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PRÉSENTATION À LA PRESSE
DU RAPPORT SUR LA SÉCURITÉ SOCIALE
Mercredi 24 mai – 9h
Salle des conférences
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour et merci de votre présence.
Je suis heureux de vous accueillir pour vous présenter
l’édition 2023 de notre rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale. J’ai à
mes côtés Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre, et Nicolas Fourrier, conseiller
maître, qui succède à Stéphane Seiller comme rapporteur général de ce rapport. Le rapporteur
général adjoint, Thibault Perrin est également présent. Je souhaite les remercier chaleureusement
pour leur implication, ainsi que la vingtaine d’autres rapporteurs qui ont contribué à ce travail lourd,
approfondi, et que je crois utile.
Le rapport que je vais vous présenter est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission
constitutionnelle d’assistance de la Cour au Parlement et au Gouvernement
.
Mais c’est une grande première
: ce rapport accompagne désormais le projet de loi d’approbation
des comptes de la sécurité sociale – équivalent de la loi de règlement, qui est présenté pour la
première fois et discuté au Parlement pendant le mois de juin, et non plus le projet de loi de
financement de la sécurité sociale, à l’automne, qui portera exclusivement sur l’année en cours et sur
l’année suivante.
C’est une avancée importante de gouvernance des finances sociales que la Cour a souhaitée
et je
me réjouis que le Parlement ait à connaître spécifiquement de l’exécution des recettes et des
dépenses, comme moment d’évaluation et de bilan des politiques publiques conduites par la sécurité
sociale.
*
Ce rapport restera un exercice annuel et traditionnel pour la Cour.
Il intervient toutefois dans un
contexte particulier à plus d’un titre, avec la déclaration de l’OMS sur la fin de l’urgence sanitaire
pour la pandémie de Covid-19, avec l’affaiblissement de la croissance en raison du choc d’inflation et
des conséquences de l’invasion russe de l’Ukraine, et avec, plus généralement, une grande
incertitude sur l’évolution des paramètres macroéconomiques.
Nos concitoyens sont attachés à la sécurité sociale
:
c’est à la fois un des piliers de notre
République et un rempart qui protège les plus vulnérables
. Les transferts sociaux jouent un rôle
essentiel dans notre pays, comme ils l’ont prouvé en amortissant les conséquences de la crise
sanitaire.
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Mais la pérennité de notre système exige une grande vigilance sur la situation des compte sociaux
et le niveau de la dette sociale.
Les dépenses de protection sociale atteignent ainsi en France un
tiers% du PIB, plus qu’en Allemagne, en Italie, en Autriche, en Finlande, en Belgique, en Espagne ou
au Danemark. La première partie du rapport analyse les comptes 2022 de la sécurité sociale et leur
perspective pour les années à venir. Elle montre que ceux-ci resteront durablement dégradés, malgré
une amélioration temporaire en 2023.
Un effort de redressement durable des finances de la sécurité sociale est donc nécessaire
. Sans lui,
nous n’aurions pas de marges de manœuvre pour investir dans l’avenir, en matière d’éducation, de
santé ou d’adaptation aux conséquences du dérèglement climatique.
Nous devrons faire face aux coûts associés à l’augmentation rapide, ces prochaines années, du
nombre des personnes âgées dépendantes, dans des conditions leur permettant de vivre dignement.
Et il est enfin nécessaire de ne pas transférer aux générations de demain le financement de nos
dépenses courantes. Cette responsabilité collective, ce contrat entre les générations, nous oblige.
Nous devons donc être très attentifs à la qualité de la dépense sociale
,
comme d’ailleurs à la
qualité de toute dépense publique
. Le rapport que je vous présente aujourd’hui trace des pistes
pour améliorer l’utilité, la valeur ajoutée, l’efficacité des dépenses de sécurité sociale, bref le service
rendu à nos concitoyens. Il fournit huit illustrations de ce qui pourrait être amélioré, à travers, d’une
part, un bilan de mesures ou réformes portées par des lois récentes de financement de la sécurité
sociale - c’est la deuxième partie du rapport -, d’autre part en s’intéressant à des domaines ou des
sujets, qui n’ont pas, à notre sens, bénéficié d’une attention suffisante ces dernières années - c’est la
troisième et dernière partie du rapport.
Les deux préoccupations, financière et qualitative, sont ainsi, cette année encore, au cœur de ce
nouveau rapport.
Plutôt que d’en détailler successivement les différents chapitres,
je souhaiterais
en souligner quatre des principaux enjeux
:
-
ceux liés premièrement à
la situation financière actuelle et future de la sécurité sociale
,
-
deuxièmement à
la réforme de notre système de santé
,
-
troisièmement à
l’amélioration du service rendu aux usagers
-
et quatrièmement à
la lutte contre la fraude aux prestations sociales
.
***
1. Je souhaite d’abord rappeler la situation financière actuelle de la sécurité sociale, ainsi que ses
perspectives dans les prochaines années.
Le déficit des régimes obligatoires de base de la sécurité
sociale s’établit en 2022 à 19,6 Md€, un niveau très élevé. Il devrait s’améliorer significativement en
2023 à 8,2 Md€ sous l’effet du reflux de la crise sanitaire et de la vive progression de la masse
salariale, qui constitue l’assiette principale des recettes de la sécurité sociale.
Cette tendance favorable devrait toutefois s’interrompre dès 2024 et le déficit de la sécurité
sociale recommencer à augmenter.
En effet, si la réforme des retraites promulguée le 14 avril 2023
dernier aura des effets favorables sur les soldes de la branche vieillesse de la sécurité sociale, il est
avéré qu’elle ne devrait pas permettre à elle seule de les rétablir à l’horizon 2030. Le retour à
l’équilibre attendu de l’ensemble du système de retraites à cette date prend en effet également en
compte les effets favorables de la réforme sur les retraites complémentaires et sur le déficit de l’État.
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En revanche, le régime général, et plus encore celui géré par la Caisse nationale de retraite des
agents des collectivités locales (CNRACL) pour les agents de la fonction publique locale et de la
fonction publique hospitalière,
resteraient structurellement déficitaires
.
Dans ces conditions,
le financement des déficits sociaux devrait être redéfini à partir de l’exercice
2024.
L’Acoss ne sera pas en mesure de prendre en charge ces déficits. La Caisse d’amortissement de
la dette sociale, la Cades, ne pourrait le faire qu’au prix d’une nouvelle prolongation de sa durée
au-delà de 2033 dont la contrepartie, si elle était décidée, devrait être un programme de réformes.
Le respect de la trajectoire prévue de dépenses suppose en outre que l’objectif assigné aux
dépenses d’assurance-maladie soit respecté.
Or celles-ci progressent à vive allure depuis 2021,
certes en raison des charges exceptionnelles liées à la crise sanitaire et des mesures salariales
décidées dans le cadre du Ségur de la santé mais aussi, comme le montre le graphique que vous
voyez devant vous, du fait d’une croissance forte de la dépense, notamment pour les indemnités
journalières et pour les produits de santé.
L’objectif 2023 et la prévision pour les années ultérieures marquent la volonté des pouvoirs publics
de donner un coup d’arrêt à cette progression, à des niveaux inférieurs à la prévision d’inflation en
2023 et en 2024.
Toutefois, il ne suffit pas d’affirmer un objectif pour que celui-ci soit atteint. Nous
recommandons que
des mesures correctrices soient déclenchées en cas de dérapage
, quelle qu’en
soit la cause, et que
des dispositifs de régulation soient mis en œuvre pour l’ensemble des secteurs
qui n’en disposent pas encore
, notamment pour les soins de ville et pour les indemnités
journalières.
Un point de fragilité particulier est celui de l’évolution des déficits et de la dette de l’hôpital public,
qui n’entre pas dans le champ de l’Ondam
. La loi organique du 14 mars 2022 a créé une nouvelle
annexe aux lois de financement de la sécurité sociale. Celle-ci doit permettre de s’assurer que les
recettes des hôpitaux sont suffisantes pour
leur permettre d’investir dans leur modernisation sans
augmenter leur dette
, déjà considérable. Pour permettre ainsi un réel suivi de la situation financière
des établissements de santé, nous recommandons
d’accélérer le calendrier de versement des
dotations de fin d’exercice
aux hôpitaux publics (actuellement à la mi-mars de l’année suivante)
et
d’établissement de leurs comptes
(actuellement en juillet de l’année suivante).
Il faut aussi
homogénéiser les informations financières
entre hôpitaux publics et cliniques privées à
but lucratif ou non.
***
2. J’en viens maintenant au deuxième enjeu, central pour l’avenir de l’assurance maladie, celui
d’une recherche d’une plus grande efficience de notre système de santé et notamment des soins
de ville.
Ce chantier doit être envisagé avec beaucoup plus de clarté, de détermination et de
constance dans le temps.
Nous l’illustrons à travers trois exemples, portant sur les expérimentations engagées par la LFSS
2018, sur la situation des Samu et des Smur, et sur les actions de maîtrise médicalisée des dépenses.
Tout d’abord, nous avons examiné le cadre dans lequel quelques 120 expérimentations ont été
engagées depuis 2018 pour tester de nouveaux modes de tarification et d’organisation des soins
.
La Cour est pleinement consciente que réformer notre système de santé n’est pas chose simple.
L’expérimentation est utile pour mieux adapter la réforme aux besoins mais aussi pour démontrer
par l’exemple en permettant aux professionnels de santé de s’approprier de nouveaux modes de
travail, plus collaboratifs et coordonnés.
Mais nous constatons que, jusqu’ici, rien n’a été fait pour préparer la généralisation des nouvelles
règles après leur expérimentation.
La Cour rappelle par conséquent que lorsque les doutes sont
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levés sur l’utilité de certaines évolutions, il est impératif de mettre en œuvre ces dispositifs dès que
possible !
La technique de l’expérimentation ne doit pas devenir un moyen dilatoire pour repousser
l’engagement de réformes utiles à nos concitoyens qui permettent des soins plus efficaces, de
meilleure qualité et plus économes des ressources de l’assurance maladie.
Nous avons aussi souhaité examiner la situation de la régulation médicale, autour des Samu et des
Smur et du nouveau concept des « Services d’accès aux soins », les SAS
, censés apporter une
solution aux demandes de soins restées sans réponse de la médecine de ville.
Nous avons constaté que, depuis 2014, le nombre d’appels reçus pas les Samu a augmenté de 22 %.
Nous constatons dans le même temps que, du fait d’un rattrapage nécessaire, puis de la création des
SAS, le coût total des dispositifs concourant au fonctionnement de la régulation médicale a
augmenté de 46 % entre 2016 et 2022, augmentation qui pourrait même atteindre 62 % en 2023.
S’il était normal que les Samu bénéficient d’un rattrapage de moyens,
le succès des investissements
dans les services d’accès aux soins dépendra de la capacité de la médecine libérale à se mobiliser et
à s’organiser
,
afin que toute personne ayant besoin d’être examinée par un généraliste en ville
puisse bénéficier d’une consultation dans les 48 heures.
La Cour sera très attentive à ce que cet
objectif fixé aux SAS soit mesuré et atteint.
Enfin, j’aurai l’occasion, dans le cadre de l’exercice de revue des dépenses publiques, de revenir fin
juin sur
les enjeux d’efficience des soins de ville
, qui représentent 45 % de l’objectif national des
dépenses d’assurance maladie. En attendant, nous avons porté un regard critique sur les économies
figurant chaque année en annexe au PLFSS au titre de ce qui est communément appelé « la maîtrise
médicalisée ».
Nous démontrons le caractère artificiel des économies présentées
, et notre démonstration n’est
pas contestée par l’administration ni l’assurance maladie.
En outre, force est de constater que les actions conduites jusqu’ici par l’assurance maladie pour
rendre plus efficientes les dépenses de prescription des médecins de ville n’ont pas été efficaces
:
si l’on regarde la consommation de médicaments génériques, la France reste dans une situation peu
favorable en Europe. Nous privilégions toujours le médicament princeps, la consommation de
génériques étant deux fois plus faible qu’en Allemagne.
***
3. J’en arrive maintenant à mon troisième enjeu : celui de la qualité du service rendu aux usagers.
Nous l’illustrons par quatre exemples, qui montrent, à des degrés divers, l’importance des efforts à
produire pour justifier de l’usage pertinent des sommes considérables mises dans notre système de
sécurité sociale.
Tout d’abord, nous nous sommes intéressés à l’objectif de parité des pensions servies aux hommes
et aux femmes.
Prévu par le code de la sécurité sociale, il est loin d’être atteint : si les femmes
perçoivent en moyenne une pension de retraite inférieure de 28% à celle des hommes en 2020, soit
1401 euros contre 1955, l’écart de pension hors réversion est plus important encore, égal à 40%.
De plus, sans les dispositifs de solidarité, la pension moyenne de droit direct des femmes serait
inférieure de 50 % à celle des hommes.
Ces écarts importants ne seront pas substantiellement
modifiés par l’application des mesures prévues par la loi portant réforme des retraites.
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Or, environ 50 Md€ sont dépensés chaque année à travers les mécanismes complexes des droits
familiaux de retraite et des dispositifs de réversion. Nous sommes convaincus que la remise à plat de
ces mécanismes permettrait de les rendre plus efficaces avec un coût moindre pour la collectivité.
Nous avons également examiné les règles et la gestion de l’indemnisation des congés de maternité
et de paternité
. Nous constatons les limites des politiques d’alignement des règles applicables aux
non-salariés sur celles applicables aux assurés salariés : même avec des droits désormais quasiment
identiques, les indépendantes et les exploitantes agricoles prennent moins de jours de congé
maternité que les mères salariées. Par ailleurs, nous constatons que la gestion des indemnités par les
caisses de sécurité sociale est d’une qualité insuffisante, ce qui pénalise le service rendu aux assurés
concernés.
Le caractère perfectible de la gestion de la sécurité sociale apparaît aussi à travers les litiges
opposant les assurés et les organismes de sécurité sociale.
Chaque année, les assurés sociaux
déposent près de 70 000 recours devant les tribunaux. Plus de 100 000 dossiers sont auparavant
soumis aux instances précontentieuses des caisses. Nous soulignons qu’une intervention accrue de
médiateurs doit être favorisée pour éviter que les litiges ne se terminent devant les tribunaux.
Des simplifications sont aussi à apporter pour éviter que les assurés ne soient contraints, dans
certains cas, à saisir deux juges différents pour les mêmes motifs.
Sur ces enjeux d’efficacité et de qualité du service public de la sécurité sociale,
nous avons enfin
souhaité donner un coup de projecteur sur le régime social des marins et les difficultés majeures
qu’il rencontre depuis quelques années
. Les conditions d’une gestion efficace de la sécurité sociale
ne sont plus garanties. Une évolution en profondeur de ce régime est indispensable.
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4.
Pour finir, j’en viens maintenant au quatrième et dernier enjeu, celui de la lutte contre les
fraudes aux prestations sociales
. C’est un sujet qui ne laisse personne indifférent et qui est au cœur
du plan de lutte contre les fraudes aux finances publiques dévoilé début mai par le Gouvernement.
Au-delà des dommages financiers considérables qu’elle entraîne, la fraude aux prestations sociales
constitue une atteinte au principe de solidarité - et donc au pacte républicain - qui fonde, depuis
1945, la sécurité sociale. La lutte contre la fraude est donc à la fois un impératif d’efficacité
économique et de justice sociale.
Nous avons une idée qui se précise du coût de la fraude aux prestations. Probablement de l’ordre
de 6 à 8 Md€.
C’est beaucoup, beaucoup trop ! Et encore cette fourchette ne tient-elle pas compte
des erreurs fautives des assurés, dont l’intention frauduleuse ne peut être prouvée.
L’administration et les caisses de sécurité sociale ont la volonté d’agir
.
Et nous avons constaté des
progrès.
Mais trop peu de moyens sont consacrés aux contrôles ; la coopération entre administrations pour
échanger les données ne progresse pas assez vite ; les fraudeurs ne sont pas sanctionnés de façon
suffisamment ferme et systématique. La lutte contre la fraude doit donc devenir une priorité de tout
premier plan, qui oblige responsables et gestionnaires de la sécurité sociale, mais aussi l’ensemble
des assurés sociaux.
***
Mesdames et Messieurs, pour conclure, je veux encore une fois souligner le double enjeu d’une
bonne gestion de la sécurité sociale.
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Il y a d’abord la nécessité de veiller en permanence à l’équilibre financier des comptes sociaux
:
pour être efficace demain comme elle l’a été hier, la protection sociale ne peut laisser s’installer
durablement une accumulation non maîtrisée de déficits. Les modifications qui viennent d’être
apportées aux règles de départ à la retraite sont à l’évidence une contribution importante, mais,
comme je l’ai indiqué, elle ne sera pas suffisante et des mesures devront être prises pour assurer le
financement des déficits futurs s’ils ne sont pas rapidement réduits.
Il y a aussi la nécessité d’améliorer la qualité de la dépense publique
. Je ne le redirai jamais assez. À
cet égard, même si les exemples sont nombreux dans toutes les branches de la sécurité sociale, la
bonne gestion de l’assurance maladie est un enjeu premier. Elle appelle à une action plus vigoureuse,
plus claire, plus durable et constante dans le temps. Chaque euro dépensé dans notre système de
santé doit l’être à bon escient.
Je vous remercie pour votre attention et me tiens, avec les magistrats qui m’entourent, à votre
disposition pour répondre à vos interrogations.