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Le 8 juillet 2022
Le Premier président
à
Madame Rima Abdul-Malak
Ministre de la culture
Réf. : S2022-1219
Objet
: Établissement public du château de Fontainebleau
En application des dispositions de l’article
L. 111-3 du code des juridictions financières,
la Cour a examiné les comptes et la gestion de
l’Établissement public du
château de
Fontainebleau, pour les exercices 2009 à 2021 et suivants.
Elle a ainsi constaté que l
a création de l’
Établissement public du château de
Fontainebleau en 2009 a permis, sur la base
d’un projet d’établissement qui a porté ses fruits,
d’accomplir d’importants progrès en termes de mise en valeur du domaine et des collections,
d’accroissement de la fréquentation et de rayonnement du château. Dans le même temps
, au
vu de l’état alarmant du domaine et de son bâti, un
ambitieux
programme d’investissement
immobilier financé par l’
État a été
mis en œuvre
.
S’appuyant sur
un schéma directeur qui
prévoyait trois phases de travaux de quatre ans
et mobilisant le concours de l’
Opérateur du
patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC), sa réalisation a été portée à 15 ans
pour prendre en compte la complexité de certaines opérations.
À
l’issue de
son contrôle,
la Cour m’a demandé, en application des dispositions de
l’article R.
143-11 du même code, d'appeler votre attention sur deux points liés à un important
projet de développement concernant le domaine des Héronnières, pour
lequel l’
Établissement
a cherché un partenaire privé. Outre les interrogations qui subsistent quant à la finalisation de
ce projet aux enjeux très importants, les conditions actuelles de son avancement témoignent
d’un défaut d’accompagnement de l’
Établissement public par son ministère de tutelle.
Cour des comptes
Référé n°S2022-1219
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1. UN PROJET IMPARFAITEMENT INSTRUIT
Ensemble immobilier constitué de 11 bâtiments des XVIIIe et XIXe siècles, le quartier
des Héronnières est classé en totalité au titre des monuments historiques depuis 2008. Cette
importante dépendance du château (12 000 m
2
), fortement dégradée, était sans affectation à
la création de l’
Établissement public. Si
l’
Établissement public et le ministère de la culture ont
envisagé dès 2011 sa « valorisation », au sens de la restauration et de la réouverture au public
de certains espaces, les Héronnières
n’ont pour autant pas été
intégrées dans le schéma
directeur des investissements immobiliers, dès lors que
le château n’avait pas besoin de cet
espace pour son développement et que le coût de sa réhabilitation excédait les capacités de
financement sur fonds publics.
Lancé dès 2014, le projet de réhabilitation de cet ensemble
a fait l’objet d’un appel à
idées puis d’un appel à projet qui ont abouti en novembre 2020 à retenir
un consortium
constitué sous forme de SAS (International Art Campus) proposant
, sur la base d’un bail
emphytéotique de 70
ans passé avec l’
Établissement public,
d’implanter et d’exploiter
sur le
site un campus international
d’écoles
d’art
.
L’opération
projetée représente un investissement total
de l’ordre de
113
M€
dont
40
M€ environ pour
la rénovation du quartier des Héronnières et 73,5
M€ pour les
aménagements du Clos des Ébats nord et sud qui le jouxtent, où doit être notamment
construite une résidence étudiante, à la charge du promoteur.
Si l’objectif général de valorisation des bâtiments et du domaine ne peut qu’être
partagé, le projet retenu
souffre d’une instruction insuffisante qui
laisse planer des doutes sur
sa viabilité.
En premier lieu, le fait
d’accueillir à Fontainebleau un campus international d’écoles d’art
est une question dont l’opportunité et la pertinence
n
ont pas été expertisées par le ministère
de la culture, ne serait-
ce qu’au titre de la responsabilité qui l
ui incombe en matière
d’enseignement supérieur artistique
. Au surplus, m
ême s’il s’agit d’un complexe privé, le lien
avec un château-musée de premier plan et les enjeux du projet
en termes d’image et de
réputation auraient subsidiairement justifié
qu’il en
soit ainsi.
L’
intervention du ministère a
surtout porté sur les enjeux patrimoniaux concernant la restauration des bâtiments des
Héronnières et
sur la question de l’évaluation d’une des parcelles
relevant du ministère des
armées ainsi que sur la négociation avec celui-ci en vue de son acquisition.
En second lieu, l’analyse du projet retenu fait apparaître de nombreuses zones d’ombre
qui n’étaient pas levées
en octobre 2021
au moment où l’
Établissement et sa tutelle ont décidé
d’entrer en né
gociation exclusive avec le consortium IAC.
Opacité de l’actionnariat d
e ce
consortium, fragilité du
plan d’affaires
reposant sur des accords avec trois universités dont
deux chinoises, construction prévue à hauteur seulement
d’un millier de chambres étudiantes
alors que le
plan d’affaires
est adossé sur trois mille étudiants permanents, complexité du
mode de financement : ce sont là autant de points que les échanges de la Cour tant avec les
équipes de l'É
tablissement qu’avec
celles du ministère de la c
ulture n’ont pas permis d’éclaircir
suffisamment.
Les investigations menées, dont certaines sont restées sans réponses, ne permettent
pas
d’assurer que l’
Établissement public ait eu une vision claire des modalités détaillées du
projet. Elles font ressortir que les aspects économiques et financiers de celui-ci et les risques
qui leur sont associés ont été
insuffisamment évalués en dépit de l’expertise des assistants à
maîtrise d’ouvrage et
des
conseils dont s’est entouré l’Éta
blissement qui ne dispose pas en
interne des compétences lui permettant de
maîtriser l’ensemble des dimensions d’un tel projet.
Pour autant, il y a lieu de constater que le ministère de la c
ulture n’a pas, de son côté, concouru
à être une force d’expertise
en soutien de la démarche engagée par l’
Établissement.
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Alors que le projet des Héronnières va devoir être repris en profondeur au vu des
évolutions intervenues depuis 2020 et que demeure pendante
la question de l’u
sage futur (y
compris pour des projets de campus ou de formation) de la partie actuellement inoccupée du
quartier Henri IV,
il est essentiel que l’
instruction du projet
soit désormais conduite avec l’appui
d’une expertise confirmée
afin
d’
assurer que les intérêts
de l’
Établissement
et de l’
État seront
préservés. À cet égard,
l’évaluation approfondie réalisée
en 2021 par la direction nationale
d’interventions domaniales
(DNID), pour déterminer la valeur de cession de la parcelle au
promoteur confirme
qu’une expertise spécialisée est indispensable lorsque l’intérêt public est
engagé.
Il convient donc
d’observer
que le ministère de la culture n
e s’est pas mobilisé pour
fournir le dispositif approprié d’expertise
inhérent au
soutien qu’il se doit d’appor
ter à ceux de
ses opérateurs
n’ayant
pas la taille critique pour instruire de façon approfondie des projets
complexes de cette nature.
Dès lors qu’il incite ses
Établissements publics à engager des
opérations de partenariat avec des acteurs privés afin de conforter leur modèle économique,
il devrait se mettre en position de leur apporter son concours en termes d’expertise, lorsque
l’insuffisance de leurs ressources internes
le justifie.
2.
L’INFORMATION
INSUFFISANTE
DU CONSEIL D’ADMINI
STRATION
La création
, par le président de l’
Établissement,
d’un comité de pilotage
qu’il
présidait -
répondait au besoin d’associer les différentes parties prenantes au processus
d’instruction et de décision.
Toutefois,
même s’il comportait nombre de membres du conseil
d’administration
, ce comité ne pouvait se substituer à ce dernier en termes de gouvernance.
Si
le président de l’
Établissement a tenu régulièrement informé le conseil des étapes de la
procédure (appel à idées, appel à projets, discussions entre le ministère de la culture et le
ministère des armées, etc.),
il n’y a
eu
aucun échange d’information, présentation du projet,
réunion ou consultation du conseil en amont ni même en aval de la décision, et aucun dossier
spécifique d’information n’a été transmis au conseil
d’administration
au moment où
il s’est agi
de désigner le projet retenu -
décision sur laquelle cette instance n’a p
as été sollicitée de
délibérer. Les pré-
conseils (c’est
-à-dire les réunions avec la tutelle), en format plus restreints,
n’ont pas non plus été sollicités.
En particulier, alors qu’une a
nnonce officielle a été faite par votre prédécesseure lors
d’une conférence de presse du 9 novembre 2020,
le
choix du lauréat de l’aménagement
des
Héronnières n’
a été
porté à la connaissance du conseil d’administration par le président de
l’
Établissement que postérieurement (lors de la séance du 15 décembre 2020), sans que ce
point ne soit inscrit explicitement à son
ordre du jour ni qu’une présentation détaillée
en soit
faite
, ni même qu’une discussion ait été ouverte pour en débattre
.
Or l’article 14 du
décret du 11 mars 2009
1
créant l’
Établissement indique que le conseil
délibère
notamment
sur :
-
Les concessions, les autorisations d'occupation et d'exploitation du domaine public, les
délégations de service public (…) ;
-
Les catégories de contrats et conventions qui, en raison de leur nature ou du montant
financier engagé, doivent lui être soumis pour approbation et celles dont il délègue la
responsabilité au président ;
-
Les projets d'achats d'immeubles, de prises de bail, de ventes et de baux d'immeubles.
Si la délibération n’est obligatoi
re que pour la finalisation des actes,
il n’en reste pas
moins que, c
ompte tenu de l’importance du projet et d
e ses enjeux à moyen et long terme, la
désignation du lauréat de l’appel à projet et l’entrée en négociation exclusive avec ce dernier
justifiaient de
faire l’objet d’une délibération du
conseil fixant le cadre de la négociation comme
le décret statutaire le permet.
1
Décret n° 2009-279 du 11 mars 2009 créant l'Etablissement public du château de Fontainebleau - Légifrance
(legifrance.gouv.fr)
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Quant au comité de pilotage,
ses séances n’ont pas donné lieu en 2019 et 2020 à la
production de comptes rendus. Seules ont été rédigées des fiches de suivi qui se limitent à
une simple description de l’état d’avancement du projet. En particulier, il n’existe pas de
compte rendu de la réunion d’octobre 2020
au terme de laquelle la décision a été prise de
retenir le
projet d’IAC
.
Se prévaloir d’une obligation de confidentialité concernant la désignation
du candidat pour justifier
l’absence de comptes rendus des réunions d
u comité en 2019 et
2020 ne paraît guère probant au vu de la procédure suivie et des enjeux du projet.
La Cour constate donc que ce projet a largement échappé aux instances de
gouvernance de l’
Établissement public, alors même que son ampleur, sa complexité ainsi que
l
es enjeux financiers, économiques et de réputation qu’il représente pour le domaine
de
Fontainebleau commandaient de les associer à ses développements successifs.
La Cour formule donc la recommandation suivante
à l’attention de l’
Établissement, et
des ministères de la Culture et des Finances :
Recommandation unique :
au regard des évolutions intervenues depuis 2020, procéder à
une expertise approfondie de la viabilité du projet présenté par IAC, impliquant conjointement
les ministères chargés de la culture et des finances.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez
donnée à la présente communication
2
.
Je vous rappelle qu’en applicati
on des dispositions du même code :
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances
et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de
l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de
votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site
internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L.
143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez
à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur
présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour
selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et
votre administration.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici
2
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante
:
greffepresidence@ccomptes.fr
(
cf
. arrêté du 8 septembre 2015 modifié portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).