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Le 4 juillet 2023
Le Premier président
à
Madame Élisabeth Borne
Première minist
r
e
Réf. :S2023-0769
Objet
: Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC)
En application des dispositions de l’article L°111-2 et L° 111-3 du code des juridictions
financières, la Cour a examiné les comptes et la gestion de l’Établissement public du
Centre
national du cinéma et de l’image animée (CNC), pour les exercices 2011 à 2022.
Opérateur culturel de tout premier plan, tête de réseau incontournable, le CNC mobilise
l’ensemble des leviers de l’action publique à destination des filières cinématographiques et
audiovisuelles, assumant la réglementation, organisant la concertation et protégeant les droits
associés aux
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uvres. Il dispose d’instruments puissants tels que le versement de soutiens
publics (680 M
en 2022) et un pouvoir d’agrément aux différents crédits d’impôt (545 M
en
2022). Le CNC se situe au quatrième rang des établissements publics collecteurs de taxes
affectées qui constituent son mode de financement principal
1
.
À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de
l’article R. 143-11 du même code, d'appeler votre attention sur les observations suivantes :
Réactif et à l’écoute des professionnels face aux mutations des formats et des supports
de diffusion, le CNC n’est cependant pas parvenu à mener à bien une révision générale de
ses soutiens nécessaire à une plus grande lisibilité et efficacité.
L’information comptable et financière est peu lisible et établie avec un niveau de
contrôle sous-dimensionné au regard de la taille de cet opérateur. Du fait de leur complexité,
les états financiers ne lèvent pas toutes les interrogations sur un risque de surfinancement
public à l’échelle de la filière.
Jouissant d’un statut sui generis et d’une grande indépendance, le CNC doit voir, sans
délai, ses dispositifs de contrôles externes renforcés et ses outils de pilotage stratégique mis
en place par les tutelles.
1
Le total des taxes affectées à l’établissement et de ses ressources propres s’élève à 854 M
en 2022, dont 645
M
sont collectées par l’établissement lui-même (TSA, TST, et cotisations professionnelles).
Cour des comptes – Référé S2023-0769
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1.
UNE RÉFORME INABOUTIE DES SOUTIENS ACCORDÉS PAR LE CNC
Les filières du cinéma et de l’audiovisuel connaissent, depuis le début des années
2010, une profonde mutation des usages (consommation à la demande) et l’arrivée de
nouveaux acteurs (les plateformes sur Internet). Le CNC est, en France, au c
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ur du système
de soutien à ce secteur, dont la réussite est attestée par une part de la production française
dans la consommation de contenus en France qui demeure plus élevée que dans les pays
voisins.
L’étendue même des objectifs assignés au CNC et la diversité de ses modalités
d’intervention confirment le diagnostic d’un établissement dynamique, ayant tissé des
partenariats de qualité avec les acteurs privés et les collectivités territoriales et qui a su
protéger et accompagner une industrie nationale de premier plan.
Depuis 2011, l’établissement a relevé un grand nombre de défis. Tout en défendant le
modèle d’une production indépendante à l’échelle européenne, il a intégré les plateformes
numériques au financement des filières cinématographiques et audiovisuelles via la taxe sur
les services vidéo et leur a ouvert son système d’aides. Le CNC a également accompagné la
montée en gamme de la production audiovisuelle et son exportation ; il a incité efficacement
les exploitants à la numérisation de leurs salles, au bénéfice d’une fréquentation qui s’est
maintenue pendant toute la décennie. Face à l’ampleur de la crise sanitaire, le CNC a pu
mobiliser rapidement des crédits budgétaires exceptionnels pour des montants significatifs
(425 M
).
Cependant, ce résultat est obtenu au prix de financements publics croissants, passés
entre 2012 et 2019 de 20°% à 28°% de la production de films français. Le CNC n’a pu infléchir
la progression continue du nombre des films d’initiative française (+20°% entre 2011 et 2019),
ce qui fragilise leurs chances de succès
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. Les dispositifs d’aides publiques au cinéma sont, de
plus, complexes. L’augmentation continue de leur nombre (120 dispositifs d’aides en 2021
contre 88 en 2011) et la modification constante de leur règlement général rendent leur
évaluation très difficile, ce qui constitue un élément de fragilité partagé par plusieurs expertises
et l’établissement lui-même.
La révision générale des soutiens, engagée par l’équipe dirigeante à partir de 2020,
était donc souhaitable. Elle n’a cependant abouti jusqu’à présent qu’à peu de réformes
concrètes qui iraient dans le sens d’une plus grande lisibilité et d’une meilleure articulation
avec la gestion budgétaire et comptable. À titre d’exemple, le CNC n’est pas aujourd’hui en
capacité de produire de façon immédiate le montant total des aides reçues par un bénéficiaire.
Le renforcement qui a été engagé des systèmes d’information et des contrôles face à
l’effacement des frontières entre les secteurs, doit donc être poursuivi.
2.
LA FAIBLE LISIBILITÉ DES ÉTATS COMPTABLES ET FINANCIERS QUI
APPELLE DAVANTAGE DE CONTRÔLE EXTERNE
L’information financière et comptable de l’établissement est foisonnante et
de facto
d’un accès difficile pour ses administrateurs, qui ne disposent pas des clés de lecture du
passage entre la comptabilité générale - l’essentiel de la documentation fournie - et budgétaire
- les documents votés -.
L’évolution de l’établissement au cours du temps, les infléchissements de ses priorités
sont difficiles à reconstituer, tant il manque une présentation simple de son activité qui tienne
compte des spécificités de son action exercée dans un cadre pluriannuel (accès à des
comptes de soutien automatique, avances partiellement ou totalement remboursables etc.).
2
Le nombre de films d’initiative française agréés par an est passé de 209 à 261, tandis que les films représentant
moins de 20 000 entrées passaient de 58 à 89 entre 2011 et 2019.
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Le CNC dispose de plus d’un milliard d’euro de provisions
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en 2022, ce qui conduit à
la situation paradoxale d’un établissement qui voit sa trésorerie et son fonds de roulement déjà
élevés progresser sur la période (respectivement 727 et 818 M
en 2022), alors que ses
résultats nets de gestion ont été à sept reprises négatifs entre 2011 et 2022. La revue annuelle
des provisions et le réexamen de leurs règles de constitution, afin de restituer une image fidèle
des engagements de l’établissement, sont indispensables.
La multiplication de réserves et le maintien d’un compte de report à nouveau négatif
en haut de bilan brident son action sur les filières, dans la mesure où il ne dégage pas de
réserves significatives pour financer des projets stratégiques approuvés par la tutelle.
Au vu de l’importance des ressources publiques affectées au CNC et de sa complexité
comptable, la Cour recommande que soit mis en place, sans délai, un cadre de gouvernance
financière approprié, avec la nomination d’un commissaire aux comptes, dont le CNC se
dispense jusqu’à présent, et l’installation d’un comité d’audit auprès du conseil
d’administration, indispensables pour éclairer tant les administrateurs que la tutelle.
Cette clarification est nécessaire pour que le CNC, adossé à des ressources affectées
dynamiques
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, prenne le relais de France 2030 afin de soutenir la formation et l’investissement
dans des studios de cinéma et le numérique, comme il l’a fait dans le passé pour financer la
numérisation des salles et des
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uvres, ainsi que le déménagement de l’établissement.
3.
UNE TUTELLE À RENFORCER
Le CNC et le ministère de la culture mettent souvent en avant un statut
sui generis
pour expliquer l’autonomie de décision de l’établissement, à la fois opérateur et régulateur.
Cependant, au regard tant de son mode de financement qui l’oblige, que des observations
relevées par la Cour, il est indispensable que le CNC rende compte plus précisément de son
action auprès de ses tutelles, les ministères de la culture et des finances.
Il manque ainsi, et on peut s’en étonner, les outils de pilotage de référence prévus par
les circulaires du Premier ministre des 26 mars 2010 et 23 juin 2015 définissant les relations
de l’État avec ses opérateurs : contrat d’objectifs et de performance (COP) et lettre de mission
du président. Quelles que soient les qualités du document stratégique de performance, il ne
s’agit en aucun cas d’un contrat négocié avec les tutelles.
Un COP doit être établi comportant une trajectoire financière, afin de sortir de la logique
déjà relevée par la Cour lors de ses précédents contrôles, d’un pilotage des interventions par
le niveau des recettes.
Le président de l’établissement public doit également être destinataire d’une lettre de
mission, signée par ses ministres de tutelle, qui formalise les objectifs stratégiques et
opérationnels au service des industries de l’image et du rayonnement culturel français.
Par conséquent, la Cour formule notamment les recommandations suivantes :
Recommandation n° 1.
(CNC) : à la suite de la revue générale des soutiens, mettre en
œ
uvre
une réforme approfondie des aides ;
Recommandation n° 2.
(CNC, ministère des finances) : procéder annuellement à une revue
des provisions et à leur ajustement en fonction des risques statistiquement constatés ;
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Les principales provisions sont constituées pour charges de soutiens automatiques et sélectifs, pour charges de
taxes trop perçues et pour dépréciation de l’actif.
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Et grâce au reliquat des crédits budgétaires reçus pendant la crise sanitaire.
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Recommandation n° 3.
(CNC, ministère des finances, ministère de la culture) : créer un
comité d’audit rattaché au conseil d’administration ;
Recommandation n° 4.
(CNC, ministère des finances, ministère de la culture) : mettre en
place un commissariat aux comptes afin d’améliorer la transparence et la lisibilité des
comptes ;
Recommandation n° 5.
(CNC, ministère de la culture, ministère des finances) : mettre en
place un contrat d’objectifs et de performance ;
Recommandation n° 6.
(ministère de la culture, ministère des finances) : prévoir une lettre
de mission adressée par les ministères de tutelle au président du CNC.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois, prévu à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières (CJF), la réponse, sous votre signature, que vous
aurez donnée à la présente communication
5
.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des
finances, et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes
de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son
site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L. 143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous
fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue
de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé
à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue
entre elle et votre administration.
Je vous informe également que les conclusions de ce contrôle ont fourni matière à des
observations définitives qui seront mises en ligne et consultables sur le site de la Cour après
la publication du présent référé.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici
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La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante :
greffepresidence@ccomptes.fr
(
cf
. arrêté du 8 septembre 2015 modifié portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).