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Chapitre VI
Les dépenses de congés de maternité
et de paternité : des droits élargis,
des progrès de gestion nécessaires
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196
_____________________ PRÉSENTATION_____________________
Le cadre légal
de l’indemnisation de la cessation d’activité
des
femmes actives à la fin de
la grossesse et à la suite de l’accouchement a
été défini par étapes au cours du XX
ème
siècle. Concernant dans un premier
temps les seules femmes salariées, il a été élargi aux femmes actives non
salariée
s, tandis qu’étaient
progressivement pris en compte le nombre
d’enfants déjà à charge et le nombre d’enfants à naître. L’Organisation
internationale du travail assigne deux objectifs à cette interruption du
travail et à son indemnisation :
la santé de la mère et de l’enfant, avant et
après la naissance et le maintien des revenus professionnels de la mère
durant cette période.
Le congé de paternité, créé en 2002 en France, fait partie des
mesures d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle
encouragées, notamment par une directive européenne de 2019.
En 2021, les prestations de congé de maternité et de paternité ont
représenté 3,6
Md€
, tous régimes confondus hors fonction publique, un
montant assez stable depuis quelques années. Le suivi de ces prestations
n’est pas isolé
au sein de la gestion des indemnités journalières de maladie.
La qualité de service présente des disparités territoriales et le suivi
statistique de la dépense est limité, voire lacunaire, ce qui ne permet pas
de rendre compte de la contribution des congés, notamment de maternité,
à la santé des mères et des enfants.
Des réformes récentes ont fait converger les différents régimes de
congé de maternité et ont visé à faciliter la participation des pères aux
soins des enfants en allongeant le congé de paternité.
Le présent chapitre dresse un bilan de l’effet de ces réformes, tout
en rappelant les données relatives à la dépense. Ainsi, les dépenses ont peu
évolué malgré la baisse de la natalité et l’amélioration des droits (I)
.
L’examen des modalités de gestion révèle des insuffisances auxquelles il
doit être remédié (II).
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LES DÉPENSES DE CONGÉS DE MATERNITÉ ET DE PATERNITÉ :
DES DROITS ÉLARGIS, DES PROGRÈS DE GESTION NÉCESSAIRES
197
Les congés de maternité et de paternité : chiffres clé 2021
Le nombre de naissances
s’est élevé
à 741 000
, selon l’Insee
.
Le nombre de congés de maternité indemnisés (tous régimes, hors
fonction publique)
s’établit à 630
320 et le nombre de congés de paternité
indemnisés à 377 934.
Le
montant
des
indemnités
journalières
versées
en
2021
(tous
régimes hors fonction publique) s’élève à 3,6
Md€, dont 357
M€ pour
le congé de paternité.
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198
I -
Une dépense peu dynamique, des situations
diverses selon les régimes
L’évolution des dépenses a été modérée, tandis q
ue les règles
d’indemnisation prévues pour les personnes salariées, indépendantes et
exploitants agricoles sont désormais très proches. Des disparités
importantes demeurent dans l’utilisation effective des droits à congé, selon
le statut des personnes.
A -
Dans un contexte de diminution de la natalité,
une dépense principalement tirée par
l’évolution
des rémunérations
Tous régimes confondus, les prestations de congés de maternité et de
paternité versées aux assurés
278
ont augmenté de 9 % entre 2014 et 2021, passant
de 3,3
Md€ à 3,6
Md€ en 2021. Dans cet ensemble, les indemnités journalières
de paternité représentaient 328
M€ en 2021
279
contre 276 M€ en 2014 (+
18,8 %).
Graphique n° 22 :
nombre de naissances et montant des prestations de congés
de maternité et de paternité, tous régimes (hors fonction publique)
Source
: Cour des comptes d’après DSS et Insee
La dépense d’indemnisation de congés de maternité dépend du
nombre de naissances, du niveau de rémunération des personnes concernées,
278
Ce périmètre exclut la fonction publique mais comporte les organismes suivants :
Cnam, MSA, Enim, CANSSM, SNCF, CRPCEN, RATP, e
t RSI jusqu’à son intégration
au sein du régime général en application de la LFSS pour 2018.
279
Le coût de la réforme avait été e
stimé par l’Igas entre 233
M€ et 529
M€/an.
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LES DÉPENSES DE CONGÉS DE MATERNITÉ ET DE PATERNITÉ :
DES DROITS ÉLARGIS, DES PROGRÈS DE GESTION NÉCESSAIRES
199
puisque les indemnités perçues sont calculées sur cette base, et du nombre
de jours de congés indemnisés, qui dépend lui-
même du nombre d’enfants à
naître, de leur rang de naissance et de l’état de santé de la mère
280
.
Les organismes sociaux n’analysent pas les causes de ces évolutions,
tenant notam
ment à l’évolution des naissances, à celle de l’emploi et des salaires
et aux changements d’activité professionnelle des personnes concernées par les
congés de maternité et de paternité. Les développements qui suivent utilisent les
données générales disponibles pour fournir des éléments de compréhension.
1 -
Un nombre de congés de maternité en diminution
Les données de l’Insee montrent que le nombre de femmes actives
en âge d’être mères
281
a diminué de 2 % de 2014 à 2021, passant de 10,27
à 10,08 millions. Pendant la même période, la natalité a reculé de 10 %, le
nombre de naissances passant de 818 565 à 738 000.
Les statistiques fournies par les régimes
282
montrent une réduction
de l’ordre de 12
% du nombre de congés de maternité indemnisés entre
2014 et 2020, ten
dance qui s’était interrompue en 2021 (
630 320 congés
indemnisés, soit + 2 % par rapport à 2020), en lien avec une légère
augmentation du nombre de naissances
283
.
280
Selon les régimes, la durée va de 16 semaines pour un premier enfant à 24 semaines
en cas de naissances multiples.
281
L’Insee dénombre les femmes en âge d’être mères en comptabilisant la tranche d’âge
des 15 à 49 ans.
282
Il s’agit en l’occurrence du régime général, pour les salariées et les indépendantes,
et du régime agricole.
283
Par rapport à 2021, les naissances ont cependant chuté en 2022 (723 000, soit -
19
000), selon les premières estimations de l’Insee.
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200
Graphique n° 23 :
nombre de congés de maternité de 2014 à 2021
Source :
Cour des comptes, d’après Cnam et CCMS
A
2 -
Une augmentation des indemnités journalières liée à la hausse
des rémunérations du secteur privé
Les indemnités journalières versées aux mères salariées pour
compenser les pertes de revenus
pendant l’arrêt de travail
des périodes pré
et postnatale (hors congés pathologiques) sont proportionnelles aux
salaires, dans la limite du plafond mensuel de la sécurité sociale
284
. Entre
le premier et le dernier décile de salariées du régime général, l’indemnité
journalière variait, en 2021, entre 30,5
et 89
.
De 2014 à 2019, la dépense globale d’indemnités journalières pour
les congés de maternité a été stable autour de 2,9
Md€, en dépit d’un recul
de 7 % du nombre de congés pris. Ainsi, la dépense moyenne par congé est
passée de 4 172
en 2014 à 4 496
en 2019, soit une progression annuelle
moyenne de 1,5 %.
Cette hausse résulte d’un effet
-volume (la durée des
congés) et d’un effet
-
prix (l’augmentation des rémunérations)
285
.
284
Le plafond de la sécurité sociale est un montant de référence
en l’occurrence sous
forme de salaire mensuel - pris en compte pour le calcul du montant maximal de
certaines prestations sociales. Il était de 3 428
au 1
er
janvier 2022.
285
Les effectifs concernés (femmes de 25 à 54 ans) n’ont pas augmenté entre 2014 et
2021, selon l’Insee.
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LES DÉPENSES DE CONGÉS DE MATERNITÉ ET DE PATERNITÉ :
DES DROITS ÉLARGIS, DES PROGRÈS DE GESTION NÉCESSAIRES
201
L’effet
-prix peut être estimé en prenant comme référence le taux
moyen de croissance annuelle des salaires des femmes, à partir des données
de l’Insee, pendant la même période. Ce taux est proche de 2
%, supérieur
à celui observé pour les hommes (1,4 % en moyenne par an)
286
.
En d’autres
termes, la forte baisse du nombre de congés de maternité indemnisés est
plus que compensée par l
’augmentation des
salaires des femmes dans le
secteur privé pendant cette même période
287
.
3 -
Une augmentation tendancielle de la durée des congés
indemnisés, corrélée à l’âge moyen des mères à la naissance
Pendant la période 2014-2021, deux congés de maternité sur trois
ont concerné des femmes de 25 à 34 ans. Cependant, la part des mères les
plus jeunes dans le total des congés alloués diminue depuis 2014. Pour les
salariées du régime général, elle s’est ains
i réduite de 25 % pour les mères
de 25 à 29 ans, et de 30 % pour les mères de moins de 25 ans, en lien avec
l’âge plus tardif des mères à la naissance de leur premier enfant
288
.
L’évolution est identique pour l
es salariées du régime agricole et les
indépendantes bénéficiaires du congé de maternité.
286
Salaires dans le secteur privé selon le sexe et la catégorie socioprofessionnelle | Insee
Les données de l’Insee montrent une croissance de l’ordre de 2
% par an des salaires
nets annuels des femmes dans le secteur privé de 2014 à 2019, croissance plus rapide
que celle des hommes sur la même période (1,4 % par an en moyenne).
287
Des données de salaires moyens nets mensuels en équivalent temps plein dans le
secteur privé sont disponibles pour 2020, mais leur interprétation est incertaine du fait
du caractère atypique des hausses constatées et des effets de la crise sanitaire.
288
L’âge moyen des femmes à l’accouchement en France était de 30,9 ans en 2021,
contre 30,3 ans en 2014 et 30 ans en 2011. Insee,
Études et statistiques
, janvier 2022.
L’âge moyen à la naissance du premier enfant était de 28,8 ans en 2019 contre 28,1
ans
en 2013, Eurostat, 2022.
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202
Graphique n° 24 :
les congés de maternité des salariées du régime
général par tranche d’âge
Source :
Cour des comptes d’après Cnam
L’augmentation de l’âge moyen des femmes à la naissance de leurs
enfants représente un enjeu de santé publique, les grossesses plus tardives
étant plus à risque pour la mère comme pour l’enfant.
À nombre
d’enfants
par femme inchangé,
l’augmentation de l’âge moyen des mères à la
naissance a aussi des conséquences sur les dépenses publiques : les congés
sont généralement plus longs et les salaires des mères peuvent être plus
élevés, augmentant ainsi le montant des indemnités journalières.
Tableau n° 18 :
évolution du montant moyen des indemnités
et des durées moyennes des congés
Indemnité journalière
en euros
Durée moyenne
du congé en jours
2014
2021
2014
2021
Salariées régime général
49
55
105
108
Salariées régime agricole
50
56
125
121
Indépendantes
51
45
73
98
Exploitantes agricoles
147
160
91
91
Source
: Cour des comptes d’après régimes
Méthodologie : moyenne des congés terminés pour les salariées du régime général à partir des
données annuelles de dépenses pour les autres situations. L’allocation forfaitaire des
indépendantes est de 2 549
en 2021.
Elle s’ajoute aux indemnités journalières.
Comme le montre le tableau ci-dessus, la durée moyenne pour les
salariées du régime général, tous âges confondus, a ainsi augmenté de trois
jours entre 2014 (105 jours) et 2021 (108 jours).
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LES DÉPENSES DE CONGÉS DE MATERNITÉ ET DE PATERNITÉ :
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203
B -
Des droits liés à la maternité améliorés, auxquels les mères
recourent de façon variable selon les situations professionnelles
1 -
Une convergence récente des droits à congé de maternité
entre les différents régimes
Pour les salariées, la durée légale du congé de maternité est fixée
depuis 1980 à seize semaines pour un premier ou un deuxième enfant
(quatorze semaines auparavant). La LFSS pour 2019 a prévu que les
indépendantes et les agricultrices puissent bénéficier d’un congé de même
durée
289
que celui des salariées et une durée minimale d’interruption
d’activité de huit semaines pour tou
tes les femmes
290
. Les conditions
requises sont désormais très proches pour l’ensemble des mères.
Tableau n° 19 :
conditions
d’indemnisation
par régime en 2023
Salariées du régime général
Salariées du régime agricole
Indépendantes
Conditions
d’affiliation
Être affiliée depuis 10 mois
Avoir travaillé 150 heures au
cours des 3 derniers mois ou
Avoir travaillé 600 heures au
cours des 12 derniers mois
Être affiliée depuis 10 mois
Avoir travaillé 150 heures au cours
des 3 derniers mois
Être affiliée depuis 10 mois
Conditions
de cotisation
Avoir cotisé au cours des 6 derniers mois sur la base
d’une
rémunération au moins égale à 11
439,05€
; ou
Avoir cotisé au cours des 12 derniers mois sur la base
d’une
rémunération au moins égale à 22 878,10
Avoir cotisé, sans
nécessairement être
à jour de ses cotisations
Base
de calcul
Salaire brut des 3 derniers mois
Revenus cotisés
des 3 dernières années
Mode
de calcul
Salaire journalier de base dans la limite du plafond de la SS, minoré
de 21 % au titre des charges sociales.
Forfaits soumis
à CSG et CRDS
Montant
Minimum : 10,24
/j
Maximum : 95,22
/j
Allocation forfaitaire de
3 666
+ indemnité journalière
de 6,026
/j (plancher)
ou 60,26
/j (plafond)
Durée
- Pour les grossesses simples : 6 semaines avant et 10 après la naissance (premier et deuxième enfant) ;
8 semaines avant et 18 après la naissance (à partir du troisième enfant) ;
- Pour les grossesses multiples : 12 semaines avant, 22 après la naissance pour des jumeaux :
24 semaines avant, 22 après la naissance pour des triplés ou plus.
Note : * à compter de la date de
l’accouchement. **
les conditions heures travaillées/cotisations sont alternatives.
Source : Cour des comptes
289
Avant la réforme de 2019, l
es indépendantes bénéficiaient d’un congé
de maternité
de six à dix semaines, plus court que celui des salariées.
290
Dont six semaines après la naissance. Certaines conventions collectives prévoient le
maintien intégral du salaire, y compris au-delà du plafond de la sécurité sociale et son
versement direct par l’employeur, dans certains cas sous conditions d’ancienneté.
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204
Les conditions d’ouverture des droits pour
les indépendantes ont été
assouplies en 2019. Ainsi, la condition de ne pas avoir de retard de
paiement des cotisations a été supprimée
, mais le calcul de l’indemnité
journalière se fonde sur un revenu théorique, recalculé en fonction des
cotisations effectivement payées.
Les modalités
d’indemnisation
des indépendantes comprennent une
allocation forfaitaire de repos maternel
et, pour les cheffes d’entreprise,
des
indemnités
journalières forfaitaires.
Les
conjointes collaboratrices
reçoivent une indemnité de remplacement et une allocation forfaitaire de
repos maternel, dont le montant a été aligné sur celui des cheffes
d’entreprise.
Depuis 2015, outre cette allocation forfaitaire,
les
travailleuses indépendantes ayant les plus faibles revenus (moins de 10 %
du
plafond
de
la
sécurité
sociale),
essentiellement
les
micro-
entrepreneures, perçoivent des indemnités journalières minimales, dont le
montant est égal au dixième des indemnités journalières des autres
indépendantes. Depuis 2019, l
’indemnité de remplacement est également
proposée aux exploitantes agricoles qui ne sont pas parvenues à se faire
remplacer, sous forme
d’indemnités journalières forfaitaires.
En revanche, le congé pathologique accordé par un médecin lorsque
la santé de la mère ou de l’enfant nécessite un arrêt de travail
complémentaire, avant ou après la naissance, n’est pas harmonisé.
Pour les
salariées, le congé pathologique prénatal est de un à quatorze jours et le
congé pathologique postnatal peut atteindre vingt-huit jours. Le congé
pathologique prénatal est indemnisé comme le congé de maternité, tandis
que le congé pathologique postnatal est indemnisé au titre de l
’assurance
maladie
291
. Pour les indépendantes, le congé pathologique peut être prescrit
pour une durée fixe de quinze jours, avant ou après la naissance, ou de
trente jours avant ou après la naissance. Pour les agricultrices, il existe
uniquement un congé pathologique prénatal de un à quatorze jours.
La durée maximale du congé pathologique demeure ainsi différente d’un
régime à l’autre, sans que cela soit justifié. En particulier, la durée très rigide
pour les indépendantes (quinze ou
trente jours) ne permet pas d’adapter le congé
à l’état de santé réel
292
. Le ministère chargé des affaires sociales a précisé que,
s’il n’était pas dans l’intention du Gouvernement de prévoir une durée
minimale, ces dispositions pourraient être précisées afin de permettre davantage
de souplesse dans la prescription de la période d’arrêt pour congé dans la durée.
291
L’indemnisation du congé de maternité est plus favorable (79
% du salaire brut) que celle
des arrêts maladie (50 %
du salaire brut). Par ailleurs aucun jour de carence ne s’applique.
Les salariées ayant un an d’ancienneté, à l’exception des personnes travaillant à domicile,
des saisonnières, des intermittentes et des intérimaires, pe
uvent bénéficier d’une indemnité
complémentaire versée par l’employeur et prévue à l’article L. 1226
-1 du code du travail.
Les entreprises peuvent mettre en place une couverture prévoyance complémentaire.
292
L’existence de cette durée forfaitaire peut provo
quer le rejet automatique du dossier
d’indemnisation par les
CPAM, lorsque le médecin prescrit à une indépendante un arrêt
d’une durée inférieure à
la durée forfaitaire de quinze jours.
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LES DÉPENSES DE CONGÉS DE MATERNITÉ ET DE PATERNITÉ :
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205
Le congé d’adoption allongé sans harmonisation
entre les régimes
Le congé d’adoption concerne moins de 600 personnes par an. Il bénéficie
aux assurés qui se sont vu confier un ou plusieurs enfants, soit 10 % seulement du
total des adoptions annuelles, lesquelles sont essentiellement le fait des adoptions
entre adultes et des adoptions intrafamiliales d’enfants, non éligibles au congé
d’adoption
293
. Sa durée a été allongée à compter de 2021 pour tous les adoptants.
L’alignement des durées a été prévu pour les salariés du régime général et du
régime agricole, la durée minimale passant de 10 à 16 semaines pour ces deux
régimes
294
. En revanche, le congé prévu dans le régime des indépendants est resté
plus court pour une adoption simple dans une famille sans enfant à charge
(12
semaines pour un seul parent), mais plus long dans les autres cas (jusqu’à 39
semaines)
295
. Le ministère chargé des affaires sociales a i
ndiqué qu’une mesure
d’alignement de la durée du congé d’adoption pourrait être étudiée.
En pratique, le nombre d’indemnisations pour congé d’adoption est
en très forte diminution, suivant en cela le recul massif de l’adoption
internationale
296
. Le nombre de bénéficiaires a été divisé par deux entre
2014 et 2021, passant de 1 144 à 560. La dépense a diminué en conséquence
(- 41 %), passant de 3,7
M€
, en 2014, à 2,15
M€
en 2021
297
.
2 -
Des améliorations récentes du recours au congé de maternité,
qui laissent toutefois subsister des marges de progrès
L’alignement des durées légales entre les régimes ne suffit pas à
garantir l’usage effectif par les mères de leur droit au congé indemnisé. Les
informations disponibles montrent encore d’importantes disparités dans le
recours au congé selon le régime de sécurité sociale et les conditions
d’activité professionnelle des mères.
S’agissant des mères salariées, les statistiques disponibles montrent
que cette période de repos est largement respectée, le congé étant pris dans
la quasi-totalité des cas
298
.
293
«
L’adoption de l’enfant du conjoint en 2018
». Infostat Justice n° 175, février 2020.
294
La durée maximale peut
atteindre 21 à 26 semaines selon le nombre d’enfants
adoptés et déjà à charge.
295
En cas de partage entre les deux parents, le congé est allongé et le fractionnement modifié :
chaque période doit désormais compter au moins 25 jours (contre 11 auparavant). Si le congé
est partagé entre un salarié et un indépendant, les règles du régime prévoyant la durée la plus
favorable sont appliquées (source : circulaire Cnam «
le congé d’adoption
» du 5 juillet 2021).
296
Les chiffres de l’adoption internationale
-
Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères
.
297
Cette tendance prolonge celle des années précédentes (8
M€ ont été
servis à 2 500
bénéficiaires en 2010).
298
« Les Français et les congés maternité et paternité : opinion et recours », Drees, 2016
et 2019, travaux fondés sur les baromètres d’opinion de 2014 et 2016 et l’enquête
« Modes de garde » de 2013. La Drees a effectué une nouvelle enquête fin 2021, dont
les données sont en cours d’exploitation pour publication
fin 2022 ou début 2023.
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206
Des conditions d’ouverture des droits assouplies pour les salariées
L’ouverture des droits aux indemnités journalières de maternité, de
paternité et d’adoption des salariés du régime général et du régime agricole
a été facilité e
n février 2015. Le nombre d’heures de travail exigé
es au cours
des trois derniers mois précédant le congé a alors été réduit de 200 à
150
heures. En cas d’activité discontinue (CDD, intérim) ou de travail
saisonnier, le nombre d’heures de travail requis, a
pprécié sur les douze mois
précédant le congé, a également été réduit de 800 à 600.
Il en va différemment pour les indépendantes. En 2021, seules six
sur dix prenaient leur congé de maternité. Ce taux de recours effectif est
proche pour les affiliées non-salariées du régime agricole. Pour cette
catégorie, la MSA estime que le taux de recours a progressé, passant de
56 % à 60 % entre 2014 et 2020. Cette tendance favorable pourrait être
limitée par les difficultés persistantes rencontrées par les exploitantes pour
organiser leur remplacement.
Pour les mères qui utilisent effectivement leurs droits à congé de
maternité, l’évolution observée entre 2014 et 2021 (cf. supra tableau n°
1)
montre un accroissement de la durée des congés. Cette tendance est nette
pour les indépendantes, dont la durée moyenne de congé a augmenté de
plus de 34
%. Cette hausse peut s’expliquer par l’harmonisation des durées
de congés prévue par la LFSS pour 2019. Sauf pour les salariées agricoles,
la durée moyenne de congés pris reste cependant structurellement
inférieure à la durée légale des congés la plus basse, à savoir celle prévue
pour la naissance d’un premier enfant (16 semaines).
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LES DÉPENSES DE CONGÉS DE MATERNITÉ ET DE PATERNITÉ :
DES DROITS ÉLARGIS, DES PROGRÈS DE GESTION NÉCESSAIRES
207
C -
Un congé de paternité récemment allongé,
auquel les pères ont recours de manière variable,
selon leur situation professionnelle
1 -
Le congé de paternité a été réformé et allongé en 2021
pour
l’ensemble des catégories professionnelles
Le congé de naissance de trois jours a été créé par la loi du 18 mai
1946 afin de faciliter les démarches de tous ordres effectuées par les pères,
rendues nécessaires par la naissance d’un enfant. Depuis, l’objectif est
d’inciter les pères à s’investir davantage dans leurs fonctions parentales et
à mieux partager les tâches familiales. Dans ce contexte, le congé de
paternité a été instauré par LFSS pour 2002. Sa durée était alors de onze
jours, venant en complément du congé de naissance rémunéré par
l’employeur. Ce congé est ouvert à tous les salariés, sans conditions
d’ancienneté, d’activité ou
de
seuil d’effectifs, preuve d’une
volonté du
législateur d’assurer un recours effectif. Il a par la suite été modifié à
plusieurs reprises
299
.
Le congé de paternité a été largement réformé en 2021, afin de
favoriser le développement
de l’enfant
ainsi que l’équilibre entre vie
familiale et vi
e professionnelle, tout comme l’égalité entre les femmes et
les hommes. Sa durée légale est passée de 11 à 25 jours pour une naissance
unique
300
, quel que soit le régime d’affiliation du père (salarié du régime
général, indépendant ou agriculteur). En outre, le congé peut être
fractionné, ce qui doit favoriser un recours accru. Les pères bénéficient
donc légalement, dès le lendemain de la naissance, du congé de trois jours
précité
, immédiatement suivi d’un congé de paternité
obligatoire de quatre
jours
301
indem
nisé par l’assurance maladie
. Dans les six mois qui suivent
la naissance, les pères peuvent prendre le reste de leur congé de paternité
en deux fois s’ils sont salariés ou en trois fois s’ils sont indépendants ou
exploitants agricoles. Chaque période doit durer au moins cinq jours.
299
En 2012, il a été renommé «
congé de paternité et d’accueil de l’enfant
» et ouvert aux
couples de même sexe. Depuis 2015
, en cas de décès de la mère des suites de l’accouchement,
le père peut bénéficier du congé de maternité résiduel et de son indemnisation. Enfin, depuis
juillet 2019, le congé de paternité peut être prolongé jusqu’à 30 jours en cas d’hospitalisation
du nouveau-né dans une unité de soins spécialisés de néonatalogie ou de réanimation néonatale.
300
Et de 18 à 32 jours pour une naissance multiple.
301
Cette période de quatre jours ne peut être reportée que si la naissance intervient
pendant des congés payés.
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208
Schéma n° 4 :
séquencement des congés destinés aux pères
Source : Cour des comptes
Divers types de congés liés à l’arrivée d’un enfant selon les pays
Deux modèles d’indemnisation coexistent en Europe. Comme en
France, les régimes d’indemnis
ation en Espagne, en Grèce, en Irlande ou en
Norvège fonctionnent selon une logique assurantielle et professionnelle. En
Allemagne, à l’inverse, l’indemnisation n’est pas liée à l’activité
professionnelle. Elle est prévue pour toute naissance, y compris pour des
parents n’ayant jamais travaillé (étudiants, demandeurs d’asile…).
En France, comme en Allemagne, en Espagne, en Grèce, en Irlande,
en Italie ou au Royaume-Uni, les congés sont distincts pour chaque parent.
Dans d’autres pays, comme l’Islande, la N
orvège ou la Suède, les parents
ont un congé parental unique, souvent plus long, englobant sans les
distinguer les congés individuels de maternité et de paternité. Le congé
parental unique est composé d’une période commune à partager entre les
deux parents, et de périodes réservées à chacun des parents, avec la
possibilité, selon les pays, de transférer à l’autre parent les jours non pris.
En dehors des pays nordiques, c’est en France que l’écart entre la durée du
congé de paternité et celle du congé de maternité est le plus faible.
Le récent allongement de la durée a eu un effet sensible sur la durée
constatée des congés. Jusqu’en 2020, lorsque les pères salariés avaient recours
à ce congé indemnisé, ils l’utilisaient en totalité (soit 11 jours). Dans le ca
dre
du nouveau dispositif, au second semestre 2021, les pères qui ont recours à ce
congé ont pris en moyenne 22 jours de congé (sur les 25
jours possibles). L’un
des objectifs fixés par le législatif est donc en voie d’être atteint.
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LES DÉPENSES DE CONGÉS DE MATERNITÉ ET DE PATERNITÉ :
DES DROITS ÉLARGIS, DES PROGRÈS DE GESTION NÉCESSAIRES
209
2 -
Un recours au congé de paternité variable
En 2021, plus de 320 000 pères affiliés au régime général ont usé de
leur droit à congé de paternité. Ces pères ont bénéficié de 1,2 congé par
naissance, ce ratio s’exp
liquant par la possibilité
d’un
fractionnement à
partir de juillet. Hors fonction publique, la quasi-totalité des congés de
paternité (98 %) sont pris par des salariés affiliés au régime général
302
.
Depuis la LFSS pour 2019, les indépendants et les exploitants
agricoles peuvent bénéficier d’indemnités journalières, même s’i
ls ne
parviennent pas à se faire remplacer.
Pour les salariés, le recours au congé de paternité est en réalité très
différent selon la situation professionnelle des pères, et est corrélé à la
nature du contrat de travail et au montant du salaire. Un centr
e d’études
303
a observé qu’en moyenne, sur la période 2010 à 2017, 74
% des pères
concernés faisaient usage de leur droit à congé de paternité. Cependant, ce
taux de recours s’élève à
87 % pour les salariés en contrat à durée
indéterminée (CDI
), alors qu’il n’étai
t que de 65 % pour les salariés en
contrat à durée déterminée (CDD).
L’obligation de prendre
le congé
pendant le CDD en cours sans en décaler la fin pourrait expliquer ce dernier
constat.
Le taux de recours n’est que de
33 % pour les indépendants. Enfin,
seulement 24 % des pères au chômage prennent leur congé en totalité.
L’examen du recours au congé de paternité selon le décile de revenus
du père montre que, de 2010 à 2017, le taux de recours n’était que de 68
%
pour les deux premiers déciles (jusqu’
à 1 539
de rémunération mensuelle
brute) et qu’il augmente régulièrement pour atteindre un maximum de 98
%
pour les pères dont les revenus mensuels se situent dans le 8
ème
décile
(2 500
à 2 850
). Au-
delà, le recours diminue à nouveau, jusqu’à 73
%
pour le d
ernier décile, du fait du plafonnement de l’indemnité.
Pour les salariés en CDI, le taux de recours est également corrélé à
la taille de l’entreprise
(79 % dans les entreprises de 10 à 49 salariés, 88 %
dans celles de 200 salariés et plus) et à
l’anciennet
é (59 % pour les pères
ayant moins d’un an d’ancienneté
)
304
.
302
Au régime agricole, le nombre de congés est en légère diminution, les salariés ayant bénéficié
de 11 800 congés de paternité en 2021, contre 12
804 en 2014, la dépense d’indemnités
journalières progressant de 7,74
M€ en 2014 et 12,44
M€ en 2021. Pour les expl
oitants agricoles,
la dépense était de 4,6
M€ en 2014 et de 5,9
M€ en 2021. Jusqu’en 2020, le nombre de congés de
paternité des indépendants était en diminution, avec 18 618 congés accordés en 2014 et 10 884 en
2020. La dépense a consécutivement diminué de 10,6
M€ à 6,4
M€ en 2020. L’allongement récent
semble avoir eu un effet sur le recours, 15 627 bénéficiaires étant dénombrés en 2021.
303
Cf. Étude du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) «
Quels
freins limitent encore le recours au congé paternité chez les jeunes pères
», 2022, étude
sur la période 2010-2017.
304
Outre la nature du contrat, la précarité des bénéficiaires potentiels a un effet : seuls
24 % des pères au chômage prennent leur congé en totalité, possiblement parce que leur
information est insuffisante, ou que les délais de versement de l’indemnité journalière de
paternité conduisent à une rupture temporaire de prestation les dissuadant d’y recourir.
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210
II -
Une gestion à améliorer, des enjeux de santé
publique à mieux prendre en compte
Alors que le financement des congés de maternité et de paternité
relève encore conjointement des branches maladie et famille, la gestion des
prestations par les caisses est perfectible. Un effort particulier doit porter
sur le suivi des congés pathologiques et de la santé des mères.
A -
Une clarification financière à achever
Le financement des dépenses de congé de maternité de paternité et
d’adoption est dual. Depuis leur création, le congé de maternité et le congé
d’adoption sont financés par la branche maladie, tandis que le congé de paternité
est financé par la branche famille. Comme cela a été souligné par la Cour
305
, il
n
’y a pas de justification claire à cette dualité des circuits de financement.
La LFSS 2023 a prévu un transfert de la branche famille à la branche
maladie correspondant à la couverture de 60 % du montant des indemnités
journalières pour maternité, soit environ 2
Md€. Ce montant a été présenté
comme correspondant approximativement au montant des dépenses liées
au congé postnatal et au congé d’adoption. Toutefois, la distinction entre
congé prénatal et postnatal apparaît conventionnelle et ne constitue pas un
fondement suffisamment solide pour justifier la perpétuation d’un partage
du financement des congés de maternité entre les deux branches.
Il conviendrait d’achever progressivement le transfert des dépenses
de maternité à la branche famille
306
, en veillant à assurer son équilibre
financier. À cet effet, il appartient à l’assurance maladie de corriger les
limites identifiées
307
et d’améliorer le contrôle interne afin que
la branche
famille
dispose d’
une assurance raisonnable quant au paiement à bon droit
de ces prestations et puisse en assurer le suivi.
305
Cour des comptes, « Le financement de la sécurité sociale : des règles à clarifier et à
stabiliser
», Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, octobre 2022
306
Le
conseil d’administration de la Cnaf s’est jusqu’à présent montré défavorable au
transfert des congés maternité post nataux.
307
Les limites portent en particulier sur les délais de versement anormalement longs, le
suivi insuffisant de la dépense et la méconnaissance des congés pathologiques.
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211
B -
Des performances de gestion à améliorer
1 -
Des délais de versement importants et disparates
La qualité du service rendu est mesurée par les délais de versement
des indemnités journalières de maternité par les caisses primaires
d’assurance maladie
(CPAM).
En partie du fait de la crise sanitaire et malgré certaines mesures de
gestion
308
, une nette dégradation de cet indicateur a été constatée au cours
des dernières années. Pour les salariées du régime général, le délai moyen
de versement, mesuré à partir du premier jour du congé, est passé de
31,4 jours en 2018, à 34,5 jours en 2021. Cette moyenne nationale recouvre
par ailleurs des écarts très importants entre caisses.
Tableau n° 20 :
quelques délais moyens de versement des indemnités
(2021, en jours)
Moyenne nationale
Seine-Maritime
Eure
Guyane
309
Seine-Saint-Denis
34,5
26,5
27
45
49,5
Source : Cour à partir des données des caisses et de la Cnam
Pour les indépendantes, les délais de versement ont fortement
diminué depuis leur intégration au régime général (90 jours au premier
semestre 2020), même s’ils restent élevés. Pour les agricultrices, les délais
ont également diminué.
308
Pour les salariés dont les revenus varient dans le temps, notamment les intérimaires, le
calcul prend en compte les rémunérations des douze mois précédant le début des prestations.
Fin 2021, il subsistait un nombre important de dossiers d’indemnisation maladie à traiter par
les CPAM en raison de la crise covid. En accord avec la direction de la sécurité sociale et à
titre transitoire, la Cnam a proposé aux caisses, en janvier 2022, d’effectuer la liquidation sur
la base des bulletins de salaires des trois derniers mois et de ne prendre en compte les douze
mois que si l’assuré formulait une réclamatio
n. Cette mesure a été prolongée, sans base
légale, jusqu’en décembre 2022 et n’a pas vocation à être reconduite.
309
Cette caisse doit traiter une majorité de dossiers sur support papier, dans une
situation locale de couverture incomplète du département en internet fixe à haut débit,
et de réseau local insuffisant au sein de la CGSS.
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212
Tableau n° 21 :
délais moyen de versement des indemnités
journalières de maternité par régime (en jours)
Régime
2018
2021
Salariées du régime général
dont subrogation à leurs employeurs
31,4
51,4
34,5
42,6
Indépendantes
n.c.
46
Agricultrices
37,8
25,1
Source : Cnam et CCMSA
Les retards sont imputables en partie aux employeurs, qui envoient
tardivement les attestations de salaire aux caisses primaires. Pourtant, en
dépit de l’utilisation de la déclaration sociale nominative (DSN), obligatoire
depuis 2017 et qui aurait dû simplifier le processus, un nombre encore
important d’attestations de salaires demeurent transmises p
ar les employeurs
via le portail Net Entreprises
310
, ce qui complique l’instruction des dossiers
par les CPAM. Il conviendrait de mettre fin à cette voie de transmission.
Par ailleurs, le versement des indemnités journalières pour maladie, pour
accident du travail-maladie professionnelle ou pour maternité et paternité par
l’employeur pour le compte de l’assurance maladie (la
« subrogation », prévue
par le code de la sécurité sociale) est de nature à accélérer l’indemnisation des
bénéficiaires des congés. En p
rincipe, la subrogation permet d’éviter toute
rupture de ressources pour les mères et les pères concernés pendant la période
de congé. Cependant, les employeurs font alors une avance de trésorerie à
l’assurance maladie, pour une durée notable (42,6
jours en 2021 en moyenne,
contre 51,4 jours en 2018), ce qui les conduit parfois à retarder de manière
irrégulière le versement des indemnités aux salariés
311
. En 2021, la subrogation
ne concernait qu’un tiers des congés de maternité.
310
Par ailleurs, en cas d’activité discontinue (CDD, intérim), des envois papier par les
assurées de leurs données de salaire peuvent subsister.
311
La CPAM de Paris a rapporté des cas dans lesquels les employeurs subordonnent le
versement des indemnités à leurs employés à la réception des montants « remboursés »
par les caisses, conduisant ainsi, en contradiction avec les textes, à une rupture de droits
au détriment de leurs salariés. Cette situation constitue une limite aux politiques
d’amélioration de la subrogation dans la mesure où, en pratique, elle n’améliore pas les
délais de versement des indemnités du point de vue des assurés.
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LES DÉPENSES DE CONGÉS DE MATERNITÉ ET DE PATERNITÉ :
DES DROITS ÉLARGIS, DES PROGRÈS DE GESTION NÉCESSAIRES
213
La voie prometteuse de la subrogation obligatoire
Le Parlement a voulu récemment rendre la subrogation systématique
pour les congés de maternité, d’adoption et de paternité. La LFSS pour 2023
votée prévoyait une mesure en ce sens. Le Conseil constitutionnel a
toutefois considéré que
la mesure n’avait pas sa place dans une
LFSS
312
.
La généralisation de la subrogation nécessitera en tout état de cause
que les délais de versement aux entreprises soient maîtrisés par l’assurance
maladie. À cette fin et dans l’attente que la mesure trouve
sa place dans une
prochaine
loi, l’offre de services aux employeurs et les mesures de
simplification annoncées par l’assurance maladie auront à être précisées.
2 -
Une gestion à moderniser et à sécuriser
Les CPAM éprouvent des difficultés à traiter les dossiers
d’indemnisation des congés de maternité et de paternité, au détriment du
paiement à bon droit de ces prestations.
Les caisses traitent des données non dématérialisées : les dates
présumées d’accouchement, pourtant fournies par les déclarations de
grossesse, et les dates de début et de fin de congé de maternité des
travailleuses indépendantes, précisées par un certificat médical papier, ne
sont pas transférées automatiquement dans les systèmes
d’information et
sont, de ce fait, à l’origine d’erreurs de cal
cul des indemnités.
D
’importantes
zones de risque
Le versement des indemnités journalières de maternité des salariées
est interrompu à la date présumée de la naissance et la poursuite des
versements est subordonnée à la réception par la CPAM de l’acte de
naissance de l’enfant
313
. Cette
vérification n’existe pas s’agissant des
indépendantes, pour lesquelles le versement ne dépend pas de la
transmission d’un acte de naissance, mais d’une attestation sur l’honneur
d’interruption d’activité. Cette
souplesse est source de fraudes avérées.
312
Dans sa décision n° 2022-845 DC du 20 décembre 2022, le Conseil constitutionnel
a considéré que l’article 90
se bornait à organiser les conditions de versement de
certaines indemnités journalières sans en modifier le montant, et de ce fait n’avait pas
d'effet ou un effet trop indirect sur les dépense
s d’assurance maladie
.
313
Cette pièce est transmise par l’employeur, ou par l’établissement hospitalier dans
lequel l’accouchement a eu lieu, ou à défaut par l’assurée. Au régime général, les congés
de maternité et de paternité donnent lieu, pour un même enfant, à la transmission de
deux actes de naissance. Seule la MSA dispose d’une procédure de guichet unique,
lorsque les deux parents relèvent du régime agricole.
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214
Un risque notable concerne aussi une reprise anticipée du travail qui
ne serait pas signalée par l’employeur
.
Le non cumul des indemnités journalières et d’autres prestations –
de
Pôle emploi pour le chômage, ou de la Cnam elle-même pour les pensions
d’invalidité
doit aussi faire l’objet d’une vérification au cas par cas par les
caisses, à leur initiative, sans que le système d’information fournisse d’alerte
314
.
Par ailleurs, la vérification des ouvertures de droits est complexe pour
les techniciens des caisses lorsqu’un salarié a plusieurs employeurs,
simultanés ou successifs. Ces situations peuvent aussi générer, suite à
contrôles, des rappels ou des indus de prestation.
Or, la Cour a constaté
315
que les contrôles avaient été très réduits,
voire inexistants, pendant plusieurs mois :
l’outil informatique permettant
d’identifier les dossiers d’indemnités journalières de maternité et de
paternité à contrôler par les services des agents comptables des CPAM n’a
pas fonctionné d’octobr
e 2021 à juillet 2022
316
.
De fréquentes erreurs de calcul du montant des indemnités
Dans le cadre de la certification des comptes de la branche maladie de
l’exercice 2021, la Cour a examiné avec la Cnam un échantillon aléatoire de
393
dossiers d’assurées ay
ant perçu des indemnités journalières pour maternité.
Parmi ceux-
ci, 105 dossiers comportaient des anomalies, soit plus d’un sur quatre
(27 %). Ce taux est supérieur à celui constaté pour les indemnités journalières de
maladie (21 %), alors que les données des dossiers sont pourtant plus prévisibles.
Dans plus de la moitié des cas (58 dossiers, soit 15 % du nombre
total de dossiers examinés)
, l’anomalie avait une incidence financière. Par
extrapolation, et en admettant la représentativité de l’échantillon,
le montant
des erreurs en faveur ou au détriment des assurées peut être estimé à 53
M€,
soit 1,6 % du montant total. Dans plus de la moitié des cas (58 %), ces
erreurs ont été commises au détriment des assurées.
314
Il est également prévu que les dossiers des salariés soient progressivement traités
dans l’application déjà utilisée pour les indépendants d’ici fin 2023.
315
La Cour a examiné les données de la Cnam ainsi que les procédures détaillées des
CPAM des Alpes-Maritimes, des Hauts-de-Seine, de la Mayenne, de Paris, et de la
Caisse générale de sécurité sociale de Guyane.
316
Aucun rattrapage de ces contrôles n’est prévu par la Cnam. Ainsi, seuls 57 dossiers
présentant des anomalies avec incidence financière ont été identifiés par les agents
comptables des cinq caisses visitées.
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LES DÉPENSES DE CONGÉS DE MATERNITÉ ET DE PATERNITÉ :
DES DROITS ÉLARGIS, DES PROGRÈS DE GESTION NÉCESSAIRES
215
Une analyse complémentaire de la Cour, portant sur 100 autres
dossiers, a également mis en évidence des anomalies non détectées par
l’assurance maladie dans 16 dossiers correspondant, par exemple, à des pièces
justificatives manquantes, des périodes de référence ou des calculs erronés
317
.
C -
Une dépense peu suivie, une gestion du risque très
insuffisante
1 -
Les congés de maternité et de paternité, angle mort
des objectifs de suivi et de dépense
Les régimes de protection sociale considèrent, d’une manière générale,
les congés de maternité comme des dépenses « subies »
, qui n’ont pas à être
pilotées ni suivies et dont le détail n’a pas besoin d’être connu. Cependant, une
meilleure connaissance des dépenses liées aux congés de maternité et de
paternité, y compris les congés pathologiques, serait un instrument à part
entière de prévention et de suivi global de la santé périnatale.
Aucun objectif de taux de recours aux congés de maternité ou de
paternité indemnisé, ou de santé maternelle des femmes actives, ne figure
dans la convention d’objectifs et de gestion (
COG) de la branche maladie
du régime général (compétente depuis 2018 pour les indépendants), pas
plus que dans celle du régime agricole
318
.
La déclaration de grossesse ne précise pas le domaine d’activité de
l’assurée, ce qui faciliterait pourtant le suivi et la préve
ntion dans les
secteurs à risque pour la santé de la mère et de l’enfant.
Le taux et les conditions de recours aux congés pathologiques, qui
pourraient permettre de mieux appréhender les risques et les pathologies
pendant la grossesse et à la suite de la naissance, pour la mère comme pour
l’enfant, n
e sont ni mesurés, ni même mentionnés par les COG.
317
Cour des comptes, Rapport de certification des comptes du régime général de sécurité
sociale, exercice 2021, mai 2022. La révision a été faite sur une sélection de dossiers
comprenant
les
risques
maladie,
maternité
et
accidents
du
travail-maladies
professionnelles. De son côté, pour le régime agricole, la CCMSA a détecté 129 dossiers
comportant au moins une anomalie avec incidence financière dans le cadre de son contrôle
des prestations de maternité et paternité de 2021, soit 6,3 % des dossiers contrôlés.
318
Les seules
politiques d’acc
ompagnement évoquées dans ces documents étant les
soins à la sortie de la maternité (
programmes d’accompagnement du retour à domicile
).
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216
2 -
Un suivi défaillant des congés pathologiques
Le code du travail et le code de la sécurité sociale distinguent le congé
pathologique prénatal et le congé pathologique postnatal. Les médecins ne
sont pas tenus de préciser le motif des arrêts délivrés, ils doivent en revanche
signaler si l’arrêt est lié ou non à un état de grossesse. Le congé pathologique
postnatal n’est pas identifié en tant que tel dans les systèmes d’information
de l’assurance maladie, ce qui en empêche tout suivi.
Selon la Cnam, 251 000 congés pathologiques prénatals
319
avaient été
prescrits à des salariées en 2014, ce qui représentait 62,3 % des grossesses
indemnisées. Cette part diminue régulièrement et de manière inexpliquée,
pour ne plus représenter que 50,9 % des congés terminés en 2020.
Les médecins ne bénéficient pas de recommandations de la Haute
autorité de santé s’agissant des conditions d’octroi des congés pathologiques.
Les
congés
pathologiques,
en
cours
de
grossesse
et
après
l’accouchement, contribuent à la durée globale observée des congés de
maternité, sans qu’il soit possible de connaître leur contribution aux variations
autour des périodes légales
320
. Dans le régime agricole, les données sont
également fragmentées, une partie des caisses n’identifiant pas ces congés
pathologiques prénatals. Les données relatives aux indépendantes ne sont pas
disponibles. De même, les congés de maternité les plus longs, liés aux naissances
multiples
et aux naissances d’enfants de rang trois et plus, ne sont pas identifiées
dans les statistiques courantes de dépenses de la Cnam ni de la MSA.
Une connaissance très insuffisante
Dans une enquête de 2017 portant sur 341 244 mères salariées ayant
accouché en 2014, la Cnam notait que la durée moyenne des congés
indemnisés pour les mères d’un premier ou d’un deuxième enfant s’élevait
à 23,2 semaines, dont 1,8 semaine de congé pathologique prénatal et 5,3
semaines de congés maladie. Les études réalisées à la demande de la Cour
en 2022 sur des échantillons de dossiers par les caisses de Paris et des
Alpes-Maritimes
321
, ne confirment pas cette durée.
Cette méconnaissance est regrettable, dans la mesure où les congés
pathologiques représentent un enjeu de santé publique. Un suivi plus
319
A
u périmètre des congés pris et terminés au sein d’une année civile donnée
.
320
Les dépenses de congés pathologiques ne sont pas identifiées en tant que telles, et
les durées correspondantes sont donc incluses dans les durées globales observées pour
les congés de maternité.
321
Selon les échantillons réalisés par ces caisses pour la Cour, 13,6 % des congés de
maternité sont s
uivis d’un arrêt maladie à Paris, et 10
% dans les Alpes-Maritimes.
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LES DÉPENSES DE CONGÉS DE MATERNITÉ ET DE PATERNITÉ :
DES DROITS ÉLARGIS, DES PROGRÈS DE GESTION NÉCESSAIRES
217
rigoureux de la dépense par la Cnam est nécessaire, en premier lieu, à
travers un repérage automatisé des arrêts maladie correspondant à des
congés pathologiques. Outre la réglementation applicable en matière de
santé au travail, des données propres à la situation réelle des femmes
enceintes qui travaillent pourraient contribuer à mieux apprécier tout à la
fois leur santé pendant et après leur grossesse, les liens éventuels avec la
prématurité des nouveau-nés, le handicap à la naissance et la pertinence ou
non du recours aux congés pathologiques
322
. En particulier, les liens entre
le recours au congé pathologique prénatal et un temps de trajet quotidien
élevé
323
, de même qu’entre les conditions de travail et le recours par secteur
d’activité mériteraient d’être étudiés, dans un objectif de prévention.
Régime des congés pathologiques au Danemark et en Suède
Au Danemark, si l’état pathologique de la mère résulte de la grossesse
ou s’il existe un risque pour sa santé ou pour le fœtus durant le
s quatre
semaines précédant le congé de maternité, elle peut bénéficier de prestations
maternité supplémentaires. En Suède, une indemnité de grossesse peut être
octroyée du 60
ème
au 11
ème
jour avant la naissance en raison de conditions de
travail physiquement pénibles, soit aussi longtemps que la mère est en arrêt
de travail si le travail est dangereux pour sa santé ou celle de l’enfant.
En outre, bien que les congés pathologiques postnatals soient
indemnisés comme les arrêts maladie et inclus à ce titre dans les indemnités
journalières de maladie et dans l’objectif nationale de dépenses d’assurance
maladie (Ondam), cette dépense n’est pas davantage pilotée en lien avec
des objectifs de santé, ni même suivie.
322
La dernière étude détaillée de la Drees sur le recours au congé de maternité et au
congé pathologique date de 2006.
323
Cette information peut être portée dans la déclaration de grossesse mais ne remonte
pas à la Cnam.
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218
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
Depuis 2014, des améliorations significatives en matière de
conditions d’ouverture des droits, de durée et d’indemnisation des congés
de maternité, de paternité et d’adoption sont constatées (en particulier la
réduction du nombre d’heures travaillées, l’allongement du con
gé de
maternité pour les indépendantes et celui du congé de paternité).
Ces différentes mesures ont eu pour effet d’harmoniser davantage
les conditions d’accès entre régimes et d’accroitre le recours à ces congés.
Cependant, la gestion des indemnisations des congés de maternité et de
paternité souffre de multiples faiblesses qui affectent la connaissance de
leurs droits par les assurés, le paiement de ces prestations à bon droit et
dans des délais resserrés, le suivi de ces dépenses et l’information fournie
au Parlement.
La mesure de leur utilisation reste lacunaire, notamment pour le
congé pathologique qui doit conserver sa fonction première de congé
prescrit du fait de la santé de la mère et de l’enfant.
Les différences observées pour les durées légales maximales de
versement des prestations entre les salariés et les travailleurs
indépendants, héritées du passé, n’ont plus de justification.
La Cour formule ainsi les recommandations suivantes :
23.
achever le transfert du financement des congés de maternité et de
paternité vers la branche famille en veillant à préserver l’équilibre
financier de la branche (ministè
re des solidarités, de l’autonomie et des
personnes handicapées, Cnam, Cnaf) ;
24.
développer des outils statistiques de suivi de la santé des femmes
enceintes et du non recours au congé de maternité (ministère des
solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, Cnam, Cnaf)
;
25.
afin d’améliorer le suivi et de réduire les délais de versement des
indemnités journalières, limiter à la seule déclaration sociale
nominative l’information relative
aux arrêts de travail liés à la
grossesse en provenance des employeurs (ministère des solidarités, de
l’autonomie et des personnes handicapées, Cnam)
;
26.
aligner la durée des droits relatifs au congé d’adoption et
au congé
pathologique des non-salariés sur celle des salariés (ministère des
solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées).
Sécurité sociale 2023 – mai 2023
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