Sort by *
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Le 8 juin 2023
Le Premier président
à
Madame Élisabeth Borne
Première ministre
Réf. : S2023-0689
Objet
: Les compléments de rémunération des fonctionnaires outre-mer
En application
des dispositions de l’article
L. 111-3 du code des juridictions financières,
la Cour des comptes a mené une enquête sur les compléments de rémunération des
fonctionnaires affectés outre-mer.
La Cour s’est attachée à vérifier la mise en œuvre des
recommandations formulées en 2015 dans le cadre de son précédent rapport portant
spécifiquement sur la fonction publique de l’État
1
, mais aussi à analyser globalement le
dispositif au sein des trois fonctions publiques (y compris les militaires) dans l’ensemble des
territoires ultramarins.
La Cour
m’a demandé
,
en application des dispositions de l’article R.
143-11 du même
code, d'appeler votre attention sur les principales observations et recommandations résultant
de ses travaux. En effet, aucune suite n’a été donné
e par le Gouvernement à ses
recommandations
: les constats faits antérieurement restent d’actualité.
Les compléments de rémunération accordés aux fonctionnaires servant outre-mer ont
été mis en place dans les années cinquante. Composés à la fois de majorations de traitement
proprement dites et de diverses indemnités associées, ils visaient principalement à :
- compenser le différentiel de coût de la vie entre la métropole et les territoires
ultramarins ;
- couvrir les frais liés à
l’installation et prendre
en compte les sujétions propres à la vie
outre-mer (conditions de vie, éloignement, isolement) ;
-
développer l’attractivité des emplois, en attirant les métropolitains et les jeunes
diplômés locaux afin de renforcer les effectifs de cadres dans la fonction publique.
1
Cour des comptes,
Rapport public annuel 2015
, Tome I. Les compléments de rémunération des fonctionnaires
de
l’État
outremer
:
refonder
un
nouveau
dispositif,
La
Documentation
française,
février
2015,
Cour des comptes
Référé n°S2023-0689
2
/
5
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Depuis sa création il y a plus de 70 ans, ce dispositif est devenu complexe, générateur
d’inégalités entre les agents, mal mesuré sur le plan budgétaire et source de dérive et
d’accroissement de son coût, de l’ordre de 1,5
Md€ pour les seuls fonctionnaires de l’État et
les militaires, alors même qu’il ne répond qu’imparfaitement à ses objectifs initiaux.
En outre, l’attractivité des emplois publics outre
-mer que ce dispositif est censé
permettre ne saurait être réduite aux seules mesures financières. Une réflexion et des actions
plus globales doivent être engagées afin d’assurer le maintien de l’attractivité de
ces postes.
La nécessité de garantir la cohérence et l’application de mesures qui concernent
beaucoup de ministères impose par ailleurs une impulsion politique forte donnée au niveau
interministériel.
1. UN
DISPOSITIF
DEVENU
ININTELLIGIBLE,
INÉQUITABLE
ET
INSUFFISAMMENT MESURÉ SUR LE PLAN BUDGÉTAIRE
1.1. Un corpus juridique foisonnant, complexe et peu lisible
Depuis sa création, le dispositif des compléments de rémunération a progressivement
été rendu inintelligible : si les principes en ont été fixés en 1950, de multiples textes sont venus
le compléter sans pour autant abroger les textes désormais obsolètes
2
. Ce corpus juridique
est devenu un inextricable maquis législatif et réglementaire.
La combinaison même des majorations de traitement et des indemnités est en soi un
facteur de complexité. À la suite de
l’adoption de mesures sectorielles et catégorielles, les
modalités d’a
ttribution et de calcul de ces compléments de rémunération varient pour les
agents publics d’un même territoire en fonction de leur administration de rattachement
.
Leur extension aux fonctions publiques territoriale et hospitalière a renforcé le manque
de lisibilité globale du dispositif,
d’autant que ni la direction générale de l’administration et de
la fonction publique (DGAFP), ni la direction générale des collectivités locales (DGCL), ne
disposent d’un
recensement exhaustif des textes applicables et encore moins de leurs
modalités d’application.
Une simplification du régime des compléments de rémunération outre-mer demeure
toujours particulièrement nécessaire. Il devra se traduire pa
r l’adoption d’un
support juridique
qui permettrait de prendre en compte, de façon cohérente et équitable, la totalité du périmètre
des compléments de rémunération outre-mer, y compris pour les militaires et les magistrats.
1.2. Un dispositif source
d’iniquités entre les agents
La dispersion et la sédimentation des textes créent des inégalités de situation entre les
agents : par exemple,
au sein de la fonction publique de l’État,
certains agents reçoivent
outre-mer
des aides au logement ou des primes spécifiques, d’autres non.
Le foisonnement des indemnités destinées à compenser les sujétions liées à la vie
outre-
mer (l’indemnité d’éloignement et l’indemnité de sujétion géographique)
illustre les
inégalités qu’
il peut entraîner. Pour la première indemnité, les modalités de versement dans
un même territoire sont homogènes. Pour la seconde, elles varient selon les territoires, parfois
selon la commune d’affectation au sein d’un même territoire
, parfois aussi en fonction du
ministère de rattachement ou des métiers exercés.
Un cadrage interministériel apparaît indispensable pour préciser les critères de
modulation des taux de majoration susceptibles de justifier un traitement différencié et leurs
moda
lités d’application par les ministères.
2
C’est le cas de l’index de correction encore applicable à La Réunion, lié historiquement à l’utilisation du franc CFA
comme monnaie.
Cour des comptes
Référé n°S2023-0689
3
/
5
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Cette complexité
et la méconnaissance des textes applicables qu’elle engendre
concernent aussi les fonctions publiques territoriale ou hospitalière, alors même que les
collectivités locales d’outre
-
mer disposent d’une souplesse d’appréciation pour les appliquer à
leurs propres agents publics. Ainsi, des pratiques locales de sur-rémunération sont
susceptibles d’excéder celles auxquelles peuvent prétendre les agents de la fonction publique
de l’État et met à mal le principe de parité entre fonctions publiques comme celui d’égalité de
traitement entre les agents.
1.3. Un dispositif insuffisamment mesuré qui présente un risque de dérive
budgétaire
La juste appréciation du coût du dispositif impose une connaissance précise des
effectifs de la fonction publique affectés dans chaque territoire ultramarin. Or, si pour la
fonction publique de l’État les données sont recensées dans le document de politiqu
e
transversale outre-
mer, il n’en va pas de même pour les fonctions publiques territoriale et
hospitalière. Ainsi, les volumes d’effectifs diffèrent entre ceux communiqués par la DGAFP et
ceux dont disposent la direction générale de l’offre de soins (DGOS)
et la DGCL (données
comprises entre 46 368 à 69 100 agents pour la fonction publique territoriale, et 29 832 à
30 400 pour la fonction publique hospitalière).
Au sein de la fonction publique de l
’État,
la croissance des effectifs affectés outre-mer
(+ 9
% entre 2012 et 2020) s’est traduite par une augmentation plus de trois fois supérieure
du coût des compléments de rémunération pour le budget de l’État (+ 28
%), pour atteindre
un budget global de 1 511
M€ en 2020.
Pas plus qu’elles n’ont une connaissance
précise des effectifs d’agents territoriaux et
hospitaliers affectés outre-mer, la DGAFP, la DGOS et la DGCL ne disposent de données
consolidées pour apprécier l’impact des compléments de rémunération sur les budgets des
collectivités territoriales et des
établissements publics hospitaliers, alors même qu’ils
constituent souvent une des raisons des difficultés budgétaires de ces organismes.
S’agissant particulièrement des agents contractuels outre
-mer
3
dans les trois fonctions
publiques, leur augmentation
fait peser un risque de dérive sur l’évolution du coût global des
compléments de rémunération. Déterminée librement par les administrations, les collectivités
ou les établissements publics, la rémunération d’un contractuel devrait être
fixée par référence
à
la rémunération d’
un agent titulaire exerçant les mêmes fonctions
, mais rien n’interdit qu’il
soit d’un montant supérieur. Disparates, non fiables et insuffisamment maîtrisées, ces
dépenses, hors fonction publique de l’État, nécessitent une connaissance
précise des effectifs
affectés outre-
mer pour permettre de mieux anticiper les coûts qu’elles induisent.
2. UN DISPOSITIF QUI NE RÉPOND QUE TROP PARTIELLEMENT À SES
OBJECTIFS, RENDANT NÉCESSAIRE UNE FORTE IMPULSION POLITIQUE
POUR L’ADAPTER AFIN
DE MAINTENIR
L’ATTRACTIVITÉ DE L’EMPLOI
PUBLIC ULTRAMARIN
Depuis 2017, les administrations se sont scrupuleusement conformées à l’engagement
présidentiel de ne pas toucher au régime des sur-rémunérations au profit des fonctionnaires
affectés outre-mer.
Pour autant, la Cour constate que malgré les très nombreuses mesures destinées à
compenser le différentiel de coût de la vie entre la métropole et les territoires ultramarins, ces
compensations financières ne parviennent pas
à renforcer l’attractivité des emplois outre
-mer
car la globalité des sujétions propres à la vie outre-mer
n’est pas prise en compte
.
3
La part des agents non titulaires est à peu près comparable entre l’outre
-mer et la métropole pour les collectivités
territoriales uniques, les départements, les régions et les services de l’État (15
% contre 14 %), elle est plus élevée
pour la fonction publique hospitalière (22 % contre 17 %) et encore plus nettement marquée pour les autres
structures de la fonction publique territoriale (34 % contre 20 %).
Cour des comptes
Référé n°S2023-0689
4
/
5
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
2.1.
Adapter le dispositif aux réalités des territoires d’outre
-mer pour le rendre
efficace
L’un des objectifs des
compléments de rémunération outre-mer était d
’y
réduire le
différentiel de coût de la vie avec la métropole. Or, l’analyse des effets économiques de ce
dispositif tend à montrer qu’il
pourrait
avoir l’effet inverse. Les compléments de rémunération
créent un marché de consommation garanti, permettant aux importateurs et aux distributeurs
de maintenir un niveau de prix élevé, dans un contexte de faiblesse de la concurrence due à
la structure oligopolistique des secteurs de la distribution. Plutôt que de lutter contre les effets
de la vie chère, l
’effet d
es compléments de rémunération sur les prix, la part
de l’emploi
public
dans les territoires ultramarins mais aussi l’extension progressive au secteur parapublic et à
une partie du secteur privé, sont autant de facteurs qui, en augmentant le coût de la vie, vont
à l’encontre de l’objectif initialement souhaité. Ils accentueraient également les inégalités
sociales au sein des sociétés ultramarines, entre les salariés qui bénéficient de cette
disposition et ceux qui
n’y ont pas accès
.
Une réponse
a minima
serait de fixer à son juste niveau le montant de ces
compléments de rémunérations. Les analyses statistiques
4
montrent qu
’il
est largement
supérieur au différentiel réel de coût de la vie entre l’outre
-
mer et l’hexagone. Cet
ajustement,
nécessairement progress
if, ne pourrait intervenir qu’après s’être s’assuré de
la fiabilité de la
mesure de ce différentiel dans chaque territoire ultramarin, qui devrait également être actualisé
plus fréquemment qu’
il
ne l’est aujourd’hui.
Le dispositif cherche également à comp
enser le manque d’attractivité de ces territoires.
Là encore, l’objectif n’est pas atteint, les administrations déconcentrées de l’État comme celles
des collectivités peinent toujours à attirer des fonctionnaires. Mayotte et la Guyane
apparaissent très largement comme les deux territoires les moins attractifs, quelles que soient
les administrations,
malgré l’application de dispositifs indemnitaires plus favorables
qu’ailleurs.
La modulation de l’indemnité de sujétion géographique devrait pourtant permettre
de répondre
à ces difficultés. Elle n’est toutefois applicable qu’à quelques territoires et modulable en
fonction des postes occupés seulement en Guyane et à Saint-Martin. Sans remettre en cause
la nécessaire modulation de cette indemnité, une harmonisation de ses conditions de
versement est à rechercher. À titre d’exemple, le ministère des armées, dont les militaires ne
sont pas bénéficiaires de cette indemnité, mène une réflexion sur la mise en place d’une
indemnité unique visant à compenser à la fois les
conditions particulières d’affectation et de
résidence. Cette initiative isolée mériterait d’être partagée avec les autres ministères.
2.2.
Développer
les
autres
leviers
de
l’attractivité,
au
-delà
des
seuls
compléments de rémunération
Le levier financier des compléments de rémunération ne suffit pas à compenser, à lui
seul, le manque d’attractivité
comme le montrent les difficultés de recrutement dans les
territoires où les conditions de vie sont particulièrement difficiles. L’attractivité des affectations
ultramarines suppose une approche plus globale qui prendrait en compte
l’ensemble des
aspects du mode de vie dans les territoires ultramarins : éloignement et isolement, sécurité,
accès au logement, scolarisation des enfants, système de santé et accès aux soins, emploi
du conjoint, valorisation du séjour outre-mer dans le parcours de carrière, etc
....
Soucieuse de mettre en place des actions complémentaires au-delà des incitations
financières, la direction générale des outre-mer a préparé une « charte interministérielle de la
mobilité » dont la dernière version date de juin 2022. Transmise aux ministères employeurs,
elle comprend une série d’engagements
ayant
l’ambition de traiter ces différentes
co
mposantes de l’attractivité
. Pour le moment restée au stade de projet, cette initiative pourrait
être une première réponse interministériel
le au développement de l’attractivité des emplois
publics outre-mer, sans les impacts négatifs du levier financier dont les limites sont
régulièrement constatées.
4
Notamment celles de l’institut national des études et de la statistique (Insee)
Cour des comptes
Référé n°S2023-0689
5
/
5
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
La Cour formule en conséquence les recommandations suivantes :
Recommandation n° 1
: (DGAFP) : simplifier et unifier le régime des compléments de
rémunération outre-mer en le regroupant dans un texte unique applicable aux fonctionnaires
d’État, aux militaires et aux magistrats
;
Recommandation n° 2
: (DGAFP) :
améliorer la connaissance des effectifs outre-mer des
trois fonctions publiques en produisant annuellement une analyse consolidée des effectifs
concernés ;
Recommandation n° 3
: (DGOM et DGAFP) : ajuster le taux de la majoration de traitement
au différentiel de coût de la vie de chaque territoire d’outre
-mer et en garantir une mesure
régulière ;
Recommandation n° 4
:
(
DGOM) : faire évoluer le
dispositif en prenant en compte l’ensemble
des facteurs de l’attractivité et mettre en œuvre
les dispositions du projet de la charte
interministérielle de la mobilité outre-mer.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois,
prévu à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez
donnée à la présente communication
5
.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code
:
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances
et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de
l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site
internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’a
rticle L. 143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez
à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur
présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour
selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et
votre administration.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici
5
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante
:
greffepresidence@ccomptes.fr
(
cf
. arrêté du 8 septembre 2015 modifié portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).