Le Président-directeur général
101, rue de Tolbiac
75654 Paris Cedex 13
N/réf. DG-2023-002
Cour des comptes
13, rue Cambron
75100 Paris Cedex 01
A l’attention de Monsieur Pierre MOSCOVICI
Premier président
Paris, le
12/01/2023
Objet : Réponse aux observations définitives de la Cour concernant la gestion de l’Inserm
sur la période 2015-2021
Monsieur le Premier président,
Vous m’avez fait parvenir les observations définitives de la Cour intitulées
INSERM
, qui portent
sur la gestion de l’établissement que je dirige sur la période 2015-2021, en m’indiquant qu’il
était envisagé, en application de l’article L.143-1 du code des juridictions financières, de les
rendre publiques, et en m’invitant, si je le souhaitais, à y répondre.
Comme suite à cette sollicitation, je vous prie de trouver, ci-après, la réponse dont je souhaite
qu’elle soit publiée avec le rapport de la Cour, ainsi que transmise à l’ensemble des autorités
qui en seront rendues destinataires.
Réponse du Président-Directeur général de l’Inserm
au rapport de la Cour des comptes concernant la gestion de l’établissement
pour la période 2015-2021
Nous avons pris connaissance du rapport de la Cour des comptes portant sur la gestion de
l’Inserm pour la période 2015-2021. Sur le fond, la Cour identifie, sur quelques aspects de la
gestion de l’établissement, des marges de progrès que nous pourrons exploiter au profit de
notre mission, comme acteur majeur de la recherche en santé en France. Elle valide aussi
assez largement une transformation et une dynamique déjà engagées, que nous entendons
poursuivre et amplifier dans les années à venir.
Sur la forme, en revanche, on peut regretter des choix d’intitulés qui, pour certaines parties ou
sous-parties du rapport, peuvent paraître un peu décalés par rapport aux développements,
souvent plus nuancés, qui suivent. Ces intitulés ne rendent pas justement compte de la
profondeur d’analyse de la Cour. Ainsi, un lecteur pressé pourrait en retirer une mauvaise
impression quand, encore une fois, le rapport pointe certes certaines faiblesses, mais
encourage principalement l’Inserm à poursuivre dans la voie que dessine les choix qu’il a fait
au cours des dernières années.
1. Positionnement et pilotage des activités de recherche à l’Inserm
L'ambition de l'Inserm est de mettre en oeuvre une stratégie scientifique au meilleur standard
international, en utilisant à plein les atouts indéniables de l’établissement : des équipes au
meilleur niveau mondial, une production scientifique de grande qualité, avec environ 40 % de
la production française en recherche biomédicale et santé publique, des plateformes
technologiques originales, une porosité riche avec le monde du soin mais aussi avec le monde
socio-économique, que ce soit les entreprises ou les associations de patients par exemple.
Dans ce cadre, on peut entendre l’appel de la Cour à plus d’agilité dans le pilotage, par
l’Inserm, de ses activités de recherche, encore que certaines des propositions qu’elle fait,
notamment dans la troisième partie de son rapport, ne nous semble pas aller dans ce sens. Il
faut par ailleurs rappeler que l'agilité et la capacité à agir sont bien souvent corrélées aux
moyens libres d'emploi et leviers disponibles, ainsi qu'au mandat politique donné pour piloter.
En revanche, on a du mal à la suivre quand elle pointe la diversité du paysage de la recherche
publique en santé, comme un facteur de fragilité du modèle français. En effet, dans la plupart
des grandes puissances scientifiques, on retrouve cette pluralité d’acteurs. C’est le cas par
exemple au Royaume-Uni ou en Allemagne. Ce qui mérite d’être développé en revanche en
France, ce sont des outils de polarisation de la recherche en santé sur des objectifs clairement
définis, allant de pair avec un renforcement du mandat donné à un acteur pour coordonner les
différentes parties prenantes et être le garant d'une vision nationale cohérente. Cependant,
les choses sont en train de changer, avec notamment les programmes et équipements
prioritaires de recherche (PEPR) du plan France 2030. Et l’Inserm est pleinement acteur de
cette transformation, étant impliqué dans tous les stratégies nationales ayant une dimension
santé, avec notamment la mise en place à l'Inserm de son agence interne ANRS -
Maladies infectieuses émergentes, dont le rôle très positif a été souligné par la Cour dans un
rapport précédent sur l'infectiologie. D’ailleurs, déjà antérieurement, le Gouvernement avait
positionné l’Inserm en chef de file sur plusieurs plans nationaux thématiques de santé
(antibiorésistance, maladies rares…). La Cour l’évoque en fin de première partie, et reconnaît
la légitimité de l'Inserm et l’expertise acquise dans ce domaine: «
l’INSERM a montré sa
capacité à centraliser et redistribuer les crédits des plans nationaux pour le compte de
l’ensemble des acteurs de la recherche
» (p. 39).
Par ailleurs, concernant le pilotage des activités de recherche, la Cour regarde comme une
faiblesse la relative stabilité des unités de recherche labellisées par l’Inserm, et le fait que
l’Inserm accepte de labelliser des unités de recherche au sein desquelles ne sont initialement
affectés que peu, voire aucun chercheur Inserm. À ce propos, il faut rappeler que toutes les
unités Inserm sont des unités mixtes. Elles sont le fruit d’une co-construction avec les
universités, souvent sur plusieurs cycles quinquennaux, puis d'un pilotage attentif de leur
feuille de route scientifique qui, elle, est très dynamique et adaptative. Leur stabilité est donc
d’abord le signe de la réussite de ce travail partenarial. Par ailleurs, l’Inserm est parfaitement
dans son rôle en soutenant, souvent à la demande des partenaires universitaires, des unités
prometteuses, à un stade où elles ne disposent pas encore de chercheurs à temps plein. Ces
unités sont évidemment encouragées, une fois labellisées, à présenter des candidats au
concours de chargé de recherche de l’Inserm ou à accueillir des chercheurs par voie de
mobilité. Et il est vrai que, lorsqu’elles n’y parviennent pas, au fil des ans, ce doit être pris en
compte dans la décision de leur renouveler ou non le label Inserm. Cependant, il est bon aussi
de laisser leur chance à ce type d’unité en émergence et aux domaines scientifiques liés qui
nécessitent souvent un effort particulier.
Il convient en outre de revenir sur les développements que la Cour consacre à la recherche
clinique à l’Inserm. Elle regrette le peu de moyens qui y est consacré et qualifie l’activité de
promotion d’activité de « niche » à l’Inserm. Sur les moyens, les choses sont cependant, là
encore, en train de changer, comme le relève d’ailleurs la Cour lorsque, dans la troisième
partie de son rapport, elle évoque le contrat d’objectifs, de moyens et de performance de
l’Inserm qui confirme l’octroi à l’établissement, à compter de 2022, d’un financement inédit de
l’assurance maladie pour soutenir ce type de recherches. Elle regrette, néanmoins, que les
équipes de recherche de l’Inserm continuent de ne pas pouvoir accéder directement aux
financements du programme hospitalier en recherche clinique (PHRC). Par ailleurs, il ne faut
pas se tromper sur le rôle que l’Inserm est appelé à jouer en matière de recherche clinique.
L’Inserm a, en matière de recherche clinique, une stratégie claire qui vise une complémentarité
et une synergie avec les centres hospitaliers universitaires (CHU). Il cible en priorité les études
cliniques conçues dans ses unités, en lien direct avec les recherches, souvent plus
fondamentales, qui y sont développées, et bien souvent en collaboration avec des équipes
cliniques. Il se positionne aussi sur des essais internationaux sur lesquels il a une légitimité
certaine. Enfin, il joue un rôle majeur, en matière de recherche clinique, sur quelques
thématiques scientifiques précises, le plus souvent en lien avec des grands programmes
nationaux qu’il coordonne, et pour les études observationnelles en population générale ou
dans des populations plus ciblées relevant du cadre des recherches impliquant la personne
humaine. À partir de là, il ne peut pas être reproché à l’Inserm le faible nombre d’essais qu’il
promeut concernant des produits de santé et, singulièrement, des médicaments : c’est un
choix délibéré qui résulte de ce positionnement.
Enfin, la première partie du rapport de la Cour se termine sur le constat de réalisations « de
qualité », nonobstant les points d'attention qu’elle relève dans les développements
précédents. Qu’il nous soit permis de mettre en avant deux de ces réalisations. En premier
lieu, la Cour souligne, à la suite du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de
l’enseignement supérieur (HCERES), l’excellence de la production scientifique de l’Inserm
avec notamment un impact (indice de citation) des publications Inserm 30% plus élevé que la
moyenne mondiale. L’établissement est donc au rendez-vous sur ce qui demeure sa mission
première : la production de savoir. En second lieu, la Cour ne peut que constater les très bons
résultats obtenus par l’Inserm et sa filiale Inserm Transfert, qui fait l’objet d’un second rapport,
en matière de valorisation de la recherche. Elle juge que, en la matière, il convient que l’Inserm
continue à amplifier ses efforts, mais les résultats sont déjà là, comme en attestent par
exemple les revenus de licence des brevets co-détenus par l’Inserm, qui se sont établis à 76
M€ en 2021 et qui ne sont pas pour rien dans le redressement de la situation financière que
relève la Cour dans la deuxième partie de son rapport. L’essentiel de ces revenus provient
d’ailleurs de l’exploitation des brevets pour lesquels l’Inserm est positionné comme mandataire
des copropriétaires, et qui sont donc gérés par Inserm Transfert. Enfin, sur les financements
européens, l’appréciation de la Cour est plus nuancée, mais on peut rappeler que l’Inserm
demeure le premier récipiendaire de fonds au titre du défi santé du programme Horizon 2020.
2. Gestion de l’établissement
Nous rejoignons la Cour sur le constat que la situation financière de l’Inserm nécessite une
vigilance particulière, mais cela ne doit pas occulter le net redressement de cette situation sur
les derniers exercices de la période sous revue. Certes, comme l’indique la Cour, les deux
exercices 2020 et 2021, excédentaires, étaient par certains aspects atypiques. Cependant, il
faut souligner que les revenus exceptionnels engrangés, en particulier en 2021, ne sont pas
tous liés à des facteurs exogènes : les revenus de licence, notamment, sont le résultat d’une
stratégie de valorisation payante sur le long terme, et qui devrait continuer à alimenter le
budget de l’établissement dans les années à venir, même si dans des proportions moindres
qu’en 2021. Par ailleurs, même corrigés des subventions appelées à couvrir des opérations
pluriannuelles (autre élément que la Cour met en avant pour plaider le caractère exceptionnel
de ces deux résultats), ces exercices auraient été excédentaires. Ils sont donc bien le signe
d’un rétablissement de la situation financière de l’établissement. Enfin, indépendamment du
résultat, la forte croissance du budget de l’Inserm sur les derniers exercices clos (+11% entre
2019 et 2021) est certes le fruit d’une évolution favorable de sa subvention pour charge de
service public, mais aussi le signe du fort dynamisme de ses équipes de recherche pour aller
chercher des financements compétitifs dans le contexte porteur de la loi de programmation de
la recherche. En définitive, les ressources propres de l’établissement progressent nettement
plus vites que sa subvention pour charge de service public.
Pour le reste, si la Cour pointe plusieurs domaines dans lesquels la gestion financière de
l’établissement a fait des progrès significatifs, par exemple concernant les délais de paiement,
ou bien encore concernant le prélèvement des frais d’hébergement et des frais de gestion sur
les contrats de recherche qu’il gère, elle identifie aussi des marges de progrès qui sont bien
identifiées et sur lesquelles il nous faudra travailler. En particulier, les insuffisances de notre
système d’information budgétaire et comptable (SIBC) sont connues. C’est la raison pour
laquelle l’Inserm souhaite en changer à horizon 2025, et a fait le choix de s’orienter vers
l’application Sifac, développée par l’agence de mutualisation des universités et établissements
(Amue) qui offre de nombreuses fonctionnalités que n’offre pas son outil actuel. En outre,
s’agissant d’une application utilisée par près de 90% des universités, ce choix s’inscrit
clairement dans une volonté de simplification de la gestion de ses unités mixtes de recherche.
Concernant la gestion des ressources humaines, après avoir souligné l’effort de revalorisation
du régime indemnitaire de ses personnels, dans le sillage de la loi de programmation de la
recherche, la Cour regrette le fait que l’Inserm ne se mette pas en situation de flécher les
emplois chercheurs en fonction de ses priorités scientifiques. Sur ce point, notre analyse
diverge clairement de celle de la Cour. En effet, nous estimons que, pour les chercheurs, un
recrutement fondé sur l’excellence de la production scientifique, sans fléchage thématique a
priori, tel qu’il se pratique à l’Inserm, a fait ses preuves. Les indicateurs bibliométriques que
cite la Cour en fin de première partie de son rapport en attestent. Pratiquer, en complément,
quelques recrutements ciblés sur des thématiques prioritaires peut avoir du sens, mais nous
disposons d’un nouvel outil pour cela, avec les chaires de professeur junior introduites par la
loi de programmation de la recherche. Une dizaine de recrutements par an par cette voie nous
semble suffisant à ce stade, et la pratique montre d’ailleurs qu’il peut être difficile de pourvoir
ces postes lorsqu’on fait le choix de cibler trop précisément les thématiques sur lesquelles on
souhaite recruter.
La Cour a par ailleurs analysé finement le système d’information de l’établissement. Au-delà
du SIBC, dont les lacunes ont été soulignées, elle salue les chantiers lancés au cours des
dernières années en vue d’une meilleure uniformisation, rationalisation et sécurisation du
système d’information. Nous prenons bonne note de ses encouragements à poursuivre dans
cette voie.
Enfin, le dernier volet de cette deuxième partie du rapport de la Cour est consacré à la
déontologie. Sur ce point, l’Inserm prend bonne note des précisions apportées par la Cour
quant à la portée de certaines dispositions légales ou réglementaires avec lesquelles il se
mettra en conformité.
3. Contrat d’objectifs, de moyens et de performance… et évolution de l’Inserm à moyen
- long terme
La Cour salue, en premier lieu, l’ambition portée par le contrat d’objectifs, de moyens et de
performance signé par l’Inserm avec ses tutelles en février 2022, et les moyens que l’État lui
apporte dans ce cadre pour lui permettre de pleinement jouer son rôle de leader de la
recherche en santé. Elle juge néanmoins que c’est encore insuffisant. De fait, on peut
considérer qu’il ne s’agit là que d’une première marche, qui en appelle d’autres. Le président
de la République, cité par la Cour, le reconnait d’ailleurs lui-même : «
Je pense que,
collectivement, nous avons sous-investi dans la recherche. (…) Il y a eu un très gros travail
qui a été préparé par la ministre avec la LPR. C’est le socle de base et je le prends comme un
début. (…) Notre modèle s’est rigidifié et nous avons besoin, sur une priorité et un objectif
finalisé, de casser toutes les barrières et de mettre en place un financement et une équipe qui
va travailler autour d’un même projet. (…) C’est l’esprit complet de la LPR mais là, on doit aller
beaucoup plus vite et beaucoup plus fort dans ce secteur [de la recherche en santé] qui le
requiert
» (p. 79).
De là découle les réflexions de la Cour sur la façon dont l’Inserm devrait évoluer pour être
acteur de la transformation voulue et annoncée par le président de la République. Le premier
scénario qu’elle élabore vise à renforcer la reconnaissance de l’Inserm, en complément de sa
mission d’opérateur de recherche, comme chef de file dans la programmation de la recherche
en santé au plan national. De fait, comme nous l’avons écrit, cette transformation est déjà à
l’oeuvre depuis quelques années à travers le pilotage de grands plan nationaux qui lui a été
confié, ou bien encore avec la transformation de son agence interne, l’ANRS, en ANRS-MIE
(sachant qu’un PEPR sur les maladies infectieuses émergentes a par ailleurs été lancé). Ce
scénario est, selon nous, clairement celui qui semble le plus intéressant parmi ceux décrits
par la Cour.
Le deuxième scénario que reprend la Cour, évoqué régulièrement depuis vingt ans, serait
celui d’une fusion de l’Inserm avec l’Institut des sciences biologiques (INSB) du CNRS. Il
repose visiblement sur l’idée que la multiplicité des opérateurs dans le paysage de la
recherche en santé est un problème en soi. Or, comme nous l’avons indiqué, c’est un modèle
qui se retrouve très largement à l’étranger et qui, d’ailleurs, perdurerait en dépit de cette fusion,
les universités ou autre organismes nationaux étant aussi des opérateurs de recherche de
plein exercice actifs dans le domaine de la recherche biomédicale. Si la solution est donc,
plutôt, de se doter d’une vraie capacité de programmation de la recherche en santé au plan
national, la question est de savoir s’il est plus facile de s’appuyer, pour ce faire, sur l’Inserm
tel qu’il existe aujourd’hui ou sur une entité issue de sa fusion avec l’INSB. Qu’il nous doit
permis de douter qu’une telle fusion confère à l’entité fusionnée l’agilité que la Cour appelle
de ses voeux dans la première partie de son rapport. D’autre part, le temps passé à organiser
puis mettre en oeuvre cette fusion serait sans doute autant de temps perdu pour le
renforcement de cette capacité de programmation stratégique et de pilotage dont la France a
besoin.
Enfin, nous ne pouvons pas suivre la Cour sur son troisième scénario, qui consisterait pour
l’Inserm, parallèlement au développement de cette capacité de programmation, à abandonner
sa mission d’opérateur de recherche. Nous croyons en la valeur ajoutée de l’Inserm dans son
rôle d’opérateur de recherche, ne serait-ce que par son mode de recrutement, fondé sur
l’excellence des chercheurs recrutés, qui contribue au rayonnement de la recherche française
à l’international. D’autre part, le rôle de programmation nationale qu’on souhaite lui confier ne
peut que bénéficier d’une connaissance fine du terrain que lui confère, précisément, son rôle
d’opérateur de recherche et le fait qu’il partage, avec les universités notamment, des unités
de recherche sur tout le territoire.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier président, l’expression de mes respectueuses
salutations.