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Chapitre X
Le régime de sécurité sociale
des marins : une réforme indispensable
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COUR DES COMPTES
304
_____________________ PRÉSENTATION_____________________
L’Établissement national de
s invalides de la marine (Énim), qui gère
le régime spécial des marins, a été créé en 1681. Cette origine lointaine, la
spécificité des usages du secteur maritime et la dangerosité et la pénibilité
des métiers exercés expliquent les règles favorables du régime par
dérogation au droit commun, notamment pour l’âge de départ en retraite.
L’organisation du secteur maritime, ses pratiques, le droit
international applicable à la navigation, les caractéristiques des navires et
de l’exercice des métiers maritimes o
nt cependant beaucoup évolué depuis
la deuxième guerre mondiale. Or, la réglementation des branches retraite et
maladie gérées par l’Énim n’a été que très peu adaptée et apparaît
aujourd’hui frappée d’obsolescence, comme l’a souligné la Cour
488
.
Les paramètres de ce régime spécial sont en effet fixés par des lois
et des règlements dont la plupart remontent à plus de 70 ans. Son
financement procède essentiellement du budget de l’État pour ses dépenses
de retraite (997
M€ en 2021) et de l’assurance
-maladie pour celles de son
régime de prévoyance (420
M€). Parmi les régimes de sécurité sociale
comptant un nombre significatif d’actifs, il est le plus subventionné
: les
cotisations sociales acquittées par ses 34 000 cotisants et leurs employeurs
ne constituent que 10 % de ses recettes.
La complexité de la réglementation de ce régime explique en partie
que les pouvoirs publics aient différé la transposition des réformes mises
en œuvre dans les autres régimes de retraite de base depuis 2003 malgré
le niveau élevé de
son financement par le budget de l’État et ses paramètres
très favorables par rapport aux autres régimes de sécurité sociale. Elle a
également conduit au maintien d’une branche maladie autonome, alors
que son déficit est intégralement financé par le régime général et que la
gestion des prestations en nature y est adossée.
Les règles du régime s’avèrent cependant en trop grand décalage
avec le droit commun pour qu’elles puissent être maintenues en l’état.
Le régime de sécurité sociale des marins est caractérisé par des
règles complexes, obsolètes et inéquitables (I). La mise en œuvre de la
déclaration sociale nominative dans le secteur maritime en 2021 rend
désormais inéluctable l’adaptation de ce régime (II).
488
Cour des comptes, 2020 : « Les mesures de soutien à la flotte de commerce ».
Observations définitives S-2020-1719.
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LE RÉGIME DE SÉCURITÉ SOCIALE DES MARINS,
UNE RÉFORME INDISPENSABLE
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Les ressortissants du régime spécial des marins en 2021
Les 34 000
actifs affiliés à l’Énim au titre de leur activité
professionnelle se répartissent entre quatre secteurs maritimes à hauteur de :
-
45 % pour le secteur du commerce (transport de passagers et de marchandises,
travaux maritimes…),
-
39 % pour la pêche,
-
12 % pour les cultures marines (conchyliculture, notamment),
-
3 % pour le secteur de la plaisance.
La branche vieillesse du régime spécial verse des pensions à environ
65 000 retraités de droit direct, pour un montant moyen de 946
par mois
(tous types de pensions confondues). Ce niveau moyen est à rapprocher
d’une faible durée moyenne d’affiliation au régime. Celle
-ci
n’est en effet
que de 15 ans pour l
’ensemble des retraités, et la moitié de ceux
qui ont
liquidé leur pension depuis 2016 avaient moins de dix ans validés dans le
régime.
Parmi les pensionnés de l’Énim, 90
% bénéficient également de
pensions versées par d’autres régimes de retraite.
La branche maladie du régime compte environ 90 000 affiliés,
dont 70 000 assurés de droit direct et 20 000 ayants droit.
Graphique n° 31 :
statut d’affiliation à l’Énim en 2021
Source : Énim, Un régime dont les règles sont complexes, obsolètes et inéquitables
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306
I -
Un régime dont les règles sont complexes,
obsolètes et inéquitables
A -
Des règles de cotisations qui limitent
les recettes du régime, des prestations financées
par la solidarité nationale
1 -
Une assiette de cotisation fondée sur des salaires forfaitaires
La part des cotisations sociales dans le financement du régime
spécial des marins est très limitée,
l’essentiel de ses ressources provenant
soit du budget de l’État, soit du régime général de sécurité sociale.
Cette
situation n’est pas nouvelle et apparaît presque constitutive du régime.
Elle
résulte en partie de sa situation démographique, puisqu’il ne
comporte que
34 000 affiliés pour environ 65 000 pensionnés de droit direct et 70 000
bénéficiaires au titre de l’assurance maladie. Cependant, le déficit de
financement propre du régime résulte aussi de règles d’assiette reposant
non pas sur des salaires
réels mais sur des bases forfaitaires, et d’une
accumulation d’exonérations et de taux de cotisation différenciés.
Schéma n° 7 :
sources de
financement de l’Énim
en 2021
Source :
Cour des comptes à partir de la synthèse des comptes de résultat de l’Énim
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LE RÉGIME DE SÉCURITÉ SOCIALE DES MARINS,
UNE RÉFORME INDISPENSABLE
307
La réglementation du régime a été établie en 1948 et 1952 à partir de
principes qui n’ont pas été revus depuis cette date. Elle prévoit une liste de
«
fonctions à bord
» (280 fonctions possibles)
489
déclarées par l’employeur ou
l’affilié à l’occasion de chaque embarquem
ent. Sont ensuite pris en compte
une douzaine de critères (âge, type de navire et de navigation, etc.
490
) qui
permettent de déterminer une catégorie de salaire forfaitaire (dans une grille
qui en compte vingt
491
), puis de calculer non seulement les cotisations dues
mais aussi les droits acquis par les affiliés.
Une grille de fonctions complexe et obsolète
Pour une même fonction, le classement du marin pourra relever de
catégories différentes selon
qu’elle est exercée
dans le secteur de la pêche
ou du commerce, sur le pont ou à la machine, en fonction des jauge, taille
ou puissance du navire. Le marin peut occuper des fonctions différentes
selon les embarquements, ce qui, ajouté aux autres facteurs, peut le faire
changer
de catégorie plusieurs fois dans l’
année.
La grille de fonctions ne correspond plus à la réalité de l’exercice
professionnel dans le secteur maritime. Certaines fonctions n’existent plus,
mais figurent toujours dans la grille réglementaire figée depuis 1952.
D’autres, apparues depuis, ne sont pa
s prévues. Les nouvelles exigences
internationales de qualification pour le renouvellement des brevets
maritimes
492
ne sont pas non plus prises en compte.
Au total, près de 40 %
de l’effectif des marins affiliés à l’Énim relève
de cinq principales fonctions
493
; 166 fonctions comptent moins de 200
marins actifs et 79 fonctions n’en comptent aucun.
489
Décret n° 52-540 du 7 mai 1952 modifiant le décret n° 48-1709 du 5 novembre 1948 relatif
au salaire forfaitaire servant de base au calcul des cotisations des marins et des contributions
des armateurs au profit des caisses de l'établissement national des invalides de la marine.
490
Ces critères sont aussi ancienneté, ses qualifications et brevets professionnels, les
caractéristiques du navire et son type de navigation. Une même fonction pourra être
classée dans des catégories différentes selon que le marin l’exerce dans le secteur de la
pêche ou du commerce, sur le pont ou à la machine, selon la jauge, la taille ou la
puissance du moteur du bateau.
491
Le décret n° 52-540 classe les marins en vingt catégories d'après les fonctions qu'ils
remplissent ; celles-
ci ont été codifiées à l’article
L.5533-5. Les salaires forfaitaires et
les effectifs des différentes catégories sont consultables en annexe n°4. Les montants
des salaires forfaitaires sont fixés chaque année par arrêté interministériel.
492
International
Convention on Standards of Training, Certification and Watchkeeping
for Seafarers
(STCW), adoptée le 7 juillet 1978 (STCW 78) dans le cadre de
l'Organisation maritime internationale (OMI)
, sans qu’aucune conséquence n’en soit
tirée sur la réglementation de l’Énim.
493
Matelot, patron, chef mécanicien, capitaine et patron mécanicien.
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308
Ces constats illustrent l’obsolescence du tableau des fonctions des
marins
494
et des catégories qui en découlent, utilisées pour les seuls besoins
du régime spécial : ainsi, 95 % des pensions servies par le régime en 2021
relèvent de cinq catégories seulement.
La Cour observe que ce système de déclaration de fonctions puis
de classement en catégories nécessite de nombreuses données et complique
de manière disproportionnée les tâches de gestion du régime
495
.
Une assiette forfaitaire dont la justification initiale a disparu
Le système de salaires forfaitaires trouve son origine historique dans
la difficulté
qu’il y avait
à connaître les salaires réels dans le secteur de la
pêche, où la rémunération dite « à la part »
496
était autrefois essentielle.
Cette pratique de rémunération n’a jamais concerné les autres
secteurs maritimes (commerce, plaisance et cultures marines), dont les
effectifs sont majoritaires (61 % en 2021). A
ucune donnée n’est disponible
pour documenter son usage, ni pour déterminer avec précision la fraction de
la rémunération
qu’elle représente
, le salaire fixe
497
ayant depuis longtemps
supplanté la rémunération aléatoire découlant de la vente de la marée. En
tout état de cause, une assiette de droit commun fondée sur le salaire brut
serait adaptée à des rémunérations comportant une part variable importante,
comme en témoigne son utilisation par tous les autres secteurs d’activité
.
La pratique de la rémunération à la part, minoritaire dans le secteur
maritime,
ne peut donc justifier le maintien d’une assiette sociale forfaitaire.
Les montants des salaires forfaitaires sont fixés chaque année par
arrêté interministériel. Les chiffrages disponibles montrent qu’il
s sont très
inférieurs aux rémunérations réelles dans le secteur maritime. Pour le
secteur du commerce, les données de
l’Acoss
montrent des rémunérations
réelles
de l’ordre de 650
M€ en 2021, soit un montant 2,5 fois plus élevé
494
Cet inventaire comprend des boulangers, bouchers, peintres, dactylos ou musiciens
embarqués.
495
La direction générale de la mer, de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA) a
proposé en 2008 aux représentants du secteur de réduire le nombre de catégories de
vingt à huit a avec au total trente-six fonctions et deux critères (la jauge et la puissance
du navire). Cette réforme,
pourtant limitée, n’a pas abouti notamment du fait
de
réticences à voir le niveau des salaires forfaitaires augmenter pour certaines catégories.
496
Ce mode de rémunération consiste à partager le produit de la vente de la pêche
déduction faite des frais communs nécessaires à l'exploitation du navire.
497
Les marins pêcheurs salariés bénéficient de deux garanties de rémunération : le smic
annuel et une rémunération minimale en fonction du nombre de jours de mer.
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que celui de
l’assiette forfaitaire pour ce secteur
(253
M€)
. Pour le secteur
de la pêche, les rémunérations brutes demeurent à fiabiliser, mais sont
également supérieures à l’assiette forfaitaire
498
.
Un barèm
e de taux de cotisation d’une grande complexité
Contrairement aux autres régimes de sécurité sociale, le taux de
cotisation au régime spécial
des marins n’est pas uniforme
. Il varie selon le
secteur maritime, la jauge, la longueur et la puissance du navire, le type de
navigation, le fait que le propriétaire du navire soit embarqué, ou encore
selon le rattachement du salarié à un navire. Il existe onze taux de cotisation
patronale de retraite et onze taux de cotisation patronale de prévoyance.
Compte tenu d
es deux taux de cotisation de prévoyance et de l’unique taux
de cotisation de retraite à la charge des salariés, il existe de multiples
combinaisons de taux de cotisation à ce régime spécial
499
.
La détermination de ces multiples taux de cotisation patronale
n’a
pas été guidée par une logique d’assurance, de solidarité professionnelle ou
d’équilibrage financier du régime spécial, mais par des considérations
d’opportunité, en réponse le plus souvent à des revendications ou à des
difficultés touchant certains secteurs maritimes.
Les taux de cotisation patronale dépendent ainsi des multiples
caractéristiques du navire et du marin et de la fiabilité des informations
censées fournir ces caractéristiques.
En outre, les différents secteurs maritimes bénéficient de vingt dispositifs
différents de réduction ou d’exonération de cotisations patronales instaurés au fil
du temps (dont dix concernent uniquement les départements d’outre
-mer). Ces
dispositifs sont devenus illisibles et peu contrôlables. Leur charge financière
n’est
ni chiffrée
500
, ni pilotable pour l’État. Leurs effets ne sont pas non plus évalués.
498
L’assiette forfaitaire est connue puisqu’elle constitue l’assiette des cotisations au
régime spécial. Les rémunérations réelles sont en revanche affectées par la qualité des
déclarations effectuées en 2021. E
lles seront mieux connues à l’issue de l’exercice
2022, grâce à la stabilisation des pratiques déclaratives découlant de l’introduction de
la déclaration sociale nominative (DSN) dans l’ensemble du secteur maritime en 2021
.
499
Le taux de cotisation patronale applicable dépend de vingt-sept paramètres différents.
500
La DGAMPA évoque un coût total de l’ordre de 90
M€ pour les salariés (dont 71
M€
pour l’exonération pour concurrence internationale) et de 3,9
M€ pour les non
-salariés.
Ces chiffrages sont sujets à caution et ne sont pas présentés en appui du projet de loi de
financement de la sécurité sociale (PLFSS).
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310
2 -
Des avantages hors normes en matière de retraite
Le régime spécial des marins permet l’acquisition de droits à retraite
qui peuvent être liquidés dès 50 ans, soit très précocement par rapport aux
autres régimes de retraite français. Les seize types de pensions servies par
ce régime sont soumises à des conditions diverses, mais sont toutes
calculées à l’aide d’un taux identique sur la base des annuités validées dans
le régime
501
. Contrairement aux règles générales, il n’est pas appliqué de
décote en cas de durée d’assurance insuffisante.
Si les paramètres détaillés du régime sont très complexes, les règles
de calcul
des différentes pensions servies par l’Énim sont en revan
che
relativement simples.
Elles sont toutes calculées à partir d’un salaire
forfaire de référence (SFR) et
du nombre d’annuités validées dans le
régime spécial (NA) multipliées par un taux uniforme
502
. Une bonification
pour enfants
503
s’ajoute au montant ainsi
déterminé.
Le montant de la retraite du marin est ainsi déterminé par les multiples
classements catégoriels dont ses activités ont fait l’objet durant sa carrière.
Le paiement à bon droit des prestations de retraite versées par le régime exige
donc l’exa
ctitude de ce classement tout au long de la carrière
504
. Aucune
erreur ou optimisation ne doit affecter ce classement
505
, ni en fin de carrière
pour améliorer le montant de la pension servie, ni en cours de carrière pour
minorer les cotisations à payer, une fois validées cinq années dans une
catégorie élevée, qui assurent une liquidation optimale de la pension.
Les dépenses de retraite du régime spécial des marins sont financées en
quasi-totalité par le contribuable
506
. Les cotisations patronales et salariales ne
financent que 10 % de ces dépenses, conséquence des dérogations accordées
en termes d’assiette et de taux des cotisation
s, notamment. Le rendement
technique effectif du régime
507
peut avoisiner 30 %, ce qui signifie que le
501
Parmi ces pensions, quatre sont des pensions de retraite
stricto sensu
, pour lesquelles
l’âge de liquidation et le nombre d’années ex
igées sont différents.
502
Selon la formule suivante : SFR x NA x 2 %
503
La moitié des pensionnés bénéficie d’une majoration pour enfants. Celle
-ci est de
5 % pour deux enfants, 10 % pour trois enfants, 15 % pour quatre enfants et plus. Cette
dépense représente 42
M€ en 2021, la moyenne de bonification se situant à 10
%.
504
Les règles de liquidation de la pension offrent une option entre les trois dernières et
les cinq meilleures années de la carrière en termes de catégorie.
505
Un changement important de catégo
rie peut résulter de l’obtention d’un
nouveau
brevet,
ou d’un changement d
u type de navigation ou de taille du navire.
506
À hauteur de 799,4
M€
en 2021
via
le programme 197 du budget de l’État
, sachant
que la compensation des exonérations de charge est prise en charge par le programme
205. Le total des subventions au titre de ces deux programmes est de 857
M€ en 2021.
507
Valeur instantanée de la prestation annuelle servie par le régime, obtenue par le
versement d’un euro de cotisation.
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311
bénéficiaire récupère la totalité des cotisations versées au cours de sa vie active
après seulement trois années de versement de sa pension
508
.
La pension du régime peut être versée dès 50 ans. Sa liquidation est
conditionnée par la seule durée d’assurance (à partir de 25 ans de service),
alors même que la pénibilité des métiers maritimes est variable selon les
secteurs, les fonctions et les types de navire ou de navigation
509
.
La durée de service d’une pension dite d’ancienneté
510
au régime
des marins avoisine 29,5 ans en 2021
511
du fait d’âges d
e départ précoce et
d’un âge moyen au décès supérieur à celui des retraités du régime général
(entre un et trois ans selon le type de pension).
Par ailleurs, la moitié des pensions servies par l’Énim sont des
pensions dites « spéciales », liquidées pour une durée de cotisation
médiane de 3,5 ans
512
, soit
une durée d’affiliation courte
de 3 mois à 15 ans.
Avant 1987, une durée d’affiliation courte s’entendait comme une durée
comprise entre cinq ans et quinze ans. En deçà, les pensions ne relevaient
pas du « régime spécial » mais étaient dans leur majorité calculées selon
les règles du régime général (pensions dites « coordonnées »). Cette
solution permettait aussi d’éviter
les coûts de gestion pour des affiliés ayant
peu cotisé au régime. Aujourd’hui, l’octroi à des affiliés, dès lors qu’ils ont
cotisé plus de trois mois, d’une pension calculée selon les règles du régime
spécial, entraîne des dépenses disproportionnées.
Enfin, 26
% des dépenses de pension de l’Énim sont imputables aux
droits dérivés versés au conjoint survivant après le décès du titulaire, contre
11
% en moyenne pour l’ensemble des régimes de retraite. Le coût
important des pensions de réversion découle du fait que les assurés sont en
immense majorité des hommes, dont l’espérance de vie est stat
istiquement
inférieure à celle des femmes. Il résulte aussi de l’absence de conditions
d’âge ou de ressources pour le bénéfice de ces pensions, contrairement aux
autres régimes de retraite.
508
À titre de comparais
on, le rendement technique effectif de l’Agirc
-Arrco est de
4,35 % sur la tranche de revenu en dessous du plafond annuel de la sécurité sociale
(Pass), soit une récupération des cotisations versées après 23 ans de période de retraite.
509
La Cour constate qu
e peu d’éléments statistiques objectivent la pénibilité du travail
dans le domaine maritime, ce qui constitue un frein sérieux à sa prise en compte. Des
travaux devraient être menés sur ce point, ainsi que sur l’espérance de vie en bonne
santé de la population ayant eu la carrière maritime la plus longue.
510
Les pensions d’ancienneté sont celles versées aux bénéficiaires dont la carrière est
la plus longue, soit entre 25 ans et 37,5 annuités validées dans le régime spécial (environ
9 % des pensionnés en bénéficient).
511
Contre 19,9 ans pour les hommes au régime général en 2020 (Source : Cnav).
512
Cette durée de cotisation permet d’obtenir une pension annuelle brute de 1
604
(catégorie de salaire forfaitaire n° 5).
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312
3 -
Un régime maladie aux archaïsmes défavorables aux assurés
Alors que les prestations en nature servies par la branche maladie du
régime spécial sont les mêmes que celles versées aux salariés du régime
général, les prestations en espèces servies par
l’Énim
reposent, comme pour
la retraite, sur le salaire forfaitaire, sensiblement inférieur au salaire réel
(cf.
supra
). L’indemnité journalière (IJ) servie par le régime spécial des
marins, égale à 50 % du salaire catégoriel, est en conséquence souvent
inférieure à celle servie par le régime général
513
.
Le régime maladie-matern
ité de l’Énim assure le versement de
364
M€
au titre de la maladie-maternité et 56
M€
au titre des accidents du
travail et maladies professionnelles.
Intégré financièrement au régime général, le régime bénéficie d’une
contribution d’équilibre versée par l
a
caisse nationale d’assurance maladie
(Cnam) depuis la loi de finances pour 2006. Celle-
ci s’est élevée à
365,5
M€
en 2021 (soit 86 % des dépenses). Cette situation est contestable
dans la mesure où les niveaux de cotisations au régime maladie des marins
sont très inférieurs à ceux du régime général, alors même que les droits
sont identiques pour les prestations en nature, qui constituent la plus grande
part de ses dépenses.
Pour ce qui concerne les prestations en espèces (indemnités
journalières), les règles complexes du régime spécial sont globalement
défavorables à ses assurés en matière de montant perçu et de délai de
premier versement
(jusqu’à 20 jours de plus qu’au régime général). Par
ailleurs, les effectifs mobilisés pour la gestion des prestations sont plus de
quatre fois supérieurs à ceux du régime général (65 équivalents temps plein
à l’Énim contre 15 nécessaires dans une caisse primaire d’assurance
maladie (CPAM) pour verser ces prestations à un même nombre de
bénéficiaires selon les règles du régime général).
513
Toutefois, un « complément de ressources
» est versé par l’Énim en sus de l’indemnité
journalière aux marins dont le contrat de tra
vail prévoit le versement par l’employeur de
l’indemnité de nourriture mentionnée à l’article L.
5542-24 du code des transports.
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LE RÉGIME DE SÉCURITÉ SOCIALE DES MARINS,
UNE RÉFORME INDISPENSABLE
313
Enfin, en
dépit d’une fréquence d’
accidents élevée
514
, le secteur
maritime n’est pas couvert par un régime
de réparation professionnelle
responsabilisant
les
employeurs
et
distinct
du
régime
maladie.
L
’indemnisation
des arrêts de travail ne
fait l’objet d’aucune majoration en
fonction de leur durée, contrairement aux règles du régime général
515
. De
surcroît, la rente versée par le régime spécial
aux victimes d’un accident du
travail ou d’une maladie professionnelle
est
versée jusqu’au départ e
n
retraite du bénéficiaire, et non jusqu’à son décès
, contrairement à celle
versée par la branche AT-MP du régime général.
Une affiliation des marins et de leurs ayant-droits au régime général
pour les prestations en nature dans un premier temps, puis pour les
prestations en espèces, maladie et AT-MP, résoudrait ces difficultés.
B -
Une gestion des paramètres du régime défaillante
1 -
La disparition du contrôle
a priori
des lignes de service
contenant les informations indispensables au régime spécial
Les informations complexes et mutuellement liées permettant
d’établir le classement catégoriel des marins, et donc de calculer les
cotisations et les prestations du régime spécial des marins, sont notamment
contenues dans les données des « lignes de service ».
Les lignes de service, élément central de la gestion du régime
La ligne de service est un ensemble de données, caractérisant l’activité
de chaque affilié pour chacune de ses périodes de navigation. Elle comprend :
-
l’identification du marin
;
-
son lieu de travail
effectif (navire d’embarquement)
;
-
les dates de début et de fin de la navigation ;
-
la fonction occupée ;
-
le genre de navigation ;
-
la position du marin : embarqué, à terre, en congés, etc.
-
la quotité travaillée.
514
Le taux d’accident du travail dans le secteur maritime est de l’ordre de 4,65
%
(2021). Le taux d’accident du travail du sect
eur de la pêche rapporté à ses effectifs (6 %)
est plus élevé que la moyenne du secteur maritime. Il concentre 50 % des accidents du
travail pour environ 39
% de l’effectif. L’accident du travail y est le motif le plus
important d’arrêt de travail (28,5
%) (Source : Énim)
515
Dans le régime général, elle est majorée à compter du trentième jour
lorsqu’il s’agit
d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle (AT
-MP).
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314
Depuis 1953 et jusqu’en 2017, les rôles d’équ
ipage contenant ces
lignes de services devaient être déposés à la délégation maritime du littoral
(DML)
516
compétente. Cette formalité était nécessaire au départ du navire.
Ces rôles d’équipage étaient généralement déposés sous forme manuscrite,
les lignes de service étant ensuite saisies informatiquement par les services
des affaires maritimes. Ceux-
ci vérifiaient que l’armement du navire était
conforme aux exigences de la sécurité
517
.
Les affaires maritimes transmettaient ensuite ces données à l’Énim,
lequel classait les marins dans les catégories du régime au regard de leur
fonction à bord, du type de navire, etc.
518
, corrigeait les éventuelles erreurs
de saisie, calculait le montant des cotisations à payer et le transmettait à
l’armateur, puis inscrivait les périodes et catégories au compte de l’affilié.
Il s’agissait donc d’un dispositif de contrôle
a priori
qui
garantissait la
conformité des déclarations.
Ce système, bien qu’ancien
519
, était donc cohérent et reposait sur
différents points de contrôle. Sa logique a subitement disparu en raison de
la réforme du «
permis d’armement
» introduite par la loi n° 2016-816 du
20 juin 2016 pour l’économie bleue
. En effet, le
régime d’autorisation de
la navigation
comportait jusqu’alors
trois titres de navigation : rôle
d
’équipage, permis de circulation,
et carte de circulation
520
. Le rôle
d’équipage a été supprimé. Or c’est ce document qui comportait les lignes
de service des marins.
516
Les DML étaient dénommés « quartier des affaires maritimes » avant 2010.
517
La réglementation nationale ou internationale relative à la sécurité de la navigation
prévoit l’effectif et les qualifications requises pour un navire et un type d’activité et de
navigation données.
518
Le classement catégoriel du marin était réalisé en trois étape
s par les services de l’Énim
à partir de sa ligne de service. En premier lieu, la vérification des fonctions autorisées sur
le navire en fonction de son type de navigation, de sa taille ou de sa puissance. Ensuite, la
vérification de la fonction occupée. Enfin, le classement proprement dit en fonction du
brevet possédé et de l’ancienneté du marin. Il existe une douzaine d’éléments qui influent
sur le classement catégoriel pour une même fonction déclarée.
519
Certaines définitions tenant à la qualification du navire, par exemple le nombre de
tonneaux, ne sont plus en usage dans la règlementation maritime internationale depuis
1969. Elles ont été remplacées à cette date par le système des UMS (
universal
measurement system
) avec lequel la conversion n’est pas ais
ée car ce système ne mesure
pas le volume mais de multiples caractéristiques du navire. D’autre part, la
règlementation de l’Énim sur les brevets est restée figée dans les années 1990 alors que
le droit des brevets a évolué en fonction du droit international, ce qui a conduit à une
dichotomie croissante entre le classement catégoriel et les brevets attestés.
520
Ce régime était inchangé depuis 1942.
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LE RÉGIME DE SÉCURITÉ SOCIALE DES MARINS,
UNE RÉFORME INDISPENSABLE
315
Schéma n° 8 :
suppression du contrôle des rôles d’équipage
Source : Cour des comptes
De mai 2017 au 1
er
janvier 2021
521
, les services des affaires
maritimes ont continué d’assurer la saisie informatique des lignes de service
déposées par les armateurs pour les besoins du régime spécial, mais sans
contrôler ces déclarations -
cette tâche n’étant plus une néces
sité juridique.
En raison de la stabilité de l’assiette de cotisations induite par le
système des salaires forfaitaires et de la sécurité apportée par le contrôle
a
priori
réalisé par les affaires maritimes, l’Énim n’avait pas été amené,
jusqu’alors
, à pratiquer des contrôles sur ces données, pourtant situées au
cœur de son
dispositif de cotisations et de prestations, ni même à mettre en
place un régime de sanctions efficient en cas de fraude. L’établissement
s’est ainsi retrouvé largement démuni à compter
de 2017.
2 -
La défaillance de l’Énim et de ses tutelles à tirer
toutes les conséquences de cette évolution
Les conséquences de la fin du contrôle
a priori
des rôles d’équipage
n’ont pas été tirées. L’
Énim a continué à concentrer ses contrôles sur la
régularité juridique des opérations de dépenses, alors même que la fiabilité
des données sur lesquelles repose le calcul des cotisations et des droits à
prestations était désormais incertaine.
521
L’article 17 du
décret n° 2017-942 du 10 mai 2017 relatif au permis d'armement
dispose que la collecte des do
nnées d’activité par les services des affaires maritimes
cesse avec la mise en œuvre de la DSN
.
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COUR DES COMPTES
316
L’absence quasi
-totale de contrôle des recettes
En 2019, le plan de con
trôle interne de l’Énim était constitué de
73 programmes de contrôle, dont 47 % pour la branche maladie, 23 % pour
la branche vieillesse, 12 % pour la taxation et le recouvrement, 17 % pour
les fonctions supports et enfin 1
% pour l’action sanitaire et soc
iale. Pour la
branche maladie, les contrôles consistaient en une duplication de ceux
opérés dans le régime général. Sur la branche retraite, les contrôles,
concentrés sur une fraction marginale de la dépense, concernaient
essentiellement
la recherche d’ano
malies. Les contrôles réalisés en 2019 ont
détecté 1,1
M€ d’indus, essentiellement sur la branche maladie (780
000
€,
sur 450
M€ de dépenses, soit 0,17
%), et 120 000
€ de rappels
522
.
À l’inverse, aucun des contrôles prévus en ce qui concerne les
recettes (exhaustivité des déclarations, continuité dans les déclarations de
services,
exonérations,
variations
fonctions/catégories,
erreurs
de
classement catégoriel, affiliation des marins) n’a été mis en œuvre, alors
qu’il s’agissait du
principal facteur de risque pour le régime.
L’exactitude des déclarations et donc
des cotisations appelées ne
figure pas dans les plans de contrôle interne de l’Énim. Comme l’Énim
bénéficie en pratique d’une garantie de financement et que ses
déséquilibres financiers sont automatiquement comblés par le budget de
l’État ou par les cotisants du régime général, l’incitation à de tels contrôles
est nécessairement limitée.
L’Énim n’a
vait ainsi pas considéré comme un
impératif le fait de contrôler ses ressources de cotisations et n’a
vait pas
cherché à adapter ses processus à des risques nouveaux liés à la disparition
des rôles d’équipage et à la réforme du recouvrement.
L’Énim s’est engagé récemment dans une démarche d’identification
de ses risques majeurs de gestion. Son conseil d’administration a adopté en
décembre 2021 une cartographie des risques destinée à servir de socle aux
plans de contrôle des années 2022 et suivantes. Cependant, ce document
identifiait le contrôle des lignes de service comme un « risque faible »,
alors qu’il s’agit à l’évidence d’un risque majeur
: il concerne en effet la
fiabilité et la capacité à vérifier l’exactitude des informations spécifiques
requises par le système et à limiter tout risque de fraude
523
.
522
Des montants comparables sont observés pour 2018 et pour 2020.
523
La cotation de ce risque a été mise à jour pour 2023. Il est désormais considéré
comme « un risque fort » ayant un impact sur la liquidation des retraites pour un
montant significatif. Cet ajustement est le résultat des échanges intervenus entre la Cour
et l’Énim à l’occasion
du contrôle des comptes et de la gestion, réalisé en 2022.
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LE RÉGIME DE SÉCURITÉ SOCIALE DES MARINS,
UNE RÉFORME INDISPENSABLE
317
Les faibles résultats de la lutte contre la fraude
Au cours de l’année 2019
524
, la commission des fraudes de l’É
nim a
examiné seulement 34 dossiers litigieux. 24 ont été qualifiés de frauduleux, de
fautifs ou d’abusifs (13 en maladie, 8 en retraite et 3 en cotisations). Le montant
des fraudes constatées en 2019 n’est que de 278
000
€ soit 0,02
% des dépenses
(1,5 Md
€) et un montant de cotisations recouvrées d’environ 150
M€. Pour la
même année 2019, sur un champ de compétence très limité dans le secteur
maritime
525
, l’union de recouvrement des cotisations de la Sécurité sociale
(Urssaf) avait effectué 100 contrôles avec redressement pour un montant de 1
M€.
Les suites données à ces fraudes sont en outre peu dissuasives. En
2019, la commission a décidé de notifier dix avertissements ou rappels à la
loi et de déposer sept plaintes. Parmi celles-ci, seuls trois dossiers de fraude
concernant les cotisations ont été transmis au Procureur de la République,
alors que la complexité extrême du système du classement catégoriel des
marins conjuguée à la fin du contrôle
a priori
des fonctions occupées et des
lignes de service le rendent très manipulable.
Ces défaillances du contrôle interne, de la gestion des risques et de
la lutte contre la fraude ont été soulignées dès 2006 par la Cour. Elles ont
été signalé
es à l’Énim et à ses tutelles par toutes les inspections ayant
effectué un
e mission sur l’établissement depuis 2010. Les conventions
d’objectifs et de gestion (COG) de l’Énim ont
indiqué à plusieurs reprises
que les progrès dans ce domaine devaient être une priorité. Les constats
quant aux faiblesses du contrôle interne et de la lutte contre la fraude sont
récurrents
et ces faiblesses n’ont pas été corrigées.
524
Aucune
action de lutte contre la fraude n’a été menée en 2020.
525
Suite à la suppression de la caisse maritime des allocations familiales (Cmaf) par la
loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2016, le recouvrement maritime
a été confié à l’Urssaf Poi
tou-Charentes (URPC) depuis le 1
er
janvier 2016 pour les
cotisations d’allocations familiales et les contributions (CSG
-CRDS, fonds national
d’aide au logement
- Fnal
, versement transport, formation professionnelle…).
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COUR DES COMPTES
318
II -
Une adaptation du régime de sécurité sociale
des marins devenue inéluctable
A -
Un contrôle des déclarations impossible depuis 2021
1 -
Un passage à la DSN préparé dès 2017, mais sur lequel
les difficultés se sont accumulées
La déclaration des paies par les employeurs
via
la déclaration sociale
nominative (DSN) est devenue obligatoire pour l’ensemble des entreprises en
janvier 2017. Cette évolution était un préalable à la mise en œu
vre du
prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, à compter de 2019. Elle est par
ailleurs indispensable à l’automatisation du calcul et du versement de certaines
prestations sociales, notamment l’allocation logement depuis janvier 2021.
Le secteur maritime a fait partie des secteurs pour lesquels la mise
en œuvre de cette réforme a été
décalée dans le temps. La deuxième COG
de l’Énim (2016
-2020
526
) avait prévu le passage à la DSN pour la
déclaration des salaires versés à ses affiliés actifs. Cependant cette mise en
œuvre a été décidée sans changement
de la réglementation applicable au
régime, alors même que cette réglementation est incompatible avec les
contraintes techniques de la nouvelle déclaration informatisée. Des
adaptations de la DSN aux spécificités du régime social des marins ont par
conséquent été nécessaires.
L’examen de ce processus montre qu’en dépit d’une anticipation et
d’une
préparation importante, le secteur maritime demeurait, début 2021,
dans une situation anormale, du fait des paramètres atypiques de son
régime spécial et de la complexité des adaptations rendues nécessaires.
L’adaptation de la DSN aux spécificités du régime géré par l’Énim
Les travaux d’expression des besoins ont été effectués par l’Énim et
le ministère chargé de l
a mer. Pour l’essentiel, il s’agissait de pouvoir faire
saisir dans la DSN, par les gestionnaires de la paie du secteur maritime les
informations spécifiques nécessaires au régime social des marins
527
jusqu’alors contenues dans le rôle d’équipage.
526
Cette COG a été prolongée sur l’anné
e 2021.
527
Au sein du bloc 40 qui contient les informations relatives au contrat de travail.
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UNE RÉFORME INDISPENSABLE
319
La version dite « pilote » de la DSN maritime a été déployé le
25 septembre 2019, pour une entrée en vigueur initialement prévue au
1
er
janvier 2020, soit trois ans après la plupart des entreprises françaises.
Afin de tenir compte des difficultés exprimées, la DSS a consenti à
ne rendre obligatoire cette réforme des formalités déclaratives
qu’au 1
er
janvier 2021. Les anciennes modalités déclaratives ont été maintenues
pendant une année supplémentaire, les armateurs pouvant toutefois
commencer à déclarer en DSN dès 2020.
Le recours par les employeurs de marins à des tiers déclarant chargés
de la paie étant fréquent
528
, notamment sur la façade atlantique, un
référencement a été mis en place en 2020 pour permettre
d’indiquer aux
employeurs maritimes les tiers déclarants
équipés d’un logiciel adapté qui
s’engageant à respecter un plafond tarifaire. Une aide financière dégressive
sur trois ans a été prévue pour les cotisants
faisant appel à l’un des tiers
déclarants référencés. Les consignes ont été largement diffusées à l
’automne
2020. Une solution dégradée permettant de transmettre les DSN sans ligne
de service jusqu’au 1
er
juillet 2021 avait aussi été prévue.
Les employeurs des secteurs de la pêche et des cultures marines
n’avaient aucune expérience de la déclaration de
s salaires, étant donné que les
sommes à payer leur étaient précédemment signifiées par l’Énim sur la base du
classement catégoriel des marins résultant du traitement des lignes de service
529
.
L’introduction de la DSN dans le secteur maritime s’est donc
effectuée de manière dégradée, avec un taux élevé de non-déclarants. Au
31 janvier 2021, seuls 40 % des employeurs avaient transmis une DSN,
essentiellement dans le secteur du commerce qui était déjà familiarisé avec
ces procédures. Des actions de relance ont été effectuées envers les non-
déclarants dès le début de l’année 2021. Malgré cela, la plupart des
employeurs n’a
transmis aucune DSN pendant toute la première partie de
l’année 2021
, et la minorité
qui l’a
fait a transmis une DSN sans donnée
associée, af
in de s’assurer d’être en conformité minimale avec les
obligations déclaratives et de ne pas s’exposer à une taxation d’office.
528
Par exemple un expert-comptable, ou un prestataire de service de paie.
529
Les employeurs des secteurs du commerce et de la plaisance possédaient déjà une
expérience déclarative car leurs cotisations famille et CSG sont recouvrées depuis 2016
par l’Urssaf
-Poitou-Charente sur une assiette de droit commun.
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COUR DES COMPTES
320
Une saisie des déclarations trop complexe
Les gestionnaires de paie, qui sont le plus souvent des experts comptables
et non l
es employeurs, n’avaient qu’une connaissance imparfaite des
informations nécessaires à l’Énim pour le classement catégoriel, dès lors que
celles-
ci n’ont aucun rapport avec la paie.
A posteriori
, cette mission apparaît
d’ailleurs hors de leur portée, au re
gard de la complexité des règles du régime.
En outre, le travail de saisie de ces informations dans la DSN est
lourd et spécifique et s’ajoute au travail à réaliser pour une paie de droit
commun. Il faut ainsi saisir le numéro de marin, sa fonction (un code Énim
à cinq caractères), le Siret de l’employeur (qui désigne le navire concerné),
le numéro du navire (qui permet de qualifier la puissance de sa propulsion,
sa longueur, son tonnage, etc.). La ligne de service (qui recense des
informations distinctes de celles issues du contrat de travail) est quant à elle
reconstituée à partir des autres données entrées dans la DSN.
Étant donné leur spécificité, ces informations doivent être saisies
manuellement sur des champs de données libres non codifiées, ce qui
engendre inévitablement des erreurs. Aucun contrôle de cohérence n’existe
entre les différents champs, les données étant si diverses qu’une
automatisation du contrôle de leur saisie a paru impossible. Or, ces données
potentiellement erronées ou non-saisies interagissent avec les informations
contenues dans les autres blocs de la DSN
530
, multipliant les sources d’erreurs.
Au-delà même des informations sur la fonction du marin et de la saisie de sa
ligne de service de date à date, le calcul des cotisations patronales du régime
spécial, pour ne citer que cet exemple, est tellement complexe avec 11 taux
variant selon les caractéristiques du marin
531
, le type de navire
532
et son type
de navigation
533
, que l’absence d’une seule donnée en empêche le calcul.
Des relances téléphoniques ont été effectuées auprès des cotisants et de
leurs tiers déclarants à partir du mois de juillet 2021. Ces actions ont permis
d’atteindre un taux plus satisfaisant de déclaration DSN (hors départements
d’outre
-mer, pour lesquels la situation demeure problématique).
Elles n’ont toutefois pas suffi à assurer la qualité des données transmises
au fur et à mesure de cette montée en puissance. Les lignes de services déclarées
depuis juillet 2021 font apparaître de fréquents chevauchements de date, ce qui
signifie qu’elles sont inexactes
534
. De nombreuses erreurs sont également
constatées par l’Énim sur les fonctions déclarées, mais aussi sur les Siret, les
numéros de navire ou encore les numéros de marin.
530
Le bloc 30 contient les informations sur l’individu, le bloc 40 les informations sur
son contrat de travail, le bloc 50 le salaire en base fiscale, le bloc 51 le salaire brut au
sens social, le bloc 51 les autres rémunérations, le bloc 78 les différentes assiettes
d’assujettissement à cotisation et le bloc 81 les différents taux et types de cotisations.
531
Ancienneté, brevets, propriétaire embarqué ou non, à terre rattaché à un navire ou non, etc.
532
Puissance du moteur, longueur, nombre de tonneaux, etc.
533
Pêche, commerce, outre-mer ou métropole, exposition au commerce international, etc.
534
Le service étant de date à date, il est impossible que le même jour figure dans deux
lignes de service.
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LE RÉGIME DE SÉCURITÉ SOCIALE DES MARINS,
UNE RÉFORME INDISPENSABLE
321
Des actions de relance ont été effectuées aussi auprès des non-
salariés afin de les inciter à
s’inscrire sur le site internet
marins.urssaf.fr
puis, à partir de janvier 2022, à valider leur déclaration d’activité de l’année
2021 en une seule fois, de sorte que pour cet exercice et pour les non-
salariés, les lignes de service ne sont ni fiables ni précises. Elles ne le sont
pas plus en 2022
: faute d’une information adéquate des cotisants, les
déclarations ont généralement été effectuées en bloc par trimestre civil et
non selon la règlementation de l’Énim
, qui peut nécessiter des changements
de catégorie infra-trimestriels. Une large partie des informations sur les
lignes de service est donc irrémédiablement perdue. Le reste est affecté
d’un niveau d’erreurs tel que l’ensemble des dossiers devra être repri
s
manuellement au fil des besoins de liquidation, avec des coûts
administratifs élevés et une qualité dégradée.
L’ensemble de ces éléments aboutit à une situation très
préoccupante en matière de paiement à bon droit des prestations du régime.
2 -
Un contrôle devenu impossible en pratique
La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2020
(art.
18) a introduit un autre changement majeur pour l’Énim, en
transférant, à compter du 1
er
janvier 2020, la responsabilité du
recouvrement de ses cotisations aux Urssaf. Ce transfert du recouvrement
a exigé de refondre les processus complexes existant entre les affaires
maritimes, l’Énim et l’Urssaf Poitou
-Charentes
535
avant janvier 2021.
Ces deux changements, concomitants (DSN et recouvrement des
cotisations) on
t abouti à une situation peu satisfaisante, à la fois pour l’Énim et
pour l’Urssaf de Poitou
-Charentes, dont la mission est de recouvrer les
cotisations attendues du secteur, n’utilise et ne connaît que les données agrégées
des DSN. À l’inverse, l’Énim n’a
accès, dans les flux DSN, qu’aux seules
informations nominatives de ses affiliés, nécessaires pour enregistrer leurs droits.
L’accès de chacun des deux organismes aux informations de la DSN
est donc cloisonné et limité aux besoins de chacun. Ainsi, l’Énim
n’a plus
aucun moyen de connaître les cotisations appelées pour un navire, une
entreprise ou un secteur. Par ailleurs, il ne connaît que les données des périodes
déclarées pour les marins et non les périodes pour lesquelles les cotisations ont
été réglées (or, les droits ne sont octroyés que si les cotisations sont payées), ce
qui crée des incertitudes sur le paiement à bon droit des prestations, qui
s’ajoutent aux difficultés constatées sur le volet des cotisations (cf.
supra
).
535
L’Urssaf Poitou
-Charentes est chargé depuis 2016 du recouvrement des cotisations
pour l’ensemble du secteur maritime, dans une logique de guichet unique.
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COUR DES COMPTES
322
Inversement, l’Urssaf est dans l’incapacité de contrôler l’assiette des
cotisations à l’échelle d’un affilié ou d’un employeur. Jusqu’à récemment,
elle n’avait en effet pas accès à ces informations, qui se situent dans des
blocs de données de la DSN distincts de ceux qu’elle exploit
e
536
. Au
demeurant, quand bien même l’Urssaf y a désormais accès, elle n’est pas
en mesure de
les utiliser en appui d’éventuels contrôles,
du fait de leur
grande complexité
537
. En conséquence, l’Urssaf n’a réalisé aucun contrôle
dans le secteur maritime depuis janvier 2021
538
. Elle n’a d’ailleurs engagé
aucun profilage des fraudes, ni défini de plan national de contrôle, deux
ans après que le recouvrement de ces cotisations lui a été confié.
Concrètement, la situation qui prévaut depuis 2017 dans le secteur
mari
time est qu’aucun acteur ne contrôle les fonctions déclarées par les
employeurs et les non-salariés, donc les assiettes de cotisation, ni la réalité
des lignes de service, ni la correcte application des multiples taux de
cotisations patronales. En outre, du fait de
l’étanchéité des flux de données
découlant de la mise en œuvre de la DSN en 2021, aucun acteur n’est plus
en mesure de réaliser ces contrôles.
Cette situation opérationnelle est d’autant plus problématique qu’en droit,
ni l’Énim, ni l’Urssaf ne
sont responsables du contrôle des assiettes. Ils ne sont
pas non plus clairement habilités à sanctionner les éventuels abus et fraudes.
Des responsabilités de contrôle des déclarations à clarifier
L
’article L.
5553-5 du code des transports indique : « Les cotisations
des marins et les contributions des armateurs sont assises sur des salaires
forfaitaires correspondant aux catégories dans lesquelles sont classés les
marins compte tenu des fonctions qu'ils occupent et qui sont fixées par
décret ». Cet article implique que la déclaration doit être conforme à la
réalité de l’activité et à la réglementation, mais cette obligation s’adresse au
déclarant
, et ne désigne pas l’organisme qui doit assumer la responsabilité
d
’u
n contrôle.
Dans les textes, l’Énim n’a auc
une responsabilité en la
matière et ne dispose
d’ailleurs pas de moyen coercitif, à la différence de
l’Urssaf, dont les missions et la capacité de sanction sont fixées dans le code
de la sécurité sociale, ou de l’administration chargée de la mer,
dont les
compétences découlent du code des transports.
536
L’Urssaf Poitou
-Chare
ntes n’a accès aux informations à
échelle individuelle de la
DSN maritime que depuis septembre 2022, mais n’est pas en mesure de l’exploiter en
production, faute d’outils informatiques dédiés.
537
Cette tâche suppose la vérification de 27 points différents (caractéristiques du marin,
de l’employeur et du navire, fonctions occupées, type de navigation), et la
compréhension fine, dès lors que celle-ci découle de la fonction du marin, de ses lignes
de service et des multiples informations concernant le navire et le type de navigation,
ainsi que des complexes mécanismes de classement catégoriel.
538
L
’exercice 2021 peut
toutefois
faire l’objet de contrôles jusqu’en 2024, la
prescription étant triennale en matière de cotisations sociales.
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UNE RÉFORME INDISPENSABLE
323
En droit, l’Énim n’a jamais eu la mission ou la capacité juridique de
contrôler les déclarations des armateurs
, ce rôle incombant jusqu’en 2017
aux délégations des affaires maritimes.
Ce n’est qu’en contractua
lisant avec
l’Urssaf que le contrôle d’assiette pourrait être délégué à l’Énim. Toutefois,
dans une telle hypothèse, le contrôle ne pourrait pas concerner les taux de
cotisation patronale ni les dispositions d’exonération ou de réduction de
charges patrona
les, car l’Énim ne dispose pas des données permettant ce
contrôle, qui relèvent de surcroît de la compétence de l’Urssaf.
Cette option juridique n’apporterait donc pas de solution aux
difficultés exposées supra en matière de recouvrement. Elle ne règlerait pas
non plus le problème de fond, à savoir l’impossibilité matérielle d’opérer
ces contrôles.
Dans cette situation confuse, un paradoxe supplémentaire consiste
en ce
que l’agent comptable de l’Énim demeure juridiquement responsable
du recouvrement des cotisations alors même que le recouvrement a été
transféré
à l’Urssaf, depuis la mise en œuvre de la DSN maritime.
Dans son rapport de certification des comptes de l’exercice 2021 du
régime général de sécurité sociale, la Cour a constaté que, du fait
d’anomalies significatives, elle n’était pas en mesure de certifier les
comptes de l’activité de recouvrement. La Cour a en outre relevé
des
insuffisances de contrôle interne au regard des cotisations et contributions
sociales des employeurs de marins et de marins non-salariés et des créances
associées. L’ensemble de ces éléments a conduit le commissaire aux
comptes de l’établissement à est
imer ne pas être en mesure de vérifier
l’absence d’anomalies significatives dans les comptes 2021
de l’Énim.
B -
Les voies d’ada
ptation de la sécurité sociale
des marins
1 -
Une obsolescence sans remède
En théorie, des adaptations informatiques (recoupements et contrôles
a
posteriori
) dans les systèmes de l’Énim et de l’Acoss pourraient atténuer
certaines des difficultés constatées. Cependant, les mesures nécessaires
exigeraient de lourds investissements informatiques, dans le cadre d’un chantier
complexe qui ne pourrait aboutir avant plusieurs années. Une augmentation
considérable des effectifs de l’Énim et de l’Urssaf dédiés au contr
ôle serait aussi
nécessaire, alors que l’objectif du transfert du recouvrement à cette dernière était
notamment d’en réduire les charges de gestion. Cette voie apparaît donc à la
fois coûteuse et incertaine, alors même que le coût de la liquidation d’une
p
ension de retraite par l’Énim avoisine déjà 900
€, soit le niveau le plus élevé
de tous les régimes de sécurité sociale français
539
.
539
Cf. Projet annuel de performance du programme 197, 2021.
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COUR DES COMPTES
324
Des pistes complexes et peu crédibles de contrôle des déclarations
Une détection des chevauchements des lignes de service pourrait être
envisagée au niveau des logicie
ls de l’Énim. Ce contrôle pourrait être
effectué à échéance périodique par les agents de l’Énim
. Il serait de même
envisageable d’effectuer, lors de l’intégration des flux DSN, un contrôle des
numéros de navire, par rapport au référentiel des navires tenu à jour par les
affaires maritimes. En cas d’anomalie, une alerte serait envoyée au déclarant
et signalée sur la ligne de service. La vérification du navire permettrait aussi
d’identifier les embarquements sur les
navires battant pavillon étranger, ce
qui n’est plus possible actuellement.
Un contrôle des genres de navigation déclarés pourrait être aussi
prévu à partir des informations détenues par les affaires maritimes sur les
permis d’armement.
Toutefois, la mise en place de ces contrôles
a posteriori
nécessiterait
de lourds développements informatiques, alors même que le développement
des solutions actuelles a déjà nécessité près de quatre ans de travaux. Outre
le coût et les aléas, toutes ces adaptations exigeraient une convention et une
entente opérationnelle forte entre l’Urssaf, les affaires maritimes et l’Énim.
En tout état de cause, ces palliatifs ne résoudraient pas le problème
fondamental de la désuétude des paramètres de l’Énim, fondés sur les
lignes de service.
Des lignes de service sans utilité au regard des obligations
internationales de la France
Les services du ministère de la mer continuent d’assumer deux
obligations découlant du droit international (convention STWC et directive
2008/106)
: d’une
part, la re-certification périodique des brevets de
navigation, et d’autre part le contrôle –
désormais
a posteriori
du respect
par les armateurs de leurs obligations en matière d’armement des navires.
Les «
lignes de service
» au sens de leur définition administrative
française n’existent pas dans les textes internationaux. Les États peuvent
choisir librement les modalités de la mesure du temps opérationnel passé
dans l’exercice de fonctions maritimes.
D’autres systèmes de recueil des informations néce
ssaires existent à
l’étranger, et n’impliquent nullement que ce recueil soit organisé à partir de la
paie du personnel, ni que les paramètres de la sécurité sociale des marins en
dépendent. Le maintien de la déclaration des lignes de services en DSN pour
les seuls besoins des services du ministère de la mer ne se justifie donc pas.
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LE RÉGIME DE SÉCURITÉ SOCIALE DES MARINS,
UNE RÉFORME INDISPENSABLE
325
Sans enjeu pour les entreprises déclarantes, la qualité des données
qu’elles
déclarent
n’est pas garantie
par des contrôles, alors même qu’elles
ont un impact financier sur les cotisations versées et les droits acquis. Il est
en conséquence inutile d’imposer au secteur maritime des obligations
déclaratives dont les éléments ne servent pas aux entreprises concernées
pour leur gestion, et qui sont en outre particulièrement complexes, rendant
incertain le paiement à bon droit des prestations sociales qui en dépendent.
2 -
Les évolutions nécessaires de la sécurité sociale des marins
Au regard des constats exposés
supra
, la refonte des paramètres du
régime apparaît inévitable, dès lors que leurs fondements historiques - à
savoir les lignes de service
ne sont plus vérifiables. L’assiette des
cotisations et l’acquisition des droits sociaux des marins devraient découler
du contrat de travail et du revenu brut.
Cette modernisation indispensable permettrait aussi de régler les
nombreux problèmes que soulèvent les règles actuelles et les évolutions
structurelles auxquelles est soumis le régime, en termes de soutenabilité pour
le budget de l’État et d’équité à l’égard des cotisants aux autres rég
imes.
L
’analyse des données montre que le nombre de personnes d’une
génération
ayant été affiliées à l’Énim (actifs, dormants et pensionnés)
connaît une diminution constante depuis 40 ans. Il est passé de 3 600 pour
les affiliés nés en 1960 à moins de 500 pour les générations les plus
récentes. En 2021, on dénombre moins de 1 000 personnes par année de
naissance dans les comptes actifs de l’Énim. En outre, on observe une
diminution marquée de la durée moyenne d’affiliation. Elle est passée de
12,5 ans pour la génération 1960 à 6,5 ans pour la génération 1982
540
.
Depuis longtemps, le régime des marins n’est plus un régime dans
lequel la plupart des affiliés accomplit la totalité de sa carrière. La majorité
des comptes de personnes d’âge actif sont des comptes
« dormants »
, c’est
-
à-
dire des comptes d’assurés qui n’ont plus d’activ
ité dans le secteur
maritime (jusqu’à 60
% selon l’année de naissance).
540
Personnes ayant actuellement 40 ans et qui ont donc largement dépassé les durées
médiane et moyenne d’affiliation à l’
Énim
, dès lors la première affiliation à l’Énim
intervient en moyenne à 22 ans.
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326
Un régime de passage
L’affiliation à l’Énim
intervient généralement en tout début de vie
professionnelle
541
. Plus du tiers des liquidants en 2021 a été affilié au régime
pendant moins de cinq ans, et la moitié l’a été moins de dix ans. La part des
affiliés liquidant leur pension avec 37,5 années de périodes validées à
l’Énim
542
n’est que de 9
%.
Environ 40 % des affilié
s de l’Énim ont occupé un autre emploi en
même temps que leur activité de marin au cours de leur carrière. Le secteur
maritime est en effet caractérisé par des repos et des congés importants, au
point que ceux-
ci permettent matériellement d’occuper un autr
e emploi.
La durée de carrière passée en poly-activité
543
avoisine ainsi 25 % de
la durée d’affiliation à l’Énim pour les générations 1945
-
1974, et jusqu’à
37 % pour les générations récentes
544
.
Ces éléments mettent en évidence que l’Énim est un régime de
passage dans une carrière professionnelle, auquel les assurés sont affiliés au
début de leur vie active pour une durée assez courte au cours de laquelle ils
sont nombreux à occuper un autre emploi. Ils poursuivent ensuite
majoritairement leur vie professionnelle au régime général.
Ces éléments
invitent à une réforme d’ensemble, et non à un simple
ajustement des paramètres du régime.
S’agissant de la branche maladie du régime spécial, la Cour estime qu’il
serait favorable aux assurés de procéder dans un premie
r temps à l’affiliation
au régime général des marins pensionnés, puis des marins actifs, d’abord pour
les prestations en nature et ensuite pour les prestations en espèces, avec un
alignement correspondant des assiettes et des taux de cotisation.
S’agissan
t de la branche retraite du régime spécial, au regard de la
situation du système de retraite dans son ensemble, il est peu justifié de
maintenir un dispositif aussi coûteux pour les finances publiques au
bénéfice d’un nombre si limité d’affiliés, qui, dans
leur grande majorité,
n’y effectuent que quelques années de leur vie professionnelle, souvent
d’ailleurs en exerçant une deuxième activité.
541
Pour les générations né
es entre 1960 et 2000, l’âge de la première affiliation à l’Énim
est en moyenne de 22,1 ans et en médiane de 20,5 ans.
542
La durée de 37,5 ans est le maximum d’annuité qui peut être acquis dans le régime.
543
Sa durée moyenne est de quatre années. Environ 10 % des individus concernés par
cette situation passent la totalité de leur vie professionnelle en situation de poly-activité.
544
Étude réalisée par la Cnav à la demande de la Cour, Juin 2022.
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LE RÉGIME DE SÉCURITÉ SOCIALE DES MARINS,
UNE RÉFORME INDISPENSABLE
327
L’impossibilité de maintenir l’assiette de cotisation en l’état,
suppose, pour l’avenir, de faire évoluer les règles d’acquisition des droits,
qui pourraient donc être celles du régime général. Les droits à retraite
acquis par les cotisants de l’Énim antérieurement à
la date de la réforme
seraient quant à eux préservés ; ils seraient liquidés selon les règles
dérogatoires antérieures et l
’Énim rest
erait chargé de leur service, dont le
financement serait assuré par des crédits budgétaires de l’État
. Les marins
pourraient
enfin
bénéficier
d’une
prise
en
compte
de
l’usure
professionnelle et de la pénibilité liées à leurs métiers, pour ce qui concerne
leurs droits à retraite nouvellement acquis au régime général.
Un dispositif unifié de réduction des charges patronales, adaptable
en fonction de la situation économique de chaque secteur, permettrait de
faire perdurer la solidarité nationale envers le monde de la mer.
Sans attendre l’aboutissement de ces évolutions indispensables,
la
refonte du dispositif de la pension dite « spéciale
» et l’introduction de
conditions d’âge et de ressources pour le bénéfice de la pension de
réversion servie par le régime
gagneraient à être mise en œuvre rapidement.
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328
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
Le régime géré par l’Énim a été profondément déstabilisé par deux
réformes récentes, relatives pour la première aux règles de la circulation
maritime
et pour la seconde à l’utilisation du système de déclaration
sociale nominative (DSN) : les paramètres, souvent désuets, nécessaires
au calcul des cotisations et des prestations en espèces qu’il sert ne peuvent
plus être recueillis dans des conditions en
garantissant l’exactitude.
En conséquence, la Cour estime qu’une discussion doit être engagée
avec les représentants des salariés et des employeurs sur la modernisation
de la protection sociale dans le secteur maritime.
Les mesures à prendre devront répondre à la fois aux enjeux de la
viabilité économique du secteur, de la préservation des droits constitués
dans le régime spécial et de la restauration
de l’équité vis
-à-vis des assurés
des autres régimes de sécurité sociale.
L’ampleur et la complexité du
travail législatif et réglementaire à mener exige
qu’une gestion de projet
forte et structurée soit mise en place par les administrations de tutelle.
La Cour formule ainsi les recommandations suivantes (ministère du
travail, du plein emploi et de l’insertio
n, ministère de la santé et de la
prévention, secrétariat
d’État
auprès de la Première ministre
,
chargé de la
mer) :
35.
r
efonder l’assiette des cotisations et l’acquisition de droits aux
prestations de sécurité sociale des marins sur la base du revenu brut en
préservant les droits à retraite antérieurement constitués dans le
régime spécial sur la base des salaires forfaitaires ;
36.
restaurer
la durée de cinq ans d’affiliation, en
-dessous de laquelle les
marins ne sont pas éligibles à la pension spéciale et introduire des
conditions d’âge minimum et de ressources pour le bénéfice de la
pension de réversion ;
37.
affilier les marins à la branche maladie du régime général en
commençant par les prestations en nature et en poursuivant par les
prestations en espèces et la couverture des accidents du travail et des
maladies professionnelles pour les actifs ;
38.
appliquer un seul taux de cotisation patronale à tous les employeurs
maritimes et prévoir un dispositif simplifié de réduction ou
d’exonération de charges modulable uniq
uement en fonction des
contraintes économiques propres à chaque secteur maritime.
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