projets
collectifs à travers le territoire. De même, la valorisation du carbone forestier, qui est quelque chose
de nouveau, ne peut pas ne pas « être dénuée
d’incertitudes
» comme tout projet économique et
social
et comme la vie en fin de compte…
3°) Le développement des territoires ruraux, une ambition législative fondatrice
Il aurait dû être rappelé que la loi du 23 février 2005 par laquelle est créée cet établissement public
est « relative au développement des territoires ruraux
», indication importante de l’orientation que
l’Etat et le législateur ont voulu donner à l’origine.
En effet, «
L’Etat est garant de la solidarité nationale
en faveur des territoires ruraux et de montagne et en reconnaît la spécificité » (article 1 de la loi pré-
citée). La localisation de Chambord, en plein territoire rural, le place dans une situation spécifique par
2
rapport à la plupart des établissements publics nationaux placés sous la tutelle principale du ministère
de la culture. Cette volonté fondatrice explique la formalisation et la mise en œuvre d’un
projet de
développement
, terme qu’utilisait d’ailleurs
la Cour des comptes
en 2009. C’est donc aussi à cette
contribution
à la revitalisation d’
un territoire rural
qu’on doit juger de l’essor des activités et
des
créations d’
emplois et non seulement en marge nette. Il en va de même de la renaissance de la
vocation agricole de Chambord (vignes, tonneaux, brebis solognotes, potager, scieries) qui fait en outre
partie d’une stratégie de destination touristique. C’es
t à cette aune que doit aussi être évaluée la
modération des redevances d’occupation du domaine pub
lic acquittées par les habitants de Chambord
(p.35
). Il s’agit de maintenir une population rurale à faible pouvoir d’achat dans le village dans le cadre
d’un compromis passé avec la commune de Chambord (élément retracé dans une délibération du
conseil d’ad
ministration).
II- Remarques ponctuelles
1°) Non-renouvellement des documents de gouvernance
Cette critique vise le dernier mandat, de trois ans, 2020-2023 et principalement deux documents : le
contrat d’objectifs et de performances ainsi que le schéma d
irecteur des travaux des monuments
historiques. Elle ne tient pas compte de façon équitable des faits survenus dans cette période.
Pour le COP, l’élaboration aurait dû se faire dans l’année 2020, alors même que l’établissement
mettait
en œuvre dans la con
tinuité les chantiers approuvés de façon collégiale pour les 500 ans de Chambord,
célébrés au cours de l’année 2019.
Le dernier mandat 2020-2023 a été marqué par la pandémie de la
covid-19 avec trois confinements nationaux successifs (trois mois et demi en 2020, du 17 mars au 11
mai et du 30 octobre au 15 décembre, un mois en 2021 du 3 avril au 3 mail) et une crise du tourisme
sans précédent depuis la Deuxième Guerre mondiale. On peut se demander quel aurait été le sens,
dans ce contexte,
d’un contrat d’ob
jectifs et de performance dont toutes les prévisions de recettes
étaient à l’avance faussées et tous les calendriers d’action décalés (u
n an de fermeture de chantiers).
Livrer un projet au sortir de la pandémie, donc la dernière année de 13 ans de mandat,
n’aurait pas eu
davantage de sens et n’aurai
t été respectueux ni de la tutelle ni du nouveau directeur général qui
devait pouvoir ouvrir une page nouvelle.
L’élaboration du sché
ma directeur MH a été perturbée
par l’incendie de Notre
-Dame de Paris (15-16
avril 2019) dont M. Philippe Villeneuve, Architecte en chef des monuments historiques était également
en charge. Très accaparé par la restauration de la cathédrale, M. Villeneuve n
’a pu poursuivre le travail
sur le schéma directeur (un volet sur le domaine avait été livré mais pas encore négocié) et a préféré,
légitimement, mettre fin à sa mission à Chambord (19 juillet 2019). La nomination du nouvel ACMH,
M. François Chatillon, intervient le 1
er
octobre 2019 et entraîne les délais nécessaires pour prendre la
mesure de l’ensemble des enjeux architecturaux de Chambord
dans un contexte ralenti par les
différents confinements.
2°)
Sur l’insuffisance alléguée d’évaluation des projets
Deux projets sont donnés en exemple pour souligner une insuffisante évaluation préalable : le projet
de chauffage au bois (2010-2013) et le chai Wilmotte (2018). Cette présentation peut être renversée.
Savoir renoncer à un projet avant de lancer le chantier
est plutôt le signe d’une prudence, d’une prise
en compte d’éléments économiques réexaminés en temps réel (par exemple la hausse des coûts
-
3
matière) et le signe vis-à-
vis du conseil d’administration, d’une transparence et d’
une humilité dans un
vrai dialogue.
Le projet de chauffage au bois, issu de la direction précédente, était apparu fin 2009 sur la proposition
du ministère de l’environnement d’utiliser une queue de crédit de 2 meuros. Il aurait été facile de se
limiter à utiliser cet argent public dans le projet de chauffage en bois sans en remettre en cause
l’équilibre économique
. Il est p
ossible d’ailleurs que ce mode de chauffage
, dans un périmètre plus
restreint (hangars techniques
par exemple), reprenne de l’actualité.
S’agissant de la renonciation
au chai Wilmotte, ce serait plutôt un contre-exemple par rapport à
nombre de projets publics qui sont maintenus alors que le risque de dérive budgétaire est parfaitement
connu.
Il n’est
pas exact (page 52) q
ue le maître d’ouvrage pouvait déterminer
à l’av
ance «
qu’il était
possible de vinifier la production sans construire un nouveau chai »
c’est
-à-dire en installant le
nouveau chai dans des bâtiments anciens, parti qui fut finalement retenu. Ni les études préalables
d’architectes (avant même
celles du cabinet Wilmotte), ni les services de l’Etat
(le dossier est passé en
commission nationale de l’architecture et du patrimoine puis en commission départementale nature,
site et paysages)
, ni la profession viticole n’avaient envisagé cette option
comme techniquement
faisable. Les experts
s’accordai
ent sur la
nécessité d’un bâtiment moderne. C’est le nouveau directeur
des bâtiments et jardins du Domaine national de Chambord, M. Guillaume Trouvé, qui a fait la
démonstrat
ion de la possibilité d’insére
r
les cuveries dans l’ancienne ferme et permis une solution
élégante, économique et fonctionnelle. Ceci témoigne, à Chambord du moins compte tenu de
l’étendue du patrimoine vernaculaire, de l’intérêt de disposer
d’un ancien maître d’oeuvre
pour diriger
la
maîtrise d’ou
vrage.
Dans un autre paragraphe, le potager est cité en exemple de l’absence d’une stratégie
d’investissements. Sans reprendre l’analyse commanditée par le comité d’entreprise selon laquelle ce
potager mené en permaculture serait voué à un déficit structurel, analyse que la direction de
l’établissement public ne partage pas, au contraire, une dimension essentielle est omise, le caractère
patrimonial de ce projet. La Cour des comptes avait jugé indigne l’état des écuries dans son rapport de
2009
. De fait, les murs étaient dans un état proche de l’éboulement, la lecture des cours intérieures
était perturbée par des bâtiments construits dans les années 1970, les cavaliers du spectacle équestre
occupaient l’ensemble dans un désordre de tentes en pla
stique auquel il était difficile de remédier. Le
rétablissement du jardin-
potager s’est fait dans les anciennes écuries dans les deux cours où l’on sait
qu’il existait au XIXème siècle et dans les limites cadastrales de la parcelle maraîchère connue depuis
la fin du XVIIème siècle. Différents projets avaient été étudiés pour donner un sens aux écuries (maison
du domaine, restaurants, terrasses couvertes, réserves, restitution des pavillons d’angle). La
restauration des potagers dans les écuries est apparue finalement comme la solution la plus fidèle à
notre mission patrimoniale, la plus simple sur le plan historique, la moins onéreuse et la plus
touristique. Elle étend l’offre de visite et achève la restauration des abords du monument.
3°) Sur la surévaluation des indemnités versées aux commerces
Si la Cour rappelle que les indemnités sont conformes aux préconisations du rapport Landrieu, elle ne
relève pas le contexte (aucun commerce ne souhaitait arrêter ses activités, les commerçants étaient
titulaires de
bonne foi de baux commerciaux et c’est l’administration de l’Etat et non celle de
l’établissement public qui avait installé cette situation fausse
qui durait depuis des décennies). Les
redevances sont présentées comme instables sans rappel de leur progression notable en comparaison
4
des baux commerciaux. Surtout, le tableau récapitulatif des versements aux commerçants, page 39,
ne précise pas que
sur les 4,86 meuros versés aux commerçants, seulement 1,86 meuro l’ont été par
l’établissement public, car les 3 meuros versés à l’hôtel ont été pris en charge par l’investisseur. La
réhabilitation de l’hôtel n’a pas coûté un euro à l’Etat.
4°)
Les limites d’une estimation des contreparties matérielles dans l’utilisation des chasses en mécénat
Les invitations aux chasses de Chambord sont honorifiques et gratuites
. Si l’administration des
domaines délivrait des baux
de chasse pendant l’Entre
-deux-g
uerres, les chasses ne font plus l’objet
d’actes commerciaux depuis la transformation de Chambord en Réserve nationale d
e chasse et de
faune sauvage en 1947. Le conseil supérieur de la chasse avait alors pris en main la gestion de cette
réserve. Des chasses présidentielles ont ensuite été organisées de 1965 à 2010. Les invitations aux
chasses de Chambord sont gratuites depuis 1947
, assimilées par l’Etat, pour le monde de la chasse, à
une invitation équivalente à une cérémonie civile ou militaire.
S’il est
ainsi possible de faire la
comptabilité analytique d’une cérémonie,
comme pour un 14 juillet,
ce n’est pas pour auta
nt que le
coût de revient en est affecté aux invités.
Le rapport préliminaire ne cite d’ailleurs aucun texte
transversal, aucune délibération, aucune intervention des tutelles enjoignant l’établissement public de
procéder à une évaluation commerciale de la chasse et de valoriser financièrement une invitation.
Le coût de revient marginal d’un mécène est nul. Il ne coûte pas plus cher d’inviter un mécène qu’un
non-
mécène. On aurait pu penser qu’un mécène coûterait plus cher en frais de réception, mais les
conditions de traitement sont les mêmes. En outre
, à l’initiative du président du conseil
d’administration d’alors, M. Guillaume Garot, ancien ministre délégué à l’agro
-alimentaire, député de
la Mayenne, une participation aux frais de bouche de 150 euros par personne a été instaurée en 2015
pour l’essentiel
des invités, notamment tous les mécènes et leurs invités.
C’est ainsi que les documents
de mécé
nat de l’établissement public ne
présentent pas aux mécènes d’évaluation opposable d’une
invitation à une journée de chasse.
Les remerciements cynégétiques aux
mécènes ont créé des recettes et n’en ont annulé aucune pour
l’établissement public
.
S’en passer, en revanche, ne supprimerait pas une dépense nécessaire relative
à la mission cynégétique que l’établissement
public tient de la loi de février 2005. La régulation
cynégétique est en effet une nécessité biologique, surtout dans une forêt enclose. Une population de
sanglier non chassée peut doubler tous les ans. L’accroissement naturel d’une
population de cervidés
peut aller de 20 à
30%. Si Chambord n’invitait pas à des battues, il faudrait alors organiser des battues
techniques avec des agents publics, finalement plus coûteuses en ressources humaines.
Il conviendrait
sinon de
mettre les chasses en location à l’a
nnée en revenant au système des années 30 et de renoncer
aux invi
tations d’intérêt général
(fédérations départementales de chasseurs, élus, territoire, relations
internationales, personnalités représentatives de la société civile, préfet et conseil départemental).
La coexistence d’
une catégorie
d’invitations aux contreparties
opposables - les mécènes - et de
caté
gories d’invitations gratuites
-
une liste d’ordre public
- placerait les invités dans une situation
inégale et paradoxale devant les charges publiques. Une même personne pourrait se voir reprocher
d’avoir dépassé un plafond de contreparties si elle est donatrice alors que si elle est in
vitée sans avoir
donné, elle bénéficierait librement de l’invitation. Il serait s
urtout difficile de ne pas considérer les
invitations faites dans le cadre des relations publiques de l’Etat et de son établissement comme un
5
avantage estimé à la valeur fixée pour la contrepartie des mécènes et ne permettant donc pas de
maintenir des invitations d’intérêt public
. Les invitations sont honorifiques pour tous.
C’est ce motif,
auquel s’ajoute
depuis
l’
efficacité de la levée de mécénat, qui avait déterminé à ne pas mettre en place
un régime mixte de battues commerciales et de battues de relations publiques, que la Cour des
comptes avait recommandé dans son rapport de 2009, mais de mettre en place cette pratique du
mécénat pour tenir compte malgré tout de sa recommandation de lever des recettes.
5°) Rambouil
let, un complément d’informations
Comme le recommande la Cour, il serait utile
que l’Etat réfléchisse à une stratégie fondée sur une
gouvernance unique du domaine de Rambouillet. Dans cette perspective, le temps est venu, comme
le préconise également le rapport, de supprimer le mandat de commissaire à l’aménagement du
domaine de Rambouillet. Cette mission avait été créée sur le modèle du commissariat à
l’aménagement du domaine national de Chambord (1972) dans la cadre de l’administration
pr
ésidentielle de Rambouillet. L’objectif était de
disposer sur le terrain d’un interlocuteur unique
capable de garantir une certaine coordination entre les trois entités, château-bergerie-chasses. Dès
lors que, sous le mandat de M. Nicolas Sarkozy, le château est sorti des domaines présidentiels puis
que les chasses présidentielles ont cessé, le lien entre le cabinet du Président de la République et le
commissaire à l’aménagement s’est interrompu. C’est,
au demeurant,
l’indic
e supplémentaire
d’une
banalisation de la tutelle recommandée par la Cour dans son rapport de 2009. Seul le soutien de
l’Elysée, en arrière
-plan, permettait
au commissaire à l’aménagement
de disposer d’un semblant
d’autorité et de crédibilité vis
-à-vis des tutelles et des opérateurs sur place. Maintenir cette mission
aujourd’hui ne serait que le
faux-
semblant d’une situation administrative qui ne correspond plus à la
réalité politique et institutionnelle.
Il convient enfin de préciser que jamais le Domaine
national de Chambord n’a refusé de signer une
convention avec le CEZ-
Bergerie nationale, jusqu’à l’installation par le CEZ
en 2021
d’un dépôt sauvage
de plus de 15 000 m3,
sans aucune autorisation d’aucune sorte
, posant un problème manifeste de
sécurité.
Au contraire, cette convention a été établie en commun, la signature en a été reportée du
fait du CEZ qui souhaitait la venue du ministre de l’Agriculture pour la signer avec solennité.
Il est à cet
égard
excessif de parler d’une consultation inexistante
, en tous cas du côté du Domaine national de
Chambord, car le
commissaire à l’aménagement ou son représentant siège au conseil d’administration
du CEZ sans parler des relations permanentes des équipes sur le terrain. Le dépôt sauvage, survenu en
2021 en toute ir
régularité, entraîne jusqu’à maintenant suspension de
la signature de la convention
car il contredit
l’esprit et la lettre de
celle-ci. Il serait regrettable, en tout état de cause, que le rapport
de la Cour puisse être lu comme une sorte de ratifica
tion indirecte d’un remblai formé hors de toute
autorisation administrative dans un domaine de l’Etat
alors même que ce type de tentations se
multiplie avec les grands chantiers accompagnant les Jeux Olympiques.