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Chapitre VIII
La maîtrise médicalisée des dépenses
de santé : une régulation inaboutie
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254
_____________________ PRÉSENTATION_____________________
Confrontée à la nécessité de maîtriser l’évolution des dépenses de
santé, la France, comme la plupart des pays européens, peut agir sur
plusieurs leviers : sur le volume des actes de soins, sur leur tarification,
sur la réduction du nombre d’actes et de produits non justifiés au regard
des «
données acquises de la science »
,
365
ou pour lesquels il existe, à
efficacité
égale, des actes et des produits de moindre coût. C’est la
«
maîtrise médicalisée »
des dépenses de santé, dans le sens premier qui
lui a été donné avant qu’elle soit englobée dans la notion plus large de
« gestion du risque » par la
caisse nationale de l’
assurance maladie
(Cnam)
. Présentée comme l’un des principaux garants du respect de
l’objectif national de dépenses de l’assurance maladie (Ondam)
366
, la
maîtrise médicalisée a donc pour objectif de réduire les dépenses de santé
inutiles, redondantes, voire délétères, sans porter atteinte à la qualité des
soins nécessaires.
Cette forme de régulation des dépenses ne contrevient pas au
principe de liberté dont jouissent les médecins dans leurs actes et
prescriptions, les médecins étant déjà tenus d’observer
«
a plus stricte
économie compatible avec la qualité, la sécurité et l’efficacité des
soins
»
367
.
Elle se concrétise, essentiellement, par des mesures incitatives
visant à améliorer les prescriptions.
La mise en œuvre de la maîtrise médicalisée est délicate et
le
chiffrage de ses effets, recherchés et constatés, repose sur des estimations
insuffisamment robustes et par trop optimistes (I). Au regard des bénéfices
attendus, moins de dépense pour davantage d’efficacité, les actions
développées et les moyens mobilisés ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Le renforcement des actions et des moyens de la maîtrise médicalisée est
indispensable pour apporter les gains d’efficience escomptés
(II).
365
Code de la santé publique (CSP), art. R. 4127-32.
366
L’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) est un objectif de
dépenses à ne
pas dépasser en matière de soins de ville et d’hospitalisation dispensés
dans les établissements privés ou publics, et dans les centres médico-sociaux. Il a été
créé par ordonnance en 1996 et est fixé chaque année par le Parlement, dans la loi de
financement de la sécurité sociale (LFSS).
367
CSP, art. L. 162-2-1.
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LA MAÎTRISE MÉDICALISÉE DES DÉPENSES DE SANTÉ :
UNE RÉGULATION INABOUTIE
255
I -
Un outil décevant au regard
des ambitions qu’il porte
A -
Des actions centrées principalement
sur les prescriptions
1 -
Rationaliser les prescriptions sans les rationner
Les rapports de l’Assemblée nationale et de la Cour ont contribué à
donner une nouvelle impulsion à la lutte contre les fraudes aux prestations,
qui se manifeste par de nombreuses mesures législatives, des réorganisations
administratives et l’établissement d’estimations de la fraude.
La « médecine fondée sur les preuves »
368
, apparue dans les années
1970, a mis en évidence que nombre de prescriptions par les praticiens
médicaux et de prises en charge par les établissements de santé étaient
éloignées des pratiques justifiées scientifiquement
369
et que seuls étaient
pertinents les actes et produits dont les bénéfices démontrés étaient estimés
supérieurs aux inconvénients identifiés. Cette appréciation tient compte du
contexte spécifique de chaque patient : tableau clinique, contexte social,
culturel, disponibilité de l’offre de soins, préférence du patient, accès aux
soins innovants, etc.
Dans ce cadre, la maîtrise médicalisée vise à supprimer les dépenses
liées à des soins jugés non pertinents. Elle consiste donc à
« promouvoir le
juste soin, pertinent, efficace, conforme aux recommandations, organisé de
la façon le plus efficiente possible, évitant de gaspiller des ressources sans
valeur ajoutée
»
370
et constitue une troisième voie de régulation des
dépenses de santé, à côté de la régulation tarifaire et de la régulation par
les quantités (enveloppe limitative de soins pour une période, pratiquée par
exemple en Grande-Bretagne).
368
La traduction anglaise «
evidence based medecine
» (EBM) est passée dans le
langage courant pour désigner cette approche, désormais mondialement reconnue.
369
Classiquement, il est considéré que la publication aux États-Unis, en 1972
et en
France, en 1977
du livre
L’inflation médicale, réflexions sur l’efficacité de la médecine
d’Archibald Cochrane, marque le fondement théorique de la maîtrise médicalisée.
370
Dominique Polton, Mathilde Lignot-Leloup
Régulation des dépenses de santé et
maîtrise médicalisée,
in Traité de santé publique, éditions Lavoisier, 2016, Paris.
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256
2 -
Une conception qui a évolué au fil du temps
Les actions de maîtrise médicalisée sont apparues au début des
années 1990, portées par la politique conventionnelle de l’assurance
maladie avec la définition, sous un angle médical et scientifiquement
fondé, de « soins remboursables », avant que la loi n° 93-8 du 4 janvier
1993, dite loi Teulade, définisse des références médicalement opposables
(RMO). Celles-
ci n’ont toutefois pas rencontré le succès
attendu
371
.
Tirant les leçons de cet échec ainsi que de celui des « accords de bon
usage »
372
,
l’assurance maladie a mis en place des contrats rémunérés pour
l’amélioration des pratiques individuelles. Conçu
initialement en dehors du
cadre conventionnel, ce mécanisme incitatif y a été intégré en 2011 avec la
mise en place de la « rémunération sur objectif de santé publique »
(Rosp)
373
. Parallèlement, les pouvoirs publics ont cherché à établir depuis
1991 des recommandations de bonnes pratiques et de bon usage des
produits de santé. Cette mission est aujourd’hui confiée, nota
mment, à la
Haute Autorité de santé (HAS)
374
.
À partir des années 2010, la maîtrise médicalisée s’est vu adjoindre un
concept qualitatif de « pertinence des soins
», d’application plus large. En effet,
celle-
ci vise non seulement l’excès mais aussi l’insuffi
sance, voire le défaut, de
soins adaptés et efficaces. Elle est fondée sur une approche plus qualitative qui
ne comporte pas directement d’objectif quantifié d’économies, à la différence
de la maîtrise médicalisée. Le concept de pertinence des soins, d’abo
rd orientée
vers les actes chirurgicaux non-
pertinents, consiste aujourd’hui à définir et à
structurer les parcours de soins les plus efficients, là où le rôle de la maîtrise
médicalisée se limite à définir un « panier de soins » de référence.
Aujourd’hui,
la maîtrise médicalisée tend à être placé au second plan
par la Cnam
au profit d’
une approche plus vaste, la « gestion du risque »,
qui entend réduire les dépenses de santé en agissant sur chaque maillon de
la chaîne des faits générateurs, qu’il s’agisse
de la prévention et de la
pertinence des soins ou de la lutte contre la fraude
375
.
371
Rapport sur la sécurité sociale, Cour des comptes, 1997.
372
L’accord de bon usage des soins était un engagement collectif pour l’opt
imisation des
pratiques, apparu dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. Fixé par les
partenaires conventionnels, il intégrait un objectif d’évolution des pratiques médicales.
Chaque convention nationale conclue avec les professionnels de santé devait comporter au
moins un tel accord mais aucune pénalité n’était prévue en cas d’absence de résultat.
373
Introduite par la convention médicale de 2011, la Rosp consiste à accorder une
rémunération supplémentaire aux médecins acceptant de faire évoluer leurs pratiques
sur certains critères aussi bien médicaux qu’économiques.
374
Loi n° 2004-
810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie.
375
La direction générale de la santé (DGS) y inclut également la réduction des déchets
d’activité de soin à r
isque infectieux (Dasri).
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LA MAÎTRISE MÉDICALISÉE DES DÉPENSES DE SANTÉ :
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Maîtrise médicalisée et gestion du risque, des objectifs différents
La maîtrise médicalisée constitue, par construction, un outil de
maîtrise de l’Ondam
376
. La gestion du risque
, quant à elle, s’inscrit dans un
ensemble d’actions plus vaste visant à s’assurer de la mise en œuvre
de la
politique de santé
377
. La Cnam tend à privilégier la gestion du risque, à travers
un programme de rénovation
Rénov’GDR
»
) reposant sur trois priorités :
-
la rénovation d
es modalités d’intervention auprès des professionnels de
santé, qu’il s’agisse de diversifier les supports
de formation ou
d’information
(visioconférences, webinaires, Mooc
378
) ou de s’adresser
simultanément à plusieurs interlocuteurs (médecins, pharmaciens,
assurés) de façon graduée et personnalisée, tout en évaluant mieux, dans
la durée, l’efficacité des actions ainsi conduites
379
, grâce à l’apport d’un
nouvel outil statistique d’évaluation de campagne (
«
Stec
») ;
-
l’enrichissement des do
nnées disponibles visant à permettre un ciblage plus
fin des professionnels et des actions à conduire
; dans ce but, l’assurance
maladie a décidé de créer un premier entrepôt de données sur les indemnités
journalières et sur l’invalidité, issues de différe
ntes bases de données
380
;
-
la responsabilisation des professionnels de santé quant à leurs pratiques et
celles des patients, premiers acteurs de leur propre prise en charge ; pour
les premiers, la Cnam prévoit de développer des outils de mise à
disposition régulière et fréquente, voire continue, de données de
prescription
381
,
dans l’objectif de
leur permettre de comparer leurs
pratiques, au niveau local comme au niveau national
382
; pour les seconds,
par des actions de sensibilisation
à l’importance d’une bonne h
ygiène de
vie et de la stricte observance des traitements qui leur sont prescrits.
376
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 indique, dans son annexe B,
que la progression de l'Ondam tient compte notamment «
des économies permises par
la maîtrise médicalisée et la lutte contre la fraude
».
377
Code de la sécurité sociale (CSS), art. L. 182-2-1-1 : «
dans le respect des lois de
financement de la sécurité sociale et afin d'assurer la mise en œuvre de la politique de
santé définie à l'article L. 1411-1 du code de la santé publique, l'autorité compétente
de l'État conclut avec l'Union nationale des caisses d'assurance maladie un contrat
dénommé "plan national de gestion du risque et d'efficience du système de soins" [
]
»
378
En particulier pour les arrêts de travail, dans le cadre plus large d’actions s’i
nscrivant
dans une feuille de route spécifique à la gestion du risque en matière d’indemnités
journalières, au regard des enjeux associés.
379
Une bibliothèque des actions de GdR a aussi été mise en place afin de recenser et de
mettre à disposition les bonnes pratiques locales.
380
L’objectif est de disposer d’éléments sur les motifs des arrêts, la durée des arrêts, l’âge des
bénéficiaires, le niveau de leur rémunération, le secteur d’activité, la taille de l’entreprise…
381
Pour les établissements de santé, exis
te d’ores et déjà l’outil Visuchir, de data
-
visualisation des activités de chirurgie. Des transpositions de cet outil sont en cours :
Visumed (sur la médecine ambulatoire hospitalière), Visuinterventionnel (sur la
médecine interventionnelle) et Visuk (sur la cancérologie).
382
Projet dit
« Pratique et patientèle »
de mise en ligne dans
« AmeliPro »
des profils
individuels des médecins.
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Ces actions, qui devront être évaluées dans la durée, ne doivent
toutefois pas conduire l’assurance maladie à
abaisser son ambition en
matière de maîtrise médicalisée
stricto sensu
, telle qu’elle est voulue par le
législateur et
que la Cnam intègre dans le processus d’ensemble de gestion
du risque.
Le schéma suivant illustre la place de la maîtrise médicalisée dans
le champ de compétence de l’assurance maladie, à l’intersecti
on du
processus de gestion du risque et de la régulation de la pertinence des soins.
Schéma n° 5 :
gestion du risque, maîtrise médicalisée
et pertinence des soins
Source : Cour des comptes
La Cour rend compte, dans le présent chapitre, de la mise en œuvre de
la maîtrise médicalisée dans sa conception originelle,
stricto sensu
, qui définit
un type d’actions qui concernent tant la médecine de ville que les soins
hospitaliers, même si les pouvoirs publics les concentrent
de facto
sur les
soins de ville et, plus particulièrement, sur la prescription médicamenteuse.
En s’attaquant aux inefficiences du système de santé, sans rationner
les soins, la régulation par la maîtrise médicalisée se veut
a priori
plus
acceptable par l’ensemble des parties prenantes. Cependant, sauf exc
eptions
telles que les prescriptions dont la prise en charge est soumise à accord
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LA MAÎTRISE MÉDICALISÉE DES DÉPENSES DE SANTÉ :
UNE RÉGULATION INABOUTIE
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préalable de l’assurance maladie
383
, les médicaments à prescription
restreinte
384
ou, encore, les prescriptions susceptibles de mettre en jeu la vie
du patient compte tenu des données acquises de la science, les médecins
demeurent globalement libres de leurs prescriptions
385
. Dès lors, pour être
mise en œuvre, la maîtrise médicalisée nécessite, précisément, de convaincre
les professionnels de santé de faire évoluer leurs pratiques e
t, s’agissant des
patients, de modifier leurs comportements, objectifs contrariés par la logique
de rémunération à l’acte des prescripteurs et par la segmentation des soins,
particulièrement de ville, entre les professionnels de santé.
3 -
Des actions incitatives diverses
Outre les évolutions législatives ou réglementaires et les incitations
financières en direction des praticiens, et les campagnes de communication
en direction du grand public qu’elle peut inspirer, la maîtrise médicalisée
se matérialise, pour
l’essentiel, par de l’information (courriers) et par des
visites de délégués de l’assurance
-maladie et de médecins conseils auprès
des professionnels de santé afin de les inciter à améliorer leurs pratiques.
Ces actions ne visent pas à sanctionner les professionnels ou les patients,
contrairement, par exemple, à la lutte contre la fraude.
Les mesures se concentrent sur le champ des médicaments, soit pour en
limiter la prescription lorsqu’elle est peu justifiée, soit pour en favoriser la
fourniture sous les formes plus économiques de génériques
386
ou de
biosimilaires (équivalent des génériques pour les médicaments biologiques
387
).
383
La prise en charge de certains actes ou prestations, coûteux, rares ou de longue durée,
peut être soumise à l’accord préalable de l’assurance maladie.
384
Du fait de contraintes techniques d’utilisation, de sécurité d’utilisation, ou par
nécessité d’une hospitalisation pour la réalisation du traitement, certains médicaments
peuvent n’être prescrits que dans des conditions très s
pécifiques.
385
CSS, art. L. 162-2 :
«
Dans l’intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le
respect de la liberté d’exercice et de l’indépendance professionnelle et morale des
médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que
sont le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin, le
secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la liberté
d’installation du médecin, sauf dispositions contraires en vigueur à la date de
promulgation de la loi n° 71-525 du 3 juillet 1971 ».
386
Par exemple, de longue date, les pouvoirs publics ont promu l’utilisation de génériques
en lieu et place des médicaments princeps. La dernière mesure en date, portée par la LFSS
pour 2019, est venue limiter le remboursement du médicament au tarif de son générique.
En cas de refus du patient, celui-
ci doit alors s’acquitter de la différence de prix.
387
Une incitation financière à leur prescription a ainsi été mise en place par l’avenant
n° 9
à la convention médicale, signé le 30 juillet 2021, et la LFSS pour 2022 permet désormais
aux pharmaciens de substituer à un médicament biologique son biosimilaire. Toutefois,
cette mesure ne s’applique aujourd’hui qu’à deux groupes biologiques, le
Filgrastim
et le
Pegfilgrastim
(molécules destinées à renforcer les défenses immunitaires en cas de
chimiothérapie). Par ailleurs, un arrêté du 12 décembre 2022 a définir une dotation pour
les établissements de santé répondant à des critères d’efficience et de pertinence da
ns leurs
prescriptions d’
Etanercept
, d’
Adalimumab
et d’insuline glargine (biomédicaments
capables de
bloquer l’action inflammatoire nocive sur les articulations et l’organisme et,
pour l’insuline, permettant de réguler le métabolisme du glucose).
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260
Dans sa conception actuelle, la maîtrise médicalisée ne concerne que
de manière secondaire les dispositifs médicaux
388
, les arrêts de travail
389
,
certaines pathologies et les transports sanitaires, et encore moins les
dépenses hospitalières. Ce champ
restreint ne signifie pas que l’assurance
maladie ne s’intéresse pas au bien
-fondé et à la réduction de ces dépenses ;
elle s’y emploie selon l’approche différente, et plus englobante, de la
gestion du risque (cf.
infra
).
Exemples d’actions de maîtrise médicalisée
L’action de maîtrise médicalisée visant à réduire la consommation
des antibiotiques en agissant du côté des prescripteurs et des patients (cf. la
campagne «
Les antibiotiques, ce n’est pas automatique
») date du début
des années 2000. La France en était, à l’époque, l’un des plus grands
consommateurs et des phénomènes d’antibiorésistance
390
commençaient à
se manifester. Si de premiers résu
ltats positifs ont été obtenus, ils n’ont pas
perduré, comme l’a rappelé la Cour des comptes dans son référé n°
2018-
3239 du 14 février 2019. La France demeure au 4
ème
rang des pays les plus
consommateurs d’antibiotiques, à un niveau 2,5
fois supérieur à celui des
Pays-
Bas, à titre d’exemple.
De même, au début des années 2010, les pouvoirs publics ont
cherché à réduire la consommation de médicaments psychotropes indiqués
pour traiter les états anxieux (benzodiazépines), en raison d’une
consommation élevée et de la prescription de doses et de durées
inappropriées (en 2015, 13,4 % de la population consommait des
benzodiazépines
en
France,
dont
4 %
en
association
avec
un
antidépresseur
391
). Les diverses actions engagées (renforcement de la
formation, documents diffusant des conseils pour faire évoluer la pratique
médicale…) n’ont pas fait évoluer sensiblement la situation à ce jour.
388
Les dis
positifs médicaux vont des consommables (pansements, masques chirurgicaux…)
aux implants (prothèses cardiaques, stents…), en passant par des équipements (lits
médicaux, fauteuils roulants, respirateurs…). Cf.
Cour des comptes, Rapport sur
l’application des
lois de financement de la sécurité sociale 2020, chapitre VI «
La régulation
des dépenses de dispositifs médicaux : des actions de maîtrise à accentuer
».
389
Actions menées en direction de 7 000 médecins fortement prescripteurs, 7 000 très
fortement prescripteurs et de 700 à 1 000 sur-prescripteurs, Cour des comptes, rapport
d’application des lois de financement de la sécurité sociale 2019, chapitre
III «
Les
indemnités journalières : des dépenses croissantes pour le risque maladie, une
nécessaire maîtrise des arrêts de travail
».
390
L’antibiorésistance résulte de la sélection naturelle des souches de bactéries
résistantes aux traitements antibiotiques ; ces catégories de bactéries, par définition plus
résistantes, mettent en échec les traitements.
391
ANSM, «
État des lieux de la consommation de benzodiazépines en France »
, avril 2017.
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Plus récemment, l’assurance maladie a invité les professionnels et
les patients diabétiques à mieux utiliser un dispositif médical de mesure
continue de la glycémie admis au remboursement depuis le 1
er
juin 2017.
Cette automesure permet au patient de surveiller son équilibre glycémique
et d’adapter son traitement insulinique. Or, la première prescription
n’émanait pas toujours d’un endo
crinologue, comme le prévoit pourtant la
réglementation et il en résultait un plus grand risque de mésusage par les
patients, avec des conséquences sur leur santé. Aussi, en 2019, une
campagne d’information a
-t-elle été lancée en direction des médecins
généralistes. Les premiers résultats observés en 2020, à confirmer dans la
durée, indiquent une amélioration des pratiques.
En 2019-
2020, une campagne d’information de l’assurance maladie
vers le grand public a porté sur la lombalgie et, en 2020-2021, sur les risques
liés à l’hypertension artérielle.
4 -
Des moyens humains importants
qui ont dû être réduits pendant la crise sanitaire
L’assurance
-maladie a consacré, en 2021, 1 094 équivalents-temps
plein (ETP) aux actions de maîtrise médicalisée
392
, dont 294 ETP médicaux.
Cet effectif affiche une forte baisse depuis 2015, avec 627 ETP de moins dans
les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM,
- 46,5 %) et 178 ETP en
direction régionale du service médical (DRSM, - 37,7 %)
393
, du fait de la crise
sanitaire qui a condu
it à réorienter leurs missions vers d’autres tâches. À ces
moyens, s’ajoutent quelques dizaines d’ETP des agences régionales de santé
(ARS) qui concentrent leur action, plutôt, sur la pertinence des soins.
392
34 ETP à la caisse nationale, 721 ETP dans les caisses locales et 294 dans les
directions régionales du service médical.
393
Pour une très légère augmentation à la Cnam (de 33 à 34,6 ETP, soit 4,8 %).
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262
B -
Des objectifs ambitieux, des résultats incertains
1 -
Des objectifs d’économies élevés
mais peu documentés
Un objectif d’économies de 700
M€
à 800
M€
est assigné chaque
année à l’assurance maladie au titre de la maîtrise médicalisée, en tant que
composante de la démarche plus globale de gestion du risque, ce qui
représente près de 20 % du total des économies programmées lors de la
construction de l’Ondam. Un rôle significatif demeure donc assigné à la
maîtrise médicalisée dans le programme d’économies à réaliser
394
, même
si l’objectif peut paraître limité, rap
porté au montant de 12 à 18
Md€
des
prescriptions estimées non pertinentes en ville (20 à 30 %
395
de 60
Md€
396
).
Tableau n° 24 :
objectif d’économies intégré dans la construction
de l’Ondam (en
M€)
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
2022
Économies
attendues
3 185
3 410
4 050
4 165
3 830
4 185
3 995
SO
dont MM
700
700
700
730
740
735
775
775
%
22,0 %
20,5 %
17,3 %
17,5 %
19,3 %
17,6 %
19,4 %
SO
Source : PLFSS, annexes n° 9 (2015 et 2016) et n° 7 (2017 à 2022) pour le total attendu
PLFSS,
annexe n° 1 pour les économies de maîtrise médicalisée et données DSS pour les années 2020 à 2022
Note : MM : maîtrise médicalisée ; SO
: sans objet du fait de la crise sanitaire (pas d’objectif
affiché et méthode de construction de l’Ondam modifiée –
cf. encadré).
394
Certains outils de régulation (demande d’accord préalable, protocole
«
prix-
volume » en biologie, protocole « radiologie », maîtrise des volumes de médicaments
biosimilaires) ne sont pas comptabilisés dans la maîtrise médicalisée, notamment pour
éviter des doubles comptes d’économies avec le champ des mesures de contrôle et de
lutte contre la fraude, bien qu’ils participent de la même logique. D’autres qui relèvent
de mesures incitatives telles que la Rosp ou les actions de prévention, ne sont pas plus
retenues dans la comptabilisation des économies du plan Ondam.
395
20 à 30
% de prescriptions des actes médicaux ne seraient pas pertinents si l’on en
croit la stratégie nationale de santé. Ce chiffrage demeure toutefois peu documenté et
résulte d’une étude Odoxa pour la Fédération hospitalière de France
:
La pertinence des
actes et examens médicaux
(2017), même si l’OCDE a pu estimer, dans un rapport
publié en 2017 et intitulé
« Lutter contre le gaspillage dans les systèmes de santé »
que,
dans les pays membres,
«
près d’un cinquième des dépenses de santé apportent une
contribution nulle, ou très limitée, à l’amélioration de l’état de santé de la population
».
396
Avant la pandémie de covid 19, les prescriptions étaient à l’origine d’enviro
n 60
Md€
de dépenses dans le sous-
objectif ville de l’Ondam
: 11,8
Md€ (20
%) d’honoraires
paramédicaux, 3,8
Md€ (5
%) de dépenses de laboratoires, 4,2
Md€ (7
%) de transports,
28,8
Md€ (48
%) de produits de santé, 11,7
Md€ (20
%) d’indemnités journalières
(rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale publié en 2019).
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Le chiffrage des économies envisagées ne repose pas sur une
simulation ou sur une prospective argumentée des effets des actions prévues,
lesquelles ne sont pas détaillées. Il repose sur la reconduction de l’objectif
affiché l’année précédente, auquel est appliquée une modulation, elle
-même
non expliquée.
La maîtrise médicalisée s’avère être un objectif global, au
fondement flou, censé sécuriser l’Ondam. Même approximative, la
présentation des économies attendues qui pouvait, malgré tout, apporter une
information au Parlement, ne fait plus l’objet d’une ann
exe au projet de loi
de financement de la sécurité sociale (PLFSS), mais, depuis 2022, d’une
simple mention dans une lettre du ministre au directeur de la Cnam
397
.
2 -
Des économies au chiffrage artificiel
L’assurance maladie produit, chaque année, un tableau af
fichant le
montant des économies considérées comme réalisées grâce à la maîtrise
médicalisée, détaillées par type de dépense.
Tableau n° 25 :
taux de réalisation des économies attendues
sur la
dépense au titre de la maîtrise médicalisée (M€)
398
2015
2016
2017
2018
2019
Réalisé
597
457,2
708
471
376
dont médicaments
399
349
317
348
267
179
dont DM
25
75
172
4
22
dont actes
66
26,2
150
132
86
dont biologie
56
4
2
9
7
dont transports
47
11
36
59
29
dont IJ
54
24
0
0
53
Objectif
700
700
700
730
740
Taux d’atteinte
85 %
65 %
101 %
65 %
51 %
Source : PLFSS, Annexe n° 1
Note : DM : dispositifs médicaux ; IJ : indemnités journalières L
e taux d’atte
inte des objectifs de
maîtrise médicalisée se révèle très variable d’une année à l’autre et toujours inférieur aux attentes,
à l’exception de l’année 2017, avec un point bas observé en 2019.
397
L’annexe n°7 au PLFSS pour 2022 se bornait, ainsi, à indiquer que le niveau retenu était
proche
«
du rendement attendu, en 2022, des actions qu’il [lui] appartient de mener en
matière de maîtrise médicalisée et pris en construction de l’Ondam [à]
775
M€
» .
398
La crise sanitaire s’est traduite par la suspension des actions de maîtrise médicalisée
en raison d’une réorientation du réseau de l’assurance maladie et des ARS vers le
traçage des personnes ayant été en contact avec des personnes contaminées par le virus.
Aucun objectif d’économie ne leur a donc été assigné à ce titre en 2020, ni en 2021.
399
Les médicaments représentent, selon les années, de 48 % à 69 % des économies annoncées.
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264
En outre, les montants d’économies doivent être lus avec réserve,
dans
la mesure où ils reposent sur des approximations du même ordre que celles
utilisées pour la définition des objectifs. L’annexe n°
1 du PLFSS pour 2022
expose ainsi que les économies imputables à la maîtrise médicalisée des
dépenses de santé résultent de la différence entre «
le montant tendanciel
»,
c’est
-à-dire le
« montant qui aurait été réalisé sans intervention de
l’assurance maladie
», et «
le montant observé des dépenses d’assurance
maladie
». Le raisonnement est fragile, dès lors qu’aucun éléme
nt précis
n’est communiqué à l’appui des chiffres pour expliquer, d’une part, comment
le « tendanciel
» est estimé, d’autre part, comment est évaluée la part des
économies imputable aux actions de maîtrise médicalisée.
Schéma n° 6 :
construction simplifiée de l’Ondam
Source : Cour des comptes
Or, seul peut être observé le montant des dépenses exécutées. Ce
montant intègre l’incidence des mesures d’économies résultant de la maîtrise
médicalisée mais il ne dit rien de leur montant spécifique. En effet, si l’Ondam
est res
pecté en dépit d’économies dues à la maîtrise médicalisée inférieures
aux prévisions, cela peut résulter autant d’un calcul erroné du tendanciel
(hausse des dépenses de santé moindre qu’attendu, réduisant d’autant le besoin
d’économies) qu’à des mesures d’
économies mal évaluées, que celles-ci
relèvent de la maîtrise médicalisée ou d’autres modes de régulation
400
.
400
La « réserve prudentielle
», c’est
-à-
dire la mise en réserve d’un pourcentage des
dotations prévues dans l’année pour les établissements publics de santé, a ainsi servi de
variable d’ajustement, de 2014 à 2016, faisant peser sur les dépenses hospit
alières les
aléas de la régulation par la maîtrise médicalisée.
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LA MAÎTRISE MÉDICALISÉE DES DÉPENSES DE SANTÉ :
UNE RÉGULATION INABOUTIE
265
Outre le fait que les économies réalisées sont généralement inférieures
à celles annoncées dans le PLFSS initial et que le calcul du niveau tendanciel
des dépenses est sujet à caution, la présentation qui en est faite tend à
attribuer les économies en totalité à la maîtrise médicalisée, alors qu’elles
peuvent résulter de multiples facteurs autres que la rationalisation des
pratiques : démographie, épidémiologie, innovations techniques. Appliquée
à la crise sanitaire, cette présentation reviendrait à considérer que les
dépenses non réalisées en raison des confinements résultent d’une maîtrise
médicalisée qui n’a pourtant pas pu être conduite, du fait de
la crise, alors
même que les dépenses totales ont dépassé les prévisions.
Une répartition des objectifs de maîtrise médicalisée
entre les CPAM, affinée mais encore inaboutie
Les économies attendues en matière de maîtrise médicalisée et, plus
largement, de
gestion du risque, étaient jusqu’en 2017 détaillées pour
chaque CPAM, dans leur contrat pluriannuel de gestion
401
. Cette répartition
à l’échelle géographique d’une caisse ne tenait pas compte du fait que les
soins sont parfois dispensés dans des départements mitoyens de ceux de
résidence des assurés. Aussi, à compter de 2018, ces économies ont-elles
été fixées par région. Cette méthode présentait encore des difficultés, les
objectifs assignés pouvant être faussés par des effets de périmètre
402
ou par
l’évolution de la population d’assurés de la région.
La méthode a donc de nouveau évolué en 2022. Désormais, un
objectif régional de dépense moyenne de soins de ville est calculé par assuré
puis réparti entre les CPAM en fonction de la population qu’elles couvrent.
Cet objectif est ajusté à l’évolution de la structure de la population assurée
(âge, sexe, taux d’inscrits en affection de longue durée, notamment), ce qui
neutralise, pour la première fois, les effets de périmètre liés à la réalisation
de soins dans d’au
tres départements que ceux de résidence. Enfin, les
économies totales attendues sont prises en compte, ainsi que les résultats
passés (objectif rehaussé en cas de mauvais résultats passés).
Il appartient aujourd’hui aux CPAM, afin de respecter leur objecti
f,
de mettre en œuvre toutes les actions qu’elles estiment possibles, que celles
-
ci relèvent d’initiatives nationales ou d’initiatives locales. La marge
d’autonomie nouvelle laissée aux caisses locales, illustrée par la définition
d’un programme chiffré d’
actions régionales, est cependant réduite par le
grand nombre de campagnes nationales que porte la Cnam
403
.
401
Pour chaque grand domaine d’intervention des Cpam, les contrats pluriannuels de gestion
(CPG) passés entre la Cnam et les Cpam précisent, sous forme d’indicateurs, les actions
concrètes à me
ttre en œuvre et les résultats à obtenir.
402
Intégration de nouveaux ressortissants comme ceux de l’ex
-
RSI, d’étudiants, de
fonctionnaires.
403
Le programme 2022 de la Cnam contient ainsi 115 actions dont 57 portant sur la
maîtrise médicalisée.
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266
Carte n° 2 :
écart observé, selon les régions,
entre les objectifs de dépense fixés et les résultats obtenus
Source
: Cour des comptes d’après données Cnam
Il reste à déterminer comment seront consolidés ces résultats et
comment ils viendront enrichir l’information communiquée au Parlement.
Il serait possible d’évaluer les effets des seules actions de maîtrise
médicalisée
par
échantillonnage,
en
procédant
à
des
études
microéconomiques auprès de prescripteurs ciblés et en en extrapolant les
résultats. Cette méthode n’a pas été mise en œuvre jusqu’à présent.
Le chiffrage des économies prévues, d’une part, et des économies
réalisées, d’autre part, repose sur tant d’hypothèses qu’il peut être considéré
comme largement virtuel, en s’éloignant des principes de construction
budgétaire qui imposeraient d’évaluer les dépenses avec prudence et sur le
fondement de paramètres clairement décrits et mesurables.
II -
Une refonte nécessaire
Malgré trente années de maîtrise médicalisée, avec une consommation
de médicaments par habitant et par an dans la moyenne des pays de l’OCDE
(589 $ en 2021), la France reste éloignée des pays les plus frugaux (301 $ pour
le Danemark, 419 $ pour les Pays-Bas), ce qui, ramené à la population
consommante française, représente un écart de l’ordre de 11 à 19
Md€. Pour
les rejoindre, il convient de surmonter les obstacles qui s’opposent à l’efficacité
de cet outil de maîtrise et de réviser profondément sa conception.
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LA MAÎTRISE MÉDICALISÉE DES DÉPENSES DE SANTÉ :
UNE RÉGULATION INABOUTIE
267
La consommation de médicaments, des résultats encore insuffisants
En matière de médicaments génériqués, si les nombreuses mesures
prises ont permis d’atteindre un taux de pénétration des génériques de 87,6
%
en juillet 2021, ces bons résultats doivent être relativisés au regard du poids
que représentent les génériques dans le total des prescriptions de médicaments
(dans et hors répertoire) : en France, 38 % du marché en volume (920 millions
de boîtes) et 19 % en valeur (3,615
Md€), contre une moyenne européenne de
60 % en volume (80 % en Allemagne).
S’agissant des prescri
ptions médicamenteuses chez le sujet âgé
polypathologique, l’étude
REview of potentially inappropriate MEDIcation
pr[e]scribing in Seniors
(REMEDI[e]S), réalisée en 2021, a constaté que
657
M€ de prescriptions étaient inappropriées (médicament non indiqué
au
regard du diagnostic, voire dangereux ; dose trop forte ; durée trop longue ;
duplication médicamenteuse), dont 507
M€ ont été remboursés par l’assurance
maladie et auraient donc pu être économisés.
A -
De nombreux freins au déploiement
de la maîtrise médicalisée
Plusieurs facteurs expliquent la faible portée des actions de maîtrise
médicalisée impulsées par les pouvoirs publics.
En premier lieu, la maîtrise médicalisée s’appuie essentiellement sur
l’adhésion des professionnels de santé
404
. Les actions qu’ent
reprend
l’assurance maladie pour obtenir cette adhésion montrent cependant des
limites : multiplication des messages sans réelle priorisation ni persistance
dans le temps
; données communiquées aux professionnels pour qu’ils
situent leur pratique insuffisamment individualisées ; ciblage des
prescripteurs à partir d’écarts calculés par rapport à la moyenne et non par
rapport à une bonne pratique ; campagnes visant les praticiens de médecine
générale et insuffisamment les spécialistes, les praticiens hospitaliers ou
les autres professionnels de santé ; approche pluriprofessionnelle
insuffisamment développée ; absence, par construction, de mesure
contraignante
; absence d’outil efficace visant les dépenses hospitalières,
exécutées en ville ou en établissement de santé.
404
En 2018, plus de 495 000 contacts ont été pris auprès des professionnels de santé
libéraux par un délégué de l’assurance maladie ou un praticien
-conseil et 15 000 visites
ont été réalisées en établissements de santé.
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268
Le contrat d’amélioration de la qualité et de l’efficience des soins
(Caqes)
: un outil à destination de l’hôpital laissé en jachère
Le contrat d’amélioration de la qualité et de l’efficience des soins (Caqes)
a été créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 dans un objectif
de simplification des nombreux contrats liant les ARS, les CPAM et les
établissements de santé (contrat d’amélioration de la qualité et de l’organisation
des soins ou Caqos ; contrat de bon usage des médicaments ou CBU ; contrat de
pertinence ;
contrat de qualité). Il prévoit des dotations dont l’attribution est
fonction du degré d’atteinte des résultats visés. Ce contrat a cependant fait l’objet
de nombreuses critiques portant, notamment, sur le grand nombr
e d’indicateurs et
d’établissements ciblés, conduisant le ministère à prononcer en 2017 un moratoire
de deux ans sur les sanctions prévues en cas de non atteinte des objectifs.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a procédé à
une refonte
de ce dispositif. Le contrat met en œuvre deux leviers
: l’un,
incitatif, l’autre, préventif du «
sur-recours
» (création d’un outil de
«
mise
sous surveillance »
405
).
En raison de la crise sanitaire, l’entrée en vigueur du Caqes rénové a
été repoussée, d’ab
ord au 1
er
janvier 2022 puis au mois d’avril 2022. Dans
l’attente, le moratoire a été prolongé en 2020 et en 2021
406
. Le Caqes n’aura,
ainsi, été pleinement en vigueur qu’une seule année (2016).
Même si les circonstances ne sont pas étrangères à cet échec, celui-ci
témoigne de la faiblesse des actions de maîtrise médicalisée dans les
établissements de santé où l’efficience est surtout stimulée par la recherche, par
l’établissement lui
-
même, d’économies sur ses dépenses au regard du
financement forfaitaire reç
u de l’assurance maladie (groupe homogène de séjour).
En deuxième lieu, les principales économies affichées ont reposé
jusqu’ici sur les médicaments prescrits en grande quantité par des
généralistes. Les gains à attendre de nouvelles actions dépendent
notamment des médicaments prescrits par les spécialistes
407
. Or, les
montants en jeu sont moins élevés et les médecins spécialistes sont plus
difficiles à convaincre, faute notamment pour les praticiens conseils qui les
rencontrent de disposer du même degré d’ex
pertise.
405
Pour entrer en application, cet outil qui permett
ra à l’ARS, au terme d’une période
de deux années, de procéder à un abattement forfaitaire du tarif national considéré,
nécessite un arrêté précisant la liste des actes, prestations et prescriptions concernés ;
cet arrêté n’était toujours pas publié à la c
lôture de la présente enquête.
406
Instruction interministérielle n° DSS/MCGR/DGOS/2021/170 du 27 juillet 2021
relative au contrat d’amélioration de la qualité et de l’efficience des soins (Caqes).
407
La Cnam cite notamment, dans ses rapports au ministre chargé de la sécurité sociale
et au Parlement sur l’évolution des charges et produits de l’assurance maladie, les
médicaments inhibiteurs des CDK 4 et 6 utilisés dans le traitement du cancer du sein,
les anti-
PCSK9 dans le traitement de traitement de l’hyperch
olestérolémie, ou les
facteurs de croissance de la lignée blanche Granulocyte Colony Stimulating Factor (G-
CSF) dans leur indication en prophylaxie des neutropénies chimio-induites.
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LA MAÎTRISE MÉDICALISÉE DES DÉPENSES DE SANTÉ :
UNE RÉGULATION INABOUTIE
269
En troisième lieu, des facteurs exogènes au système de santé pèsent
sur les résultats. C’est le cas, en particulier, des indemnités journalières
pour maladie. Des effets structurels, liés au taux d’emploi (un fort taux de
chômage se traduit par un moindre recours des salariés aux arrêts de travail)
et au vieillissement de la population active ne sont pas pris en compte dans
les objectifs de maîtrise médicalisée, fragilisant leur crédibilité et rendant
plus incertaine leur atteinte.
B -
Un indispensable
changement d’échelle
Pour ralentir la progression spontanée du volume des soins, il est
nécessaire de compléter le programme de rénovation de la gestion du risque
porté par l’assurance maladie en renforçant les leviers structurels que
constituent les syst
èmes d’information et de diffusion des référentiels de
prescription et des recommandations de bonne pratique.
1 -
Mieux cibler les prescripteurs
Rapprocher les prescriptions des meilleures pratiques connues
suppose de mettre à la disposition des prescripteurs les référentiels
adéquats et de permettre à l’assurance
-maladie de disposer de données
suffisamment fines pour qu’elle puisse cibler ses interventions sur les
prescripteurs les plus éloignés desdits référentiels.
a)
Développer l’usage des référentiels
Si, s’a
gissant des produits de santé, le nombre de recommandations
apparaît globalement suffisant (fiches de bon usage des médicaments et
mémos de l’assurance
-maladie
408
), il n’en va pas de même des situations
cliniques et des « parcours de soins »
409
. Le programme
Ma santé 2022
a
fait une priorité de l’élargissement du champ des référentiels, au travers du
408
CSS, art. L. 161-39
; les mémos présentent l’avantage de proposer des ar
bres
décisionnels pour la prise en charge de certaines pathologies, préfigurant des approches
par parcours de soins.
409
De 2015 à 2021, 14 mémos ont été mis à la disposition du réseau de l’assurance
-
maladie et des professionnels de santé, portant sur les situations cliniques fréquentes
(lombalgie, cystite), sur la prescription et la conciliation médicamenteuse (hypertension
artérielle de la personne âgée, infections respiratoires hautes), les arrêts de travail
(indications et modalités pratiques des arrêts de travail au cours de la grossesse), le
retour à domicile (retour à domicile après hospitalisation) et les examens d’imagerie
(douleur de la cheville ou du pied non traumatique, non prothétique chez l’adulte,
douleur du genou non traumatique, non prothétiq
ue chez l’adulte, douleur de la hanche
non traumatique, non prothétique chez l’adulte).
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270
parcours de soins, priorité cependant contrariée par la crise sanitaire. Le
parcours de soins constitue une référence en termes de diagnostic, de
prescription et d
e suivi du patient, de manière qu’il soit pris en charge aux
meilleures conditions compte tenu de sa pathologie, sans rupture ni acte
inutile. À ce jour, quatre référentiels de parcours de soins ont été élaborés :
ceux des patients atteints de broncho-pneumopathie chronique obstructive
(BPCO), du syndrome coronarien chronique (SCC), de la maladie rénale
chronique (MRC), et celui des enfants en surpoids ou obèses. Deux autres
sont sur le point d’être achevés
: le parcours des adultes en surpoids ou
obèses, e
t le parcours des patients atteints d’épilepsie.
Plusieurs facteurs freinent cependant l’utilisation par les médecins
des référentiels, en particulier s’agissant de ceux relatifs aux situations
cliniques et aux parcours de soins : leur nombre insuffisant, leur
obsolescence parfois rapide du fait des progrès de la connaissance, et la
persistance de pratiques non conformes, très ancrées parce qu’anciennes.
La généralisation en cours des logiciels d’aide à la prescription
410
devrait faciliter significativement la prise en compte de ces référentiels par
les praticiens.
b)
Un système d’informations à médicaliser
Il appartient à l’assurance
-
maladie d’identifier le plus finement
possible les prescripteurs dont la pratique est éloignée de la norme, plutôt
que de la moyen
ne constatée comme c’est le cas aujourd’hui. Pour cela,
elle doit disposer de données
sécurisées
sur les prescriptions (indication
fondée sur le diagnostic) et sur les patients, portant notamment sur leur lieu
de vie (en cas de prescription de transport), sur leur profession (en cas de
prescription d’arrêt de travail), sur leur indice de masse corporelle, leurs
habitudes en matière de consommation d’alcool, de tabac (au titre de
mesures de prévention) ou bien, encore, sur leur statut vaccinal.
Dans certains pays européens, comme le Danemark, ces données
sont disponibles, à la différence de la France où le système d’information
de l’assurance maladie sur la médecine en ville a été conçu avec pour
unique objectif la facturation de leurs actes par les praticiens
411
. Par voie
de conséquence, les informations portent uniquement sur ce que prescrit ou
réalise le praticien et ne traitent donc que très incidemment du patient et
des raisons qui l’ont amené à se faire soigner.
410
C’est l’une des actions du chantier numérique
Ma santé 2022
.
411
Le diagnostic principal et ceux associés ne sont disponibles qu’en matière
hospitalière. La séparation des données entre ville et hôpital pose en outre une difficulté
dans la logique du parcours de soins, faute de réelle articulation entre les fichiers des
professionnels (numéro RPPS) et ceux des établissements (numéro Finess),
l’appariement des bases de do
nnées restant très complexe.
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LA MAÎTRISE MÉDICALISÉE DES DÉPENSES DE SANTÉ :
UNE RÉGULATION INABOUTIE
271
Pour exploiter statistiquement les données médicales du système,
l’assurance maladie a développé des solutions palliatives qui, si elles lui
permettent de réaliser un certain nombre d’analyses
412
, ne sont pas exemptes
de biais ou d’imprécisions. Ainsi, faute de mention, dans le système
d’information, du diagnostic formulé par le médecin, l’indication (la
pathologie à soigner) ne peut être que déduite de la prescription
médicamenteuse. Un groupement d’intérêt scientifique, Epi
-Phare, est chargé
précisément de cette tâche de caractérisation des pathologies à partir des
médicaments prescrits. Cette méthode produit des informations utiles mais
reste imparfaite puisque, par exemple, un médicament sur cinq serait prescrit
en dehors du cadre de son autorisation de mise sur le marché (indication,
durée ou f
réquence d’utilisation, posologie), empêchant une identification
juste de la cause du traitement ; en outre, lorsque la pathologie est déduite de
la prescription, il est difficile de relever les prescriptions inadaptées ou
éloignées des référentiels concernant la pathologie, sauf anomalie grossière
détectable par rapport à des moyennes, alors que ces moyennes peuvent, elles-
mêmes, être éloignées de la norme. Il est, par ailleurs, impossible,
via
cette
méthode, de détecter les pathologies qui ne seraient pas soignées
413
. Les
résultats obtenus sont donc fragiles et insuffisants
414
.
L’absence de données relatives au diagnostic, étape initiale du
processus de soins sur laquelle est fondée le parcours incluant la
prescription de médicaments, de traitements, d’examens, d’arrêts de
travail, de consultations d’autres professionnels de santé, rend beaucoup
plus difficiles les actions de maîtrise médicalisée.
412
La Cnam réalise chaque année, au sein du rapport
« Charges et produits »
, une
cartographie des dépenses lui permettant de prioriser ses actions de régulation. Elle en
reconnaît toutefois, elle-même, les limites. Ainsi, dans le rapport daté de juillet 2022,
elle note qu’«
un nouvel algorithme repère l’obésité mais ne concerne que les
personnes avec une prise en charge hospitalière, une ALD spécifique ou un acte de
chirurgie bariatrique récent,
et n’est donc pas représentatif de
l’importance de ce
facteur de risque au sein de la population française
».
413
Par exemple, le diabète diagnostiqué mais non traité atteignait, en 2009, 0,6 % de la
population française, soit environ 360 000 personnes (Santé publique France, «
Diabète
traité : quelles évolutions entre 2000 et 2009 en France ?
» BEH n° 42-43, novembre
2010). Or, repérer le plus tôt possible les patients
diabétiques, avant l’instauration
d
’un
traitement, permettrait de proposer une prévention secondaire adaptée, de retarder
l’
aggravation de la maladie et, donc, la mise sous traitement.
414
L’Irdes, dans
Questions d’économie de la santé
n° 196 de mars 2014, constate par
exemple l’insuffisance liée à l’emploi de l’ALD comme marqueur de l’hypertension
artérielle. Elle note ainsi, dans une étude spécifique reposant sur une base appariée, que
«
90 % (323/360) des patients en ALD « Hypertension artérielle » avaient consulté
dans l’année 2008 un des 30 médecins généralistes sélectionnés. Toutefois, seulement
11 % (323/2 979) des patients ayant eu un résultat de consultation codé « hypertension
artérielle » étaient déclarés en ALD spécifique
»
.
En outre, «
l’ALD
hypertension
artérielle ayant été retirée de la liste en 2011, ce type de repérage ne pourra plus être
utilisé ; il sera donc encore moins aisé de repérer les patients hypertendus à partir du
Sniiram seul
». Or, la prévention, la détection et le
traitement optimal de l’hypertension
artérielle permettent de réduire le risque vasculaire global.
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272
S’agissant des données relatives au patient aujourd’hui non
disponibles, le Collège de médecine générale, chargé notamment de
contribuer à l’élaboration des bonnes pratiques en médecine générale, a
élaboré en 2014 et mis à jour en 2022 une recommandation identifiant seize
données sociales clé qui pourraient rendre plus pertinentes et ciblées la
consultation et la prescription qui en découle
415
. Alors qu’elle pourrait
contribuer à enrichir la connaissance de la santé de la population et à
réduire les inégalités sociales qui peuvent lui être attachées, cette
recommandation n’a pas été reprise par les pouvoirs publics.
Des progrès sont attendus de la prescription électronique
416
en voie
de déploiement pour les médicaments
417
. Toutefois, selon le projet connu
à ce jour, d’une part, l’enregistrement de l’indication médicale n’est pas
prévu et, d’autre part, la place quasi
-exclusive laissée au
« texte libre »
à la
main du prescripteur, sauf pour le médicament, en lieu et place d’un
questionnaire normalisé et de rubriques prédéfinies, ne permettra pas aux
actions de maîtrise médicalisée d’être pleinement mises en œuvre et
suivies, pou
r les mêmes raisons qu’actuellement (pathologie déduite de la
prescription), alors qu’il s’agit du moyen le plus sûr de repérage des
pratiques s’écartant de la norme.
415
« Pourquoi et comment enregistrer la s
ituation sociale d’un patient adulte en
médecine générale ? Recommandations aux médecins généralistes de France »
,
Groupe de travail universitaire et professionnel, Collège de médecine générale,
novembre 2014 : date de naissance, sexe, adresse, statut par
rapport à l’emploi,
profession, assurance maladie, capacités de compréhension du langage écrit du patient,
fait d’être en couple, nombre d’enfants à charge, fait de vivre seul, pays de naissance,
niveau d’études, catégorie socioprofessionnelle Insee, fait
de bénéficier de minima
sociaux, conditions de logement et
situation financière perçue.
416
Le Ségur de la santé a annoncé 1,4
Md€ pour le financement de la numérisation dans
le domaine de la santé.
417
Celle-
ci est prévue pour les médicaments d’ici à 2024 ma
is cela se révèle plus difficile pour
les dispositifs médicaux (existence de lignes génériques) et plus encore pour les actes (infirmiers,
masseurs-
kinésithérapeutes…), faute de description suffisamment fine de leur contenu, même si
l’assurance maladie assure y travailler sans qu’un calendrier ne soit toutefois arrêté.
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LA MAÎTRISE MÉDICALISÉE DES DÉPENSES DE SANTÉ :
UNE RÉGULATION INABOUTIE
273
Le déploiement de la prescription électronique :
un préalable à une maîtrise médicalisée efficace
qui ne serait toutefois effectif qu’en 2025
418
La numérisation des prescriptions des produits de santé est très
répandue dans de nombreux pays, parfois même de longue date (Belgique,
Espagne, Italie et Royaume-Uni), à la différence de la France.
Le déploiement de services facultatifs de prescription électronique
interviendrait d’ici à la fin de l’année 2024, pour ce qui est des produits de
santé, en ville. En établissements de santé, aucune échéance n’est définie
419
mais le PMSI actuel répond à une pa
rtie du besoin. S’agissant des arrêts de
travail, le calendrier de l’entrée en vigueur effective de l’obligation de
dématérialisation des prescriptions, qui devait intervenir avant fin 2021 en
application de la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisat
ion et la
transformation du système de santé, demeure incertain.
Selon le cadre technique qui sera retenu
420
, la prescription électronique
pourra contribuer à limiter la prescription « hors-AMM », en imposant aux
prescripteurs de mentionner si la prescription est délivrée en-dehors de
l’autorisation
421
, à mieux distinguer les médicaments prescrits en relation avec
une affection de longue durée (« ordonnance bizone »), à mieux repérer les
atypies de durée ou de posologies, voire même à faciliter la conciliation
médicamenteuse. De surcroît, certains mécanismes de fraude (comme la
réutilisation d’une même ordonnance papier pour obtenir la délivrance de
mêmes médicaments à plusieurs reprises ou des divergences manifestes entre
les produits de santé facturés et ceux prescrits) ne pourront plus être pratiqués.
418
Sur la prescription électronique, voir également Cour des comptes, «
La
dématérialisation des prescriptions médicales
: un facteur d’efficience du système de
santé, des chantiers ambitieux à faire aboutir »,
Rapport annuel sur la loi de
financement de la sécurité sociale, chapitre VIII, octobre 2021.
419
Elle figure toutefois comme un des cinq domaines fonctionnels prioritaires du plan
« Hôpital numérique »,
repris dans le programme Hop’en.
420
Case obligatoire à cocher, éléments indispensables à renseigner sous peine
d’impossibilité de prescrire (prescription en dénomination commune internationale…).
421
CSP, art. L. 5121-12-1-2, obligation peu respectée dans les faits.
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COUR DES COMPTES
274
La
médicalisation
des
systèmes
d’information,
c’est
-à-dire
l’enrichissement des logiciels d’activité de soins et de facturation par les
données médicales et les données du patient exploitables directement, bien
qu’indispensable, demeure
un
chantier
au
long cours
qui
doit
s’accompagner d’une sécurisation rigoureuse de données éminemment
sensibles. À l’hôpital, la mise en place du programme de médicalisation
des systèmes d’information (PMSI)
422
a pris plus d’une diz
aine
d’années
423
. Il est toutefois sensiblement plus complexe.
Cet horizon peut expliquer les raisons pour lesquelles les pouvoirs
publics privilégient l’amélioration de l’existant par rapport aux solutions
plus structurelles.
Le contrôle des prescripteurs :
l’exemple danois
Le Danemark se caractérise par une densité médicale supérieure à la
France (4,2 médecins pour 1 000 habitants, contre 3,2) et par une moindre
dépense en produits pharmaceutiques.
Les prescriptions médicales y sont informatisées. Un registre
commun des médicaments prescrits donne accès à une liste actualisée des
médicaments prescrits aux assurés. Une agence pour la sécurité des patients
(
Styrelsen for Patientsikkerhed
) est chargée de superviser les prescriptions
des médecins et des dentiste
s. L’agence surveille une sélection de
médicaments, dont les analgésiques et les somnifères, notamment. Ces
informations permettent d’identifier des atypies (médicament mal utilisé,
mauvaise quantité prescrite, durée excessive du traitement). Dans une telle
situation, l’agence contacte le prescripteur afin d’obtenir des informations
complémentaires. Si les données fournies corroborent l’existence d’une
prescription inappropriée, l’agence peut alors restreindre, voire suspendre
pour une période déterminée, le droit de prescription du praticien.
422
Le programme de médicalis
ation des systèmes d’information (PMSI) est un système de
recueil de données pour l’ensemble des hospitalisations ayant lieu sur le territoire français
avec, pour finalité, le financement des établissements de santé (tarification à l’activité sur la
base d
e séjours hospitaliers) et l’organisation de l’offre de soins (planification).
423
Le PMSI a été évoqué pour la première fois en 1982 ;
l’Agence technique de
l’information sur l’hospitalisation (Atih), établissement public de l’État à caractère
administratif placé sous la tutelle des ministres chargés de la santé, des affaires sociales et de
la sécurité sociale, chargé de collecter les données du PMSI et de la gestion de celui-ci, a été
créée en 2000.
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LA MAÎTRISE MÉDICALISÉE DES DÉPENSES DE SANTÉ :
UNE RÉGULATION INABOUTIE
275
2 -
Des mesures complémentaires à envisager sans attendre
De manière complémentaire, d’autres actions entrant dans le champ de
la maîtrise médicalisée des dépenses de santé mériteraient d’être déployées.
S’agissant des soi
ns hospitaliers, il conviendrait de fixer des seuils
d’activité minimale pour certaines interventions nécessitant une pratique
régulière, afin d’éviter les actes risqués car trop peu souvent effectués,
sources de complications, voire d’échec, avec des cons
équences non
seulement financières mais surtout néfastes pour la santé des patients.
De tels seuils ont été adoptés en chirurgie cancérologique, à la suite
de nombreuses études
424
ayant mis en évidence les avantages induits, pour le
patient et pour l’assurance maladie, par l’exigence d’une pratique
suffisamment fréquente : baisse de la mortalité, moindres complications
hémorragiques post-opératoires, diminution du nombre des reprises
opératoires consécutives à des traitements chirurgicaux inadéquats
425
. Il
s’ag
it cependant de la seule spécialité chirurgicale pour laquelle des seuils
ont été déterminés. La réforme du droit des autorisations actuellement
engagée par les pouvoirs publics est censée élargir le champ des autorisations
sous condition de seuil d’activi
té. Son évaluation devra être réalisée.
Il conviendrait ensuite, d’une part, d’accélérer la mise à jour de la
nomenclature des actes
426
afin d’en exclure ceux devenus obsolètes, voire
dangereux
427
, et, d’autre part, et de mieux associer les professionnels de
santé aux actions de maîtrise médicalisée qui les concernent directement,
en consacrant une partie des négociations conventionnelles à ce thème
428
.
424
Xu Z, Becerra AZ, Justiniano CF, Boodry CI, Aquina CT, Swanger AA, et aL. Is the
Distance Worth It ? Patients With Rectal Cancer Traveling to High-Volume Centers
Experience Improved Outcomes. Dis Colon Rectum. déc 2017;60(12) : 1250-9 ; El Amrani
M, Clement G, Lenne X, Rogosnitzky M, Theis D, Pruvot F-R, et aL. The Impact of Hospital
Volume and Charlson Score on Postoperative Mortality of Proctectomy for Rectal Cancer :
A Nationwide Study of 45,569 Patients. Ann Surg. nov 2018;268(5) : 854-60.
425
«
Le coût du cancer en France : une forte hausse »,
étude économique 2020, Institut
international de cancérologie de Paris avec l’aide du cabinet Asteres.
426
La nomenclature définit les actes ouverts au remboursement et sert de support à leur tarification.
427
La procédure de révision de la nomenclature a été rénovée. Son déploiement effectif a
néanmoins pris du retard. Cf. Cour des comptes, «
Les dépenses d’imagerie médicale
»,
Rapport annuel sur la loi de financement de la sécurité sociale, octobre 2022.
428
Actuellement, à l’exception de la dernière convention pharmaceutique
, signée
le 9 mars 2022, qui inclut une dimension consacrée à la juste dispensation des produits
de santé, seuls quelques protocoles, disjoints de ces conventions, peuvent en traiter,
comme en matière d’imagerie ou de biologie médicales (cf. Cour des compt
es, «
Les
dépenses de biologie médicale
», Rapport annuel sur la loi de financement de la sécurité
sociale, octobre 2021.
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276
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
Malgré son ancienneté et l’importance des ressources humaines
encore consacrées à ce dispositif, la maîtrise médicalisée des dépenses
mise en œuvre par l’assurance maladie n’est pas parvenue à ce jour à
mettre un terme aux actes et prescriptions inutiles et redondants. La
France reste mal classée dans la prescription de médicaments relevant de
plusieurs classes thérapeutiques sensibles en termes de santé publique
(antibiotiques, benzodiazépines…). Sa contribution aux économies de
l’Ondam n’est pas plus assurée au regard des outils utilisés que de la
méthode employée pour les mesurer.
Sa rénovation dans le cadre plus large de la gestion du risque,
intégrant la fraude et la prévention, pourrait, en partie, changer la donne.
Deux conditions à satisfaire s’imposent toutefois en priorité
: développer
le recours aux référentiels par les professionnels de santé ; numériser
complètement, dès le diagnostic, la chaîne de prescription et de
dispensation des produits (médicaments et dispositifs de santé) et des
prestations (transports sanitaires, indemnités journalières), sous la forme
de données s
tructurées. À défaut, il restera très délicat de s’assurer que les
soins sont dispensés de façon pertinente et efficiente.
C’est pourquoi, la Cour formule les recommandations suivantes
:
31.
justifier les économies attendues au titre des actions de maîtrise
médicalisée inscrites dans le projet de loi de financement de la sécurité
sociale, en précisant les déterminants de la dépense (prix et volume)
retenus pour fixer les objectifs d’économie, et détailler le mode de calcul
des résultats pour le dernier exercice connu (ministère de la santé et de
la prévention, Cnam) ;
32.
enrichir les données médicales et de vie du patient et les organiser en
vue de leur consolidation au niveau national, afin d’améliorer les
actions de maîtrise médicalisée et leur évaluation (ministère de la santé
et de la prévention, Cnam) ;
33.
rendre obligatoire l’utilisation de la prescription électronique,
notamment pour les médicaments et les dispositifs médicaux, ainsi que
la mention des indications médicales justifiant ces prescriptions
(ministère de la santé et de la prévention, Cnam) ;
34.
faire appliquer plus rigoureusement l’obligation pour le prescripteur de
mentionner sur les ordonnances l’utilisation des médicaments en dehors du
champ prévu par leur autorisation de mise sur le marché (« hors-AMM »)
et encadrer plus précisément
cette utilisation (durée, posologie…
)
(ministère de la santé et de la prévention, Cnam, ANSM, HAS)
.
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