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QUATRIEME CHAMBRE
DEUXIEME SECTION
S2023-0733
OBSERVATIONS DÉFINITIVES
(Article R. 143-11 du code des juridictions financières)
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
Juillet 2023
Le présent document, qui a fait l’objet d’une contradiction avec les destinataires concernés,
a été délibéré par la Cour des comptes, le 3 juillet 2023
.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
2
TABLE DES MATIÈRES
TABLE DES MATIÈRES
..............................................................................................
2
SYNTHÈSE
......................................................................................................................
4
RECOMMANDATIONS
................................................................................................
6
INTRODUCTION
...........................................................................................................
7
1 L’ORGANISATION ET LA MISE EN
Œ
UVRE DE L’AIDE
JURIDICTIONNELLE
............................................................................................
9
1.1
Un caractère universel de l’accès à l’aide juridictionnelle maintenu par
de fréquentes modifications législatives
.............................................................
9
Un champ d’application très large
............................................................
9
Un caractère universel qui se renforce
....................................................
10
1.2
Des conditions d’admission à l’aide juridictionnelle simplifiées et
automatisées
.....................................................................................................
12
Le critère de droit commun simplifié en matière de ressources
..............
12
1.2.1.1
La règle de droit commun
......................................................................................
13
1.2.1.2
Les exceptions à la condition de ressources
...........................................................
14
1.2.1.3
Une réforme dont les effets sont peu mesurés
........................................................
14
L’application difficile de la subsidiarité par rapport à l’assurance
de protection juridique
............................................................................
15
1.3
Un circuit administratif qui gagnerait à être mobilisé autour d’une
véritable politique d'aide juridictionnelle
.........................................................
17
Le rôle central des bureaux d’aide juridictionnelle
.................................
17
Un rôle à clarifier
....................................................................................
20
Des lignes directrices à fixer, un pilotage insuffisant
.............................
23
1.3.3.3
Une coordination et une information des services facilitant l’accès au juge à
renforcer
.................................................................................................................
25
2
DES DEPENSES EN CONSTANTE AUGMENTATION
...................................
26
2.1
Un budget en constante augmentation de 2017 à 2022
....................................
27
L’augmentation du budget et la fin des financements extra-
budgétaires
..............................................................................................
27
Une prévision budgétaire remise en cause par la crise sanitaire
.............
29
Les admissions et les dépenses concentrées sur le contentieux civil
......
29
2.2
Des coûts de gestion comptabilisés majoritairement sur d’autres
programmes
......................................................................................................
32
2.3
Des indicateurs de performance insuffisants
....................................................
34
Le coût de traitement d’une décision d’aide juridictionnelle
..................
34
Les délais de traitement
...........................................................................
35
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
3
La part des demandes d'aide juridictionnelle déposées et traitées
par voie dématérialisée
............................................................................
37
Le recouvrement des versements indus d’aide juridictionnelle
..............
37
2.3.4.1
Les cas de recouvrement des aides juridictionnelles versées
.................................
38
2.3.4.2
Une mauvaise conception de l’indicateur sur le recouvrement témoignant
des difficultés du ministère de la justice à piloter sa performance
.........................
41
3
LE VERSEMENT DES SOMMES DUES AUX AUXILIAIRES DE
JUSTICE
................................................................................................................
43
3.1
La rationalisation en cours des circuits financiers
............................................
43
Les difficultés posées par la production de l'attestation de fin de
mission par les juridictions
......................................................................
43
Les missions quasi-régaliennes confiées à l’Unca
..................................
44
3.1.2.1
L’organisation des relations entre l’État, les Carpa et l’Unca
................................
44
3.1.2.2
Les travaux statistiques réalisés par l’Unca pour le Sadjav
....................................
45
3.1.2.3
La subvention annuelle versée à l’Unca pour l’exercice de ses missions
...............
45
Les contrôles exercés par les Carpa et l’Unca
.........................................
46
3.1.3.1
Les contrôles exercés par les Carpa
........................................................................
47
3.1.3.2
Les contrôles exercés par l’Unca
............................................................................
47
3.1.3.3
Les contrôles exercés par les commissaires aux comptes
.......................................
48
3.2
La rétribution des auxiliaires de justice
............................................................
49
Un dispositif revalorisé qui donne lieu à des contestations
....................
49
La contractualisation avec les barreaux
..................................................
52
3.2.2.1
La définition des conventions locales d’aide juridictionnelle
.................................
52
3.2.2.2
La mise en
œ
uvre des CLAJ
...................................................................................
53
3.2.2.3
Les premières expériences des CLAJ
.....................................................................
53
La nécessité de tirer des enseignements des grands procès
....................
54
4
LE NOUVEAU SYSTEME D’INFORMATION DE L’AIDE
JURIDICTIONNELLE
..........................................................................................
58
4.1
Des dysfonctionnements ayant conduit à des retards importants dans le
déploiement de l’application
............................................................................
58
Des dysfonctionnements importants
.......................................................
58
4.1.1.1
Une définition initiale insuffisante du contenu de
Siaj
...........................................
58
4.1.1.2
Une gouvernance du projet longtemps confuse
......................................................
59
4.1.1.3
Un pilotage défaillant des équipes de maîtrise d’
œ
uvre et de maîtrise
d’ouvrage
................................................................................................................
59
Des retards dans le déploiement
..............................................................
61
4.2
Une lacune importante de S
iaj
: l’absence d’automatisation de la
production des attestations de fin de mission
...................................................
62
4.3
Des coûts non maîtrisés
....................................................................................
62
4.4
Une insuffisante évaluation des impacts de
Siaj
sur les missions des
bureaux d’aide juridictionnelle
.........................................................................
63
GLOSSAIRE
..................................................................................................................
66
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
4
SYNTHÈSE
Une aide dont le périmètre a été progressivement étendu
L’aide juridictionnelle (AJ) est un dispositif de prise en charge par l’État des frais liés à
une procédure juridictionnelle ou nécessitant la présence d’un avocat, au bénéfice des personnes
ayant un revenu et un patrimoine modestes. Ces frais correspondent essentiellement à la
rétribution des avocats assistant ces personnes.
Les conditions d’éligibilité à l’aide juridictionnelle sont définies par la loi du 10 juillet
1991, plusieurs fois modifiée. Dans le respect d’engagements internationaux et d’une
jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et du Conseil d'État qui n’en
font pas un droit absolu, la France a opté pour un dispositif dont le caractère universel s’est
progressivement accentué. La création récente de l’aide juridictionnelle garantie, qui permet,
dans certaines situations, d’en bénéficier sans en faire la demande, témoigne de cette
dynamique.
Une dépense en constante augmentation
Depuis le dernier contrôle de la Cour, les dépenses d’aide juridictionnelle ont cru
régulièrement, passant de 342,4 M
en 2017 à 629,8 M
en 2022, soit une augmentation
moyenne annuelle de 13 %. Plusieurs facteurs expliquent cette croissance : l’augmentation du
périmètre couvert par l’aide juridictionnelle, la modification des critères d’éligibilité des
demandeurs, la révision, pour certaines procédures, des barèmes déterminant le nombre
d’unités de valeur (UV) permettant de calculer la rétribution des avocats, l’augmentation du
montant de l’unité de valeur et, enfin, le développement des conventions locales d’aide
juridictionnelle (CLAJ).
Des facteurs plus conjoncturels sont aussi intervenus sur la période : la grève des avocats
suivie de la crise sanitaire ont eu pour conséquence une stabilisation des dépenses en 2020 ; en
sens inverse la tenue des grands procès consécutifs aux attentats terroristes en 2015 et 2016 a
donné lieu à un surcroit de dépenses significatif. Le seul procès des attentats de novembre 2015
à Paris a entraîné une dépense d’aide juridictionnelle de 54 M
, avec un niveau très élevé de
rémunération de certains avocats.
Alors même que les dépenses d’aide juridictionnelle connaissent une forte augmentation
et ce depuis de nombreuses années, le ministère de la justice ne s’est pas doté d’indicateurs
fiables et pertinents lui permettant de les piloter. En particulier, l’indicateur portant sur le
recouvrement ne permet pas d’avoir une appréciation objective sur la façon dont cette fonction
est assurée. Pour le nouveau dispositif de l’aide juridictionnelle garantie, au-delà des
indicateurs, ce sont les procédures permettant le recouvrement elles-mêmes qui doivent être
améliorées.
Un pilotage à améliorer, une politique à définir
La gestion de l’aide juridictionnelle fait intervenir les 169 bureaux d’aide
juridictionnelle (Baj) au sein des juridictions, qui instruisent les demandes, et les greffes, qui
établissent les attestations de fin de mission (AFM) qui fixent le nombre d’unités de valeur à
rétribuer. Permettant le financement des rétributions aux avocats, l’aide juridictionnelle est
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
5
versée selon des circuits financiers spécifiques,
via
les caisses autonomes de règlements
pécuniaires des avocats (Carpa) et leur union nationale, l’Unca. La période récente a été
marquée par une rationalisation de ces circuits qui doit se poursuivre à travers la définition plus
ajustée de l’avance de trésorerie des Carpa et la mise en place d’un système de contrôle couvrant
l’ensemble des risques liés à ce circuit spécifique de versements des fonds.
Au sein de l’administration centrale du ministère de la justice, c’est le service de l’accès
au droit et à la justice et de l’aide aux victimes (Sadjav), situé au secrétariat général du ministère,
qui assure la coordination de la gestion de l’aide juridictionnelle, en lien avec la direction des
services judiciaires (DSJ), chargée du dialogue de gestion avec les juridictions. Les
insuffisances constatées dans la connaissance des effectifs mobilisés au sein des Baj ou la
définition des indicateurs illustrent que la capacité de pilotage de la direction des services
judiciaires et du Sadjav doit être renforcée.
L’administration centrale du ministère doit également définir, avec les juridictions, une
doctrine d’admission à l’aide juridictionnelle et aider les bureaux d’aide juridictionnelle à la
mettre en
œ
uvre par un soutien méthodologique adapté. La simplification des critères
d’éligibilité à l’aide juridictionnelle, qui décharge ces derniers de procédures de vérification
autrefois très lourdes, devrait être saisie comme occasion de les mobiliser sur une mission
aujourd’hui peu investie d’analyse du bien-fondé des demandes.
La définition d’une telle doctrine gagnerait à s’inscrire dans la perspective de la nouvelle
politique de règlement amiable souhaitée par le ministère. Elle devrait prendre appui sur le bilan
en cours de réalisation des CLAJ et tirer les enseignements des grands procès liés aux attentats.
Ceux-ci ont notamment mis en évidence la nécessité de mettre en place un mécanisme de
dégressivité des montants versés pour des affaires comparables ou posant une question
juridique réitérée.
Des gains de productivité à utiliser pour mieux gérer les demandes
Un nouveau système d’information, le S
iaj
, dont le coût et les délais de mise en
œ
uvre
ont connu une dérive importante, est en cours de déploiement. Ce système d’information ainsi
que la simplification apportée par la prise en compte du revenu fiscal de référence comme
critère d’éligibilité devraient améliorer la productivité des Baj et réduire le temps de traitement
des demandes.
S’il est important que ces progrès se traduisent par une diminution du coût de gestion
de l’aide juridictionnelle, il est aussi nécessaire qu’ils soient mis à profit pour mieux instruire
les demandes, notamment s’agissant des contrôles qui ne sont pas pris en charge par le système
d’information : le contrôle de l’absence d’une assurance de protection juridique qui se substitue
à l’aide juridictionnelle dès lors que le demandeur en dispose, la vérification que l’action en
justice n’apparait pas irrecevable, dénuée de fondement ou abusive et le contrôle des conditions
en matière de patrimoine. Il convient aussi que les Baj assurent mieux la mise en recouvrement
des dossiers pour lesquels l’aide juridictionnelle est indue.
Dans ce nouveau rôle, les bureaux d’aide juridictionnelle doivent être soutenus par le
ministère de la justice, qui doit aussi veiller à ce qu’une information plus claire et à jour soit
disponible sur l’aide juridictionnelle.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
6
RECOMMANDATIONS
Recommandation n° 1
(DSJ, SG du ministère de la justice) Renforcer le pilotage des bureaux
d’aide juridictionnelle, définir une politique d’attribution de cette aide et la décliner au sein des
juridictions.
Recommandation n°2
(DSJ, SG du ministère de la justice) : Diffuser une information claire et
à jour sur l’accès à l’aide juridictionnelle à l’intention du public et des services et associations
concernés..
Recommandation n° 3
(DSJ, SG du ministère de la justice) : Fiabiliser les données relatives
aux effectifs et aux ETPT affectés dans les bureaux d’aide juridictionnelle.
Recommandation n° 4
(SG du ministère de la justice) : En application de la loi de finances
pour 2023, mettre en place sans retard le dispositif de recouvrement des versements d’aide
juridictionnelle garantie indus.
Recommandation n°5
(DSJ, SG du ministère de la justice, direction du budget) : Définir un
indicateur pertinent portant sur la mise en recouvrement, rapportant les sommes recouvrées à
celles qui doivent l’être.
Recommandation n° 6
(SG du ministère de la justice, Unca) : Prévoir une disponibilité
immédiate de trésorerie au sein de l’Unca en cas de difficulté ponctuelle dans une Carpa.
Recommandation n° 7
(SG du ministère de la justice, Unca) : Mettre en place un système de
contrôle couvrant l’ensemble des risques inhérents au versement de l’aide juridictionnelle,
notamment ceux relatifs au calcul des majorations et aux barèmes utilisés.
Recommandation n° 8
(SG du ministère de la justice) : Mettre en place un mécanisme de
dégressivité permettant de plafonner la rétribution des avocats prise en charge par l’État dès
lors qu’ils assistent un nombre important de bénéficiaires de l’aide juridictionnelle pour une
même affaire ou une affaire posant une question juridique réitérée.
Recommandation n° 9
(DSJ, SG du ministère de la justice) : Informatiser la production des
attestations de fin de mission
Recommandation n° 10
(DSJ, SG dun ministère de la justice) : Faire un bilan de l’utilisation
de
Siaj
à la fin de l’année 2023 afin de corriger les défaillances relevées et de développer les
fonctionnalités identifiées comme manquantes.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
7
INTRODUCTION
L’aide juridictionnelle (AJ) est un dispositif de prise en charge par l’État des frais liés à
une procédure juridictionnelle, ou nécessitant la présence d’un avocat, au bénéfice des
personnes ayant un revenu et un patrimoine modestes. Si ses bases juridiques sont anciennes,
les critères d’éligibilité et les modalités de rétribution des avocats ont été modifiés et simplifiés
à plusieurs reprises et notamment depuis 2016, date du précédent contrôle de la Cour des
comptes
1
.
La loi du 22 janvier 1851 a créé l’assistance judiciaire pour les personnes dépourvues
de ressources ; celle du 3 janvier 1972 a prévu une aide judiciaire partielle ou totale et substitue
la faiblesse des revenus à l’absence de ressources. Le droit positif est maintenant régi par la loi
du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique qui comprend, en vertu de son article 1
er
, l'aide
juridictionnelle dans le cadre de procédures judiciaires et de contentieux administratif mais
également l’aide à l’accès au droit et la prise en charge de l’intervention de l’avocat dans des
procédures non contentieuses, par exemple en cas de divorce par consentement mutuel. Il s’agit
d’une aide sous conditions de ressources qui prend en charge, outre les frais d’avocats qui
représentent l’essentiel des sommes versées, les frais d’expertise, de commissaire de justice, ou
de notaire le cas échéant.
Les dossiers de demandes d’aide juridictionnelle sont déposés dans les bureaux d’aide
juridictionnelle (Baj) dans les juridictions. Ceux-ci instruisent les demandes et décident
d’accorder ou non, en totalité ou partiellement, le bénéfice de l’aide.
Celle-ci s’impute sur le programme budgétaire 101 « accès au droit et à la justice », dont
le budget est de 680,0 M
en loi de finances initiales pour 2022. Il comporte quatre
composantes : l’aide juridictionnelle (action 01), qui regroupe l’essentiel des crédits
ouverts
2
, l’accès à la connaissance de ses droits, l’aide aux victimes d’infractions pénales,
la médiation familiale et les espaces de rencontre parent(s) / enfant(s). Le service de l’accès
au droit et à la justice et de l’aide aux victimes (Sadjav), créé en 2002 au sein du secrétariat
général, est en charge de la mise en
œ
uvre et du suivi de ce programme.
Depuis 2016, plusieurs réformes législatives et règlementaires ont été adoptées
3
, portant
sur les conditions d’attribution de l’aide juridictionnelle, la revalorisation de la rétribution des
avocats et la prise en compte de nouvelles procédures ; parallèlement, le budget consacré à
l’aide juridictionnelle n’a cessé d’augmenter pour atteindre 615,2 M
dans la loi de finances
initiale pour 2022
4
, soit deux fois plus qu’en 2012, pour près d’un million de demandes. Pour
1
La gestion de l’aide juridictionnelle et des autres interventions de l’avocat, 2011-2016, OD, S 2016-
4042-1. Ce contrôle avait donné lieu à un référé comportant trois recommandations : établir le coût complet de
l’aide juridique ; réformer le dispositif de gestion afin de ramener le coût de gestion des dossiers d'aide
juridictionnelle, de la procédure d'admission au paiement des rétributions, à un coût complet ne dépassant pas 5 %
de la dépense totale ; introduire en matière civile, en appel, des critères plus rigoureux tenant au bien-fondé de la
procédure et à la proportionnalité de l'enjeu à la demande.
2
615,2 M
sur les 680,0 M
pour 2022.
3
Suite à plusieurs rapports parlementaires, notamment le rapport parlementaire d’information sur l’AJ de
2019, présenté par MM. Gosselin et Moutchou; plus anciennement, le rapport du député, J.Y Le Bouillonnec remis
au ministre en 2014.
4
Les dépenses d’aide juridictionnelle ont atteint 629,8 M
en 2022. La LFI pour 2023 a ouvert 641 M
au titre de l’aide juridictionnelle.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
8
autant, ces montants ne correspondent qu’à moins de 7 euros par habitant et les indicateurs de
performance liés ne sont, de longue date, pas satisfaisants malgré les mesures prises pour les
améliorer.
L’aide juridictionnelle représente une charge importante pour les juridictions : elle
nécessite la production de plus de quatre millions de formulaires par an. Une de ses spécificités
est d’être fondée sur une coopération entre les services du ministère et les caisses de règlement
pécuniaire des avocats (Carpa), fédérées par l’Union des Carpa (Unca).
Le présent rapport vise à mesurer les effets des réformes opérées depuis 2016 sur
l’efficacité du dispositif d’aide juridictionnelle, en termes d’organisation et de conditions
d’obtention (première partie), de budget (deuxième partie) et de versement des rétributions
(troisième partie) et enfin de développement du nouvel outil informatique, le
Siaj
(quatrième
partie).
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
9
1 L’ORGANISATION ET LA MISE EN
Œ
UVRE DE L’AIDE
JURIDICTIONNELLE
1.1
Un caractère universel de l’accès à l’aide juridictionnelle maintenu par
de fréquentes modifications législatives
Les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle et les dispositions concernant sa mise en
œ
uvre sont définies essentiellement par la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique,
révisée plusieurs fois, et le décret du 28 décembre 2020. La loi connaît une instabilité, ayant été
modifiée vingt-deux fois depuis 1991, dont dix fois depuis 2016, sur des sujets substantiels,
comme les critères d’éligibilité. Ces modifications, nombreuses, ont eu pour objectif de
simplifier le dispositif sans remettre en cause son universalité.
Un champ d’application très large
Le droit au procès équitable est consacré par l’article 6 de la Convention européenne
des droits de l’homme, qui affirme le droit pour l’individu de «
se défendre lui-même ou avoir
l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur,
pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice
l’exigent
». La Cour européenne des droits de l’homme a précisé que l’obligation pesant sur
l’État de fournir une aide juridictionnelle dépend notamment de la gravité de l’enjeu pour le
requérant
5
, de la complexité du droit ou de la procédure applicable
6
. Elle estime donc que le
droit d’accès à l’aide juridictionnelle n’est pas absolu
7
, et peut dépendre, outre de la situation
financière de l’intéressé, des enjeux en présence.
Le Conseil constitutionnel consacre les droits de la défense comme principe
constitutionnel
8
, sans faire de l’aide juridictionnelle une obligation universelle. La Cour de
cassation n’en définit pas davantage les contours, même si elle en a une approche très
protectrice
9
.
Dans le respect de ces principes, la loi de 1991 détermine les conditions d’octroi de
l’aide juridictionnelle. La France a opté pour un dispositif qui couvre l’ensemble des
contentieux, au civil comme pénal et, au-delà, des procédures en nombre croissant, qu’elles
concernent des gardes à vue (audition libre ou retenue), des médiations ou compositions
pénales, des déferrements, l’assistances aux détenus ou aux demandeurs d’asile. La répartition
des admissions comme des dépenses (cf.
infra
) montre que l’aide juridictionnelle concerne
majoritairement des procédures civiles (52 %) et pénales (41 %), le contentieux administratif
restant minoritaire (8 %). Selon l’article 40 de la loi de 1991, elle «
concerne tous les frais
5
P et S c/ R uni, §100.
6
G c/ France, 2000, §40.
7
S et M c/ R uni, 2005, §59-60.
8
Décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989.
9
Cour de cassation, Civ. 2
e
ch, 18 janvier 2007 : le juge doit attendre la décision prise sur la demande
d’AJ même si celle-ci est présentée deux jours avant l’audience.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
10
afférents aux instances, procédures ou actes pour lesquels elle a été accordée, à l'exception des
droits de plaidoirie. Le bénéficiaire de l'aide est dispensé du paiement, de l'avance ou de la
consignation de ces frais. Les frais occasionnés par les mesures d'instruction sont avancés par
l'État.
».
La commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej) publie tous les deux
ans un rapport sur l’efficacité des systèmes judiciaires et comporte une rubrique relative à l’aide
judiciaire, définie comme «
l’assistance fournie à des catégories spécifiques de personnes en
matière de conseil et/ ou de représentation légale financés par l’État
». Le rapport paru en
octobre 2022 porte sur l’année 2020. La France fait partie des seize États couvrant le champ le
plus large de prise en charge des frais. En Allemagne et au Royaume-Uni, le champ retenu est
moindre.
Tableau n° 1 :
L’aide judiciaire dans quelques pays européens
Bases juridiques
Conditions d’éligibilité
Champs couverts
Allemagne
Code de procédure civile
et code de procédure
pénale
Situation financière et
importance du litige
Tous domaines civils
Pénal : seules les parties
civiles/ prévenu sous
conditions restrictives
Espagne
Article 119 de la
Constitution et lois
Situation financière,
exceptions
Tous domaines y compris
le conseil juridique
préalable
Royaume-
Uni
Loi
En matière pénale :
situation financière
En matière civile :
importance du litige
Tous domaines
Loi 2013 restreint le
champ de l’AJ en matière
civile
Suède
Loi
Situation financière et
importance du litige
Tous domaines
France
Loi
Situation financière,
exceptions
Tous domaines
Source : Cour des comptes d’après documents des magistrats de liaison et documents Cepej
Loin d’être remis en cause au cours des années les plus récentes, ce caractère universel
de l’aide juridictionnelle française se renforce.
Un caractère universel qui se renforce
Des évolutions législatives portant sur des domaines indépendants de l’aide
juridictionnelle ont induit des évolutions sur son périmètre. L’entrée en vigueur du code de la
justice pénale des mineurs le 30 septembre 2021, la réforme des juridictions sociales le 1
er
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
11
janvier 2019, les nouvelles procédures de divorce, ou encore le développement de la médiation,
ainsi que les réformes relatives au droit des étrangers en sont des illustrations. Ces différentes
évolutions ont, pour la plupart, étendu le champ de l’aide juridictionnelle à des publics ou des
procédures qui n’en relevaient pas auparavant.
Le périmètre de l’aide juridictionnelle a également été étendu après l’entrée en vigueur
de l’article 234 de la loi de finances pour 2021
10
. Des discussions initiées à la demande des
représentants des avocats ont conduit à la rédaction d’un nouvel article 19-1 qui permet dans
certains cas, à l’avocat d’être rétribué
11
sans que la personne assistée ait à déposer de demande
d’aide juridictionnelle. Dans le cadre de ce mécanisme, dit d’aide juridictionnelle garantie
(AJ garantie), qui concerne des procédures généralement caractérisées par l’urgence c’est à
l’État qu’il incombe de recouvrer les sommes s’il s’avère
a posteriori
que la personne n’était
pas éligible (cf.
infra
). Il n’est applicable que si la personne est assistée par l’avocat désigné.
Dans le cas contraire, elle devra déposer une demande d’aide juridictionnelle ou rémunérer
l’avocat.
Cas couverts par l’AJ garantie
Procédure judiciaire de mainlevée et de contrôle des mesures de soins psychiatriques
Assistance d'une personne demandant ou contestant la délivrance d'une ordonnance de protection
prévue à l'article 515-9 du code civil
Comparution immédiate et comparution à délai différé
Déferrement devant le juge d'instruction
Débat contradictoire relatif au placement ou au maintien en détention provisoire
Assistance d'un mineur dans le cadre d'une procédure d'assistance éducative, d'une procédure
devant le juge des enfants en matière pénale ou le tribunal pour enfants, d'une audition libre, d'un
interrogatoire de première comparution ou d'une instruction
Assistance d'un accusé devant la Cour d'assises, la Cour criminelle départementale, la Cour
d'assises des mineurs ou le tribunal pour enfants statuant en matière criminelle
Procédures devant le juge des libertés et de la détention relatives à l'entrée et au séjour des étrangers
Procédures devant le tribunal administratif relatives à l'éloignement des étrangers faisant l'objet
d'une mesure restrictive de liberté
Procédures non juridictionnelles mentionnées aux 2° à 4° de l'article 11-2 de la loi
Sources : Décret n° 2021-810 du 24 juin 2021 portant diverses dispositions en matière d’aide
juridictionnelle et d’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles et dépêche
du 25 août 2021 présentant les nouvelles modalités de rétribution au titre de l’aide juridictionnelle des
avocats commis ou désignés d’office dans les procédures listées par l’article 19-1
.
Ce mécanisme conduit à une forme de systématisation du droit à l’aide juridictionnelle
dans la logique des réformes antérieures qui avaient élargi son périmètre avec l’extension des
interventions de l’avocat pour renforcer les droits de la défense (lors de la garde à vue ou des
rétentions de sûreté par exemple). Entre juillet et décembre 2021, l’aide juridictionnelle garantie
a représenté plus de 15 M
.
10
Loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020.
11
Ces nouvelles dispositions élargissent à de nouveaux domaines un système permettant à l’avocat
commis d’office d’être rétribué au titre de l’AJ (loi n° 2022-900 du 29 juillet 2011).
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
12
1.2
Des conditions d’admission à l’aide juridictionnelle simplifiées et
automatisées
Pour bénéficier de l’aide juridictionnelle, le justiciable dépose une demande, traitée par
un bureau d’aide juridictionnelle (Baj), qui donne lieu à une décision d’acceptation ou de refus,
selon que le demandeur respecte ou non les conditions d’éligibilité. Le rapport de la Cour de
2016 relevait la complexité de ces conditions. La loi de finances pour 2020 a fait du revenu
fiscal de référence le principal critère d’éligibilité. Cette réforme a permis une réelle
simplification, en dépit des nombreuses exceptions qui perdurent tant sur les conditions de
ressources, de nationalité que de procédures.
Le critère de droit commun simplifié en matière de ressources
Les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle sont principalement les personnes physiques
dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice
12
. La règle générale
est que tout ressortissant national ou d’un État-membre de l’Union européenne résidant sur le
territoire français
13
peut y prétendre.
Elle peut également être accordée aux personnes de nationalité étrangère non
ressortissantes d’un État membre de l’Union européenne si elles résident habituellement et
régulièrement en France
14
ou à l'occasion de l'exécution, sur le territoire français, d'une décision
de justice ou de tout autre titre exécutoire, y compris s'ils émanent d'un autre État-membre de
l'Union européenne à l'exception du Danemark
15
. Elle peut enfin être accordée à des étrangers
non ressortissants de l’Union européenne dans plusieurs autres situations : mineurs, témoins
assistés, mis en examen, prévenus, accusés, condamnés ou parties civiles, bénéficiaires d’une
ordonnance de protection, en procédure de comparution sur reconnaissance préalable de
culpabilité, personne retenue en zone d’attente ou en centre de rétention administrative,
personne faisant l’objet d’une mesure d’éloignement
16
. Il faut aussi mentionner les cas prévus
par des accords bilatéraux
17
, qui ne sont pas nécessairement connus par les intéressés.
12
Son bénéfice peut être exceptionnellement accordé aux personnes morales à but non lucratif ayant leur
siège en France et ne disposant pas de ressources suffisantes.
13
V.
infra
* les exceptions à la résidence.
14
Dans ce cas elles doivent justifier de leur séjour régulier en France, en produisant une copie de leur titre
de séjour ou de demande de renouvellement de ce titre
15
En raison d’une clause d’ « opt out » du Danemark sur l’espace de sécurité, de liberté et de justice
européen.
16
Il faut encore mentionner le cas des étrangers suivants, dispensés de la condition de résidence :
- Lorsqu’ils bénéficient d’une ordonnance de protection en vertu de l’article 515-9 du code civil ou lorsqu’ils font
l’objet de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. − Lorsqu’ils font l’objet de
l’une des procédures prévues aux articles L. 222-1 à L. 222-6, L. 312-2, L. 511-1, L. 511-3-1, L. 511-3-2, L. 512-
1 à L. 512-4, L. 522-1, L. 522-2, L. 552-1 à L. 552-10 et L. 742-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et
du droit d’asile (CESEDA) ou lorsqu’il est fait appel des décisions mentionnées aux articles L. 512-1 à L. 512-4
du même code.
17
Selon l’Accord européen sur la transmission des demandes d’assistance judiciaire, signé à Strasbourg
le 27 janvier 1977, la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 tendant à faciliter l'accès international à la justice
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
13
Jusqu’en 2020, l’éligibilité à l’aide juridictionnelle dépendait de plusieurs critères : les
ressources du demandeur
18
, sauf si celui-ci bénéficiait de minimas sociaux
19
, son patrimoine et
son train de vie. La loi de finances pour 2020, en retenant le revenu fiscal de référence et le
patrimoine comme seuls critères d’éligibilité, simplifie le droit commun.
1.2.1.1
La règle de droit commun
Pour bénéficier de l’aide juridictionnelle au taux plein (« AJ totale »), le demandeur doit
avoir un revenu fiscal de référence et détenir un patrimoine inférieur à des plafonds fixés par
décret en Conseil d'État. Ces plafonds dépendent du nombre de personnes dans le foyer fiscal
et sont mis à jour chaque année par circulaire en fonction de l’évolution de l’indice des prix à
la consommation.
Tableau n° 2 :
Plafonds d’éligibilité à l’AJ totale
Foyer fiscal
1 personne
2 personnes
3 personnes
4 personnes
5 personnes
Revenu fiscal de référence
11 580
13 664
15 748
17 064
18 380
Valeur du patrimoine mobilier
11 580
13 664
15 748
17 064
18 380
Valeur du patrimoine immobilier
34 734
40 986
47 238
51 187
55 137
Source : Cour des comptes d’après la circulaire du 20 janvier 2022 relative aux montants des plafonds de
ressources et de patrimoine pour l’admission à l’AJ
Lorsque le demandeur satisfait le critère relatif au patrimoine sans satisfaire celui relatif
au revenu fiscal de référence, il peut prétendre à une aide juridictionnelle réduite, l’« AJ
partielle », comme l’indique le tableau ci-après.
et la directive communautaire 2002/8 du 27 janvier 2003 visant à améliorer l’accès à la justice dans les affaires
frontalières par l’établissement de règles minimales communes relatives à l’aide judiciaire accordée dans le cadre
de telles affaires.
18
Jusqu’alors, le demandeur devait justifier, pour bénéficier de l’AJ, que ses ressources mensuelles étaient
inférieures à un plafond, fixé en 2018 à 1 017
et modulé en fonction de la composition du foyer. Au-delà de ce
plafond, le demandeur pouvait bénéficier d’une aide, mais d’un montant moindre (AJ dite « partielle »).
19
Revenu de solidarité active – RSA – et allocation de solidarité aux personnes âgées – ASPA, en vertu
de l’article 4 de la loi de 1991.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
14
Tableau n° 3 :
Taux de prise en charge de l’AJ en fonction du revenu fiscal de référence
Prise en charge
1 personne
2 personnes
3 personnes
4 personnes
5 personnes
Prise en charge à 55%
11 581
- 13 688
de 13 665 à
15 772
de 15 749 à
17 856
de 17 065 à
19 172
de 18 381 à
20 488
Prise en charge à 25%
13 689
- 17 367
de 15 773
à19 451
de 17 857 à
21 535
de 19 173 à
22 851
de 20 489 à
24 167
Source : Cour des comptes d’après la circulaire du 20 janvier 2022 relative aux montants des plafonds de
ressources et de patrimoine pour l’admission à l’AJ
S’agissant du patrimoine, les données sont exclusivement déclaratives. Les biens qui ne
pourraient être vendus ou donnés en gage sans entraîner un trouble grave pour les intéressés ne
sont pas pris en compte dans le calcul du montant des ressources auquel s'appliquent les
plafonds d'éligibilité. L’article 5 du décret du 28 décembre 2020 exclut ainsi la résidence
principale du demandeur de l’estimation du patrimoine immobilier. Ce même article prévoit
l’individualisation des ressources en cas de procédure opposant des personnes d’un même foyer
ou en cas de divergence d’intérêt sur l’objet du litige.
1.2.1.2
Les exceptions à la condition de ressources
Plusieurs catégories de personnes, et de situations, sont éligibles de plein droit à l’aide
juridictionnelle, les critères de revenus et de patrimoine ne s’appliquant pas. Il s’agit
essentiellement des victimes d'actes criminels et terroristes et des mineurs. Dans ce dernier cas,
l’aide est accordée provisoirement, les ressources des parents étant étudiées dans un deuxième
temps, sauf si le mineur est isolé ou estimé tel
20
. Il s’agit aussi des personnes exerçant un recours
contre des décisions prises en application du code des pensions militaires d’invalidité et des
victimes de guerre.
L’éligibilité de plein droit peut concerner également, dans certains cas, une personne
détenue
21
ainsi que les recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), sauf s’ils sont
manifestement irrecevables. Enfin, l’article 6 de la loi de 1991 permet d’accorder l’aide
juridictionnelle en cas de de « situation particulièrement digne d’intérêt » (V.
infra
).
1.2.1.3
Une réforme dont les effets sont peu mesurés
La réforme introduite par la loi de finances pour 2020 a été précédée de réflexions dans
l’objectif de retenir une simplification du critère d’éligibilité sans effet d’éviction de certaines
populations. Dans ce cadre, une étude de la sous-direction des études et de la statistique (SDSE)
20
Le mineur est considéré comme isolé y compris si ses parents se désintéressent de lui.
21
En cas de mesure disciplinaire ou d’isolement dans le cadre de sa détention, et devant la commission
des peines selon l’article 720 du code de procédure pénale, ainsi que la personne retenue dans un centre médico-
judiciaire.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
15
de 2017 concluait à un faible impact de la réforme sur la population potentiellement
bénéficiaire, sauf pour les bénéficiaires de certains minimas sociaux. Le ministère considère
que la stabilité du nombre de bénéficiaires serait le signe de cet impact limité. Cependant cette
stabilité ne signifie pas nécessairement que la réforme n’a pas eu un effet d’éviction des
bénéficiaires de minima sociaux, aucune évaluation n’ayant encore été menée.
La simplification opérée a aussi eu pour conséquence de limiter les marges
d’appréciation des bureaux d’aide juridictionnelle. Elle a ainsi fin à de possibles divergences
selon les territoires. Cependant, ces divergences sont peu documentées de sorte que la portée
de l’homogénéisation et ses effets sur les justiciables demeurent mal cernés.
L’application difficile de la subsidiarité par rapport à l’assurance de
protection juridique
Selon l’article 2 de la loi de 1991, l'aide juridictionnelle ne prend pas en charge les frais
pouvant être couverts par un contrat d'assurance de protection juridique ou un autre système de
protection. Le cas échéant, la part des frais ainsi couverts vient en déduction des sommes
avancées par l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Cette disposition pose le principe de subsidiarité de l’aide juridictionnelle par rapport à
la protection juridique. Une circulaire du ministre de la justice du 24 février 2015 indiquait que
«
les dossiers couverts par un contrat de protection juridique ou par l’employeur ne devraient
plus être réceptionnés et traités par le Baj, dès lors que le justiciable est informé du principe
de subsidiarité de l’aide juridictionnelle et s’adresse en premier lieu à son assureur
».
Cependant, sa mise en
œ
uvre est peu effective, comme l’ont relevé le précédent rapport de la
Cour des comptes de 2016 et un rapport parlementaire plus récent, en 2019
22
. Ce constat qui
perdure traduit plusieurs difficultés.
En premier lieu, les contrats d’assurance sectoriels, comme en matière d’habitation ou
d’automobile, comportent dans certains cas des consultations juridiques. Mais les frais
d’assistance par un avocat ne sont pris en charge que de façon limitée.
En deuxième lieu, les contrats de protection juridique en tant que tels (contrats
autonomes de protection juridique) prévoient en général la prise en charge des frais d’assistance
par un avocat. Comme l’a relevé le rapport parlementaire précité de 2019, ils constituent une
branche dynamique de l’assurance : si elle représentait moins de 2 % des primes versées pour
l’assurance non-vie toutes catégories confondues, elle a progressé de près de 27 % depuis 2013.
Les cotisations au titre des contrats de protection juridique s’élevaient ainsi en 2021 à 1,67 Md
en 2021, en hausse moyenne annuelle de 5,7 % depuis 2017.
22
Rapport d’information sur l’aide juridictionnelle, 2019, présenté par P. Gosselin et N. Moutchou,
Assemblée nationale.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
16
Quelques données sur les garanties d’assurance juridique en 2021
L’article L. 127-1 du code des assurances définit ainsi une opération d'assurance de
protection juridique : «
toute opération consistant, moyennant le paiement d'une prime ou d'une
cotisation préalablement convenue, à prendre en charge des frais de procédure ou à fournir des
services découlant de la couverture d'assurance, en cas de différend ou de litige opposant l'assuré
à un tiers, en vue notamment de défendre ou représenter en demande l'assuré dans une procédure
civile, pénale, administrative ou autre ou contre une réclamation dont il est l'objet ou d'obtenir
réparation à l'amiable du dommage subi
»
9,4 millions de contrats autonomes de protection juridique (garanties souscrites
indépendamment d’autres contrats) ont été souscrits en 2021. Ces contrats autonomes sont
principalement de la protection juridique générale (forme la plus couvrante de protection
juridique).
La cotisation annuelle moyenne est de 75
.
527 000 litiges de protection juridique ont été déclarés aux assureurs.
La répartition les litiges clos en 2021 est la suivante :
35 % relatifs à la consommation
28 % liés à l’habitat
12 % liés au travail
5 % liés à la famille
3 % liés aux relations avec l’administration
3 % liés à la santé
14 % autres
Source : Cour des comptes d’après les données de France Assureurs
Mais s’ils se développent, ces contrats semblent peu activés. Le rapport parlementaire
précité soulignait ainsi que les sinistres se sont élevés en 2017 à 559 M
, soit 41 % du montant
des primes versées. Cette même année, les charges et sinistres pour l’assurance de protection
juridique représenteraient 72 % des primes versées, contre 96 % en moyenne pour l’assurance
non-vie. La mise en
œ
uvre de ces contrats est encore plus rare en matière d’aide
juridictionnelle : la subsidiarité ne trouverait à s’appliquer que dans 0,2 % de l’ensemble des
demandes d’aide juridictionnelle.
Cette situation traduit le fait que les personnes éligibles à l’aide juridictionnelle sont
rarement détentrices de contrats de protection juridique autonomes, probablement en raison de
leur coût. À supposer qu’elles le soient, elles n’ont pas toujours la connaissance détaillée des
garanties de protection juridique offertes par ces contrats.
Les bureaux d’aide juridictionnelle, ne disposant pas d’information sur les garanties
souscrites par les demandeurs, ne sont pas en mesure de vérifier cette information purement
déclarative. Le principe de subsidiarité, bien qu’affirmé par la loi, est donc dans la pratique peu
opérant.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
17
1.3
Un circuit administratif qui gagnerait à être mobilisé autour d’une
véritable politique d'aide juridictionnelle
Le bureau d’aide juridictionnelle prévu par la loi de 1991, est l’acteur central de la
délivrance de l’aide juridictionnelle. La simplification des critères d’éligibilité doit conduire le
ministère de la justice à mieux le mobiliser autour d’une mission d’examen de la demande,
aujourd’hui peu investie.
Le rôle central des bureaux d’aide juridictionnelle
La demande d’aide juridictionnelle, établie par le demandeur
23
, est traitée par les Baj et
donne lieu à une décision positive (admission) ou négative (rejet). Le dépôt de la demande se
fait par un formulaire papier mais pour les juridictions ayant déployé le nouveau système
d’information
Siaj
(V.
infra
), la demande peut être faite de façon dématérialisée.
En principe, c’est le justiciable qui dépose sa demande ; cependant l’avocat désigné
d’office peut le faire à sa place. Lors des procès terroristes de 2015 et 2016 (attentats du 13
novembre 2015 et du 14 juillet 2016 à Nice), seuls les avocats pouvaient déposer les demandes
en raison du caractère exceptionnel de ces procès
24
(cf.
infra
).
La demande est traitée par le Baj qui peut, selon les cas, être organisé en sections,
consacrées aux procédures de première instance, d’appel et aux procédures administratives.
Les bureaux d’aide juridictionnelle (Baj)
Les bureaux d’aide juridictionnelle (Baj) sont prévus par l’article 13 de la loi de 1991. La
liste des bureaux d'aide juridictionnelle établis au siège des tribunaux judiciaires et, le cas échéant,
des tribunaux administratifs, ainsi que le ressort de compétence de chaque bureau, sont fixés par
décret. Des Baj distincts sont établis, respectivement, près le Conseil d'État, près la Cour de
cassation et près la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Chacun de ces bureaux est compétent
pour statuer sur les demandes d'aide juridictionnelle présentées à l'appui des recours portés devant
la juridiction près laquelle il est établi (article 12 du décret du 28 décembre 2020).
Ils sont présidés par un magistrat, souvent honoraire, et composés de deux auxiliaires de
justice dont au moins un avocat choisi parmi les avocats qui exercent ou ont exercé leur profession
dans le ressort du bureau d'aide juridictionnelle concerné, du directeur départemental des finances
publiques ou son représentant, du directeur départemental de la cohésion sociale et de la protection
des populations ou son représentant, d’un membre désigné au titre des usagers (article 19 du décret
précité). Ces membres ne sont appelés à siéger qu’en cas de réunion d’une commission pour les
dossiers difficiles.
Selon le recensement effectué par le rapport parlementaire précité, les trois quarts des 169
Baj comptent moins de 3 ETP, 59 % moins de 2 ETP et 28 % moins d’1 ETP.
23
La demande d’AJ peut être déposée soit avant le début de la procédure, soit pendant. Elle peut aussi
être demandée une fois la décision de justice rendue, en vue d’obtenir son exécution en cas de difficultés.
24
Note de service de la direction des services judiciaires, octobre 2021.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
18
Le Baj peut accorder l’aide juridictionnelle totale ou partielle, ou la refuser. Le tableau
ci-après montre une stabilité du nombre de rejets, qui représentent sur la période sous revue
environ 7 % des décisions rendues.
Ces décisions sont susceptibles de recours. En 2021, 10 549 décisions ont été notifiées
suite à des recours à l’encontre des décisions rendues par les Baj (en général des rejets) : dans
près d’un cas sur deux, la décision de rejet est confirmée
25
. L’aide peut aussi, une fois accordée,
être retirée en totalité ou en partie, pour fraude, procédure abusive, ou augmentation des
ressources ou de la valeur du patrimoine mobilier ou immobilier. Toute personne admise à l'aide
juridictionnelle en conserve de plein droit le bénéfice pour se défendre en cas d'exercice d'une
voie de recours
26
.
L’aide juridictionnelle provisoire peut être accordée par la juridiction, en cas d’urgence,
selon l’article 20 de la loi de 1991. Le nombre de décisions d’aide juridictionnelle provisoire
n’est pas connu au niveau national, ce qui empêche d’en assurer le suivi à ce niveau afin vérifier
qu’elles sont instruites pour les confirmer ou non, les retirer et, le cas échéant, procéder au
recouvrement.
Après la très forte montée en puissance relevée par la Cour des comptes lors de son
précédent contrôle
27
, le nombre des décisions d’admission est désormais relativement stable.
Le pourcentage d’aide juridictionnelle partielle reste faible, ce que le rapport de la Cour de 2016
constatait déjà.
25
La nature de ces décisions est la suivante ; 4 756 rejets ; 2 407 AJ partielle ; 3 312 AJ totale ; 34 retraits
; 40 désistements.
26
Si la juridiction saisie d'un litige pour lequel le bénéfice de l'aide juridictionnelle a été accordé est
incompétente, ce bénéfice subsiste devant la nouvelle juridiction appelée à connaître du litige, sans qu'il soit besoin
d'une nouvelle admission.
27
Le nombre de décisions est ainsi passé de moins de 350 000 en 1991 à plus de 910 000 en 2010.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
19
Tableau n° 4 :
Nature des décisions d’AJ sur la période 2017-2021
2017
2018
2019
2020
2021
Nombre total d'admissions
à l'AJ
985 110
990 436
1 027 151
865 987
925 170
dont admissions à l’aide
partielle
77 291
77 761
79 367
67 577
66 719
part des admissions
partielles
7,20 %
7,21 %
7,21 %
7,21%
7,21%
dont admissions à l'aide
totale
907 819
912 675
947 784
798 320
858 451
Nombre de rejets
79 625
82 821
85 500
70 536
71 884
Autres
décisions
(caducité, retraits)
67 846
66 512
67 179
55 955
72 644
Nombre total de décisions
1 132 581
1 139 769
1 179 830
992 478
1 069 698
Source : Sadjav
Les décisions concernent majoritairement des contentieux civils. Leur part dans
l’ensemble des demandes évolue peu.
Tableau n° 5 :
Nombre d’admissions à l’AJ par domaine
2017
2018
2019
2020
2021
Civil (hors entrée et séjour
des étrangers JLD)
486 258
482 923
480 966
420 900
444 977
Pénal
403 727
396 822
423 499
350 438
380 612
Administratif
60 967
72 079
80 776
72 979
79 734
Entrée
et
séjour
des
étrangers en matière civile
(hors JLD)
33 898
37 407
38 147
21 051
17 529
Autres
260
1 205
3 763
529
2 318
Total
985 110
990 436
1 027 151
865 897
925 170
Source : Sadjav
Selon le rapport parlementaire précité, les contentieux les plus représentés sont les
divorces qui, toutes procédures confondues (divorce devant le juge, divorce par consentement
mutuel et procédures après divorce devant le juge aux affaires familiales) comptent pour 17,3 %
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
20
du total. En matière pénale, les affaires sont essentiellement correctionnelles (31,6 %) et les
procédures administratives, minoritaires dans l’ensemble, naissent surtout dans le cadre du
contentieux des étrangers.
Moins fréquentes, ces procédures administratives sont traitées dans un cadre spécifique
via
des sections administratives constituées au sein des Baj des juridictions judiciaires ce qui
peut conduire à des navettes entre la juridiction judiciaire et la juridiction administrative
28
.
Un rôle à clarifier
Le traitement de la demande d’aide juridictionnelle vise à vérifier si les conditions
d’éligibilité du demandeur sont remplies. Tenus au secret professionnel, les agents du Baj
peuvent, selon l’article 21 de la loi,
« recueillir tous renseignements permettant d'apprécier
l'éligibilité de l'intéressé
». Si la nature de leur décision a pu être discutée
29
, c’est aujourd’hui
la question de leur valeur ajoutée qui a été posée de manière explicite dans le cadre des
réflexions menées lors des états généraux de la justice.
La réforme des critères d’éligibilité a en effet simplifié le rôle des Baj qui auparavant
devaient vérifier les conditions de ressources
via
des seuils. Leur rôle en la matière se limite
aujourd’hui à deux vérifications : la condition de patrimoine et l’existence d’une assurance qui
pourrait se substituer à l’aide juridictionnelle. Dans les deux cas, leur contrôle porte sur des
données fournies par les demandeurs.
Le caractère seulement déclaratif tant de l’existence d’une assurance de protection
juridique que du montant du patrimoine est un facteur de possible attribution indue de l’aide.
L’impératif de célérité de traitement des dossiers peut empêcher une instruction suffisante sur
l’exactitude de la valeur du patrimoine déclarée comme de l’absence d’assurance. Les
documents fiscaux peuvent permettre de constater des revenus du capital de nature à susciter
des investigations complémentaires de la part des services du Baj. Par exemple, un jugement
du tribunal de commerce du 13 décembre 2022 permet de constater de possibles stratégies
d’évitement par les justiciables. Dans ce cas d’espèce, l’intéressé avait obtenu des décisions
favorables pour plus de vingt demandes d’aide juridictionnelle sur plusieurs procédures.
Plus généralement, bien que disposant d’un accès aux données fiscales et assurantielles,
les BAJ ne procèdent pas systématiquement aux vérifications des déclarations des justiciables.
28
En cas de contentieux administratif – à l’exception de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et du
Conseil d’État -, le justiciable peut déposer sa demande soit au Baj de la juridiction administrative, soit à celui de
la juridiction judiciaire. En fonction des conventions étables entre les deux juridictions, les demandes d’AJ
déposées devant le Baj la juridiction administrative peuvent être traitées par la section administrative au sein des
Baj des juridictions judiciaires impliquant des transferts de dossiers non dématérialisés entre les deux juridictions,
à l’origine d’un allongement des délais de traitement des demandes.
29
Ni la loi ni le décret ne définissent la nature juridique de la décision prise par le Baj sur une demande
d’AJ. Les textes déterminent les compétences des juridictions en cas de recours. Seule la jurisprudence permet
d’esquisser une définition. Ainsi la Cour de cassation avait jugé irrecevable une demande d’avis d’un Baj (Avis
C. cass. 0930010 du 9 janvier 1993) au motif que celui-ci n’est pas une juridiction. Récemment, par une décision
du 29 novembre 2022 (Décision n° 443735), le Conseil d’État a jugé que les décisions d’AJ ont le caractère de
« décisions d’administration judiciaire ». Ce faisant, il semble exclure que ces décisions soient soumises aux
exigences concernant les décisions administratives classiques.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
21
Cette difficulté à vérifier les critères qui subsistent et l’automaticité liée au nouveau
critère fiscal ont conduit à proposer lors des états généraux de la justice, dans le cahier
spécifique « statuts et mission »
30
la suppression des Baj et la mise en place d’une procédure
d’attribution de l’AJ via la déclaration des revenus auprès des services fiscaux. Même si la
commission Sauvé n’a pas retenu cette proposition, elle invite à la réflexion sur l’évolution
souhaitable des Baj.
Dégagés des missions chronophages qu’ils exerçaient auparavant en matière
d’éligibilité du demandeur, les Baj pourraient aujourd’hui se recentrer sur un rôle
d’appréciation de la demande. Deux articles la loi de 1991 leur laissent en effet des marges
d’appréciation : la possibilité de déroger aux conditions de ressources (article 6) et celle de
refuser l’aide même en cas de respect des critères (article 7).
Il est cependant difficile de porter une appréciation sur la mise en
œ
uvre de ces
dispositifs car il n’existe pas de données statistiques globales.
S’agissant de la mise en
œ
uvre de l’article 6, une enquête ponctuelle a été réalisée en
2020 auprès de l’ensemble des Baj. Le nombre d’admissions à l’aide juridictionnelle sur
dérogation aux conditions de ressources était en 2019 d’environ 38 000, dont 97 %
d’admissions totales et 3 % d’admissions partielles. Le tableau ci-dessous présente les
principales procédures et situations dans lesquelles les Baj ayant répondu à l’enquête ont mis
en
œ
uvre l’article 6. Il apparaît qu’ils n’utilisent cette disposition que dans un faible nombre de
situations, dont une partie est désormais couverte par l’AJ garantie.
Tableau n° 6 :
Application de la dérogation sur la condition de ressources
(article 6 de la loi sur l’AJ) en 2019
Situation
Part des BAJ répondant ayant
accordé l’AJ garantie pour ces
situations
Procédures particulières
Victimes de violences conjugales notamment demandeurs
d’une ordonnance de protection
53,2 %
Personnes ayant bénéficié de l’AJ au titre de l’article 9-2
pour une procédure criminelle qui a été correctionnalisée
44,7 %
Personne faisant l’objet d’une hospitalisation sous
contrainte
38,3 %
Mineurs faisant l’objet d’une mesure d’assistance
éducative
40,4 %
Mineurs en matière pénale si défaut d’intérêt manifeste
des parents
46,8 %
Situation des requérants
Plafond de ressources dépassé de peu
53,2 %
30
Le groupe de réflexion proposait de recentrer les moyens des BAJ sur les
services d’accueil uniques du
justiciable pour éviter pour les plus précaire l’effet du « tout numérique »
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
22
Situation
Part des BAJ répondant ayant
accordé l’AJ garantie pour ces
situations
Procédure qui risque d’engendrer des frais importants
(expertise médicale etc.)
34 %
Le requérant dispose d’un patrimoine immobilier mais
celui-ci ne peut pas être mobilisé (indivision etc.).
31,9 %
Source : Sadjav
Des disparités importantes ont été notées, certains Baj recourant très peu à cet article,
contrairement à d’autres. Le Sadjav indique que divers éléments peuvent expliquer cette
situation : volumétrie de dossiers traités par le Baj, localisation du tribunal judiciaire avec par
exemple présence ou non d’un hôpital psychiatrique à proximité, caractéristiques socio-
économiques de la population locale, etc. Il précise aussi que la mise en
œ
uvre du
Siaj
(cf.
infra
)
permettra un décompte des dossiers dans lesquels cet article est appliqué, ce qui facilitera pour
l’avenir un suivi statistique plus fin
31
.
L’article 7 permet quant à lui de rejeter une demande d’AJ, si elle est manifestement
irrecevable, dénuée de fondement ou abusive en raison notamment du nombre de demandes
déjà formulées, de leur caractère répétitif ou systématique. Mais il est peu appliqué comme le
montrent les données fournies à la Cour.
Tableau n° 7 :
Application de l’article 7 de la loi sur l’AJ
2017
2018
2019
2020
2021
Nombre de rejets au titre de l'article 7
5 246
6 130
6 069
5 374
5 783
Part des rejets fondés sur l'article 7 dans le
total des rejets
6,59 %
7,40 %
7,10 %
7,62 %
8,04 %
Part des rejets fondés sur l'article 7 dans le
total des décisions
0,46 %
0,54 %
0,51 %
0,54 %
0,54 %
Source : Sadjav
Selon le Sadjav, cette situation vient de ce que la mise en
œ
uvre de l’article 7 demande
une instruction préalable, qui serait difficilement compatible avec les impératifs de traitement
rapide des dossiers et nécessiterait davantage de magistrats dans les Baj. Cette analyse
mériterait d’être étayée par un diagnostic précis, diagnostic qu’il est difficile d’établir
aujourd’hui faute de données consolidées et fiables sur le fonctionnement de ces bureaux
(cf.
infra
).
31
Ainsi, depuis l’ouverture de
Siaj
en mars 2021 et jusqu’au 2 septembre 2021, 1358 décisions
d’admission ont été rendues au visa de l’article 6 sur un total de 59 133 décisions d’admission à l’AJ, ce qui
correspond à 2,2 % des décisions.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
23
La simplification opérée par la loi de finances pour 2020, avec le critère du revenu fiscal
de référence, en dégageant les Baj du travail d’instruction sur l’éligibilité devrait permettre au
Baj disposer de plus de ressources pour appliquer les dispositions de l’article 7 et jouer ainsi un
rôle de « filtre », peu investi à ce jour. Le ministère de la justice gagnerait à mobiliser les
bureaux d’aide juridictionnelle sur cette mission et à leur donner les directives nécessaires pour
la mener à bien.
Des lignes directrices à fixer, un pilotage insuffisant
La spécificité du positionnement des Baj impose qu’une politique d’animation soit mise
en
œ
uvre de manière coordonnée par la chancellerie. Ceci leur permettrait de devenir les acteurs
identifiés d’une véritable politique de juridiction.
1.3.3.1
Une présence insuffisante de l’administration centrale auprès des Baj
Deux acteurs interviennent en administration centrale pour définir le cadre de l’action
des Baj en matière d’aide juridictionnelle : le Sadjav, service du secrétariat général du ministère
de la justice, et la direction des services judiciaires (DSJ).
Le Sadjav prépare les lois et règlements relatifs à l’aide juridictionnelle, à l’accès au
droit et à l’aide aux victimes. Il conçoit et coordonne les actions menées dans ces domaines. Il
contribue à la mise en
œ
uvre des politiques permettant un égal accès au droit et à la justice et
au développement des modes de règlement amiable des litiges, notamment en matière de
médiation. Il anime la politique du ministère à l’égard des associations. Dans son champ de
compétence, il est associé à l’élaboration des conventions internationales et en assure la mise
en
œ
uvre. Il prépare le budget de l’aide juridictionnelle, en assure le suivi et en gère les crédits.
Sa mission en matière d’aide juridictionnelle est donc essentielle puisqu’elle est à la fois d’ordre
normatif, budgétaire et financier. Mais son rôle de pilotage est limité par le positionnement des
Baj.
En tant que services constitués au sein des juridictions, ils sont sous l’autorité des chefs
de leur juridiction de rattachement. C’est à ces chefs de juridiction qu’il revient de déterminer
leurs règles d’organisation et de leur allouer des moyens pour fonctionner au quotidien, dans le
respect des arbitrages et allocations qui relèvent du dialogue de gestion entre la direction des
services judiciaires et les chefs de cour. Ce schéma d’organisation est d’autant plus délicat à
piloter que la DSJ ne dispose pas des outils lui permettant de porter un diagnostic sur les
conditions effectives de fonctionnement des Baj (cf.
infra
).
Le ministère a indiqué travailler actuellement à un meilleur pilotage dans le cadre de
« diagnostics organisationnels ». Sur saisine des chefs de cour, ces diagnostics viseraient à
apporter l’appui de l’administration centrale en vue d’optimiser l’organisation d’un service en
particulier ou d’une chaîne de traitement Le ministère n’a cependant pas donné date pour la
mise en
œ
uvre de ces diagnostics.
Ces diagnostics doivent être saisis comme l’occasion, pour la DSJ et le Sadjav de mieux
se coordonner en vue de mettre en place les outils de pilotage qui font aujourd’hui défaut. Ceci
leur permettrait d’identifier les spécificités des organisations retenues et les difficultés
rencontrées par certains Baj et de définir les lignes directrices d’une politique en matière d’aide
juridictionnelle.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
24
1.3.3.2
Des lignes directrices à fixer, une politique à définir
La réforme des critères d’éligibilité à l’aide juridictionnelle ayant permis de décharger
les Baj d’une mission de vérification des ressources des demandeurs, le ministère de la justice
doit clarifier le rôle qu’il entend leur faire jouer en tant qu’entité rattachée à une juridiction.
Pour les aider à se repositionner sur le contrôle de l’examen du sérieux de la demande au regard
de considérations véritablement juridictionnelles, une doctrine d’action gagnerait à être établie
par la chancellerie. Elle gagnerait à fixer des lignes directrices que les Baj pourraient décliner
localement en fonction des spécificités locales. Cette doctrine pourrait se fonder notamment sur
l’examen des bonnes pratiques en termes d’organisation mais aussi de critères à prendre en
considération en vue de mettre pleinement en
œ
uvre les articles 6 et surtout 7 de la loi de 1991.
Cette démarche permettrait d’introduire une réflexion qui n’est aujourd’hui pas conduite
sur un possible ajustement du périmètre de l’aide juridictionnelle. Sans revenir sur la
philosophie universelle retenue par le législateur, il pourrait ainsi être envisagé de créer des
seuils d’accès à l’aide juridictionnelle en fonction des enjeux financiers d’une affaire, par
exemple en matière de demande de pension alimentaire. Ce type de conditionnalité existe dans
plusieurs États, comme les travaux précités de la Cepej mais aussi des institutions européennes
le montrent
32
.
La situation de l’Allemagne et du Royaume-Uni pourrait aussi être étudiée. Ces deux
pays ont une approche plus restrictive que la France, ciblant l’aide juridictionnelle soit sur les
contentieux spécifiques, de nature pénale, au Royaume-Uni, ayant une chance d’aboutir en
Allemagne. Au Royaume-Uni, deux lois, en 2012 et 2013, ont ainsi réduit le champ de l’aide
juridictionnelle en matière civile. Sauf en cas de discrimination, les contentieux liés au droit du
travail n’entrent plus dans le champ de l’aide juridictionnelle. Le référé de la Cour des comptes
de décembre 2016 avait formulé une recommandation visant un même objectif, en proposant
d’introduire en matière civile, en appel, des critères plus rigoureux tenant au bien-fondé de la
procédure et à la proportionnalité de l'enjeu à la demande.
La définition d’une politique en matière d’aide juridictionnelle s’impose d’autant plus
que le garde des sceaux a affirmé sa volonté de promouvoir une nouvelle politique de l’amiable
en matière civile. Fondée notamment sur le constat critique dressé par les états généraux de la
justice, cette volonté est cohérente avec l’objectif évoqué par le conseil national de l’aide
juridique (CNAJ). Dans une note de janvier 2022
33
, celui-ci retenait l’objectif de favoriser le
recours aux modes alternatifs de règlement des différends (MARD) tout en garantissant la
bonne utilisation des fonds publics. Ceci rejoint la recommandation de la Cour des comptes
dans son rapport de 2021 sur la réforme du divorce. Elle avait appelé à une extension, après
étude d’impact, de la majoration prévue par le texte d’application de l’aide juridictionnelle aux
médiations extra-judiciaires.
Conformément à ces recommandations et dans la perspective des réformes à venir,
l’aide juridictionnelle pourrait permettre de solvabiliser les procédures de médiation, ce qui
aura un coût. Elle pourrait aussi contribuer à orienter vers ce type de démarche en devenant un
outil de filtrage des requêtes introduites en première instance comme en appel. Ceci permettrait
aux Baj de devenir les acteurs d’une véritable politique de juridiction qu’ils sont d’autant plus
à même de définir qu’ils en regroupent les intervenants. Le ministère de la justice a dans ce
32
Portail e-justice
, qui donne des informations par pays.
33
L’indemnisation des auxiliaires de justice intervenant au titre de l’aide juridique, étude du 12 janvier
2022.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
25
cadre constitué un groupe de travail transversal sur les procédures de médiation en mai 2023,
associant la DSJ, le Sadjav, le service des finances et des achats ainsi que la direction du budget.
Une telle évolution rendra encore plus nécessaire la coordination des services chargés
d’informer les justiciables et de les orienter vers les Baj, coordination dont le contrôle de la
Cour a montré qu’elle reste aujourd’hui insuffisante.
1.3.3.3
Une coordination et une information des services facilitant l’accès au juge à
renforcer
Le nombre de services ayant pour objet de faciliter l’accès au droit, et, plus
indirectement, au juge, témoigne d’une volonté des pouvoirs publics de renforcer cet accès.
Outre les Baj, les services d’accueil uniques du justiciable (Sauj), les conseils départementaux
de l’accès au droit (CDAD), les bureaux d’aide aux victimes, ou encore les points d’accès au
droit, comme les maisons
France service
apportent des informations aux demandeurs.
Les 101 CDAC et les trois conseils de l’accès au droit (CAD) mettent en
œ
uvre la
politique publique d’aide à l’accès au droit au niveau d’un département ou d’un territoire et
proposent gratuitement des conseils et informations juridiques. Des permanences sont
organisées au sein des 2 080
point-justice
34
, dont 148 maisons de la justice et du droit (MJD)
réparties sur l’ensemble du territoire. Les
point-justice
informent les usagers quant à la
procédure à respecter pour formuler une demande d’aide juridictionnelle et peuvent les aider à
remplir leur dossier. Ainsi en 2021, les 148 MJD ont reçu 28 582 personnes pour une aide aux
démarches juridiques, ce qui inclut l’aide à la constitution de dossiers d’aide juridictionnelle.
Localement, certains CDAD et MJD sont davantage impliqués dans le fonctionnement de l’aide
juridictionnelle, par exemple lorsque le secrétaire général du CDAD assure aussi la direction
du bureau d’aide juridictionnelle local.
À ces services s’ajoutent des associations : par exemple,
France victimes
consacre une
partie de ses travaux à une information et une aide aux intéressés en matière d’aide
juridictionnelle.
Néanmoins, ces nombreux services et associations ne disposent pas d’une information
suffisamment claire et à jour pour remplir leur mission d’information aux demandeurs sur le
rôle des Baj et l’accès à l’aide juridictionnelle. Le ministère indique travailler actuellement à
renforcer l’exactitude des informations délivrées : une fois le nouveau système d’information
pleinement déployé, il estime qu’une une information «
claire et à jour
» sera disponible sur
les sites « justice.gouv » et « justice.fr » avec accès au Siaj par tous les supports numériques
d’ici fin 2023.
34
Depuis décembre 2020, l’appellation
point-justice
réunit tous les lieux d’accès au droit pilotés par les
101 conseils départementaux de l’accès au droit et conseils de l’accès au droit (maisons de justice et du droit,
points et relais d’accès au droit et antennes de justice). Ce changement qui s’applique également aux lieux d’accès
au droit implantés dans les
France Services
, a pour objectif de rendre ce réseau plus lisible et plus visible pour les
usagers (au 1
er
octobre 2021, 1 745 structures fixes ou mobiles ont été labellisées
France Services
). Rapport du
CNAJ janvier 2022.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
26
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
Soutien apporté aux personnes plus démunis afin de garantir leur accès au juge, l’aide
juridictionnelle a vu son périmètre élargi par de nombreuses évolutions législatives et
règlementaires au cours de ces dernières années. L’adoption du critère du revenu fiscal de
référence pour vérifier les conditions d’éligibilité a permis une simplification des règles
d’attribution qui devrait permettre de remobiliser les Baj sur leur mission d’expertise sur le
bien-fondé des demandes.
Acteurs essentiels de l’aide juridictionnelle, ils doivent, dans ce rôle, bénéficier du
soutien de la chancellerie. Le Sadjav comme la DSJ doivent impérativement renforcer leur
capacité d’animation et de pilotage en la matière et veiller à mieux coordonner et informer
l’ensemble des structures chargées d’accueillir et d’orienter les justiciables.
Recommandation n° 1
(DSJ, SG du ministère de la justice) Renforcer le pilotage des
bureaux d’aide juridictionnelle, définir une politique d’attribution de l’aide juridictionnelle
et la décliner au sein des juridictions.
Recommandation n°2
(DSJ, SG du ministère de la justice) : Diffuser une information
claire et à jour sur l’accès à l’aide juridictionnelle à l’intention du public et des services et
associations concernés.
2
DES DEPENSES EN CONSTANTE AUGMENTATION
L’aide juridictionnelle est financée par le programme 101- accès au droit et à la justice
- de la mission
Justice
35
dont elle constitue la principale action. L’aide juridictionnelle ne se
limite pas aux juridictions judiciaires du périmètre de la mission
Justice
, mais elle inclut
également l’aide juridictionnelle relative aux juridictions administratives : tribunaux
administratifs, cours administratives d’appel, Conseil d’État et Cour nationale du droit d’asile.
Le budget du programme 101 est en constante augmentation alors même que ses coûts
de gestion sont mal identifiés et ses indicateurs de performance peu fiables.
35
Le programme 101 comprend également l’action 2 - développement de l'accès au droit et du réseau
judiciaire de proximité, l’action 3 - aide aux victimes, l’action 4 - médiation familiale et espaces de rencontre et
l’action 5 - indemnisation des avoués. En 2022, la LFI prévoit un budget de 12,26 M
pour l’action 2, 40,28 M
pour l’action 3, 12,29 M
pour l’action 4 et aucun budget pour l’action 5.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
27
2.1
Un budget en constante augmentation de 2017 à 2022
Les dépenses consacrées à l’aide juridictionnelle sont des dépenses de titre 6 - dépenses
d’intervention-, qui sont des aides publiques mises en place par l’État afin de garantir l’accès à
la justice à tous les citoyens, en prenant en charge tout ou partie de la rétribution des auxiliaires
de justice, essentiellement les avocats
36
. Les dépenses d’aide juridictionnelle financent aussi les
conventions locales relatives à l’aide juridique - CLAJ - (V.
infra
). Leur répartition pour 2022
illustre la part prépondérante de l’aide juridictionnelle au sens strict.
Graphique n° 1 :
Répartition du budget alloué à la brique aide juridictionnelle en 2022, en M
Source : Ministère de la justice
L’augmentation du budget et la fin des financements extra-budgétaires
L’aide juridictionnelle est une dépense de guichet car l’aide est due dès lors que la
demande répond aux critères d’éligibilité, sans être conditionnée par la disponibilité des crédits
budgétaires Sur la période sous contrôle, les dépenses n’ont cessé d’augmenter. Elles ont ainsi
progressé de 84 % entre 2017 et 2022, passant de 342,4 M
à 629,8 M
en exécution, soit une
augmentation moyenne annuelle de 13 %.
36
La rétribution des autres auxiliaires de justice, commissaires de justice, notaires, experts, médiateurs,
est marginale.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
28
Graphique n° 2 :
Dépenses d’AJ entre 2017 et 2022 (programmation et exécution), en M
Source : Ministère de la justice
Jusqu’en 2019, l’aide juridictionnelle était financée par le budget de l’État et par deux
ressources extrabudgétaires (83 M
en 2019) prélevées sur la taxe spéciale sur les contrats
d’assurance (TSCA) appliquée aux contrats d'assurance de protection juridique (pour 45 M
),
et sur le produit de certaines amendes pénales (pour 38 M
). La loi de finances pour 2020 ayant
réintégré ces deux prélèvements dans les recettes du budget général de l’État, elles ne sont plus
affectées au financement de l’aide juridictionnelle. La suppression de ce financement
extrabudgétaire n’a pas conduit à une augmentation à due concurrence des crédits affectés à
l’aide juridictionnelle. L’abondement n’a été que de 61 M
. Le Sadjav explique cet écart pour
partie par une baisse de la dépense prévisionnelle à hauteur de 13 M
.
En 2020, la consommation de crédits est exceptionnellement en net recul par rapport à
la loi de finances initiale et la sous-exécution s’accentue par rapport aux exercices précédents,
en raison, d’une part de la grève des avocats en début d’année, reportant ainsi la tenue des
audiences, et, d’autre part de la crise sanitaire qui a entrainé la fermeture des juridictions ou le
ralentissement de leur fonctionnement.
-
En revanche, l’année 2021 est marquée par une consommation supérieure des crédits par
rapport à la prévision de la LFI (+ 8 M
), liée pour partie à des réformes ayant des impacts
budgétaires.
En 2022, la dynamique des dépenses est accentuée par la poursuite des procès liés aux
attentats terroristes de 2015 et 2016 et le nombre important de parties civiles qui se sont
déclarées lors de l’audience (cf.
infra
).
Ainsi, les années 2017 à 2022 s’inscrivent dans un mouvement de forte augmentation
des dépenses d’aide juridictionnelle. Plusieurs facteurs participent à cette évolution :
-
l’extension de l’aide juridictionnelle à certains types d’affaires, comme les audiences pour
les personnes faisant l’objet de soins sans consentement pour lesquelles la présence d’un
avocat est obligatoire, ou certains cas de médiation ;
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
29
-
la révision des règles d’éligibilité ;
-
la modification des barèmes conduisant à une augmentation du nombre d’UV rétribués pour
certaines procédure (cf.
supra
) et à une revalorisation du montant de l’UV, qui passe de
32
à 34
HT ;
-
le développement des conventions locales d’aide juridictionnelle (CLAJ) (cf.
infra
) ;
-
et, de façon conjoncturelle, la tenue des procès liés aux attentats terroristes.
La relative stabilité du nombre d’admissions sur la période
37
montre que l’augmentation
du coût de l’AJ résulte avant tout de celle de la rétribution moyenne des avocats par dossier.
Une prévision budgétaire remise en cause par la crise sanitaire
La prévision budgétaire de l’aide juridictionnelle doit tenir compte de nombreux
facteurs et d’inconnues (cf.
infra
) qui peuvent avoir un fort impact.
Jusqu’à la crise sanitaire, le ministère se basait uniquement sur l’évolution tendancielle
suivante afin de déterminer le budget : «
la dynamique de la dépense d’AJ une année donnée
se forme par accumulation des dynamiques d’activité des juridictions sur les cinq années
précédentes. En effet, les missions d’AJ ne sont payées aux avocats qu’à la fin de chaque
procédure (sauf cas exceptionnel des grands procès terroristes), or si un peu moins de la moitié
des procédures sont fermées et payées dès l’année de leur ouverture, environ une sur cent ne
l’est que cinq années plus tard
. » Or, la crise sanitaire a perturbé ce schéma et il a fallu
compléter la méthode antérieure afin de simuler l’« écoulement » des dossiers d’aide
juridictionnelle à partir de l’activité observée des juridictions en y ajoutant des hypothèses
d’activité pour le futur. À l’évolution tendancielle peuvent s’ajouter des « surcoûts » liés par
exemple aux procès des attentats terroristes de Paris et de Nice, mais également à la prise en
compte des augmentations du montant des UV.
En 2021, le ministère a mis en place une maquette de simulation du mécanisme de
formation pluriannuelle, pour remplacer la méthode utilisée jusque-là, mais devenue obsolète
avec la crise sanitaire.
Les projections ainsi effectuées prévoient un budget de 863 M
en 2027, soit une
évolution de 61,6 % par rapport à 2017, et de 40 % sur la seule période 2017-2022, dans le
prolongement de la forte croissance constatée sur longue période. La direction du budget précise
cependant que ces projections sont par nature incertaines et ont d’ailleurs déjà été revues à la
baisse.
Les admissions et les dépenses concentrées sur le contentieux civil
Les deux graphiques ci-dessous montrent qu’entre 2017 et 2022, les affaires civiles
représentent 52 % du nombre d’admissions à l’aide juridictionnelle, contre 8 % pour le
37
En ne tenant pas compte de l’année 2020, le nombre d’admissions par an est situé sur la période 2017-
2021 entre 925 000 et 1 027 000 (cf.
supra
), les données de l’année 2022 n’étant pas encore disponibles.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
30
contentieux administratif et 40 % pour le domaine pénal. Les affaires civiles concentrent
également les montants payés, puisqu’elles représentent 60 %, de la dépense, contre 11 % pour
le contentieux administratif et 29 % pour le domaine pénal.
Graphique n° 3 :
Nombre d’admissions totales et partielles à l’aide juridictionnelle par type de
contentieux
Source : Ministère de la justice
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
31
Tableau n° 8 :
Répartition des contentieux par matière/service
Source : Ministère de la justice
Graphique n° 4 :
Répartition des dépenses par type de contentieux, en
Source : Ministère de la justice
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
32
En rapportant les montants payés aux nombres d’admissions, le montant de l’aide
juridictionnelle accordée au civil pour une affaire est plus élevé que pour le pénal
38
.
2.2
Des coûts de gestion comptabilisés majoritairement sur d’autres
programmes
La masse salariale des agents exerçant dans les Baj des tribunaux judiciaires, rattachés
au programme 166 –
justice judiciaire
, constitue l’essentiel des coûts de gestion de l’aide
juridictionnelle. Selon les données produites à la Cour, entre 2017 et 2022, elle aurait diminué
de 40 %, passant de 15,2 M
à 9,8 M
, en raison de la baisse dans une proportion similaire du
nombre d’ETPT comptabilisés au titre de l’aide juridictionnelle.
Tableau n° 9 :
Masse salariale des agents des Baj entre 2017 et 2022 (en M
)
2017
2018
2019
2020
2021
2022
15,2
14,1
13,2
11,8
10,3
9,8
Source : Cour des comptes d’après les données du Sadjav
169 ETPT ont été comptabilisés en 2022, avec une très forte diminution des agents de
catégorie B au profit des greffiers et des agents de catégorie C.
38
Les deux tableaux ne sont pas corrélés. En effet, les admissions accordées sur la période ne
correspondent pas obligatoirement aux paiements effectués sur la même période, puisque les admissions sont en
général accordées en au commencement des affaires et les paiements sont réalisés en fin de mission. De plus, les
avocats ont quatre ans pour déposer leur attestation de fin de mission.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
33
Graphique n° 5 :
Effectifs* des agents en charge de l’AJ (en ETPT**)
Source : Cour des comptes d’après données du Sadjav
Notes : *
Hors ETPT du Sadjav et des juridictions administratives.
** la catégorie MIN10HPSOP correspond aux ETPT consommés sur les ressorts dont la paie est effectuée hors
paiement sans ordonnancement préalable. Cela concerne les ressorts de Papeete, Nouméa et Saint-Pierre et
Miquelon. Dans ce cadre, la répartition des ETPT est déclarative.
Le ministère explique cette diminution par le fait que l’identification de la sous-action
utilisée dans
Chorus
reste soumise à des aléas importants en raison de la règle de l’affectation
majoritaire. Celle-ci a pour conséquence qu’une personne ne peut être affectée dans
Chorus
qu’à une seule sous-action, même si elle participe à plusieurs d’entre elles. À titre d’exemple,
un agent est comptabilisé comme travaillant intégralement pour une sous-action si son temps
de travail affecté à cette sous-action dépasse 50 %.
Il est peu vraisemblable que ce mode de comptabilisation, qui n’est pas nouveau,
explique à lui seul l’importante diminution des ETPT sur une courte période. Il est plus
vraisemblable de penser que les données transmises ne sont pas exactes, car sur la période sous
contrôle, le nombre de demandes d’aide juridictionnelle a augmenté et le déploiement du
nouveau système d’information, qui doit permettre l’automatisation du traitement d’une
majorité de demandes, n’était pas encore engagé.
Par ailleurs, les magistrats honoraires, qui assurent souvent la direction des Baj, ne sont
pas comptabilisés comme y étant affectés, car ils relèvent d’un mode de gestion différent de
celui des autres agents des juridictions
39
. Il en est de même lorsque la direction du Baj est
assurée, à titre accessoire, par le président du tribunal judiciaire, puisqu’il ne s’agit pas de son
affectation majoritaire.
L’analyse de l’évolution des moyens humains consacrés à l’aide juridictionnelle est
donc difficile à effectuer au vu de ces réserves méthodologiques.
Le secrétariat général du ministère précise qu’une analyse d’impact doit être menée avec
la DSJ courant 2023 pour mesurer finement les gains consécutifs à la dématérialisation du
traitement des demandes avec le déploiement du
Siaj
. Elle devra aussi prendre en compte la
gestion du recouvrement de l’AJ-garantie (cf.
infra
), qui devrait être mise en place en 2023 et
devrait générer une nouvelle charge de travail pour les bureaux d’aide juridictionnelle. Par
39
Le Sadjav n’est pas en capacité de connaître leur imputation.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
34
ailleurs, un décret de réduction du nombre de Baj, par regroupement de ceux-ci, est envisagé
(cf.
infra
). Cette réforme devrait être l’occasion de mieux identifier les moyens effectivement
alloués aux Baj, qui restent pour l’instant mal connus
Difficile à appréhender, la masse salariale correspondante n’est pas le seul coût de
gestion de l’aide juridictionnelle. La masse salariale des agents du Sadjav, imputée sur le
programme 310 –
conduite et pilotage de la politique de la justice
est aussi à prendre en
considération. En 2022, l’effectif se compose de huit agents pour le bureau de l’aide
juridictionnelle (1A+, 6 A et 1 B), auxquels il faut ajouter six agents de l’équipe métier pour le
Siaj
. En outre, les effectifs et la masse salariale des agents chargés de l’aide juridictionnelles
dans les juridictions administratives ne sont pas connus. Ces coûts sont imputés sur le
programme 165
– Conseil d’État et autres juridictions administratives
.
À la masse salariale s’ajoutent enfin les coûts informatiques, qui relèvent également du
programme 310. Ils sont constitués par les coût liés, d’une part, au développement du nouveau
système d’information,
Siaj,
qui s’élèvent sur la période à 6,44 M
, hors masse salariale des
équipes internes du secrétariat général (cf.
infra
), et, d’autre part, à la maintenance de
l’application
Ajwin
actuellement utilisée, qui ne pourra être décommissionnée que lorsque le
déploiement du
Siaj
sera achevé et que les dossiers enregistrés sur
Ajwin
seront clôturés, c’est-
à-dire qu’il aura été statué sur les demandes d’attribution. Le coût de cette maintenance s’élève
à 0,26 M
sur la période 2017-2022.
Enfin, l’union nationale des Carpa (Unca), qui gère le versement de l’AJ aux avocats,
bénéficie d’une subvention annuelle, à laquelle sont venues s’ajouter deux subventions
exceptionnelles, pour un total de
1 275 000
entre 2017 et 2022 (cf.
infra
§ 3.1.1.4). Ces
subventions sont imputées sur le programme 101 - accès au droit et à la justice.
2.3
Des indicateurs de performance insuffisants
Le projet annuel de performance du programme 101 comporte quatre indicateurs relatifs
à l’aide juridictionnelle (action 1) : le délai de traitement des demandes d’admission, le coût du
traitement des demandes d’admission, le taux de mise en recouvrement, et la part des demandes
d'aide juridictionnelle déposées et traitées par voie dématérialisée, indicateur ajouté en 2021,
en lien avec le déploiement de
Siaj
.
Ces indicateurs sont rattachés à deux objectifs : favoriser l'accès de tous au droit et à la
justice et garantir l'efficience du dispositif d'aide juridictionnelle.
Le coût de traitement d’une décision d’aide juridictionnelle
L’indicateur relatif au coût de traitement d’une décision d’AJ se calcule en rapportant
la masse salariale des bureaux d’aide juridictionnelle au nombre de décisions annuelles.
En 2016, dans son précédent rapport sur la gestion de l’aide juridictionnelle, la Cour
avait recommandé d’établir le coût complet de traitement d’une décision d’aide juridictionnelle.
Cette recommandation n’a pas été mise en
œ
uvre, puisque les coûts autres que ceux des agents
des Baj ne sont pas pris en compte
.
De surcroît, les incertitudes sur le décompte des agents
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
35
effectivement affectés aux Baj fragilisent l’évaluation des coûts. Cet indicateur reste donc très
imparfait.
Tableau n° 10 :
Indicateur « coût de traitement d’une décision d’AJ » (en
)
2017
2018
2019
2020
2021
2022
2023
2024
Cible PAP N-1
< 16
< 14
Nd
< 14
nd
nd
< 11
<14
Prévisions PAP N
< 15
< 14,5
< 14
< 13
12,5
10,5
< 14
-
Réalisation
13,45
12,21
11,14
11,78
9,63
nd
-
-
Source : Cour des comptes d’après PAP 2017 à 2023
Nd = non disponible
Le coût, tel que calculé, diminue régulièrement depuis 2011, passant de 17,43
à 11
en 2021.
Mais, alors que le PAP 2022 prévoyait une cible à moins de 11
pour 2023 en raison
de la stabilisation de l’activité, de l’effet en année pleine de la réforme de l’admission à l’aide
juridictionnelle après commission d’office de l’avocat et du déploiement progressif du
Siaj
, le
PAP 2023 a revu la prévision de coût à la hausse, à 14
. Cette augmentation serait selon le
ministère, justifiée par la réforme de l’AJ garantie qui a pour effet de dégrader mécaniquement
cet indicateur sans dégrader l’efficience réelle du service rendu, en réduisant le nombre de
demandes d’aide juridictionnelle prises en compte pour le calcul de l’indicateur.
Par ailleurs, pour la détermination de la cible pour les années 2023 et 2024, le ministère
omet de prendre en compte la diminution de la masse salariale résultant de la réduction des
effectifs des Baj, induite par la dématérialisation croissante liée au déploiement du
Siaj
(cf.
supra
).
L’augmentation de 3
ne semble donc pas justifiée et la crédibilité des tendances mises
en évidence est fragilisée par les fortes incertitudes sur l’identification des effectifs et de la
masse salariale qui représente l’essentiel des coûts.
Les délais de traitement
Jusqu’au PAP 2020, l’indicateur sur les délais de traitement mesurait uniquement le
pourcentage de bureaux d’aide juridictionnelle dont le délai moyen de traitement des demandes
était supérieur à 60 jours. Il a été remplacé à cette date par l’indicateur relatif aux délais de
traitement d’une demande d’aide juridictionnelle, avec deux sous-indicateurs : le délai moyen
de traitement des demandes d’aide juridictionnelle et la part des dossiers dont le délai de
traitement est inférieur à 45 jours, afin de mesurer les progrès qui seront apportés par le
Siaj
.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
36
Tableau n° 11 :
Indicateur « pourcentage de Baj dont le délai moyen de traitement des demandes est
supérieur à 60 jours » (avant 2020)
En %
2017
2018
2019
Cible PAP N-1
< 10
nd
Nd
Prévisions PAP N
< 10
< 10
< 10
Réalisation
9,1
nd
Nd
Source : PAP 2018 à 2019
Note : nd : non déterminé
Tableau n° 12 :
Indicateur « les délais de traitement d’une demande d’AJ » (après 2020)
Délai moyen de traitement des demandes
d’aide juridictionnelle (en jours)
2020
2021
2022
2023
Cible PAP N-1
nd
< 36
Prévisions PAP N
36
45
38
< 50
Réalisation
52,5
49,8
nd
-
Part des dossiers dont le délai de traitement
est inférieur à 45 jours
2020
2021
2022
2023
Cible PAP N-1
nd
> 72
Prévisions PAP N
71
65
71
>50
Réalisation
57,6
64,6
nd
-
Source : PAP 2019 à 2023
Note : nd : non déterminé
Il faut toutefois noter que cet indicateur est faussé depuis le déploiement du
Siaj
, car
jusqu’au PAP 2022, il est calculé à partir des données de l’applicatif
Ajwin
et ne prend donc
pas en compte les délais des demandes traitées par le
Siaj
dans les juridictions où celui-ci est
déployé. Le PAP 2023 prévoit en revanche de prendre en compte également les données issues
du
Siaj
.
Cet indicateur connait une forte dégradation puisqu’il a atteint 49,8 jours en 2021, alors
qu’il était de 41,1 jours en 2019, avant la crise sanitaire (il était de 39 jours en 2014)
40
.
Le ministère justifie cet allongement des délais, d’une part, par la crise sanitaire
(fermeture des juridictions
41
, absentéisme…, et donc constitution de stocks) et, d’autre part, par
l’entrée en vigueur de l’aide juridictionnelle garantie. Avant son entrée en vigueur, les
demandes, déposées par les avocats commis d’office étaient traitées par les Baj en priorité, avec
40
L’indicateur délai de traitement n’était pas mesuré avant 2020, mais il était connu grâce aux extractions
d’
Ajwin
.
41
Le logiciel
Ajwin
n’est pas conçu pour être utilisé en distanciel.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
37
un délai réduit (délai de 31 jours en moyenne au 1
er
semestre 2021), faisant ainsi baisser le délai
moyen
42
.
Pour 2022, le délai cible est de 38 jours. Ce délai devrait ensuite s’améliorer avec le
déploiement du
Siaj
, qui automatise le traitement des demandes : fin mai 2022, le délai de
traitement pour les demandes déposées via le
Siaj
était de 8,57 jours, la cible prévue à terme est
de cinq jours.
La part des demandes d'aide juridictionnelle déposées et traitées par voie
dématérialisée
L’indicateur portant sur la part des demandes d'aide juridictionnelle déposées et traitées
par voie dématérialisée a été mis en place pour rendre compte de la mise en
œ
uvre du dépôt par
voie dématérialisée que le
Siaj
permet, et son amélioration devrait être inversement
proportionnelle au délai de traitement.
Tableau n° 13 :
Indicateur « Part des demandes d'aide juridictionnelle déposées et traitées par voie
dématérialisée » (en %)
2021
2022
2023
Cible PAP N-1
nd
nd
>
50
Prévisions PAP N
10
15
>
50
Réalisation
5
nd
-
Source : PAP 2019 à 2023
Note : nd : non déterminé
En 2021, le taux de demandes dématérialisées (5 %) est modeste, dans la mesure où la
généralisation du déploiement du
Siaj
n’a commencé qu’en octobre 2021. Au 17 novembre
2022, 105 Baj sur les 169 (62 %), bénéficiaient de la possibilité de recevoir des demandes sous
forme dématérialisée. Pour 2023, le ministère cible un pourcentage supérieur à 50 %. Cependant
les retards de déploiement pourraient différer la réalisation de cet objectif (cf.
infra
).
Le recouvrement des versements indus d’aide juridictionnelle
Le recouvrement est une obligation prévue par la loi sur l’aide juridictionnelle ; c’est le
processus de récupération par l’État de sommes versées dans plusieurs situations, notamment
en cas de condamnation de la partie perdante aux dépens lorsque la partie adverse avait
bénéficié de l’aide ou en cas de retrait. Le recouvrement fait l’objet d’un indicateur spécifique.
42
La réforme de l’AJ garantie fait que ces affaires ne font plus l’objet de demandes d’AJ.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
38
2.3.4.1
Les cas de recouvrement des aides juridictionnelles versées
Le recouvrement peut être mis en
œ
uvre à l’encontre de la partie condamnée aux dépens
ou perdante, qui ne bénéficie pas de l’aide juridictionnelle ; il peut aussi être mis en
œ
uvre à
l’encontre du bénéficiaire l’aide juridictionnelle partielle lorsque la juridiction met à sa charge
certains frais avancés par l’État, ou en cas de retrait de l’aide. Le Sadjav a diffusé un
vadémécum de 30 pages en 2021, expliquant les cas et procédures de recouvrement.
2.3.4.1.1
Le recouvrement contre la partie perdante ou assimilée, non bénéficiaire de l’aide
juridictionnelle
Le premier cas général est celui qui concerne la partie perdante, ou considérée comme
telle
43
, condamnée aux dépens
44
. Celle-ci doit en principe, selon l’article 43 de la loi de 1991,
en matière civile, sauf si le juge en décide autrement, rembourser les frais engendrés par la
procédure, dont la rétribution des auxiliaires de justice financée par l’aide juridictionnelle
45
.
Plusieurs cas spécifiques sont prévus
46
. Le vadémécum précité insiste sur la nécessaire
précision de la rédaction de la décision de justice. Par exemple, des formulations telles que
«
faire masse des dépens
» ou «
chaque partie conserve ses propres dépens
», ne permettent
pas de mettre à la charge de la partie perdante l’aide dont a bénéficié la partie adverse. Le risque
est donc grand qu’une imprécision de rédaction empêche l’État de procéder au recouvrement.
En matière pénale, selon l’article 48 de la loi de 1991, la juridiction peut mettre à la
charge du condamné la rétribution versée au titre de l’aide juridictionnelle pour la partie civile.
Il faut enfin mentionner l’usage de l’article 37 de la loi de 1991 par l’avocat dont le
client dispose d’une décision d’admission à l’aide juridictionnelle. Ce dernier peut solliciter du
juge, en cas de condamnation de la partie perdante, une somme dont le montant est au moins
égal au montant de l’aide juridictionnelle correspondant aux missions réalisées, augmenté de
50 %.
Dans cette hypothèse, l’avocat renonce à l’aide juridictionnelle ; ce qui est favorable tant
à l’avocat, dont la rémunération est potentiellement nettement supérieure à la rétribution due au
titre de l’aide, qu’à l’intérêt général par l’économie d’AJ qu’elle porte. Cette hypothèse évite
aussi toute procédure de recouvrement contre la partie perdante puisque c’est alors l’avocat qui
reçoit sa rétribution de celle-ci.
43
Cette précision concerne plusieurs cas de divorce, par exemple, en cas de divorce pour altération
définitive du lien conjugal, les dépens sont à la charge de l’époux en étant à l’origine, sauf décision contraire du
juge.
44
Une précision sémantique doit être apportée : les dépens, dans leur acception courante, ne comportent
pas les honoraires d’avocats. Cependant, en matière d’aide juridictionnelle, le terme consacré est la rétribution,
qui, elle, fait partie des dépens. Par conséquent, lorsque la partie perdante est condamnée aux dépens, elle est
redevable de l’AJ si la partie adverse en a bénéficié.
45
Ces dispositions sont applicables au contentieux administratif et au contentieux social, tel que modifié
depuis le 1
er
janvier 2019.
46
En matière de médiation judiciaire et issue d’une médiation conventionnelle, les rétributions des avocats
et médiateurs sont recouvrables selon les règles prévues par l’article 43 précité. En matière de divorce par
consentement mutuel, par acte sous signature privée, contresigné par avocat, la convention de divorce prévoit la
répartition des dépens. Lorsque les deux parties bénéficient de l’aide juridictionnelle, il n’y a pas lieu à
recouvrement. Dans le cadre de la convention participative de mise en état, en l’absence d’indication dans la
convention, le recouvrement doit être effectué contre la partie non bénéficiaire de l’aide juridictionnelle à
proportion de moitié des frais exposés.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
39
Cette possibilité semble encore insuffisamment utilisée à la fois par manque de
connaissance et par possible mauvais usage. L’avocat dispose de quatre ans pour demander le
paiement de l’AJ s’il s’avérait que la personne condamnée à prendre en charge ses honoraires
n’est pas solvable. Dans le cas où la solvabilité se limite à une partie du montant dû au titre de
l’AJ, l’avocat pourrait, attestation à l’appui, demander le paiement de l’AJ, somme reçue
déduite.
2.3.4.1.2
Le recouvrement contre le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle
La loi de 1991 prévoit plusieurs cas. Un premier concerne le bénéficiaire de l’aide
juridictionnelle partielle, demandeur au procès. Le jugement peut décider de mettre à sa charge
une partie des frais exposés autres que la rétribution des avocats et officiers ministériels.
Un deuxième cas concerne le retrait au titre d’une part des articles 50 et 51 de la loi,
lorsque les conditions d’éligibilité ne sont pas ou plus remplies (retrait par le Baj), et d’autre
part de l’article 65 du décret du 28 décembre 2020, en cas d’informations inexactes données
par le demandeur, de procédure abusive, dénuée de fondement ou dilatoire (retrait par décision
de justice).
En cas d’aide juridictionnelle provisoire octroyée par le juge donnant lieu ensuite à une
décision négative, les Baj devraient pouvoir recouvrer les sommes indûment octroyées.
Cependant, le Sadjav ne dispose d’aucun chiffre sur les aides provisoires.
2.3.4.1.3
Le cas spécifique de l’AJ garantie
47
Dans le cas de l’AJ garantie, la loi de 1991 modifié prévoit que c’est à l’État de recouvrer
les sommes s’il s’avère
a posteriori
que la personne n’était pas éligible. Il n’existe pas de
décision préalable d’admission à l’aide juridictionnelle. L’avocat doit seulement attester avoir
informé la personne qu’il assiste qu’elle pourrait être, à l’avenir, en cas d’inéligibilité, tenue de
rembourser les sommes engagées.
Cependant, jusqu’au 31 décembre 2022 le recouvrement de l’AJ garantie, lorsque celle-
ci n’était finalement pas due, n’était pas prévu, alors même que selon la direction du budget les
versements indus s’élèveraient à environ 1 M
. La loi de finances pour 2023 a modifié la loi
sur l’AJ en donnant compétence aux Baj pour décider du recouvrement de l’AJ garantie en cas
de conditions non remplies. Cependant, tant que les mesures règlementaires et l’outil
informatique pour identifier les personnes en ayant bénéficié et dont la situation n’entre pas
dans les cas de recevabilité n’auront pas été mis en place, le recouvrement demeurera
hypothétique.
Le ministère a indiqué que le décret d’application est en cours de rédaction. Cependant
son adoption ne permettra pas encore de recouvrer les sommes indues, les opérations restant
conditionnées à de nouveaux dispositifs informatiques et à une formation des agents des Baj.
47
Celle-ci représente un montant de plus de 15 millions d’euros entre juillet et décembre 2021. En
l’absence de décision d’AJ, il n’existe pas de suivi possible.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
40
2.3.4.1.4
La procédure de recouvrement
La procédure de recouvrement est complexe et sa durée est longue. Plusieurs acteurs
sont impliqués : la formation de jugement, le Baj, le greffe, le service administratif régional
(SAR) et la DGFiP. Le circuit de recouvrement a été modifié plusieurs fois depuis 2007, avec
l’ajout d’acteurs (DGFiP, pôle
Chorus
). Cependant, un rapport commun de l’IGJ et de l’IGF de
2018 concluait paradoxalement à l’absence de nécessité de réformer ce circuit.
Schéma n° 1 :
Circuit de recouvrement
Source : Sadjav
Les difficultés rencontrées par les Baj sont de plusieurs ordres : outre un manque de
moyens pour des procédures longues et pas toujours assez connues, la rédaction des décisions
et le manque d’informations sur la personne concernée sont des facteurs d’échec du
recouvrement. À ces difficultés s’ajoutent celles tenant aux risques d’insolvabilité de la
personne, dont la compréhension de la décision de recouvrement est souvent difficile, d’autant
plus que les délais sont souvent longs entre la fin de la procédure et l’émission du titre
exécutoire. De tels délais augmentent le risque de non-recouvrement
48
.
Le Sadjav a commencé à mener plusieurs actions en vue d’améliorer le recouvrement.
Ainsi le vademecum déjà mentionné a été diffusé et des actions de formations sont organisées.
Une enquête annuelle portant sur les stocks de décisions recouvrables a eu lieu au printemps
2022 en direction des juridictions et des acteurs du recouvrement, afin de rappeler l’importance
du recouvrement. Enfin, un courrier a été adressé aux chefs de cour en février 2022 pour
renforcer la sensibilisation à cet objectif. Mais, en dépit de ces démarches, les mises en
recouvrement restent peu nombreuses.
48
La DGFiP précise qu’il n’existe pas de données sur les poursuites réalisées spécifiquement pour
recouvrer l'aide juridictionnelle.
Recouvrement
circuit
juridiction
Identification par le
greffe des dossiers
recouvrables
Transmission au
service dédié au sein
du TJ
Réalisation de la fiche
de suivi. Consitution
du dossier
dématérialisé et envoi
au SAR
Recouvrement
circuit
SAR/pôle
chorus
Réception et
vérification des
pièces
Création du titre dans
chorus coeur par le
pôle chorus
Envoi à la DDFIP qui
émet le titre de
perception à
destination du
redevable
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
41
2.3.4.2
Une mauvaise conception de l’indicateur sur le recouvrement témoignant des
difficultés du ministère de la justice à piloter sa performance
Le ministère de la justice définit, en matière d’aide juridictionnelle, l’indicateur « taux
de recouvrement » comme étant le rapport des dépenses mises en recouvrement au cours de
l’année N et de la somme des rétributions versées aux auxiliaires de justice au titre de l’aide
juridictionnelle et des frais de procédure avancés par l’État en matière civile et administrative
et d’assistance des parties civiles.
Ce taux est calculé annuellement et est comparé à une valeur cible (4,5 % et 2022 et
« supérieur à 5 % » en 2023).
Tableau n° 14 :
Synthèse du recouvrement 2017-2021
2017
2018
2019
2020
2021
Nombre de factures
28 269
25 944
21 724
18 099
20 747
Prises en charge (factures et
annulations) par le comptable
13 568 808 12 685 976 11 158 769
9 561 564
11 351 958
Montant recouvré par le
comptable
10 420 446
10 126 561
9 496 806
7 746 583
10 023 316
Base recouvrable servant pour
l'année
251 408 855 276 430 007 297 407 668 315 139 110 260 354 155
Indicateur taux « de
recouvrement »
5,4 %
4,6 %
3,8 %
3,0 %
4,4 %
Source : Cour des comptes d’après données Sadjav
La construction de cet indicateur est toutefois contestable et ne permet pas de porter une
appréciation pertinente sur l’efficience de la mise en recouvrement de l’aide juridictionnelle
indue, alors même que cet indicateur a cette finalité
49
. En effet, la valeur du dénominateur
retenue pour son calcul comprend non seulement les rétributions pour lesquelles de titres de
recette doivent être émis, mais aussi les rétributions pour lesquelles ces titres n’ont pas à être
émis, comme par exemple les rétributions versées pour l’aide juridictionnelle de la partie
perdante.
Le ministère mentionne l’amélioration de l’indicateur en 2022, en excluant certaines
procédures pour lesquelles le recouvrement est impossible, telles celles où la puissance
publique est la partie perdante, ou encore celles où l’intéressé est insolvable en raison de la
lourdeur de la peine. Il précise enfin que le système actuel ne permet pas d’identifier les
décisions mettant l’aide juridictionnelle à la charge de la partie perdante.
Ces éléments peuvent expliquer en partie l’insuffisance actuelle de l’indicateur, mais le
ministère de la justice n’a pas indiqué comment il entend améliorer à court terme sa pertinence.
49
Le PAP 2023 indique que l’indicateur «
répond au souci d’une bonne gestion des deniers de l’État
» et
qu’il «
répond également à un souci de traitement équitable des justiciables
».
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
42
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
Alors même que les dépenses d’aide juridictionnelle connaissent une forte
augmentation et ce depuis de nombreuses années, le ministère de la justice ne s’est pas doté
d’indicateurs fiables et pertinents permettant de les piloter. Cette situation reflète des
défaillances dans le suivi de la gestion de ces procédures dont l’insuffisante connaissance des
effectifs mobilisés et de la masse salariale qui en découle fournit une illustration.
La situation est tout aussi défavorable en matière de recouvrement. Des procédures
existent mais il n’est pas certain qu’elles soient mises en
œ
uvre par les juridictions faute de
moyens ou par imprécision de la rédaction des décisions dans le cas, topique, des
condamnations aux dépens. La situation de l’AJ garantie est tout aussi révélatrice : alors que
ce nouveau mécanisme accentue l’augmentation des dépenses prises en charge par l’État, la
mise en place des procédures nécessaires au recouvrement en cas de versement indu reste à
réaliser.
Ces constats appellent des mesures correctrices qui ne doivent pas être différées. Elles
gagneraient à s’inscrire dans une démarche plus générale destinée à contenir les dépenses
d’aide juridictionnelle dont l’augmentation constatée de longue date devrait se poursuivre à
horizon 2027. La définition d’une politique d’admission à l’aide juridictionnelle mise en
œ
uvre par les Baj que la Cour appelle de ses v
œ
ux pourrait y contribuer et s’inscrire dans le
cadre d’une réflexion plus générale s’inspirant des modèles étrangers.
Recommandation n° 3
(DSJ,
SG du ministère de la justice
) : Fiabiliser les données relatives
aux effectifs et aux ETPT affectés dans les bureaux d’aide juridictionnelle.
Recommandation n° 4
(SG du ministère de la justice) : En application de la loi de finances
pour 2023, mettre en place sans retard le dispositif de recouvrement des versements d’aide
juridictionnelle garantie indus.
Recommandation n°5
(DSJ, SG du ministère de la justice, direction du budget) : Définir
un indicateur pertinent portant sur la mise en recouvrement, rapportant les sommes
recouvrées à celles qui doivent l’être.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
43
3
LE VERSEMENT DES SOMMES DUES AUX AUXILIAIRES DE
JUSTICE
Permettant le financement des rétributions aux avocats, l’aide juridictionnelle est versée
selon des circuits financiers spécifiques,
via
les caisses autonomes de règlements pécuniaires
des avocats (Carpa) et leur union nationale, l’Unca. La période récente a été marquée par une
rationalisation de ces circuits et certaines innovations dans les modalités de fixation des
rétributions.
3.1
La rationalisation en cours des circuits financiers
Les textes relatifs à l’aide juridictionnelle organisent les relations entre le ministère de
la justice, les Carpa et l’Unca. Depuis le 1
er
janvier 2021, l’Unca reçoit les fonds et les reverse
aux Carpa, qui rétribuent les avocats sur la base des décisions d’aide juridictionnelle et
attestations de fin de mission (AFM) établies par les juridictions. L’Unca est également chargée
de produire des restitutions statistiques pour le Sadjav. Elle reçoit une subvention annuelle pour
mener à bien ces missions.
Les difficultés posées par la production de l'attestation de fin de mission par
les juridictions
C’est l’attestation de fin de mission (AFM), établie par le greffe de la juridiction, qui
récapitule les différents éléments nécessaires à la liquidation de la rétribution de l’avocat (nature
de la procédure, nombre d’audiences, barème applicable…). Le barème applicable est, dans le
cas général
50
, celui en vigueur à la date de la décision d’admission. L’AJ garantie fait exception
à la règle générale, dans la mesure où elle ne donne pas lieu à une décision d’admission. C’est
alors le barème en vigueur à la date d’accomplissement de la mission qui est retenu pour
déterminer la rétribution de l’avocat.
Tel n’a pas toujours été le cas. Jusqu’en 2016
51
, la date d’accomplissement de la mission
était celle à retenir pour déterminer le barème applicable. Ce changement visait à étaler dans le
temps les effets budgétaires de la revalorisation des unités de valeur (UV).
La production des AFM est source d’erreurs. En effet, celles-ci doivent être établies
selon des modèles et des barèmes régulièrement modifiés. Il est alors fréquent qu’une mauvaise
version de ces documents soit utilisée, nécessitant d’établir une nouvelle AFM.
50
Sauf pour l’audition d’un mineur et, plus récemment, pour l’AJ garantie.
51
L'article 50 du décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016 a introduit le changement de «
fait
générateur
» pour le nombre d'UV : «
Art. 50. – Les dispositions des articles 8, 9, 10, 13, 20 et 28 du présent
décret sont applicables aux demandes d’aide juridictionnelle faisant l’objet d’une décision intervenue à compter
du 1er janvier 2017
».
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
44
De telles erreurs ont été à l’origine de critiques sur la nouvelle règle mise en place depuis
2017
52
qui compliquerait l’établissement des AFM. Leur informatisation permettrait de
résoudre les difficultés de tout ordre, liées au nombre de modèles, à leur évolution et aux dates
devant être prises en compte pour le calcul de la rétribution (cf.
infra
).
Les missions quasi-régaliennes confiées à l’Unca
3.1.2.1
L’organisation des relations entre l’État, les Carpa et l’Unca
La loi de finances pour 2021 a modifié le circuit de financement de l’aide
juridictionnelle. Alors que les fonds pour les missions d’aide juridictionnelle étaient
antérieurement versés par l'État directement aux Carpa, ils le sont désormais par l’Unca pour le
compte de l’État. Ce nouveau dispositif est censé permettre un virement rapide des fonds aux
Carpa afin de rétribuer plus rapidement les avocats.
Une provision initiale déterminée en fonction des versements de l’année précédente est
attribuée en début d’année à chaque Carpa. Elle est ensuite ajustée en fonction de l'évolution
du nombre des décisions d’admission. Ainsi en 2021, les versements ont eu lieu en avril, juin,
juillet, octobre, et décembre ; en 2022, en juin, juillet octobre, novembre et décembre. Elle est
liquidée en fin d'année sur la base du nombre des missions achevées.
Schéma n° 2 :
Chronologie de l’attribution des dotations d’AJ
la loi de finances détermine les crédits de l’AJ
détermination des dotations par le Sadjav en fonction de l’estimation des
besoins des barreaux
versement de la dotation à l’Unca
versement des dotations par l’Unca aux Carpa
Malgré les calculs prévisionnels réalisés périodiquement, il peut arriver qu’une Carpa
rencontre des difficultés de trésorerie entre deux versements de dotation. Les échanges entre
l’Unca et le Sadjav visent à éviter une rupture de trésorerie. L’année 2022 témoigne de ces
difficultés : en concertation avec le Sadjav, trois ajustements ont été prévus pour la fin de
52
L’Unca propose d’ailleurs de revenir à l’ancien système. Selon une étude d’impact réalisée par elle sur
la base des règlements intervenus en 2021, cette mesure aurait selon elle un impact financier pour les 164 barreaux
en année pleine de 5,6 M
, soit 1 % de la dotation annuelle.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
45
l’année 2022, sur la base du recensement systématique que l’Unca a réalisé en novembre auprès
des Carpa de leur besoin de trésorerie. Ces difficultés peuvent conduire à des retards dans les
rétributions des avocats, ce qui a été le cas pour plusieurs d’entre eux, dans la Sarthe, par
exemple.
Tableau n° 15 :
La trésorerie des Carpa
2017
2018
2019
2020
2021
Montant de la
trésorerie des
Carpa
au
31/12 (
)
22 630 156
29 490 000
31 593 731
51 974 924
66 793 675
Nombre
de
jours
moyens
d’avance
au
31/12
20
25
25
40,5
46,6
Source : Cour des comptes d’après données du Sadjav
L’estimation des besoins est faite à partir de la trésorerie disponible des Carpa et de la
consommation de l’année précédente. Le tableau ci-dessus montre une augmentation de la
trésorerie disponible en fin d’année, multipliée par trois entre 2017 et 2021, et le nombre de
jours moyens d’avance multiplié par plus de deux sur la même période.
La trésorerie globale disponible en fin d’année apparaît excessive, sans pour autant
éviter que certaines Carpa puissent connaître des difficultés de trésorerie. Le ministère indique
qu’en 2022 l’avance a été ramenée à un mois, ce qui devrait être pérennisé. Une dotation
générique immédiatement mobilisable pourrait également être prévue.
3.1.2.2
Les travaux statistiques réalisés par l’Unca pour le Sadjav
L’Unca, outre la gestion des fonds de l’AJ, est chargée de réaliser les travaux statistiques
nécessaires à la production des informations devant figurer dans le rapport annuel de
performance.
Elle rend compte et transmet plusieurs fois par an les états consolidés au Sadjav. Des
conventions, passées annuellement, en précisent les modalités. La convention signée en octobre
2021 prévoit ainsi la transmission électronique de l’état de trésorerie consolidé mensuel. Celui-
ci doit permettre le suivi du nombre et du montant des rétributions par année d’admission et
pour chaque catégorie d’intervention.
3.1.2.3
La subvention annuelle versée à l’Unca pour l’exercice de ses missions
Depuis 2013, l’Unca bénéficie d’une subvention annuelle du ministère de la justice qui
couvre les dépenses de fonctionnement pour une partie de ses missions. En 2021, la subvention
versée à l’Unca est de 65 000
et correspond, selon l’Unca, à 83,6 % du coût estimés des
prestations prévues par la convention. La subvention couvre la production des états périodiques
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
46
et des statistiques. Elle ne participe pas au financement des coûts de gestion de l’aide
juridictionnelle qui sont supportés par l’Unca sur son budget de fonctionnement, notamment au
titre des développements informatiques
53
, du maintien en condition opérationnelle et
d’assistance que l’Unca rend aux Carpa et qui sont couverts par les cotisations versées par
celles-ci.
L’Unca a dû refondre toute la ligne de logiciels de gestion de l’aide juridictionnelle, tant
à son niveau qu’à celui des Carpa, notamment pour répondre aux besoins résultant de la mise
en
œ
uvre du
Siaj
, Une subvention d’investissement a été sollicitée en 2020 pour contribuer aux
investissements nécessaires à cette refonte
54
. Prévue en loi de finances pour 2021 sur le
programme 101, une subvention de 800 000
a été versée en juillet 2022. À l’automne 2022 la
refonte complète du dispositif était en cours.
Tableau n° 16 :
Subvention versée à l’Unca (
)
Année
2017
2018
2019
2020
2021
2017-2021
Subvention
courante
65 000
65 000
65 000
65 000
65 000
325 000
Subvention
exceptionnelle (*)
50 000
800 000
850 000
Total
115 000
65 000
65 000
65 000
865 000
1 175 000
Source : Cour des comptes d’après données Unca et Sadjav
Note : (*) En 2017 : dotation exceptionnelle pour tenir compte des travaux inhérents à la loi de finance portant
sur le divorce par consentement mutuel, le changement du fait générateur, l’introduction des décimales dans les
unités de valeur et la modification des maquettes états mensuels – En 2021 : pour la refonte des systèmes
d’information.
Les contrôles exercés par les Carpa et l’Unca
L’Unca et les Carpa doivent justifier l’emploi des fonds dont la gestion leur est confiée.
L’article 67-2 de la loi sur l’aide juridictionnelle prévoit que l’Unca rend compte au ministère
de la justice de l'utilisation au sein de chaque barreau des ressources affectées au financement
de l'aide juridique par le biais de transmissions dématérialisées.
Des commissaires aux comptes, désignés par les Carpa et l’Unca selon les dispositions
de l’article 30 de la loi de 1991, vérifient que les fonds ont été utilisés conformément à la loi.
53
Sauf en ce qui concerne la refonte du système d’information de l’AJ.
54
L’Unca précise que pour les interconnexions nécessaires avec le
Siaj
, pour permettre son déploiement,
l’Unca a supporté sur son budget à compter de 2020 les coûts d’investissements et supporte sur ce même budget
les coûts de fonctionnement en 2021 et 2022
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
47
3.1.3.1
Les contrôles exercés par les Carpa
Pour être rémunéré pour une mission, l’avocat doit présenter l’attestation de fin de
mission et la décision d’admission à l’aide juridictionnelle correspondante
55
à la Carpa, qui
procède alors au paiement de la rétribution. Les contrôles opérés par la Carpa portent sur la
correspondance de ces deux pièces et sur la conformité des éléments figurant sur l’attestation
de fin de mission avec les barèmes. La liquidation est ensuite faite par l’application mise en
œ
uvre par les Carpa, sauf en cas d’incohérence détectée.
Les contrôles effectués lors du paiement des AFM sont pour certains manuels et pour
d’autres automatisés. Ce dispositif est robuste à deux réserves près.
D’une part, l’AFM utilisée pour la liquidation de la rétribution des avocats est un
document papier de quatre pages remis par l’avocat. Il peut comporter des erreurs ou des
surcharges. Le Conseil national des barreaux estime que l’informatisation des AFM est
indispensable pour sécuriser la collecte des informations et alléger la charge qui en résulte pour
les avocats. Une transmission directe de ce document, sous une forme numérique, par le greffe
permettrait de sécuriser son traitement par la Carpa.
D’autre part, l’AJ garantie ne fait pas l’objet d’une décision d’admission. La Carpa n’est
donc pas en mesure de procéder à un contrôle de l’AFM par rapport à la décision, ce qui présente
un risque, notamment de double paiement.
Selon l’article 132 du décret du 28 novembre 2020, après liquidation des demandes des
paiement faites par les avocats au cours de l’exercice, la part de la dotation non utilisée est
constatée à la fin de chaque année. Ce montant est déduit de la provision initiale de l'exercice
suivant.
Le ministère de la justice indique être déjà en mesure de vérifier l'application par les
Carpa de ces dispositions. Il souligne que l’informatisation des AFM permettra un contrôle
accru et qu’en attendant, des actions de formations sont menées auprès des Baj et des greffes
afin de limiter les risques d’erreurs. Enfin, il précise que les financements des conventions
locales d’aide juridictionnelle (cf.
infra
) font l’objet d’un circuit distinct afin d’en faciliter le
contrôle.
Le ministère n’a cependant fourni d’informations suffisantes montrant que tous les
contrôles nécessaires sont effectivement réalisés.
3.1.3.2
Les contrôles exercés par l’Unca
L’Unca dispose d’une vision d’ensemble du dispositif : elle reçoit la décision d’aide
juridictionnelle du Baj par voie dématérialisée
56
et la met à disposition des Carpa qui peuvent
ainsi vérifier l’existence de la décision ; elle reçoit des Carpa les états liquidatifs. L’article 1
er
de la convention passée entre l’Unca et le Sadjav prévoit que la première met en place des
contrôles. Le rapport de gestion retrace ces contrôles : sécurisation des logiciels, mise à jour les
tables de paramètres (codes procédures, codes missions, montant de l’unité de valeur, nombre
55
Lorsque l'avocat intervient au titre de l'article 19- 1, seule l’AFM est demandée, étant donnée l’absence
de décision (Cf.
supra
).
56
Via le
Siaj
ou Ajwin selon les juridictions dotées ou non du
Siaj
.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
48
d’unités de valeur, contrôle des plafonds des majorations avec les missions autorisées),
vérification de l’utilisation du bon barème pour l’établissement de l’AFM, application de la
prescription quadriennale, importation des décisions des Baj, clôture provisoire au premier jour
de l’année qui suit un exercice révolu.
L’Unca réalise également un suivi comptable : elle collecte les acquittements des
sommes par les Carpa pour chaque barreau puis les transmet sous forme dématérialisée et
consolidée trente jours après les versements. Elle vérifie l’enregistrement des sommes allouées
à chaque barreau et effectue un contrôle global ; elle contrôle annuellement la bonne imputation
dans les états liquidatifs transmis par les Carpa et procède à un contrôle des états liquidatifs des
Carpa avant l’intervention du commissaire aux comptes. Enfin, elle établit annuellement à un
compte rendu de gestion qu’elle transmet au Sadjav après certification par un commissaire aux
comptes.
3.1.3.3
Les contrôles exercés par les commissaires aux comptes
Les articles 30 de la loi de 1991 et 134 du décret du 28 décembre 2020 spécifient les
contrôles
a posteriori
à réaliser par les commissaires aux comptes. Ces contrôles portent sur les
enregistrements comptables concernant la gestion des fonds, la régularité et la sincérité des états
liquidatifs. Les vérifications se font par sondage notamment sur la correcte comptabilisation
correspondant aux missions relevant du droit commun de l’aide juridictionnelle mais aussi de
la correcte comptabilisation des dotations relatives aux conventions locales pour l’aide
juridique (CLAJ
57
, cf.
infra
) sur des comptes bancaires spécifiques.
Les contrôles portent aussi sur les documents correspondant aux rétributions, mais la
vérification n’inclut pas l’exactitude du nombre de missions, d’interventions ou de personnes à
défendre et du barème adapté. De plus, le rapport du commissaire aux comptes pour la Carpa
de Paris pour l’année 2021 indique que le logiciel ne permet pas de suivre les flux correspondant
à l’utilisation de la dotation complémentaire dans le cadre des CLAJ. Le commissaire au compte
n’est donc pas en mesure d’exercer un contrôle de ce point.
Les contrôles exercés par les Carpa, l’Unca et les commissaires aux comptes ne
semblent donc pas couvrir toutes les zones de risques. Le ministère, conscient de cette situation,
indique avoir conclu en 2022 avec l’Unca une convention prévoyant notamment la mise en
œ
uvre d’un comité de suivi périodique de l’évolution du système d’information des Carpa
portant à la fois sur les aspects statistiques, budgétaires (correcte application de la concordance
des AFM à la valeur de l’UV), et le suivi des états liquidatifs et récapitulatifs. Il précise aussi
que des réflexions sont en cours pour mettre en place des contrôles sur pièces et sur place,
directement dans les Carpa, selon des modalités restant à définir. Le ministère précise
également que «
ce contrôle sera facilité en 2023
» avec la mise en
œ
uvre pérenne du site
« Avocarpa » et une «
informatisation plus poussée des échanges
».
57
Le commissaire aux comptes en application de l’article 134 du décret du 28 décembre 2020 qui fait
référence à l’article 88, relatif à la convention locale, doit faire état dans son attestation des diligences accomplies
à ce titre. Il revient à l’expert-comptable de la Carpa de s’assurer dans la comptabilité de celle-ci que la dotation
CLAJ est bien individualisée par barreau et que les règlements opérés le sont conformément à la délibération prise
par le conseil de l’Ordre dans les limites fixées par la convention signée avec la juridiction et le guide
méthodologique publié par le Sadjav dans le respect de l’article D. 88.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
49
3.2
La rétribution des auxiliaires de justice
L’aide juridictionnelle permet la rétribution des auxiliaires de justice
58
, dont le montant
est calculé à partir d’un nombre d’unités de valeurs
59
(UV) régulièrement revalorisées mais qui
donnent lieu à débats. Le bilan de la contractualisation et celui des innovations introduites lors
des grands procès mériteraient également d’être tirés.
Un dispositif revalorisé qui donne lieu à des contestations
Un barème établi par décret en Conseil d’État
60
fixe, pour chaque procédure, en fonction
de son déroulement (nombre d’audiences, d’actes de procédure, etc.), le nombre d’UV
rétribuées. Le Sadjav diffuse un guide sur la rémunération des avocats, datant de 2021 et
comportant 150 pages, témoignant de la diversité des situations. Ainsi en matière de divorce, le
nombre d’UV varie de 24 à 34, avec la possibilité de majorations, dans la limite de 16 UV par
procédure. Par exemple, en cas de divorce par consentement mutuel judiciaire, cette majoration
peut être de 4 UV.
Le montant de l’AJ est déterminé par le produit du montant de l’UV fixé en loi de
finances par les coefficients du barème fixé.
Tableau n° 17 :
Évolution du montant de l’unité de valeur (en
)
Missions dont l’admission à l’aide juridictionnelle* a été prononcée
De 2017 à 2020
En 2021
Depuis le 01/01/2022
Montant de l’UV
32
34
36
Source : Ministère de la justice
Note : * ou, pour les commissions ou des désignations d’office relevant de l’article 19-1 de la loi de 1991,
accomplies ces années là
L’enquête de la Cour a permis d’établir plusieurs constats.
Le premier concerne l’évolution générale des missions rémunérées et des montants
alloués. Le tableau ci-dessous montre une augmentation du coût par mission, la lente montée
en puissance de la médiation et une stabilité relative du nombre de missions (hors impact de
l’année 2020 marquée par la crise sanitaire), sauf en matière de droit d’asile, dont le nombre
augmente sensiblement.
58
L’essentiel des rétributions est à destination des avocats, les autres auxiliaires de justice ne représentant
que 4 à 5 % de celles-ci.
59
Une UV correspond à une demi-heure de prestation.
60
Le dernier barème se trouve en annexe de l’article 86 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
50
Tableau n° 18 :
Évolution du nombre de missions rémunérées et leur montant moyen sur la période
2017-2021 (montants en
)
2017
2018
2019
2020
2021
Domaine civil
Nombre
418 642
425 602
430 744
351 728
429 154
Montant moyen
414,2
435,7
447,1
463,3
474,2
Dont majoration
médiation
Nombre
933
1 034
975
696
663
Montant moyen
62,4
89,0
104,8
110,5
144,6
Domaine administratif
Nombre
73 231
79 011
95 796
76 518
97 560
Montant moyen
394,8
417,0
418,5
410,0
426,8
Dont CNDA
Nombre
29 655
32 233
44 863
30 303
45 336
Montant moyen
390,1
388,6
382,1
367,3
397,2
Dont majoration
médiation
Nombre
0
1
3
4
11
Montant moyen
128,0
128,0
128,0
167,9
128,0
Domaine pénal
Nombre
331 863
328 425
338 785
267 548
333 060
Montant moyen
255,4
264,7
263,3
267,7
338,4
Total
Nombre
823 736
833 038
865 325
695 794
859 774
Montant moyen
348,5
366,5
372,0
382,2
416,2
Source : Cour des comptes d’après données du ministère de la justice
Le deuxième constat tient à ce que la participation des avocats à l’aide juridictionnelle
est variable : la proportion d’avocats dont les clients bénéficient de l’aide juridictionnelle est
d’autant plus importante que le barreau a un faible effectif. Ainsi, ce sont les plus petits barreaux
qui sont les plus concernés par les règles de rétribution de l’aide juridictionnelle.
Tableau n° 19 :
Contribution des avocats à l’AJ 2021
Effectif du
barreau
Nombre
barreaux
Avocats
inscrits
Avocats
pratiquant l’AJ
Pourcentage
avocats
pratiquant l’AJ
1-50 avocats
40
1 405
1 251
89,04%
51-200 avocats
75
7 594
5 744
75,64%
200-1000
avocats
38
15 157
9 22
60,87%
1000 avocats
et plus
10
18 528
7 162
38,66%
Barreau de
Paris
1
31 280
3 307
10,57%
Total général
164
73 964
26 690
36,09%
Source : Unca
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
51
Lorsqu’un avocat intervient dans le cadre de l’aide juridictionnelle, sa rétribution
annuelle moyenne a été en 2021 de 20 708
. Par ailleurs, le chiffre d’affaires global pour la
défense des particuliers, s’élève à environ 6 Md
61
. En conséquence, l’aide juridictionnelle
(552,7 M
en 2021) représente environ 10 % des honoraires facturés par les avocats aux
particuliers. Elle constitue donc un enjeu important surtout pour une minorité d’entre eux,
notamment au sein des plus petit barreaux.
Ceci contribue à expliquer le troisième constat dressé par la Cour qui tient aux critiques
récurrentes dont font l’objet les barèmes. Quatre sujets principaux sont évoqués.
En premier lieu, la promotion des modes alternatifs de règlement des différends
(MARD) est considérée comme mal prise en compte par le barème. Si les procédures de
médiation ont fait l’objet de revalorisation, elles restent modestes et la question de leur nature
incitative peut être posée. D’ailleurs les propositions issues des états généraux de la justice,
rendues publiques en janvier 2023, prévoient le développement de nouveaux modes amiables
comprenant une meilleure rétribution de l’avocat au titre de l’aide juridictionnelle
62
. Le conseil
national des barreaux souligne qu’une majoration de l’indemnisation des avocats participant à
la médiation renforcerait l’incitation à y recourir et relève que la « médiation pure » n’est pas à
ce jour indemnisée.
Ensuite, le décret du 5 mai 2017 a mis fin à la modulation géographique. Si la logique
d’égalité de traitement des auxiliaires de justice se comprend, la spécificité de l’outre-mer
apparaît insuffisamment prise en compte, comme les échanges lors de la présente enquête avec
le tribunal judiciaire de Martinique en témoignent. La direction du budget indique avoir
demandé à être associée au groupe de travail mis en place par le Sadjav avec le CNAJ sur ce
point.
De plus, l’application dans le cas général, du barème et du montant de l’UV en vigueur
à la date de l’admission à l’aide juridictionnelle, et non ceux en vigueur à la réalisation de la
mission, est souvent contestée par les avocats.
Enfin, le niveau et la nature même des UV ne font pas consensus. Sur la base de certains
travaux dont une partie réalisée à leur demande
63
les représentants des avocats regrettent que le
montant de l’UV, bien que régulièrement réévalué, ne couvre que partiellement la valeur de la
prestation réalisée. Le rapport de la mission relative à l’avenir de la profession d’avocat
conduite par M. Perben en juillet 2020 a donné écho à ces analyses et déplore un sous-
financement chronique de l’aide juridictionnelle. Il a appelé à une revalorisation des barèmes.
Cette analyse s’écarte de la position adoptée en 2015 par le Conseil d’État
64
qui
considère l’aide juridictionnelle comme une contrepartie du quasi-monopole de représentation
dont disposent les avocats devant les tribunaux. Dans cette logique, la question est moins celle
d’une sous valorisation de l’UV que des écarts de contributions des professionnels aux missions
d’aide juridictionnelle.
61
Données publiées par l’observatoire national de la profession d’avocat en 2022, portant sur 2020.
62
Présentation des propositions par le garde des sceaux le 5 janvier 2023.
63
Cf. le rapport du CNAJ, L’indemnisation des auxiliaires de justice intervenant au titre de l’aide
juridique, 2022 ; Rapport de la mission relative à l’avenir de la profession d’avocat, 2 juillet 2020. Deux rapports
KPMG (2016 et 2020) commandés par la Conférence des bâtonniers et le barreau de Paris font apparaître un travail
à perte des professionnels libéraux en matière d’aide juridictionnelle puisque l’indemnisation versée ne couvre pas
les frais de fonctionnement.
64
CE 14 juin 2018, req. n° 408265, point 5.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
52
Sur ces questions et pour enrichir le débat entre le ministère et les avocats dans la
perspective d’une nouvelle « politique de l’amiable » que souhaite promouvoir le garde des
sceaux, un bilan gagnerait à être tiré d’une part des grands procès liés aux attentats terroristes
et du traitement « de masse » de l’aide juridictionnelle qu’ils ont occasionné et d’autre part de
la contractualisation mise en place entre les juridictions et les barreaux.
La contractualisation avec les barreaux
La loi de 1991 et son décret d’application prévoient la possibilité de conventions entre
les juridictions et les barreaux afin de renforcer l’efficacité de la mise en
œ
uvre de l’aide
juridictionnelle. Les réformes, préparées en concertation entre le ministère, les juridictions et
les avocats, ont modifié en 2020 le dispositif. Les premières expériences semblent positives et
peuvent laisser envisager des extensions.
3.2.2.1
La définition des conventions locales d’aide juridictionnelle
La convention locale d’aide juridictionnelle (CLAJ) est une convention entre une
juridiction et un barreau pour rendre un meilleur service en matière d’aide juridictionnelle.
Selon le contenu de la convention, le Sadjav peut décider d’une allocation supplémentaire à
destination du barreau. Un modèle unique de convention a été élaboré et un guide a été diffusé
par le Sadjav aux barreaux et aux juridictions.
Ce système se substitue aux protocoles visés par les articles 91 et 132-6 du décret du 19
décembre 1991 et aux conventions pour l’organisation matérielle des gardes à vue visées par
l’article 132-20 du même décret. Jusque 2020, ces conventions étaient centrées sur la défense
pénale, en permettant une dotation complémentaire pour les frais de fonctionnement des
permanences et des rétributions supplémentaires pour les avocats participants. Le nouveau
système élargit le champ de la contractualisation.
Le décret du 28 décembre 2020 en fixe les conditions. L’objectif est d’ «
assurer une
défense de qualité des bénéficiaires de l'aide juridique
» par l’organisation par le barreau de
permanences assorties d'engagements d'objectifs et de procédures d'évaluation. Elles reposent
sur un engagement réciproque de la juridiction et du barreau. Ce dernier s’engage à organiser
des permanences en matière civile et pénale dans les domaines précisés par le décret
65
. La
juridiction s’engage en retour à fluidifier l’intervention de l’avocat dans l’ensemble des
procédures retenues : la consultation des dossiers, l’organisation possible d’un entretien
confidentiel entre l’avocat et son client, un délai suffisant laissé pour préparer la défense.
Les CLAJ présentent un élargissement par rapport au dispositif précédent. Une
concertation sur le fonctionnement de la convention est organisée entre la juridiction et le
65
Gardes à vue, médiation et composition pénale et mesures de réparation proposées à un mineur,
assistance éducative, baux d’habitation, ordonnance de protection, procédure judiciaire de mainlevée et de contrôle
des mesures de soins psychiatrique, procédures correctionnelles et déferrement devant le procureur de la
République, procédures devant le juge des libertés et de la détention relatives à l’entrée et au séjour des étrangers
(article 88 du décret du 28 décembre 2020).
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
53
barreau, avec au moins deux réunions par an, permettant des évolutions si besoin. Un bilan
annuel et une évaluation triennale sont transmis à la Chancellerie.
3.2.2.2
La mise en
œ
uvre des CLAJ
Les conventions triennales sont conclues avant le 31 décembre de l’année concernée et
sont homologuées par un arrêté du ministre de la justice. Elles sont transmises au conseil
national des barreaux (CNB) et à l’Unca, par laquelle les financements transitent, selon les
mêmes règles que celles régissant ceux correspondant aux rétributions des avocats. Elles
prévoient une dotation complémentaire qui vise couvrir les frais de fonctionnement supportés
par le barreau pour la gestion du protocole et indemniser les avocats au titre des permanences
réalisées. Le Conseil de l’Ordre peut aussi décider de l’affecter à la majoration des indemnités
versées aux avocats, sous la forme d’une majoration complémentaire ou d’une rétribution
forfaitaire substitutive.
Le Sadjav détermine le montant de la subvention versée au barreau en fonction de
critères portant sur la coordination et la continuité de la permanence, l’accès dématérialisé au
tableau de celle-ci, la formation des avocats, l’accompagnement des victimes, et la régulation
de l’aide juridictionnelle en matière de commission d’office.
Le montant de cette dotation complémentaire ne peut pas dépasser 20 % du montant des
rétributions allouées au titre des missions du périmètre retenu. Le montant est calculé en
fonction de deux éléments : un taux (7,5 à 12,5 %), déterminé en fonction de la façon dont la
convention répond aux critères de qualité, qui s’applique à une assiette, correspondant au
montant total de la dépense AJ sur la permanence concernée pour le barreau
66
.
La Carpa doit enregistrer le budget CLAJ sur le portail
AvoCarpa
.fr afin que l’Unca y
accède, et procède aux vérifications avant de transmettre les états consolidés au Sadjav.
3.2.2.3
Les premières expériences des CLAJ
Les premières CLAJ ont été signées en 2020. En 2022, le nombre cumulé de conventions
conclues (145) démontre l’adhésion à ce dispositif en comparaison avec l’ancien mécanisme
(seuls 44 protocoles avaient été signés sur l’ancienne base règlementaire en 2019). En 2022,
17 M
devraient être payés au titre des CLAJ.
Les évaluations des conventions, prévues à leur échéance, ont été engagées en début
d’année 2023. Réalisées par les barreaux et les juridictions, elles sont transmises au ministère
de la justice et l’Unca. Elles doivent mettre en évidence les ajustements pour la prochaine
génération de conventions. Le nouveau plan triennal 2023-2025 s’inscrit dans la poursuite de
66
À titre d’exemple : la CLAJ de St Nazaire prévoit une permanence « Assistance Éducative ».
L’évaluation des critères qualité conduit à l’affectation d’un taux de 9,5%. Ce taux est appliqué à l’assiette
correspondante (le montant de dépense d’AJ relatif à l’assistance éducative pour ce barreau) de 76 709
. La
dotation est le produit des deux critères, soit 7 287
.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
54
la dynamique constatée : au 31 décembre 2023, 160 barreaux et juridictions ont rejoint le
dispositif.
Dès lors que la philosophie des CLAJ est de faciliter l’accès au droit pour les plus
démunis, il pourrait être envisagé qu’elles prévoient des consultations juridiques préalables
67
,
organisées dans la cadre des permanences d’avocats au sein des juridictions. Ces consultations
pourraient aider le justiciable à éviter de s’engager dans des procédures dénuées de fondement,
dans le même esprit que l’objectif de l’article 7 de la loi AJ, dont la mise en
œ
uvre est trop peu
fréquente (v.
supra
) et permettrait d’orienter le justiciable vers des modes alternatifs de
règlement des différends, insuffisamment mis en
œ
uvre. Ces consultations ne relèveraient pas
de la politique d’accès au droit, mais s’inscriraient dans la démarche de promotion des modes
alternatifs de règlement des différends et d’évitement des procédures dilatoires.
Cette extension pourrait aussi être de nature à attirer davantage d’avocats vers l’aide
juridictionnelle sachant que leur contribution reste inégale. Ainsi, par exemple, les échanges
avec le tribunal judiciaire de Martinique ont montré des difficultés de recrutement d’avocats
volontaires.
De telles évolutions et les premières expériences positives des CLAJ devraient inciter
la chancellerie à engager, avec les juridictions et les barreaux, une réflexion sur la segmentation
aujourd’hui constatée de l’aide juridictionnelle notamment, en matière civile. La part des
dépenses d’aide juridictionnelles parmi les procédures civiles relevant du droit de la famille, de
l’ordre de 20 %, est élevée. Souvent, une situation familiale particulière peut donner lieu à
plusieurs procédures (par exemple une situation de divorce, dans un contexte de violence
familiale et de conflit sur la garde des enfants). Ces situations complexes gagneraient à être
traitées de manière globale afin d’améliorer la prise en charge du justiciable. Il convient
cependant de noter que le conseil national des barreaux est opposé à ce traitement global des
situations complexes.
Pourtant un tel dispositif permettrait de renforcer la cohérence des différentes
interventions d’avocat et d’en optimiser le coût. Il contribuerait aussi à améliorer la qualité du
service rendu aux justiciables, y compris par un recours à des procédures non contentieuses, en
évitant la segmentation d’une prise en charge d’autant plus préjudiciable qu’elle concerne des
publics modestes et souvent fragiles.
La nécessité de tirer des enseignements des grands procès
L’expérience des grands procès consécutifs aux attentats de 2015 et 2016 montre que
des dérives ont eu lieu et appelle une réflexion pour en éviter la réitération.
Les sommes versées pour le procès suite aux attentats de novembre 2015 ont atteint plus
de 54 M
alors qu’elles avaient initialement été évaluées à moins de la moitié. Le cumul de
plusieurs causes est à l’origine de cette situation.
En premier lieu, le nombre de parties civiles (plusieurs milliers) a eu pour conséquence
un montant d’aide juridictionnelle important.
67
L’avis du Défenseur des droits du 27 mai 2019 sur l’AJ, préconise la prise en charge de la consultation
juridique préalable.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
55
En deuxième lieu, compte tenu des règles de sécurité, des décisions spécifiques ont été
prises pour garantir aux avocats un niveau de rémunération jugé cohérent avec leur
mobilisation. Le cadre normal d’exécution de l’aide juridictionnelle pose comme principe que
chaque demi-journée d’audience supplémentaire donne lieu à une rétribution à hauteur de huit
UV, sans définir ce qu’est une demi-journée. Or, pour le procès suite aux attentats du 13
novembre 2015, les audiences débutaient à midi et demi et terminaient souvent tard, au-delà de
20 heures.
La décision a été prise par le garde des sceaux, par courrier au bâtonnier de Paris du 10
août 2021, du principe d’une majoration pour demi-journée supplémentaire par tranche de cinq
heures d’audience. Toute audience se terminant au-delà de 17h30 a donc donné lieu à une
rétribution supplémentaire pour huit UV. Cette décision a eu des conséquences financières très
importantes, conduisant en première analyse à un possible surcoût d’environ 50°%.
En effet elle a été mise en
œ
uvre dans des conditions qui en ont accentué le caractère
favorable pour les avocats. Tout en précisant qu’une application stricte des textes ne permet la
prise en compte que d’une seule majoration par demi-journée supplémentaire par jour et par
avocat, le ministre de la justice précise que deux audiences prévues pour durer sept heures et
demi chacune sur deux jours donnent lieu à majoration de trois demi-journées supplémentaires,
soit une majoration de plus que ce que le droit commun prévoit. Il indique aussi que la
majoration serait retenue même en cas de durée inférieure à cinq heures. L’exemple donné était
le suivant : pour 153 jours d’audience d’une durée quotidienne moyenne de sept heures et demi,
l’avocat qui assiste un seul client à l’ensemble des audiences devait percevoir, outre sa
rétribution prévue par le barème applicable, un montant d’environ 62 000
HT au titre des
majorations pour demi-journées d’audience supplémentaires. Ces dispositions dérogatoires aux
règles applicables, cumulées au nombre très important de parties civiles, ont conduit, dans
certains cas à une forte concentration de rétributions au bénéfice d’un seul cabinet d’avocats.
Les modalités de versement des aides se sont également écartées du cadre de droit
commun. Compte tenu de la durée du procès, la décision a ainsi été prise, à titre exceptionnel,
de mensualiser la rétribution des avocats. Cette dernière dérogation a aussi été appliquée au
procès de l’attentat de Nice
68
.
Interrogé sur la base juridique de ces décisions, le ministère a simplement fait état du
«
pouvoir réglementaire propre à chaque ministre
69
» sans préciser si ces modalités sont
destinées à perdurer ou à ne s’appliquer qu’en cas de circonstances exceptionnelles. Dans l’une
ou l’autre de ces hypothèses, elles auraient dû toutefois être fondées sur une disposition
règlementaire explicite
En troisième lieu, il est apparu que la dégressivité prévue par les textes
70
n’était pas
adaptée à ces procès en raison du grand nombre de parties civiles. Cette spécificité a en effet
conduit à un cumul de versements au bénéfice d’un petit nombre d’avocats qui ont bénéficié de
sommes très importantes. Le tableau ci-dessous témoigne des disparités des rétributions des
avocats et, pour certains d’entre eux, de leur montant extrêmement élevé. Elles ont en effet
68
Lettre du garde des sceaux du 12 septembre 2022.
69
En l’espèce, il s’agit d’interpréter les dispositions prévues aux lignes VII.1 et suivantes du tableau 2 du
décret n°2020-1717.
70
La dégressivité est prévue par l’article 38 de la loi sur l’AJ et par l’article 92 de son décret d’application
(30 % pour la deuxième affaire, de 40 % pour la 3
ème
, de 50 % pour la 4
ème
et de 60 % au-delà).
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
56
varié, selon le nombre de parties civiles représentées, de moins de 10 000
à plus de 4 M
,
pour un avocat représentant 144 parties civiles.
Tableau n° 20 :
Bilan des montants versés au titre de l’AJ- procès des attentats du 13 novembre 2015
Barreau
Nombre
d'avocats
Nombre
de PC
Montant total
versé (
)
Montant versé par
avocat (
)
Reims
1
144
4 051 872,80
4 051 872,80
Rouen
1
136
1 610 114,40
1 610 114,40
Montpellier
4
18
1 113 015,88
278 253,97
PARIS - Avocats PC
147
1734
43 396 634,72
295 215,20
PARIS - Avocats défense
14
14
900 389,00
64 313,50
Total PARIS
161
1748
44 297 023,72
275 136,79
Colmar
2
8
284 131,20
142 065,60
Nanterre
2
8
249 042,40
124 521,20
Clermont-Ferrand
2
8
233 897,80
116 948,90
Évry
1
4
90 461,36
90 461,36
Melun
2
6
175 880,16
87 940,08
Angers
3
13
224 082,56
74 694,19
Bobigny
5
15
351 907,40
70 381,48
Lyon
8
30
435 450,56
54 431,32
Versailles
7
14
359 435,68
51 347,95
Lille
9
25
450 496,92
50 055,21
Créteil
2
3
90 983,
45 491,90
Tours
1
2
42 536,20
42 536,20
Grenoble
1
1
41 174,80
41 174,80
Épinal
1
3
35 096,20
35 096,20
Limoges
1
1
33 545,64
33 545,64
Autres barreaux
38
66
296 046,12
7 790,69
Total
252
2253
54 466 195,60
216 135,70
Source : Cour des comptes d’après données du ministère de la justice
L’importance des sommes versées s’explique notamment par le fait que certains avocats
ont assuré la représentation d’un nombre très important de parties civiles. Dans un tel cas de
figure, des mécanismes de dégressivité auraient pu trouver à s’appliquer, selon le mécanisme
explicité par le Conseil d’État dans son avis n° 398918 du 18 juillet 2017.
Le Conseil indiquait que : « lorsque
plusieurs bénéficiaires de l'aide juridictionnelle
présentent, dans une même instance ou dans plusieurs instances, des conclusions identiques en
demande ou en défense conduisant le juge à trancher les mêmes questions, l'avocat les
représentant au titre de l'aide juridictionnelle réalise à leur égard une seule et même mission
».
Un mécanisme de cette nature aurait pu être défini dans le cadre d’une procédure certes
exceptionnelle dans son ampleur et dans sa gravité, mais qui justifiait néanmoins de mettre en
place un dispositif de régulation adapté à ses enjeux et aux coûts engagés pour l’État.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
57
Le ministère de la justice indique qu’un travail sur ce point est en cours et rappelle que
les règles de dégressivité ont déjà joué un rôle dans la limitation de la dépense. Cependant les
rétributions constatées, non contestées par le ministère, témoignent de concentrations possibles
de sommes très importantes au bénéfice d’un seul avocat.
Les enseignements doivent être tirés de ce précédent et un dispositif adapté de
dégressivité doit être institué en vue de plafonner les rétributions en cas de demandes multiples.
Des directives gagneraient également à être données aux Baj lorsqu’ils constatent
l’accumulation de procédures introduites pour qu’elles soient recensées en vue de faire jouer
une forme de dégressivité.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
La question de la rétribution des auxiliaires de justice est au c
œ
ur de la politique
d’attribution de l’aide juridictionnelle. En dépit de la revalorisation des unités de valeurs et de
la hausse des dépenses constatées, cette politique reste contestée tant dans ses modalités
techniques que dans ses montants voire même dans sa nature.
D’ampleur encore limitée, la contractualisation entre les juridictions et les barreaux à
la faveur des CLAJ constitue une modalité nouvelle de coopération dont le développement est
en cours. Les premières évaluations qui en seront tirées pourraient conduire à une réflexion
sur une extension de son champ. Le bilan doit également être tirée de l’expérience des grands
procès liés aux attentats.
De tels bilans et évaluations pourraient utilement enrichir la nécessaire réflexion sur
l’adaptation des modalités de versement de l’aide juridictionnelle dans la perspective du
développement d’une politique de l’amiable, souhaitée par le garde des sceaux.
Recommandation n° 6
(SG du ministère de la justice, Unca) : Prévoir une disponibilité
immédiate de trésorerie au sein de l’Unca en cas de difficulté ponctuelle dans une Carpa.
Recommandation n° 7
(SG du ministère de la justice, Unca) : Mettre en place un système
de contrôle couvrant l’ensemble des risques inhérents au versement de l’aide
juridictionnelle, notamment ceux relatifs au calcul des majorations et aux barèmes utilisés.
Recommandation n° 8
(SG du ministère de la justice) : Mettre en place un mécanisme de
dégressivité permettant de plafonner la rétribution des avocats prise en charge par l’État
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
58
dès lors qu’ils assistent un nombre important de bénéficiaires de l’aide juridictionnelle
pour une même affaire ou une affaire posant une question juridique réitérée.
4
LE NOUVEAU SYSTEME D’INFORMATION DE L’AIDE
JURIDICTIONNELLE
La transformation numérique du traitement de l’aide juridictionnelle, débutée en 2016,
est encore en cours. Le nouveau système d’information de l’aide juridictionnelle (
Siaj
), outil de
dématérialisation de la procédure depuis le dépôt de la demande jusqu’à la décision, est destiné
à remplacer le logiciel
Ajwin
utilisé pour la gestion des dossiers depuis les années 1990 et qui
ne comportait que des fonctionnalités de saisie, obligeant à se référer au dossier papier.
Les retards constatés dans la mise en
œ
uvre de ce nouveau système sont dus à plusieurs
facteurs, notamment l’insuffisante définition de ses objectifs, un pilotage longtemps défaillant
et une externalisation des développements mal organisée. Ces dysfonctionnements ont conduit
à un surcoût élevé du projet, alors même que l’informatisation ne porte pas sur l’ensemble du
processus d’aide juridictionnelle, l’automatisation de la production des attestations de fin de
mission (AFM) n’étant pas prévue, et que les conséquences de l’utilisation de S
iaj
par les
bureaux d’aide juridictionnelle sont encore insuffisamment prises en compte.
4.1
Des dysfonctionnements ayant conduit à des retards importants dans
le déploiement de l’application
Le terme générique de dématérialisation totale a conduit à une définition initiale
insuffisante de
Siaj
, dont la mise en
œ
uvre a été retardée par de nombreux dysfonctionnements.
Des dysfonctionnements importants
4.1.1.1
Une définition initiale insuffisante du contenu de
Siaj
L’idée à l’origine du projet, en 2016, était que la demande d’aide juridictionnelle «
serait
numérisée de bout en bout, de la demande initiale à l’instruction et l’attribution, pour les
justiciables comme pour les auxiliaires de justice
». En l’absence d’un cadrage précis du projet
par le ministère de 2016 à 2018, la direction interministérielle de la transformation publique
(DITP) a réalisé ce travail en décembre 2019 et a fixé deux objectifs au nouveau système :
traiter les demandes d’aide juridictionnelle de manière plus rapide et plus équitable sur
l’ensemble du territoire et proposer une démarche dématérialisée avec un accompagnement.
Les utilisateurs du système sont d’une part, les demandeurs de l’aide juridictionnelle et
d’autre part, les bureaux d’aide juridictionnelle. Les premiers déposent leur demande en ligne
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
59
et doivent pouvoir en suivre l’avancement. Le cas échéant, ils reçoivent de manière
dématérialisée des demandes d’informations complémentaires. Les seconds instruisent les
demandes (déposées en ligne ou sous forme papier) et peuvent communiquer avec les
demandeurs de manière dématérialisée. Enfin, la décision est produite et transmise au
justiciable ainsi qu’à l’Unca via une plateforme dédiée.
Si la finalité générale du nouveau système est claire, le pré-déploiement réalisé sur les
sites pilotes de Rennes et Lorient en 2021 a montré que les modalités de mise en
œ
uvre de
certaines fonctionnalités n’avaient pas été suffisamment définies et que le logiciel n’était pas
adapté aux juridictions les plus importantes en raison de l’organisation spécifique du travail
dans leur Baj. Le logiciel induisait en effet un changement de méthode de travail pour les agents,
ce qui a pu conduire au rejet de l’outil.
Le ministère aurait dû prendre en compte la diversité des tailles des juridictions dès la
définition du besoin et non au moment du déploiement, cette inadaptation ayant occasionné des
retards et donc des coûts supplémentaires.
4.1.1.2
Une gouvernance du projet longtemps confuse
Un rapport commun de l’inspection générale de la justice et de l’inspection générale des
finances de 2018 préconisait de clarifier le pilotage du projet et d’assurer une coordination inter-
directionnelle en mettant en place une équipe projet réunissant la direction des services
judiciaires (DSJ), le Sadjav et le service des systèmes d’information et de communication,
dénommé désormais service du numérique (Snum).
Cette clarification n’a pas été réalisée et en 2022 les difficultés de pilotage persistaient
comme le montrent les comptes rendus des comités stratégiques. Un document du Snum,
intitulé «
Siaj
gouvernance transverse » en date du 17 novembre 2021 énumère notamment de
nombreuses instances : des comités de suivi hebdomadaires, une instance tactique mensuelle et
des comités stratégiques trimestriels
71
.
En 2022 d’importantes difficultés techniques
72
ont conduit à organiser trois comités
stratégiques qui ont appelé de nouveau à un renforcement du pilotage du projet. Lors du comité
stratégique du 25 mars, le secrétariat général a demandé une proposition commune Snum-
Sadjav en vue d’une gouvernance unique du projet mais aucun document permettant de savoir
comment il a été répondu à cette demande n’a été communiqué à la Cour.
4.1.1.3
Un pilotage défaillant des équipes de maîtrise d’
œ
uvre et de maîtrise d’ouvrage
La réalisation du
Siaj
par une première équipe a été interrompue suite à la réorganisation
du Snum, mais aussi, selon le ministère, en raison de fortes tensions relationnelles entre l’équipe
71
Les premiers sont composés du représentant du Sadjav et du Snum, le dernier inclut aussi des
représentants de la DSJ.
72
Des difficultés techniques ont conduit en janvier 2022 à un arrêt du
Siaj
et au retour, dans les sites où
l’application avait été déployée, à l’application
Ajwin
. Les résultats des tests de performance ont permis au comité
du 25 mars 2022 de décider de la reprise des déploiements d’avril jusqu’à l’été 2022.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
60
chargée de la maitrise d’
œ
uvre et celle responsable de la maitrise d’ouvrage, préjudiciables à la
continuité du projet.
Par ailleurs, les difficultés rencontrées en 2021 pour assurer la direction de l’équipe de
maitrise d’
œ
uvre a conduit le ministère à externaliser cette fonction auprès d’un cabinet de
conseil via l’UGAP. Cette prestation a été facturée près de 108 000
pour six mois et demi. Or
le pilotage des équipes ressort des compétences des chefs de service.
Le ministère a précisé que «
le recrutement de chefs de projet est une priorité du Snum,
mais compte tenu du plafond d’emploi attribué en 2022, choix a été fait de prioriser les postes
de managers-chefs de bureau, chefs de section…, qui ont vocation également à piloter
l’externalisation
». Cette défaillance est une des explications des retards constatés dans le
déploiement de l’outil
Siaj
.
Ces difficultés de pilotage ont été d’autant plus dommageables que la méthode
Agile
utilisée pour développer
Siaj
doit normalement permettre la réactivité des équipes et
l’adaptation rapide aux besoins constatés. Mais elle suppose d’une part de mettre en place un
suivi financier très rigoureux des marchés de prestations de maîtrise d’
œ
uvre, ce que la Cour
des comptes relevait déjà dans son rapport sur les grands projets numériques de l’État
73
et
d’autre part d’organiser des équipes projets pluridisciplinaires pouvant piloter les prestataires
extérieurs, comme le rappelle la circulaire du 7 février 2023 de la Première ministre
74
.
Or en l’espèce le suivi financier n’a pas toujours été satisfaisant, notamment
dans la
définition de l’attendu de chaque bon de commande, dans les attestations de service fait pour
chacun de ces bons et dans la conduite des tests de réception des développements livrés par les
prestataires. Ainsi quelques prestations ont été payées alors qu’elles ne correspondent pas à
l’objet mentionné dans les bons de commande, deux dates de service fait étaient erronées et
enfin des fonctionnalités qui n’ont pas à ce jour été intégrées au Siaj (Interface
Cassiopée
/logiciels métiers civils ou AFM audience) ou semblent sans rapport apparent avec
le système d’information (formation langues étrangères
chatbot
), ont été commandées et
payées.
Ces constatations attestent de défaillances dans l’exercice des missions qui incombent
tant aux comptables qu’aux ordonnateurs et qui conditionnent le fonctionnement de la chaine
de la dépense de l’État. Il appartient à l’ordonnateur de veiller à la réalité du service fait et au
comptable d’exercer le contrôle de la réalité de la dette, conformément au décret n°2012-1246
du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique. En outre
l’ordonnateur doit assurer le pilotage de ses équipes et celui de ses prestataires : il doit
notamment veiller à ce qu’aucune relation de dépendance n’existe entre les prestataires chargés
de la maitrise d’ouvrage et ceux responsables de la maitrise d’
œ
uvre. Sur l’ensemble de ces
points, des défaillances ont été constatées et ont contribué aux retards dans le déploiement du
Siaj.
73
Rapport de la Cour des comptes « La
conduite des grands projets numériques de l'État
», 2020.
74
Circulaire n°6391/SG relative au pilotage et à l’encadrement du recours aux prestations intellectuelles
informatiques.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
61
Des retards dans le déploiement
Le rapport IGJ-IGF de 2018 précité estimait que la dématérialisation complète de la
procédure s’étalerait sur une période de 14 mois. Cependant le lancement effectif du projet n’a
débuté qu’en 2020, une fois retenu le principe du revenu fiscal de référence comme critère
d’éligibilité à l’aide juridictionnelle.
En novembre 2022, le
Siaj
était déployé dans un peu moins d’une centaine de Baj, sur
un total de 169 et, fin septembre 2022, au niveau national, environ 7 % des décisions d’AJ
étaient rendues en utilisant le
Siaj
. Le ministère a néanmoins précisé que les juridictions qui se
sont emparées du kit de communication mis à disposition par l’équipe projet ont des taux qui
oscillent entre 20 et 30 %
75
.
Les plus grandes juridictions ont commencé à être dotées de Siaj au début 2023. Au 7
juin 2023, 95% des bureaux d’aide juridictionnelle en sont dotés. Les déploiements sur les
tribunaux des ressorts de Marseille, Lille et Paris étaient respectivement prévus les 14 juin 2023,
15juin 2023 et 4 juillet 2023. Enfin, le déploiement de l’outil devrait débuter à compter du
premier semestre 2024 dans les juridictions administratives.
En début d’année 2023, toutes les fonctionnalités prévues n’étaient pas encore
développées : certaines devraient être livrées en cours d’année, notamment la gestion des
rubriques sur le retrait de l’AJ, le recouvrement, l’inclusion des juridictions administratives
dans le système et la protection des données. Par ailleurs, certaines fonctionnalités ne seront
opérationnelles que dans un deuxième temps ou ne sont pas encore prévues
76
.
Tableau n° 21 :
Indicateurs
Siaj
et cible (décembre 2022)
Ajwin
Siaj
2020
2021
Du début du
Siaj
au 1/7/2022
Du début du
Siaj
au 2/12/2022
Cible fin 2023
Délai d’obtention
de la décision (j)
52,5
3,64
(4 449 décisions)
7,4
(9 207 décisions)
7,73
(109 952
décisions)
5
Nb de sites Siaj
déployés
-
54
77
126
169
Taux de demandes
dématérialisées
-
4,1 %
6,1 %
7,99%
15 %
Source : Cour des comptes d’après données Sadjav
Le ministère a précisé que l’équipe projet multiplie les actions pour promouvoir
l’amélioration du taux de demandes dématérialisées. Ainsi, dans le cadre de la formation
continue des agents d’accueil
France Services
, des formations au dépôt des demandes en ligne
ont été dispensées en octobre 2022 auprès de 570 agents.
75
Ces pourcentages ne portent que sur les Baj dotés du
Siaj
.
76
Accès de l’avocat, gestion du contentieux administratif, rubrique dans Portalis, lien avec le greffe,
interfaçage avec la DGFiP, interfaçage avec d’autres services d’aides sociales, système d’alerte.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
62
4.2
Une lacune importante de S
iaj
: l’absence d’automatisation de la
production des attestations de fin de mission
L’automatisation de la production des autorisations de fin de mission présente trois
difficultés :
-
Il en existe neuf modèles (AFM administrative, civile, pénale, aide à l’intervention de
l’avocat, audition libre, déferrement, dépôt de nuit, détenus et les modes alternatifs de
règlement des différends), ce qui est en soi une source de complexité.
-
Ces modèles doivent être mis à jour en fonction des évolutions législatives et
réglementaires. Cette mise à jour prend nécessairement du temps : leur mise à disposition
est assurée sur l’intranet du ministère et le Sadjav adresse régulièrement des notes
d’information en la matière à destination des juridictions.
-
Malgré leur nombre (de l’ordre d’un million par an), les AFM ne sont pas dématérialisées,
ce qui emporte des conséquences multiples : le temps consacré par les greffes pour les
établir, les risques d’erreurs liées aux évolutions fréquentes, la nécessité pour l’avocat
disposant d’une AFM non conforme à la mission réalisée de revenir tant devant le greffe
que devant la Carpa
77
. Le Conseil national des barreaux est très favorable à la
dématérialisation.
Des économies importantes pourraient être réalisées en les dématérialisant, tant en ce
qui concerne le temps passé à les établir qu’en moyens matériels à mettre en
œ
uvre (papier,
classement …). De plus la dématérialisation permettrait à l’Unca d’avoir connaissance de la
créance existante avant que l’AFM soit déposée auprès de la Carpa par l’avocat.
Le Sadjav explique que l’absence de dématérialisation des AFM est liée à des
incompatibilités de logiciels. Cependant, le déploiement du
Siaj
et la prise de conscience des
failles du dispositif l’ont conduit à demander en septembre 2022 la réalisation d’une application
automatisant la production de ces attestations. Le ministère a indiqué que ce projet est prévu
dans la feuille de route 2024 avec pour objectif de proposer la transmission de l’AFM aux
avocats de façon dématérialisée par « ebarreau » pour tous les contentieux civils traités dans
l’application de suivi des procédures devant les tribunaux judiciaires, Portalis.
4.3
Des coûts non maîtrisés
En 2020, le ministère a réalisé une revue des projets inscrits au plan de transformation
numérique 2018-2022. Le budget du projet S
iaj
était alors évalué à 4 M
TTC, hors dépenses
de personnel.
Le projet annuel de performance 2021 du ministère, présente un budget de 6,1 M
, en
prenant en compte les dépenses de personnel. Mais il en minore le montant en omettant de
mentionner les coûts correspondants aux années 2018 et 2019, au cours desquelles des
prestations ont été réalisées pour près de 0,70 M
et des personnels ont été affectés au projet.
77
Cette situation peut se produire lorsque le barème utilisé n’est pas le bon, le barème requis étant celui
en vigueur à la date de la décision d’admission.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
63
À fin décembre 2022, le coût de ce projet s’élève à 9,3 M
, soit plus du double du
montant estimé en 2018, alors même que le déploiement n’est pas achevé et que toutes les
fonctionnalités prévues ne sont pas encore développées.
Tableau n° 22 :
Dépenses à fin 2022 des prestations réalisées pour le Siaj (en M
)
Source : Cour des comptes d’après les données du Sadjav, du Snum et de Chorus
Le PAP 2023 a retiré du périmètre des grands projets informatiques le
Siaj
, «
en raison
de l’avancement significatif des travaux avec engagement de phase de déploiement et
généralisation des portails agents/usagers en 2022 »,
ce qui
apparaît prématuré.
4.4
Une insuffisante évaluation des impacts de
Siaj
sur les missions des
bureaux d’aide juridictionnelle
L’expérimentation de
Siaj
à Lorient et à Rennes a montré que l’outil, tel que développé,
n’était pas toujours adapté au besoin des Baj et a permis d’identifier les évolutions à réaliser.
Néanmoins, sa généralisation pourrait faire apparaitre d’autres défauts ou insuffisances. Il est
donc nécessaire, à l’issue du déploiement, que ses résultats soient évalués avec soin, pour
vérifier qu’il rend bien les services attendus et, si nécessaire, pour identifier les actions à réaliser
pour atteindre les objectifs fixés, que ces actions portent sur la conduite du changement, le
réglage fin de l’outil ou le développement des fonctionnalités manquantes.
Par ailleurs, l’amélioration des délais de traitement des demandes et la réalisation de
gains de productivité constituent deux des objectifs tant de
Siaj
que de la réforme des conditions
d’éligibilité des demandeurs, du fait de la simplification induite par la prise en compte du revenu
fiscal de référence. Le ministère ne doit cependant pas se satisfaire de ces seuls progrès.
Certes le ministère indique que le déploiement de
Siaj
permettra une réduction du
nombre d’agents dans les Baj et qu’une réflexion sur leurs missions doit être menée, mais
aucune étude approfondie n’a pour l’instant été réalisée sur ces sujets.
Le seul élément disponible est la perspective de l’adoption prochaine du décret visant à
expérimenter un regroupement des Baj. Le ministère a confirmé qu’un projet de décret simple
a reçu un avis favorable du Conseil national de l’aide juridique (CNAJ) le 24 novembre 2022
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
64
et devrait faire l’objet d’une expérimentation pour une durée d’un an dans quelques cours
d’appel (Besançon, Dijon, Limoges).
La réflexion sur l’évolution des métiers des personnels des Baj n’a donc pas encore
abouti. Pourtant, il est nécessaire que le gain de temps généré par l’informatisation permette de
réorienter la mission des bureaux sur deux sujets importants, pour lesquels l’apport du nouveau
système d’information est réduit et la valeur ajoutée des bureaux réelle.
Le premier sujet est le contrôle des demandes sur les critères que le
Siaj
n’est pas en
mesure de traiter, et qui devraient permettre de mieux maîtriser la dépense (cf.
supra
) :
l’existence d’une assurance de protection juridique, le caractère manifestement irrecevable,
dénué de fondement ou abusif de l’action du demandeur (mise en
œ
uvre de l’article 7 de la loi
de 1991) et la détention d’un patrimoine rendant inéligible le demandeur. Il s’agit aussi
d’assurer dans les meilleurs délais la mise en recouvrement des dossiers le nécessitant.
Le second sujet est l’appui au public vulnérable : il est en effet nécessaire que l’aide
juridictionnelle conserve sa finalité propre. Le
Siaj
permet aux justiciables de formuler leur
demande par internet. Mais il ne faut pas pour autant que cette possibilité éloigne de l’AJ les
publics n’ayant pas accès aux outils numériques. Les Baj doivent donc être en mesure
d’accompagner ces publics sensibles. Ils doivent aussi veiller à l’application de l’article 6 de la
loi de 1991 qui permet d’accorder l’aide dans les situations dignes d’intérêt, même lorsque le
demandeur ne satisfait pas les critères formels d’éligibilité.
La localisation des Baj, leurs effectifs, ainsi que le profil et la formation de leurs agents,
devraient être déterminés, non seulement en fonction des gains de productivité réalisés grâce
au
Siaj
, mais aussi avec l’ambition de mieux traiter ces deux sujets, pour lesquels l’application
n’apporte pas de progrès. Sans cette ambition, le S
iaj
permettra certainement de réduire les
délais d’instruction et de réaliser des gains de productivité, mais il ne permettra pas de maîtriser
les coûts de l’aide juridictionnelle et éloignera du dispositif une partie du public auquel celui-
ci s’adresse.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
Malgré ses retards, le Siaj devrait parvenir à un déploiement complet à l’échéance fin
2023, sans toutefois inclure les juridictions administratives. Cependant, sa mise en
œ
uvre dans
les juridictions judiciaires de taille importante est en cours sans que l’on ne puisse être certain
qu’il soit adapté à ces juridictions. En outre, plusieurs points de vigilance incitent à tenir
compte des retours des juridictions l’ayant mis en
œ
uvre, mais aussi des réflexions menées par
les avocats, notamment sur leur accompagnement des demandeurs. La prise en compte de la
vulnérabilité du public de l’aide juridictionnelle est impérative dans ce projet de
dématérialisation.
Les fonctionnalités doivent être encore précisées en vue d’une efficacité renforcée au
regard des objectifs de l’AJ. Il est également nécessaire d’accompagner de déploiement du Siaj
d’une réflexion sur le métier même des agents des Baj, les gains de temps sur la dimension
administrative de l’AJ devant conduire à une prise en charge davantage axée sur le contenu
des demandes.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
65
Recommandation n° 9
: (DSJ, SG du ministère de la justice) : Informatiser la production
des attestations de fin de mission (AFM).
Recommandation n° 10
(DSJ, SG du ministère de la justice) : Faire un bilan de
l’utilisation de
Siaj
à la fin de l’année 2023 afin de corriger les défaillances relevées et
développer les fonctionnalités identifiées comme manquantes.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE
66
GLOSSAIRE
AFM : attestation de fin de mission
AJ : aide juridictionnelle
AMOA : assistance à maitrise d’ouvrage
AMOE : assistance à maitrise d’
œ
uvre
Baj : bureau d’aide juridictionnelle
Carpa : caisse des règlements pécuniaires des avocats
CLAJ : convention locale pour l’aide juridictionnelle
CNAJ : conseil national de l’aide juridique
DAE : direction des achats de l’État
DITP : direction interministérielle de la transformation publique
DSJ : direction des services judiciaires
ETPT : équivalent temps plein travaillé
IGF : inspection générale des finances
IGJ : inspection générale de la justice
PAP : projet annuel de performance
RH : ressources humaines
Sadjav : service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes
SG : secrétariat général
Siaj
: système d’information de l’aide juridictionnelle
Snum : service du numérique
TJ : tribunal judiciaire
Unca : union nationale des caisses des règlements pécuniaires des avocats