RAPPORT PUBLIC
ANNUEL
1
ère
partie :
observations des
juridictions financières
TABLE DES MATIÈRES
I
Délibéré…………………………………………………………………………….III
Chapitre I – Politiques publiques……………………………………1
Rapport Réponses
L’Etat actionnaire : apports et limites de l’Agence
des participations de l’Etat……………………..………………
3
37
Le bilan de la gestion des défaisances…………………………
63
92
Le rôle et la stratégie du CNRS………………………………..
113
140
Les universités des villes nouvelles franciliennes :
bilan et perspectives…………………………………………….
155
179
La mise en place du Fonds pour l’insertion des personnes
handicapées dans la fonction publique……………………….
187
200
L'évolution des structures et des services aux demandeurs
d'emploi……………………………………………………………
209
233
Les péages autoroutiers…………………………………………
237
257
La dotation de continuité territoriale aérienne
avec l’outre-mer…………………………………………….……
323
336
Les aides au développement agricole…………………………
347
357
La participation de la France aux corps militaires
européens permanents…………………………………….…….
363
373
Chapitre II – Gestion des services de l’Etat
et des organismes publics……………………………………..……379
Rapport Réponses
La réforme de la gestion des pensions des
fonctionnaires de l’Etat…………………………………………
381
393
La redevance audiovisuelle : réforme et perspectives………
395
411
L’Imprimerie nationale : le coût d’une réforme
mal pilotée………………………………………………………...
417
429
Les conservations des hypothèques……………………………
435
452
La gestion des frais de justice………………………………….
457
473
Les interventions en faveur de l’égalité entre les femmes
et les hommes : le service des droits des femmes
et de l’égalité (SDFE)…………………………………………..
483
492
II
COUR DES COMPTES
Rapport Réponses
La gestion des ressources humaines de l’ANPE……………
501
518
Situation et perspectives de l’institut national de
l’audiovisuel………………………………………………………
521
529
L’établissement public de santé national de Fresnes………
537
544
La gestion des Thermes nationaux d’Aix-les-Bains…………
549
559
Défaillances et insuffisances dans la fonction comptable
des établissements publics locaux d’enseignement (EPLE).
561
572
Chapitre III – Gestion immobilière……………………………….591
Rapport Réponses
La restructuration de l’immeuble des Bons Enfants………..
595
604
La gestion immobilière des ministères sociaux :
la rénovation du site Ségur-Fontenoy…………………………
619
624
Les opérations immobilières Kléber / Convention à Paris…
635
651
L’immeuble abritant le « pôle renseignement »
du ministère de l’intérieur………………………………………
657
665
Le centre des archives diplomatiques du ministère
des affaires étrangères et européennes……….…………
.....
671
676
L’activité des juridictions financières……………………………………
679
Rapports publiés par la Cour des comptes en 2006 et 2007………….
691
Rapports communiqués au Parlement en 2006 et 2007……………….
693
DÉLIBÉRÉ
III
Conformément aux dispositions législatives et réglementaires du
code des juridictions financières, la Cour des comptes, délibérant en
chambre du conseil, a adopté le présent rapport public.
Ce texte a été arrêté au vu des projets qui avaient été communiqués
au préalable aux administrations, collectivités et organismes concernés, et
après qu’il a été tenu compte, quand il y avait lieu, des réponses fournies
par ceux-ci. En application des dispositions précitées, ces réponses sont
publiées ; elles engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.
Les observations les concernant ont également été communiquées
aux personnes morales de droit privé et aux personnes physiques
intéressées ; il a été tenu compte, quand il y avait lieu, de leurs réponses.
Etaient présents : M. Séguin, premier président, MM. Pichon, Picq,
Babusiaux, Mmes Cornette, Ruellan, MM. Hernandez, Descheemaeker,
présidents de chambre, Mme Bazy Malaurie, président de chambre,
rapporteur
général,
MM.
Delafosse,
Cieutat,
Carrez,
Fragonard,
présidents de chambre maintenus en activité, MM. Chartier, Billaud,
de Mourgues, Mayaud, Houri, Richard, Devaux, Arnaud, Bayle, Bouquet,
Adhémar, Rémond, Gillette, Duret, Ganser, Martin (Xavier-Henri),
Bertrand, Monier, Thérond, Mme Froment-Meurice, MM. Cazanave,
Ritz, Frèches, Mme Levy-Rosenwald, MM. Pannier, Moulin, Lebuy,
Lefas, Durrleman, Gauron, Alventosa, Lafaure, Andréani, Mmes Morell,
Fradin, MM. Braunstein, Brochier, Delin, Mmes Saliou (Françoise),
Dayries, MM. Levy, Bernicot, Deconfin, Phéline, Bertucci, Tournier,
Mmes Darragon, Colomé, MM. Bonin, Vivet, Mme Moati, MM. Mollard,
Cossin, Lefebvre, Couty, Mme Aubin-Saulière, MM. Sabbe, Pétel,
Maistre, Martin (Christian), Valdiguié, Ténier, Lair, Hayez, Corbin,
Ravier, Rabaté, Doyelle, Korb, Mme Dos Reis, M. de Gaulle,
Mme Saliou (Monique), M. Guibert, Mme Carrère-Gée, MM. Uguen,
Zérah, Salsmann, Guédon, Mme Gadriot-Renard, M. Martin (Claude),
conseillers maîtres, MM. Pascal, Gleizes, Lemasson, Schaefer, Zeller,
d’Aboville, Limodin, André, Cadet, conseillers maîtres en service
extraordinaire.
Etait présent et a participé aux débat : M. Bénard, procureur
général de la République.
IV
COUR DES COMPTES
N’ont pas pris part aux délibérations :
M. Frèches, conseiller maître, en ce qui concerne l’insertion « L’Etat
actionnaire : apports et limites de l’Agence des participations de l’Etat » ;
M. Lemasson, conseiller maître en service extraordinaire, en ce qui
concerne l’insertion « Le bilan de la gestion des défaisance » ;
M.
Couty,
conseiller
maître,
en
ce
qui
concerne
l’insertion
« L’établissement public de santé national de Fresnes » et l’insertion
« La gestion des Thermes nationaux d’Aix-les-Bains » ;
M. Billaud, conseiller maître, en ce qui concerne l’insertion « L’Opéra
national de Paris ».
***
Mme Mayenobe, Secrétaire général, assurait le secrétariat de la
Chambre du conseil.
Fait à la Cour, le 23 janvier 2008
COUR DES COMPTES
V
Chacune des vingt-six insertions publiées dans ce fascicule ont
préalablement été délibérées par une des sept chambres de la Cour des
comptes ou par une chambre régionale ou territoriale des comptes, puis
arrêtée par le Comité du rapport public et des programmes présidé par
M. Philippe Séguin, premier président, avant d’être communiquée, en
intégralité ou par extraits, aux administrations et organismes concernés
afin de recueillir leurs éventuelles observations.
Le tableau suivant mentionne les rapporteurs ayant effectué les
contrôles dont les insertions publiées dans le rapport annuel de la Cour
constituent la synthèse :
L’Etat actionnaire : apports et limites de l’Agence
des participations de l’Etat
M. Bertrand, conseiller maître
Mme Bouzanne des Mazery, conseiller référendaire
Le bilan de la gestion des défaisances
M. Lefas, conseiller maître
Mme Saliou (Monique), conseiller maître
M. Bichot, conseiller référendaire
Le rôle et la stratégie du CNRS
Mme Froment-Meurice, conseiller maître
M. Groper, conseiller référendaire
Mme Charolles, rapporteur
Les universités des villes nouvelles franciliennes :
bilan et perspectives
Mme Froment-Meurice, conseiller maître
M. Pétel, conseiller maître
M. Korb, conseiller maître
M. Zeller, conseiller maître en service extraordinaire
M. Barichard, conseiller référendaire
M de Nicolaÿ, conseiller référendaire
M. Hacquin, rapporteur
La mise en place du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées
dans la fonction publique
M. Bayle, conseiller maître
M. Urgin, conseiller référendaire
VI
COUR DES COMPTES
L'évolution des structures et des services aux demandeurs d'emploi
M. Durrleman, conseiller maître
M. Baccou, conseiller référendaire
M. Guédon, conseiller maître
Les péages autoroutiers
M. Lévy, conseiller maître
M. Le Roux, rapporteur
La dotation de continuité territoriale aérienne avec l’outre-mer
M. Pallot, conseiller maître
Mme Prieur, rapporteur
Les aides au développement agricole
M. Berthet, conseiller maître
M. Écalle, conseiller référendaire
La participation de la France aux corps militaires
européens permanents
M. Bouquet, conseiller maître
M. d’Albis, conseiller maître en service extraordinaire
La réforme de la gestion des pensions des fonctionnaires de l’Etat
M. Bertrand, conseiller maître
M. Bigand, rapporteur
La redevance audiovisuelle : réforme et perspectives
M. Bertrand, conseiller maître
M. Andréani, conseiller maître
M. Vareille, rapporteur
L’Imprimerie nationale : le coût d’une réforme mal pilotée
M. Duret, conseiller maître
M. Malhomme, rapporteur
Les conservations des hypothèques
M. Bertrand, conseiller maître
M. Brouder, conseiller référendaire
COUR DES COMPTES
VII
La gestion des frais de justice
M. Moreau, conseiller maître
M. Gourdin, auditeur
Les interventions en faveur de l’égalité entre les femmes et les
hommes : le service des droits des femmes et de l’égalité (SDFE).
M. Bayle, conseiller maître
M. Machard, conseiller référendaire
La gestion des ressources humaines de l’ANPE
Mme Dayries, conseiller maître
Mme Pailot-Bonnetat, conseiller référendaire
Mme Chapuis-Nenny, rapporteur
Situation et perspectives de l’institut national de l’audiovisuel
M. Sabbe, conseiller maître
M. Rousselot, conseiller référendaire
L’établissement public de santé national de Fresnes (EPSNF)
Mme Casas, conseiller référendaire
Mme Cordier, conseiller référendaire
La gestion des Thermes nationaux d’Aix-les-Bains
M. Cardon, conseiller maître
M. Cultiaux, conseiller maître en service extraordinaire
Défaillances et insuffisances dans la fonction comptable
des établissements publics locaux d’enseignement (EPLE)
M. Bertucci, conseiller maître, Président de la chambre
régionale des comptes d’Ile-de-France
M. Mourier des Gayets, conseiller référendaire,
Vice-président de la chambre régionale des comptes
d’Ile-de-France
M. Burckel, Président de section auprès de la chambre
régionale des comptes d’Ile-de-France
La restructuration de l’immeuble des Bons Enfants
M. Sabbe, conseiller maître
M. Giannésini, conseiller référendaire
Mme Wirgin, auditrice
VIII
COUR DES COMPTES
La gestion immobilière des ministères sociaux :
la rénovation du site Ségur-Fontenoy
M. Mollard, conseiller maître
Les opérations immobilières Kléber / Convention à Paris
M. Bertrand, conseiller maître
M. Maistre, conseiller maître
M. Lion, conseiller référendaire
L’immeuble abritant le « pôle renseignement »
du ministère de l’intérieur
M. Ganser, conseiller maître
M. Cazanave, conseiller maître
Le centre des archives diplomatiques du ministère
des affaires étrangères et européennes
M. Maistre, conseiller maître
M. Briand, rapporteur
Chapitre I
Politiques publiques
L’Etat actionnaire : apports et limites
de l’Agence des participations de l’Etat
_____________________
PRESENTATION
____________________
La Cour s’est attachée à dresser un premier bilan de la réforme de
l’Etat actionnaire, dont la création, en 2004, de l’Agence des
participations de l’Etat (APE) a été la pièce maîtresse.
Distingué de l’« Etat régulateur » (des marchés, en particulier) ou
de l’« Etat acheteur » (surtout quand il est un client dominant, comme
pour les matériels de défense), l’« Etat actionnaire » est l’expression
d’un choix politique, visant, dans un souci d’amélioration de l’efficacité
de l’Etat, à mieux reconnaître et à professionnaliser l’exercice de sa
fonction d’actionnaire à l’égard des entreprises qu’il contrôle ou dont il
détient une participation.
Des
enquêtes
conduites
par
la
Cour
sur
l’Agence
des
participations de l’Etat, mais aussi sur les entreprises publiques, il
ressort que, malgré
les privatisations successives, l’Etat reste un
actionnaire fondamentalement atypique, par le nombre et le poids de ses
participations, mais surtout par la multitude des intérêts, souvent
contradictoires, qu’il est amené à prendre en compte. Dans son
organisation et ses processus de réflexion stratégique, de préparation des
décisions et d’arbitrage, il peine à maîtriser les contradictions qui
l’enserrent.
Tout comme a été bienvenue, antérieurement, la dissociation des
fonctions de régulation des marchés au sein des administrations centrales
ou par l’institution d’autorités indépendantes (le Conseil de la
concurrence, l’Autorité de régulation des communications électriques et
des postes, la Commission de régulation de l’énergie,
etc.), la réforme de
2004 a constitué un progrès, en facilitant, par la création de l’Agence des
participations de l’Etat, l’identification et la prise en charge de la
dimension patrimoniale du rôle d’actionnaire revenant à l’Etat.
4
COUR DES COMPTES
Pour autant, la stratégie, avant tout financière, suivie par l’Agence
n’a guère été transparente, ni suffisamment justifiée, notamment auprès
du Parlement. En réalité, elle a été essentiellement axée sur le
désengagement et les cessions. Malgré un indéniable savoir-faire, ses
performances patrimoniales n’ont pas toujours été convaincantes.
Par ailleurs, dans ses positions d’actionnaire, l’Etat ne peut s’en
tenir à des considérations strictement patrimoniales. Il lui faut aussi, à
des degrés divers selon les secteurs de l’économie, englober d’autres
considérations stratégiques, participant notamment des politiques de
défense ou industrielles et plus généralement de la valorisation d’intérêts
nationaux ou européens. Or, volontairement centrée sur la défense des
intérêts patrimoniaux, l’Agence ne joue pas ce rôle de synthèse. Pour
cette raison aussi, de nouvelles évolutions de la gouvernance de l’Etat
actionnaire paraissent nécessaires.
I
-
Un actionnaire atypique
Après plusieurs vagues de privatisations, l’Etat conserve, en tant
qu’actionnaire, des spécificités irréductibles. Sa place dans l’économie,
ses motivations particulières et ses mécanismes décisionnels font de lui
un acteur à part du secteur productif national.
A - Des enjeux financiers toujours considérables
Au 31 décembre 2006, d’après le répertoire établi par l’INSEE
1
,
l’Etat contrôlait directement 90 entreprises et 755 indirectement. Les
90 entreprises publiques de premier rang représentaient 3,7 % de l’emploi
salarié.
Pour sa part, l’Agence des participations de l’Etat suivait, en 2007,
53 participations, dont certaines minoritaires, dans des entreprises du
secteur productif. Son périmètre ne coïncide donc pas totalement avec le
répertoire établi par l’INSEE. A la différence de celui-ci, il exclut les
entités considérées comme des « opérateurs des politiques de l’Etat »
(telle la Caisse centrale de réassurance), ainsi que la Banque de France
et
la Caisse des dépôts et consignations
2
. Quelques entreprises, telles que
1) Répertoire RECME, établi annuellement.
2) Le rapport sur
«L’Etat actionnaire » publié par l’Agence des participations de
l’Etat explique cette exclusion de la Caisse des dépôts et consignations par les
« spécificités de ses missions publiques (épargne réglementée, financement du
logement social) qui la placent, aux termes de ses statuts, sous la surveillance du
Parlement ».
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
5
Météo France, ne sont pas non plus aujourd’hui dans le périmètre de
l’Agence. Dans le domaine industriel, l’Agence n’a pas compétence sur le
Commissariat à l’énergie atomique (CEA), alors qu’elle suit sa filiale
AREVA. Ces cas mis à part, le portefeuille de l’Agence se confond très
largement avec celui de l’Etat actionnaire.
Ce portefeuille a connu au cours des dernières années une double
évolution : les cessions se sont poursuivies ; pour autant, sa valeur
boursière a considérablement augmenté.
1 -
La poursuite des transferts au secteur privé
Privatisations : rappel historique
Après les nationalisations des années
1981 et 1982, venues accroître
le secteur public productif constitué avant et surtout après la seconde guerre
mondiale, l’alternance politique de 1986 s’est traduite par une vague de
privatisations qui devait permettre aux entreprises de s’adapter de façon plus
réactive à leur environnement concurrentiel.
La règle du « ni-ni » (i.e. : ni privatisation, ni nationalisation) en
vigueur au cours de la période 1988-1993 n’interdira pas aux entreprises
publiques en mal de financement d’ouvrir leur capital à des actionnaires
privés minoritaires (opérations dites de « respiration », ayant entraîné une
privatisation partielle du Crédit local de France, d’Elf Aquitaine, de Total et
de Rhône Poulenc).
La deuxième vague de privatisations trouve son fondement juridique
dans la loi du 19 juillet 1993
3
, qui a concerné 21 entreprises du secteur
concurrentiel. Ont été transférées au secteur privé, en plus des entreprises qui
avaient fait l’objet d’une ouverture minoritaire au cours de la période
précédente, la BNP (octobre 1993), Bull (avril 1995) et les AGF (mai 1996).
Durant la période 1997-2002, ont également été privatisées, les
entreprises inscrites sur la liste annexée à la loi de juillet 1993 qui n’avaient
pas encore fait l’objet d’un transfert au secteur privé : GAN, CIC, Crédit
Lyonnais, Thomson CSF et Thomson Multimédia, ainsi que l’Aérospatiale.
En 2002, seules quatre entreprises figurant
sur la liste annexée à la
loi de privatisation du 19 juillet 1993 n’avaient pas encore fait l’objet
d’un transfert au secteur privé : Air France, Caisse centrale de
réassurance, CNP Assurances et SNECMA.
3) Loi n° 93-923 de privatisation.
6
COUR DES COMPTES
La poursuite des cessions d’actifs, une fois épuisée la liste de
1993
4
, s’est effectuée par la mise sur le marché d’une fraction ou de la
totalité du capital d’anciens monopoles publics, nationaux (EDF, Gaz de
France, France Télécom) ou territoriaux (sociétés d’autoroutes)
5
.
Les cessions de filiales ou de participations par les entreprises
publiques de premier rang ont également contribué à réduire le périmètre
du secteur public productif : 51 opérations dites de « respiration » ont été
réalisées de fin 2003 à fin 2006 (par exemple, en novembre 2005, la
cession du pôle connectique d’AREVA).
2 -
Une forte valorisation boursière des participations cotées
La valorisation des participations cotées détenues par l’Etat est
passée de 17,2 Md€ en septembre 2002 à 191,9 Md€ fin décembre 2007.
Cette évolution s’explique par les modifications de périmètre intervenues
au cours des quatre dernières années, consécutives aux ouvertures de
capital sous forme d’introductions en Bourse, et par le contexte de forte
croissance des marchés boursiers.
4) En dehors de la Caisse centrale de réassurance, dont le capital demeure entièrement
public.
5) Il s’agit des trois groupes de sociétés d’économie mixte concessionnaires
d’autoroutes (SEMCA) contrôlées par l’Etat et son établissement public Autoroutes
de France : Autoroutes du sud de la France (ASF), Autoroutes Paris-Rhin-Rhône
(APRR) et Société des Autoroutes du Nord et de l’Est de la France (SANEF).
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
7
Tableau n° 1 : Les principales participations cotées de l’Etat
30/09/02
31/12/07
Bilan de
l’Etat au
01/01/
2006
Bilan de
l’Etat au
31/12/
2006
%
détention
publique
M€
valeur
boursière
%
détention
publique
M€
valeur
boursière
M€
valeur
comptable
M€
Valeur
comptable
Air France/Air
France-KLM
54 %
873
17 %
1 203
925
925
EADS
15 %
1 319
15 %
2 679
2
2
France Télécom
56 %
4 662
27 %
17 597
4 496
4 496
Thalès (ex TCSF)
33 %
1 481
27 %
2 190
0,07
0,07
Renault
26 %
3 218
15 %
4 148
314
307
CNP
1 %
54
1 %
144
95
95
ASF
50 %
3 142
1 517
0
TMM
21 %
936
Crédit Lyonnais
11 %
1 260
Dassault-Systèmes
16 %
278
Bull
16 %
11
ADP
68 %
4 737
2 031
1 610
EDF
85 %
125 975
17 096
20 355
Gaz de France
80 %
31 398
11 630
12 402
Safran
30 %
1 780
26
26
Portefeuille total
17 236
191 903
38 132
40 218
Total du compte
« participations
financières »
(compte 26) dans le
bilan de l’Etat
143 580
153 821
Sources : tableau établi par la Cour des comptes à partir d’informations
fournies par l’Agence des participations de l’Etat (valeurs boursières) ou
tirées des comptes de l’Etat (valeurs comptables)
8
COUR DES COMPTES
Ainsi, les entreprises introduites en Bourse au cours de cette
période, qui ne figuraient donc pas dans le portefeuille des participations
cotées de l’Etat en 2002, représentent aujourd’hui 85 % de ce portefeuille,
dont 82 % pour EDF et Gaz de France.
Inversement, dans le même temps, les privatisations ont entraîné
une sortie du portefeuille de sociétés (par exemple, les sociétés
d’autoroutes) qui y avaient été intégrées lors de leur entrée en Bourse, et,
par ailleurs, l’Etat a cédé une partie des participations minoritaires qu’il
détenait en 2002.
Très concentré sur le secteur de l’énergie, le portefeuille de
participations publiques cotées a vu sa valeur progresser de 60 % de fin
août 2006 au 31 décembre 2007. Le 31 décembre 2007, il représentait
13,5 % de la valorisation boursière du CAC 40, dont 2,4 % hors EDF et
Gaz de France.
Le positionnement de l’Etat actionnaire sur la place financière de
Paris ne peut cependant
être apprécié à partir de ce seul critère de la
valorisation boursière : en effet, l’Etat n’appartient pas à la catégorie des
investisseurs actifs de la place, notamment parce qu’il s’interdit, sauf
exception, toute nouvelle prise de participation.
3 -
Des écarts importants entre valeurs comptables et de marché
Dans le compte général de l’Etat - l’équivalent des comptes
sociaux pour une entreprise -, les participations financières sont
comptabilisées en valeur d’équivalence (quote-part des capitaux propres)
pour les entreprises qu’il contrôle et à leur coût historique (valeur
d’acquisition) pour les entreprises non contrôlées. Les participations
cotées y figuraient pour un montant de 40,2 Md€ au bilan au 31 décembre
2006. Ce montant était dans un rapport de 1 à 3,7 avec la valeur boursière
du portefeuille (150 Md€), rapport plus important que celui constaté à la
même époque pour l’ensemble des sociétés du CAC 40
6
.
6) D’après une étude réalisée par le cabinet Ricol, Lasteyrie & associés sur les
comptes 2006 des entreprises du CAC 40, la valeur boursière de ces entreprises
représentait 2,6 leur valeur comptable (capitaux propres).
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
9
Comptabilisation des avoirs de l’Etat actionnaire dans le bilan de
l’Etat
Les participations de l’Etat actionnaire sont comptabilisées à l’actif
du bilan de l’Etat (compte 26 « participations financières »).
Dans le bilan d’ouverture 2006, la valeur comptable des
participations de l’Etat dans des sociétés cotées s’élevait à 38,1 Md€.
La valeur comptable de l’ensemble des participations suivies par
l’Agence des participations de l’Etat était inférieure de 2 Md€ à celle des
seules sociétés cotées comprises dans ce portefeuille, en raison de
l’existence d’entités fortement endettées, aux fonds propres négatifs
(EPFR, RFF).
Si l’on fait abstraction de ces entités à fonds propres
négatifs, la valeur comptable du portefeuille suivi par l’Agence des
participations de l’Etat atteignait 57 Md€, soit 40% du montant total du
compte 26, qui regroupe l’ensemble des participations financières de
l’Etat.
Les écarts entre valeurs comptables et valeurs de marché sont
inévitables, y compris lorsque les comptes sont tenus selon les normes
comptables internationales IAS/IFRS, qui font une large place à la
comptabilisation en valeur de marché. Pour l’Etat, plus encore que pour un
actionnaire privé, la plus-value latente que laissent supposer ces écarts doit
être considérée avec prudence : certaines participations publiques cotées
seraient difficilement négociables à un prix proche de leur cours de Bourse
en cas de désengagement, du moins massif, de leur actionnaire public de
référence. Compte tenu des montants en cause, certaine des cessions sont,
de plus, fortement dépendantes de la capacité d’absorption des marchés.
4 -
Des chantiers comptables à fort enjeu
L’Etat ne tenant pas encore de comptes consolidés, il a décidé de
synthétiser
la
situation
financière
de
ses
participations
les
plus
significatives en produisant des « comptes combinés », technique plus
souple qui permet de donner une vision comptable globalisée des sociétés
du groupe, sans les relier aux comptes de l’entité mère. Au 31 décembre
2006, ces comptes combinés faisaient ressortir un montant de capitaux
propres de 55 Md€, pour un total de bilan de 504 Md€.
La production de comptes combinés a constitué un chantier de
grande ampleur pour l’Agence des participations de l’Etat, rendu plus
complexe par le passage progressif des entités du « groupe » aux normes
IFRS. Assistée par un groupe d’experts extérieurs, l’Agence s’est imposée,
dans ce processus, des exigences proches de celles d’une véritable
consolidation. Pour s’en rapprocher, des progrès doivent cependant encore
être accomplis dans la neutralisation des opérations entre les entreprises du
10
COUR DES COMPTES
« groupe ». Alors que les relations clients/fournisseurs sont nombreuses
entre les entreprises concernées, la neutralisation des écritures comptables
correspondantes n’est aujourd’hui que très partiellement réalisée.
L’étape suivante devrait être l’établissement de comptes consolidés
de l’Etat, permettant de faire remonter dans ses états financiers les comptes
des participations financières et des entités du secteur marchand qu’il
contrôle. Appelée de ses voeux par la Cour, notamment dans ses rapports
sur les comptes de l’Etat de 2004 et de 2005, la production de comptes
consolidés est, pour l’Etat, comme pour les entreprises, un outil
indispensable à une bonne vision du patrimoine, à l’efficacité de sa gestion
et à l’appréciation de ses performances.
B - Des préoccupations plurielles
1 -
Des motivations plus larges que celles d’un investisseur privé
Aussi bien après guerre qu’au début des années 1980, ce n’est pas
pour des raisons patrimoniales que l’Etat a fait le choix de nationaliser puis
de garder le contrôle d’entreprises du secteur productif, mais pour d’autres
motifs : contrôle direct des entreprises chargées d’une mission de service
public (transports ferroviaires, énergie), contrôle de ses principaux
fournisseurs (armement), maîtrise des agissements des entreprises en
situation monopolistique, conduite d’une politique industrielle volontariste,
etc.
Dans le mouvement inverse de privatisations, et plus généralement
de cessions, intervenu depuis, les considérations patrimoniales, notamment
les objectifs de rentabilité mais aussi l’impératif de désendettement de
l’Etat, ont été plus présentes. Toutefois, d’autres arguments, tels que la
libéralisation de l’économie, l’ouverture de nouveaux secteurs à la
concurrence ou les inconvénients attribués à la gestion publique, ont
compté au moins autant.
Aujourd’hui, après plusieurs vagues de privatisation, les objectifs
stratégiques extrapatrimoniaux continuent de jouer un rôle majeur dans la
politique de l’Etat actionnaire : les impératifs liés à la défense nationale,
les enjeux de politique industrielle, globale ou sectorielle, ou d’autres
considérations stratégiques conduisent à rechercher le renforcement des
industriels français dans une perspective européenne, par exemple pour
Thalès ou EADS, à promouvoir la plate-forme aéroportuaire francilienne
pour ADP, à veiller à l’indépendance énergétique pour EDF et AREVA, à
constituer un grand acteur de l’énergie au plan européen et mondial pour
Gaz de France/Suez, etc.
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
11
2 -
Une réévaluation du rôle d’actionnaire et de la dimension
patrimoniale
Après que les années 1990 eurent été marquées par l’effondrement
du Crédit Lyonnais et la crise du secteur financier public
7
, la prise de
conscience, en 2002, de la situation financière très dégradée de France
Télécom et des risques pris par EDF dans ses investissements
internationaux
8
a provoqué un nouveau débat, mettant en cause la gestion
par l’Etat de ses participations. Les commissions Douste-Blazy et Barbier
de la Serre
9
ont été mandatées pour approfondir l’analyse et en tirer des
enseignements et propositions d’action.
La réorganisation de la fonction actionnariale au sein de la sphère
publique est résultée de ces travaux : le service des participations de la
direction du Trésor, chargé jusqu’alors de la gestion des actifs de l’Etat
dans les entreprises publiques, a été remplacé par l’Agence des
participations de l’Etat. Selon son décret constitutif de septembre 2004
10
,
ce service à compétence nationale rattaché à la direction du Trésor doit
exercer la mission d’Etat d’actionnaire « en veillant aux intérêts
patrimoniaux de l’Etat ».
Le renforcement du rôle d’actionnaire a ainsi été associé, en
2004, à une volonté de valorisation du patrimoine public, certes
présente auparavant, mais, en général, en tant qu’objectif de second
rang, du reste souvent confusément imbriqué avec d’autres.
Cette préoccupation de mieux identifier la fonction actionnariale
au sein de la sphère publique n’est pas propre à la France. Elle est au
centre des « lignes directrices sur la gouvernance des entreprises
publiques » élaborées en 2005 par le groupe de travail de l’OCDE sur la
privatisation et la gestion des actifs appartenant à l’Etat.
7) Voir le rapport public particulier de la Cour de novembre 2000 « L’intervention de
l’Etat dans la crise du secteur financier ».
8) Voir le rapport public annuel de la Cour de février 2007 (deuxième partie,
page 33
à 51).
9) La commission d’enquête de l’Assemblée nationale, présidée par M. Philippe
Douste-Blazy, sur la gestion des entreprises publiques a rendu ses conclusions en
juillet 2003. Le groupe de travail présidé par M. René Barbier de la Serre
a remis son
rapport en mars 2003 au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
10) Décret n° 2004-963 du 9 septembre 2004 portant création du service à
compétence nationale Agence des participations de l’Etat.
12
COUR DES COMPTES
C - Des arbitrages nécessairement politiques
Volontiers présentée comme technique par essence, la gestion des
participations de l’Etat revêt, en réalité, une forte dimension politique.
Du moins pendant longtemps, les enjeux strictement patrimoniaux
n’en ont pas été, de façon générale, le moteur principal. L’unique cas dans
lequel les considérations patrimoniales dominent systématiquement est
celui des petites participations minoritaires, qui représentent désormais
moins de 1% du portefeuille des participations cotées de l’Etat.
L’orientation retenue depuis plusieurs années est celle d’un désengagement
progressif, décidé en fonction des opportunités offertes par les marchés.
Pour les autres participations, c’est surtout parce que les grandes
décisions de gestion nécessitent un arbitrage entre éléments patrimoniaux
et autres considérations stratégiques qu’elles font nécessairement intervenir
l’échelon politique. L’administration n’en joue pas moins un rôle d’autant
plus essentiel pour la préparation et la mise en oeuvre des décisions que
leur contexte technique, économique et financier est complexe et requiert
un grand professionnalisme.
Si la réforme de 2004 concernant l’Etat actionnaire y a assurément
contribué, et si, de son côté, le gonflement de l’endettement public a
suscité une prise de conscience propice, la problématique patrimoniale doit
sans doute autant à la loi organique sur les lois de finances (LOLF), et au-
delà à la réforme budgétaire, comptable et financière de l’Etat, le surcroît
d’intérêt politique qui l’entoure depuis quelques années.
II
-
La prise en compte des intérêts patrimoniaux
A - Un professionnalisme renforcé
Le statut de service à compétence nationale attribué à l’Agence des
participations de l’Etat devait lui donner une autonomie, fonctionnelle et
opérationnelle, que n’avait pas l’ancien service des participations de la
direction du Trésor, ainsi que lui faciliter le recrutement, notamment à
l’extérieur de l’administration, de compétences spécialisées.
Dotée d’une cinquantaine d’agents en septembre 2007, c'est-à-dire
pratiquement revenue au même effectif que l’ancien service des
participations, l’Agence est cependant mieux structurée, avec deux bureaux
sectoriels supplémentaires et trois pôles d’expertise juridique, d’audit et de
comptabilité et opérations financières. L’encadrement, l’expertise et le
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
13
soutien logistique
11
ont été renforcés. Le budget de fonctionnement est
relativement modeste.
Quoique les effectifs aient diminué au cours de la période récente,
ces forces semblent aujourd’hui, dans l’ensemble, adaptées aux missions
de l’Agence, dont les dernières privatisations ont d’ailleurs contracté le
champ de compétence. Cependant, les agents extérieurs à la fonction
publique y sont peu nombreux, contrairement à la volonté initiale d’appel
accru à des compétences spécialisées et donc d’ouverture aux experts du
secteur privé. La rotation excessivement rapide des personnels reste par
ailleurs un handicap chronique.
Le rattachement de l’Agence à la direction du Trésor, devenue, en
novembre 2004, la direction générale du Trésor et de la politique
économique (DGTPE), apparaît essentiellement organique. Etroites, les
relations de l’Agence avec le ministre et son cabinet sont directes.
Paradoxalement, alors que la situation actuelle devrait favoriser les
synergies avec les autres composantes de la direction générale, ce n’est
guère le cas avec la sous-direction compétente pour la Caisse des dépôts et
consignations. Par ailleurs, si une plus grande fluidité de la gestion des
carrières au sein de la direction générale est censée en être un autre
avantage, la nécessaire mise en cohérence de la politique de l’Etat
actionnaire avec les autres volets de la politique économique et financière
de l’Etat déborde largement le champ de compétence de la seule direction
générale du Trésor et de la politique économique.
En tout état de cause, si l’autonomie de l’Agence est réelle au sein
de la direction générale, le terme d’« agence » doit s’entendre ici, de même
que pour l’Agence France Trésor (AFT), autre composante de la direction
générale du Trésor et de la politique économique, comme un mode
d’organisation
hiérarchique
assoupli
des
administrations
centrales
classiques, et aucunement comme une déconcentration sous forme
d’établissement public autonome ou encore moins comme une formule
d’agence à la façon anglo-saxonne : l’Agence des participations de l’Etat
est un service d’administration centrale relevant directement du ministre et
entretenant des relations constantes de proximité avec son cabinet.
Par
rapport
au
service
des
participations,
le
changement
d’organisation n’est donc pas fondamental. En revanche, la plus grande
professionnalisation, notamment financière, de l’exercice de la fonction
d’Etat actionnaire est un apport positif de la réforme.
11) Création d’un poste de directeur adjoint, d’un troisième poste de sous-directeur et
d’un poste de secrétaire général. Au plus haut, les effectifs représentaient une
augmentation d’un tiers par rapport à ceux de l’ancien service.
14
COUR DES COMPTES
B - Une bonne maîtrise des opérations en capital
L’Agence des participations de l’Etat suit attentivement les
résultats et le bilan des entreprises dont l’Etat est actionnaire, et donc les
grandes
options d’arrêté
des
comptes
des entreprises publiques
(implications
du
passage
aux
normes
IFRS,
provisions
pour
démantèlement dans le domaine nucléaire, etc.). La production des
comptes combinés de l’Etat actionnaire mobilise également une part
significative de ses forces.
Elle veille tout particulièrement aux opérations de croissance
externe, notamment internationales, à l’origine des déboires enregistrés
par les grands opérateurs français en 2002 et 2003. Les opérations de
cession sont également regardées de près, en encourageant les entreprises
les plus fragiles à se défaire de leurs actifs non stratégiques.
Une part essentielle de l’activité de l’Agence est consacrée aux
opérations portant sur le capital des entreprises publiques. Considérant
qu’il n’est pas de son ressort de se prononcer sur l’opportunité des
cessions, elle se positionne comme une technicienne des opérations en
capital. En la matière,
son expertise est assez largement reconnue. Sa
notoriété auprès des acteurs de marché a été renforcée par des opérations
remarquables par leur ampleur (notamment l’introduction en Bourse
d’EDF en novembre 2005, pour un montant de 6,4 Md€), leur rapidité
pour les placements accélérés auprès d’institutionnels, et l’absence de
décalage significatif avec le cours de marché antérieur.
En revanche, elle intervient peu sur les projets qui ne s’apparentent
pas à de la croissance externe (grands contrats à l’exportation par
exemple), mais pourtant susceptibles d’exposer l’entreprise à des risques
financiers majeurs. Le contrôle des cessions et des acquisitions des
filiales des entreprises publiques est par ailleurs limité.
La relative passivité de l’Agence (souvent aussi des ministères
exerçant la tutelle technique) dans les conflits qui opposent entre elles
certaines entreprises publiques des secteurs de l’énergie ou des transports
peut laisser perdurer des situations préjudiciables pour les intérêts de
l’Etat. Quoique l’agence assume sa neutralité, en la justifiant par son
refus d’interférer dans des relations de type client-fournisseur, il faut
surtout y voir le témoignage des difficultés de l’Etat actionnaire à arbitrer
entre ses participations.
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
15
C - Des règles communautaires mieux intégrées
Le pôle juridique de l’Agence consacre beaucoup de son temps à la
préparation des notifications aux autorités de Bruxelles des mesures de
soutien susceptibles de constituer une aide d’Etat au sens de l’article 87
du traité instituant la Communauté européenne, ainsi qu’à la gestion des
contentieux communautaires.
De façon générale, la capacité d’anticipation et d’action en amont
auprès des services de la Commission européenne pour les dossiers les
plus sensibles a été notablement améliorée, pour une bonne part grâce à
l’Agence. Ces efforts ne sont pas vains : alors que la ligne de crédit,
pourtant restée virtuelle, accordée à France-Télécom en 2002 avait été
qualifiée par la Commission « d’aide d’Etat incompatible avec le marché
commun », l’Etat a pu devenir actionnaire du groupe ALSTOM, en juillet
2004, avec l’accord des autorités bruxelloises.
Ces
dossiers
communautaires
sont
eux-mêmes
générateurs
d’opérations en capital. Les contreparties exigées par la Commission en
cas d’aide déclarée compatible avec le marché commun comprennent, en
effet, presque systématiquement des cessions d’actifs, qui concourent
aussi à la réduction du périmètre du secteur public. La cession peut
également venir clore un processus d’aide à la restructuration qui n’a pas
débouché sur les résultats escomptés : ainsi, une décision du
20 octobre
2004 de la Commission a contraint la SNCF à engager un processus de
cession en bloc des actifs de SERNAM SA avant le 31 janvier 2005.
Au demeurant, les exigences de la Commission ont sensiblement
accéléré les transformations statutaires du secteur public productif et
l’ouverture des marchés à la concurrence, par exemple avec la
transformation d’EDF en société anonyme ou l’accélération du calendrier
d’ouverture du marché du fret ferroviaire à la concurrence. Elles ont eu
souvent un effet plus structurant que les décisions de l’Etat actionnaire.
D - Une gouvernance améliorée des entreprises
publiques
Depuis sa mise en place, l’Agence des participations de l’Etat a
incité, avec succès, à la transposition aux entreprises publiques des
meilleures pratiques de gouvernance du secteur privé. Positif pour la
bonne gestion du secteur public, ce mouvement a également favorisé
l’insertion
du
secteur
public
productif
dans
l’environnement
concurrentiel.
16
COUR DES COMPTES
La systématisation, en cours, des comités spécialisés au sein des
conseils d’administration est une première nécessité.
L’Agence
a
ainsi
oeuvré
à
la
quasi-généralisation
12
et
au
fonctionnement effectif des comités d’audit, y compris dans des secteurs,
comme l’audiovisuel, où ils étaient totalement absents. Radio France est
désormais doté d’un comité d’audit, tandis que celui de France Télévisions
s’est saisi des difficultés posées par les contrats d’échanges de France
Télévisions Publicité
13
.
Si, contrairement à ce qui se devrait également, les comités de
stratégie ne sont pas généralisés, les grandes entreprises qui en étaient
dépourvues en 2003 ont, pour la plupart, comblé cette lacune : la SNCF et
la Poste ont instauré de tels comités, et RFF, d’abord doté d’un comité
d’investissement, dispose aujourd’hui d’un comité stratégique. Si celui de
France Télévisions a été mis en place en juillet 2006, les autres entreprises
du secteur audiovisuel en sont, toutefois, encore dépourvues.
En revanche, la généralisation, non moins souhaitable, des comités
de rémunération n’est pas réellement engagée. De même, continue de faire
défaut un encadrement des conditions de rémunération des dirigeants (y
compris les rémunérations annexes, telles que les indemnités de départ et
les stock-options) des entreprises dont l’Etat est actionnaire de référence.
Le fonctionnement de certains conseils d’administration demeure
peu satisfaisant, soit en raison du choix de leurs membres (absence dans
certains cas d’administrateurs dotés d’une expérience de gestion dans le
domaine concerné
14
), soit de leur caractère pléthorique. C’était tout
particulièrement le cas pour les sociétés d’autoroutes avant 2004 : les
représentants
de
l’Etat
étaient
nombreux
dans
leurs
conseils
d’administration, mais essentiellement passifs, alors que, dans le même
temps, certains partenaires occupaient une place dans le tour de table sans
commune mesure avec le caractère quasi symbolique de leurs participations
au capital (les collectivités locales notamment). Comme cela a pu être
constaté à France Télécom et Air France, la sortie du champ d’application
de la loi de démocratisation du secteur public de 1983
15
, consécutive à la
privatisation de certaines entreprises, entraîne en général une diminution de
la taille des conseils, favorable à un meilleur fonctionnement.
12) Certaines entreprises appartenant au portefeuille de l’Agence en sont, toutefois,
encore dépourvues, dont les ports autonomes et les structures de défaisance ou de
financement intermédiaire (l’ERAP, par exemple).
13) Voir le rapport public annuel de février 2005 de la Cour (pages 289 à 340)
14) Voir notamment le cas de l’Imprimerie nationale, évoqué dans le chapitre II
(pages 417 et suivantes) du présent rapport.
15) Cette loi « DSP » du 26 juillet 1983 prévoit notamment la représentation des
salariés au sein des conseils d’administration à composition tripartite.
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
17
Les conditions de nomination des présidents des entreprises
publiques, par décret
16
, dérogent au droit commun des sociétés
(désignation par le conseil d’administration), et distinguent la France au
sein des pays de l’OCDE, étant toutefois observé que, via la nomination
des administrateurs, dans la plupart des pays, le choix des dirigeants
revient aussi aux autorités politiques. En fait, les entreprises publiques se
singularisen plus par l’absence de procédure formalisée de recrutement
des dirigeants, permettant d’objectiver les recherches de candidats et les
critères de sélection. Dans ce domaine, la création de l’Agence n’a pas
modifié la situation antérieure.
III
-
Une ligne stratégique peu lisible
A - Une information budgétaire insuffisante
En dehors du vote des grandes lois de privatisation, le seul moment
où la représentation nationale est appelée à débattre de la politique de
l’Etat actionnaire est la discussion du projet de loi de finances initiale (i.e.
du budget de l’exercice à venir) et, jusqu’à présent dans une nettement
moindre mesure, du projet de loi de règlement (i.e. de l’exécution du
budget de l’exercice écoulé). Les documents budgétaires sont de ce fait
les principaux instruments d’information et de contrôle de la gestion par
l’Etat de ses participations.
La politique de l’Etat actionnaire s’appuie, sur le plan budgétaire,
sur un instrument particulier : un compte d’affectation spéciale (intitulé
« produits de cession de titres, parts et droits de sociétés » jusqu’en 2005,
et « participations financières de l’Etat » depuis 2006), sur lequel sont
versés, hors du budget général, les produits de vente de titres, et qui sert à
financer, le cas échéant, les dotations en capital consenties aux entreprises
publiques. Selon l’article 21.1 de la loi organique relative aux lois de
finances (LOLF), le produit des cessions de titres doit être réservé à un
usage strictement patrimonial, ce qui interdit de financer sur cette ligne
des dépenses courantes ou des dotations à caractère de subvention.
16) Excepté pour les entreprises audiovisuelles où la désignation incombe au CSA, les
présidents des entreprises publiques détenues directement par l’Etat sont nommés par
le Président de la République, par décret simple ou par décret en conseil des ministres.
18
COUR DES COMPTES
En fait, la visibilité du Parlement sur ce poste important de
dépenses et de recettes demeure limitée. En tout état de cause,
la
performance de l’Etat actionnaire ne peut être valablement appréciée à
travers les seuls programmes budgétaires correspondant à ce compte
d’affectation spéciale, exclusivement centré sur les cessions et le
désendettement.
Ce compte se caractérise, en outre, par un écart très important entre
les prévisions de la loi de finances initiale et l’exécution budgétaire. Un
tel décalage est présenté comme consubstantiel à la mécanique des
opérations en capital, dont la mise en oeuvre est conditionnée par de
nombreux éléments exogènes, mais il traduit aussi parfois le fait que des
décisions ont été prises au dernier moment, pour des raisons de
circonstances, notamment budgétaires, sans s’inscrire dans une stratégie
prédéfinie.
Tableau n° 2 : Le compte d’affectation spéciale : prévision/ exécution
en M€
2002
2003
2004
2005
2006
2007
Prévision (PLF)
5 432
8 000
4 000
4 000
14 000
5 000
recettes
6 126
2 532
5 586
10 032
17 180
Exécution
dépenses
5 944
2 831
5 586
10 036
17 170
Source : comptes de l’Etat
Tableau n° 3 : Les dépenses financées par le compte d’affectation
spéciale
en M€
2002
2003
2004
2005
2006
Total
2002-
2006
Dépenses totales
5 944
2 831
5 586
10 036
17 170
41 567
Dont
Caisse de la dette publique
(CDP)
100
12 960
13 060
Fonds de réserve des retraites
(FRR)
1 600
Apports aux entreprises
publiques
4 245
2 673
5 508
8 625
3 441
24 492
Apports aux entreprises publiques
hors SOFARIS, AFITF et AII
4 245
2 673
4 928
2 845
3 441
18 132
Part des dépenses totales affectée
au désendettement (apports aux
entreprises publiques porteuses de
dette et à la CDP)
61 %
55 %
39 %
9 %
95 %
59 %
Source : comptes de l’Etat
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
19
Depuis la loi de finances initiale pour 2007, le compte
d’affectation spéciale recouvre deux programmes budgétaires, dont le
directeur de l’Agence des participations de l’Etat est le responsable : le
programme
« opérations
en
capital
intéressant
les
participations
financières
de
l’Etat »
(1,4
Md€
en
2007)
et
le
programme
« désendettement de l’Etat et d’établissements publics de l’Etat »
(3,6 Md€).
Les projets et rapports annuels de performances (PAP et RAP)
associés à ces deux programmes se veulent davantage conçus comme un
outil d’évaluation de l’ensemble de l’action de l’Agence, dont les crédits
de fonctionnement sont fondus dans le programme « stratégie financière
de l’Etat » du budget général, que comme un instrument de cadrage de la
gestion par l’Etat de ses participations financières. Trois objectifs y sont
assignés à l’Agence : veiller à l’augmentation de la valeur des
participations financières, assurer le succès des opérations de cession des
participations financières, et contribuer au désendettement de l’Etat et
d’administrations publiques (APU).
Néanmoins, les indicateurs qui rendent compte de la santé
financière des entreprises ne recouvrent que très imparfaitement le champ
des bénéficiaires du compte. Les indicateurs associés aux cessions
permettent d’apprécier la maîtrise par l’Agence des opérations de mise
sur le marché, mais non leur intérêt intrinsèque.
Parmi les trois objectifs inscrits dans le projet annuel de
performances,
la
contribution
au
désendettement
est
largement
prédominante. A défaut de constituer de véritable outils d’appréciation de
la politique de l’Etat actionnaire, les projet et rapport de performances ont
cependant le mérite de refléter une double réalité : la primauté donnée par
l’Agence à la dimension de technique financière de son action ; la priorité
qu’elle attribue aux cessions dans la stratégie suivie.
Pour les dotations en capital, les informations données au
Parlement au moment de la discussion de la loi de finances demeurent
sommaires. Si elles sont complétées, en cours d’année, par des
communications de l’Agence aux commissions des finances des deux
Assemblées, les éléments transmis passent cependant parfois sous silence
les échanges entre le compte d’affectation spéciale et les structures de
financement intermédiaires.
Tel a été le cas quand l’ERAP a reçu de l’Etat une avance de
1,75 Md€ fin 2004, à titre de « réserve » destinée à faire face à une
éventuelle difficulté de financement de la Banque postale, en fait reversée
au premier semestre 2005 sans avoir été utilisée. De même, en 2006, le
Parlement n’a pas été davantage informé de la rétention, par Autoroutes
20
COUR DES COMPTES
de France, d’un montant de 1,8 Md€ sur le produit de la cession de ses
participations dans les sociétés d’autoroutes, conservé notamment pour
pouvoir recapitaliser ultérieurement (0,9 Md€) la Société française du
Tunnel routier du Fréjus (SFTRF) sans passer par le compte d’affectation
spéciale.
L’impératif de transparence devrait pourtant obliger le ministère à
énoncer clairement, à l’appui de la loi de finances, les objectifs assignés à
la gestion des participations financières de l’Etat, et à rendre compte
ensuite dans le détail de toutes les opérations significatives, notamment
pour l’utilisation des produits de cession.
B -
Une priorité implicite au désengagement
Les produits de cession ont connu une forte progression au cours
des dernières années : les rentrées de 2005 (10 Md€) ont été quatre fois
supérieures à celles de 2003 (2,5 Md€). L’année 2006 a été, de ce point
de vue, encore plus exceptionnelle : les produits de cession ont dépassé
17 Md€, en raison des recettes de privatisation des sociétés d’autoroutes
et de la vente de la participation acquise par l’Etat dans ALSTOM en
2004.
S’il est difficile d’apprécier les objectifs poursuivis par l’Etat
actionnaire à partir des documents transmis au Parlement, l’examen de
l’exécution budgétaire est parlant.
1 -
Les cessions de titres ont assez souvent servi à financer des
politiques normalement financées par le budget général
Durant la période 2002-2006, l’Agence s’est constamment efforcée
de limiter le champ du compte d’affectation spéciale aux interventions de
l’Etat actionnaire, et d’éviter les versements à caractère de subvention
17
.
Elle a, sur ce fondement, combattu le plan de financement de la recherche
présenté par le ministère de la recherche, qui préconisait un abondement
de 10,6 Md€ sur la période 2006-2010 à partir du compte d’affectation
spéciale.
Malgré tout, elle n’a pu éviter que les produits de cessions d’actifs
soient parfois utilisés pour soutenir des politiques dont le financement
n’avait pu être dégagé sur le budget général. A partir de la loi de finances
de 2002, le compte a ainsi financé des investissements dans les fonds de
17) C'est-à-dire des contributions effectuées sans perspective de retour financier, du
moins direct, contrairement à une mise de fonds d’actionnaire, qui se justifie par un
retour attendu sur investissement.
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
21
capital investissement (au total 68 M€ sur l’ensemble de la période), qui
reflétaient certes une volonté de développer le capital risque, mais sans
lien avec les orientations données à la politique de l’Etat actionnaire.
Dans la loi de finances pour 2004 sont apparues des dotations en capital
destinées aux fondations reconnues d’utilité publique du secteur de la
recherche (76 M€ en 2004 et 2005). Enfin, en 2005, les dotations à
l’Agence de financement des infrastructures de transports de France
(AFITF ; 4 Md€), l’Agence de l’innovation industrielle (1,7 Md€), et à
l’Agence nationale de la recherche (1,3 Md€) s’inscrivaient dans des
politiques publiques dont l’objet majeur n’est pas la valorisation du
patrimoine de l’Etat.
Avec l’attribution de 4 Md€ à l’Agence de financement des
infrastructures de transport de France (AFITF), présentée comme une
anticipation du reversement d’une part du produit de la privatisation des
sociétés d’autoroutes alloué à titre de compensation de la fin de
l’affectation de leurs dividendes, et la « réserve » de 1,8 Md€ conservée
par Autoroutes de France,
ce sont près de 40 % du produit de la cession
des sociétés d’autoroutes (5,8 Md€ sur 14,8 Md€) qui ont été utilisés en
dehors du champ du compte d’affectation spéciale.
2 -
Les recettes de cessions ont été principalement consacrées à
l’apurement des déficits passés
Jusqu’en 2006, la contribution des cessions d’actifs à la réduction
de la dette publique a été indirecte, à travers les dotations répétées du
compte d’affectation spéciale à des entreprises porteuses de passifs
lourds : Réseau ferré de France (RFF) jusqu’à ce qu’en 2003, ces
dotations, requalifiées en subventions par EUROSTAT, soient remplacées
par des subventions du budget général, EMC jusqu’à sa dissolution en
2005, Charbonnages de France jusqu’à la reprise de sa dette par l’Etat, et
d’autres structures de financement telles que l’EPFR, chargé de financer
la défaisance du Crédit Lyonnais
18
.
A partir de 2006, l’apurement des déficits passés a constitué le
principal emploi direct des recettes de cession de titres, via la Caisse de la
dette publique.
En 2006, les dotations en capital consenties aux entités porteuses
de dette et à la Caisse de la dette publique ont représenté 95 % des
dépenses du compte d’affectation spéciale.
18) Voir, dans le présent rapport (pages 63 et suivantes), l’insertion consacrée aux
défaisances.
22
COUR DES COMPTES
Le programme de stabilité 2007-2009 présente les cessions d’actifs
non stratégiques comme un des piliers de la stratégie de désendettement
pluriannuelle, qui doit permettre à la dette publique de revenir sous le seuil
de 60 % du PIB à l’horizon 2010. Le gouvernement a fixé pour la première
fois un objectif chiffré de cessions annuelles, compris entre 5 et 10 Md€,
objectif repris dans le programme 2008-2010.
En 2007, l’Etat a utilisé le reliquat des recettes de privatisation des
sociétés d’autoroutes pour régler, via la Caisse de la dette publique et
l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), un montant
de 5,1 Md€ de dettes de l’Etat à l’égard des caisses nationales du régime
général de sécurité sociale.
3 -
Les investissements effectués à partir des recettes de cessions
ont été l’exception
Le financement de la croissance des entreprises publiques à partir du
compte d’affection spéciale constitue l’exception : en additionnant les
versements effectués au profit de DCN (628 M€ sur la période) et les
dotations effectuées au profit du LFB
19
(25 M€), les investissements
productifs de l’Etat atteignent moins de 0,7 Md€, alors que les recettes
tirées des cessions de titres dépassent 41 Md€ sur la période 2002-2006.
Hors ces cas, l’ouverture de capital, et donc la dilution, sont les seuls
instruments utilisés par l’Etat pour accompagner le développement des
entreprises publiques.
La contribution de l’Etat au sauvetage d’ALSTOM (prise de
participation de 715 M€, puis revente avec une plus-value de 1,3 Md€ une
fois la situation financière de l’entreprise rétablie) constitue un cas
atypique d’investissement effectué à partir du compte d’affectation
spéciale pour sauver une ancienne entreprise publique privatisée. Par sa
finalité, cette opération n’est pas sans rappeler la contribution de l’Etat, via
l’ERAP, à la recapitalisation de France Télécom effectuée en 2002.
L’Etat
actionnaire a donc pu, dans des cas exceptionnels, jouer un rôle dans le
sauvetage de grandes entreprises françaises menacées de faillite
.
Au total, la création de l’Agence ne s’est pas accompagnée d’une
utilisation plus dynamique du compte d’affectation spéciale pour soutenir
le développement des entreprises dont l’Etat est actionnaire. En dehors de
la contribution au désendettement de l’Etat, la finalité implicite de sa
gestion est moins axée sur la création de valeur que sur l’optimisation
financière de la contraction du secteur public productif et sur la
restructuration progressive des services publics dont la privatisation n’est
pas envisagée.
19) Laboratoire français de fractionnement et de biologie
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
23
C - L’absence d’approche actif/passif
La pertinence de l’objectif de désendettement de l’Etat n’empêche
pas que la prise en compte de ce seul critère puisse conduire à des choix
non optimaux.
Sur le plan financier, une cession n’a de justification que si le
marché valorise cet actif à un prix supérieur aux gains (dividendes et
plus-values) que l’Etat peut espérer tirer de sa détention. La cession ne
présente donc d’intérêt financier pour l’Etat que s’il parvient à capter une
partie de la création de valeur attendue de la privatisation. Si tel n’est pas
le cas, il est aussi intéressant pour lui de conserver dans son patrimoine
un actif dont le rendement est suffisamment pérenne pour couvrir ses
engagements de long terme, au premier rang desquels les engagements de
retraite.
L’impact des cessions sur les dividendes reçus par l’Etat doit donc
aussi être pris en compte. Il doit d’autant plus l’être que, si les cessions
d’actifs contribuent à limiter la progression de la dette publique, elles ont
pour contrepartie la diminution d’une source de recettes dynamiques et
récurrentes pour l’Etat : les entreprises les plus contributrices en termes
de dividendes sont également celles qui sont le plus susceptibles de faire
l’objet
de
cessions
d’actifs
commandées
par
la
politique
de
désendettement.
Si l’amélioration des résultats des entreprises publiques au cours
des dernières années, couplée avec le volontarisme revendiqué par
l’Agence en matière de perception de dividendes, a jusqu’à présent
contrarié ce mouvement, la poursuite de la contraction du secteur public
aura inévitablement des effets à court ou moyen terme sur les dividendes
touchés par l’Etat et un impact significatif sur ses recettes globales
20
.
L’affectation, en 2002, au Fonds de réserve des retraites (FRR) de
certaines recettes de privatisation laissait présager que l’Etat s’inscrivait
désormais
dans une approche actif/passif, mais elle est restée sans suite.
Le FRR n’a reçu jusqu’à présent que 1,6 Md€ du compte d’affectation
spéciale, provenant de la cession du Crédit Lyonnais et de l’ouverture du
capital
d’Autoroutes du Sud de la France (ASF)
21
.
20) Voir le rapport de la Cour sur la situation et les perspectives des finances
publiques (juin 2007).
21) En 2001-2002, la perte des recettes attendues de l’attribution des licences UMTS,
qui devaient notamment alimenter le FRR, a conduit l’Etat à mettre sur le marché
49 % du capital d’Autoroutes du Sud de la France (ASF).
24
COUR DES COMPTES
D - Une faible capacité d’anticipation
L’élargissement progressif du capital des entreprises publiques à
des actionnaires privés peut, certes, refléter une volonté d’acclimatation,
considérée comme le préalable indispensable à une privatisation
ultérieure. Cependant, l’absence de ligne stratégique clairement établie
n’a pas toujours permis de préparer dans les meilleures conditions les
enjeux des transferts, partiels ou intégraux, au secteur privé.
1 -
L’Etat actionnaire anticipe mal l’évolution du capital une fois
l’entrée en Bourse réalisée
Dans les cas d’Air France et de SNECMA, l’ouverture de leur
capital a rapidement été suivie d’une fusion avec un partenaire privé, sans
qu’ai été anticipée la dilution supplémentaire de la participation restante
de l’Etat.
Pour l’ancien monopole France Télécom, les ouvertures du capital
et à la concurrence sont allées de pair, mais, sous les effets conjugués de
la contrainte budgétaire et des besoins de capitaux de l’entreprise, la
participation de l’Etat n’est pas demeurée durablement majoritaire.
Dans
un contexte différent, marqué par la prédominance d’impératifs
industriels, la fusion de
Gaz de France avec Suez va conduire également
l’Etat à une position d’actionnaire minoritaire.
L’Etat peut aussi avoir des difficultés à contrer les ambitions de
certains actionnaires minoritaires.
Ayant mis, en 2002, 49 % du capital des Autoroutes du Sud de la
France (ASF) sur le marché, l'Etat n'a pu s'opposer à la montée de Vinci
au capital d’ASF qu'en signant, le 24 novembre 2004, un pacte
d'actionnaires conduisant Vinci à interrompre ses acquisitions de titres au
niveau atteint de 23% en contrepartie de l'octroi d'une représentation au
conseil d'administration de la société. Pour autant, comme il le stipulait,
ce pacte a cessé de s’appliquer lorsque l’Etat est revenu sur sa décision de
ne pas privatiser les sociétés d’autoroutes. Lors de la privatisation des
sociétés d’autoroutes en
la présence de Vinci au capital d’ASF a
manifestement dissuadé d’autres, acquéreurs potentiels de se porter
candidats à l’appel d’offres. La très forte croissance du cours de l’action
Vinci (+ 140 %) entre avril 2002 (première cotation de l’action ASF après
l’arrivée de Vinci à son capital) et novembre 2006 (retrait de cote de
l’action ASF à la suite de la prise de contrôle par Vinci) témoigne
notamment, selon toute vraisemblance, de la perception par le marché que
l’acquisition d’ASF s’est faite à un prix avantageux. Il aurait été
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
25
préférable de déclarer infructueux l’appel d’offres et de procéder à une
nouvelle mise aux enchères, comme ce fut le cas, en 2002, pour la cession
de la participation résiduelle de l’Etat dans le Crédit Lyonnais.
2 -
La protection du consommateur a été mal assurée face aux
nouvelles sociétés privées concessionnaires d’autoroutes
A l’occasion de la privatisation des sociétés d’autoroutes, l’Etat n’a
pas pris la précaution d’adapter les formules tarifaires au nouveau statut
privé des entreprises. Il a ainsi omis de se doter d’un instrument qui lui
aurait permis de protéger les intérêts du consommateur après la cession
22
.
3 -
L’Etat peine à tirer parti de sa position désormais fréquente
d’actionnaire minoritaire
Dans sa position, de plus en plus fréquente, d’actionnaire
minoritaire, l’Etat peut influer à des degrés divers sur la stratégie de
l’entreprise.
Lorsque sa participation est comprise entre 30 et 40 %, son
influence demeure déterminante, surtout si son poids est important par
rapport au « flottant », ce qui est le cas aujourd’hui, par exemple, pour
Thalès.
Lorsque la part de l’Etat au capital passe en dessous de 30 % -
par
exemple, pour Air France-KLM (18,3 %), Renault (15,6 %) ou France
Télécom (27 %) -, il perd la maîtrise des décisions du conseil
d’administration. En tant qu’actionnaire de référence, il devrait
néanmoins
constituer
un
interlocuteur
incontournable
pour
toute
opération de restructuration du capital des entreprises considérées.
Il ne lui est cependant pas toujours possible de tirer parti de cette
position, ses marges de manoeuvre étant, par certains aspects, plus
limitées que celles des actionnaires privés.
Dans le cas d’EADS, dont l’Etat détient 15,04 % par le truchement
de
la SOGEPA (100 % Etat) et de SOGEADE SCA (54,55 % SOGEPA,
45,45 % Lagardère SCA via la holding Desirade SAS
23
), le dispositif de
gouvernance, élaboré dans un cadre bi-national, a été avant tout conçu
pour rendre la présence de l’Etat français acceptable pour le partenaire
industriel allemand. Il s’est révélé gravement défaillant et devra être
22) Ce point est examiné dans le chapitre I (pages 237 et suivantes) du présent
rapport, consacré aux péages autoroutiers.
23) Répartition du capital à fin juin 2007. L’Etat détient également en direct 0,06 %
du capital d’EADS.
26
COUR DES COMPTES
modifié rapidement. Les représentants de l’Agence des participations de
l’Etat étaient dans l’incapacité au premier semestre 2007 d’exercer un
contrôle effectif des comptes et des perspectives de la société, en dépit de
son intérêt stratégique pour l’Etat. Cette situation est d’autant plus
paradoxale que les autorités politiques ont toujours été très présentes au
plus haut niveau dans les modalités effectives du choix des dirigeants,
ainsi que lors des consultations concernant l’évolution du capital
d’EADS.
Dans le cas d’Air France-KLM, l’Etat, avec 18,6 % du capital,
reste néanmoins le premier actionnaire du groupe et participe à toutes les
instances de gouvernance. Ses objectifs et sa présence en tant
qu’actionnaire de référence apparaissent pourtant en retrait par rapport à
ceux d’un actionnaire privé disposant d’une participation de ce niveau.
D’une manière générale, alors que le pourcentage de détention par
l’Etat des participations publiques continue de diminuer, il est
indispensable que l’administration chargée de défendre les intérêts de
l’Etat actionnaire soit munie d’une doctrine claire sur les objectifs, la
gestion et le contrôle des participations minoritaires.
E - Les spécificités des monopoles naturels
La privatisation de monopoles remis en cause par l’évolution
technologique (télécommunications) ou uniquement justifiés par une
protection juridique (tabac) ne pose pas de difficulté particulière. En
revanche, la privatisation de monopoles ou quasi-monopoles naturels
(transport ou énergie) appelle une réflexion économique et un mode
opératoire adaptés.
En pareil cas, l’Etat devrait notamment s’efforcer de tenir compte
de la différence de perception d’horizon temporel entre le marché et la
puissance publique. Cette dernière est responsable à long terme de la mise
en service et de l’entretien d’infrastructures (autoroutes, voies ferrées,
canaux, aéroports, lignes à haute tension ou gazoducs, par exemple) qui
ont en général une durée de vie longue, pouvant aller jusqu’à 100 ans.
Pour sa part, le marché ne sait guère valoriser, avec les taux
d’actualisation qu’il pratique, qu’une période de l’ordre d’une quinzaine
d’années.
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
27
Ainsi, pour protéger les intérêts patrimoniaux de l’Etat, convient-il
de prendre certaines précautions, notamment :
- limiter la vente à l’usufruit du monopole que constitue une
infrastructure et donc ne pas céder sa pleine propriété : cette première
condition était remplie pour la privatisation des sociétés d’autoroutes,
puisque l’Etat demeure propriétaire du réseau et n’a vendu qu’une
concession d’exploitation pour vingt cinq ans environ ;
- vendre des concessions d'une durée n'excédant pas l'horizon des
marchés, ce qui, en revanche, n’a pas été fait pour la privatisation des
sociétés d’autoroutes : l’intérêt patrimonial de l’Etat n’est respecté que s’il
sait vendre à sa juste valeur l’ensemble de la période pour laquelle il cède
l’usufruit ;
- prévenir simultanément l'apparition d'une rente tarifaire en
adaptant le cadre réglementaire et contractuel, ce qui n’a pas été non plus
le cas pour la privatisation des sociétés d’autoroutes.
IV
-
Des cessions au bilan parfois discutable
Le succès boursier de certaines cessions, avec parfois des hausses
pérennes considérables des titres après leur introduction – par exemple, la
valeur de l’action ADP a doublé en moins d’un an -, justifie de s’interroger
sur le bilan patrimonial de telles opérations pour l’Etat actionnaire.
La procédure de préparation suivie, formalisée et impliquant de
nombreux acteurs (management de l’entreprise, banques conseils, Agence
des participations de l’Etat, ministères techniques, commission des
participations et des transferts), apporte des garanties, mais celles-ci ont
leurs limites.
A - Le coût des cessions
1 -
Les commissions perçues par les banques
Jusqu’en 2003, les prestations de conseil et de placement des titres
étaient confiées à
un seul intervenant par opération, au risque de mettre les
banques en situation de conflit d’intérêts. La dissociation, effectuée depuis
lors, entre le choix de la banque conseil et la désignation d’un chef de file
pour le placement, est assurément plus saine.
Les commissions de placement sont actuellement calculées en
pourcentage du produit de cession. L’instauration d’un système progressif
de primes de succès croissantes par tranches de prix de cession garantirait
mieux les intérêts patrimoniaux de l’Etat.
28
COUR DES COMPTES
2 -
Les avantages consentis aux salariés
Conformément aux dispositions de la loi n° 86-912 du 6 août 1986
relative aux modalités des privatisations, des actions sont proposées aux
salariés à des conditions préférentielles (souvent, décote de 20 %,
distribution d’actions gratuites, facilités de paiement).
Ces offres réservées visent notamment à améliorer l’acceptabilité
des opérations de transfert au secteur privé. Si elles peuvent contribuer à
la valorisation de l’entreprise (la fidélisation du personnel est un élément
apprécié de certains investisseurs), elle n’en ont pas moins un coût pour la
collectivité, supporté, pour l’essentiel,
par l’Etat actionnaire.
Dans le cas de la privatisation d’Air France, les
offres réservées
ont ajouté leurs effets à certains dispositifs spécifiques, tels que les
possibilités d’échange de salaire contre actions (plus importantes que les
offres réservées aux salariés), au point de faire aujourd’hui de
l’actionnariat salarié une des composantes majeures du capital du groupe
Air France-KLM (13 % du capital à l’issue de l’offre publique
d’échange).
Lors de l’introduction en Bourse d’EDF, le coût pour l’Etat des
avantages consentis aux salariés, à la fois en termes de trésorerie et de
manque à gagner, est évalué à environ 550 M€.
Il importe que le coût de ces mesures soit bien pesé lors de la
préparation des cessions.
3 -
Soultes, garanties et autres engagements hors bilan
Certaines opérations en capital (croissance externe, sauvetage
d’entreprises en difficulté) donnent lieu à l’octroi de garanties de passif
dont le coût potentiel est par définition difficile à évaluer.
Depuis l’ouverture en capital d’EDF et Gaz de France, entreprises
porteuses jusque-là de passifs sociaux importants, la charge pour la
collectivité d’une partie de leurs engagements de retraite, auparavant
incluse dans les tarifs, est financée au moyen d’une taxe sur les usagers,
la contribution tarifaire d’acheminement (CTA), en complément des
soultes versées par les entreprises.
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
29
B - La fixation des prix de cession
1 -
Les garanties offertes par les lois de privatisation
La commission des participations et des transferts (CPT), créée par
la loi du 6 août 1986, joue un rôle central dans la fixation du prix des
cessions. Le prix arrêté par le ministre chargé de l’économie ne peut, en
effet, être inférieur à l’évaluation de la commission. Pour les cessions
hors marché, le ministre de l’économie arrête le choix du ou des
acquéreurs, ainsi que les conditions de la cession, sur avis conforme de la
commission
24
. Dans tous les cas, l’avis rendu par la commission
conditionne donc étroitement la faisabilité d’une opération de cession.
L’absence de moyens d’études propres (ni rapporteur général ni
rapporteurs spécialisés) limite cependant la capacité de la commission à
émettre des critiques sur les valorisations. Le fait qu’elle soit, par voie de
conséquence, rendue tributaire de l’Agence des participations de l’Etat,
dont elle doit contrôler les diligences, appelle une modification du
dispositif actuel.
2 -
Débat sur les hypothèses de valorisation
Ni le recours aux méthodes habituelles d’évaluation, ni les
garanties offertes par l’intervention de la commission des participations et
des transferts ne suffisent à écarter tout débat sur le bilan patrimonial de
certaines opérations.
En faisant appel à une seule banque conseil pour les trois
opérations d’ouverture de capital des sociétés d’autoroutes, l’Etat s’est
privé de disposer de plusieurs avis, indépendants de ceux fournis par les
conseils des entreprises. Par ailleurs, l’évaluation de ces sociétés a été
rendue difficile par le terme lointain des concessions accordées par l’Etat,
et par la nature des revenus tirés des péages, assimilables en partie à une
rente. Alors que les hypothèses de taux d’actualisation ont été, de ce fait,
les premiers déterminants de la valeur des sociétés, le choix d’un taux
d’actualisation excessivement élevé
25
a interdit à l’Etat de valoriser toute
la durée des concessions cédées, et donc de tirer tout le bénéfice
patrimonial possible de la privatisation.
24) Exigence introduite en 1993.
25) Pour les trois groupes ASF, APRR et SANEF, les taux d’actualisation retenus par
l’Agence des participations de l’Etat se sont situés entre 7,05 % et 7,13 % pour les
premières ouvertures de capital, intervenues entre 2002 (ASF), 2004 (APRR) et 2005
(SANEF) et entre 5, 93 % et 6,35 % pour les privatisations de 2006.
30
COUR DES COMPTES
La marge d’incertitude inhérente à toute valorisation est par
ailleurs plus importante dans le cas des cessions ou ouvertures de capital
par échange ou apport de titres. Tel a été le cas de la fusion Air France-
KLM, qui a pris la forme d’une offre publique d’échange, sur la base
d’une parité négociée par les deux équipes dirigeantes.
3 -
Un manque de réactivité face aux signaux du marché
Lorsqu’il a mis sur le marché 36 % du capital de la SANEF en
mars 2005,
26
l’Etat a appliqué une décote de 12 % par rapport aux
évaluations des analystes, alors que
la demande exprimée était très forte
et aurait, au contraire, justifié un relèvement du prix, sans craindre de se
placer sensiblement au-dessus du prix plancher fixé par la commission
des participations et des transferts.
C - Neutralité patrimoniale et optimisation des intérêts
publics
Si l’avis de la commission des participations et des transferts est
supposé garantir la neutralité patrimoniale des cessions, aucune instance
n’est, en revanche, chargée d’apprécier dans quelle mesure les conditions
de l’ouverture de capital ou du transfert au secteur privé sont les plus
favorables aux intérêts de la collectivité.
1 -
Les conditions de privatisation ne sont pas toujours optimales
La commission des participations et des transferts n’ayant pas pour
mission d’apprécier l’opportunité des projets de cessions, ni celle de leurs
dates, il ne lui appartient pas davantage d’envisager des schémas
alternatifs qui permettraient, le cas échéant, de maximiser les intérêts de
la collectivité publique.
Certes, l’Agence et la commission veillent à ne pas réaliser
d’opération lorsque les conditions de marché apparaissent trop dégradées
pour assurer la correcte prise en compte de la valeur intrinsèque des
entreprises. L’ouverture de capital de la SNECMA a ainsi été ajournée
une première fois en raison des conditions de marché prévalant à
l’automne 2001.
26) Juste avant la privatisation, la demande des investisseurs institutionnels
représentait, en haut de la fourchette de prix, respectivement 7,5 fois le montant du
placement qui leur était garanti dans le cas d'APRR et 5,1 fois dans le cas de la
SANEF.
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
31
Le calendrier choisi par le gouvernement peut cependant ne pas
être le plus propice, alors même que les marchés sont prêts à accueillir
favorablement l’opération. Dans le cas des sociétés d’autoroutes, il aurait
été
préférable
de
poursuivre
leur
désendettement,
permis
par
l’amortissement progressif de leurs emprunts, avant de les mettre sur le
marché.
Pour l’offre publique d’échange Air France-KLM, assortie d’une
prime supérieure pour les actionnaires de KLM, il n’entrait pas dans le
mandat de la commission de s’interroger sur la valorisation des synergies
ni sur leur répartition entre partenaires français et néerlandais.
Ce dernier exemple montre que les procédures de privatisation
prévues par les lois du 6 août 1986 et du 19 juillet 1993 ne sont pas bien
adaptées à des opérations plus complexes que la cession en numéraire de
titres de sociétés qui n’ont pas encore été mises sur le marché et cotées.
2 -
L’Etat doit mieux valoriser l’abandon de sa position
dominante au sein des entreprises publiques
L’Etat a des difficultés à tirer un bénéfice patrimonial de l’abandon
d’un bloc de contrôle lors d’une cession en faveur d’un partenaire privé.
Les désengagements effectués de manière progressive ne favorisent pas
non plus la maximisation des intérêts financiers liés à la privatisation : la
prime de contrôle est diluée au fur et à mesure des cessions effectuées sur
les marchés, sans être pleinement valorisée.
V
-
La gouvernance de l’Etat actionnaire
A - L’absence de pilotage d’ensemble
1 -
Le collège des tutelles
Alors que l’Agence des participations de l’Etat a pour mission
première la défense des intérêts patrimoniaux de l’Etat, la direction du
budget s’attachant pour sa part à la défense des intérêts budgétaires, les
ministères et directions techniques inscrivent leur action dans le cadre
plus large des politiques publiques sectorielles.
L’appellation de collège des tutelles parfois utilisée pour désigner
les tutelles financière, budgétaire et technique ne doit pas faire illusion :
aucune instance n’est chargée de faire la synthèse de ces différentes
préoccupations. Le « comité de direction de l’Etat actionnaire », prévu
32
COUR DES COMPTES
par le décret constitutif de l’Agence, devait institutionnaliser le dialogue
entre les ministères concernés par la gestion des entreprises publiques.
Présidé par le ministre de l’économie et des finances, et
donc dépourvu
de la capacité d’arbitrage qu’aurait pu lui conférer un rattachement au
premier ministre, ce comité de direction de l’Etat actionnaire ne s’est
jamais réuni.
La coordination des positions avant les conseils d’administration
prend des formes diverses selon les secteurs (réunions organisées par la
mission de contrôle économique et financier pour la SNCF et la RATP,
par le sous-directeur compétent du ministère des transports pour RFF, par
l’Agence pour les grandes entreprises industrielles suivies par le ministère
de l’industrie, par le ministère de la culture pour l’audiovisuel).
La désignation systématique et formalisée d’un chef de file parmi
les administrateurs représentant l’Etat introduirait plus de clarté dans le
dispositif. En tout état de cause, la multiplicité et le caractère parfois
contradictoire des intérêts de l’Etat se traduisent par une tutelle multiple,
trop
souvent
incapable,
en
l’absence
d’arbitrage
interministériel,
d’exprimer une position cohérente au sein des conseils d’administration.
2 -
Le rôle des commissaires du gouvernement
Dans les entreprises publiques où ils subsistent, les commissaires
du
gouvernement
siègent,
sans
voix
délibérative,
au
conseil
d’administration, en tant que porte-parole de la tutelle technique. Leur
existence, exorbitante du droit commun, est fondée sur les statuts
particuliers des différentes entreprises publiques, auxquels s’adjoignent
pour les entreprises du secteur de l’armement les dispositions relatives au
contrôle des marchés de matériel militaire
27
.
Au cours de la période 2002-2005, la fonction de commissaire du
gouvernement a disparu dans les grandes entreprises dépendant du
ministère des finances, de l’économie et de l’industrie, à l’occasion de
leur privatisation ou de leur entrée en Bourse. Pour Air France et pour
France Télécom, la fonction de commissaire du gouvernement a été
maintenue jusqu’à leur privatisation. Bien que l’Etat y soit majoritaire, ni
EDF ni Gaz de France ne comptaient en revanche de commissaire du
gouvernement au sein de leur conseil d’administration à la fin 2005.
27) La présence d’un commissaire du gouvernement y est fondée sur les dispositions
législatives relatives au contrôle des marchés de matériel militaire (articles L. 2333-3
et suivants du Code de la défense).
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
33
Les fonctions de commissaire du gouvernement ont trouvé une
nouvelle faveur avec l’avancée du processus de privatisation, mais sans
qu’un pouvoir effectif
leur soit attribué. La loi relative au secteur de
l’énergie du 7 décembre 2006 prévoit ainsi la désignation d’un
commissaire
du
gouvernement
chargé
de
participer,
avec
voix
consultative, au conseil d’administration de Gaz de France, dans le cadre
d’un dispositif, comportant également la création d’une « action
spécifique », destiné à permettre un contrôle stratégique de l’Etat sur le
nouveau groupe issu de la fusion entre Gaz de France et Suez.
Il est tout à fait légitime que la parole de l’Etat régulateur, client ou
promoteur d’une politique industrielle, soit portée auprès des dirigeants
de l’entreprise par un fonctionnaire de haut rang, le cas échéant directeur
d’administration centrale. Il est, en revanche, moins certain que cette
parole doive s’exprimer dans l’enceinte du conseil d’administration,
dont, en tout état de cause, l’Etat nomme les administrateurs qui le
représentent.
Aujourd’hui, hors le cas des entreprises concernées par le contrôle
des marchés de matériels militaires, le système des commissaires du
gouvernement ne se justifie que pour la protection d’intérêts stratégiques
dans des entreprises désormais privatisées ou en voie de l’être.
3 -
Les rôles respectifs de l’Etat et de la Caisse des dépôts
Alors
que
l’Etat
actionnaire,
incarné
par
l’Agence
des
participations de l’Etat,
mène à bien une politique de désengagement
progressif du secteur concurrentiel, la Caisse des dépôts et consignations
se positionne en actionnaire de long terme de grandes entreprises du
CAC 40 et a affirmé, dans la période récente, sa volonté de développer ce
rôle.
Arguant de son statut sui generis, qui la place sous la
« surveillance spéciale » du Parlement, la Caisse se défend de jouer le
rôle de bras armé de l’Etat. La gouvernance de la Caisse limite, au
demeurant, le pouvoir de
la direction générale du Trésor et de la
politique économique (DGTPE), qui, via une sous-direction extérieure à
l’Agence des participations de l’Etat, représente l’Etat à la commission de
surveillance de la Caisse. En particulier, si cette sous-direction a
connaissance des grandes lignes directrices de la stratégie de portefeuille
de la Caisse, elle n’est informée qu’a posteriori des investissements
réalisés, contrairement à ce qui était le cas jusqu’en 2002.
34
COUR DES COMPTES
Coexiste
ainsi,
avec
l’Etat
actionnaire,
essentiellement
impécunieux, représenté par l’Agence des participations de l’Etat, une
autre incarnation de l’Etat, celui-là investisseur institutionnel public,
présent au capital de plusieurs sociétés du CAC 40, et tous deux
détiennent parfois des participations dans de mêmes entreprises.
Indépendamment même des problèmes qui ont pu apparaître dans
certaines opérations particulières, une réflexion s’impose sur le partage
des rôles et des disponibilités financières entre l’Etat d’une part, et la
Caisse des dépôts et consignations d’autre part.
B - La nécessité de renforcer l’instruction des
arbitrages politiques
1 -
Les décisions stratégiques sont prises à l’occasion d’arbitrages
politiques ponctuels
Les considérations autres que patrimoniales sont intégrées dans la
politique de l’Etat actionnaire en fonction d’arbitrages ponctuels, dans
lesquels interviennent les différents pôles de l’exécutif, sans véritable
cohérence d’ensemble.
La création de l’Agence n’a, sur ce point, que peu amélioré la
situation antérieure. La prééminence de l’Agence n’est, en effet,
clairement reconnue par les autres directions et ministères que pour les
questions financières. Elle a elle-même une conception volontairement
restrictive de sa mission : alors que son décret constitutif la charge
d’exercer « la mission de l’Etat actionnaire » vis-à-vis des entreprises et
participations publiques, « en tenant compte des intérêts patrimoniaux de
l’Etat », ses prises de position sont toujours centrées sur la valorisation
patrimoniale de ce portefeuille.
2 -
Un mécanisme décisionnel opaque
Lorsque les arbitrages remontent à l’échelon politique, il est très
difficile de retracer les étapes d’un mécanisme décisionnel qui fait
principalement intervenir les cabinets ministériels. Si les notes adressées
par les directions d’administration centrale aux ministres permettent de
garder la mémoire des arguments avancés par les services, les comptes
rendus des arbitrages rendus au niveau supérieur ne sont nullement
systématiques et, quand ils existent, ils sont rarement explicites sur les
positions en présence et les motivations de la décision retenue.
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
35
Si les opérations de marché doivent être préparées dans la plus
grande confidentialité, ce défaut de
formalisation et de traçabilité
constitue une anomalie du processus décisionnel.
Il manque à la gouvernance de l’Etat actionnaire l’équivalent des
comités stratégiques aujourd’hui de rigueur dans la plupart des grandes
sociétés cotées.
La note sur les perspectives de cession des actions EADS adressée
par l’Agence des participations de l’Etat au ministre de l’économie et des
finances le 20 janvier 2006 est à cet égard éclairante. L’Agence y fait la
démonstration de l’intérêt que pourrait avoir l’Etat actionnaire à céder
une partie de sa participation en même temps que les actionnaires
industriels allemand et français. A aucun moment ne sont évoquées les
considérations stratégiques qui ont pu, au contraire, commander à l’Etat
de maintenir cette participation dans l’entreprise aéronautique. En
l’espèce, l’Agence s’en est tenue à une approche strictement patrimoniale,
donc résolument partielle au regard des intérêts stratégiques de l’Etat
actionnaire. Si la proposition de l’Agence n’a pas été ensuite suivie, c’est
dans le cadre d’un processus d’arbitrage ministériel et interministériel de
traitement
du
dossier
EADS
dont
la
traçabilité
s’est
révélée
particulièrement défectueuse.
3 -
Mieux préparer les arbitrages sur la politique de l’Etat
actionnaire
La
réforme
de
2004
a
permis
d’introduire
plus
de
professionnalisme dans le suivi financier des participations publiques.
Mais elle laisse insatisfaite la nécessité de mieux organiser la
confrontation
des
préoccupations
patrimoniales
et
des
autres
préoccupations stratégiques de l’Etat actionnaire, qui peuvent justifier le
maintien d’une présence publique dans certains secteurs de l’économie.
Indépendamment de la mission de valorisation patrimoniale
confiée à l’Agence des participations de l’Etat, un véritable pilotage
stratégique
global
des
participations
de
l’Etat,
à
l’échelon
de
l’administration, continue à faire défaut. Par nature, il devrait avoir une
portée interministérielle. Différentes modalités sont envisageables, ne
conduisant pas nécessairement à la création de nouvelles structures.
Chargé de préparer les arbitrages politiques, ce pilotage pourrait
également avoir pour finalité, au-delà des décisions ponctuelles, de
conduire la réflexion sur l’avenir de l’Etat actionnaire et sur les moyens
qui lui sont affectés.
36
COUR DES COMPTES
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
La Cour identifie aujourd’hui plusieurs axes de progrès pour la
gestion de l’Etat actionnaire :
1.
progresser dans le sens d’une consolidation des comptes de
l’Etat, étendue aux participations de l’Etat actionnaire ;
2.
améliorer la gouvernance des entreprises dont l’Etat est
actionnaire, en généralisant les comités d’audit, de stratégie et
de rémunération, et en formalisant la procédure de sélection
des dirigeants ;
3.
expliciter davantage dans les documents budgétaires les
objectifs poursuivis par l’Etat actionnaire ;
4.
éviter
que
le
recours
aux
structures
de
financement
intermédiaire n’opacifie la gestion des participations de l’Etat,
en supprimant ADF, et en rendant plus transparentes les
relations entre le compte d’affectation spéciale et l’ERAP ;
5.
favoriser la prise en compte des considérations actif/passif, et
apprécier les cessions de titres en fonction des bénéfices
attendus du passage à une gestion privée, et non en fonction du
seul critère de la réduction de l’endettement brut de l’Etat ;
6.
pour les monopoles naturels, limiter la privatisation à
l’usufruit ;
7.
renforcer les diligences de la Commission des participations et
des transferts dans le cas des opérations complexes telles que
les fusions débouchant sur des privatisations, et la doter de
moyens d’étude propres ;
8.
supprimer
les
commissaires
du
gouvernement
siégeant
actuellement au conseil d’administration des entreprises
publiques, hors le cas des entreprises concernées par les
marchés de matériel militaire ou en voie de privatisation ;
9.
mettre en place les moyens permettant un pilotage global des
participations de l’Etat, de faire la synthèse des considérations
patrimoniales et des intérêts sectoriels défendus par les
ministères et les directions techniques, et de préparer dans les
meilleures conditions les arbitrages politiques ;
10.
engager une réflexion sur les objectifs, la gestion et le contrôle
des participations minoritaires de l’Etat dans les secteurs
considérés comme stratégiques.
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
37
RÉPONSE DE LA MINISTRE DE L’ÉCONOMIE, DES FINANCES
ET DE L’EMPLOI
L’insertion au rapport public intitulée « l’Etat actionnaire : apports et
limites de l’Agence des Participations de l’Etat » vise à dresser un bilan de
l’exercice des missions de l’Etat actionnaire par l’Agence des Participations
de l’Etat (APE) depuis sa création en 2004.
Le ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi (ci-après
« MINEFE ») partage dans les grandes lignes un certain nombre
d’observations formulées par la Cour des Comptes dans cette insertion,
notamment en ce qui concerne les progrès réalisés dans la gestion des
entreprises à participation publique de son périmètre (ci-après, par extension
de langage, « entreprises publiques ») et leur suivi par l’Etat depuis 2004.
En effet, la création de l’APE a permis d’identifier clairement au sein de
l’Etat la fonction d’actionnaire, et de professionnaliser davantage cette
mission. Les intérêts patrimoniaux de l’Etat sont désormais mieux pris en
compte dans la décision publique : l’objectif prioritaire de l’APE est en effet
d’accroître la valeur des entreprises entrant dans son périmètre de
compétence et donc in fine de créer de la valeur pour l’Etat-actionnaire. Par
son action, l’APE a en outre fortement contribué à généraliser les bonnes
pratiques en matière de gouvernance au sein des entreprises du secteur
public, et incarne aujourd’hui un actionnaire à la fois vigilant et réactif, très
présent aux côtés des entreprises pour accompagner et favoriser leur
développement. L’action de l’APE s’est traduite par une amélioration de la
gestion des entreprises entrant dans son périmètre de compétences, dont les
performances opérationnelles ont sensiblement progressé et dont la structure
financière s’est significativement assainie au cours des dernières années,
comme en attestent les données des comptes combinés du secteur public, et la
progression de la valeur boursière du portefeuille (qui était de l’ordre de
40 Mds€ en septembre 2004 et a dépassé les 200 Mds€ fin octobre 2007).
L’APE a enfin développé un savoir-faire technique reconnu sur la place en
matière d’opérations sur le capital des entreprises, dont elle analyse au
préalable l’opportunité sur le plan patrimonial et qu’elle a la charge de
mener, au mieux des intérêts de l’Etat, une fois qu’elles ont été décidées par
le gouvernement.
Le MINEFE ne partage pas, en revanche, la vision donnée par la
Cour des Comptes du rôle de l’Etat actionnaire. Cette vision apparaît parfois
trop réductrice, lorsque la Cour des Comptes estime que la stratégie de
l’APE est essentiellement axée sur les opérations de cession qui ne
représentent pourtant qu’une part très limitée de ses missions. Elle apparaît
au contraire excessivement large, lorsque la Cour des Comptes appelle de
ses voeux une « évolution de la gouvernance de l’Etat actionnaire »
permettant à celui-ci de réaliser la synthèse entre les considérations
38
COUR DES COMPTES
patrimoniales et les « intérêts sectoriels défendus par les ministères et les
directions techniques » : cette prérogative relève en effet clairement du
gouvernement, qui dispose de la légitimité politique nécessaire pour arbitrer
entre des objectifs potentiellement divergents.
Par ailleurs, l’objectif de défense des intérêts patrimoniaux de l’Etat
actionnaire dans le cadre des opérations sur le capital des entreprises ne se
limite pas, comme l’indique la Cour des Comptes, à la poursuite d’intérêts
purement « financiers », mais prend largement en considération les
dimensions stratégiques et industrielles, dans une perspective de création de
valeur à long terme, comme le montrent de nombreuses opérations menées
au cours des dernières années pour accompagner les projets stratégiques et
industriels d’entreprises du périmètre APE : rapprochement entre Air France
et KLM, entre GDF et Suez, entre DCNS et Thales, entre Snecma et Sagem,
entrée de Bouygues au capital d’Alstom, remontée d’Alcatel au capital de
Thales dans le cadre d’un apport d’activités stratégiques (satellites,
sécurité). Ces exemples démontrent bien qu’il n’y a pas lieu d’opposer
systématiquement ces différents intérêts qui, bien au contraire, sont le plus
souvent très naturellement alignés.
En outre, le MINEFE ne partage pas l’appréciation que la Cour des
Comptes porte sur le bilan patrimonial des opérations de cession menées par
l’APE, qui semble au demeurant se fonder sur la seule opération de
privatisation des sociétés d’autoroutes. Le bilan patrimonial de cette
opération particulière est pourtant difficilement contestable sur des bases
objectives. Ces opérations sont menées dans un souci constant de défense des
intérêts
financiers
de
l’Etat.
Les
conditions
financières
obtenues,
généralement considérées par les professionnels comme à l’avantage clair de
l’Etat, attestent du niveau de qualité de ces opérations.
Enfin, les performances de l’Etat actionnaire ne peuvent s’apprécier
sur la base du seul critère des fonds injectés par l’actionnaire dans les
entreprises, comme le laisse entendre la Cour des Comptes. Si l’Etat ne
s’interdit pas par principe d’investir « stratégiquement » lorsque cela s’avère
nécessaire et opportun dans le respect des règles communautaires, ses
premiers leviers de création de valeur, comme pour tout actionnaire ou
investisseur privé, ne résident pas dans ses propres mises de fond : cette
valeur doit en effet d’abord provenir de l’amélioration de la gestion, de la
gouvernance, et des performances des entreprises elles-mêmes.
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
39
Réponse détaillée
I. Comme le souligne la Cour des Comptes dans son rapport, la création de
l’Agence des participations de l’Etat a déjà produit des effets positifs sur la
gestion et la gouvernance des entreprises du secteur public, qui peuvent
encore être renforcés.
1. Même si l’Etat demeure un actionnaire atypique, la création de l’APE en
2004 a permis une meilleure prise en compte des intérêts patrimoniaux de
l’Etat dans la décision publique.
La création de l’Agence des Participations de l’Etat a indéniablement
permis de professionnaliser le métier d’actionnaire au sein de l’Etat. En
identifiant une structure qui incarne l’actionnaire public et non plus une
« tutelle », elle a contribué à une distinction fondamentale des rôles et des
moyens d’actions de chacune des parties prenantes publiques (actionnaire,
régulateur, client, concédant, financeur d’une politique publique), qui étaient
auparavant confusément imbriqués, et permis une amélioration générale de
la gouvernance publique, en faisant prévaloir les notions d'intérêt social et
d'autonomie de gestion des entreprises publiques. Il paraît souhaitable de
poursuivre cet effort de clarification dans les prochaines années. Quant à la
recommandation de la Cour des Comptes visant à supprimer la présence des
commissaires du gouvernement dans les conseils d’administration, cette
présence peut s’avérer nécessaire pour faire valoir, à titre exceptionnel
lorsque les enjeux en cause sont importants, des considérations de politique
publique en évitant toute situation de conflit d’intérêt liée à la position
d’administrateur.
L’insertion au rapport public souligne également, à juste titre,
l’important saut qualitatif permis par la création de l’APE dans le suivi des
entreprises publiques de son périmètre : généralisation des bonnes pratiques
en matière de gouvernance d’entreprise (cf. I.2) ; suivi renforcé des résultats
et des perspectives des entreprises, de leur stratégie, et notamment de leurs
opérations de croissance externe ; production de comptes combinés de l’Etat
actionnaire, permettant de disposer d’une vision globale des performances
des entreprises du portefeuille (cf. infra) ; renforcement de l’expertise et du
savoir-faire en matière d’opérations en capital, qu’il s’agisse d’opérations
sur des entreprises cotées ou non cotées ; développement de l’expertise en
droit communautaire, assorti d’un souci constant d’anticipation dans ce
domaine, qui s’est révélé indispensable pour mener à bien certaines grandes
réformes (réforme du financement des retraites des grands opérateurs
publics, création de la Banque postale) ou opérations (plans de
restructuration de la SNCM, de l’Imprimerie Nationale, de Fret SNCF ou de
Bull, golden share, etc.). L’APE constitue aujourd’hui un partenaire
privilégié pour les entreprises de son périmètre : à travers l’APE, les
entreprises publiques qui évoluent, comme leurs concurrentes privées, au
rythme des marchés, disposent au sein de l’Etat d’un interlocuteur
professionnel, qui sait concilier une forte réactivité et le souci du moyen
40
COUR DES COMPTES
terme. A cet égard, il eut été intéressant que la Cour des Comptes complète
son enquête en sollicitant en amont le point de vue des dirigeants des
entreprises publiques sur l’évolution de la relation avec leur actionnaire
public avant et après la création de l’APE.
Cette attention accrue portée aux intérêts patrimoniaux de l’Etat a
accompagné une amélioration très sensible de la gestion des entreprises
publiques depuis 2004 que traduisent bien leurs comptes individuels et les
comptes combinés produits par l’APE : la rentabilité de l’ensemble a
considérablement progressé (le résultat net, qui a atteint 13,2 Mds€ en 2006
contre 11,6 Mds€ en 2005 à périmètre comparable, représente 8,5 % du
chiffre d’affaires en 2006 ; ce taux est de l’ordre de 6% pour les
50 principaux groupes français de l’industrie et des services et de 7,5% pour
les sociétés des secteurs non financiers du CAC 40) et sa structure financière
a été assainie avec une diminution spectaculaire de l’endettement (le ratio de
dette nette sur capitaux propres est passé de 3,1 en 2004 à 1,56 en 2006).
Ces entités exercent leurs activités en ayant de moins en moins besoin de
faire appel aux ressources de l’actionnaire, qu’elles rémunèrent de façon
croissante par des dividendes (le montant total des dividendes perçus par
l’Etat sur les entités du périmètre APE est passé de 0,9 Mds€ en 2003 à
4,8 Mds€ en 2007 malgré la réduction du périmètre du secteur public), tout
en continuant à investir pour leur développement (31 Mds€ en 2006). Si
l’action de l’APE est loin d’expliquer la totalité de cette amélioration des
performances des entreprises publiques, elle y a néanmoins contribuée. Il est
regrettable que le rapport de la Cour des Comptes ne fasse aucune mention
de cet élément objectif, dont le rapport annuel public de l’Etat actionnaire
rend bien compte.
Tout en soulignant le progrès important que constitue la production
de comptes combinés de l’Etat actionnaire, la Cour des Comptes
recommande de « progresser dans le sens d’une consolidation des comptes
de l’Etat étendue aux participations de l’Etat actionnaire », afin de
neutraliser dans leur intégralité les opérations entre les entreprises du
« groupe ». Il convient sur ce point de rappeler que ces comptes combinés
sont établis en application de l’article 142 de la loi sur les nouvelles
régulations économiques. Ce principe a été retenu dans la mesure où l’APE
ne dispose pas de personnalité juridique. Les comptes combinés fournissent
une image fidèle de la situation financière et opérationnelle des entités du
périmètre de l’APE comme en atteste chaque année le groupe de
personnalités indépendantes. Par ailleurs, conformément au manuel des
comptes combinés et après avis du groupe de personnalités indépendantes,
des modalités de simplification sont mises en oeuvre pour le traitement des
flux intragroupes, notamment pour ceux qui résultent de transactions
courantes (électricité, gaz, transport ferroviaire individuel, affranchissement
du courrier). Ce manuel fait l’objet d’une revue régulière sous le contrôle du
groupe d’experts en vue de son amélioration dans les limites de ce qu’il est
raisonnablement possible de faire. S’il était décidé d’établir des comptes
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
41
consolidés au niveau de l’Etat, l'APE, forte de son expérience de la
combinaison, justement saluée par la Cour des Comptes, se tiendrait à la
disposition des administrations compétentes pour contribuer à cet exercice
en accord avec le groupe de personnalités.
Enfin, en ce qui concerne l’organisation de l’APE, il paraît difficile
d’affirmer, comme le fait la Cour des Comptes, qu’elle ne diffère pas
fondamentalement de celle de l’ancien Service des participations, dont le
mode de fonctionnement était très différent. En termes d’organisation, l’APE
dispose notamment de pôles d’expertise comptable, financière et juridique
qui viennent en appui des bureaux sectoriels chargés du suivi des entreprises
et jouent un rôle clé dans le fonctionnement quotidien de l’Agence. L’APE
peut en outre s’appuyer sur des collaborateurs aux profils très variés et
dispose de la possibilité de recruter des agents contractuels dont le nombre
demeure significatif, notamment dans les pôles d'expertise (7 personnes) où
leur présence est indispensable, mais aussi dans les fonctions opérationnelles
(2 chefs de bureaux, un chargé d’affaires). S’agissant des moyens de l’APE,
dont les effectifs ont été renforcés en fonction des enjeux liés aux
participations (aujourd’hui 4 cadres sont en charge d’EDF et de Gaz de
France contre 1,5 équivalent-temps plein en 2002) pour permettre un
meilleur suivi quotidien des participations, et s’établissent aujourd’hui à
52 personnes, ils semblent aujourd’hui globalement adaptés aux missions de
l’Agence.
2. Des progrès très importants ont été accomplis en matière de gouvernance
des entreprises publiques depuis la création de l’APE. Des marges de
progression subsistent toutefois dans certains secteurs.
La Cour des Comptes recommande dans son rapport d’« améliorer la
gouvernance des entreprises dont l’Etat est actionnaire, en généralisant les
comités d’audit, de stratégie et de rémunération, et en formalisant la
procédure de sélection des dirigeants ». L’APE a d’ores et déjà fortement
contribué à généraliser les bonnes pratiques en matière de gouvernance
(décrites dans la charte des relations APE/entreprises) au sein des entités de
son
périmètre :
renforcement
des
pouvoirs
des
organes
sociaux,
diversification de leur composition, afin d’y faire entrer davantage
d’administrateurs
indépendants,
d’éliminer
autant
que
possible
les
éventuelles situations de conflit d’intérêts et d’améliorer la qualité des
débats, création de comités spécialisés au sein des organes sociaux,
amélioration de la qualité de l’information financière (passage aux IFRS,
etc.).
Ainsi, le fonctionnement des organes sociaux des entreprises
publiques a-t-il été largement amélioré depuis 2004, même si des marges de
progrès significatives existent pour certaines entités, notamment pour les
ports autonomes et les sociétés de l’audiovisuel public. Ces efforts doivent
néanmoins être conciliés avec les contraintes imposées par la loi du 26 juillet
42
COUR DES COMPTES
1983 relative à la démocratisation du secteur public, qui fixe la composition
des organes sociaux de certaines entités.
L’APE a également obtenu la généralisation des comités d’audit et
travaille aujourd’hui à créer des comités de la stratégie partout où cela est
pertinent. Des comités stratégiques ont ainsi été créés au sein des conseils
d’administration de RFF, DCNS, ADP, France Télévisions, de la SNCF et de
la Française des Jeux. Concernant les comités des rémunérations, leur
développement apparaît souhaitable, en tenant compte toutefois de la taille et
des spécificités des entreprises, même s'il faut y intégrer les contraintes liées
aux règles de droit public applicables pour la fixation des rémunérations des
dirigeants d’entreprises détenues majoritairement par l’Etat. Les questions
de rémunération sont évidemment une problématique et un levier d’action
majeurs pour tout actionnaire. L'APE veille donc, sauf exception, à jouer un
rôle central dans les décisions en la matière et a notamment contribué à
l’évolution des critères relatifs à la part variable des rémunérations des
dirigeants. La généralisation des comités des rémunérations devrait
permettre, en tout état de cause, de rendre les procédures plus transparentes,
tout en renforçant la gouvernance des entreprises.
Pour ce qui concerne la nomination des dirigeants des entreprises
publiques, qui est également un sujet fondamental pour tout actionnaire, ce
pouvoir appartient aujourd’hui au pouvoir exécutif (Président de la
République, Premier Ministre, Conseil des Ministres), conformément à la
Constitution et à l’ordonnance du 28 novembre 1958 portant loi organique,
et ne relève pas des compétences spécifiques confiées à l’APE par le décret
du 9 septembre 2004 ; ceci n’interdit pas à l’APE d’adresser au Ministre des
recommandations, formelles ou informelles, sur les possibles évolutions
managériales, notamment pour les entreprises de taille moyenne pour
lesquelles son avis est fréquemment sollicité. Le comité de réflexion et de
proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la
Vème République a formulé des propositions d’évolution dans le sens d’une
consultation ad hoc du Parlement pour « un petit nombre d’entreprises et
établissements publics qui, par l’importance des services publics dont ils
assurent la gestion, exercent une influence déterminante sur les équilibres
économiques, sociaux, d’aménagement du territoire et de développement
durable de notre pays ». Il apparaît souhaitable que l’Etat actionnaire puisse
le moment venu, si cette proposition était retenue, jouer pleinement son rôle
dans ces procédures de nomination.
En matière de suivi des risques financiers importants, si des marges
de progrès existent là encore, l'APE est déjà amenée à suivre les principaux
facteurs de risques (à travers la cartographie des risques par exemple
présentée en comité d’audit et aux organes sociaux) des entreprises de son
périmètre, via sa participation aux organes sociaux et aux comités. En
particulier, contrairement a ce que laisse entendre la Cour des Comptes, les
cessions et acquisitions des filiales font, selon leur significativité, l'objet d'un
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
43
examen par l'APE et par les organes sociaux de la société mère selon les
règles de gouvernance propres à chaque groupe. Il est à noter que l’APE
s'efforce constamment d'améliorer les règles de gouvernance en la matière,
en s’assurant de la capacité du conseil d’administration de la société mère à
contrôler efficacement les opérations des filiales, au-delà de seuils définis
dans le règlement intérieur. Les contrats commerciaux structurants,
lorsqu’ils engagent les entreprises pour des montants importants et des
durées longues, font également l’objet d'un examen très attentif dans le cadre
des travaux des comités et des organes sociaux.
3. La Cour des Comptes souligne à juste titre la nécessité d’une réflexion sur
la gestion par l’Etat de ses participations minoritaires.
L’Etat se trouve désormais de plus en plus souvent en position
d’actionnaire minoritaire (Air France-KLM, Renault, France Télécom,
Safran, Thales, EADS). Son poids réel dépend naturellement de la répartition
du reste du capital (flottant ou présence d’un actionnaire industriel
significatif), de l’existence de pactes d’actionnaires et des règles de
gouvernance propres à chacune des entreprises concernées. Le MINEFE
souscrit pleinement à la recommandation de la Cour des Comptes
d’« engager une réflexion sur les objectifs, la gestion et le contrôle des
participations minoritaires de l’Etat dans les secteurs considérés comme
stratégiques », sujet complexe sur lequel il accueillera volontiers ses
propositions, et sur lequel il sera difficile de s’exonérer d’une appréciation
au cas par cas.
Il est en revanche contestable d’affirmer, s’agissant de l’Etat, que
« ses objectifs et sa présence en tant qu’actionnaire de référence
apparaissent pourtant en retrait par rapport à ceux d’un actionnaire privé
disposant d’une participation de ce niveau », le cas très particulier d’EADS
ne pouvant servir de référence pour juger de la façon dont l’Etat exerce son
rôle d’actionnaire minoritaire. A cet égard, les allusions à une faible
implication de l’Etat dans la gouvernance d’Air France-KLM sont également
contestables. Par ailleurs, l’Etat en particulier lorsqu’il est actionnaire de
référence, reste un interlocuteur incontournable pour toute opération
significative de restructuration du capital, ce qui impose un dialogue
préalable approfondi entre l’entreprise et l’APE.
II. En revanche, certaines critiques formulées par la Cour des Comptes
traduisent une conception contestable du rôle et des missions de l’Etat
actionnaire.
Selon la Cour des Comptes, « la stratégie, avant tout financière, suivie
par l’Agence n’a guère été transparente, ni suffisamment justifiée,
notamment auprès du Parlement. En réalité, elle a été essentiellement axée
sur le désengagement et les cessions. Malgré un indéniable savoir-faire, ses
performances patrimoniales n’ont pas toujours été convaincantes. ». Ces
appréciations procèdent d’une vision erronée des missions de l’Etat
44
COUR DES COMPTES
actionnaire et des prérogatives de l’APE, en décalage avec le cadre
réglementaire et institutionnel en vigueur et avec la réalité du travail
quotidien de l’APE.
1. Il n’appartient pas à l’APE de jouer un « rôle de synthèse » entre
les considérations patrimoniales et celles relevant des autres ministères ou
directions concernés à divers titres par l’activité des entreprises relevant du
périmètre de l’APE, ces arbitrages relevant clairement de la responsabilité
du gouvernement.
Le décret du 9 septembre 2004 portant création de l’APE fixe d’une
part les missions de cette structure et d’autre part son périmètre d’action. La
mission de l’APE est de défendre les intérêts patrimoniaux de l’Etat. Si ce
décret prévoit que l’APE s'assure de la cohérence des positions des
représentants de l’Etat au sein des organes sociaux, ceci ne lui confère
nullement un rôle de synthèse et encore moins d’arbitrage entre les
différentes considérations autres que patrimoniales portées par les autres
ministères. Le périmètre d’action de l’APE est par définition évolutif : il
enregistre au gré des opérations des sorties (Bull, Alstom) et des entrées
(LFB, Monnaie de Paris) ; il convient par ailleurs de préciser qu’à ce jour,
aucune décision n’a été prise concernant une éventuelle entrée de Météo
France dans ce périmètre, contrairement à ce qu’indique le rapport.
Il convient de rappeler que la réforme de l’Etat actionnaire menée en
2004, qui a conduit à créer l’APE sous la forme d’un service à compétence
nationale rattaché au ministère de l’économie et des finances, résulte d’un
choix politique clair et assumé : il n’a été souhaité ni la création d’une
société holding, eu égard à l’opacité dans la gestion des participations qui
aurait été induite par la création d’une personne morale qui aurait fait écran
entre l’Etat et les entreprises, ni d’un établissement public, ni d’une autorité
administrative indépendante, dont il aurait été difficile d’articuler la mission
avec les compétences que le législateur confie au ministre de l’économie et
des finances et dont la légitimité aurait pu être contestable sur le plan des
principes. Ceci conduit logiquement à ce que les arbitrages entre les
différentes considérations prévalant au sein de l’Etat soient rendus par le
gouvernement, l’APE suscitant le cas échéant et défendant les intérêts de
l’Etat actionnaire dans le cadre de ces arbitrages autrefois internalisés. Le
MINEFE ne peut donc souscrire à la recommandation de la Cour des
Comptes de « mettre en place les moyens permettant un pilotage global des
participations de l’Etat, de faire la synthèse des considérations patrimoniales
et des intérêts sectoriels défendus par les ministères et les directions
techniques, et de préparer dans les meilleures conditions les arbitrages
politiques »,
qui
semble
méconnaître
la
procédure
d’arbitrages
interministériels rendus par le Premier Ministre ou le Président de la
République. Ces arbitrages sont consubstantiels à l’Etat et le distinguent
d’un holding privé.
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
45
L’APE n’a pas davantage vocation à interférer dans la gestion
quotidienne des entreprises relevant de son périmètre, ni a fortiori à arbitrer
les conflits commerciaux ou les différends financiers susceptibles de surgir
entre celles-ci. Le souci de neutralité affiché par l’APE ne procède pas d’une
« relative passivité », comme le suggère le rapport public, mais de
l’impossibilité juridique pour l’Etat actionnaire de contraindre une
entreprise à prendre une décision contraire à son intérêt social. L'APE peut
certes intervenir dans le cas où il existe un risque de destruction de valeur
pour l'actionnaire, afin de favoriser le dialogue et la recherche d’une
solution dans l’intérêt commun des parties, comme elle a pu le faire dans
certains cas (notamment pour régler divers litiges ente la SNCF et RFF),
mais elle n’est pas en situation de se poser en arbitre.
2. L’action de l’APE ne peut être réduite à celle d’une simple « technicienne
des opérations sur le capital » : cette vision réductrice est en décalage avec
la réalité quotidienne du travail des équipes de l’APE, dont l’objectif
prioritaire est de veiller à la qualité de la gestion et au développement des
entreprises de son périmètre
Une des premières missions de l’APE, à laquelle elle consacre la
majeure partie de ses ressources est d’assurer la meilleure valorisation du
portefeuille de sociétés (cotées et non cotées) relevant de son périmètre, et de
rechercher la création de valeur pour l’actionnaire. Il s’agit d’un travail
quotidien et minutieux de suivi des participations, qui se décline sous
différents aspects. L’APE participe activement aux travaux des organes
sociaux et, dans ce cadre, veille à la qualité et à la sincérité des comptes et
de l’information comptable, à la pertinence sur le plan industriel et
stratégique et à l’optimisation sur le plan patrimonial des investissements
importants, des opérations de croissance externe ou de désinvestissement,
discute et valide les budgets annuels, les plans à moyen terme, et les grandes
orientations stratégiques. Les équipes de l’APE suivent par ailleurs
attentivement la situation des entreprises du périmètre, par un dialogue
permanent avec leurs dirigeants, des visites de sites industriels, et par une
veille quotidienne sur l’évolution de leur secteur d’activité. Cette partie
fondamentale du travail de l’APE, qui constitue sa première raison d’être et
mobilise l’essentiel du temps de ses équipes, est à peine évoquée dans le
rapport de la Cour des Comptes.
Une autre des missions de l’APE est bien d’assurer la réussite des
opérations sur le capital du point de vue de l’actionnaire. Comme le souligne
à juste titre le rapport, l’APE ne peut être seule juge de l’opportunité de la
cession de participations dans des entreprises de son périmètre, cette
décision relevant de la compétence du gouvernement, dans la mesure où elle
nécessite de prendre en compte des considérations autres que patrimoniales
(cf. supra). Ceci ne signifie pas pour autant que l’APE fasse preuve de
passivité ; elle joue en effet un rôle important de veille, d’analyse et de
proposition,
en
recommandant
régulièrement
au
gouvernement
des
46
COUR DES COMPTES
opérations sur le capital des entreprises de son périmètre, lorsqu’elle les
juge patrimonialement opportunes, au regard de la valorisation de ces
entreprises par le marché, de leurs perspectives à moyen terme, etc…
3. Les critiques formulées par la Cour des Comptes sur le bilan patrimonial
des opérations en capital sont dénuées de fondement.
La Cour des Comptes considère que le bilan patrimonial des
opérations de cession conduites par l’APE au cours des dernières années est
« parfois discutable », sans pour autant démontrer de façon convaincante
cette affirmation ; celle-ci semble se fonder sur la seule opération de
privatisation des sociétés d’autoroutes, dont le bilan patrimonial est pourtant
difficilement contestable sur des bases objectives.
Il convient en outre de rappeler que la Commission des Participations
et des Transferts (CPT) joue un rôle très important, qui lui est dévolu par les
lois de privatisation, dans les opérations sur le capital, en fixant sous sa
responsabilité le prix minimum de cession des actifs publics, et en veillant au
bon déroulement des cessions hors marché. Elle travaille en toute
indépendance à l’égard des services du MINEFE, et en particulier de l’APE,
qu’elle auditionne systématiquement pour toutes les opérations qui lui sont
soumises, au même titre que les dirigeants de l’entreprise concernée, que les
candidats acquéreurs pour les cessions hors marché et que les banques
conseil de l’ensemble des parties, qui soumettent chacune à la CPT leurs
analyses sur la valeur des actifs faisant l’objet de la transaction. La CPT
dispose donc pour mener ses analyses de différents points de vue, et par
ailleurs d’un important recul sur les méthodes de valorisation compte tenu de
la diversité des opérations qui lui sont soumises.
3.1. La Cour des Comptes y faisant référence à de multiples reprises, il
paraît nécessaire de revenir plus en détail sur l’opération de cession des
participations de l’Etat dans les sociétés concessionnaires d’autoroutes
(APRR, ASF et Sanef).
Il convient tout d’abord de préciser que lors des ouvertures de capital
des sociétés APRR, ASF et Sanef, comme lors de leur privatisation, l’intérêt
patrimonial de l’Etat a été scrupuleusement valorisé et servi, de la même
manière que pour les autres opérations sur le capital menées par l’APE.
D’abord les évaluations de ces sociétés, sur la base desquelles se sont
fondées les recommandations de prix d’introduction en bourse ou de prix de
cession, ont été conduites, comme pour les autres opérations sur le capital
menées par l’APE et conformément à ce qu’impose les lois de privatisation,
sur la base d’une approche multicritères selon les méthodes employées
couramment par les analystes financiers, notamment la méthode par
actualisation des flux de trésorerie disponible, particulièrement adaptée au
cas des concessions autoroutières du fait de la relative régularité des revenus
de ces sociétés tout en permettant d’intégrer la durée de la concession en
actualisant jusqu’au terme de celle-ci ces flux de trésorerie. S’agissant des
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
47
taux d’actualisation retenus, la méthode de calcul a été celle communément
pratiquée par l’ensemble de la communauté financière ; les données utilisées
pour le calcul proprement dit (taux d’intérêt, structure financière de la
société, conjoncture boursière, etc.) reflétaient la situation de la société et
des marchés financiers au moment de l’opération et intégraient en particulier
la nature relativement peu risquée de l’activité. En outre, il convient de
préciser que le taux d’actualisation dépend du risque associé aux flux et est
indépendant de celui qui reçoit ces flux ; plus fondamentalement, il n’y
aucune raison pour que l’Etat ait une appréciation du risque auquel il est
exposé différente de celle adoptée par un investisseur, quel qu’il soit. Rien ne
permet donc de qualifier ces taux d’actualisation d’« excessivement élevés ».
Ensuite, il doit être observé que la privatisation des sociétés
concessionnaires d’autoroutes est intervenue dans une conjoncture de taux
d’intérêt historiquement bas qui, compte tenu de la sensibilité de la
valorisation au niveau des taux d’intérêt, a permis de maximiser le produit
de cession de ces entreprises. Au-delà, les valorisations qui ressortent des
prix de cession obtenus lors de la privatisation des sociétés concessionnaires
d’autoroutes se situent significativement au-dessus de la moyenne des
multiples des sociétés comparables européennes, ce qui atteste que les prix
de cession intégraient bien une prime de contrôle et que la valorisation du
patrimoine de l’Etat a été maximisée.
S’agissant spécifiquement de la privatisation d’ASF, elle s’est
déroulée selon la même procédure ouverte et transparente d’appel public à
candidatures par cahier des charges que pour les cessions d’APRR et de
Sanef. Treize candidats ont manifesté leur intérêt pour ASF et ont été
déclarés recevables. Si seul Vinci a in fine déposé une offre ferme sur ASF, la
comparaison des prix de cession obtenus sur les trois opérations révèle
néanmoins que les effets concurrentiels du processus de cession par appel
d’offres ont été pleinement intégrés dans le prix de cession d’ASF, comme ils
l’ont été pour APRR et Sanef. Enfin, l’évolution du cours de bourse d’une
société doit s’apprécier en fonction d’une multitude de facteurs à la fois
exogènes (santé des marchés financiers, évolution du secteur d’activité) et
endogènes (résultats de l’entreprise comparés à ceux de ses pairs et aux
attentes du marché, perspectives de croissance). Aussi, la hausse du cours de
Vinci, que la Cour des Comptes relève sur la période 2002-2006, ne saurait
être interprétée comme une preuve que les marchés ont jugé que son
acquisition d’ASF était faite à un prix avantageux et ce d’autant plus qu’elle
ne semble guère exceptionnelle en regard des hausses de cours affichées par
certains de ses concurrents européens dans le secteur de la construction
(notamment Acciona et FCC).
Sur les questions de régulation relatives à la protection du
consommateur, il est nécessaire de rappeler que les procédures de suivi et de
contrôle de l'exécution de la concession et les obligations du concessionnaire
en matière de qualité de service ont été renforcées à l’occasion de la
48
COUR DES COMPTES
privatisation d’ASF, d’APRR et de Sanef. S’agissant de la fixation des
péages, le statut privé des entreprises ne change en rien à l’équilibre
financier des contrats de concession et n’est pas en soi générateur de
l’apparition d’une rente tarifaire. La privatisation a en revanche mis fin à
une situation inhabituelle et susceptible de générer des conflits d’intérêt, où
l’Etat était à la fois le concédant d’un service public et l’actionnaire
majoritaire de la société concessionnaire.
Enfin, s’agissant de la recommandation de la Cour des Comptes, qui
souhaite « pour les monopoles naturels, limiter la privatisation à l’usufruit »
comme cela a été le cas lors de la privatisation des seules sociétés
concessionnaires d’autoroutes (l’Etat demeurant propriétaire du réseau),
toute généralisation en la matière apparaît délicate puisque les modèles de
régulation sectoriels sont très variables d’un secteur à l’autre (cf. par
exemple le cas des autoroutes dont le schéma de régulation est distinct de
celui dans les secteurs des télécoms ou de l’énergie).
3.2.
D’autres
observations
de
portée
plus
générale
appellent
un
commentaire.
En ce qui concerne les opérations d’introduction en bourse, il
convient de préciser que l’offre d’une décote du prix d’introduction par
rapport à l’objectif de cours des analystes est une pratique habituelle, les
objectifs de cours des analystes financiers se situant dans un horizon de 10 à
18 mois par rapport à l’introduction et intégrant plusieurs effets endogènes.
L’augmentation du cours après l’introduction en bourse, variable suivant
l’horizon temporel considéré, dépend de plusieurs facteurs (accoutumance et
révélation de la performance au marché, liquidité accrue, mise en tension du
management…) et ne peut pas s’interpréter comme le signe que le prix
d’introduction était sous évalué. Pour reprendre l’exemple de l’introduction
en bourse de Sanef mise en avant par la Cour des Comptes, la décote de
12 % retenue lors de cette opération était parfaitement cohérente avec les
pratiques observées lors d’opérations d’introduction en bourse les plus
récentes (en particulier celles d’ASF et d’APRR). La valeur retenue de
40 €/action pour les particuliers était supérieure de 6,7 % au seuil de la CPT
et le cours de Sanef est resté inférieur à son prix d’introduction en bourse
pendant plus d’un mois, ce qui laisse plutôt penser que les marchés ont jugé
ce prix d’introduction suffisamment ambitieux. L’Etat demeurant actionnaire
des sociétés ainsi introduites en bourse, il tire en tout état de cause
pleinement profit de cette hausse (cf. cas d’ADP et d’EDF).
S’agissant des commissions bancaires payées par l'Etat, elles ont été
globalement réduites de moitié au cours des dernières années, ce qui traduit
les efforts constants réalisés par l’APE pour diminuer les coûts des
opérations de cession de l’Etat. S’agissant des commissions de placement
versées aux banques évoquées par la Cour des Comptes, elles ont également
été réduites dans des proportions importantes (entre 2002 et 2007, elles ont
été divisées par 7 pour les opérations avec constitution accélérée de livre
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
49
d’ordre et de plus de moitié pour les opérations de mises en bourse) et les
taux sur les opérations de l’Etat sont aujourd’hui bien inférieurs à ceux
appliqués à des cédants privés. La recommandation formulée par la Cour des
Comptes relative à l’intérêt de mettre en place des structures de
rémunération plus incitatives, dont le principe de commissions de placement
à taux variables croissants en fonction du prix de reclassement a déjà été
appliqué à deux reprises (lors des placements France Télécom et Air France
en 2004), est naturellement partagée par le MINEFE et l’APE travaille à
mettre en place les mécanismes de commissionnement les plus incitatifs
possibles, en prévoyant par exemple des commissions discrétionnaires,
versées en fonction du succès du placement.
Pour ce qui concerne le coût des offres réservées aux salariés, dont la
mise en oeuvre est obligatoire pour toute cession sur le marché d’une fraction
du capital d’entreprises relevant du titre II de la loi du 6 août 1986 relative
aux modalités des privatisations, le MINEFE partage l’avis exprimé par la
Cour des Comptes sur le coût particulièrement élevé de ces dispositifs pour
les finances publiques, d’autant plus qu’ils présentent pour certaines
entreprises un caractère récurrent (5 offres successives ont ainsi été
réservées aux personnels de France Télécom depuis 1997, du fait des
cessions successives réalisées par l’Etat, 2 pour Renault, Air France et
Snecma). L’APE veille néanmoins à réduire progressivement le coût global
de ces opérations ainsi que la charge pour l’Etat, en réduisant les avantages
consentis au gré des opérations successives concernant une même entreprise,
et en veillant à éviter les effets d’aubaine, en fixant un niveau de décote
inférieur au plafond légal de 20% lorsque le cours de bourse connaît une
progression significative entre la date du placement institutionnel et celui de
l’offre réservée aux personnels.
Enfin, les éventuelles garanties octroyées par l’Etat dans le cadre de
cessions, que l’APE cherche à limiter, sont prises en compte dans
l’appréciation globale des conditions financières des opérations lors de
l’examen par la CPT. De même sur l’opération Air France-KLM, l’analyse
de la CPT a tenu compte, contrairement à ce qu’affirme la Cour des
Comptes, des synergies attendues de l’opération qui ont été largement
développées dans les rapports des banques conseils.
4. Si la tendance au désengagement de l’Etat correspond à une orientation
politique sur les dernières années, le rôle de l’APE est de faire évoluer les
entreprises (statut, capital…) dans ce cadre au mieux des intérêts de l’Etat et
des entreprises elles-mêmes, sans exclure des opérations plus offensives.
La
stratégie
de
l’APE,
qui
met
en
oeuvre
une
politique
gouvernementale dont on ne peut contester qu’elle traduit depuis une
vingtaine d’années, sauf exception, un désengagement progressif de l’Etat du
secteur concurrentiel, est très claire : mener des réflexions préalables,
proposer des évolutions au ministre de l’économie et des finances lorsque
celles-ci apparaissent pertinentes du point de vue des entreprises (besoin
50
COUR DES COMPTES
d’évolutions stratégiques ou capitalistiques, éventuellement dictées par des
contraintes communautaires) et de l’Etat (externalisation de valeur) puis,
lorsque les décisions sont prises, mettre en oeuvre les opérations au mieux
des intérêts patrimoniaux de l’Etat. Il est important d’insister sur le fait que
ces deux objectifs ne sont pas contradictoires, bien au contraire.
L’objectif d’optimisation patrimoniale dans le cadre des opérations
sur le capital des entreprises ne se borne pas à la seule poursuite d’objectifs
à caractère purement « financier » (au sens où semble l’entendre la Cour des
Comptes) mais prend largement en considération les aspects stratégiques et
industriels, dans une perspective de création de valeur à moyen-long terme :
de nombreuses opérations conduites par l’APE ont été des réussites
patrimoniales pour l’Etat tout en permettant d’accompagner des projets
industriels stratégiques pour les entreprises concernées (Air France/KLM,
GDF/Suez, Bouygues/Alstom, privatisation des sociétés d’autoroutes qui ont
permis d’adosser celles-ci à de grands partenaires industriels sur la base de
projets stratégiques bien définis) ; ceci démontre bien qu’il n’y a pas lieu
d’opposer systématiquement ces différents intérêts qui sont presque
systématiquement alignés.
Par ailleurs, le MINEFE ne partage pas l’analyse de la Cour des
Comptes sur la prétendue faible capacité d’anticipation de l’Etat actionnaire
sur l’évolution du capital des entreprises postérieurement à leur introduction
en bourse : les grandes opérations industrielles citées par la Cour des
Comptes, comme Air France/KLM, Snecma/Sagem ou GDF/Suez, n’ont été
possibles qu’avec l’accord de l’Etat qui a d’ailleurs joué un rôle moteur pour
accompagner ces projets portés par le management des entreprises. Le fait
que ces opérations aient été précédées d’une introduction en bourse des
entreprises
concernées est loin d’avoir constitué un handicap, et a au
contraire permis de révéler au mieux leur valeur, et donc de mieux négocier
les conditions des rapprochements capitalistiques qui ont suivi. Ces cas
constituent de parfaites illustrations d’un désengagement de l’Etat pour
accompagner des projets stratégiques majeurs pour les entreprises. L’Etat
continue en outre à profiter de la création de valeur liée à ces projets
industriels, en demeurant actionnaire des nouvelles entités ainsi créées. Il
importe donc que le bilan patrimonial total tienne compte de la création de
valeur captée par l'Etat liée à son désengagement progressif et partiel.
L'Etat n'a évidemment pas pour principe de s'interdire de prendre de
nouvelles participations, comme le démontrent son investissement dans
Alstom en 2005, les injections de capital significatives réalisées au cours des
dernières années dans DCNS, GIAT, ou l’Imprimerie Nationale, ou encore
les dispositions permettant à l’Etat, en cas de menace sur le contrôle
d'entreprises de défense comme EADS ou Safran ou dans certains secteurs
sensibles, de reprendre le contrôle de leurs activités présentant un caractère
stratégique. L’APE constitue désormais la structure au sein de l’Etat la
mieux à même de mener de telles opérations en direct. Il convient également
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
51
de rappeler que les entreprises publiques de premier rang sont elles-mêmes
très actives et procèdent, sous le contrôle de l’APE, à de nombreuses
opérations de croissance externe qui font rentrer différentes sociétés dans le
périmètre des participations publiques.
En outre, si l’environnement communautaire crée un contexte
favorable à certaines évolutions, il convient de rappeler que l’APE a joué un
rôle majeur et proactif dans les grandes réformes structurelles récentes du
secteur public (changements de statuts, et modernisation du cadre de
régulation le cas échéant, d’EDF, GDF, ADP, de la Monnaie de Paris et du
LFB, création de la Banque postale), dont l’objectif a été de favoriser la
modernisation et le développement des entreprises concernées.
Sur la base de l’ensemble de ces éléments, il apparaît donc faux
d’affirmer que « En dehors de la contribution au désendettement de l’Etat, la
finalité implicite de sa gestion est moins axée sur la création de valeur que
sur l’optimisation financière de la contraction du secteur public productif et
sur la restructuration progressive des services publics dont la privatisation
n’est pas envisagée. »
Enfin, une distinction très claire doit être opérée entre le champ
d’action de la CDC et celui de l’APE, dont les missions et la stratégie
actionnariale sont différentes. D’une part, des conflits d’intérêts sont
susceptibles d’exister entre ces deux entités, justifiant une nécessaire
séparation fonctionnelle entre l’APE et la sous-direction en charge du suivi
de la CDC au sein de la DGTPE (la CDC peut notamment être candidate
dans des opérations de cession de participations publiques conduites par
l'APE). D’autre part, il y a lieu de distinguer clairement le rôle de
gestionnaire des participations de l'Etat, sous le contrôle du gouvernement et
du Parlement, joué par l’APE et celui d'investisseur institutionnel joué par la
CDC, qui n'est par ailleurs pas soumise aux mêmes contrôles.
5. L’efficacité de l’action de l’Etat actionnaire, dont la transparence a été
significativement améliorée depuis 2004, ne peut s’apprécier sur le seul
critère des dépenses pour des opérations en capital à partir du compte
d’affectation spéciale « Participations financières de l’Etat »
Si la LOLF a fourni un cadrage plus précis aux opérations réalisables
à partir du compte d’affectation spéciale « Participations financières de
l’Etat » (ci-après « CAS PFE »), ce qui constitue une évolution très positive,
il convient tout d’abord de rappeler que les opérations non strictement
patrimoniales qui ont été menées avant l’entrée en vigueur de la LOLF à
partir du compte n°902-24 « compte d’affectation des produits de cessions de
titres, parts et droits de sociétés » ont reçu une validation politique et/ou
parlementaire.
Des progrès très importants ont été réalisés en matière de
transparence depuis la création de l'APE tant vis-à-vis du Parlement que des
citoyens, efforts qui sont passés sous silence par la Cour des Comptes dans
52
COUR DES COMPTES
son rapport. En effet, outre les informations données au Parlement dans le
cadre de la procédure budgétaire, qui fournissent des éléments prévisionnels
aussi
détaillés
que
possible
et
des
éléments
d’exécution
précis,
l’enrichissement du rapport annuel sur l’Etat actionnaire, la création du site
Internet de l’APE, la production de comptes combinés, les auditions plus
fréquentes par les commissions parlementaires constituent des avancées
importantes en ce sens.
La Cour des Comptes recommande d’une part d’« expliciter
davantage dans les documents budgétaires les objectifs poursuivis par l’Etat
actionnaire ». Si des marges de progrès existent certainement – des
engagements en ce sens ont d’ailleurs été pris devant le Parlement par le
Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Emploi, l'APE veille à fournir
la meilleure information possible au Parlement, sachant toutefois que
l’objectif de préservation des intérêts patrimoniaux de l’Etat doit primer, eu
égard notamment à la nécessaire confidentialité qui s’attache aux
informations sur d’éventuelles opérations sur des sociétés cotées.
La Cour des Comptes recommande d’autre part d’« éviter que le
recours aux structures de financement intermédiaire n’opacifie la gestion des
participations de l’Etat, en supprimant Autoroutes de France, et en rendant
plus transparentes les relations entre le compte d’affectation spéciale et
l’ERAP ». Si le cas de figure de l’avance d’actionnaire consentie à l’ERAP
fin 2004 est demeuré très exceptionnel et était justifié par des circonstances
particulières de l’époque, les relations avec les bénéficiaires du CAS PFE,
dont l’ERAP fait partie, sont aujourd’hui parfaitement transparentes.
S’agissant d’ADF, la suppression de cette structure, qui a eu son sens pour
assurer une forme de péréquation entre les différentes situations de
trésorerie des sociétés d’autoroutes, est actuellement à l’étude.
S’agissant de la mesure des performances et de l’efficacité de l’action
de
l’Etat
actionnaire,
comme
l’indique
la
Cour
des
Comptes,
« la performance de l’Etat actionnaire ne peut être valablement appréciée à
travers les seuls programmes budgétaires correspondant à ce compte
d’affectation spéciale » : l'action de l'APE revêt en effet des aspects
qualitatifs (amélioration de la gouvernance des entreprises, amélioration de
la gestion) qui ne sont pas ou qu'imparfaitement retracés dans les
programmes budgétaires. C’est la raison pour laquelle l’APE publie un
rapport annuel d’activité qui est annexé aux documents budgétaires sur le
CAS PFE.
Ainsi, les indicateurs de performance prévus par la LOLF (indicateurs
quantitatifs sur la santé financière des entreprises du périmètre de
combinaison,
sur
les
conditions
financières
des
cessions,
sur
le
désendettement), bien que perfectibles, fournissent un éclairage partiel sur
les performances de l’action de l’Etat actionnaire. Ces indicateurs traduisent
des orientations politiques générales données par le gouvernement, et
notamment la priorité dans l’affectation des recettes du CAS PFE accordée
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
53
au désendettement de l’Etat et des APU, qui est une forme de gestion
actif/passif.
Si la Cour des Comptes regrette que « la création de l’Agence ne s’est
pas accompagnée d’une utilisation plus dynamique du compte d’affectation
spéciale pour soutenir le développement des entreprises dont l’Etat est
actionnaire », le MINEFE considère pour sa part que le niveau des dépenses
du CAS PFE en faveur des opérations d’actionnaire ne constitue nullement
un critère pertinent pour apprécier les performances de l’action de l’Etat
actionnaire. Il convient au contraire de se féliciter du fait que les entreprises
aient de moins en moins souvent besoin de faire appel à des injections de
capital de l’actionnaire, et qu’elles soient désormais capables d’assumer leur
croissance sur ressources propres ou en étant capables d’attirer des
ressources du marché. Ainsi, en cas de besoin, l'Etat actionnaire a été
présent pour souscrire à des augmentations de capital directes ou indirectes
(GIAT, DCN, plan fret SNCF, SNCM...), dans le respect des règles
communautaires. En effet, les interventions de l’Etat au capital d’entreprises
publiques ne sont par principe pas exclues et l’APE veille alors à ce que ces
opérations, dont le caractère avisé de l’investissement doit le plus souvent
être démontré à la Commission européenne, se déroulent dans les meilleures
conditions financières possibles pour l’Etat. De ce point de vue, l’Etat n’est
donc pas un actionnaire atypique, le financement des entreprises par apport
de fonds de l’actionnaire étant par essence limité aux opérations
exceptionnelles par rapport aux autres modes de financement (sur ressources
propres ou externes).
Dans ces conditions, le MINEFE ne peut adhérer à la conclusion de
la Cour des Comptes lorsqu’elle affirme qu’« Au total, la création de
l’Agence ne s’est pas accompagnée d’une utilisation plus dynamique du
compte d’affectation spéciale pour soutenir le développement des entreprises
dont l’Etat est actionnaire. En dehors de la contribution au désendettement
de l’Etat, la finalité implicite de sa gestion est moins axée sur la création de
valeur que sur l’optimisation financière de la contraction du secteur public
productif et sur la restructuration progressive des services publics dont la
privatisation n’est pas envisagée. », ce qui semble contraire à la réalité.
De même, le MINEFE récuse l’idée selon laquelle l’Etat serait un
« actionnaire impécunieux », ne cédant des actifs que pour rembourser des
dettes passées. Si le désendettement constitue une priorité politique, l’Etat
sait également assurer le financement de ses participations lorsque cela
s’avère nécessaire et dans un cadre communautaire strictement encadré. Dès
lors, la portée de la recommandation de la Cour des Comptes de « favoriser
la prise en compte des considérations actif/passif, et apprécier les cessions
de titres en fonction des bénéfices attendus du passage à une gestion privée,
et non en fonction du seul critère de la réduction de l’endettement brut de
l’Etat » paraît limitée par rapport à la pratique actuelle.
54
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA CAISSE DES DÉPOTS
ET CONSIGNATIONS
Comme le souligne la Cour, l’Etat actionnaire est effectivement
« incarné par l’Agence des participations de l’Etat » et non par la Caisse des
dépôts.
Institution financière de long terme, au service du développement
économique, la Caisse des Dépôts se situe pour sa part, dans une logique
d’investisseur institutionnel. Elle détient un portefeuille d’actions cotées –au
même titre que ceux d’autres classes d’actifs comme les portefeuilles de taux,
d’actifs immobiliers ou d’entreprises non cotées- dont la finalité est avant
tout financière. Il a fait l’objet d’une gestion patrimoniale active dont
l’objectif est de dégager sur longue période un rendement en cohérence avec
le risque. Compte tenu de son horizon de long terme, de la taille de son bilan
et de ses détentions, la Caisse des Dépôts est un actionnaire particulièrement
attentif à l’impact que sa gestion peut générer sur les entreprises dont elle est
actionnaire.
En tant que premier ou second actionnaire de nombreuses sociétés du
CAC 40, elle a noué avec certaines d’entre elles des relations de confiance,
qui se traduisent par une participation significative au capital et par sa
présence au conseil d’administration. Dans certaines situations, et si cela est
conforme à ses intérêts patrimoniaux de long terme, la Caisse des Dépôts
peut soutenir des opérations qui aident à stabiliser leur actionnariat dans la
durée, et favoriser l’adaptation et la croissance de leur potentiel productif
ainsi que le développement des centres de décision de ces entreprises en
France et en Europe.
Ces objectifs sont poursuivis avec des préoccupations d’intérêt
général qui seront explicitées dans la doctrine d’investissement mise en place
dans le cadre du plan stratégique Elan 2020.
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
55
RÉPONSE DU PRÉSIDENT DIRECTEUR GÉNÉRAL
D’ÉLECTRICITÉ DE FRANCE (EDF)
Tout d’abord, concernant le coût de l’ouverture du capital d’EDF, il
convient de préciser que la réforme du financement des retraites de la
branche des IEG réalisée préalablement à cette opération s’est effectuée en
assurant la neutralité financière pour les consommateurs et la collectivité.
Ce point a déjà fait l’objet d’un échange avec la Cour concernant le rapport
provisoire sur l’ouverture du capital, la cour ayant alors pris en compte la
remarque similaire de l’Entreprise. En conséquence, je demande à la Cour
de retirer le paragraphe en bas de la page 28 du rapport («Dans la
perspective de l’ouverture…les engagements transférés »).
Par ailleurs, et comme la Cour des comptes l’a noté dans son rapport,
je voudrais souligner la qualité de l’exécution de l’ouverture du capital
d’EDF, exceptionnelle par son montant et sa complexité.
Je souhaite également commenter la remarque de la Cour relative à
la place de l’Etat dans la gestion des entreprises qu’il contrôle. Si le
principal actionnaire a sans nul doute un rôle primordial dans la validation
des objectifs à long terme et la stratégie de l’entreprise, son rôle en tant
qu’actionnaire ne peut aller au-delà de celui d’un actionnaire majoritaire
dans une société privée cotée. S’immiscer dans la gestion courante ou/et
dans des arbitrages entre sociétés conduirait l’Agence des Participations de
l’Etat, et par contrecoup EDF, à encourir les reproches d’actionnaires
minoritaires,
de
l’Autorité
des
Marchés
Financiers,
d’entreprises
concurrentes ou de la Commission Européenne.
Soyez assuré de ma détermination à poursuivre, dans les années qui
viennent, une stratégie de développement rentable pour le Groupe EDF, en
parfait accord avec l’ensemble des actionnaires et notamment avec notre
actionnaire majoritaire représenté par l’Agence des Participations de l’Etat.
56
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DE LA PRÉSIDENTE DE L’ERAP
Les analyses approfondies qui sont conduites par la Cour concernant le
rôle de l’Etat en tant qu’actionnaire rejoignent celles de l’ERAP qui, depuis le
début, a cherché à jouer pleinement ce rôle pour le compte de l’Etat, en
articulant politique industrielle et moyens financiers, dans les participations
publiques qui lui sont confiées dans le respect des contraintes internationales,
et notamment européennes.
Plus précisément, sur les observations concernant l’ERAP dans votre
rapport public, je tiens à vous apporter les compléments d’information
suivants :
1) Sur la question de l’avance faite par l’Etat à l’ERAP en 2004, un versement
de 1,5 Md€ a été effectué par l’Etat le 12 novembre 2004. Ce montant a été
porté à 1,75 Md€ le 20 janvier 2005, puis ramené à 1,5 Md€ le 18 mars 2005
et, finalement, complètement remboursé le 20 décembre 2005. Cette opération
a été sans impact sur le résultat de l’établissement, les montants prêtés étant
replacés auprès de l’ACCT à un taux de rémunération identique.
Placés temporairement auprès de l’ERAP fin 2004, ces fonds ont ainsi
été remboursés à l’Etat qui en avait sans doute une meilleure utilisation, sans
que l’ERAP soit aucunement informé de celle-ci. Dans d’autres cas, une
dotation avait pu être versée à l’établissement et faire l’objet d’un
remboursement complet ou partiel, comme celle des Bons de souscription
d’actions de France Télécom transférés en avril 2003, totalement remboursée
en décembre 2005 pour 2,2 Md€. Ces remboursements sur le compte
d’affectation spécial autorisent leur emploi à d’autres fins, dont l’ERAP n’a
pas à connaître. L’affirmation du rapport sur ce point ne peut donc être
confirmée par l’établissement.
Les opérations plus récentes d’affectation de dotations à l’ERAP ont été
clairement identifiées comme destinées à son désendettement, les fonds étant
placés à cet effet sur un compte à terme à échéance du 25 avril 2008, qui
constitue sa prochaine échéance obligataire.
2) Quant à l’investissement effectué en 2003 dans le capital de France Télécom
pour le compte de l’Etat, il s’avère effectivement avisé, ayant d’ores et déjà
permis de rembourser une très grande partie de l’endettement obligataire de
9,4 Md€ souscrit sur les marchés en 2003, de rembourser à l’Etat sa dotation
de 2003 (BSA) et de lui verser des dividendes significatifs, tout en assurant le
service de la dette de l’ERAP sans aucune subvention de l’Etat. Il entre donc
bien dans la catégorie que vous saluez comme constituant l’exception dans le
projet de rapport.
4) Enfin, en ce qui concerne votre recommandation finale, je voudrais rappeler
que les opérations intervenues entre le compte d’affection spécial et l’ERAP
sont retracées dans les comptes de l’établissement et peuvent donc y être
suivies de façon transparente.
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
57
ÉPONSE DU PRÉSIDENT DU CONSEIL D’ADMINISTRATION ET DE
L’ADMINISTRATEUR-DIRECTEUR GÉNÉRAL DE VINCI
La Cour indique que « la très forte appréciation du cours de l’action Vinci
(+140%) entre avril 2002 (…) et novembre 2006 (…) témoigne notamment,
selon toute vraisemblance, de la perception par le marché que l’acquisition
d’ASF s’est faite à un prix avantageux ».
Il nous paraît pour le moins simpliste de se fonder sur l’évolution du
cours de l’action de l’acquéreur au cours de la période d’acquisition pour
mesurer le « juste prix » d’une cible.
L’évolution du cours de VINCI sur la période de prise de contrôle
majoritaire d’ASF reflète de très nombreux éléments, certains propres à
VINCI et d’autres externes (environnement macroéconomique, performance
boursière des sociétés de construction et de concessions, performance du
CAC 40…). Il est, d’une part, abusif d’expliquer la performance boursière de
VINCI sur cette période par le seul processus d’acquisition d’ASF et, d’autre
part, erroné de déduire d’un impact positif sur le cours que le prix
d’acquisition aurait été insuffisant.
Sur le premier point on observera que la cession du bloc majoritaire
de l’Etat n’a été annoncée que le 7 juin 2005 et que, jusqu’à cette date, le
processus de privatisation était officiellement interrompu, la progression du
cours de VINCI a été identique dans les 18 mois précédents et les 18 mois
suivants cette date.
Les sociétés de construction et de concessions ont connu, au cours de
ces années un véritable engouement (Eiffage : +442,6 % - Bouygues :
+38,7 % - Abertis : +156 % - Acciona : +228,6 %).
En ce qui concerne VINCI, sa performance opérationnelle en
particulier dans les secteurs de la construction, des routes et de l’énergie a
connu une progression régulière et forte qui a été reflétée dans le cours. Les
notes d’analystes de recherche relatives à la valorisation de VINCI sur la
période font toutes apparaître une réévaluation significative de ses actifs
hors ASF. Tout ceci a certainement influé de façon non négligeable sur la
performance de l’action.
En fait, le prix payé par VINCI n’a pas surpris le marché car il
correspondait à la valeur attendue pour cet actif. Les deux offres successives
de VINCI sur ASF contenaient de nombreuses analyses multicritères de
l’actif sur la base des plans d’affaires fournis par ASF et ont été validées par
les conseils financiers de VINCI et ceux d’ASF, par l’APE et par la
Commission des Participations de l’Etat.
58
COUR DES COMPTES
Il convient enfin de garder à l’esprit que les actionnaires privés
d’ASF ont massivement apporté à l’offre publique lancée par VINCI au prix
convenu avec l’Etat et que s’ils avaient jugé ce prix « désavantageux », ils
auraient sans doute choisi de conserver leurs titres.
La Cour indique, in fine, que « il eût été préférable de déclarer infructueux
l’appel d’offres et de procéder à une nouvelle mise aux enchères ».
Le processus de privatisation des sociétés d’autoroutes était régi par
un Cahier des Charges qui définissait clairement les objectifs de l’Etat.
L'Etat
a
cédé
simultanément
3
sociétés
d’autoroutes
parfaitement
comparables dans des conditions financières conformes à ses intérêts
patrimoniaux, et dans des conditions permettant d’assurer le respect des
Contrats de Concession ainsi que le développement à long terme des
Sociétés, dans le cadre d'un projet industriel et social précis et structuré.
L’Etat a donc été en mesure de vérifier que VINCI avait une offre
comparable à celles reçue pour les deux autres sociétés et payait pour ASF
un prix comparable à ceux offerts pour les deux autres.
Il convient donc de préciser que les travaux d’évaluation fournis par
VINCI et ses conseils, tout comme leur examen par les conseils financiers de
la cible, par ceux de l’Etat et par la Commission des Participations de l’Etat,
ont montré que le multiple de valorisation induit par l’offre de VINCI est
équivalent à ceux résultant des offres sur APRR et Sanef.
Données en millions d'euros, sauf cours de bourse et multiples.
Valeur d'Entreprise
Valeur d'entreprise
Date
Acquéreur
Cible
Implicite (€m)
EBE 12 derniers mois
Dec-05
Eiffage-Macquarie
APRR
12,023
12.2x
Dec-05
Abertis
Sanef
9,249
12.3x
Moyenne
12.2x
Dec-05
Vinci
ASF
19,540
12.1x
Source : Documentation financière des sociétés, rapports de recherche, Factset
.
De même, les primes offertes pour les trois sociétés d’autoroutes
françaises privatisées sont, une fois corrigés les effets de durée et de lois
tarifaires, en ligne avec celles offertes dans le cadre de transactions portant
sur des autoroutes américaines, qui ont eu lieu dans un fort contexte
concurrentiel à quelques mois d’écart par rapport au processus de
privatisation des autoroutes françaises.
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE
L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
59
ANNEXES
a)
Evolution du cours de l’action ASF sur la période précédant
l’annonce
de la privatisation des autoroutes
A titre indicatif, le prix de 51€ offert par VINCI est supérieur aux cours de
bourse historiques d’ASF, notamment sur la période précédent le lancement
du processus de privatisation. Il représente une prime de 17.3% par rapport
au cours de l’action ASF qui s’était établi à 43.46€, la veille de l’annonce du
processus de cession.
Prime Implicite
Cours au 6 juin 2005
€43.46
17.3%
Cours au 7 juin 2005
€43.57
17.1%
Moyenne 1 an
€43.66
16.8%
Moyenne 6 mois
€47.42
7.5%
Moyenne 3 mois
€47.45
7.5%
Source : Factset.
Note : Moyennes calculées par rapport au 13 décembre, veille de l’annonce
des résultats du processus de privatisation.
20 €
25 €
30 €
35 €
40 €
45 €
50 €
55 €
12-déc.-03
23-févr.-04
6-mai-04
18-juil.-04
29-sept.-04
12-déc.-04
23-févr.-05
7-mai-05
19-juil.-05
30-sept.-05
13-déc.-05
Cours d'ASF
Moyenne 1 An
Moyenne 6 Mois
Moyenne 3 Mois
Prix d'Offre
Moyenne 6 mois: 47,4 €
Moyenne 3 mois: 47,5 €
Prix offert par VINCI: 51,0 €
Moyenne 1 an: 43,7 €
7 juin 05: Annonce de la
privatisation d'ASF par le
Premier Ministre
L’ETAT ACTIONNAIRE : APPORTS ET LIMITES DE L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETAT
61
b)
Perception de l’action ASF par les analystes de recherche
Sur la période précédant l’annonce de la privatisation des autoroutes, le prix de 51€ offert par Vinci est supérieur à la
plupart des objectifs de cours des analystes de recherche ainsi qu’à la moyenne de ces objectifs qui s’établit à 44,3€.
47.0 €
47.0 €
41.1 €
40.0 €
48.1 €
42.0 €
51.0 €
38.0 €
30 €
35 €
40 €
45 €
50 €
55 €
60 €
Dexia 17/01/05
CSFB 27/01/05
GS 2/03/05
UBS 11/03/05
LB 14/03/05
MS 20/04/05
SG 21/04/05
ML 20/05/05
Prix offert par VINCI: 51,0 €
Moyenne des cours cibles des
analystes: 44.3 €
Source: Rapports de recherche.
62
COUR DES COMPTES
Suite à l’annonce du processus de cession, les objectifs de cours du consensus d’analystes ont progressivement augmenté,
reflétant l’attrait spéculatif lié à la privatisation. Les analystes incluaient pour la plupart la prime de contrôle dans leur
exercice de valorisation. Le prix de offert par Vinci reste cependant supérieur à la plupart des objectifs de cours des analystes
post-annonce.
48 €
49 €
47 €
47 €
48 €
48 €
60 €
47 €
46 €
47 €
44 €
52 €
50 €
49 €
49 €
40 €
42 €
44 €
46 €
48 €
50 €
52 €
54 €
56 €
58 €
60 €
Ixis 21/7/05
Aurel 21/7/05
ING 29/8/05
CSFB 31/8/05
Oddo 16/9/05
Wargny 16/9/05
Exane 16/9/05
DKW 16/9/05
Kepler 16/9/05
CAI 22/9/05
GS 23/9/05
MS 12/10/05
SG 13/10/05
ML 8/11/05
DB 02/12/05
Prix offert par VINCI: 51,0 €
Moyenne des cours cibles des
analystes: 48,7€
Source: Rapports de recherche.
Le bilan de la gestion des défaisances
_____________________
PRESENTATION
____________________
Dans un rapport public particulier publié en décembre 2000 et
intitulé « L’intervention de l’Etat dans la crise du secteur financier » et
dans une insertion au rapport public de janvier 2002, la Cour avait
cherché à apprécier les conditions dans lesquelles l’Etat avait apporté
son concours financier au Crédit Lyonnais, au Crédit Foncier de France
(CFF), au Comptoir des Entrepreneurs (CDE) et au Groupe des
assurances nationales (GAN) et avait géré les structures de défaisance
28
mises en place pour accueillir des actifs compromis du fait de gestions
financières imprudentes.
La Cour constatait que l’intervention de l’Etat avait été justifiée,
dans le cas du Crédit Lyonnais et du GAN, par le risque systémique d’une
faillite pour la place de Paris, la nécessité d’assurer la protection des
déposants ou des assurés et le risque pour l’Etat de voir sa responsabilité
en comblement de passif engagée. Dans le cas du CFF et du CDE, en
revanche, le risque systémique et la nature même des obligations
juridiques de l’Etat semblaient avoir été surestimés.
Dans tous ces cas, les pouvoirs publics avaient été conduits à
écarter les solutions de liquidation ou de recapitalisation de ces sociétés
et à leur préférer la mise en place de structures de défaisance où étaient
cantonnés les actifs compromis, les contentieux et les pertes, et
d’établissements publics écran qui apportaient leur garantie et
permettaient d’étaler les pertes dans le temps. Ces montages n’étaient
possibles que parce que les normes comptables internationales et
l’absence de tenue d’une comptabilité d’exercice par l’Etat le
permettaient à l’époque.
28) On désigne par structures de défaisance à la fois les sociétés où sont cantonnés des
actifs compromis et les organismes qui les financent.
64
COUR DES COMPTES
L’examen de la gestion des défaisances faisait ressortir une
oscillation de la stratégie de l’Etat entre une optique liquidative et une
optique patrimoniale, des dérives en matière de rémunérations et
d’indemnités de départ des dirigeants, une insuffisante maîtrise des
honoraires d’avocats et de banques conseil, les déficiences des systèmes
d’information et le caractère peu transparent, voire irrégulier des
méthodes comptables. Le coût de l’intervention de l’Etat dans cette crise
était alors estimé entre 20,6 et 22 Md€ (valeur 1999).
La Cour en tirait des enseignements sur les processus de décision
mis en oeuvre, l’impact du droit de la concurrence sur les relations entre
l’Etat et les entreprises publiques et la modernisation du droit des
finances publiques. Elle concluait qu’une structure de défaisance incitait
l’établissement d’origine à transférer toujours plus de risques et de
charges à l’Etat, que celui-ci pouvait difficilement préserver ses intérêts
financiers en étant le garant ultime et sans limite
des pertes et que des
montages simples devaient être recherchés pour à la fois limiter les coûts
d’intermédiation et d’ingénierie financière, inciter à la bonne gestion et
donner la décision à l’Etat, payeur principal
Par ailleurs, la Cour s’était attachée à ce que des suites
juridictionnelles appropriées puissent être données à ses investigations
29
.
Une nouvelle série de contrôles portant respectivement sur les
organes de défaisance du Crédit Lyonnais, du GAN et du Comptoir des
Entrepreneurs, conduits en 2007 sur la période 2000-2006, permet de
tirer un bilan quasi-définitif de ces défaisances, tant du point de vue des
modalités de gestion retenues que du résultat financier
30
. La Cour a
cherché à apprécier si, dans une situation lourdement obérée par les
errements antérieurs des gestionnaires des entreprises, l‘Etat avait pu, en
choisissant de maintenir des structures de défaisance, limiter le coût
financier de ces opérations
.
Il ressort des vérifications opérées que les dispositifs complexes et
déresponsabilisants, déjà identifiés par la Cour, ont été maintenus. La
gestion des défaisances, rendue difficile par la nature des actifs à
liquider, l’ampleur des contentieux et l’imprudence des garanties
accordées, a, en outre, été perturbée par la situation particulière de
structures confrontées à leur propre disparition.
29) La Cour des comptes avait saisi la Cour de discipline budgétaire et financière.
Celle-ci a condamné deux des responsables le 24 février 2006 à des amendes
respectivement de 59 000 € et de 100 000 € et le Conseil d’Etat a rejeté le
16 janvier 2008 les deux recours en cassation contre l’arrête rendu par la Cour. Des
procédures judiciaires
sont encore en cours.
30) Le bilan des opérations de défaisance publié dans la présente insertion tient
compte des exigences de confidentialité propres au droit des affaires.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
65
Le bilan financier global des défaisances, qui ne sera connu
définitivement que dans quelques années, peut être estimé aujourd’hui à
20,7 Md€ en valeur actuelle 2007.
I
-
Des dispositifs complexes pour des objectifs
mal définis
La complexité résulte à la fois de l’organisation des structures, des
modes de financement et des modes de gouvernance. Ses conséquences se
trouvent aggravées par l’absence d’objectifs bien définis.
A - L’organisation des structures
Les
dispositifs
mis
en
place
associent
des
sociétés
de
cantonnement chargées de liquider les actifs compromis et des structures
responsables du financement. Le tableau ci-dessous résume l’ensemble
des montages.
Le dispositif des défaisances à partir de 2000
Etablissements d’origine
Crédit Lyonnais
CDE
GAN
Structure de financement
EPFR
EPRD
SGGP
Gestion des garanties
CDR
-
SGGP
Gestion des actifs résiduels
CDR+filiales
NSRD (D1)
Sagitrans (D2)
Bâticrédit
+ filiales
a)
Les montages initiaux étaient complexes.
Les sociétés de cantonnement chargées de gérer la liquidation des
actifs sont, pour le Crédit Lyonnais, une société anonyme, le Consortium
de réalisation (CDR), et pour le Comptoir des Entrepreneurs, qui a fait
l’objet de défaisances successives, la Nouvelle société de réalisation de
défaisance (NSRD) pour la première, et SAGITRANS pour la seconde,
cette dernière étant quasiment achevée avant 2000. Aux termes de la loi
n°95-1251 du 28 novembre 1995 relative à l’action de l’Etat dans les
plans de redressement du Crédit Lyonnais et du Comptoir des
Entrepreneurs, deux établissements publics administratifs, l’établissement
public de financement et de restructuration (EPFR) et l’établissement
public de réalisation de défaisance (EPRD), gèrent le soutien financier de
l’Etat, respectivement, à la défaisance du Crédit Lyonnais et aux deux
défaisances successives du Comptoir des Entrepreneurs.
66
COUR DES COMPTES
Pour la défaisance du GAN, le dispositif mis en place par l’assureur
public était encore plus compliqué. En décembre 1994 deux sociétés
détenues par une cascade de trusts
31
domiciliés à Jersey avaient été créées :
l'une, Bâticrédit, portait les créances compromises, tandis que l’autre,
Bâticrédit Finances et Compagnie (BFC), société en nom collectif, la
finançait par un prêt et se refinançait auprès de différentes sociétés du
GAN. En outre, la SC GAN, holding du groupe, apportait sa garantie à
l’ensemble de ces prêts. Lors de la privatisation du GAN en juillet 1998,
l'Etat qui s’était engagé dès février 1997 à supporter les charges de la SC
GAN au titre de la garantie a conservé la propriété de cette société sous le
nom de Société de gestion de garanties et de participations (SGGP). Cette
société anonyme a été chargée de gérer les garanties offertes aux
acquéreurs des pôles d’activité de GAN SA, puis à l’acquéreur de cette
dernière, l’assureur mutualiste Groupama. Les actifs résiduels sont
demeurés cantonnés dans la société Bâticrédit qui a été rachetée par la
SGGP à la fin de l’année 1999.
b)
La simplification des structures n’a été que très progressive.
Ainsi à partir de 1996, le CDR a été organisé en filiales de premier
rang détenus par CDR Holding et regroupés en cinq pôles, chacun d’entre
eux contrôlant un certain nombre de filiales. Trois des filiales de premier
rang (immobilier, finances et participations) ont été dissoutes et absorbées
par la holding en 2002 (pour les deux premières), en 2004 (pour la
troisième) selon la procédure de transmission universelle de patrimoine.
Mais les deux autres pôles, CDR Entreprises et CDR Créances, ont été
maintenus en raison de la persistance de contentieux, les dossiers
Executive Life et AIG pour le premier, les dossiers IBSA et Tapie/Adidas
pour le second. Fin 2006, CDR comptait encore 22 filiales dans son
périmètre de consolidation.
De même, il a fallu attendre décembre 1999 pour que la SGGP
prenne le contrôle de Bâticrédit Finance et Compagnie (BFC), dont elle
garantissait les engagements financiers. En outre, ce rachat ne s’est pas
accompagné d’une simplification des structures, la SGGP décidant
d’interposer entre elle et BFC, deux sociétés écran à responsabilité limitée,
Maubeuge 1 et Maubeuge 2, pour protéger la SGGP d’un éventuel dépôt
de bilan. Cette précaution qui ne pouvait en aucune manière éviter
l’enregistrement de déficits dans le budget de l’Etat, mais qui tout au plus
contribuait à en retarder l’impact comptable, a été une source de lourdeur
inutile. La remontée de l’ensemble des filiales et des sous-filiales du
groupe au sein de la SGGP n’est intervenue qu’en décembre 2004.
31) Cette structure juridique avait été retenue à l’origine, car elle permettait de ne pas
l’inclure dans le périmètre de consolidation du groupe GAN.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
67
Pour justifier la lenteur avec laquelle ont été dissoutes des filiales
et sous-filiales, devenues parfois depuis longtemps des coquilles vides,
les responsables des sociétés de défaisance mettent en avant la volonté
d’optimisation fiscale, ce qui est paradoxal pour des sociétés dont les
pertes étaient entièrement assumées par l’Etat. Le maintien de ces
structures s’est traduit par des frais de gestion supplémentaires et a,
surtout, contribué à entretenir une opacité dommageable. Le manque de
transparence a été accentué, dans le cas de la SGGP, par le fait que le
groupe n’a pas produit de comptes consolidés entre 2001 et 2004. Il n’en
avait pas l’obligation selon la réglementation comptable, mais seulement
la faculté. Son choix n’a pas facilité la lisibilité des résultats de l’activité
au cours de cette période.
Ce retard dans la simplification des structures est d’autant plus
critiquable que les organes de décision des filiales n’avaient pas un
fonctionnement normal. Ainsi le président du CDR, entre la fin de l’année
2001 et la fin de l’année 2006, a fait le choix de ne présider que CDR SA
à l’exclusion de tout autre mandat social dans le groupe. Les mandataires
sociaux des autres sociétés du groupe étaient des collaborateurs de CDR
SA et les décisions importantes étaient prises sans que les organes
délibérants des filiales soient nécessairement réunis. Cette situation qui
s’est aussi retrouvée dans les autres dispositifs de défaisance, est
anormale au regard du droit des sociétés.
B - Les modes de financement
Les défaisances du Crédit Lyonnais et du Comptoir des
Entrepreneurs ont bénéficié d’un financement sur dotations budgétaires
annuelles de l’Etat à l’EPFR et à l’EPRD, jusqu’au 1
er
janvier 2006 à
partir du compte d’affectation spéciale 902-24, ensuite par le programme
731 du compte d’affectation spéciale « participations financières de
l’Etat ». Il s’y est ajouté pour l’EPFR, lors de la privatisation du Crédit
Lyonnais en 1998, le bénéfice d’un apport de titres pour une valeur de
2,5 Md€ en contrepartie du rachat de la clause de retour à meilleure
fortune pour les exercices 1999 à 2014 qui avait été introduit dans le
protocole du 5 avril 1995.
Pour sa part, la SGGP, héritière du GAN, a conservé le produit
de la privatisation pour financer ses opérations de défaisance. Les trois
montages financiers sont illustrés par les schémas ci-après.
68
COUR DES COMPTES
1 -
La défaisance du Crédit Lyonnais
Le financement de la défaisance du Crédit Lyonnais s’est opéré
via les relations de l’EPFR avec le Crédit Lyonnais d’une part et le CDR
d’autre part.
a)
La relation entre l’EPFR et le Crédit Lyonnais
L’EPFR rembourse progressivement un prêt de 18,8 Md€
consenti à l’origine par le Crédit Lyonnais dont le profil est linéaire avec
des annuités constantes.
Le remboursement s’opère, pour partie, grâce aux bénéfices qui
sont réalisés par le CDR et qui sont remontés à l’EPFR, et pour le solde
grâce à des dotations de l’Etat.
L’EPFR a effectué chaque année les remboursements prévus entre
1999 et 2006 correspondant aux frais de portage. Néanmoins, faute de
versement du compte d’affectation spéciale
32
, les intérêts n’ont pas été
payés à l’échéance jusqu’en 2000 : l’Etat a, de ce fait, dû acquitter
217,3 M€ d’intérêts de retard et 7,5 M€ d’intérêts de retard sur avances
faites par le Crédit Lyonnais.
b)
La relation entre l’EPFR et le CDR
A l’origine, l’EPFR, bénéficiaire du prêt du Crédit Lyonnais, avait
financé, grâce à un prêt participatif de 18,6 Md€ accordé au CDR,
l’acquisition par ce dernier des actifs compromis. Chaque année le CDR
remboursait le produit des cessions diminué des différentes charges
(investissements nouveaux, frais de fonctionnement et frais financiers). A
la clôture de l’exercice, l’EPFR consentait un abandon de créances égal
aux moins-values réalisées lors des ventes d’actifs et aux sommes
déboursées en application de garanties.
32) Jusqu’à l’entrée en vigueur définitive de la loi organique relative aux lois de
finances du 1
er
août 2001, il s’agit du compte 902-24 et depuis 2006 du programme
732.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
69
70
COUR DES COMPTES
L’économie du dispositif a été revue en profondeur aux termes de
l’avenant n°13 au protocole du 5 avril 1995, conclu en novembre 1998,
mais est devenue plus complexe. Au 1
er
janvier 1998, l’EPFR a consenti
un abandon de créances de 9,91 Md€ correspondant au provisionnement
dans les comptes du CDR des pertes latentes sur l’ensemble de ses actifs
et contentieux, à des écarts d’acquisition et à l’apurement de dettes à
l’égard du CDR. Cette nouvelle méthode comptable a permis au CDR
d’éteindre sa dette vis-à-vis de l’EPFR en 1999. Toutefois, le prêt est
crédité chaque année au 31 décembre du montant du résultat prévisionnel
du CDR qui doit remonter à l’EPFR. Le maintien du mécanisme du prêt
EPFR, qui s’explique par une préoccupation d’optimisation fiscale pour
le CDR, est, aujourd’hui, singulièrement artificiel.
Pour financer les frais de réalisation des actifs, le CDR a reçu en
1998 une dotation de 392,56 M€. Depuis 2003 et jusqu’à son épuisement
courant 2006, l’ensemble des frais généraux (frais de réalisation des actifs
et frais de gestion courante) s’impute sur le solde de cette dotation.
En outre, une disposition particulière vise les pertes liées aux
risques dits « non chiffrables ». Ceux-ci sont des risques sur engagements
et litiges qui n’ont pu, en raison de leur caractère présumé non chiffrable
au 31 décembre 1997, donner lieu à l’enregistrement de provisions dans
la comptabilité du CDR. Ils sont directement pris en charge par l’EPFR,
c’est-à-dire en définitive par l’Etat, par tirage complémentaire sur le prêt.
Cette disposition a été une source de débats entre les deux structures,
EPFR et CDR, en raison de l’ambiguïté de la notion de risque non
chiffrable. Le ministre a dû intervenir en 1999 et en 2000 pour arrêter la
liste de ces risques et trancher des différends apparus lors de l’arrêté des
comptes. En outre, ce dispositif est apparu rapidement comme
déresponsabilisant pour le CDR, puisqu’il ne supporte pas les
conséquences de la manière dont il gère une affaire qui, à l’origine, a été
classée parmi les « risques non chiffrables ». L’avenant n°20 a prévu, en
2002, donc tardivement, que le plus grand nombre possible de risques non
chiffrables serait reporté sur le CDR, sans pour autant lever toutes les
incertitudes d’interprétation.
2 -
Les deux défaisances du Comptoir des Entrepreneurs
Les dotations budgétaires accordées à l’EPRD entre 1996 et 1998
pour financer les deux défaisances du Comptoir des Entrepreneurs se sont
élevées à 1,7 Md€. Chaque défaisance a donné lieu à un montage
différent. Pour la première, l’Etat s’était engagé à indemniser le Crédit
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
71
foncier de France et les AGF
33
. La plupart des opérations étaient
terminées en 2000. Pour la période sous revue, le dispositif mis en oeuvre
était celui de prêts de la NSRD, qui étaient consentis aux filiales
détentrices des actifs non liquidés et refinancés par l’EPRD.
La seconde qui était pratiquement éteinte au début de l’année
2000 a été financée par plusieurs prêts
34
. L’EPRD a constaté, en 2000,
que les pertes de la défaisance enregistrées dans la société de défaisance
Sagitrans atteignaient le plafond du prêt subordonné qui a alors été soldé.
Le même mécanisme s’est appliqué au cours de l’exercice 2005 pour
honorer l’engagement de l’Etat de couvrir à concurrence de 117 M€ les
pertes de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qui faisait partie
des prêteurs.
3 -
La défaisance du GAN
Le montage financier retenu pour la défaisance du GAN
était
encore différent. Les pouvoirs publics ont décidé, au moment de la
privatisation du GAN à l’été 1998, de laisser à l’ancienne holding
SC.GAN, devenue la SGGP, le montant des recettes de privatisation
nettes d’un certain nombre de charges, soit 3,872 Md€.
La Cour avait relevé, lors d’un précédent contrôle, que ce
montant aurait dû, pour des raisons de transparence des finances
publiques, remonter au budget de l’Etat. La position du ministre de
l’économie, des finances et de l’industrie avait été justifiée, à l’époque,
par le fait que GAN SC avait délivré en son nom propre des garanties aux
acquéreurs de titres et qu’il n’était pas envisageable de transférer ces
garanties à l’Etat sans un accord des cessionnaires obtenu à l’issue d’une
procédure longue et complexe. Le ministre ajoutait qu’aucune structure
de l’administration ne disposait des compétences nécessaires pour gérer
des garanties et les contentieux y afférents. Cette réponse ne dissipe pas
les interrogations apparues alors. On voit mal pourquoi la garantie de
l’Etat aurait eu moins de valeur pour les cessionnaires que celle de la
SGGP, société publique à 100%. En outre, l’Etat aurait pu gérer
directement les contentieux relatifs aux garanties.
33) Un protocole du 30 décembre 1993 prévoyait l’engagement de l’Etat auprès du
Crédit foncier de France aux conditions suivantes : 23 % des pertes en deçà de
609,8 M€ ; 80 % des pertes entre 609,8 et 686 M€ ; 90 % au-delà de 686 M€. En
outre, l’Etat avait conclu un accord avec les Assurances générales de France (AGF).
34) Les prêts destinés à cette seconde défaisance étaient les suivants : prêt subordonné
de l’Etat de 686 M€ ; prêt subordonné des AGF de 61 M€ et de 3,5 M€ de la CDC ;
prêt des AGF et de la CDC de 472 M€ ; crédit revolving de 152 M€ des AGF et de la
CDC à égalité entre les prêts.
72
COUR DES COMPTES
L’intervention de la Cour avait permis de faire remonter au
budget de l’Etat 1,372 Md€ dès 1999. Pour le reste, le montage financier
initial a été maintenu jusqu’à ce jour. La SGGP conserve les recettes de
privatisation nécessaires pour couvrir ses charges qui résultent à la fois
des garanties appelées ou susceptibles de l’être, des risques contentieux et
du remboursement d’un prêt de 1,6 Md€ en capital accordé à BFC en
1997 par les filiales du groupe GAN
35
et remboursé par anticipation en
décembre 2004. Elle fait remonter à l’Etat la différence entre ses charges
et ses produits qui proviennent, pour une part modeste, de la réalisation
de ses actifs et, pour l’essentiel, du placement de sa trésorerie.
Depuis 1999, 2,194 Md€ ont été remontés au budget de l’Etat,
soit 56 % du produit final de la privatisation. La SGGP dispose encore
aujourd’hui d’une trésorerie de 300 M€ qui est placée mais qui ne se
justifie plus à une telle hauteur compte tenu des risques contentieux non
encore éteints.
C - Les modes de gouvernance
La gouvernance des structures de défaisance s’inscrit dans un
contexte où deux structures, l’une responsable du financement et de la
surveillance, l’autre chargée de la gestion de la défaisance, sont
étroitement liées, sous la tutelle du service des participations de la
direction du Trésor transformé en 2004 en Agence des participations de
l’Etat (APE)
36
.
L’EPFR et l’EPRD sont dotés de conseils d’administration à la
composition particulière, puisque deux parlementaires en sont membres, à
côté du président et des deux représentants de l’Etat. S’agissant de
l’EPFR, le fonctionnement du conseil a été conforme à l’esprit de la loi
du 28 novembre 1995 qui prévoyait d’associer la représentation nationale
à la surveillance de la défaisance. A partir de 2002, les parlementaires ont
pris sur certains dossiers sensibles des positions divergentes de celles des
représentants de l’Etat.
Le bilan est moins convaincant lorsqu’on examine les relations
entre l’EPFR et le CDR, d’un côté, l’EPFR et l’APE de l’autre. Le
président de l’EPFR qui siège, à ce titre, au conseil d’administration du
CDR, à la suite du changement de statut de celui-ci en 2001, a éprouvé
des difficultés à assumer son rôle d’actionnaire principal. Il est, en effet,
le seul représentant de l’actionnaire public dans un conseil composé de
35) Ce prêt avait été cédé en 1998 à une banque américaine, puis à une banque
allemande DEPFA Bank Europe PLC.
36) Sur l’APE, voir insertion sur l’Etat actionnaire (page 1 à 36).
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
73
personnalités indépendantes. Le président de l’EPFR entre 2000 et 2002 a
souhaité qu’il soit mis fin à ses fonctions en estimant que les
administrateurs, présentés par le président du CDR, ne manifestaient pas
assez d’indépendance par rapport à ce dernier et que le conseil devait être
recomposé
avec
des
administrateurs
présentés
par
l’Etat.
Cette
proposition n’a pas eu de suite. Le président en fonctions entre mars 2003
et septembre 2007 s’est, quant à lui, interdit de participer aux votes du
CDR dès que celui-ci portait sur une question qui devait être tranchée par
l’EPFR, mais cette position n’était pas elle-même satisfaisante.
La situation de dépendance de l’EPFR vis-à-vis de l’APE est
totale, puisqu’il ne possède aucun moyen d’expertise propre et que l’APE
en assure le secrétariat. Dès lors, on peut se demander si l’autonomie de
l’établissement public voulue par le législateur
est vraiment assurée et
laquelle des deux entités exerce réellement le pouvoir d’actionnaire. En
outre, cette situation implique directement l’APE dans le contrôle et la
gestion du CDR, alors que l’actionnaire est formellement l’EPFR et que
son président est l’ordonnateur des dépenses de l’établissement public.
L’EPFR a éprouvé des difficultés à imposer ses orientations au
CDR, ce qui a conduit un de ses présidents à demander son remplacement
après
avoir
suggéré
en
vain
une
recomposition
du
conseil
d’administration du CDR.
En pratique, le président de l’EPFR a accepté de répondre à
toutes les demandes d’instruction formulées par le CDR dans les dossiers
les plus importants. A cet effet, il réunissait systématiquement le conseil
d’administration, au cours duquel étaient exprimées notamment les
positions des représentants du Parlement d’une part, et de ceux du
ministre sous instructions de ce dernier d’autre part. Le président a
toujours pris position dans le sens des instructions du ministre. Il a justifié
cette attitude en considérant que les risques étaient garantis
in fine
par
l’Etat et qu’il ne pouvait engager les finances de l’EPFR pour des
sommes considérables sans approbation préalable du ministre.
Bien que le dispositif mis en place pour la défaisance du Crédit
Lyonnais ait visé à ne pas impliquer directement l’Etat dans la gestion, les
différents échelons des services du Trésor, du cabinet et du ministre
chargé de l’économie et des finances sont intervenus constamment dans
plusieurs affaires.
A l’inverse, le rôle de surveillance de l’APE a été trop effacé
pour les deux autres défaisances, alors que, pour la SGGP, les enjeux
financiers pour l’Etat restaient élevés en raison de l’importance des
garanties accordées au moment de la privatisation du GAN.
74
COUR DES COMPTES
Une autre particularité de la gouvernance des défaisances tient à
l’existence d’une mission de contrôle
sui generis
, créée par la loi du
28 novembre 1995. Le texte prévoyait que les sociétés de gestion des
cantonnements soient soumises à des contrôles sur pièces et sur place par
des agents habilités à cet effet par le ministre chargé de l’économie. La
mission a aussi été chargée d’apporter aux conseils d’administration de
l’EPFR et de l’EPRD « les informations nécessaires à l’accomplissement
de [leur] mission ». La SGGP a bénéficié du même dispositif. Cette
mission a exercé son rôle de surveillance et d’alerte pour les trois
défaisances examinées avec une vigilance satisfaisante.
D - L’absence d’objectifs bien définis
A la complexité des dispositifs organisationnels et financiers qui
viennent d’être décrits s’ajoute un manque de définition claire des
objectifs assignés au processus de défaisance, sinon d’une absence de
stratégie de la part de l’Etat.
La détermination des objectifs du CDR oscille depuis l’origine
entre deux priorités : la réalisation rapide ou la valorisation du
portefeuille. Le CDR avait reçu pour objectif, dans un premier temps, une
liquidation aussi rapide que possible des actifs qui lui avaient été confiés,
soit une cession de 80 % des actifs en valeur brute en cinq ans. Il en avait
déjà cédé 60 % à la fin de l’année 1997. En décembre 1997, les pouvoirs
publics ont demandé au CDR de veiller à une meilleure valorisation des
actifs. Ces orientations stratégiques ont été mises en oeuvre entre 1998 et
2001, grâce à une conjoncture économique favorable.
La dégradation de la conjoncture à partir de la mi-2001,
s’ajoutant au basculement progressif de l’activité du CDR vers une
gestion de contentieux et de passifs, a rendu inatteignable l’objectif
d’achèvement de la mission du CDR en 2002/2003 évoqué à la fin de
l’année 1999. Pour éviter une prolongation trop importante de la structure
de gestion, les pouvoirs publics (Etat et EPFR) ont alors décidé de fixer
des objectifs très détaillés de réduction d’activité et de moyens, traduits
dans le contrat d’entreprise avec le CDR pour la période 2002-2005
(« Conduire la défaisance à son terme »).
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
75
L’évolution comparée du portefeuille de titres du CDR et du
marché boursier illustre le fait que ces objectifs s’accommodaient mal de
la recherche de la meilleure valorisation possible du patrimoine.
2001
2002
2003
2004
Cessions en M€
(valeur nette comptable)
76
104
147
242
Indice CAC 40
(en janvier)
5 900
4 400
3 100
3 500
Source : Rapports du CDR et Cour des comptes
Entre 2001 et 2003, le CDR a cédé la moitié du portefeuille
encore détenu fin 2000, qui a été ramené en valeur nette comptable de
617 M€ à 290 M€, alors que le marché boursier chutait de plus de moitié
dans cette période (l’indice CAC 40 est passé d’un maximum de 6 900
points au cours de l’année 2000 à un minimum de 2 900 points en 2003).
L’objectif n’a pas été modifié malgré la conjoncture immobilière et
boursière. Le CDR a profité du léger rebond de 2004 pour solder presque
tout le restant de ses titres.
Une démarche comparable se manifeste plus précocement à la
SGGP. Son conseil d’administration se fixait, en mars 2000, sur
instruction de la tutelle, l’objectif d’encaisser avant le 31 décembre 2001,
90 % des sommes brutes restant à récupérer et de traiter 90 % en nombre
des créances restées au bilan. L’essentiel des actifs a été vendu fin 2001
(78 M€ sur un total de 94,6 M€), ce qui n’a pas permis de profiter
pleinement du redressement du marché immobilier qui s’est amorcé à
partir de cette date. La clôture de la défaisance était prévue pour la mi-
2002. La tutelle est d’ailleurs intervenue directement, à la fin 2001, pour
que la SGGP ne soit pas retenue comme organe gestionnaire de la NSRD
alors qu’elle soumissionnait à l’appel d’offres, au motif que la disparition
de la SGGP était imminente.
Cette approche liquidative ne s’est pas appuyée sur une
comparaison des coûts de gestion dans la durée et des recettes
potentielles, le CDR et la SGGP n’ayant pas mis en place les outils
méthodologiques appropriés.
Dans ce contexte, la recherche de l'optimisation fiscale, c'est-à-
dire du niveau minimal d'imposition, a été au coeur des critères de gestion
des dirigeants des structures de défaisance, car elle leur permettait
d'afficher des résultats positifs. Ce choix, certes conforme à l'objet social
76
COUR DES COMPTES
mais dont ont bénéficié aussi des sociétés privées qui avaient consenti des
abandons de prêts aux structures de défaisance, a eu pour conséquence de
ralentir de manière significative la simplification des structures et a donc
accru le coût total des défaisances pour l'Etat.
II
-
Une gestion peu performante
La plus grande part des pertes était acquise au début de la période
sous revue. Pour le CDR 80 % des actifs initiaux avaient déjà été réalisés.
Pour la NSRD il ne restait que deux actifs à réaliser. La gestion sous
revue a eu pour effet de réduire quelque peu l’ampleur des pertes
enregistrées par l’Etat. Elle n’en a pas moins comporté un certain nombre
de faiblesses.
En effet, sur la période les frais généraux ont été mal maîtrisés. Les
résultats ont été inégaux dans le pilotage des contraintes d’une gestion
liquidative. L’examen d’un échantillon représentatif de dossiers du CDR
fait ressortir un défaut de méthode. Le pilotage des affaires Executive
Life et Tapie/Adidas a manqué de cohérence. La gestion des dossiers de
la SGGP a été peu performante. Des problèmes de régularité et de
transparence de l’information financière ont été relevés dans l’examen
des comptes. Enfin, l’adossement à la Caisse des dépôts et consignations
(CDC) n’a été réalisé dans les trois défaisances que très tardivement.
A - Des frais généraux mal maîtrisés
Les frais généraux des structures de défaisance restent un poste
modeste dans le bilan général mais représentent cependant 1,6 Md€ sur
l’ensemble de la période 1994-2006 (2,5 Md€ en valeur actualisée 2007).
Ils sont constitués principalement dans les défaisances par les charges de
personnel et les frais divers d’honoraires. En fin de période, ils ont été
remplacés par les frais d’adossement à la CDC.
Sur la période 2000-2006, ils ont atteint 10,8 M€ pour la SGGP et
792 328 € pour la NSRD qui étaient toutes deux en phase liquidative mais
539 M€ pour le CDR.
Dans le cas du CDR comme dans celui de la SGGP, les frais
généraux ont décru moins vite que le portefeuille résiduel d’actifs. Cette
situation s’explique sans doute en partie par l’importance croissante des
activités de contentieux et de gestion de passif. Il est vrai aussi que le
système mis en place en 1998, qui a permis au CDR d’être intégralement
remboursé de ses frais généraux par l’EPFR, n’incitait pas à une maîtrise
rigoureuse de ces frais.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
77
Les effectifs du CDR comptaient encore près de 350 salariés au
début de l’année 2000 et ceux de la SGGP une quinzaine dans sa filiale
Bâticréances.
Le coût des honoraires représente 322 M€ pour le CDR, soit
60 % du montant des frais généraux entre 2000 et 2006, et pour la SGGP
un peu moins de la moitié.
Le CDR, confronté à des procédures lourdes et complexes a, en
effet, connu une dépendance croissante à l’égard de l’expertise extérieure.
Les honoraires sont ainsi devenus le principal poste de frais généraux en
2002 pour atteindre les trois quarts du total en 2006. Les honoraires
d’avocats représentent la moitié de l’ensemble des honoraires sur la
période 2000 à 2006.
A l’exception du recrutement du cabinet américain White & Case
en 1999 pour suivre l’affaire Executive Life, aucune prestation d’avocats
pour le compte du CDR n’a fait l’objet d’un appel d’offres, contrairement
aux recommandations des procédures internes. Par ailleurs, il n’a jamais
été recouru à des clauses d’intéressement aux résultats, comme cela est
souvent le cas pour les avocats ou les banques d’affaires, à la même
exception du contrat avec le cabinet White & Case
37
. Sur ces pratiques, le
CDR n’a jamais donné suite aux
injonctions régulièrement formulées par
l’EPFR ou par les ministres.
Le CDR a souvent fait travailler plusieurs avocats sur les mêmes
dossiers (trois cabinets simultanément par exemple sur Tapie/Adidas) et a
manqué de vigilance sur les conflits d’intérêt. Ainsi il a recruté, fin 2001,
pour une mission permanente d’assistance juridique un avocat qui a été
contraint de se déporter de l’affaire Executive Life en raison d’un conflit
d’intérêt. Le ministère chargé des finances s’était montré encore moins
vigilant en recrutant un avocat conseil appartenant au même cabinet pour
suivre l’affaire Executive Life. Il ne pourra plus s’en séparer par la suite
compte tenu des développements judiciaires aux Etats-Unis.
Pour être inférieurs à ceux du CDR, certains frais d’honoraires
consentis par la SGGP n’en sont pas moins difficiles à justifier. Ainsi la
société a accepté de payer, en 2001, 1,38 M€, pour des frais liés aux
négociations intervenues lors de la privatisation du GAN (dits « frais de
data room ») sans véritable justification sur les prestations ainsi
rémunérées. Un autre contentieux, opposant la SGGP à un ressortissant
américain, s’est soldé par une transaction d’un montant de 175 000 $ pour
laquelle les frais d’honoraires se sont élevés à 2,3 M$ dont 1 million pour
les avocats français et 1,3 million pour leurs confrères américains.
37) La clause d’intéressement était fixée à 5 % des honoraires mais s’assimilait à la
négociation d’une ristourne sur les tarifs.
78
COUR DES COMPTES
A la SGGP, l’approche liquidative n’a pas permis de faire les
économies de frais généraux qu’on était en droit d’en attendre, les
structures de gestion administrative et leurs personnels ayant été maintenus
bien après leur disparition programmée.
Les charges de personnel du CDR (141 M€ sur la période 2000-
2006) tiennent d’abord aux effectifs encore présents, mais aussi au niveau
élevé des rémunérations et aux conditions très généreuses du plan social
qui a eu pour effet de multiplier par deux ou par trois les indemnités
conventionnelles. Les départs sont intervenus dans le cadre du « plan de
sauvegarde de l’emploi » mis en place dès 1998, sur la base du volontariat
en fonction des annonces de suppressions de postes et dans des conditions
très avantageuses. Les indemnités de départ ont été versées, soit sur la base
du plan social, soit sur le fondement d’accords transactionnels coûteux et
parfois contestables. Ainsi la transaction pour le départ d’un mandataire
social, réembauché juste après pendant huit mois comme salarié, aura
coûté au CDR 453 000 € hors rémunération de son successeur pendant la
période de six mois de préavis.
Les possibilités de promotion interne conjuguées à des avantages
de départ qui croissaient en fonction de la durée
38
ont eu pour effet
paradoxal d’inciter plutôt les agents à rester qu’à partir. Des difficultés
particulières ont été rencontrées avec les salariés encore en poste au dernier
semestre 2006, auxquels a été appliqué un licenciement collectif contesté
par le comité d’entreprise, puis par les intéressés eux-mêmes dans le cadre
de recours individuels devant les conseils de prud’hommes.
La SGGP, pour sa part, a connu deux plans de licenciements, le
premier en 2000 et 2001, le second entre 2000 et 2006 qui ont tous deux
été assortis de conditions avantageuses pour les personnels concernés.
B - Des résultats inégaux dans le pilotage des contraintes
d’une gestion extinctive
Les structures de défaisance ont été placées dans la situation,
inhérente à leur objet, de devoir organiser leur propre disparition.
La SGGP a géré cette difficulté avec un succès inégal, en raison des
hésitations des pouvoirs publics sur sa survie. Promise en 2000 à une
liquidation rapide, la société a mis en place un intéressement du personnel
à la vente des actifs et un plan de licenciement généreux. Or, la nécessité
de continuer à gérer des contentieux complexes, en raison notamment de
38) La suppression de leur plafonnement au bout de dix ans a été décidée de manière
incohérente en 2005.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
79
l’octroi de nombreuses garanties accordées aux acquéreurs du GAN lors de
sa privatisation, a conduit à prolonger l’existence de la société. Ces
incertitudes ont été peu propices à une gestion interne dynamique.
Le CDR a été en restructuration permanente à compter de 1998
afin d’ajuster son format à la réduction du volume d’activité, avec les
contraintes y afférentes. Il louait ainsi trois immeubles dans le centre de
Paris en 1998 et n’occupait plus en 2006 qu’une partie des bureaux dans
l’un de ces immeubles, surface qui a été libérée en fin d’année lors du
transfert des dossiers à la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
Dans son organisation interne, le CDR est passé d’un modèle par
métiers, avec cinq pôles correspondant aux filiales de premier rang
(créances,
immobilier,
finances,
entreprises,
participations),
à
une
répartition par directions à partir de 2002, leur nombre étant ramené
progressivement à deux en 2006, respectivement chargées des fonctions
support et des opérations. Le particularisme qui caractérisait chacun des
pôles, eux-mêmes héritiers des filiales du Crédit Lyonnais, a persisté
jusqu’en 2006 et a rendu difficile l’émergence d’une gestion commune des
dossiers et de fonctions supports efficaces.
C’est le cas en particulier de la fonction juridique, qui n’a jamais
réussi à s’imposer, alors que la nature des problèmes que le CDR avait à
traiter la rendait fondamentale. Le poste de directeur juridique a été
supprimé dès le début de l’année 2004, après plusieurs changements de
titulaire. Le CDR accentuait ainsi sa dépendance à l’égard des conseils
externes dans la conduite des affaires et le contrôle des coûts.
Les systèmes d’information du CDR ont été prolongés plus
longtemps que prévu et sont demeurés déficients tout au long de la période
sous revue, ce que la Cour avait déjà relevé dans le rapport public
particulier de novembre 2000. Les remises à niveau ou les investissements
importants à engager ont été repoussés au motif d’une disparition
prochaine de la structure. Le système comptable à bout de souffle a
finalement été remplacé en 2003 à l’occasion de l’externalisation de la
direction financière, mais un système parallèle a été maintenu pour la
gestion des créances et remplacé en 2005.
Les bases de données ont manqué de fiabilité sur toute la période.
Ainsi la base constituée en 2002/2003 à partir des déclarations des
gestionnaires a dû être révisée au début de 2006 avec l’adjonction de
29 sociétés. Celle qui gérait les contentieux juridiques était bien conçue
mais n’était pas mise à jour de manière régulière, ce qui en réduisait
l’intérêt. Le suivi des questions fiscales a dû être repris en main au moment
de son externalisation en 2004, à la suite de contrôles fiscaux. Le manque
de fiabilité du catalogue des actifs, déjà souligné par la Cour en 2000, a
persisté tout au long de la période, en raison d’agrégations de lignes
80
COUR DES COMPTES
d’actifs, d’absence d’identifiant unique des actifs ou de méconnaissance
des liens existant entre eux. La mission de contrôle a d’ailleurs souvent
relevé des inexactitudes dans les fiches établies au moment des prises de
décision sur les actifs. Une des premières décisions du nouveau président
du CDR, après l’adossement à la CDC, a été de demander en début
d’année 2007 un audit des actifs sous-jacents aux engagements du CDR,
après avoir découvert des actifs non recensés.
C - Un défaut de méthode dans la gestion des dossiers du
CDR
La tâche était à l’évidence difficile. L’examen de la Cour a porté
plus particulièrement sur 17 dossiers (sans compter Executive Life), dont
la valeur d’entrée dans les comptes du CDR était de 1,9 Md€, soit 45 % de
la valeur d’entrée des actifs encore détenus par le CDR à la fin de l’année
2000
39
.
La mauvaise qualité de la majorité des actifs transférés et les
nombreux contentieux engagés par les débiteurs pour se soustraire à leurs
obligations n’ont pas facilité la qualité de la gestion. L’existence même des
structures de défaisance ainsi que les annonces d’un achèvement rapide de
leur mission ont sans doute eu un effet d’appel sur les réclamations et les
nouveaux contentieux. Le nombre de nouveaux contentieux est resté élevé
(94 contentieux pour le CDR entre 2004 et 2006), dont certains
particulièrement coûteux en procédures (le dossier AIG).
Il ressort de l’examen des dossiers un défaut général de méthode
pour éclairer les décisions. Ainsi la comparaison chiffrée des différentes
options avant toute prise de décision, en tenant compte de paramètres tels
que les frais généraux (frais de gestion et de réalisation) ou le coût de
portage financier, n’a pas été retrouvée dans les dossiers. A l’exception du
dossier « Passage du Havre », aucune des affaires étudiées n’a donné lieu à
un bilan économique comprenant le coût pour l’Etat de conserver un actif
avec les frais de gestion correspondants et le produit de la cession de cet
actif, information qui aurait été utile au conseil d’administration pour
prendre ses décisions.
Tous les dossiers examinés se traduisent par des pertes plus ou
moins lourdes, alors que des actifs compromis recèlent parfois des
capacités de redressement spectaculaires. En tenant compte des frais de
réalisation, mais sans les frais de structure et sans actualisation, la perte
globale sur l’échantillon étudié atteint près de 40 % de la valeur d’entrée
des actifs concernés.
39) Les contentieux en cours ne peuvent être évoqués dans cette insertion.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
81
La
Cour
a
relevé
notamment
qu’une
mauvaise
gestion
administrative et comptable d’un dossier avait conduit à créer de
nouveaux litiges (dossier Stardust/Asteria VI), que des pertes de garanties
étaient imputables à l’insuffisante étude des affaires (dossier Vendôme
Rome), que la non prise en compte de la TVA avait conduit à retenir un
montant de loyer de référence défavorable pour le CDR (dossier Cannes
Roubine).
Elle a constaté par ailleurs qu’aucune étude n’avait été réalisée
sur la valeur des immeubles constituant une société foncière avant les
opérations de cession (Foncière Saint Georges) et qu’une cession en bloc
avait été retenue sans étude préalable du coût d’une externalisation de la
gestion, comme le souhaitait le comité des cessions et des investissements
(dossier Viager Investissement).
Sans méconnaître la difficulté intrinsèque à la tâche que devait
accomplir le CDR, la Cour a relevé des décisions de gestion contestables.
Ainsi le choix de gérer en direct une filiale pour tenter de la redresser
s’est avéré peu concluant (dossier Stockalliance), puisque la cession de
ces actifs a été effectuée pour un montant de 9,6 M€ alors que leur valeur
d’entrée s’élevait à 73,5 M€. De même la stratégie de valorisation d’une
participation minoritaire en en prenant le contrôle majoritaire s’est avérée
malencontreuse (dossier Finacor/Viel et Cie Finance). Enfin, la stratégie
d’étalement des cessions des titres Usinor sur plusieurs années est
contestable d’un point de vue patrimonial, alors même que le cours de
bourse était orienté à la baisse.
D - Un manque de cohérence dans le pilotage de
l’affaire Executive Life
Dans l’affaire Executive Life les pouvoirs publics français ont été
enclins tantôt à prendre le contrôle des opérations, tantôt à laisser le CDR
coordonner à son niveau la défense des parties françaises qui étaient
confrontées à un système et à une culture juridique très éloignés de leurs
références. Un grand nombre d’avocats a été mobilisé par le CDR, mais
aussi par le ministère des affaires étrangères, par le ministère chargé de
l’économie et des finances, par le Crédit Lyonnais, sans oublier Artémis
et les autres parties françaises. Le ministre chargé des finances a déploré
cette dispersion de moyens en 2003.
La stratégie retenue en accord avec les autorités de tutelle au
printemps 2000 a été de rejeter toute responsabilité pénale du Crédit
Lyonnais ou du CDR (au titre d'Altus) et de privilégier la voie
diplomatique pour obtenir un accord transactionnel purement civil en
invoquant l’égalité de traitement avec les banques américaines ayant fait
82
COUR DES COMPTES
l'objet d'un sauvetage par les pouvoirs publics (« clause du traitement
national »). Il a été demandé en outre que le dossier soit transféré du
parquet fédéral de Los Angeles au Département de la Justice à
Washington, ce qui a été accepté temporairement.
Dans le courant de l'année 2002, les parties françaises ont tenté en
vain d'obtenir une transaction sur la base d'une reconnaissance de
culpabilité limitée. Les négociations sur des reconnaissances de
culpabilité plus substantielles n’ont commencé qu'au premier trimestre
2003. Au cours de ces négociations de transaction pénale le CDR a
accepté de majorer les contributions financières exigées, en contrepartie
d'une limitation des reconnaissances de culpabilité, en considérant que les
risques financiers dans les procédures civiles à venir devaient se trouver
limités par voie de conséquence.
Des interrogations portent sur la lenteur de mobilisation des
initiatives diplomatiques en 2000 et 2001 dès lors qu’il avait été décidé de
privilégier cette voie, et la persistance à en attendre des résultats malgré
tous les signaux défavorables en 2001 et 2002. Il apparaît que la position
des parties américaines n’a fait que se renforcer durant cette période de
trois ans (2000, 2001, 2002), avec l’accumulation de témoignages et de
pièces à charge, dans un contexte très anti-français il est vrai, aux Etats-
Unis.
Un autre épisode mérite une attention particulière, celui du
dernier trimestre 2003 au cours duquel le ministre a donné des
instructions pour différer la signature d’une transaction globale incluant
notamment le CDR, le Crédit Lyonnais et la MAAF, tant qu’Artémis
n’aurait pas conclu parallèlement une transaction. Ces instructions ont été
critiquées vigoureusement par le CDR, le Crédit Lyonnais et la moitié du
conseil d’administration de l’EPFR qui ont été jusqu’à invoquer le
caractère démesuré des risques encourus par rapport à l’enjeu d’un accord
parallèle entre le parquet californien et Artémis, risques qui étaient à
l’évidence importants au plan financier pour l’Etat comme pour la licence
bancaire du Crédit Lyonnais aux Etats-Unis. Tout en reconnaissant que la
fermeté des autorités françaises n’a pas conduit à la rupture des
négociations, la Cour relève que l’Etat n’a pas exigé d’Artémis, en
échange du soutien qu’il lui apportait, de renoncer à la possibilité que la
société s’était réservée dès le printemps 2003 de se retourner contre l’Etat
à l’issue de la procédure civile.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
83
E - Une gestion peu performante des dossiers de la
SGGP
Les opérations de défaisance ont porté, pour l’essentiel, sur la
gestion des garanties offertes aux sociétés acheteuses au moment de la
privatisation du GAN et sur la récupération et la vente d’actifs.
Les garanties concédées avaient été particulièrement élevées, leur
montant total atteignant 714,52 M€ en valeur 1998. Elles avaient été
accordées, dans beaucoup de cas, en méconnaissance des risques réels.
Les clauses étaient souvent erratiques, certaines franchises pouvant, par
exemple, varier du simple au double. L’un des acquéreurs avait même
obtenu une garantie déplafonnée pour couvrir des engagements non
révélés.
Confrontée à cette situation, la SGGP a engagé des procédures
longues et coûteuses. Elle avait versé, au 31 décembre 2006, 49 % de la
valeur des garanties susceptibles d’être appelées, soit 350 M€ en euros
courants (441 M€ en valeur 2007).
A l’opposé, la société n’a récupéré que moins d’un quart de la
valeur brute des actifs enregistrés dans les comptes de la structure de
défaisance en 1998, soit 94 M€ en euros courants (126 M€ en valeur
2007).
F - Des problèmes de régularité et de transparence des
comptes
Sur le plan de la régularité, le protocole du 5 avril 1995 qui
définissait le cadre d’intervention de l’Etat dans la gestion des actifs
compromis du Crédit Lyonnais et ses avenants successifs n’ont pas été
scrupuleusement respectés par le CDR ou auraient dû être amendés pour
traduire la réalité des relations entre le CDR et l’EPFR.
C’est le cas de l’avenant n°20 du 20 avril 2002 qui prévoyait que le
CDR reprendrait à sa charge « le plus grand nombre possible de risques
non chiffrables » et fixait une enveloppe pour le financement des frais
généraux.
En effet, le montant total des provisions pour risques non
chiffrables repris en trois étapes par le CDR (87 risques) s’est élevé à
59,7 M€, mais seulement 13,74 M€ sur 41 M€ initialement prévus ont été
financés sur la dotation forfaitaire réservée à cet usage. Le solde (près de
46 M€) a été imputé sur les comptes du CDR, à concurrence de 38 M€ en
2002 puis de 8 M€ en 2003. De même, la part de la dotation forfaitaire
84
COUR DES COMPTES
affectée à la couverture des frais généraux s’est avérée insuffisante pour
couvrir les frais généraux jusqu’à la fin de la défaisance. Il a donc été
nécessaire, conformément aux principes comptables applicables pour une
structure à vocation provisoire, de constituer dans les comptes 2004 du
CDR une provision de 48 M€ qui a été portée à 98 M€ dès l’année
suivante.
Bien qu’envisagée tant par l’EPFR que par l’APE depuis 2004, à
la fois nécessaire pour régulariser le passé et souhaitable pour donner une
assise juridique à la nouvelle situation, l’actualisation de l’avenant n°20
n’est jamais intervenue.
Le support juridique de la garantie accordée par le CDR au
Crédit Lyonnais dans l’affaire Executive Life, à l’exception de l’amende
pénale (100 M€) qui était exclue du champ des garanties, pose également
problème. Le président de l’EPFR avait d’ailleurs saisi, en juin 2002, le
directeur
du
Trésor.
L’incertitude
juridique
résultait
de
deux
considérants : d’une part, aucune procédure n’était engagée en première
instance en 1995, d’autre part, il pouvait pour le moins y avoir doute sur
le fait que le Crédit Lyonnais pouvait ignorer de bonne foi le risque d’un
litige même s’il ne pouvait pas le chiffrer.
Si des arguments d’opportunité plaidaient clairement en faveur
de l’extension de la garantie compte tenu des annonces faites avant la
privatisation sur la couverture des risques par le CDR, la lettre du
ministre chargé des finances du 17 mars 1999 ne pouvait constituer un
fondement juridique suffisant pour le CDR. Seul un avenant au protocole
de 1995 aurait permis de lever l’incertitude.
La lisibilité des comptes est également insuffisante, tant pour le
CDR et l’EPFR que pour la SGGP, comme la Cour l’avait déjà noté dans
ses précédents rapports publics.
- En l’absence d’actualisation de l’avenant n°20, les comptes du
CDR ne sont pas homogènes dans le temps. Par rapport à la période
précédente (1998-2001), ils ont été affectés quatre années de suite, de
2002 à 2005, par des provisions qui devaient initialement être supportées
par l’EPFR.
- Les comptes consolidés du CDR et de l’EPFR, recommandés
par la Cour dès 2000, n’ont été établis que pour l’année 2006, moment à
partir duquel la réglementation comptable applicable aux établissements
de crédit l’imposait. Or, l’intérêt des comptes consolidés est justement de
réduire la portée des débats sur la répartition des charges et des provisions
entre les deux structures et de faire apparaître le coût complet de la
défaisance.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
85
- Le groupe SGGP n’a pas non plus présenté de comptes
consolidés entre 2001 et 2004, alors qu’aucun compte ne pouvait se lire
dans cette période sans référence à une filiale ou à une sous-filiale.
- La politique de provisions du CDR a été caractérisée par des
révisions insuffisantes lors des travaux d’actualisation annuels, suite à
l’inventaire complet des actifs réalisé en 1998, comme l’ont montré les
vérifications faites par la Cour lors du précédent contrôle et l’examen des
dossiers sous revue en 2007 (Compagnie des Glénans, EALC, Total,
Saged, Bernard Tapie).
G - Un retard général dans la réalisation de
l’adossement à la CDC
Le besoin d’adosser la gestion des défaisances à une structure
pérenne détenant les compétences nécessaires telle que la Caisse des
dépôts et Consignations (CDC) a été reconnu très tôt, mais la décision et
la mise en oeuvre ont été tardives.
La gestion de la NSRD a fait l’objet de trois adossements
successifs. Elle a été confiée de 1999 à 2002 au CDR. Le mandat de
gestion n’a pas été renouvelé, les conseils d’administration de l’EPRD et
de la NSRD estimant que les contentieux n’avaient pas été traités avec
l’efficacité nécessaire. Entre mars 2002 et la mi-2005, la NSRD a été
gérée par une filiale du Crédit Foncier de France, à l’issue d’une
procédure de consultation, pour un coût supérieur de 50 % à la facturation
du CDR, alors que l’activité de gestion était très réduite. L’adossement à
la CDC n’est intervenu qu’en 2005, à la demande expresse du ministre
chargé de l’économie et des finances
C’est également à la suite d’une intervention du ministre que la
gestion de la SGGP a été confiée à la CDC aux termes de la convention
du 31 mai 2005 qui a pris effet à sa date de signature.
La nécessité de l’adossement du CDR à la CDC est, quant à elle,
apparue très tôt, dès 1998/1999. Le président du CDR de l’époque
pensant que la réduction du format du CDR mettait en jeu son efficacité
même a pris de premiers contacts avec la CDC, puis a fait part de cette
recommandation aux autorités de tutelle. Mais le processus conduisant à
cet adossement a été long et laborieux. Une étape décisive n’a été
franchie que le 8 novembre 2004, avec l’envoi d’une lettre du ministre
chargé de l’économie et des finances aux responsables des structures de
gestion des défaisances pour leur enjoindre de rechercher un adossement
à la CDC. Un contrat d’assistance de portée relativement modeste a été
passé le 8 avril 1995 pour une période de deux ans, mais il a fallu attendre
86
COUR DES COMPTES
le 18 décembre 2006 pour qu’un avenant à ce contrat prévoie d’étendre la
coopération à la gestion opérationnelle du CDR. En définitive,
l’adossement de la gestion du CDR à la CDC n’a été réalisé que le
1
er
janvier 2007, soit huit ans après les premières démarches du président
du CDR de l’époque.
Les freins à ce rapprochement ont été multiples.
Tout d’abord, le ministère chargé de l’économie et des finances
avait des réticences à perdre le contrôle qu’il détenait en pratique sur des
affaires sensibles, comme en témoigne la réponse du directeur du Trésor
au président du CDR en juin 2003, qui subordonnait son accord de
principe à la résolution de certains dossiers complexes. Ces réticences
s’exprimaient encore en 2005. Le CDR et ses agents n’ont manifesté
aucun empressement pour accélérer l’adossement, perspective peu
favorable pour les équipes en place. Un délai supplémentaire a été
demandé, en vain, en mai 2006. Enfin la CDC elle-même a été très
exigeante sur les garanties de cantonnement des responsabilités et
vigilante sur les modalités de la mission qui lui était confiée, puis a
imposé au premier semestre 2006 de ne reprendre aucun personnel.
Un adossement plus précoce à la CDC aurait sans doute permis
des économies de frais généraux. Depuis le 1
er
janvier 2007 le CDR gère
avec quelques agents un portefeuille qui occupait encore plus d’une
vingtaine de salariés quelques mois auparavant. Le coût total de
fonctionnement du CDR s’établirait à 28,5 M€ en 2007, en diminution de
moitié par rapport à 2006 (48,9 M€).
Les conditions du transfert de la gestion n’ont pas été
satisfaisantes, comme en témoignent les tensions qui se sont fait jour
entre les personnels du CDR encore en place et la CDC en raison du
manque de rigueur dans la transmission des dossiers. Dans les derniers
jours de l’année 2006, l’équipe sortante du CDR a pris des initiatives de
dernière minute en profitant du changement de président. Ainsi dans le
dossier EALC, l’accord passé
in extremis
avec un repreneur en fin
d’année 2006 a été dénoncé peu de temps après par ce dernier qui avait eu
connaissance des procédures de liquidation d’EALC engagées par le
CDR, et un accord avec un autre repreneur est intervenu en milieu
d’année 2007 pour un montant inférieur de 16 % à la transaction
antérieure.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
87
III
-
Un bilan financier des défaisances très lourd
pour les finances publiques
A - Les problèmes méthodologiques
Le bilan financier des défaisances ne peut être établi à ce jour de
manière définitive, mais la part d’incertitude devient résiduelle par
rapport aux ordres de grandeur en jeu depuis l’origine. Elle tient aux
conditions de réalisation des derniers actifs, à l’aboutissement de
contentieux en cours ou à d’éventuelles mises en jeu de garanties.
En ce qui concerne la défaisance du Crédit Lyonnais, les chiffres
issus du CDR, les seuls diffusés au cours des dernières années, ne
représentent qu’une partie du coût global.
- Le CDR a mis au point sous sa responsabilité une estimation des
pertes cumulées sur les actifs transférés au CDR jusqu’au terme du
cantonnement,
désignée
sous
le
terme
de
« charge
globale
du
cantonnement » et présentée chaque année dans les rapports d’activité.
Cependant ce chiffrage n’est qu’une approche partielle du coût de la
défaisance du Crédit Lyonnais, car il ne tient compte ni des risques non
chiffrables pris en charge par l’EPFR ni des frais financiers de portage.
- Une méthode plus globale, mise au point par l’APE, consiste à se
placer au niveau de l’EPFR, en déduisant de la situation nette les apports
directs (dotations en capital) ou indirects (apports de titres du Crédit
Lyonnais) de l’Etat.
Cette méthode est plus pertinente que la première, notamment par
la prise en compte des intérêts versés au Crédit Lyonnais.
Il paraît cependant préférable de se placer au niveau de l’Etat, et de
faire un bilan actualisé des flux financiers. En effet, tous les flux liés au
Crédit Lyonnais n’ont pas transité par l’EPFR.
- La méthode proposée par la Cour est l’actualisation des flux de
trésorerie (entrées et sorties) au niveau de l’Etat, pour l’ensemble Crédit
Lyonnais, CDR et EPFR. Il s’agit d’établir le coût, pour les finances
publiques, de la décision prise par l’Etat en 1993-1994 de soutenir
financièrement le Crédit Lyonnais plutôt que de le laisser déposer son
bilan.
Il n’est fait aucune hypothèse de valorisation des actions détenues
par l’Etat dans le Crédit Lyonnais, juste avant la mise en place de la
première défaisance (SPBI) dans laquelle l’Etat a investi 3,5 MdF
88
COUR DES COMPTES
(534 M€), car l’alternative qui se posait aux pouvoirs publics était soit de
souscrire à une augmentation de capital, soit d’accepter la faillite de la
banque publique avec ses graves conséquences financières.
Il est fait par ailleurs l’hypothèse pour les besoins du calcul que le
montage serait débouclé en 2007, l’Etat souscrivant alors à une dotation
en capital au 1
er
janvier 2007 qui annulerait la situation nette de l’EPFR
au 31 décembre 2006, soit – 3,705 Md€.
Le taux d’actualisation retenu est celui du coût global apparent de
la dette de l’Etat. Ce taux qui était de 7,82 % en 1994 a atteint son plus
bas niveau de la période en 2006, à 4,49 %.
Les flux en entrée sont les dividendes du Crédit Lyonnais vers
l’Etat après rachat de la clause de retour à meilleure fortune en 1999, et
les produits de cession de titres du Crédit Lyonnais détenus encore par
l’Etat (2 207,2 M€ en 2002).
Les flux en sortie pour l’Etat sont les dotations en capital à la SPBI
(534 M€ en 1994) devenue EPFR, les dotations à l’EPFR de 1997 à 2006,
les achats de titres du Crédit Lyonnais détenus par Thomson SA et
Thomson CSF (430,7 M€ en 1997 et remboursement de 22,8 M€ en
1998).
S’agissant de la défaisance du Comptoir des Entrepreneurs, le
calcul opéré consiste à défalquer du montant des dotations budgétaires
accordées à l’EPRD les montants remontés à l’Etat qui recouvrent des
récupérations d’actifs sur la période. Le chiffre représente une valeur
actualisée 2007.
Enfin, la méthode retenue pour chiffrer le coût, pour l’Etat, de la
défaisance du GAN à partir de la privatisation de celui-ci, a consisté pour
la Cour à calculer la différence entre le montant de la privatisation laissé
dans la comptabilité de la SGGP et la remontée progressive des fonds à
l’Etat. L’écart enregistré recouvre le paiement de garanties, les moins-
values réalisées sur actifs cédés et les frais généraux de la société pendant
la période considérée. Ce calcul est effectué sur la base d’une valeur
actualisée 2007.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
89
B - Un coût global pour l’Etat qui reste très élevé
1 -
La défaisance du Crédit Lyonnais
Le coût financier global pour l’Etat de la défaisance du Crédit
Lyonnais en valeur 2007, selon la méthode proposée par la Cour à la fin
de la défaisance, s’établit à 14,7 Md€, en tenant compte de la dotation en
capital de 1994 à la SPBI. Par rapport à l’estimation réalisée en 2000
40
, le
montant des plus values latentes du portefeuille s’est avéré plus important
que prévu (1,8 Md€ au lieu de 0,25 Md€). En revanche, les frais de
fonctionnement ultérieurs ont été plus élevés (650 M€ au lieu de 300 M€)
et le coût des risques non chiffrables s’est établi à 600 M€. Actualisé par
cohérence en valeur 1999, l’impact par rapport aux hypothèses faites en
2000 serait une minoration de plus d’un milliard d’euros.
Ce coût global se décompose en deux parties :
- La charge du cantonnement au niveau du CDR s’établit à
10,23 Md€ fin 2006. Elle a été significativement réduite par rapport aux
estimations réalisées par le CDR fin 1996 (14,7 Md€), notamment grâce
aux bons résultats des cessions et des recouvrements réalisés en 1998,
1999 et 2000 dans un contexte boursier et une conjoncture économique
favorables.
En milliards d’euros
Fin 1996
Fin 1997
Fin 2000
Fin 2002
Fin 2006
Charge
14,7
14,13
11,1
10,83
10,23
Source : Rapports du CDR
- La charge de la défaisance au niveau de l’EPFR établi par les
services de l’APE est estimée à fin 2006 à 17,74 Md€ avec les intérêts
versés au Crédit Lyonnais. Ce chiffre comptable correspond à la somme
de la situation nette de l’EPFR au 31 décembre 2006 (3,71 Md€), du
montant des dotations en capital (8,94 Md€) et du produit net des
privatisations du Crédit Lyonnais pour l’EPFR (5,09 Md€) compte tenu
du rachat de la clause de retour à meilleure fortune.
2 -
La défaisance du Comptoir des Entrepreneurs
Le coût actualisé des deux défaisances s’établit à 2,82 Md€. Il
représente la différence entre les dotations de l’Etat destinées à financer
les pertes entre 1996 et 1998, et les remontées de fonds au budget de
l’Etat depuis 2000.
40) Cette méthode n’est pas identique au calcul en partie patrimonial et en partie
comptable proposé par la Cour et accepté par l’Etat en 2000.
90
COUR DES COMPTES
Dotations de l’Etat
2974 M€
Remontées de fonds à l’Etat
-154 M€
TOTAL
2820 M€
3 -
La défaisance du GAN
Le coût pour l’Etat de la défaisance du GAN correspond au
montant des recettes de privatisation qui ne pourront être remontées à
l’Etat. Il est le suivant, en valeur actualisée 2007 :
Recettes de privatisation versées à la SGGP :
6,1 Md€
Remontée des fonds à l’Etat
-3,1 Md€
Trésorerie de la SGGP
-
300 M€
TOTAL
2,7 Md€
Les fonds remontés à l’Etat (3,1 Md€) ou susceptibles de l’être
(300 M€ en trésorerie) incluent une récupération d’actifs de 126 M€ sur
la période 2000 à 2006.
Au total, le coût financier total des défaisances s’établirait
provisoirement à environ 20,2 Md€ en valeur 2007,
soit un niveau de
pertes un peu moins élevé que les données prévisionnelles de 1999 (au
moins un milliard d’euros). Cette amélioration s’explique en grande
partie par la nature du portefeuille d’actifs des sociétés de défaisance, qui
était constitué majoritairement de biens immobiliers, et qui a permis, dans
un contexte de hausse du marché de 68 % entre 2001 et 2005, la
réalisation de plus-values de cession. La baisse des taux a eu aussi pour
effet d’alléger les coûts de portage.
Le coût des défaisances pour l’Etat n’en est pas moins
considérable, puisqu’il représente par exemple
l’équivalent de 40 % des
prévisions de recettes d’impôt sur les sociétés nettes des restitutions pour
l’année 2007
.
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
A l’heure où le bilan organisationnel et financier des défaisances
est peu susceptible d’être modifié de manière significative, des
enseignements peuvent être tirés de ces opérations afin que l’Etat soit
mieux en mesure d’affronter des situations financières comparables dans
le futur. La quasi-disparition du secteur financier public exclut le
renouvellement d’une crise de même nature, mais n’écarte pas le risque
de crises financières de type systémique dans lesquelles les pouvoirs
publics pourraient être conduits à intervenir.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
91
Il apparaît que le choix de cantonner des actifs compromis dans
une structure spécifique s’est révélé peu judicieux. L’amélioration très
relative du résultat des défaisances par rapport aux prévisions n’infirme
pas ce diagnostic, car il doit être mis en rapport avec un coût financier
global qui reste très lourd et avec un environnement de marché très
favorable. L’Etat a assumé la quasi-totalité des pertes, l’existence de
structures de cantonnement ayant permis aux sociétés bénéficiaires des
privatisations de se débarrasser des actifs compromis. C’est bien, en
définitive, le budget de l’Etat qui a assuré le financement des défaisances,
soit à travers des dotations budgétaires soit en percevant des recettes de
privatisation amputées des coûts des défaisances.
En outre, les opérations nécessaires n’ont pu être conduites avec
le maximum d’efficacité pour diverses raisons, liées à la fois à la nature
intrinsèque des sociétés de défaisance et à leur actionnariat public. Il est
plus difficile d’assurer une gestion dynamique dans des sociétés vouées à
la disparition. La récupération d’actifs compromis, notamment dans
l’immobilier, et la conduite de contentieux complexes sont des opérations
plus difficiles à mener dans un environnement public moins préparé à la
négociation et à la transaction.
Au demeurant, de tels dispositifs seraient aujourd’hui impossibles
à mettre en oeuvre, les règles internationales excluant désormais les
mécanismes de déconsolidation des comptes.
En conséquence, la Cour recommande :
- d’exclure la mise en oeuvre de dispositifs comparables à l’avenir. Les
mécanismes de gestion de crise doivent viser à responsabiliser les
sociétés concernées, en les mettant dans la situation de gérer directement
leurs actifs compromis et les contentieux y afférents, quitte à faciliter des
opérations de fusion-acquisition. L’intervention de l’Etat, si elle
apparaissait nécessaire, devrait se limiter à encourager, en y prenant
éventuellement sa part, la mobilisation financière de l’ensemble des
partenaires concernés ;
- d’envisager, à court terme, les modalités d’une extinction rapide des
structures de défaisance
actuelles ;
- et pour ce qui concerne la SGGP, de faire remonter au budget général la
trésorerie disponible.
92
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DE LA MINISTRE DE L’ÉCONOMIE, DES FINANCES
ET DE L’EMPLOI
L’insertion au rapport public annuel de la Cour des Comptes relative
au bilan de la gestion des défaisances du secteur financier public appelle de
la part du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi (MINEFE)
les observations suivantes.
1. Organisation et fonctionnement des dispositifs mis en place pour gérer les
actifs compromis du Crédit Lyonnais, du Comptoir des Entrepreneurs et du
GAN
.
Sans contester la nécessité d’une intervention de l’Etat, au moins dans
le cas du Crédit Lyonnais et du GAN, compte tenu des risques lourds
encourus en cas de faillite des institutions financières concernées, la Cour
estime que les dispositifs mis en place dans le courant des années 1990 pour
gérer les actifs compromis et les contentieux associés se sont caractérisés
par une complexité excessive, et par un caractère déresponsabilisant, ce qui
en aurait accru le coût total pour l’Etat. Elle formule par ailleurs un certain
nombre de critiques sur la gouvernance de l’EPFR et du CDR, et sur le
pilotage de ces structures par l’Etat.
Complexité des structures de défaisance
Si la complexité des dispositifs mis en place pour organiser ces
défaisances est incontestable, elle résulte principalement de la complexité
initiale des structures des établissements financiers dont elles ont hérité, et
des diverses contraintes qui s’imposaient à l’Etat au moment de leur
création, notamment le souci de cantonner les risques en vue de limiter au
maximum leur impact sur les finances publiques. Ces structures n’en ont pas
moins fonctionné depuis leur création de manière transparente, sous le
contrôle du Parlement pour l’EPFR et l’EPRD, et un effort permanent de
simplification de ces structures (compactages, dissolutions de filiales
devenues sans objet) de réduction de leurs coûts de fonctionnement a été
mené, au fur et à mesure de l’avancement des cessions d’actifs et de
l’évolution des contentieux. Le rythme de ces opérations de simplification
(compactages, dissolution de filiales), que la Cour juge insuffisamment
rapide notamment pour le CDR et la SGGP, a été contraint par la durée plus
longue que prévue des contentieux portés par certaines filiales, et par la
lourdeur et la complexité de ces opérations de compactage. Il convient en
outre de noter que, bien qu’indispensables pour mener à leur terme les
défaisances et améliorer la lisibilité de leur organigramme et de leurs
comptes, ces opérations ne se traduisent pas par des économies de
fonctionnement significatives pour la maison mère, les coûts associés à la
gestion de sociétés coquilles étant très limités.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
93
Financement des défaisances
En ce qui concerne les relations financières entre l’EPFR et le CDR,
la Cour estime que le système des « risques non chiffrables » a conduit à
déresponsabiliser le CDR dans la gestion de certains dossiers et alimenterait
des débats sans portée réelle entre l’EPFR et le CDR. Si ce dispositif n’est
pas sans défaut, l’appréciation portée par la Cour des comptes paraît
néanmoins excessive : le CDR ne semble pas avoir en pratique opéré une
distinction particulière, dans la gestion des dossiers contentieux, entre ceux
relevant ou non de la catégorie des risques non chiffrables, et a au contraire
géré ces dossiers de manière responsable, en consacrant aux plus importants
des ressources considérables, en termes d’implication du management et de
frais de conseils, pour défendre au mieux les intérêts des finances publiques.
En ce qui concerne la trésorerie de la SGGP (environ 280 M€ fin
2007), dont la Cour estime qu’elle s’établit aujourd’hui à un niveau excessif
en raison des risques contentieux non encore éteints, il avait été décidé dès
l’origine de maintenir au sein de la SGGP le produit de la cession en 1998
des filiales de GAN SC (GAN SA, UIC, CIC), pour lui permettre de faire face
à l’intégralité de ses engagements futurs. Des remontées progressives à
l’Etat sont réalisées chaque année, sous la forme de réductions de capital, en
veillant à maintenir au sein de la société un volant de trésorerie suffisant
pour lui permettre de faire face à ses engagements et aux risques associés
aux litiges qu’elle porte. Chaque année, le périmètre des engagements de la
SGGP est d’ailleurs réévalué (engagements venus à échéance ou payés, état
des litiges). Comme le souligne la Cour des comptes, depuis 1998, 2,914 Md€
ont ainsi été remontés à l’Etat. Suivant cette même approche, la SGGP fera
remonter vers l’Etat à la fin 2007 46 M€. Il n’apparaît pas possible d’aller
au-delà sans exposer la société au risque de ne pouvoir faire face à ses
engagements résiduels. Pour faire suite aux observations de la Cour, il a
néanmoins été décidé fin 2007 de centraliser la trésorerie de la SGGP au
sein de l’Etat, par l’ouverture d’un compte courant rémunéré tenu par le
SCBCM, ce qui permettra de réduire à due concurrence la dette brute des
administrations publiques.
Gouvernance des défaisances
La Cour regrette l’insuffisance des pouvoirs de contrôle de l’EPFR
sur le CDR, et estime que l’EPFR est excessivement dépendant dans son
fonctionnement des services de l’Etat, qui se seraient par ailleurs selon elle
trop impliqués dans le suivi de certains dossiers contentieux. Elle estime en
outre que les services de l’APE ne se seraient pas suffisamment impliqués
dans la surveillance des défaisances du Comptoir des Entrepreneurs et du
GAN.
Il convient en premier lieu de souligner le caractère globalement
contradictoire de ces observations, sur lesquelles la position exprimée par la
Cour gagnerait à être clarifiée : l’Etat aurait-il dû de son point de vue
94
COUR DES COMPTES
s’impliquer davantage dans la gestion des défaisances, compte tenu de sa
position d’actionnaire unique (ou quasi-unique) et de garant, en vue de
limiter les pertes encourues ou aurait-il dû se tenir encore davantage à
l’écart, au nom de l’autonomie de gestion des sociétés de défaisance, dans la
mesure où ses interventions conduiraient par construction à des choix mal
avisés ?
En ce qui concerne le rôle de l’EPFR dans l’organisation
institutionnelle du dispositif de cantonnement, la Cour estime qu’il n’a pu
exercer efficacement ses fonctions d’actionnaire unique du CDR. Il convient
de rappeler que cette situation résulte de l’organisation même du dispositif
de cantonnement telle qu’elle a été voulue par le législateur. La loi n°95-
1251 du 28 novembre 1995 relative à l'action de l'Etat dans les plans de
redressement du Crédit lyonnais et du Comptoir des entrepreneurs a en effet
confié à l’EPFR la mission de « gérer le soutien financier apporté par l'Etat
au Crédit lyonnais dans le cadre du cantonnement de certains de ses actifs
au sein de la société chargée d'assurer la réalisation de ceux-ci et dénommée
Consortium de réalisation. (…) Il veille notamment à ce que soient respectés
les intérêts financiers de l'Etat dans le cadre du plan de redressement du
Crédit lyonnais. » La loi n’a donc pas prévu que l’EPFR intervienne
directement dans la gestion quotidienne du CDR, même s’il est appelé à
exprimer des « avis », juridiquement non contraignants, sur les orientations
stratégiques, le plan de cession et de trésorerie et le budget annuel de
fonctionnement du CDR. Le CDR est ainsi gouverné par un conseil
d’administration
quasi-exclusivement
composé
d’administrateurs
indépendants, à l’exception de l’EPFR, représenté par son président, qui ne
dispose de droit de veto sur aucune décision relevant du conseil ; les seuls
pouvoirs propres qu’il est susceptible d’exercer concernent les décisions
relevant de l’assemblée générale (nomination des mandataires sociaux,
approbation des comptes annuels). On notera d’ailleurs qu’initialement
l’EPFR n’avait aucun lien capitalistique avec le CDR et que ce n’est
qu’ultérieurement, en 1998, qu’il en est devenu l’actionnaire quasi-unique.
L’organisation même du dispositif place donc l’EPFR, bien
qu’actionnaire quasi-unique du CDR, dans une position originale au regard
du droit commun des sociétés, même s’il dispose du pouvoir ultime de
révoquer le management du CDR, avec l’agrément du Ministre, en cas de
divergence de vues irréconciliable sur la conduite des affaires de
l’entreprise. Ceci ne signifie pas que l’EPFR n’ait jamais pesé dans les
processus de décision du CDR. En tant qu’administrateur du CDR tout
d’abord, l’EPFR a fait preuve d’une remarquable assiduité et s’est exprimé à
de très nombreuses reprises au sein du conseil du CDR, qu’il a fortement
contribué à animer ; les positions qu’il y a exprimées, au même titre que
celles exprimées par d’autres administrateurs, ont naturellement contribué
au processus de décision, de même que le dialogue régulier entretenu entre
les présidents de l’EPFR et du CDR.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
95
En ce qui concerne les relations entre l’EPFR et l’Agence des
participations de l’Etat, qui assure le secrétariat général de cet établissement
public, le MINEFE ne partage pas l’analyse développée par la Cour selon
laquelle
cette
situation
aurait
affecté
l’autonomie
de
gestion
de
l’établissement public et conduit à une confusion des rôles ne permettant pas
à l’EPFR d’exercer efficacement sa fonction d’actionnaire du CDR. L’étroite
symbiose qui a toujours existé de fait, dans la période sous revue, entre les
services de la direction du Trésor (puis de l’APE) et l’EPFR, apparaît plutôt
comme un gage d’efficacité, tant sur le plan opérationnel qu’économique,
que de confusion. Dès l’origine de la défaisance, l’organisation de l’EPFR,
organe de financement et de surveillance, a été définie dans un souci
d’économie de moyens et d’efficacité pratique : le Président de l’EPFR,
choisi parmi les membres de l’Inspection Générale des Finances, ne perçoit
pas de rémunération spécifique pour ce mandat, qui ne constitue pas une
activité à plein temps ; la gestion administrative et financière de
l’établissement est assurée avec l’appui de l’APE, qui met à disposition ses
ressources
à titre gratuit. Cette organisation permet non seulement de
limiter au strict minimum les frais de fonctionnement de l’établissement, mais
aussi de lui faire bénéficier au quotidien, et sans formalisme particulier, des
services des pôles d’expertise de l’APE : c’est ainsi que le pôle comptable est
fréquemment sollicité, notamment sur les questions de provisionnement, ou
pour le recrutement des commissaires aux comptes. De plus, l’APE dispose
d’un pôle juridique qui a largement été mis à contribution par l’EPFR,
notamment dans ses réflexions sur la gestion des grands contentieux relevant
des risques non chiffrables.
Il n’est donc pas anormal que les services de l’APE jouent un rôle
actif, sous le contrôle du Président de l’EPFR, dans l’instruction des dossiers
relevant des missions de l’EPFR, et interagissent régulièrement à ce titre
avec le CDR. L’appui fourni par l’APE au quotidien à l’établissement public
n’est donc pas de nature à restreindre son autonomie vis-à-vis de l’Etat, mais
plutôt à en optimiser le fonctionnement qui aurait été autrement plus coûteux
si des moyens propres avaient été affectés à l’EPFR, en doublon des moyens
affectés au suivi des défaisances au sein des services de l’Etat.
Lorsque la Cour souligne que « le Président de l’EPFR a accepté de
répondre à toutes les demandes d’instruction formulées par le CDR », ce qui
est factuellement exact, elle omet de mentionner que lesdites réponses ont été
systématiquement formulées après délibération du conseil d’administration
de l’EPFR, et donc non pas sur instruction de l’APE ni du cabinet du
Ministre mais bien, conformément aux textes, par un acte de la gouvernance
de l’établissement public. Il n’y a pas eu davantage de « dessaisissement » du
Président de l’EPFR, mais seulement le constat de l’impossibilité pour celui-
ci d’engager des dépenses dans le cadre d’un budget soumis par ailleurs à
l’approbation du Ministre sans tenir compte de la position qui serait
exprimée au conseil par les représentants de l’Etat.
96
COUR DES COMPTES
Il convient enfin d’ajouter que l’autonomie de gestion de l’EPFR ne
signifie pas que l’établissement public soit indépendant de l’Etat, son
propriétaire unique, puisque d’une part le gouvernement
dispose de deux
représentants au conseil d’administration sur un total de cinq membres et
nomme son président, et que d’autre part les représentants du Parlement
représentent la branche législative des pouvoirs publics.
Enfin, compte tenu du rôle de garant exercé par l’EPFR, et à travers
lui l’Etat, pour les risques non chiffrables, il n’est pas anormal que le CDR
ait jugé souhaitable, sur certains dossiers porteurs d’enjeux très lourds pour
les finances publiques, de recueillir l’avis de son garant avant de prendre des
décisions à caractère structurant concernant ces dossiers ; il aurait été au
contraire étonnant et critiquable que l’Etat se désintéresse de la gestion des
contentieux majeurs, y compris sur le dossier Adidas, pour lequel les
liquidateurs du groupe Tapie demandaient 1,2 Md€ devant la Cour d’Appel
en 2005 et plus de 11 Mds€ aujourd’hui devant la Cour d’Appel de renvoi.
Dès lors que la position ministérielle a été régulièrement exprimée par les
représentants de l’Etat en conseil d’administration de l’EPFR et que cette
position, adoptée par un vote à la majorité par le conseil d’administration de
l’établissement public, a été relayée par l’EPFR au conseil d’administration
du CDR, qui a lui-même pris ses décisions conformément aux règles de
gouvernance en vigueur, l’organisation du dispositif de la défaisance a été
pleinement respectée. Il convient enfin d’ajouter que sur la grande majorité
des risques non chiffrables, à l’exception de quelques dossiers sensibles,
toutes les décisions ont été prises au niveau du conseil d’administration du
CDR, qui a agi en pleine responsabilité, sans en saisir l’EPFR.
Concernant les autres défaisances, le rôle de surveillance exercé par
les services de l’Etat a été adapté aux enjeux financiers, mais ne peut être en
aucun cas qualifié d’« effacé ». La direction du Trésor, puis l’APE ont siégé
dans l’ensemble des conseils d’administration concernés (EPRD, NSRD,
SGGP) et suivi attentivement l’évolution de ces défaisances.
Objectifs assignés aux structures de défaisance par l’Etat
La Cour estime que l’Etat ne s’est pas doté d’une stratégie claire pour
la conduite du processus de défaisance, ce qui aurait conduit selon elle à des
choix sous-optimaux sur le plan patrimonial, notamment pour le CDR et la
SGGP. Elle considère que le CDR et la SGGP auraient eu intérêt à différer
la cession de leurs actifs immobiliers, pour bénéficier à plein de la reprise du
marché après 2001 ; elle juge en outre que le CDR aurait dû accélérer ses
cessions de titres Usinor avant 2001 et ralentir les opérations de cessions de
ses participations résiduelles entre 2001 et 2003, pour attendre une reprise
du marché boursier lui permettant de les vendre dans de meilleures
conditions.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
97
Sur les trois défaisances concernées, l’Etat s’est efforcé en
permanence de concilier au mieux deux objectifs prioritaires, qui étaient
d’une part l’extinction de ces structures, qui avaient vocation à disparaître
une fois leur mission achevée, et d’autre part l’optimisation financière pour
l’Etat de l’ensemble de ces opérations. Cette double préoccupation a
nécessité en permanence de faire des choix difficiles, dans un environnement
par construction incertain et volatil. Dans ce contexte, l’Etat et les
gestionnaires de ces sociétés ont agi au mieux de leurs anticipations. Il est
toujours possible, en se fondant sur l’observation a posteriori de l’évolution
du marché, de regretter qu’une autre voie n’ait pas été choisie, mais il
convient de rappeler que personne ne pouvait connaître avec certitude en
2001 l’ampleur ni la durée du retournement à la baisse du marché. Aurait-il
été pertinent en 2002 d’interrompre les cessions, alors même que le marché
était susceptible de baisser encore davantage et que le moment de son
retournement à la hausse n’était pas connu ? Le CDR aurait-il dû mettre en
sommeil ses activités pour une période indéterminée, en attendant ce
retournement, alors même que l’objectif initial était d’achever sa mission à
l’horizon 2005 ?
Il convient enfin de rappeler que la recherche de l’optimisation fiscale
par une société comme la NSDR, la SGGP ou le CDR, fut-elle détenue à
100% par l’Etat, n’est pas critiquable en tant que telle, et constitue même
une obligation au regard de son intérêt social.
2. Gestion des défaisances et des principaux dossiers contentieux.
Tout en soulignant un certain nombre de faiblesses dans le dispositif,
dont elle regrette qu’il n’ait pas été modifié dans la période sous revue
(2000-2006), la Cour reconnaît que les dernières années ont permis de
réduire l’ampleur du coût de ces défaisances pour le secteur public. Même si
celui-ci reste au global très élevé, cette amélioration doit être portée, au
moins pour partie, au crédit des gestionnaires de ces structures, qui ont été
confrontés au cours des dernières années à une tâche d’autant plus difficile
que la complexité des dossiers gérés s’est naturellement accrue au fur et à
mesure de l’avancement de la défaisance.
Compte tenu des spécificités de l’organisation de la défaisance du
Crédit Lyonnais, qui ne permettent pas à l’Etat d’être représenté directement
au conseil d’administration de cette société, ni d’influer significativement sur
sa gestion et son fonctionnement, il n’appartient pas au MINEFE de
répondre en détail aux observations formulées par la Cour sur la gestion du
CDR, qu’il s’agisse des frais généraux de la structure ou de ses choix de
gestion concernant les dossiers gérés sous sa responsabilité. Tout au plus est
il souhaitable de préciser que, lors des présentations annuelles du budget du
CDR au conseil d’administration de l’EPFR, des recommandations ont été
formulées à plusieurs reprises par celui-ci sur la maîtrise des frais généraux
du CDR, de ses honoraires de conseils, notamment juridiques, et que des avis
98
COUR DES COMPTES
ont été exprimés sur les modalités d’externalisation des fonctions support et
l’opportunité de cessions d’actifs en bloc.
Pilotage du contentieux Executive Life
La Cour note que l’Etat, au travers d’instructions du Ministre, a
différé, contre l'avis du CDR et une partie des administrateurs siégeant au
conseil de l’EPFR, la conclusion définitive de l’accord transactionnel devant
clore le volet pénal, dans l’attente de la conclusion d’un accord parallèle
entre la société Artémis et le parquet américain, permettant d’aboutir à un
accord englobant l’ensemble des parties concernées par le contentieux. La
Cour souligne à cet égard « le caractère démesuré des risques encourus »
par rapport aux enjeux. Si cette décision, mûrement réfléchie et arbitrée par
l’Etat, n’était pas exempte de risque, elle procédait du souci légitime,
exprimé dès l’origine par le CDR et ses conseils, et partagé par l’Etat, de
s’assurer de la robustesse de l’accord conclu avec la justice américaine, et
non comme le laisse entendre la Cour de soutenir des intérêts privés : en
l’absence d’un accord global, incluant les principales parties à la procédure
y compris Artémis, le CDR et le Crédit Lyonnais seraient restés exposés aux
conséquences d’éventuelles reconnaissances pénales ultérieures de parties
non incluses dans l’accord, ce qui aurait pu le cas échéant vider de son sens
l’accord conclu avec le parquet. Force est de constater que le risque cité par
la Cour des comptes ne s’est pas matérialisé, et que la fermeté affichée par
l’Etat a permis d’aboutir à l’objectif recherché d’un accord global.
Appréciations portées par la Cour sur la régularité de certaines décisions et
sur la lisibilité des comptes des structures de défaisance
Contrairement au titre mettant en cause la régularité et la
transparence des comptes du CDR, sous lequel elles sont regroupées, les
observations retenues par la Cour sont loin de justifier une réserve aussi
généralement annoncée.
Une première série d’observations porte sur l’application du
protocole de 1995 régissant le cadre d’intervention de l’Etat dans la
défaisance du Crédit Lyonnais et les relations entre l’ensemble des parties
concernées (Etat, EPFR, CDR, Crédit Lyonnais).
La Cour estime tout d’abord que l’avenant 20 du 20 avril 2002 aurait
nécessairement dû être modifié par avenant en 2004 en raison de
l’insuffisance de la dotation forfaitaire affectée au financement des frais
généraux du CDR (liée notamment aux développements de l’affaire Executive
Life, qui ont généré des frais plus élevés que prévu en termes d’honoraires
d’avocats). Si une modification de cet avenant aurait pu être envisagée en
vue de reconstituer cette dotation forfaitaire, elle n’était en rien nécessaire
sur le plan juridique, dans la mesure où l’avenant 20 a été respecté, jusqu’à
l’épuisement de la dotation initiale. Le choix retenu par le CDR d’inscrire
dans ses comptes 2004 une provision pour coûts extinctifs (48 M€ en 2004
puis 98M€ en 2005) visant à provisionner les sommes nécessaires à la
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
99
conduite des opérations de la défaisance jusqu’à son terme a été
explicitement validé par ses commissaires aux comptes, et n’a de fait rien
changé en termes de flux financiers entre l’EPFR et le CDR.
En ce qui concerne la validité juridique de la garantie accordée par le
CDR au Crédit Lyonnais dans l’affaire Executive Life, le MINEFE ne
partage pas l’analyse de la Cour. Aucun élément probant n’est avancé dans
l’insertion au rapport public pour étayer les doutes nourris par la Cour sur
ce point, qui ne peut en tout état de cause pas être tranché par des
conjectures sur la bonne foi du Crédit Lyonnais à l’époque. L’EPFR a été
toujours attentif au fondement juridique des garanties, comme en témoignent
les nombreuses réflexions internes et les débats avec le CDR qu’il a eu de
façon récurrente à ce sujet. Ce n’est qu’en cas d’incertitude ne permettant
pas de trancher des divergences d’interprétation des termes du protocole
entre le CDR et le Crédit Lyonnais, que le Ministre a été amené par le passé
à trancher. Ce fut notamment le cas préalablement à la privatisation du
Crédit Lyonnais, qui nécessitait de clarifier de façon définitive l’exposition
de la banque à certains risques pour la bonne information du marché. C’est
dans ce cadre que le Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie,
saisi par les deux parties, a clairement confirmé, dans un courrier adressé au
Crédit Lyonnais le 17 mars 1999, la prise en charge par le CDR d’un certain
nombre de risques, parmi lesquels le contentieux Executive Life. Si cette
lettre ne valait pas formellement avenant au protocole, la signature d’un tel
avenant n’est pas apparue indispensable aux parties prenantes à l’époque,
compte tenu de la clarté de la position prise par l’Etat, garant en dernier
ressort et actionnaire à 100% du CDR via l’EPFR, et du fait que cette lettre
ne visait qu’à clarifier un point d’interprétation du protocole.
En ce qui concerne la lisibilité des comptes des structures de
défaisance, il est exact que la SGGP et l’EPFR n’ont établi que récemment
des comptes consolidés (en 2005 pour la SGGP et en 2007 pour l’EPFR),
mais il convient de rappeler que ni l’un ni l’autre n’en avaient l’obligation
légale antérieurement. En ce qui concerne l’EPFR, force est de constater
que, compte tenu de la très grande simplicité du bilan et du compte de
résultat de l’EPFR, l’exercice de consolidation qui a été mené sur les
comptes 2006 ne présente pas un grand intérêt en termes d’information
financière et de lisibilité des comptes de la défaisance, dans la mesure où le
CDR établissait d’ores et déjà des comptes consolidés. Cet intérêt est sans
commune mesure avec les coûts importants, en particulier de commissariat
aux comptes, liés à la réalisation de cette consolidation.
Adossement des structures de défaisance à la CDC
La Cour estime de manière générale que le transfert de la gestion
opérationnelle des structures de défaisance à la Caisse des dépôts et
consignations a été trop tardif, en particulier pour le CDR, et qu’un
adossement plus précoce aurait permis des économies de frais généraux.
100
COUR DES COMPTES
Concernant le CDR, s’il est exact que l’opportunité d’un adossement
a été identifiée dès 2000, et que celui-ci n’a été pleinement mis en oeuvre
qu’au début de l’année 2007, on ne peut pour autant considérer que celui-ci
serait intervenu « trop tardivement ». Lorsque la question s’est posée de
manière opérationnelle, dans la dernière année du contrat d’entreprise 2002-
2005, il est apparu que la CDC n’envisageait pas de prendre la
responsabilité directe de la défaisance, mais seulement d’en assurer la
gestion déléguée, et n’était pas disposée à reprendre les personnels du CDR,
contrairement au schéma envisagé en 2000. Cette perspective n’était donc
plus de nature à inciter les personnels de qualité à rester dans l’entreprise, et
impliquait donc à un moment donné un transfert intégral de leurs dossiers à
de nouvelles équipes, ne disposant pas d’une connaissance approfondie de
l’historique parfois très complexe des dossiers.
Il est donc apparu préférable, compte tenu du nombre encore
important de dossiers actifs à fort enjeu (Executive Life, AIG, EALC,
Adidas), de prévoir une période de transition (adossement partiel à la CDC,
organisé par la convention d’avril 2005), permettant aux équipes en place de
boucler dans la mesure du possible les principaux dossiers dont ils avaient la
charge, et de différer l’adossement intégral à une structure pérenne au
moment où la structure du CDR aurait atteint une taille critique rendant plus
avantageuse financièrement l’externalisation de la gestion que le maintien
d’une équipe de cadres permanente et employée à plein temps, ce qui n’était
pas le cas fin 2005. Ce dernier critère est bien sûr celui qui a prévalu pour
les adossements de la NSRD et de la SGGP, pour lesquelles l’adossement à
la CDC est intervenu plus tôt, dès 2005, du fait que leurs missions étaient
plus avancées.
On ajoutera qu’au-delà de la recherche d’une réduction des frais de
gestion, l’adossement répond au souci de se donner les moyens de gérer les
dossiers dans la durée, face à des parties adverses (débiteurs, plaignants),
qui misent parfois sur l’horizon limité de la défaisance pour emporter gain
de cause. Il convient enfin de noter que l’adossement de la gestion des
défaisances à la CDC se traduit mécaniquement par une moindre
disponibilité des personnes en charge du suivi des dossiers, qui ne sont plus
placées directement sous l’autorité des PDG du CDR, de la NSRD et de la
SGGP et partagent leur temps entre plusieurs missions distinctes. Ce système
est bien adapté à l’objectif d’une mise en extinction progressive des
structures de défaisances, mais aurait pu trouver ses limites dans la gestion
de dossiers contentieux très lourds tels que ceux gérés par exemple par le
CDR au cours des dernières années. La gestion de ces dossiers contentieux
très lourds explique par ailleurs le nombre plus important de personnels que
comptait le CDR quelques mois avant l’adossement comparé à la situation
post-adossement.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
101
En tout état de cause, il n’est pas possible de démontrer qu’un
adossement plus précoce du CDR à la CDC aurait été optimal pour l’Etat,
tant en termes économiques qu’opérationnels, compte tenu de la lourdeur des
dossiers qu’a dû gérer le CDR jusqu’à fin 2006.
Dans les négociations préparatoires à l’adossement du CDR à la
CDC au 1
er
janvier 2007, les services du MINEFE, ainsi que le CDR et
l’EPFR, ont par ailleurs veillé, en vue de s’assurer que ce transfert se
traduise par de réels gains d’efficacité économique, à encadrer précisément
les conditions d’intervention et de rémunération de la CDC en tant que
prestataire de services, et à mettre en place des structures de gouvernance
permettant d’organiser un contrôle effectif du prestataire par le donneur
d’ordres.
3. Bilan financier des défaisances
.
Les calculs présentés par la Cour sur le bilan financier des
défaisances n’appellent pas d’observation particulière, dans la mesure où
ces évaluations ont été réalisées en étroite coordination entre la Cour et les
services du MINEFE.
Si le coût global pour les finances publiques des défaisances du
secteur financier apprécié sur la base des méthodes retenues par la Cour
apparaît globalement très élevé, de l’ordre de 20,7Md€ dont 14,7Md€ au
titre de la défaisance du Crédit Lyonnais, il convient toutefois de souligner,
comme le note la Cour, que ce coût s’est sensiblement réduit au cours des
dernières années.
Par ailleurs, la méthode privilégiée par la Cour pour estimer le coût
de la décision prise en 1993-1994 par l’Etat de soutenir la banque plutôt que
de la laisser déposer son bilan, repose sur des hypothèses méthodologiques
fortes. Elle revient en effet à comparer les décaissements nets subis par l’Etat
du fait de la mise en place de la défaisance à une situation de référence
théorique dans laquelle l’Etat n’aurait subi aucun décaissement suite à la
faillite de la banque. Or, il est probable qu’un dépôt de bilan du Crédit
Lyonnais aurait pu se traduire par des dépenses supplémentaires (éventuel
appel en comblement de passif, financement d’un plan de sauvegarde de
l’emploi important, etc…) ou par des pertes de recettes fiscales et sociales. Il
serait certes extrêmement difficile de construire une situation de référence
incontestable, notamment parce que ceci supposerait de modéliser l'effet
complexe qu'aurait eu sur la concurrence la cessation d'activité du Crédit
Lyonnais (ses concurrents auraient souffert des défauts de paiement du
Crédit Lyonnais, mais auraient bénéficié de la suppression d'un concurrent),
ou de prendre en compte toutes les incidences fiscales de ces décisions sur le
Crédit Lyonnais et toutes ses filiales.
102
COUR DES COMPTES
Il n’en demeure pas moins que le scénario de référence retenu par
commodité aboutit à surestimer le coût de la décision de l'Etat de réhabiliter
le Crédit Lyonnais, car il conduit à sous-estimer le coût qu'aurait représenté
le dépôt de bilan.
Les 14,7Md€ constituent donc un majorant du coût des
décisions prises au début des années 1990.
Au final, il ne peut être démontré avec certitude qu’un autre choix que
la mise en place des
structures de défaisances aurait été pertinent du point
de vue des finances publiques.
Le MINEFE partage, en conclusion, l’avis de la Cour sur la nécessité
de viser une extinction rapide des structures de défaisance. La défaisance du
Comptoir des Entrepreneurs (EPRD-NSRD) devrait ainsi pouvoir achever sa
mission courant 2008. En ce qui concerne le CDR et la SGGP, ces structures
devront probablement être maintenues jusqu’à l’extinction des contentieux et
engagements qu’elles portent, mais l’Etat veillera à en réduire le coût au
strict minimum, et à accélérer la liquidation de ces structures dès que cela
sera techniquement possible.
RÉPONSE DU PRÉSIDENT DU CONSORTIUM DE RÉALISATION
(CDR)
Nouveau président du CDR, j’ai
pris mes fonctions le 20 décembre
2006. Compte tenu de cet élément, ma réponse portera essentiellement sur
les points qui sont susceptibles de trouver des prolongements au-delà de la
période examinée par la Cour. Comme responsable actuel de l’établissement,
je souhaite surtout éclairer la Cour sur des sujets qui touchent à des
questions de principe, en particulier en ce qui concerne
la nouvelle
architecture en vigueur depuis que la Caisse des dépôts et consignations
assure la gestion du CDR sur la base du contrat d’assistance pleinement
opérationnel à compter du 1
er
janvier 2007.
En outre, des réponses sont apportées à la Cour, en tant que de
besoin, sur deux aspects : la présentation des comptes, et le dossier E.A.L.C.
1. La nouvelle « gouvernance » du CDR et les améliorations qui en
découlent :
Je rappellerai tout d’abord que la gestion du CDR n’a pas
été
« transférée » à proprement parler
à la Caisse des dépôts. Pour être précis,
le CDR demeure une personne morale de plein exercice, qui prend appui
depuis le 1
er
janvier 2007 sur la CDC pour sa gestion, en application d’un
contrat d’assistance. Le CDR reste ainsi une société anonyme, filiale à
100 % de l’EPFR, avec ses organes sociaux
propres.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
103
En pratique, il convient de noter que la Caisse des dépôts a adopté
depuis la nomination du nouveau président une attitude qui respecte
totalement l’autonomie de décision du CDR, tout en lui apportant
son
assistance par la mise à disposition de ses moyens en personnel et en
équipements, comme prévu par le contrat liant les deux établissements.
Les conséquences positives de cet adossement sont visibles :
A. En premier lieu, dans la diminution des frais généraux :
La Cour indique elle-même, en page 86 de l’extrait du rapport qui
m’a été communiqué, que « depuis le 1
er
janvier 2007, le CDR gère avec
quelques agents un portefeuille qui occupait encore plus d’une vingtaine de
salariés quelques mois auparavant ».
L’effet du changement de structure est immédiatement mesurable, les
frais de gestion prévisionnels de l’exercice 2007 s’élevant , à la date de la
réponse, à 11,3 millions d’euros (hors honoraires liés aux contentieux), alors
que les dépenses comparables de l’année 2006 étaient de 21,7 millions. En
2008, les charges de personnel disparaissant en totalité (alors que des
dépenses liées au plan social pesaient encore sur 2007), il est prévu un
montant du frais de 9,8 millions d’euros, ce qui représente 45% du montant
de 2006.
Si l’on
prend en considération les honoraires liés aux contentieux, et
en tenant compte de la réduction du volume des affaires traitées, le coût total
du fonctionnement du CDR sera en 2007 de 28,5 millions d’euros (probable
à la date de la réponse), alors qu’il était de 48,9 millions en 2006, soit une
diminution de moitié. La prévision 2008 s’établit à 20,4 millions.
Il est donc incontestable que les moyens mis en oeuvre sont plus
économiques, ce qui va dans le sens souhaité par la Cour.
B. La même recherche d’efficacité se retrouve dans l’organisation :
La Cour mentionne, pour la critiquer, l’organisation du CDR avant le
1
er
janvier 2007. Il ne m’appartient pas de commenter ce point, mais je
souhaite attirer l’attention sur des aspects qui sont de nature à rassurer la
Cour :
−
en premier lieu, le fonctionnement des organes sociaux est allégé :
par rapport à la période antérieure, le conseil d’administration a
vu son effectif réduit de neuf à cinq membres. Le comité d’audit a
été maintenu, compte tenu du rôle de surveillance et d’appui qu’il
joue en matière de comptes et de gestion, mais le comité des
rémunérations, devenu sans objet, a disparu.
−
ensuite, les commissions internes au CDR ont été supprimées, car
sans utilité dans le cadre de la nouvelle « gouvernance ». Le CDR
prend appui sur les structures existant au sein de la Caisse des
dépôts, et n’a pas maintenu une organisation destinée à
104
COUR DES COMPTES
« doublonner », alors que ce sont des agents de la CDC qui
composeraient en pratique, les commissions en question. La
coordination est réalisée par la réunion d’un comité CDR-CDC,
qui permet la circulation de l’information et la prise de décisions
par le dirigeant du CDR.
−
la Cour s’est étonnée de la répartition des mandats sociaux dans
« l’ancien » CDR. Ce point est résolu, l’actuel président du CDR
étant par ailleurs le dirigeant de la quasi-totalité des filiales
« vivantes », prenant en général la forme de sociétés par actions
simplifiées (SAS), à dirigeant unique. Les mandats de liquidateurs
sont exercés par les personnes morales qui sont actionnaires des
sociétés en liquidation amiable.
−
la Cour estime (page 66) que « la simplification des structures n’a
été que très progressive », et indique que fin 2006, le CDR
comptait « une quarantaine de filiales » dans son périmètre de
consolidation.
En réalité, seules 22 sociétés faisaient partie à cette date de ce
périmètre, lequel correspond à une notion comptable.
en revanche, il est vrai que ce que l’on appelle, dans le jargon du
CDR, le « périmètre interne », autrement dit
les filiales, pour les distinguer
des simples participations minoritaires qui rentrent dans un « périmètre
externe », étaient au nombre de 38 au 1
er
janvier 2007.
En 2007,sur ce nombre, 8 sociétés
auront été « compactées », ce qui
réduira le nombre des filiales à 30 en fin d’année ; l’objectif est de parvenir
à une quinzaine d’entités à fin 2009, au terme du mandat du conseil actuel.
la Cour estime par ailleurs que le mouvement de compactage serait
freiné par des considérations fiscales ; il ne m’appartient pas de prendre
position sur le passé, mais je peux indiquer à la Cour que, sauf cas
particulier (qui peut se poser pour les quelques sociétés situées à l’étranger),
cet aspect n’entre pas aujourd’hui en considération pour piloter le calendrier
des liquidations, lesquelles sont menées selon les critères habituels : constat
de l’achèvement des contentieux, vérification de l’absence de litiges,
recouvrement des créances et règlement des dettes.
II. Sur la présentation des comptes :
Dans les pages 83 et suivantes de son rapport, la Cour mentionne ce
qu’elle intitule « des problèmes de régularité et de transparence des
comptes ». Cette formulation assez raide me semble suffisamment discutable
pour que je tente ici de la démonter.
Loin d’être en effet un objet de scandale public, il s’agit d’une
question très technique d’interprétation des textes qui régissent la vie du
CDR, et qui ne justifie nullement une telle mise en cause.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
105
1. Tout d’abord, il est parfaitement inexact que les comptes du CDR
soient irréguliers, comme peut le laisser penser la formulation employée par
la Cour :
Les comptes consolidés du CDR ont été, chaque année, certifiés sans
réserves par les Commissaires aux comptes, ce qu’atteste la phrase extraite
de leur rapport émis pour chaque exercice : « Nous certifions, que les
comptes consolidés sont, au regard des règles et principes comptables
français, réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, de
la situation financière, ainsi que du résultat de l’ensemble constitué par les
entreprises comprises dans la consolidation. ».
De plus, si l’EPFR, actionnaire unique du CDR, n’approuve pas à
proprement parler les comptes du CDR, il les prend en considération par le
moyen de la consolidation, et les ratifie implicitement. Si un problème de
régularité avait surgi de ce côté-là, il est évident que tant l’EPFR que ses
commissaires aux comptes n’auraient pas manqué de réagir.
En revanche, il est vrai que l’interprétation du Protocole liant le CDR
et l’EPFR donne lieu à discussion. L’avenant n° 20 du 20 avril 2002
prévoyait dans son article 2 que « dans ses comptes au 31 décembre 2002,
CDR affectera le montant de la différence entre le solde de la dotation
forfaitaire prévue ci-dessus d’une part, et l’estimation, telle que prévue dans
le contrat d’entreprise de CDR, de l’ensemble de ses frais généraux jusqu’au
terme de la défaisance d’autre part, au provisionnement des risques non
chiffrables repris en application du quatrième alinéa de l’article 5 de
l’avenant 13 ». Le même avenant stipule dans son article 4 que « CDR et
l’EPFR arrêteront en commun une liste comportant le plus grand nombre
possible de risques non chiffrables qui seront repris par CDR dans ses
comptes de l’exercice 2002, dans le respect des règles comptables et
prudentielles. Ultérieurement, CDR et l’EPFR pourront convenir des
conditions dans lesquelles CDR pourra reprendre dans ses comptes d’autres
risques non chiffrables. ».
Sur le volet de la reprise des risques non chiffrables, l’avenant a donc
bien été respecté via les transferts de 2002 et de 2003. Les risques non
chiffrables demeurant aujourd’hui à la charge de l’EPFR sont soit des
risques latents, pour lesquels il n’y a pas encore de contentieux déclarés, soit
des risques qui ne peuvent pas être évalués, au sens littéral du mot.
Sur le financement de ces reprises, l’avenant prévoyait d’utiliser
l’excédent de la dotation forfaitaire pour frais généraux, calculé à partir des
estimations de frais généraux du contrat d’entreprise. Dans tous les cas, au-
delà de cet excédent, le respect de la réglementation obligeait le CDR à
imputer les provisions sur ses comptes. En ce qui concerne la différence
entre l’excédent initialement estimé et le montant définitivement imputé lors
de l’arrêté des comptes 2002, celle-ci provient simplement d’une nouvelle
estimation des frais généraux du CDR jusqu’à extinction. Là encore, le
106
COUR DES COMPTES
respect de la réglementation ne permettait pas au CDR d’agir autrement. Il
n’y a donc eu aucune irrégula86té sur l’application de l’avenant n° 20, qui
prévoyait d’ailleurs explicitement la limite des règles comptables et
prudentielles.
D’ailleurs, et pour conclure ce développement, si l’EPFR, et, plus
largement, les Pouvoirs publics, avaient entendu faire évoluer la situation
découlant de l’avenant n° 20 dans sa pratique observée depuis 2002, il leur
était loisible de transmettre au CDR un projet modificatif, ce qui ne s’est pas
produit. Si un tel projet devait désormais être présenté, le conseil du CDR
l’examinerait bien volontiers.
2. Sur la lisibilité des comptes
:
Comme il vient d’être indiqué, l’actualisation de l’avenant n° 20
comme
l’établissement de comptes consolidés de l’EPFR, ne pouvaient
relever d’une initiative du seul CDR. En l’absence de nouvel avenant, les
règles comptables obligeaient le CDR à passer les provisions ad hoc sur les
exercices 2002 à 2005.
III.
Commentaires
sur
le
dossier
Euro-American
Lodging
Corporation (EALC) :
La Cour regrette,
en page 86 de l’extrait du rapport, que des
« initiatives de dernière minute » aient été prises (par ce qu’elle qualifie
« d’équipe sortante ») au moment de mon arrivée à la tête du CDR fin 2006.
Je ne souhaite pas m’attarder sur ce point. En revanche, je désire préciser le
contexte de la transaction intervenue courant 2007 dans ce dossier relatif à
un hôtel situé à New-York, dans la limite autorisée par l’engagement de
confidentialité souscrit en cette circonstance.
La Cour estime que le résultat financier de cette opération serait
inférieur à ce qu’aurait pu dégager la cession de la créance détenue par le
CDR sur la base d’une proposition parvenue fin 2006, quelques jours avant
ma prise de fonctions. Il ne faut pas se méprendre sur le vrai sens de cette
proposition,
tellement
conditionnée
qu’elle
peut
apparaître,
rétrospectivement, comme une diversion, et retenir que le CDR, au moment
de la signature de la transaction finalement réalisée, n’avait pas d’autre
choix, étant donné une décision d’une juridiction américaine pouvant
affaiblir sa position de créancier hypothécaire.
Enfin, l’opération est totalement équilibrée dans son résultat
économique, et
a dégagé un profit comptable de l’ordre de 4 millions
d’euros.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
107
RÉPONSE DE L’ANCIEN PRÉSIDENT
DU CONSORTIUM DE REALISATION (CDR)
Ma réponse
porte sur certaines des critiques exprimées par cette
insertion sur la gestion du CDR de 2002 à 2006.
I – Des dispositifs complexes pour des objectifs mal définis
Paragraphe I - A du projet d’insertion : « La simplification des structures
n’a été que très progressive »
Comme je l’ai indiqué à la Première chambre de la Cour, lorsqu’elle
m’a entendu le 8 octobre 2007, et contrairement à ce qui est écrit dans
l’insertion, ce n’est pas un souci d’optimisation fiscale sans incidence finale
pour l’Etat, mais des motifs impératifs de nature juridique ou comptable qui
ont retardé la dissolution de certaines filiales ou sous-filiales.
D’autre part, les filiales de premier rang sont présidées par des
cadres dirigeants dans la majorité des groupes français, et je comprends mal
comment, dans le cas du CDR, le projet d’insertion peut tirer de la
présidence du directoire ou du conseil d’administration
de ses principales
filiales par des cadres dirigeants de la maison mère, et non par son
président, l’affirmation que « leurs organes de décision n’avaient pas un
fonctionnement normal ».
Cette organisation présentait au contraire l’avantage de resserrer
l’organigramme et de faciliter le contrôle des cadres dirigeants, sans
empêcher en aucune façon les conseils d’administration ou de surveillance
de prendre toutes les décisions importantes.
Paragraphe I - D de l’insertion : « L’absence d’objectifs bien définis »
Je ne comprends pas d’où l’insertion peut tirer l’affirmation d’un
objectif d’achèvement de la mission du CDR en 2002/2003.
Un tel objectif n’a jamais été porté à ma connaissance, et il aurait été
tout à fait irréaliste.
Son existence au moment de mon arrivée au CDR est contredite par la
durée de cinq ans du mandat de président directeur général du CDR qui m’a
été confié le 21 décembre 2001, et par la durée de quatre ans du contrat
d’entreprise 2002/2005 que j’ai élaboré dans les semaines qui ont suivi ma
nomination.
Le Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie avait
approuvé ce plan d’entreprise avant son adoption par le conseil
d’administration de l’EPFR, ainsi que le rappelle la lettre de mission qu’il
m’a adressée le 17 avril 2002, par laquelle il m’invitait à le mettre en oeuvre
« dans le respect du principe d’une gestion indépendante et responsable et de
108
COUR DES COMPTES
l’objectif de limitation de la perte finale de la défaisance pour le
contribuable, autour desquels le Gouvernement a souhaité recentrer la
gestion du dispositif de cantonnement du Crédit Lyonnais ».
Il attirait tout particulièrement mon attention, par cette lettre, sur
« les risques juridiques importants qui demeurent, et dont certains sont
susceptibles d’avoir un impact significatif sur le résultat de la défaisance et
les finances publiques ».
Cet objectif majeur du contrat d’entreprise 2002/2005 a déterminé
constamment l’action que j’ai conduite, et je crois pouvoir affirmer que les
risques les plus importants et les plus complexes
ont été globalement bien
maîtrisés.
II – « Une gestion peu performante »
Paragraphe II – A de l’insertion : « Des frais généraux mal maîtrisés »
Comme le rappelait ma réponse du 19 septembre 2007 au relevé de
constatations provisoires de la Cour, « les frais généraux ont été contenus
dans l’enveloppe définie par le contrat d’entreprise, puisqu’ils se sont élevés
de 2002 à 2005 à 178,6 M€ pour une prévision de 184 M€, hors évidemment
honoraires payés sur les dossiers américains EXECUTIVE LIFE et EALC,
dont les premiers au moins avaient été exclus de cette prévision ».
Sur les honoraires versés par le CDR, la note du 24 novembre 2006
que j’ai présentée aux conseils d’administration du CDR et de l’EPFR, après
validation par le comité d’audit du CDR, précisait notamment que « sur la
période 2002/2005, tandis que le total des frais généraux est de 279 M€, et
que le total des honoraires versés par le CDR est de 190 M€, les deux
dossiers EXECUTIVE LIFE et EALC ont coûté 94,8 M€, soit près de 50 % du
total des honoraires et presque 34 % du total des frais généraux, et les
experts comptables ont coûté 42,9 M€, soit près de 23 % du total des
honoraires et plus de 15 % du total des frais généraux.
Sur cette période 2002 à 2005, le montant total de 190 M€ des
honoraires versés par le CDR représente à lui seul 68 % du total de 279 M€
des frais généraux, ce qui tient à la fois au caractère exceptionnel du dossier
EXECUTIVE LIFE, et à l’externalisation de la Direction financière qui a
entraîné la suppression de plus de trente postes.
Dans le même temps, les honoraires versés aux commissaires aux
comptes, aux banques et aux avocats, ont baissé dans des proportions
significatives, et le coût global de 2002 à 2005 des 1500 dossiers contentieux
gérés par le CDR est de 28,8 M€, ce qui fait ressortir un coût unitaire moyen
un peu supérieur à 19 K€.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
109
En face de ces 28,8 M€ d’honoraires contentieux, il faut mettre enfin
la reprise nette, en quatre ans, de 90 M€ de provisions sur risques juridiques.
Ce montant ne prend pas en compte les importantes reprises de
provisions qui devraient intervenir dès l’exercice 2006 sur les dossiers
EALC, DISCO et TAPIE, et très probablement dans les prochaines années
sur les mêmes dossiers ».
Paragraphe II – C du projet d’insertion :
« Un défaut de méthode dans la
gestion des dossiers du CDR »
Selon l’insertion, « il ressort de l’examen des dossiers un défaut
général de méthode pour éclairer les décisions », faute d’une « comparaison
chiffrée des différentes options avant toute prise de décision… Tous les
dossiers examinés se traduisent par des pertes plus ou moins lourdes, alors
que les actifs compromis recèlent parfois des capacités de redressement
spectaculaires ».
Toutes les décisions sur les dossiers importants ont été, sans aucune
exception, prises par le conseil d’administration du CDR, après avoir été
préparées de façon approfondie par le comité des opérations, auquel
participait la Mission de contrôle, et que je présidais le plus souvent.
Je n’ai pas souvenir que la Mission de contrôle ait jamais fait
d’objection sur les propositions de ce comité au Conseil d’Administration.
Il n’est malheureusement pas anormal que, dans la majorité des
dossiers, on ait constaté des pertes par rapport aux valeurs d’entrée dans le
CDR, parce que ce sont les actifs et les contentieux « pourris » qui lui ont été
transférés par le Crédit Lyonnais dans le cadre de sa défaisance.
Néanmoins, le CDR a parfois réussi à dégager des plus-values très
substantielles en cédant des participations, comme par exemple celles qu’elle
détenait dans la société de services informatiques STERIA ou dans la société
de bourse EXANE.
Très vite après mon arrivée au CDR, j’ai pris la décision de vendre
STOCKALLIANCE, ce qui a probablement évité de lui faire déposer le bilan.
Paragraphe II – F de l’insertion : « Des problèmes de régularité et
de transparence dans les comptes »)
Le titre du projet d’insertion est sévère, et l’affirmation qui le sous-
tend n’est pas fondée, en ce qu’elle paraît viser les comptes du CDR.
Il n’appartient évidemment pas à son ancien président de répondre à
l’insertion, lorsqu’il critique la régularité des comptes de la défaisance, au
motif que le protocole d’accord du 5 avril 1995 définissant le cadre de
l’intervention de l’Etat dans la gestion des actifs compromis du Crédit
Lyonnais et ses avenants successifs « auraient dus être amendés pour
traduire la réalité des relations entre le CDR et l’EPFR ».
110
COUR DES COMPTES
Il ne lui appartient pas non plus de répondre à l’insertion, lorsqu’il
critique la régularité des comptes de la défaisance, au motif
de l’absence de
comptes consolidés de la défaisance du Crédit Lyonnais, c’est-à-dire de
comptes consolidés du CDR et de l’EPFR.
Dans les deux cas, les mesures à prendre éventuellement ne relevaient
ni de sa compétence, ni de son pouvoir.
Mais je relève qu’en eux-mêmes, et pendant le temps de ma
présidence, les comptes annuels du CDR ne font l’objet d’aucune critique de
la Cour.
Paragraphe II – E de l’insertion :
« Un retard général dans la
réalisation de l’adossement à la CDC »
L’’insertion énonce que « La nécessité de l’adossement du CDR à la
CDC est, quant à elle, apparue très tôt, dès 1998/1999, selon le président du
CDR qui pensait que la réduction du format du CDR mettait en jeu son
efficacité même. Il a pris de premiers contacts avec la CDC, puis a fait part
de cette recommandation aux autorités de tutelle. Mais le processus
conduisant à cet adossement a été long et laborieux. Une étape décisive n’a
été franchie que le 8 novembre 2004, avec l’envoi d’une lettre du ministre
chargé de l’économie et des finances aux responsables des structures de
gestion des défaisance pour leur enjoindre de rechercher un adossement à la
CDC ».
La réalité est différente.
Comme je l’ai dit au cours de mon audition par la Première Chambre,
rien à ma connaissance ne permet d’affirmer qu’un projet d’adossement à la
CDC ait existé avant que je ne l’engage au printemps 2002, comme m’y
invitait indirectement le Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie
par sa lettre de mission du 17 avril 2002.
Mes premiers contacts avec le directeur général de la CDC datent en
effet du printemps 2002, et alors, son directeur général m’a répondu que cet
adossement pouvait entrer dans les missions d’intérêt général de la Caisse.
J’en ai évoqué officiellement le projet dès ma lettre du
21 octobre
2002 à Monsieur Francis MER, Ministre de l’économie, des finances et de
l’industrie, puis par ma lettre du 17 mars 2003 à Monsieur Jean-Pierre
JOUYET, Directeur du Trésor, lequel m’a répondu le 5 juin 2003 qu’il avait
l’approbation du Ministre, mais que sa mise en oeuvre ne pourrait avoir lieu
avant la résolution de certains dossiers complexes.
Par sa lettre du 8 novembre 2004, Monsieur Nicolas SARKOZY,
Ministre d’Etat, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, m’a
invité, dans la ligne des propositions que je lui avais faites, à poursuivre les
discussions engagées avec la CDC, afin que le nouveau dispositif puisse
entrer en vigueur dès mars 2005, en chargeant la Direction du Trésor (APE)
d’assurer la coordination de ces travaux en concertation étroite avec le
Président de l’EPFR.
LE BILAN DE LA GESTION DES DEFAISANCES
111
Dès le 8 avril 2005, un contrat d’assistance a été conclu par le CDR
avec la CDC, lui confiant des missions appelées à se développer, ainsi que le
prévoyait expressément son article 5.
Le CDR n’avait pas la maîtrise du calendrier et des conditions de cet
adossement, et dans un premier temps,
l’Etat et la CDC n’étaient pas
disposés à envisager ou accepter un transfert rapide de la gestion de dossiers
sensibles.
Un avenant à ce contrat du 18 décembre 2006 a concrétisé l’évolution
prévue et organisé le transfert à la CDC le 1
er
janvier 2007 de l’ensemble des
dossiers du CDR.
III – « Un bilan financier de défaisances très lourd pour les finances
publiques »
Paragraphe II – B du projet d’insertion :
« Un coût global pour
l’Etat qui reste élevé »
1- « La défaisance du Crédit Lyonnais »
S’il est incontestable que le coût de la défaisance du Crédit Lyonnais
est élevé pour les finances publiques, il est tout aussi incontestable que le
CDR est parvenu à limiter ce coût.
Comme je l’ai indiqué à la Commission des Finances de l’Assemblée
Nationale lors de mon audition le 1
er
février 2006, la perte a pu être ramenée
« de 14,69 milliards à 10,4 milliards d’euros par la recherche d’une
optimisation des actifs, par une gestion active de risques et par la maîtrise
des dépenses de fonctionnement ».
Sur ce montant de 10,4 milliards, 7,5 milliards ont été perdus dans les
trois premières années en raison d’une politique de cessions accélérées.
Pendant la durée du contrat d’entreprise 2002/2005, la perte a pu être
réduite d’environ 550 millions d’euros sur les 4,3 milliards d’euros de
réduction totale.
Mais le portefeuille d’actifs résiduels n’était plus liquide, les 1.350
contentieux en cours avaient une ancienneté moyenne de l’ordre de 10 ans, et
le CDR devait ouvrir un grand nombre de dossiers contentieux nouveaux.
Je ne crois pas personnellement que le coût global de la défaisance du
Crédit Lyonnais aurait pu être réduit de façon significative par une gestion
différente du CDR à ses différentes époques.
A tous moments, le choix d’une politique de cession rapide ou d’une
cession au meilleur prix a été celui de l’Etat, et l’on sait que le concept même
de défaisance engendre une gestion liquidative, avec ses conséquences
négatives dans l’esprit des acheteurs et des débiteurs.
Le rôle et la stratégie du CNRS
_____________________
PRESENTATION
____________________
En 2002, la Cour avait rendu publiques
les conclusions d’une
enquête portant sur le Centre national de la recherche scientifique
(CNRS)
41
.
Elle
avait
constaté
« une
absence
de
stratégie
de
développement de l’organisme » qui pouvait être rapportée à une
organisation qui n’avait « pas véritablement changé depuis un quart de
siècle », « une structure particulièrement éclatée » et une capacité de
manoeuvre de la direction générale « très faible ». La Cour avait alors
appelé à la conclusion rapide d’un contrat pluriannuel avec l’Etat afin de
fixer les étapes de la « profonde et nécessaire transformation » de
l’organisme.
La nouvelle enquête, conduite entre juillet 2006 et mars 2007, a
porté sur une période au cours de laquelle l’équipe de direction a été
renouvelée plusieurs fois.
Le contrat d’action pluriannuel signé en 2002
comme l’avait souhaité la Cour, n’a pas été appliqué dans la durée, et
enfin la réforme décidée en 2005 a été remise en cause au moment même
où elle était mise en oeuvre.
Une telle instabilité est d’autant plus préjudiciable que le CNRS
doit s’adapter à un environnement qui a profondément changé :
l’affirmation du rôle de l’Union européenne, la création de deux agences
sur le plan national et l’autonomie croissante accordée aux universités
créent un contexte nouveau que le CNRS ne peut ignorer. La mutation du
paysage de la recherche conduit ainsi à poser de manière nouvelle la
question des missions du CNRS. Le CNRS étant un opérateur majeur de
la recherche publique française, c’est la cohérence d’ensemble de cette
politique qui est en cause et qui doit trouver réponse de façon urgente.
41) Rapport public annuel 2001, publié en janvier 2002 (pages 383 et suivantes)
114
COUR DES COMPTES
Dans ce contexte, la Cour s’est interrogée sur la stratégie et le
rôle du CNRS, mais aussi sur les outils comptables et budgétaires dont la
modernisation peut fournir un point d’appui pour accompagner les
priorités scientifiques. Elle s’est également penchée sur les modes de
fonctionnement du centre sous l’angle de leur efficacité et de leur
pertinence par rapport à la politique de la recherche publique.
I
-
Des missions à clarifier
A - Un paysage de la recherche redessiné
1 -
La place du CNRS dans la recherche publique française
Le CNRS est un établissement public à caractère scientifique et
technologique (EPST), catégorie instituée par la loi du 15 juillet 1982
modifiée d’orientation et de programme pour la recherche et le
développement technologique. Il a été initialement créé en 1939 avec
pour vocation de fédérer les organismes d’Etat et de coordonner les
recherches menées à l’échelon national. En 1945, il s’est orienté vers la
recherche fondamentale, la recherche appliquée étant confiée à des
organismes spécialisés, comme le Commissariat à l’énergie atomique.
Depuis les années 1960, le CNRS a développé une politique
d’association, notamment avec les universités, avec lesquelles il partage
80 % de ses unités de recherche.
Le CNRS est dirigé par un président et un directeur général dont
les fonctions respectives ont évolué dans le temps. En dehors du conseil
d’administration, le comité national de la recherche scientifique et le
conseil scientifique jouent un rôle dans la gouvernance de l’établissement
en matière d’évaluation et d’orientation scientifique. Le fonctionnement
du CNRS repose, outre ses unités de recherche, sur des directions
nationales, des départements scientifiques et des délégations régionales.
Le CNRS est de loin le plus grand EPST et représentait en 2005
près du quart du budget civil de recherche et développement. Sa place au
sein de la mission interministérielle pour la recherche et l’enseignement
supérieur est plus faible, du fait de l’inscription dans cette mission des
crédits liés à l’enseignement supérieur. En 2006, le CNRS comptait
26 000 agents, dont 11 500 chercheurs et 14 500 ingénieurs et techniciens
et regroupait près de 1200 unités de recherche et de service. Son budget
s’élevait à 2 738 M€, financés à hauteur de 75 % par une subvention pour
charges de service public versée par l’Etat.
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
115
L’établissement est régi par le décret du 24 novembre 1982
modifié qui lui fixe pour missions « d’évaluer, d’effectuer ou de faire
effectuer toutes recherches présentant un intérêt pour l’avancement de la
science ainsi que pour le progrès économique, social et culturel du pays »
mais aussi de contribuer à la valorisation de la recherche, de développer
l’information scientifique, d’apporter son concours à la formation et de
participer à la prospective scientifique.
2 -
La mutation du paysage de la recherche
Depuis la précédente intervention de la Cour, l’environnement
dans lequel évolue le CNRS a profondément changé, que ce soit sur le
plan européen, national ou régional.
a)
L’espace européen de la recherche
La Communauté européenne a organisé sa politique en faveur de la
recherche autour de programmes cadres pour la recherche et le
développement (PCRD). A ce titre, le 7
ème
PCRD qui couvre la période
2007 à 2013 prévoit globalement 50,5 Mds€ de crédits, ce qui représente
une hausse de 63 % par rapport au programme précédent. Il s’agit pour la
Communauté européenne de se positionner comme un acteur au service
d’une stratégie globale de recherche en Europe. Elle a ainsi élargi ses
domaines d’intervention par rapport aux schémas traditionnels dans
lesquels elle se cantonnait initialement, à savoir les très grands
équipements et les projets majeurs associant le secteur public et le secteur
privé. Elle intervient désormais plus largement sur des thématiques où le
CNRS est impliqué, celui-ci étant en 2005 le premier organisme européen
bénéficiaire des aides de la Ccommission européenne pour un montant
d’environ 200 M€. Le développement de la politique communautaire de
la recherche s’inscrit dans la stratégie adoptée par le Conseil européen de
Lisbonne en 2000 au travers de laquelle l’Union européenne s’est donné
comme horizon de devenir l’économie de la connaissance la plus avancée
du monde. Cette orientation s’est en particulier traduite par l’objectif fixé
au Conseil européen de Barcelone de 2002 d’accroître la part des
dépenses de recherche et développement au sein de l’Union de 1,9 % du
PIB à 3 % d’ici à 2010.
b)
La création d’agences au niveau national
En 2005 et 2006, deux agences ont été créées au niveau national
dont les missions ont un impact direct sur celles du CNRS : l’Agence
nationale de la recherche (ANR) et l’Agence d’évaluation de la recherche
et de l’enseignement supérieur (AERES).
116
COUR DES COMPTES
L’ANR a été créée le 7 février 2005, sous la forme d’un
groupement d’intérêt public et transformée le 1
er
janvier 2007 en
établissement public administratif avec pour mission le financement de
projets de recherche. Dès 2005, la capacité d’engagement de l’agence
s’est élevée à 700 M€, 35 appels à projet ont été lancés et 4500 projets de
recherche ont été soutenus. L’ANR est donc désormais un acteur à part
entière du paysage de la recherche.
Pour les années à venir, les projections liées à la loi de programme
du 18 avril 2006 pour la recherche prévoient que les crédits destinés au
financement de projets passeraient de 1,1 Md€ en 2008 à 1,5 Md€ en
2010. L’agence devrait ainsi disposer à moyen terme d’une capacité
d’engagement correspondant à près de la moitié du budget actuel du
CNRS et au double des crédits d’intervention dont il dispose aujourd’hui.
Ces projections montrent que les pouvoirs publics entendent faire jouer à
l’ANR un rôle structurant qui ne peut être sans effets pour le CNRS.
La loi de programme du 18 avril 2006 pour la recherche a
également prévu la création d’une seconde agence chargée de l’évaluation
de la recherche et de l’enseignement supérieur. L’AERES s’est vu
notamment confier l’évaluation des équipes de recherche, évaluation
qu’elle pourra conduire directement ou en s’appuyant sur les organismes
existants. La question de l’articulation de ses missions avec celles du
Comité national de la recherche scientifique, organisme qui évalue les
chercheurs du CNRS depuis 1945, est donc posée.
c)
La montée en puissance des universités
Les recherches du CNRS en partenariat avec les universités sont
une évolution déjà ancienne et se matérialisent par la constitution d’unités
mixtes de recherche (UMR). Plus de 90 % des laboratoires du CNRS sont
ainsi associés à une autre personne morale. Ces taux n’ont que faiblement
progressé entre 2000 et 2005, passant de 89,3 % en 2000 à 92,5 % en
2005. Parmi les partenaires du CNRS, les universités et les grands
établissements d’enseignement supérieur jouent un rôle déterminant,
puisque 81 % des unités du CNRS étaient associées à un établissement de
ce type en 2005. Le CNRS ne compte ainsi que 100 unités de recherche
qui lui sont propres. Deux lois récentes modifient le cadre dans lequel les
partenariats entre le CNRS et l’université se concluaient jusqu’ici.
La loi de programme du 18 avril 2006 pour la recherche a prévu un
ensemble de dispositifs nouveaux de coopération scientifique entre les
nombreux acteurs de la recherche, dans l’objectif d’une meilleure
structuration de celle-ci : il s’agit en particulier des pôles de recherche et
d’enseignement supérieur (PRES) et des réseaux thématiques de
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
117
recherche avancés (RTRA). Selon que l’accent est porté sur l’un ou
l’autre de ces outils, les conséquences pour le CNRS peuvent apparaître
différentes : s’il peut en effet s’accommoder d’un fonctionnement en
réseau et plaide d’ailleurs pour un tel schéma, une structuration de la
recherche par grands pôles géographiques, dont le point d’attache
principal résiderait dans les sites qui les hébergent et qui sont souvent des
sites universitaires, pose en revanche plus directement la question de la
place
qui
peut
revenir
à
un
centre
de
recherche
national
et
pluridisciplinaire.
La loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des
universités fait évoluer les modalités de gouvernance des universités dans
l’objectif de renforcer leur capacité de prise de décision, ce qui ne sera
pas sans conséquence sur les relations des universités avec le CNRS.
L’ensemble de ces évolutions redessine le paysage dans lequel
évolue le CNRS, paysage au demeurant déjà fort complexe, comme la
Cour l’a relevé à travers l’exemple du département du vivant du CNRS et
de l’Inserm dans son rapport public thématique de mars 2007 sur la
gestion de la recherche publique dans les sciences du vivant. Elles tendent
en effet à rapprocher la France des formes d’organisation pratiquées chez
ses partenaires qui reposent sur un tissu universitaire d’excellence
structuré par des agences de financement nationales, auxquelles
s’adjoignent des établissements spécialisés dans la recherche disposant
d’un spectre d’action variable selon les pays. Ce spectre va d'un rôle
d'opérateur de recherche, comme en Allemagne avec le « Max Planck
Institut », à l'aide à la structuration de la recherche au travers d'agences de
moyens financiers et éventuellement humains, comme aux Etats-Unis et
au Royaume-Uni. Or, les missions du CNRS et ses modes de
fonctionnement n’ont pas été conçus pour s’inscrire dans ce nouvel
environnement, qui pose en particulier la question de l’articulation de
l’action du CNRS avec celle de l’ANR et des universités, appelées à
devenir, comme c’est le cas à l’étranger, des intégrateurs de la recherche.
B - L’absence de stratégie suivie dans la durée
Si l’environnement dans lequel évolue le CNRS a été réformé en
profondeur, tel n’est pas le cas du CNRS. Par rapport à ces évolutions
structurantes, la stratégie de l’établissement n’est en effet pas stabilisée.
Un contrat avec l’Etat a certes été signé mais il n’a pas été appliqué dans
la durée. Depuis, deux projets d’inspirations différentes ont été
développés par les dirigeants qui se sont succédé. Une telle instabilité est
évidemment préjudiciable, aucune stratégie ne pouvant être conçue et
mise en oeuvre sans continuité.
118
COUR DES COMPTES
1 -
Une gouvernance marquée par l’instabilité
a)
L’instabilité des dirigeants de l’établissement
Depuis 2000, quatre équipes de direction se sont succédé au CNRS
alors que le président et le directeur général sont en principe désignés
pour quatre années. Cette instabilité se traduit dans les conseils
d’administration qui ont délibéré sur les comptes financiers : de 2003 à
2006, ce n’est jamais la même équipe de direction qui a animé les débats.
La crise qu’a connue le CNRS à la fin 2005 et au début 2006 a
constitué le point d’orgue de cette instabilité. Le 5 janvier 2006, le
président démissionnait et son successeur était nommé le 11 janvier. Dans
le même temps, le directeur général était démis de ses fonctions, le
ministre de la recherche annonçant le départ de ce dernier le 9 janvier et
nommant son successeur le 17 janvier. Cette situation peut trouver sa
source dans deux causes principales. D’une part, les textes instituant le
CNRS ont organisé un partage des rôles entre le président et le directeur
général qui implique, pour fonctionner sans difficultés, une parfaite
cohésion. D’autre part, les alternances gouvernementales conduisent
souvent à des changements de dirigeants en cours de mandat.
b)
Les modifications introduites par le décret du 12 février 2007
Pourtant, le décret constitutif du CNRS a été modifié à trois
reprises depuis 2000, dont deux fois avec l’objectif d’assurer une plus
grande stabilité dans les fonctions de direction au sein du CNRS et le
mode de gouvernance du centre a été à ce titre très largement modifié.
Le décret du 25 octobre 2000 avait porté le mandat du président et
du directeur général de trois à quatre ans et élargi les fonctions du
président. Alors qu’il n’assurait auparavant que la présidence du conseil
d’administration, le président était désormais chargé d’animer et de
coordonner la politique générale du CNRS, le directeur général étant
responsable de sa direction scientifique, administrative et financière.
Dans son rapport public de 2001, la Cour avait insisté sur l’importance
qui s’attachait dans ce cadre à «une bonne intelligence des rôles entre le
président et le directeur général ». La crise qu’a connue le CNRS fin 2005
est l’illustration des risques liés à la dualité de la direction.
La modification réglementaire adoptée le 12 février 2007 à la
demande de la nouvelle direction du CNRS a parachevé l’évolution
engagée en 2000 vers un renforcement des pouvoirs du président : là où le
fonctionnement du centre était précédemment entre les mains de son
directeur général, le nouveau système introduit une autorité hiérarchique
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
119
claire du président sur le directeur général dont les pouvoirs propres sont
réduits. Si le directeur général continue à diriger le CNRS, c’est
désormais « sous l’autorité du président du centre » dont les attributions
en matière d’organisation sont renforcées. Et c’est dorénavant sur
proposition du président du centre que le directeur général doit être
nommé. Ces nouvelles dispositions réglementaires devraient en principe
permettre au CNRS de bénéficier à l’avenir d’une gouvernance stable.
2 -
Trois stratégies successives depuis 2002
a)
Un contrat avec l’Etat qui n’a pas été appliqué dans la durée
Conformément à la recommandation de la Cour en 2002, un
contrat d’action pluriannuel a été conclu entre le CNRS et l’Etat pour la
période 2002-2005. Sa faiblesse majeure est qu’il n’a pas été mis en
oeuvre dans la durée. Son suivi a en effet été réalisé pour la dernière fois
au conseil d’administration de juin 2004, avec des éléments chiffrés ayant
trait aux exercices 2002 et 2003. Les éléments recueillis par la Cour
montrent que des pans entiers du contrat n’ont pas été suivis d’effet et il
n’existe pas de bilan global concernant sa mise en oeuvre. La raison
principale en est que les deux équipes dirigeantes qui se sont succédé
depuis sa conclusion ont chacune défini leur propre stratégie.
Mais il est vrai également que, si le contrat a pu être perdu de vue
par les nouvelles équipes dirigeantes, c’est qu’il présentait des lacunes.
En premier lieu, le contrat d’action pluriannuel n’était pas accompagné
par une programmation des moyens financiers du CNRS. Il ne permettait
donc ni de donner une indication des moyens budgétaires que l’Etat
souhaitait mobiliser en faveur du CNRS, ni de traduire concrètement les
priorités définies par le contrat, ni enfin de définir les efforts demandés au
centre en matière de gestion. Dans ces conditions, le contrat d’action
pluriannuel s’apparentait plus à un plan stratégique négocié avec les
pouvoirs publics qu’à un réel contrat permettant de prévoir l’évolution
effective du CNRS durant la période.
En deuxième lieu, la déclinaison chiffrée des actions stratégiques
est restée lacunaire au niveau du contrat lui-même et ce n’est qu’une fois
le contrat signé que s’est posée la question de la définition d’indicateurs
de suivi et d’objectif. Ceux-ci ont été présentés une seule fois en juin
2004. Surtout, il ne s’agissait pas véritablement d’indicateurs d’objectifs,
aucune valeur cible n’étant fixée pour les différentes actions.
Enfin, les priorités scientifiques ont été définies de telle manière
qu’elles incluaient de fait la quasi-totalité des champs de recherche du
CNRS et ne constituaient donc pas réellement des priorités. Au
120
COUR DES COMPTES
demeurant, de telles priorités auraient supposé, pour prendre tout leur
sens, une déclinaison des moyens en équipement, personnel et
fonctionnement qui pouvaient leur être affectés.
Les leçons des faiblesses de cette contractualisation en matière de
priorités scientifiques, de mécanisme de suivi et de trajectoire financière
associée devront être tirées dans la perspective de la négociation d’un
nouveau contrat.
b)
Une profonde
réforme en 2005 qui n’a pas été mise en oeuvre
Sous l’égide du directeur général nommé en 2003, une réforme en
profondeur du CNRS a été lancée qui allait au-delà des évolutions
prévues par le contrat d’action pluriannuel. Cette réforme, intitulée
« notre projet pour le CNRS » s’appuyait sur des objectifs scientifiques et
proposait un changement des structures du CNRS pour y faire face. Ses
objectifs scientifiques se situaient dans la perspective d’un paysage de la
recherche fondé sur la concurrence internationale et sur un couplage fort
entre la recherche et ses applications. Sur ces bases, un projet d’évolution
des structures du CNRS a été adopté par le conseil d’administration du
19 mai 2005. Il prévoyait, d’une part, la mise en place de six
départements
scientifiques,
dont
deux
départements
transverses,
regroupés au sein d’une direction scientifique générale et, d’autre part, la
mise en place de cinq directeurs interrégionaux pour représenter le CNRS
en région. Il était également prévu d’associer plus largement le conseil
d’administration
aux
décisions
d’attribution
de
moyens
entre
départements scientifiques et de créer un comité d’évaluation externe
pour évaluer les performances de l’établissement.
La nouvelle organisation devait être opérationnelle le 1
er
janvier
2006. Approuvée par le conseil d’administration, elle ne s’est cependant
pas concrétisée, une nouvelle direction ayant été nommée au moment où
la réforme était mise en place. Sans porter de jugement sur une réforme
qui n’a pas été menée à son terme, la Cour a déjà constaté, lors de
l’enquête qu’elle a conduite sur la gestion de la recherche publique dans
les sciences du vivant
42
, « les effets dommageables des conditions dans
lesquelles elle a été remise en cause : intervenue en phase finale de sa
mise en oeuvre, alors qu’elle avait été longuement délibérée au sein de
l’établissement et avec sa tutelle, son interruption soudaine a frappé d’un
degré d’incertitude supplémentaire l’exercice déjà difficile de la fonction
de pilotage au sein de l’établissement. » Ce jugement a été largement
corroboré à l’occasion du contrôle de l’organisme dans son ensemble
mené entre juillet 2006 et mars 2007.
42) Rapport public thématique de mars 2007
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
121
c)
Un nouveau plan stratégique en préparation
Les positions de la nouvelle équipe dirigeante en matière
d’organisation ont été présentées et adoptées au conseil d’administration
de juin 2006. Elles tiennent en deux axes : une réforme des statuts visant
à renforcer les pouvoirs du président ; une remise en cause de la direction
scientifique générale et des directions interrégionales. Il s’agit ainsi de
réaffirmer
la
responsabilité
centrale jouée par
les
départements
scientifiques et de confier la coordination des actions régionales à une
nouvelle direction nationale, la direction des partenariats.
Sur le plan stratégique, la nouvelle équipe de direction a choisi de
procéder avec deux horizons temporels différents : d’une part, des
orientations scientifiques à long terme qui se projettent jusqu’en 2020 et,
d’autre part, un contrat avec l’Etat sur une période de quatre ans.
L’existence de ces deux horizons de temps devrait faciliter la conclusion
d’un contrat avec l’Etat orienté vers les problématiques de gestion et
éviter ainsi les écueils qui ont pu être constatés lors de la précédente
contractualisation. En décembre 2007, le document d’orientation
stratégique «
le CNRS – vision 2020 » n’était pas encore finalisé et la
négociation d’un contrat à plus court terme avec l’Etat n’avait pas débuté.
Les versions successives du plan stratégique du CNRS témoignent
de l’importance croissante accordée à la question du positionnement du
CNRS dans son nouvel environnement. Si la réponse de l’établissement,
se fondant en cela sur certains exemples étrangers, est qu’il doit conserver
l’ensemble de ses fonctions actuelles, le plan stratégique se situe
désormais dans la perspective d’offrir le meilleur service au sein d’un
paysage de la recherche recomposé. Le CNRS serait ainsi « un appui et
un complément aux agences de financement », se distinguant par sa
capacité à prendre des risques et à faire émerger de nouvelles priorités
scientifiques.
Sa
valeur
ajoutée
dans
la
recherche
publique
se
manifesterait en particulier par sa capacité à
« fédérer les compétences »,
notamment dans le cadre des réseaux thématiques de recherche avancée
(RTRA). Ses modalités de contractualisation avec les universités seraient
renouvelées au travers de deux nouveaux outils présentés à la Cour en ces
termes : « les laboratoires de recherche communs (LRC) ayant vocation à
être gérés par le CNRS et les dotations versées aux équipes de recherches
labellisées (ERL) relevant d’une gestion prioritairement universitaire ».
Le
plan
stratégique
du
CNRS
laisse
ainsi
penser
que
l’établissement est prêt à s’acheminer vers un schéma dans lequel trois
fonctions distinctes lui reviendraient : d’une part, un rôle d’opérateur de
recherche sur des thématiques de recherches émergentes ou risquées et les
secteurs nécessitant de grandes infrastructures ; d’autre part, un rôle
122
COUR DES COMPTES
d’agence de moyens au bénéfice en particulier des universités pour
accompagner leur activité de recherche ; enfin, une mission de fédérateur,
au travers notamment des réseaux thématiques de recherche avancée.
Cette stratégie reviendrait donc à modifier fondamentalement les
conditions de partenariat qui ont prévalu jusqu’à ce jour avec les
universités à travers les unités mixtes de recherche puisque le CNRS
occuperait une place particulière dans certains secteurs de recherche,
notamment dans les sciences dures, et se placerait en situation
d’accompagner les universités par un « label » et des dotations affectées
de façon globale pour le reste.
Sans se prononcer sur une stratégie qui n’est pas encore finalisée,
la Cour note que ce processus est pour l’heure interne au CNRS et que
ces orientations ne semblent pas avoir fait l’objet d’une concertation
préalable avec les partenaires concernés et en particulier avec les
universités. En outre, il apparaît que les positions respectives des deux
directions générales compétentes du ministère de l’enseignement
supérieur et de la recherche sur cette inflexion stratégique peuvent avoir
différé même si elles sont, selon le ministère, désormais harmonisées. Or,
c’est au ministère, dans sa fonction centrale d’orientation stratégique de
ses domaines de compétence, qu’il appartient de concevoir les rôles
respectifs du CNRS et des universités dans ces nouveaux partenariats.
La Cour n’a cessé dans ses dernières publications sur la gestion de
la recherche publique en France
43
d’attirer l’attention sur la complexité de
son organisation et sur les faiblesses devenues quasi structurelles qui en
résultent et entravent son efficience comme l’efficacité de la dépense
publique ; elle a souligné sans relâche la nécessité d’une rationalisation et
d’une cohérence d’ensemble de cette organisation ; elle considère
aujourd’hui comme urgente la clarification du rôle à jouer par le CNRS
dans le nouveau paysage de la recherche, tant sa place est déterminante
pour le positionnement de ses principaux acteurs.
43) « La gestion de la recherche publique dans les sciences du vivant » (mars 2007) ;
« La recherche en faveur des sciences et technologies de l’information et de la
communication » (février 2007) ; « La gestion de la recherche dans les universités »
(octobre 2005).
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
123
II
-
Une modernisation comptable et budgétaire à
poursuivre
Entre 2000 et 2007, les outils comptables et budgétaires du CNRS
ont connu une profonde transformation. Cette évolution s’inscrit dans le
nouveau contexte créé par la loi organique relative aux lois de finances, le
nouveau cadre budgétaire et comptable et la loi de sécurité financière.
Elle témoigne de l’importance désormais accordée à l’existence
d’informations financières fidèles à la réalité. A ce titre, la modernisation
des outils comptables et budgétaires entreprise au sein du CNRS reflète
l’évolution que connaît la sphère publique dans son ensemble. Elle
montre les lacunes des systèmes précédemment utilisés, les importants
efforts entrepris pour y remédier mais aussi le chemin qui reste à
parcourir pour disposer d’une information fiable, pertinente par rapport à
la stratégie et partagée par les acteurs concernés.
A - Une modernisation comptable à inscrire dans la durée
Le compte de résultat du CNRS se caractérise par l’importance de
la subvention d’exploitation du ministère de la recherche (84 % des
produits d’exploitation en 2005) et par la place des dépenses de personnel
(69 % des charges d’exploitation en 2005). Entre 2000 et 2005, les
sources de financement du CNRS se sont diversifiées et les dépenses hors
personnel ont connu une forte dynamique. Les charges ayant évolué de
façon plus soutenue que les produits, le CNRS présente un résultat net
cumulé légèrement déficitaire sur la période. Si la situation financière du
CNRS restait saine fin 2005, la dégradation du fonds de roulement et de
la trésorerie invite pour l’avenir à un suivi attentif des équilibres
comptables de l’établissement.
Ces données doivent être néanmoins considérées avec prudence.
Les comptes produits par le CNRS jusqu’en 2005 présentent en effet des
lacunes très significatives, dont certaines ont été corrigées en fin de
période. Ces lacunes affectent tant la présentation des comptes que leur
contenu, en particulier en matière d’inventaire du patrimoine du CNRS,
de recensement des risques auxquels il doit faire face ou encore de
rattachement des charges et des produits à l’exercice pertinent.
A partir des comptes 2005 et dans la perspective d’une certification
de ses comptes 2008 par des commissaires aux comptes, le CNRS s’est
engagé dans un important chantier de modernisation. Les principaux
défauts existants dans la tenue des comptes ont été identifiés ainsi que les
mesures permettant d’y remédier et une part d’entre elles a d’ores et déjà
124
COUR DES COMPTES
été mise en oeuvre. Cette évolution a été rendue possible notamment par
la mise en service au 1
er
janvier 2007 d’un nouveau système
d’information budgétaire, financier et comptable.
L’effort entrepris doit être activement poursuivi si le CNRS veut se
mettre en situation de disposer en 2008 de comptes certifiables. Il reste en
effet encore beaucoup à faire. Il importe en particulier que les procédures
comptables soient fixées de sorte que l’établissement puisse présenter
dans la durée, année après année, des comptes certifiables reposant sur un
environnement de contrôle de qualité. La Cour tient enfin à souligner les
enjeux financiers
44
de la modernisation comptable ainsi engagée. Si un
scénario dans lequel le CNRS peut remédier aux défauts de qualité de ses
comptes sans remettre en cause ses équilibres financiers est envisageable,
sa réalisation supposera en effet un suivi attentif.
B - La modernisation budgétaire
1 -
Un budget désormais en prise avec l’activité
Jusqu’en 2006 inclus, le budget était présenté en trois sections, la
première regroupant les dépenses de personnel, la deuxième les charges
liées à l’administration et aux services communs, et la troisième les crédits
destinés aux laboratoires ainsi qu’aux opérations programmées. Les crédits
de personnel étant présentés sous une forme globalisée, ce découpage ne
permettait pas d’apprécier l’effort consenti en faveur des unités de
recherche et des différentes disciplines auxquelles ils étaient destinés. De
même, le partage entre les crédits de fonctionnement et les crédits
d’équipement était peu lisible. Enfin, les règles d’affectation des ressources
aux différentes sections budgétaires rendaient très difficile la lecture de
l’évolution globale des ressources. L’utilité des documents budgétaires
était en outre obérée par l’écart existant entre les budgets primitifs votés
par le conseil d’administration, les budgets tels qu’ils résultaient des
décisions modificatives intervenant en cours d’année et les budgets
finalement exécutés, cet écart étant pour l’essentiel lié à d’importants
reports de crédits.
A partir de 2007, la présentation du budget du CNRS a été
profondément modifiée en application du nouveau cadre budgétaire et
comptable. Cette évolution remédie à l’essentiel des défauts constatés en
matière de lisibilité des documents budgétaires.
44) L’impact des ajustements repérés par l’agence comptable se situe dans une
fourchette
allant d’une réduction du résultat de 150 M € à une amélioration de celui-
ci de 150 M€.
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
125
La novation principale consiste en ce que le budget a désormais
pour objectif de traduire l’activité du CNRS. Le budget est en effet
structuré autour de trois agrégats : le premier concerne les activités de
recherche conduites par les unités de recherche, le deuxième les actions
communes et le troisième les fonctions supports. Au travers du premier
agrégat, il existe pour la première fois une affectation des dépenses à
l’activité scientifique qui porte non seulement sur le fonctionnement mais
aussi sur le personnel. Les dépenses sont ensuite déclinées par groupes de
disciplines et par regroupements géographiques. Ces informations
modifient l’orientation des documents budgétaires : ceux-ci apparaissent
désormais clairement en lien avec les missions du centre. Le budget peut
constituer à ce titre un instrument de pilotage de la politique scientifique,
ce qu’il n’était pas auparavant conçu pour être. Les annexes concernant les
indicateurs de performance de la LOLF et les crédits dont bénéficient les
unités de recherche, quelle que soit l’origine des financements, constituent
en outre des sources d’information nouvelles et de première importance,
même si la qualité des données présentées ne peut être considérée comme
suffisante à ce stade. Dans le même temps, le budget est plus simple à
analyser. Il permet en effet de suivre de manière globale les recettes et les
dépenses, ce qui n’était pas possible avec l’ancienne présentation par
sections équilibrées en dépenses et en recettes. Au total, la présentation du
budget selon la nouvelle nomenclature représente un saut qualitatif d’une
réelle ampleur et fournit l’assise nécessaire pour accompagner la stratégie
scientifique du CNRS.
2 -
Des faiblesses structurelles à surmonter
Le nouveau cadre budgétaire et comptable doit trouver son
prolongement dans une adaptation des modes de gestion. Il s’agit en
particulier de la plus grande liberté de manoeuvre laissée à l’établissement
pour modifier l’affectation de ses crédits en cours d’année, contrepartie de
l’approfondissement du dialogue conduit avec les pouvoirs publics en
amont de l’adoption du budget. A ce titre, la mise en oeuvre du nouveau
cadre budgétaire et comptable aura été l’occasion pour le CNRS de
formaliser ses procédures. Mais, cette formalisation a souvent consisté à
retranscrire les modes de gestion antérieurs, faisant courir le risque que ne
perdurent des pratiques héritées du passé et qui avaient fait perdre de sa
pertinence au budget. L’attention du CNRS et de ses ministères de tutelle
devrait se porter en particulier sur quatre sujets qui ne sont pas sans lien.
126
COUR DES COMPTES
a)
La lisibilité de la politique d’investissement
Si la nouvelle présentation du budget remédie à l’essentiel des
défauts
du
système
antérieur,
tel
n’est
pas
le
cas
en
matière
d’investissement, car elle ne donne pas de vision prévisionnelle globale des
investissements à réaliser. Cette situation pose d’ailleurs problème
s’agissant de la comptabilisation de la subvention pour charges de service
public qui doit différer selon le type de dépenses que finance cette
subvention. Sans remettre en cause l’autonomie de gestion dont disposent
les
laboratoires
pour
effectuer
indifféremment
des
dépenses
de
fonctionnement et d’investissement, il serait donc souhaitable que le CNRS
présente un tableau de financement prévisionnel global lors du budget
primitif, celui-ci ne faisant l’objet d’une présentation détaillée qu’au
moment du compte-rendu d’exécution budgétaire. Ceci fournirait l’assise à
une discussion sur des choix qui engagent l’avenir ainsi que sur leurs
modalités de financement.
b)
La réduction du niveau des reports
Dans son rapport public de 2001, la Cour avait critiqué
l’importance des crédits non consommés qui généraient des reports sur
l’exercice suivant, obérant la lisibilité et la pertinence des documents
budgétaires. Force est de constater que cette tendance, si elle a connu un
frein brutal en 2003, a depuis repris vigueur, les crédits ouverts non
consommés s’établissant à 386 M€ en 2006. Ils représentaient 346 M€ en
2005, dont 314 M€ ont été reportés sur 2006, et se concentraient sur les
dotations allouées aux laboratoires et tout particulièrement le soutien de
base apporté aux unités de recherche.
Ainsi en 2005, pour 810 M€ de crédits effectivement dépensés à ce
titre, 224 M€ de crédits non consommés ont été reportés sur l’exercice
suivant. Cette situation paradoxale tient en partie à la notification aux
unités de crédits extrêmement parcellisés et souvent durant l’été, ce qui
ne les met pas en situation d’engager effectivement les crédits qui leur
sont alloués. La direction du CNRS s’est employée dans la période
récente à raccourcir ses délais de notification des crédits aux unités.
Néanmoins, on ne peut estimer, comme le fait le CNRS, que « la
situation des reports peut être considérée comme satisfaisante à la fin de
l’année 2005 », car elle permet notamment de faire face « aux restes à
payer ». Elle témoigne plutôt des insuffisances de la procédure
budgétaire. D’une part, ce que le CNRS appelle des « restes à payer » ne
devrait pas être reporté sur l’exercice suivant mais figurer dans les
dépenses de l’exercice en cours, dès lors qu’il s’agit bien de charges à
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
127
payer, après service fait. D’autre part, le CNRS constate sur l’exercice en
cours les ressources qu’il obtient, même si celles-ci, comme c’est souvent
le cas pour les financements de projets dont bénéficient les laboratoires,
couvrent des dépenses pluriannuelles. Ce double phénomène engendre
mécaniquement des reports dont une large part n’a aucune justification.
Une révision de la procédure budgétaire sur ces points devrait donc
aboutir à une baisse sensible du niveau des reports et permettre en outre
d’intégrer dès le budget primitif une prévision de reports, ce qui rendrait à
ce document toute sa pertinence.
c)
L’affectation des crédits aux unités de recherche.
Le circuit des notifications budgétaires internes au CNRS est
double : notification des autorisations de programmes aux départements
scientifiques puis aux unités de recherche ; notification des crédits de
paiement aux ordonnateurs secondaires que sont les délégations
régionales. Il résulte de ce double circuit déjà critiqué par la Cour en 2002
que les unités de recherche fondent leurs prévisions de dépenses sur le
niveau des autorisations de programmes, sans tenir compte des crédits de
paiement effectivement disponibles. Depuis la mise en oeuvre du nouveau
cadre budgétaire et comptable, et le remplacement des autorisations de
programme par des autorisations d'engagement, le principe qui prévaut
est celui d'une égalité entre les montants des autorisations d'engagement
et des crédits de paiement. Ce principe n’existait toutefois pas jusqu’en
2006. Or, entre 2000 et 2006, les crédits de paiement votés en faveur du
CNRS ont été inférieurs de 292 M€ (dont 229 M€ en 2002 et 2003) aux
autorisations de programmes qui lui ont été affectées. Cette situation,
dont la responsabilité incombe tant à l’établissement qu’à ses autorités de
tutelle, a conduit à des décisions critiquables.
D’une part, le maintien d’un niveau conséquent d’autorisations de
programme a permis au gouvernement d’afficher dans les lois de finances
initiales entre 2000 et 2003 une augmentation globale des crédits en
faveur du CNRS alors que l’examen des crédits de paiement montrait leur
baisse. D’autre part, au moment où cet écart s’est matérialisé et s’est
inscrit dans la durée,
le CNRS a fait le choix de continuer à déléguer les
autorisations de programmes aux unités de recherche, alors que la
couverture financière des engagements qu’elles permettaient n’était pas
assurée par l’allocation de crédits de paiements suffisants. Enfin, si la
situation qu’a connue le CNRS ne pourra plus se produire à l’avenir, la
question demeure du traitement du stock d’autorisations de programmes
non couvert par des crédits de paiement, désormais chiffré à 240 M€ par
l’établissement et ses tutelles. Par un échange de courrier de 2006, ceux-
ci ont prévu de résorber cet écart sur vingt ans maximum, correspondant à
128
COUR DES COMPTES
des tranches annuelles de 12 M€ minimum de crédits libres d’emplois que
le CNRS s’est engagé à annuler. Cette solution pèsera donc à long terme
sur les budgets du centre et devrait conduire à maintenir pendant deux
décennies le double circuit budgétaire existant au sein de l’établissement.
En l’espèce, une prise en compte adéquate du calendrier des
investissements pluriannuels des laboratoires ainsi que des dépenses liées
aux projets sur lesquels ils disposent de financements contractuels aurait
sans doute permis d’aboutir à une solution plus satisfaisante, même si elle
aurait supposé un important effort d’explication auprès des laboratoires.
A défaut, l’annulation en temps utile des autorisations de programmes
non couvertes par des crédits de paiements était la solution normale.
Pour
l’avenir,
la
Cour
invite
l’établissement
à
accélérer
l’apurement de cet écart en allant chaque année le plus loin possible dans
l’annulation des autorisations d’engagements liées à des crédits libres
d’emplois et en se fondant pour cela sur une appréciation rigoureuse des
reports de crédits.
d)
Des moyens à inscrire dans une perspective pluriannuelle
L’ensemble de ces évolutions devrait faciliter la conclusion d’un
contrat d’objectifs et de moyens assorti d’un engagement des pouvoirs
publics sur une trajectoire de financement pluriannuelle.
Entre 2000 et 2006, les dépenses exécutées par le CNRS ont
progressé à un rythme annuel proche de 5 %, du fait en particulier d’une
forte dynamique des crédits alloués aux laboratoires et aux opérations
programmés qui sont passés de 481 M€ en 2000 à 810 M€ cinq ans plus
tard. Cette dynamique est pour une large part liée à une augmentation de
56 % en cinq ans des « ressources propres » du centre. Ce terme doit
néanmoins être interprété avec prudence, ces ressources correspondant
pour une part croissante à des financements d’origine publique. Elles
témoignent de l’évolution institutionnelle du paysage de la recherche, et
notamment du développement des financements sur projets au travers
d’agences nationales ou communautaires. Si la subvention versée au
CNRS au titre de la loi de finances demeure la ressource principale du
centre, sa part se réduit ainsi progressivement et passe de 81 % des
ressources budgétaires globales en 2000 à 75 % en 2005. Durant la
période, elle a augmenté à un rythme moyen annuel de 2,4 %. Elle a
toutefois connu des à coups très sensibles, bien plus prononcés que ne le
laissaient présager les lois de finances. Elle a en particulier diminué de
141 M€ entre 2001 et 2002, ce qui n’a pas placé l’établissement dans des
conditions satisfaisantes pour exercer ses responsabilités de gestion.
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
129
Pour l’avenir, il importe que le CNRS puisse se situer dans une
perspective de moyen terme. Cette perspective devra s’inscrire dans le
cadre de la programmation des moyens inscrite dans la loi de programme
pour la recherche du 18 avril 2006 et tenir compte du contexte nouveau
créé par l’évolution du paysage institutionnel de la recherche. A cet
égard, dans un rapport de février 2007 sur la contractualisation des
organismes
de
recherche
avec
l’Etat,
l’inspection
générale
de
l’administration de l’éducation nationale et de la recherche a formulé des
pistes, évoquant des contrats d’objectifs et de moyens assortis de
perspectives de financement conservatoires mais révisables annuellement
ou encore des contrats prévoyant différents scénarios d’exécution et
associant réalisation des objectifs et obtention de moyens nouveaux.
S’agissant du CNRS, il apparaît nécessaire que la clarification des
attentes formulées à son égard par ses tutelles s’accompagne d’une
trajectoire de financement pluriannuelle.
Au total, le CNRS dispose désormais avec le nouveau cadre
budgétaire et comptable d’un outil de pilotage qui lui permettra de
mobiliser de façon efficace ses crédits dès lors qu’il aura mis un terme à
des pratiques de gestion inadaptées. Il importe pour ce faire que le CNRS
fasse partager cet outil à ses personnels afin de construire avec eux et
avec les pouvoirs publics les conditions d’un dialogue transparent et
approfondi sur les moyens nécessaires à son action dans la durée.
III
-
Des modes de fonctionnement à adapter
La définition d’une stratégie de long terme du CNRS ainsi que la
négociation d’un contrat pluriannuel avec l’Etat supposent une vision
claire des missions qui reviennent au centre dans le nouveau paysage de
la recherche. Mais le CNRS doit aussi disposer de modes de
fonctionnement adaptés à son nouvel environnement. A ce titre, le Cour
s’est penchée sur quatre sujets : l’organisation, les outils de pilotage, la
gestion des personnels et la gestion des unités de recherche
45
.
45) La Cour n’a pas traité les questions spécifiques liées aux personnels ingénieurs et
techniciens, ni les problématiques associées à la valorisation de la recherche, sujet sur
lequel elle a effectué un ensemble de recommandations dans le cadre de son rapport
public thématique de mars 2007 portant sur la gestion de la recherche publique dans
les sciences du vivant.
130
COUR DES COMPTES
A - L’organisation
Si la Cour avait critiqué en 2002 le mode de fonctionnement
centralisé du CNRS, force est de constater que cette situation n’a pas
changé. Ainsi, l’essentiel des décisions relève du comité de direction de
l’établissement qui réunit de façon hebdomadaire, sous la présidence du
directeur général, les directeurs de départements scientifiques et le
secrétaire général. Ce mode de prise de décision descend jusqu’à un
niveau de détail très important, ce qui le distingue d’un type de
gouvernance dans lequel les instances dirigeantes arbitreraient des
priorités et confieraient leur mise en oeuvre aux échelons opérationnels
sur la base d’un mandat clair. C’est d’ailleurs l’intention du CNRS que de
se rapprocher de ce mode de gouvernance et de faire
jouer à la direction
un rôle comparable à celui d’une « holding » opérant au bénéfice de
départements scientifiques ou d’instituts plus autonomes.
En deuxième lieu, l’organisation repose sur une séparation nette
entre les instances spécialisées dans la gestion que sont les délégations
régionales et les instances nationales que sont les départements
scientifiques. Si cette solution assure la cohérence des fonctions de
gestion regroupées auprès du secrétaire général, elle ne garantit pas
a
priori
que les préoccupations financières seront prises en charge au
niveau des départements scientifiques qui constituent pourtant l’épine
dorsale du centre. C’est bien l’un des problèmes majeurs rencontrés en
matière budgétaire. Il n’est en outre pas certain que le découpage à la fois
thématique et géographique sur lequel repose l’organigramme du CNRS
assure la meilleure lisibilité pour l’extérieur, notamment pour les
partenaires internationaux ou régionaux.
Ces questions renvoient finalement aux rôles respectifs des
départements scientifiques et des délégations régionales comme interfaces
avec l’extérieur et entre la direction et les unités de recherche : les
réformes successives de l’organisation de l’établissement montrent qu’il
s’agit d’un enjeu majeur en matière de pilotage de l’établissement. Sans
revenir sur une réforme qui a été finalement rejetée, l’équilibre actuel
n’apparaît pas pleinement satisfaisant : une meilleure articulation entre les
responsabilités de gestion et les responsabilités scientifiques ainsi qu’un
mode de fonctionnement plus lisible pour les partenaires du centre
méritent d’être recherchés.
A ce titre, il apparaît, d’une part, que les disciplines qui
fonctionnent sur le mode d’instituts, comme l’institut national des
sciences de l’univers, disposent d’une bonne visibilité internationale,
d’une réelle capacité à fédérer leurs partenaires et de responsabilités
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
131
financières clairement assumées. Les bonnes pratiques dont témoigne ce
mode de fonctionnement reposent en large partie sur des formes de
gouvernance particulières, associant de façon formalisée et régulière les
différents établissements concernés par la discipline au sein du conseil de
l’institut. La transposition de ces modes de fonctionnement dans les
départements scientifiques est une piste qui est étudiée par le CNRS
aujourd’hui. D’autre part, le CNRS estime que les nouvelles formes de
relations contractuelles qu’il envisage avec les universités pourraient
l’amener à faire évoluer son dispositif des délégations régionales.
B - Les instruments de pilotage
La gestion d’une institution de la taille et de la complexité du
CNRS doit reposer sur des outils de pilotage robustes et partagés, ce qui
n’est pas encore le cas.
a)
Des systèmes d’informations qui doivent être partagés
Les systèmes d’information du CNRS ont fait l’objet d’une
évolution lourde en 2007 qui permettra de disposer d’un support unifié
pour toutes les applications de gestion. Cette évolution aura été
néanmoins particulièrement longue à mettre en oeuvre et demeure
inachevée : elle ne concerne pas encore le logiciel utilisé au sein des
laboratoires et il n’a pas été trouvé de solution pour mettre en commun
dans les unités mixtes de recherche les données saisies au titre de la
gestion universitaire et celles saisies au titre de la gestion du CNRS.
En ce sens, la définition d’un schéma informatique global apparaît
comme une priorité pour l’avenir. Elle suppose une réflexion conjointe
avec les instances chargées du pilotage des systèmes d’information des
universités, l’enjeu étant d’obtenir une vision consolidée et fiable de
l’activité des unités de recherche sans laquelle aucun pilotage du secteur
ne pourra être réellement entrepris.
b)
Des partenariats qui doivent structurer l’activité des laboratoires
Le CNRS est au coeur d’un réseau de partenariats multiples qu’il
s’est attaché dans la période récente à mieux formaliser, en particulier
avec les universités. La démarche engagée depuis 2002 avec les
partenariats
dits
« renforcés »,
puis
« rénovés »,
témoigne
des
incontestables avancées réalisées dans ce domaine, que la direction des
partenariats créée au sein de l’établissement a pour mission d’amplifier.
132
COUR DES COMPTES
La recherche reposant sur l’activité de multiples entités de petite
taille, il importe néanmoins de savoir si les partenariats ainsi négociés
permettent à ces unités de prendre leurs décisions quotidiennes de façon
satisfaisante, c’est-à-dire en disposant d’un cadre organisé, formalisé et
sécurisé par delà la période de négociation du contrat lui-même. Il
apparaît à cet égard un certain nombre de faiblesses, la multiplication des
intervenants dans le paysage de la recherche ayant même tendance à
rendre le système plus difficile à maîtriser pour les laboratoires. La
politique de partenariat devrait avoir en particulier pour objectif qu’il soit
possible de suivre de façon constante et transparente les ressources
humaines et budgétaires des unités mixtes afin notamment de pouvoir
effectuer une programmation au sein de leurs établissements de
rattachement. Elle suppose ainsi une mise en réseau des systèmes
d’information et l’identification d’un interlocuteur responsable.
c)
Une évaluation qui doit éviter les redondances
L’évaluation occupe une place majeure en matière scientifique.
Elle se concrétise au sein du CNRS par le rôle que joue dans son
fonctionnement quotidien le comité national de la recherche scientifique.
Cet organisme placé auprès du CNRS est chargé de l’évaluation de ses
chercheurs et de ses équipes de recherche, évaluation effectuée au sein de
sections composées majoritairement de membres élus par les personnels.
Au regard de cette particularité, partagée avec l’enseignement supérieur,
le comité national a été l’objet de critiques.
Lors de la présente enquête, le coût que représente le
fonctionnement du comité national a été estimé à 10 M€. Ce coût
mériterait d’être individualisé dans les documents budgétaires du CNRS.
S’agissant de l’activité du comité national, son secrétariat général a
identifié des marges de manoeuvre pour faire progresser les procédures
d’évaluation et les suites qui leur sont réservées. Les garanties de qualité
que le processus d’évaluation du comité national est en mesure d’apporter
sont d’autant plus importantes que la création en 2006 d’une agence de
l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur est venue
modifier la perspective dans laquelle le rôle du comité national peut être
apprécié. Conçue pour évaluer les établissements de recherche, les unités
de recherches, les formations de l’enseignement supérieur et valider les
procédures d’évaluation des personnels dans les établissements de
recherche, l’AERES ne voit son champ d’action aucunement limité par
les textes l’ayant instituée, même s’il est prévu qu’elle peut confier une
partie de ses missions à des instances existantes. La question d’une
redondance entre le comité national et l’agence en matière d’évaluation
des équipes de recherche du CNRS est donc clairement posée.
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
133
A
ce
stade,
l’articulation
des
deux
instances
suscite
des
interprétations divergentes entre le CNRS et son ministère de tutelle, le
premier estimant que son activité d’évaluation ne sera pas affectée et le
second que le comité national devra se concentrer à l’avenir sur
l’évaluation des chercheurs. La manière dont se réglera cette question sera
un révélateur du positionnement du CNRS vis-à-vis du paysage de la
recherche. A ce titre, la Cour ne peut que recommander que les
redondances soient évitées.
C - La gestion des personnels
a)
La gestion prévisionnelle
En 2001, la Cour avait insisté sur la nécessité pour le CNRS de se
donner les moyens d’opérer une gestion prévisionnelle de ses emplois dans
la perspective des départs massifs à la retraite qui s’annonçaient. Un
plan
de gestion prévisionnelle de l’emploi scientifique a ainsi été élaboré en
2002 et a permis à l’établissement de disposer d’un cadre de référence pour
ses arbitrages des années suivantes. En 2007, la direction du centre dispose
de prévisions plus fines et moins pessimistes de départs ; elles conduisent
néanmoins à prévoir un renouvellement sur 10 ans de la moitié des
effectifs permanents présents en 2006 avec des effets contrastés selon les
disciplines, certaines d’entre elles, comme les sciences de l’homme et de la
société et, dans une moindre mesure, les sciences du vivant, étant
particulièrement touchées. Ces éléments sont utilisés pour la préparation
des campagnes annuelles de recrutement.
Il conviendrait néanmoins que s’adjoigne à cette politique de court
terme une stratégie de moyen terme permettant de disposer d’orientations
sur une répartition du potentiel de recherche cohérente avec les priorités
scientifiques affichées. Or, le CNRS ne dispose pas, au moins de façon
explicite, d’une projection de ce que serait son effectif souhaitable à
l’horizon 2016 et donc des départs à remplacer par départements
scientifiques.
Une
telle
prévision
constitue
pourtant
un
élément
déterminant non seulement de sa politique scientifique mais aussi de sa
gestion financière.
b)
L’interdisciplinarité
L’interdisciplinarité figure comme un objectif fort dans tous les
documents stratégiques du CNRS et a donc bénéficié d’une réelle
continuité entre les différentes équipes de direction qui se sont succédé.
C’est le signe d’une évolution des thématiques de recherche vers des sujets
134
COUR DES COMPTES
à l’interface de plusieurs disciplines dont témoigne en particulier la
création d’un département « environnement et développement durable ».
La notion d’interdisciplinarité apparaît néanmoins ambiguë : elle
peut renvoyer à des structures ou à des programmes. Or, les données
disponibles ne permettent pas de conclure à une évolution du CNRS depuis
2000 en faveur du recrutement de chercheurs à profil interdisciplinaire
relevant de différentes sections du comité national et de la création
d’équipes de recherches pluridisciplinaires. Ces données témoignent ainsi
des logiques encore largement disciplinaires qui s’attachent à la gestion des
carrières des chercheurs au travers de leur département scientifique et de
leur section de rattachement au sein du comité national. C’est plus dans la
mise en place de programmes de recherches interdisciplinaires que l’effort
a été porté, sans que ceux-ci ne soient nécessairement réalisés par des
chercheurs ou des équipes eux-mêmes pluridisciplinaires. Pour l’avenir, il
importe ainsi de préciser le contour donné à l’interdisciplinarité afin que
les objectifs et indicateurs pertinents puissent être construits et permettent
de mesurer les effets réels de la politique entreprise.
c)
La mobilité et la gestion des carrières
La mobilité peut s’entendre à l’intérieur du CNRS entre champs
disciplinaires mais aussi à l’extérieur, en particulier avec d’autres
structures de recherche ou d’enseignement. Cette orientation en matière de
ressources humaines a fait l’objet d’une priorité moins soutenue dans la
durée que l’interdisciplinarité. Ses résultats apparaissent, tout comme en
matière d’interdisciplinarité, relativement stables dans le temps.
Une procédure de mobilité interne a été mise en place pour les
personnels ingénieurs, techniciens et administratifs et connaît un large
succès. Il n’existe pas de procédure similaire pour les personnels
chercheurs, la tentative réalisée entre 2003 et 2005 n’ayant pas été
concluante. Les mouvements au sein de l’effectif du CNRS ont toutefois
nettement augmenté du fait de l’élargissement du recours à des personnels
sur statut non permanent (doctorants et post-doctorants), ceux-ci
représentant plus de 1500 personnes en équivalent temps plein en 2005.
En ce qui concerne les mobilités entre l’enseignement supérieur et la
recherche, les dispositifs existants n’ont pas connu d’évolutions notables et
les passerelles demeurent limitées. Un budget est réservé depuis 2002 à
l’accueil de 500 enseignants-chercheurs en délégation au sein du CNRS.
Le rapprochement entre chercheurs et enseignants-chercheurs au sein des
unités mixtes de recherche aurait pu laisser présager un développement de
cette formule. Elle demeure néanmoins marginale et les effectifs concernés
ont fortement décru entre 2004 et 2006. De plus, si l’accueil d’enseignants-
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
135
chercheurs sous forme de détachement ou de délégation constitue un des
indicateurs de performance définis au titre de la loi organique relative aux
lois de finances, les objectifs retenus demeurent limités : ils visent à
reproduire en 2007 les résultats obtenus en 2005, soit l’accueil d’un effectif
d’enseignants-chercheurs équivalent à 5,5 % des chercheurs du CNRS.
Dans le même temps, il n’a pas été donné suite aux propositions formulées
par le CNRS d’élargir les possibilités pour ses personnels chercheurs et
ingénieurs d’effectuer des services d’enseignement.
Enfin, sur les questions de rémunération et plus généralement sur
l’attractivité de la France pour l’accueil de personnels de recherche, le plan
stratégique préparé par le CNRS appelle à une revalorisation d’ampleur des
carrières dans un cadre statutaire assoupli. Sur ce sujet d’importance, il
reste que les éléments de comparaison internationale sont peu nombreux et
difficiles à interpréter.
Au total, il apparaît que les conditions d’une évolution consensuelle
vers un rapprochement statutaire des chercheurs et des enseignants-
chercheurs n’ont pas été réunies alors même que la mixité des unités de
recherche a pour effet que ces personnels se côtoient de plus en plus. Cette
situation justifierait des modes de recrutement coordonnés et des modalités
de gestion des carrières permettant de construire des parcours jalonnés de
périodes de recherche et de périodes d’enseignement, comme c’est
largement le cas à l’étranger, même lorsque différents statuts existent. Pour
les enseignants-chercheurs, la loi du 10 août 2007 précitée a d’ailleurs
prévu la possibilité que leur service d’enseignement soit modulé par le
président de l’université pour tenir compte de leur activité de recherche.
Le fait que les évolutions constatées en matière de gestion des
ressources humaines soient timides tient sans doute à la sensibilité de ces
sujets pour les personnels concernés mais aussi à une organisation
qui ne
favorise pas suffisamment les adaptations globales. Au sein du CNRS, si
une direction des ressources humaines a été créée, le rôle et la composition
du comité national sont demeurés identiques. Dès lors, il n’est pas
surprenant que les évolutions de la gestion des personnels continuent à
s’opérer au coup par coup. La politique des ressources humaines ne repose
pas encore sur un type d’organisation qui permettrait de faire émerger des
projets d’évolution sous une forme susceptible de susciter l’adhésion des
personnels et de leurs représentants.
Sur ces sujets, il revient également au ministère de l’enseignement
supérieur et de la recherche de procéder à une réflexion associant
l’ensemble des partenaires afin de construire les conditions d’une
harmonisation et d’un rapprochement des carrières des chercheurs et
enseignants chercheurs.
136
COUR DES COMPTES
D - La gestion des unités de recherche
a)
Des charges administratives croissantes
Les
laboratoires
de
recherche
supportent
des
charges
administratives croissantes. La recherche est en effet une activité de plus
en plus technique et internationalisée, générant ainsi des achats plus
complexes et des missions plus diverses. Au sein du CNRS, en outre, le
développement de la mixité dans les unités de recherche a pour effet que
les laboratoires se trouvent en situation d’utiliser des procédures et des
systèmes d’information différents au quotidien. Enfin, et de façon plus
récente, le développement des financements sur projets et les impératifs
de gestion qu’ils génèrent impliquent une activité administrative
supplémentaire. Ces évolutions compliquent la gestion au sein des
laboratoires et conduisent à mobiliser de plus en plus directement les
directeurs d’unité et les chercheurs sur ces questions. Il en ressort un
entrelacs de responsabilités administratives propre à chaque laboratoire,
sans qu’un schéma cible ait été défini.
Ce diagnostic est encore corroboré par le fait que le siège du
CNRS ne dispose pas d’une connaissance précise de l’encadrement
administratif dont bénéficient ses laboratoires, connaissance qui est
pourtant un préalable à la définition d’une stratégie en la matière. Les
données
agrégées
montrent
qu’il
existe
en
moyenne
un
poste
d’administratif pour dix chercheurs, ingénieurs et techniciens. Le taux
d’encadrement par champ disciplinaire fait apparaître de fortes disparités,
allant d‘un poste d’administratif pour deux chercheurs à l’institut de
physique nucléaire et de physique des particules à des taux trois fois plus
faibles pour la chimie ou les sciences du vivant. Il est plus difficile
d’obtenir des données sur les personnels administratifs présents en
fonction de la taille des unités de recherche. Les éléments disponibles
montrent qu’il n’existe qu’un demi-poste administratif dans près de la
moitié des laboratoires du CNRS. Seules les unités les plus dotées
regroupent ainsi des pôles administratifs d’une taille suffisante pour
assurer une permanence de gestion et se spécialiser sur certaines
fonctions. En tout état de cause, l’absence de données consolidées au sein
des unités mixtes permettant de faire apparaître l’ensemble des personnels
limite la pertinence de ces chiffres, pourtant déjà difficiles à recueillir.
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
137
b)
Une gestion à simplifier radicalement
La gestion des unités mixtes de recherche qui constituent
désormais l’essentiel des unités du CNRS apparaît ainsi à la fois
excessivement complexe et insuffisamment transparente : chacun des
partenaires gère ses apports en moyens humains et financiers selon ses
propres règles sans qu’il existe de système d’information permettant de
mettre ces données à la disposition de tous les partenaires de l’unité. Ce
système mérite d’être radicalement simplifié. En l’état actuel des
structures de recherche marquées par la prépondérance des unités mixtes,
cette simplification pourrait passer par la mise en place d’un système
d’opérateur unique dans lequel un des partenaires impliqués dans l’unité
serait responsable de l’ensemble de sa gestion. Cette solution avait déjà
été recommandée par la Cour en 2002 et n’a été mise en oeuvre que de
façon marginale, dans le cadre d’une expérience conduite par la
délégation Côte d’azur du CNRS, le centre considérant que de
nombreuses difficultés en compliquaient la mise en oeuvre.
Cette expérience montre toutefois la faisabilité d’une telle
approche, les précautions techniques qui doivent l’entourer et l’effort
d’accompagnement qui doit être entrepris auprès des personnels
concernés. Si les leçons de cette expérience sont tirées, il existera une
assise pour généraliser le recours à un opérateur unique de gestion sur la
base d’une convention-type qui mériterait de faire partie du menu des
négociations des contrats quadriennaux. Pour les unités dont la gestion
serait confiée aux établissements universitaires, cette formule suppose
néanmoins
que
ceux-ci
améliorent
leurs
propres
modes
de
fonctionnement dont les faiblesses ont été présentées dans le rapport
public thématique que la Cour a consacré en 2005 à la gestion de la
recherche universitaire.
A lui seul toutefois, l’opérateur unique de gestion ne règlera pas
tous les problèmes posés par la gestion au niveau des laboratoires. Il
pourrait d’ailleurs se révéler préjudiciable à la visibilité du système si sa
mise en place ne s’accompagnait pas d’une réflexion d’ensemble, portant
notamment sur un rapprochement des règles de gestion des universités et
du CNRS et sur la mise en place rapide d’un système d’information
partagé. Cette réflexion devrait viser trois objectifs en matière de gestion :
la simplification, la globalisation et la sécurité. Il pourrait en particulier
s’agir de mettre effectivement en place le contrat de laboratoire déjà
prévu par le contrat d’action pluriannuel signé en 2002 avec l’Etat. Ce
contrat aurait vocation à retranscrire les engagements en moyens
financiers et humains pris par les établissements en faveur d’un
laboratoire. Il pourrait être l’occasion de donner aux unités de recherche
138
COUR DES COMPTES
une plus large autonomie de gestion sur leurs crédits récurrents en
contrepartie d’engagements en matière d’objectifs et de moyens fixés sur
le rythme quadriennal de leur évaluation.
Une telle autonomie suppose que les laboratoires disposent d’un
environnement administratif à même d’assurer leur sécurité juridique et
financière et pourrait donc donner lieu à des modalités de mise en oeuvre
différenciées selon leur taille. En effet, doter les plus grosses unités d’une
large autonomie de gestion ne devrait pas susciter de difficultés
insurmontables ; en revanche, pour les plus petits laboratoires qui sont de
loin les plus nombreux, des formes de mutualisation des moyens
administratifs pourraient être expérimentées de sorte à garantir à ces
laboratoires un environnement administratif suffisamment étoffé pour
qu’ils puissent également prétendre à une plus large autonomie de
gestion. Quels que soient les modes de partenariats retenus entre le CNRS
et les universités, la simplification des formes de gestion pourrait ainsi
aller de pair avec une plus large autonomie des unités de recherche.
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
Face à l’évolution du paysage de la recherche sur le plan
international, national et régional, le CNRS n’est pas parvenu dans les
dernières années à inscrire une stratégie dans la durée, du fait
notamment de l’instabilité de ses dirigeants. La période qui s’ouvre doit
conduire le Centre à arrêter le repositionnement stratégique que
nécessite la mutation de son environnement. A ce titre, trois conclusions
et recommandations principales se dégagent.
En premier lieu, le devenir du CNRS dans le nouveau paysage de
la recherche doit être clarifié. Cette clarification doit porter en priorité
sur les missions respectives du CNRS et des universités. Pour ce qui est
du CNRS, l’enjeu est de définir le rôle qui doit lui revenir à l’avenir, que
ce soit en tant que fédérateur de compétences, en tant qu’opérateur direct
de recherche ou encore en tant qu’agence de moyens au bénéfice d’une
recherche
conduite
par les
universités.
Ces choix
sont de
la
responsabilité du ministère de l’enseignement supérieur et de la
recherche après concertation avec l’ensemble des partenaires concernés.
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
139
En deuxième lieu, la modernisation engagée sur le plan comptable
et budgétaire doit être poursuivie. Elle fournira à l’établissement une
assise pour accompagner sa stratégie scientifique, ce qui n’était pas le
cas auparavant. La poursuite de l’effort entrepris
passe par la traduction
de la réforme comptable dans des procédures sécurisées, la lisibilité de la
politique d’investissement, une gestion plus rigoureuse des reports et une
résorption rapide de l’écart existant entre les dotations allouées aux
laboratoires sous forme d’autorisations de programmes et de crédits de
paiements. C’est sur ces bases que le CNRS pourra conclure un contrat
d’objectifs avec l’Etat assorti de moyens financiers selon des modalités
novatrices.
En troisième lieu, les modes de fonctionnement de l’établissement
sont appelés à évoluer pour se mettre en cohérence avec son
environnement. Il s’agit de doter le CNRS d’une organisation plus lisible,
visible et efficace. Cette organisation doit pouvoir reposer sur des
instruments de pilotage robustes et partagés, en matière de systèmes
d’information, de politique partenariale ou encore d’évaluation des
chercheurs et des équipes de recherche. Concernant les ressources
humaines, les passerelles entre l’emploi de chercheur et l’emploi
d’enseignant-chercheur et plus généralement toute autre forme d’activité
méritent d’être facilitées afin que puissent se construire des parcours tout
au long d’une carrière mais aussi que soit garantie l’attractivité de la
recherche publique française. Il convient enfin de simplifier radicalement
la gestion des unités de recherche, ce qui suppose qu’elle soit assurée par
l’un ou l’autre des partenaires engagés dans une unité en lieu et place de
la multiplicité des circuits administratifs existant actuellement.
Les évolutions récentes du paysage de la recherche appellent
désormais une réponse urgente à ces questions et en particulier à celle
portant sur les missions du CNRS. Il en va en effet de la cohérence
d’ensemble de la politique publique de la recherche.
140
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DE LA MINISTRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
ET DE LA RECHERCHE
Mon département ministériel prend acte des analyses et constatations
de la Cour à partir des observations faites sur les comptes et la gestion de
l’organisme de 1999 à 2006. La réponse s’attachera à donner sur les
différents points soulevés par la Cour, une synthèse des positions du
ministère prenant en compte les actions menées en 2007 et notamment le vote
de la loi relative aux responsabilités et libertés des universités du 10 août
2007, qui n’est pas sans conséquences sur le positionnement de l’organisme
I - Des missions à clarifier
Le ministère partage totalement l’analyse de la Cour sur les
évolutions du paysage de la recherche qui peuvent influer sur la stratégie du
CNRS : développement de la part des financements sur projets à travers la
création de l’Agence nationale de la recherche mais aussi des programmes
cadre européens, création de l’Agence d’évaluation de la recherche et de
l’enseignement supérieur, autonomie accrue des universités dans leur
politique de recherche. Ces évolutions du paysage de l’enseignement
supérieur et de la recherche résultent par ailleurs pour l’essentiel de
l’impulsion des pouvoirs publics à travers la loi de programme pour la
recherche du 18 avril 2006, et la loi relative aux libertés et responsabilités
des universités. Ces évolutions, pour importantes qu’elles soient, ne
remettent pas en cause la nécessité d’un CNRS, opérateur global
pluridisciplinaire et national de la recherche. Elles commencent déjà, pour
certaines d’entre elles, à se traduire dans l’action de l’organisme, même si,
de manière générale, leur impact ne peut être que progressif et dans
l’ensemble à moyen terme.
1) Le financement sur projets
S’agissant du financement sur projets, la Cour note à juste titre que le
CNRS était, en 2005, le premier organisme européen bénéficiaire des aides
de la Commission européenne. On retrouve les mêmes résultats dans le cadre
des financements sur projets de l’ANR, dont le CNRS est, là aussi et de loin,
le premier bénéficiaire français. Ces constatations expliquent largement la
dynamique des ressources propres au CNRS et la progression sensible de ces
recettes à travers les budgets 2006, 2007 et le budget prévisionnel 2008, dans
un contexte de stabilisation de la subvention pour charges de service public,
conforme par ailleurs aux hypothèses de programmation figurant en annexe
de la loi de programme pour la recherche. Cette modification dans
l’équilibre des financements est bien prise en compte dans la politique
budgétaire du CNRS. Ainsi la note de présentation du BP 2008 de
l’organisme indique que « dans le nouveau contexte de l’organisation de la
recherche en France, l’ANR et les autres agences de financement sur projet
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
141
sont devenues les principaux financeurs des projets scientifiques de court et
moyen terme des laboratoires. Il appartient au CNRS d’en tirer les
conséquences sur ses propres interventions financières ». La part des
financements sur projets dans les ressources des principaux organismes de
recherche est en outre un des indicateurs retenus de performance du
programme 172 de la LOLF.
Inversement la programmation de l’ANR repose sur des consultations
et des travaux d’analyse sectoriels, qui associent les grands organismes de
recherche et notamment le CNRS. L’articulation existe bien entre l’Agence
de financements de projets qu’est l’ANR et des organismes de recherche
comme le CNRS consultés sur sa programmation et s’organisant pour que
leurs unités soient bénéficiaires des appels d’offres. La création de l’ANR
enfin laisse une large place au CNRS pour anticiper l’avenir et développer la
recherche « à risque », relever les défis à long terme et fédérer les
compétences nécessaires aux projets fortement pluridisciplinaires. Le Centre
pourra le faire en tant qu’opérateur dans ses unités propres de recherche ou
dans ses UMR (en responsabilité partagée), ou en tant que financeur, par
appels d’offres, dans le cadre de grands programmes interdisciplinaires. On
notera que les missions du CNRS, telles que définies dans son décret
statutaire, permettent ces inflexions puisqu’ il peut « effectuer ou faire
effectuer des recherches ».
2) La création de l’AERES
La création de l’AERES, comme le souligne la Cour à juste titre, doit
conduire le CNRS à repenser les missions de ses instances d’évaluation pour
éviter les redondances. De fait, l’articulation entre la nouvelle Agence et les
instances d’évaluation du CNRS ont bien été prévues dans le décret
constitutif de l’AERES. Ainsi, le Comité national de la recherche scientifique
contribuera à l’évaluation des unités de recherche par sa participation aux
comités de visite organisés par l’AERES. Il pourra donc recentrer son action
propre sur l’évaluation des personnels ainsi que sur la conjoncture et la
prospective de la recherche. Une contribution dans ce domaine sera très
précieuse pour la définition de la stratégie nationale de la recherche. Les
modes de travail mis en place entre l’AERES et les organismes de recherche,
dans le cadre de l’évaluation des unités de recherche des vagues
contractuelles B et C des universités, montrent qu’une bonne cohérence
pourra être atteinte sans trop de difficultés. On notera ainsi que seront
évaluées par l’AERES non seulement les unités mixtes et les unités propres
des universités, mais aussi les unités propres du CNRS et des autres
organismes les plus associés aux universités.
142
COUR DES COMPTES
3) La montée en puissance des universités
Même si le système des UMR comporte des lourdeurs de gestion et
contribue à un manque de lisibilité de la recherche, il ne faut pas oublier
que, sous forme d’unités associés puis d’unités mixtes, il a fortement
contribué au développement et à la structuration de la recherche dans
l’Université, à tel point que les enseignants-chercheurs sont maintenant plus
nombreux que les chercheurs dans les unités mixtes de recherche avec le
CNRS. La constitution des PRES, à travers la loi de programme pour la
recherche, permet de coordonner sur un site les actions de formation et de
recherche des établissements d’enseignement supérieur membres, notamment
en matière de formation doctorale et de valorisation de la recherche. Les
PRES
constitués sous forme d’EPCS
ont ainsi vocation à être, au niveau
d’un même site, les interlocuteurs principaux, voire uniques des organismes
de recherche. L‘expérience de Nancy mérite d’être signalée et encouragée,
un seul contrat pour le volet recherche ayant été signé entre le CNRS et les
trois universités de Nancy pour la période 2005-2009. Les dispositions de la
loi du 10 août 2007, par une gouvernance resserrée, par les compétences
nouvelles, en matière de patrimoine immobilier mais surtout en matière
budgétaire et en matière de gestion de ressources humaines, donnent des
leviers nouveaux aux universités pour définir et mettre en oeuvre une
politique scientifique. Des mesures comme la possibilité de modulation des
services au bénéfice des jeunes enseignants-chercheurs les plus productifs en
recherche, le recrutement de contractuels ou les nouvelles procédures de
recrutement plus rapides et ouvertes peuvent être sur ce point décisives. Les
organismes de recherche ne peuvent que se féliciter d’avoir des partenaires
universitaires coordonnées sur un site et renforcés dans leur capacité
d’élaboration de politique scientifique, même si leur politique partenariale
doit évoluer compte tenu de ce renforcement. Il s’agit là d’un objectif
prioritaire qui doit être clairement lisible dans le prochain plan stratégique
du CNRS.
La coopération doit se faire sur la base d’une responsabilité partagée
des UMR,
dans le cadre du contrat quadriennal unique des universités,
élaboré sous l’égide du ministère de l’enseignement supérieur et de la
recherche (MESR). Cela suppose l’existence d’un dossier unique accepté par
tous comme une référence, une évaluation par l’AERES sous sa
responsabilité, la saisie de cette évaluation par les partenaires du contrat
(MESR, CNRS et établissement d’enseignement supérieur) pour affiner la
politique scientifique et une négociation entre tous les partenaires avant
signature du contrat. Dans ce cadre le CNRS participe, aux côtés de la
DGES et de la DGRI, aux réunions dites de caractérisation des
établissements et est consulté sur le texte de stratégie scientifique présenté
par l’université.
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
143
Il est vraisemblable que le positionnement du CNRS sera variable
selon le champ disciplinaire et selon les universités concernées. Ainsi que le
suggère la Cour, le CNRS aurait toute sa place dans des secteurs nécessitant
une importante concentration de moyens (physique nucléaire, certains
domaines des sciences de l’univers, des sciences de la vie et des STIC). Dans
d’autres disciplines (sciences humaines et sociales par exemple), le rôle de
l’université serait renforcé, le CNRS accompagnant le dispositif davantage
dans une logique d’agence de moyens.
Les deux directions générales DGRI et DGES ont sur l’évolution des
rapports entre le CNRS et les universités une position commune et
harmonisée.
4) La préparation du plan stratégique et du contrat
Comme cela a été indiqué précédemment, le CNRS a déjà
partiellement pris en compte certaines des évolutions déjà signalées, mais la
mise au point du plan stratégique de l’organisme et la négociation du contrat
avec l’Etat doivent permettre au CNRS de prendre en compte les évolutions
progressives induites par les changements du paysage de la recherche. Il est
évident, par exemple, que toutes les universités ne progresseront pas au
même rythme dans leur capacité à définir une politique de recherche et
qu’une institution comme l’AERES n’a pas encore atteint « son rythme de
croisière ».
Le ministère partage les appréciations de la Cour sur le caractère
imparfait et inachevé du contrat d’objectifs de 2002 et de son exécution,
comme sur les inconvénients de l’instabilité de la gouvernance de
l’organisme. Il note cependant que la modification opérée lors de la refonte
des statuts du 12 février 2007 devrait donner une stabilité à la gouvernance
de l’organisme.
La version du plan stratégique préparée par le CNRS et disponible
début septembre avait déjà intégré bon nombre des évolutions du paysage de
la recherche. Cependant, comme le souligne la Cour des Comptes, ce
document stratégique n’a pas fait l’objet de concertations suffisantes. Même
si la préparation d’un plan stratégique relève avant tout d’un processus
d’élaboration interne à l’établissement, elle doit aussi reposer sur un
dialogue avec la tutelle ministérielle et avec les principaux partenaires de
l’organisme et notamment la sphère universitaire. Telles sont en tout cas les
recommandations que fait la direction générale de la recherche et de
l’innovation,
dans
le
« document
de
doctrine »
élaboré
sur
la
contractualisation des établissements de recherche. Par ailleurs, le plan
stratégique du CNRS a été élaboré pour l’essentiel avant l’élément nouveau
que représentent l’adoption de la loi du 10 août 2007 et les nouvelles
compétences des universités. Ces différents facteurs expliquent la demande
qui a été faite à l’organisme de reporter de quelques mois l’adoption de son
plan stratégique. Ce plan stratégique devra également intégrer les
144
COUR DES COMPTES
recommandations du groupe de travail sur le partenariat universités–
organismes de recherche dont l’animation a été confiée à l’ancien ministre
François d’Aubert. En tout état de cause le plan stratégique puis le contrat
d’établissement devront être conclus d’ici la fin 2008.
II - Une modernisation comptable et budgétaire à poursuivre
S’agissant de la modernisation budgétaire et comptable en cours au
CNRS, dont la Cour des Comptes note qu’elle va globalement dans le bon
sens, il convient de souligner qu’elle s’inscrit nécessairement, par son
ampleur et la diversité de ses modalités de mise en oeuvre, dans une
démarche pluriannuelle : l’année 2007 constitue ainsi la première année de
mise en oeuvre effective du nouveau cadre budgétaire défini en dernier lieu
par le décret n° 2005-1578 du 16 décembre 2005 et, concomitamment, la
première année de mise en service du nouveau système d’information
financier de l’établissement. C’est notamment sur la base d’un bilan détaillé
de la mise en oeuvre de ce nouveau cadre que le ministère souhaite conduire
avec l’établissement en 2008, et qui devra être étendu à l’ensemble des EPST
auquel le nouveau régime s’applique, que les modalités de traitement des
faiblesses identifiées par la Cour pourront être précisément définies. Elles
appellent cependant d’ores et déjà les observations suivantes.
1) L’amélioration de la lisibilité de la politique d’investissements de
l’organisme
A l’occasion de la mise en oeuvre de la LOLF, le choix a été fait de
verser à l’ensemble des organismes de recherche une subvention pour
charges de service public indifférenciée, couvrant l’intégralité des charges
de fonctionnement comme d’investissement de chaque établissement (étant
noté que s’agissant du CNRS ces charges correspondent à un nombre très
important d’opérations mais à une part très minoritaire du budget). Dans un
souci
de
globalisation
du
financement
des
établissements
et
de
responsabilisation de leurs dirigeants, le choix a été fait de confier à leur
conseil d’administration le soin de définir la ventilation de cette subvention
globale entre la part couvrant des charges de fonctionnement et la part
couvrant des charges d’investissement. Si le ministère ne souhaite pas
remettre en cause cette orientation de fond qui lui paraît garder sa
pertinence dans le cadre de la déclinaison au niveau des opérateurs de l’Etat
des principes de la LOLF, il partage avec la Cour des comptes le souci de
pouvoir disposer à travers la présentation du budget d’une lecture plus aisée
de la politique d’investissement des EPST et en particulier du CNRS et des
modalités de financement de celle-ci. Il n’est donc pas hostile à une
amélioration sur ce point du cadre défini par le décret n° 2002-252 du
22 février 2002, passant par exemple par la présentation, en annexe au
budget de dépenses de l’établissement, d’un compte de résultat prévisionnel,
d’un tableau de financement abrégé et d’un tableau de passage du résultat à
la capacité d’autofinancement.
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
145
2)
La réduction du niveau des reports
Le ministère partage les observations et demandes de la Cour tendant
à mieux identifier les différentes causes de report de crédit et à fiabiliser les
montants correspondants. Il est à souligner que le CNRS a modifié en 2007
les modalités de comptabilisation des financements que perçoivent les
laboratoires au titre des projets auxquels ils répondent. La prise en compte
de ces financements « à l’avancement » devrait être de nature à elle seule à
faire diminuer le montant des reports constatés d’un exercice sur l’autre.
3) l’affectation des crédits aux unités de recherche
Le ministère partage au plan technique le diagnostic de la Cour sur le
caractère imparfait de la solution qui a été retenue pour traiter le défaut de
couverture en crédits de paiement, évalué en 2006 à 240 M€, d’autorisations
d’engagement ouvertes au budget du CNRS et mises à disposition des
laboratoires au titre de leur fonctionnement, à l’occasion de la mise en
oeuvre du nouveau cadre budgétaire et comptable à compter du 1
er
janvier
2007. La résorption brutale de cet écart, qui résultait de très sévères
« abattements reports » décidés en 2002 et 2003, par annulation des AE non
couvertes au 1
er
janvier 2007 ce serait toutefois traduite par l’affichage
d’une importante réduction des moyens récurrents délégués aux laboratoires,
alors même que commençaient à être mis en oeuvre les engagements
budgétaires de la loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006 et
que montaient en charge les financements de l’Agence nationale pour la
recherche. Le choix a donc été fait d’un étalement dans le temps du
règlement de cette difficulté. Il convient de noter à ce sujet que le mécanisme
défini en 2006 a été effectivement mis en oeuvre en 2007, par la fixation d’un
plafond d’engagement compatible avec les capacités de paiements de
l’établissement, et qu’il continuera à l’être en 2008 par la fixation d’un
nouveau plafond d’engagement incluant un objectif de réduction de l’écart
entre AE et CP ; le niveau de cet objectif sera fixé notamment en fonction du
niveau des moyens d’engagements disponibles de l’établissement en 2008,
tous types de recettes confondus et compte tenu des crédits à reporter de
2007.
4) l’inscription des moyens dans une perspective pluriannuelle
Le contrat qui sera conclu avec l’établissement en 2008 s’inscrira
dans le cadre pluriannuel défini par la loi de programme pour la recherche,
qui avait par elle-même pour objet de donner aux établissements de
recherche une visibilité pluriannuelle d’ensemble sur l’évolution de leurs
moyens, qu’ils proviennent du budget général ou des agences de
financement. Il convient de souligner qu’en parallèle le ministère de la
recherche s’est attaché à garantir aux établissements, et particulièrement au
CNRS, la meilleure visibilité possible sur les moyens mis annuellement à leur
disposition, qui contribue à garantir la conduite dans des conditions
normales de travaux de recherche qui se déroulement par nature dans un
146
COUR DES COMPTES
cadre pluriannuel. C’est ainsi que le budget du CNRS a été exonéré de toute
régulation en 2004 et 2005, qu’il a connu un niveau d’annulation très limité
en 2006, n’affectant que des crédits de rémunération disponibles en fin de
gestion, et qu’il a pu bénéficier, comme les autres EPST, de modalités de
mise en oeuvre adaptées des mises en réserve de crédits décidées en
application de l’article 51 de la LOLF en 2007 et 2008 (réduction des
niveaux de mise en réserve par rapport aux normes définies transversalement
pour les opérateurs de l’Etat, libération d’une partie des crédits gelés en
2007).
III – Des modes de fonctionnement à adapter
1) La gestion et le pilotage des unités mixtes de recherche
Le ministère partage les constats de la Cour sur l’insuffisance des
systèmes d’information à différents niveaux : absence de cohérence entre les
systèmes d’informations du CNRS à l’échelon central et ceux existant au
niveau du laboratoire, systèmes d’informations différents entre les tutelles
d’une unité mixte de recherche, diversités de solutions entre les organismes
de recherche. Tout ceci explique, malgré des progrès réels, la relative
faiblesse des systèmes d’information en matière de recherche, avec les
inconvénients qui en résultent pour le pilotage. Cette amélioration des
systèmes d’information est un des chantiers importants que la DGRI a
entrepris. Les réflexions en cours sur la refonte du décret financier des
universités et des systèmes d’information financières et comptables intègrent
cette nécessité de connaissance des ressources consolidées des laboratoires
(rapport en cours d’élaboration de l’IGF et l’IGAENR de processus, dans
leur mission d’accompagnement de la mise en place de la loi du 10 août
2007).
Au-delà
de
la
question
des
systèmes
d’informations,
c’est
effectivement toutes les modalités de gestion des unités mixtes de recherche
qui doivent être réexaminées. Comme indiqué précédemment, ce système, qui
a été très bénéfique pour la recherche à l’université, est aussi source de
complexités de gestion et d’un trop grand émiettement des unités. D’où la
nécessité de revoir complètement le fonctionnement de ce système pour en
améliorer l’efficacité et favoriser l’action des directeurs de laboratoires.
C’est pourquoi il a été décidé de créer un groupe de travail associant, au
côté des directions du ministère, dirigeants des organismes de recherche et
présidents et secrétaires généraux d’université, groupe dont la présidence a
été confiée à l’ancien ministre délégué à la recherche François d’Aubert. Ce
groupe aura à aborder les sujets techniques identifiés par la Cour : système
d’information, harmonisation des régimes fiscaux des universités et des
organismes, place des directeurs de laboratoire dans la chaîne de
responsabilité des universités, rapprochement des règles de gestion des
personnels. Il devra étudier les conditions de réussite de procédures de
recours à l’opérateur de gestion ou à un système de caisse unique. Mais il
devra également aborder des questions plus stratégiques comme la
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
147
responsabilité de la politique de valorisation de la recherche, les
responsabilités en matière de pilotage scientifique de l’unité et d’une
manière plus générale les conditions d’un partenariat rénové entre
organismes de recherche et universités, pouvant tenir compte de la diversité
des situations. Les conclusions de ce groupe devraient être rendues pour le
premier trimestre 2008.
2) La gestion des personnels
Comme le remarque la Cour, des modifications se sont déjà produites
dans la politique de recrutement des chercheurs du CNRS. La montée en
charge de l’ANR et la mise en place par le ministère de contrats post-
doctoraux ont induit une augmentation sensible du poids des chercheurs non
titulaires dans l’organisme, lui donnant des possibilités accrues de
réorientation de son potentiel scientifique. Ces potentialités s’ajoutent à
celles qui sont exploitées, au bénéfice des STIC ou du développement
durable, dans ses campagnes annuelles de recrutement de chercheurs
titulaires.
S’agissant du rapprochement et de l’harmonisation des carrières des
chercheurs et des enseignants-chercheurs, il convient d’abord de rappeler
que même si le modèle anglo-saxon repose essentiellement sur les universités
pour mener des activités de recherche, des pays autres que la France, et non
des moindres (Allemagne et Pays-Bas notamment), connaissent également
une dualité chercheurs et enseignants-chercheurs.
L’harmonisation et le rapprochement des carrières des chercheurs et
des enseignants-chercheurs constituent toutefois un objectif du MESR. La loi
du 10 août 2007 comporte plusieurs dispositions allant dans ce sens :
possibilité
pour
les
chercheurs
d’être
élus
présidents
d’université,
participation des chercheurs et des ITA des organismes aux instances des
universités qui les hébergent, et surtout possibilité de moduler les services
des
enseignants-chercheurs.
Cette
mesure,
qui
devrait
concerner
prioritairement les jeunes enseignants-chercheurs les plus féconds en
recherche, pourrait permettre à ceux-ci de bénéficier de conditions de travail
comparables à celles dont ils bénéficieraient dans un organisme. C’est ce
rapprochement des conditions de travail et la multiplication des échanges qui
peuvent favoriser le sentiment d’appartenance à une même communauté. Le
renforcement d’universités aptes à définir une stratégie de recherche et
pouvant utiliser leurs nouvelles compétences en matière de gestion des
ressources humaines devraient logiquement aboutir à un fort volet de gestion
des ressources humaines dans ce contrat entre les établissements,
éventuellement regroupés dans un pôle de recherche et d’enseignement
supérieur
,
et les organismes de recherche. L’accueil d’enseignants-
chercheurs en délégation, le recrutement de chercheurs dans les universités
et la participation des chercheurs à l’enseignement, pourraient être traités
dans ce cadre contractuel.
148
COUR DES COMPTES
Il conviendrait par ailleurs de renforcer les incitations à la mobilité et
de mieux organiser les passerelles, afin que les chargés de recherche
puissent aussi bien évoluer en directeurs de recherche qu’en professeurs des
universités. Plus généralement, il serait souhaitable que le recrutement des
directeurs de recherche et des professeurs d’université devienne un vrai
concours externe ouvert aux chargés de recherche et aux maîtres de
conférences.
RÉPONSE DU MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS
ET DE LA FONCTION PUBLIQUE
Je tiens à saluer la qualité de ce rapport, dont je partage largement
les constats et les recommandations. Je relèverai pour ma part quatre points
particuliers.
D’abord, sur la nécessaire évolution des missions de l’établissement,
je rejoins pleinement les préoccupations de la Cour. A ce titre, les
conclusions de la mission d’audit chargée de la revue générale des politiques
publiques en matière de recherche et d’enseignement supérieur mais aussi
les résultats de missions plus ponctuelles comme celle de M. François
d’Aubert sur les partenariats entre universités et organismes de recherche
nous apporteront des éléments stratégiques et opérationnels essentiels pour
clarifier le devenir du CNRS dans le nouveau paysage de la recherche. En
tout état de cause, et comme l’indique la Cour, toute évolution du CNRS
devra viser à limiter les redondances entre structures et à dégager des
synergies. A titre d’illustration, la création de l’Agence de l’Evaluation de la
Recherche et de l’Enseignement Supérieur devrait conduire à revoir en
profondeur le rôle du comité national de la recherche scientifique, organisme
placé auprès du CNRS et chargé de l’évaluation des chercheurs et des
équipes de recherche.
Enfin, mes services veilleront à encourager l’établissement à
poursuivre la modernisation qu’il a engagée sur les plans budgétaire et
comptable. Déjà, concernant le cas particulier de l’investissement, la
circulaire de la direction du Budget relative à la préparation des budgets
2008 des opérateurs de l’Etat prévoit expressément la présentation d’un
tableau de financement comme le recommande la Cour. S’agissant des
reports, l’établissement s’est engagé à déléguer plus rapidement ses crédits
aux unités de recherche afin que les dépenses puissent être exécutées plus
rapidement dans l’année. Sur le rythme d’apurement de l’écart entre les
autorisations de programme (AP) et les crédits de paiements (CP), la
direction du Budget a soutenu les propositions suggérées par la Cour. Ainsi,
les reports de crédits de l’exercice 2006 sur l’exercice 2007 ont été soumis à
conditions : annulation en fin d’année de 25 M€ d’AP non utilisées et
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
149
présentation d’un plan pluriannuel d’apurement du décalage entre les AP et
les CP, notamment.
En revanche, l’analyse de la Cour sur l’évolution de la subvention
allouée à l’établissement, qui aurait connu des « à coups très sensibles » doit
être nuancée. Il convient de souligner que l’examen des comptes de résultat
du CNRS démontre une croissance continue de ses dépenses, ce qui implique
que les variations de la subvention n’ont pas pesé sur l’activité de
l’établissement. En outre, les nouvelles règles issues de la LOLF encadrent
désormais les mécanismes de mise en réserve de crédits et donnent ainsi
davantage de visibilité aux établissements sur les moyens dont ils disposent.
Concernant l’élaboration d’un contrat d’objectifs avec l’Etat, l’intérêt
d’un tel dispositif dans le cadre de la recherche n’est pas contestable.
Cependant, un contrat d’objectifs et de moyens ne saurait être efficace
qu’assorti d’objectifs stratégiques clairs et stables dans le temps. Une
réforme des structures de l’établissement apparaît ainsi comme un préalable
à une contractualisation portant sur tout ou partie des moyens. La Cour a
démontré que ces conditions ne sont pas encore réunies aujourd’hui.
L’absence de contrat pluriannuel de moyens ne constitue pas un préalable à
cet égard.
Enfin, la mise en oeuvre des recommandations de la Cour sur la
définition plus claire des responsabilités au sein de l’établissement et le
développement d’outils de pilotage plus fiables sont à encourager. Mes
services sont naturellement disposés à apporter leur concours à ce travail.
RÉPONSE DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CENTRE NATIONAL
DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE (CNRS)
La Cour met en évidence trois majeurs que l’on retrouve, dans un
ordre différent, dans les conclusions et recommandations de son rapport :
1)
la clarification nécessaire du rôle du CNRS dans le nouveau
paysage, en particulier des universités,
2)
les modes de fonctionnement de l’établissement qui sont appelés à
évoluer pour se mettre en cohérence avec son environnement,
3)
la modernisation engagée sur le plan comptable et budgétaire.
150
COUR DES COMPTES
Rôle du CNRS et nouveaux modes de fonctionnement
Il n’appartient pas à l’établissement de commenter les observations
de la Cour sur l’instabilité de sa gouvernance ; mais il revient à
l’établissement d’observer que son efficience, telle qu’elle peut être mesurée
par la qualité de ses travaux de recherche et par leur valorisation, a pu être
néanmoins maintenue et même renforcée. Ainsi, dans la période sous revue :
-
la part des publications des laboratoires du CNRS est passée de
10,5 % en 2003 à 12,2 % du total des publications scientifiques de
l’espace européen de la recherche en 2006,
-
le CNRS est le 1
er
organisme européen bénéficiaire des aides du
6
ème
PCRD,
-
le CNRS a été systématiquement dans les 10 premiers déposants
de brevets français,
-
- en moyenne, 30 start-up ont été créées par an issues de ses
laboratoires,
-
l’internationalisation de ses activités s’est accrue avec un quart
des chercheurs désormais recrutés à l’étranger et plus de la
moitié des publications scientifiques qui sont désormais co-
signées avec des laboratoires étrangers.
De même, la priorité décidée il y a bientôt sept ans sur les sciences et
technologies de l’information et de la communication (STIC), ainsi que sur
les sciences du vivant (SDV), ont été maintenues depuis cette date. Elle se
traduit par un niveau de recrutement élevé de chercheurs pour les STIC et,
pour SDV, par un niveau toujours élevé de dotation annuelle par chercheur
et un niveau élevé de recrutements d’ingénieurs et techniciens.
La question de l’articulation de l’action du CNRS avec celle des
universités est bien, aujourd’hui, un aspect essentiel de la stratégie du centre.
A cet égard, son rôle, son rôle, tel qu’il est défini dans son projet de plan
stratégique « horizon 2020 », a fait l’objet de débats au sein de son conseil
d’administration, dans lequel la conférence des présidents d’universités est
représentée, et du groupe de travail sur le plan stratégique qui en émane.
Selon ce projet, le CNRS considère qu’à l’instar des principaux acteurs de la
recherche dans le monde, il doit exercer à la fois une fonction d’opérateur de
recherche, travaillant en interaction permanente avec les universités, et celle
d’agence de moyens, favorisant la mise en cohérence du système national de
recherche.
Cette mission ne saurait toutefois se limiter, comme le suggère la
Cour, à certains secteurs des « sciences dures », pas plus qu’elle ne saurait
se limiter à une allocation de dotation globale aux universités qui ne soit pas
fléchée vers les projets, les équipes, les laboratoires et les plateformes
mutualisées.
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
151
L’étude de nouvelles modalités du partenariat entre les universités et
les EPST (gestion des unités mixtes, affectation de moyens, articulation des
modes de recrutement au sein des unités mixtes, etc.) a été confiée par le
gouvernement à un comité placé sous la présidence de M. d’Aubert, auquel le
CNRS apportera toute sa contribution.
A terme, certains nouveaux modes de fonctionnement pourraient
induire une évolution de l’organisation du CNRS, en particulier son
articulation entre le pilotage scientifique national et la gestion de proximité.
La modernisation comptable et budgétaire
La Cour note que le CNRS s’est engagé « dans un important chantier
de modernisation » de ses outils comptables et budgétaires, tout en
soulignant le chemin qui reste à parcourir en matière d’inventaire du
patrimoine, de recensement des risques et de rattachement des charges et
produits à l’exercice pertinent. L’établissement est conscient de ces
insuffisances, et il y remédie. Un travail d’assainissement de la base
comptable de gestion des immobilisations incorporelles a été conduit, et les
dépenses correspondantes sont désormais intégrées à l’actif du bilan.
Parallèlement, une mise à jour des immobilisations corporelles inventoriées
a été effectuée, ainsi qu’une mise à jour des immobilisations corporelles
inventoriées a été effectuée, ainsi qu’une modification des méthodes de
comptabilisation
permettant
une
appréciation
plus
fine
des
durées
d’immobilisation et la mise en oeuvre du critère de contrôle des biens.
Un
recensement
des
risques
(juridiques,
industriels
et
environnementaux, créances irrécouvrables) a été effectué et s’est traduit par
une dotation aux provisions au bilan 2007 et au projet de budget primitif
2008. Enfin, un meilleur rattachement des charges et produits à l’exercice
pertinent est assuré d’une part par une comptabilisation exhaustive des
charges dès le constat du service fait dans le système d’information, d’autre
part par une inscription systématique de produits à recevoir ou de produits
comptabilisés d’avance en matière de recettes contractuelles depuis 2007.
Tout en considérant que l’adoption par le CNRS d’un nouveau cadre
budgétaire en 2007 remédie à l’essentiel des défauts constatés en matière de
lisibilité budgétaire, la Cour identifie trois faiblesses relatives au niveau des
reports, à la lisibilité de la politique d’investissement et à l’écart persistant
entre autorisations de programme et crédits de paiement.
Soucieux d’améliorer le taux de consommation de ses crédits,
l’établissement a pris un ensemble de mesures, différenciées en fonction de la
nature du financement. Concernant les dépenses financées par la subvention
pour charges de service public, une modification du calendrier de
notification des crédits, jointe à une annualisation stricte des moyens alloués
et à la dénotification en fin d’exercice des crédits non engagés par les
structures opérationnelles, devra conduire dès la fin de gestion 2007 à une
consommation satisfaisante des crédits ouverts ; un résultat analogue devrait
152
COUR DES COMPTES
être obtenu, de manière plus progressive, dans l’utilisation des autres
financement
(pour
l’essentiel
obtenus
sur
contrats
et
subventions
pluriannuels)
en
alignant
le
montant
des
recettes
comptabilisées
annuellement sur le niveau d’exécution de ces contrats et en systématisant,
comme il a été indiqué, les inscriptions de charges à payer et de produits
comptabilisés d’avance.
En matière d’investissement, la Cour suggère que le CNRS présente
un tableau de financement prévisionnel global lors du budget primitif. Le
CNRS présente déjà au conseil d’administration sa politique d’investissement
en détaillant dans ses documents budgétaires cinq types d’investissements :
les
investissements
immobiliers
et
informatiques,
les
très
grandes
infrastructures de recherche, les équipements nationaux (flotte de l’INSU,
etc.), les équipements mi-lourds (d’un coût supérieur à 130 000 €). La seule
information manquante est le montant des achats d’équipements réalisés par
les laboratoires dans leur dotation globale.
Prédéterminer ce montant conduirait à une rigidification de la gestion
des laboratoires contraire aux besoins de réactivité de la science. Par
ailleurs, une simple information statistique n’aurait que peu de signification
politique
s’agissant
principalement
de
petits
équipements
(seuil
d’immobilisation à 800 €).
La résorption de l’écart résiduel entre autorisations de programme et
crédits de paiement dans la comptabilité budgétaire du CNRS a fait l’objet
d’un accord entre celui-ci et ses tutelles aux termes duquel l’établissement
devra annuler chaque année 12 M€ de crédits libres d’emploi au minimum.
Cet accord, qui laisse au CNRS la totalité de la charge d’apurement, limite
très sensiblement
ses marges de redéploiement de crédits ; aussi
l’accélération à laquelle l’invite la Cour ne saurait être envisagée sans
l’octroi de moyens spécifiques.
LE CNRS partage les conclusions formulées par la Cour au terme de
ses observations sur le budget de l’établissement : la conclusion d’un contrat
d’objectifs et de moyens ne pourrait qu’améliorer la lisibilité de la stratégie
du centre et faciliter sa mise en oeuvre dans les unités de recherche, elles-
mêmes en attente d’indications sur leur perspectives financières à moyen
terme.
Analysant l’organisation du centre et les instruments de pilotage dont
il dispose, la Cour souligne la nécessité d’étendre la rénovation du système
d’information engagée en 2007 au logiciel des laboratoires, en cohérence
avec les applications de gestion utilisées par ses partenaires dans les unités
mixtes. Telle est bien l’intention du CNRS. Cependant, le travail sur l’outil
informatique doit être précédé d’un identification commune des besoins
fonctionnels des directeurs des laboratoires puis d’une convergence des
règles de gestion.
LE ROLE ET LA STRATÉGIE DU CNRS
153
Le CNRS souhaite enfin apporter une précision et un commentaire en
réponse aux observations qui lui sont faites sur la gestion de ses personnels.
S’il rejoint pleinement la Cour dans sa recommandation d’une stratégie de
moyen terme mettant en cohérence l’évolution du potentiel de recherche et
les priorités scientifiques affichées, il précise qu’une telle programmation à
horizon 2012 a d’ores et déjà été établie par l’organisme.
Evaluation et Interdisciplinarité
L’évaluation tient une place centrale au CNRS ; elle est, pour son
activité scientifique, une pratique systématique qui tend à s’étendre à
l’ensemble de son activité avec la création en 2007 d’une direction de l’audit
interne ; les observations de la Cour sur le rôle et la stratégie du CNRS
prennent toute leur place dans ce contexte.
En matière d’évaluation scientifique, le CNRS souhaite préciser que le
coût de fonctionnement du comité national recouvre, pour 70 % de son
montant, le coût des personnels affectés au secrétariat général du comité
national (1 M€) et surtout le temps passé en réunions et préparation par les
membres du comité (6,2 M€) avant tout pour assurer le recrutement des
chercheurs à travers les jurys d’admissibilité et l’évaluation périodique des
chercheurs. L’évaluation des unités de recherche relevant désormais de
l’AERES, le CNRS, en tant que client de l’Agence, sera attentif à la
conformité des évaluations de l’Agence aux standards internationaux : débat
contradictoire,
composition
internationale
des
comités
d’évaluation,
transparence des conclusions…
Le développement de l’interdisciplinarité, priorité constante du
centre, doit, selon le rapport, s’appuyer sur le recrutement de chercheurs à
profil interdisciplinaire. Le CNRS s’interroge sur l’existence de tels profils,
privilégiant pour sa part la mise en synergie de chercheurs de disciplines
différentes autour d’objets de recherche transverses.
Les universités des villes nouvelles
franciliennes : bilan et perspectives
_____________________
PRESENTATION
____________________
Le système éducatif français a connu à partir de 1960 une
croissance soutenue de ses effectifs ; c’est dans l’enseignement supérieur
que le phénomène s’est manifesté le plus fortement avec une
multiplication par sept de sa population qui croit de 310 000 à 2 100 000
étudiants jusqu’en 1995, année record. La progression la plus forte est
constatée au cours de la décennie 80 ; à partir de 1988, 100 000
étudiants supplémentaires s’inscrivent chaque année. La pression exercée
sur les établissements nés de l’éclatement de l’université de Paris devient
particulièrement préoccupante.
C’est dans ce contexte et dans le cadre du schéma d’aménagement
et de développement des établissements d’enseignement supérieur dit
« Université 2000 » que les décrets du 22 juillet 1991 créent, en Ile de
France, les quatre universités nouvelles de Cergy-Pontoise, Evry Val
d’Essonne, Marne la Vallée et Versailles Saint-Quentin en Yvelines avec
pour double objectif, de répondre à l’accroissement massif du nombre
d’étudiants et de favoriser la diminution des effectifs des universités de
Paris Centre. La décision d’implanter ces établissements dans des villes
nouvelles
s’inscrit
également,
de
facto,
dans
une
ambition
d’aménagement du territoire.
Seize ans après leur création, ces quatre universités présentent, à
côté de caractéristiques communes, des situations contrastées qui
attestent de stratégies de
développement distinctes. Etablissements de
taille moyenne et de proximité, elles poursuivent leur croissance et
proposent une gamme d’enseignements qui couvre l’ensemble des
niveaux
de
formation,
avec
un
accent
particulier
sur
la
professionnalisation des diplômes. Pour autant, au-delà de ces points de
convergence, elles ne constituent pas une catégorie homogène, cultivent
156
COUR DES COMPTES
leurs spécificités et sont aussi le miroir de difficultés rencontrées dans les
autres universités françaises. Il en résulte que si l’objectif commun a été
atteint, avec des universités qui occupent toute leur place dans l’offre de
formation francilienne, leurs perspectives d’avenir sont liées à leur
capacité respective à remplir les conditions d’une autonomie renforcée et
à s’intégrer dans les nouveaux pôles de recherche et d’enseignement
supérieur qui préfigurent la carte universitaire de demain.
L’Etat qui, dans le passé, n’a pas suffisamment tenu compte des
besoins de ces jeunes universités, doit les accompagner dans cette
nouvelle étape de leur développement.
I
-
Des universités qui ont répondu à un triple défi
A - Le défi du nombre
1 -
Des universités en développement continu
Adopté par le comité interministériel d’aménagement du territoire
(CIAT) du 29 janvier 1992, le « schéma Université 2 000 » retenait
comme objectifs, pour les universités nouvelles d’Ile de France, « une
capacité
d’accueil
de
20 000
étudiants
en
l’an
2000 »
et
un
« desserrement » d’au moins 50 000 inscrits dans les universités du centre
de Paris. Toutefois, dès la signature du contrat de plan Etat-Région
(CPER) francilien 1994-1999, l’objectif était révisé à 10 000 étudiants par
établissement.
Sur un total de 362 661 étudiants pour l’ensemble de la région, leur
effectif global s’élève, à la rentrée 2005-2006, soit quatorze ans après leur
création, à 47 681 étudiants (13,1 %), à comparer aux 189 412 étudiants
(52,2 %) des universités du centre de Paris
et aux 125 568 étudiants
(34,6 %) des autres universités franciliennes
46
. Avec chacune plus de
10 000 étudiants, elles ont donc atteint l’objectif fixé et constituent des
établissements de taille moyenne
47
. De 1997 à 2005, alors que l’effectif
francilien recensé par le ministère progressait de 1,8 %, les inscrits dans
les universités des villes nouvelles ont augmenté de 35,3 %.
46) Paris 8 (Vincenne-Saint-Denis), 10 (Nanterre), 11(Orsay), 12 (Créteil) et 13
(Villetaneuse).
47) 10 153 à Evry Val d’Essonne ; 11 018 à Marne la Vallée ; 11 745 à Cergy-
Pontoise ; 14 765 à Versailles Saint-Quentin en Yvelines (dont 2003 dans l’UFR de
médecine détachée de Paris 5 en 2001-2002).
LES UNIVERSITÉS DES VILLES NOUVELLES FRANCILIENNES
157
2 -
Des étudiants aux profils très contrastés
Ces universités accueillent des étudiants d’origines sociales
diverses. Sur l’ensemble de la région, de 1997 à 2005, les étudiants
« d’origine favorisée »
48
baissent de près de 11 000, alors que ceux
d’origine « défavorisée »
49
progressent de 17 000, leur part dans les
effectifs étudiants augmentant de plus de 4 points – de 12,2 % à 16,6 %.
Ces quatre universités accueillent, en 2005, 17,3 % des étudiants
franciliens d’origine défavorisée contre 12,7 % en 1997
50
. Cette évolution
est corroborée par la proportion des étudiants boursiers qui passe de
14,5 % à 24 % dans ces établissements
51
.
B - Le défi de la proximité
Conformément aux objectifs fixés par le conseil des ministres du
7 mai 1991, le schéma « Université 2000 » s’appuie sur un partenariat
fort entre l’Etat et les collectivités territoriales. Le financement de
l’investissement alloué aux universités des villes nouvelles franciliennes,
de 1991 à 1995, représente un effort de 610 M€, dont 300 M€ à la charge
de l’Etat.
De 1995 à 2006, les deux contrats de plan Etat-Région (CPER)
engagent 485 M€ en faveur de ces universités, dont 228,6 M€ à la charge
des collectivités territoriales, avec pour priorités Cergy Pontoise
(153 M€) et Versailles Saint-Quentin en Yvelines (125 M€). Le CPER
2007-2013, lui, marque une rupture en faveur de Marne la Vallée (80 M€)
et de Evry Val d’Essonne (51 M€), devant Versailles Saint-Quentin en
Yvelines (38 M€) et Cergy Pontoise (23 M€).
Créées dans les villes nouvelles pour répondre à l’accroissement
démographique des académies de Créteil et de Versailles, ces universités
se sont développées au-delà des limites de leur territoire initial, en
fonction de leur histoire, de leur bassin géographique de recrutement et
du soutien financier des collectivités territoriales qui a joué un rôle
déterminant dans la réussite de leur insertion territoriale.
48) Catégorie retenue dans les statistiques du ministère de l’éducation nationale
49) id
50) On observe en effet un triplement à Versailles, un doublement à Evry, une
augmentation de 47 % à Cergy et de 38 % à Marne la Vallée.
51) 14,5 % à Versailles Saint-Quentin pour 21 à 24 % dans les trois autres universités.
La part de leurs boursiers progresse surtout dans la période récente : plus 3 à 4 points
de 2003 à 2005.
158
COUR DES COMPTES
Evry Val d’Essonne, compte tenu de la densité de population de
son bassin de recrutement géographique (5000 habitants au km²), est sans
doute l’université la plus centrée sur la ville nouvelle car elle recrute un
tiers de ses étudiants dans l’agglomération d’Evry et ses communes
limitrophes alors que 65% d’entre eux résident dans l’Essonne. Mal
centrée sur le département de l’Essonne, à l’écart des grands axes de
communication du département et aux confins de la Seine et Marne et du
Val de Marne, cette université pâtit de sa localisation et est, par ailleurs,
confrontée à la forte présence de Paris 11 sur le même département.
Malgré le soutien financier affiché dès l’origine par les collectivités
locales, elle peine à trouver sa place dans le paysage universitaire
francilien, en raison des incertitudes qui ont affecté ses orientations en
matière de recherche, passées des sciences dures aux sciences du vivant et
à la génomique, et des retards pris par les programmes de construction.
Marne la Vallée est parvenue à s’imposer à des collectivités locales
au départ réservées, dans un périmètre qui couvre les trois départements
voisins dont sont issus près de 80 % de ses étudiants : Seine et Marne
(44 %), Seine Saint Denis (20 %), Val de Marne (13 %). Le choix d’une
stratégie de développement privilégiant la recherche et le troisième cycle,
pour descendre progressivement vers le deuxième et le premier cycle,
explique en partie les difficultés initiales de recrutement, puis la très forte
croissance moyenne (+ 9,5 %) enregistrée de 1999 à 2003.
Le manque de soutien des collectivités locales (5 M€ dans le seul
CPER 1994-1999), ajouté au « décollage » tardif des effectifs, a pénalisé
un établissement marqué par des retards dans la réalisation de ses
constructions et des carences en matière d’équipement de vie étudiante,
particulièrement
pour
l’hébergement.
En
dépit
de
sa
continuité
géographique, le site de Champs sur Marne de l’université ne forme pas
encore le vrai campus qu’elle souhaite achever avant de s’implanter plus
à l’est sur le site de Val d’Europe.
A Cergy Pontoise qui, tous cursus confondus, recrute la moitié de
ses étudiants dans le Val d’Oise, le soutien des collectivités territoriales -
qui n’ont pas hésité à prendre majoritairement en charge le financement
des constructions nouvelles - s’est inscrit dans un cadre maîtrisé, avec une
coordination de tous les acteurs, sous l’égide du préfet du Val d’Oise et
du recteur de l’académie. Cette caractéristique, présente dès le départ, a
profondément marqué un mode de développement structuré qui s’appuie
sur
l’environnement
socio-économique
et
un
large
consensus
universitaire.
LES UNIVERSITÉS DES VILLES NOUVELLES FRANCILIENNES
159
Les collectivités territoriales ont organisé leur intervention dans le
cadre de stratégies claires et complémentaires : au département et aux
communes, le financement des trois principaux sites de l’université au
centre de la communauté d’agglomération ; à la région, le développement
des antennes délocalisées de l’IUT à Sarcelles et à Argenteuil, dans l’est
du département et, depuis deux ans, le financement des futures
installations dédiées à la recherche. Sans former un véritable campus,
l’université dispose de bâtiments regroupés autour du siège, ou à
proximité immédiate par le RER, à l’exception des deux antennes de
l’IUT.
Versailles Saint-Quentin en Yvelines est, en revanche, fortement
marquée par le choix initial d’une implantation simultanée sur deux
territoires, celui de la ville nouvelle - dévolu à l’antenne de sciences
sociales de
Paris 10 - et celui de Versailles pour l’UFR de sciences de
Paris 6. Bénéficiant d’un large soutien des collectivités locales,
l’université a opté pour des opérations couvrant l’ensemble du
département avec les deux IUT de Mantes-en-Yvelines et de Velizy, et
son antenne de Rambouillet. Elle a récemment transféré et agrandi son
siège de Versailles, avec le soutien financier du conseil général, avant
d’implanter les nouveaux bâtiments de l’UFR de médecine sur le site de
la ville nouvelle.
Elle apparaît ainsi comme l’université des Yvelines mais
l’éparpillement de ses sites y rend la cohésion universitaire plus difficile à
organiser, y compris au sein d’une même UFR (en sciences et en
médecine) entre ses locaux de formation et ses laboratoires, en dépit des
efforts déployés par la présidence de l’établissement pour structurer
chaque site autour d’un pôle thématique.
Si la construction de ces quatre universités a bien fait l’objet d’une
programmation financière sur la base du principe de cofinancement avec
les collectivités territoriales, elle n’a en revanche pas été inscrite dans le
cadre de schémas directeurs d’urbanisme universitaire. Dans ces
conditions, ces établissements ne correspondent pas au modèle du campus
« intégré » que leurs modalités d’implantation dans des villes nouvelles
auraient pu favoriser. Les conséquences en sont particulièrement
regrettables pour la vie étudiante (logements, bibliothèques et restaurants
universitaires).
160
COUR DES COMPTES
C - Le défi de la professionnalisation
Les universités des villes nouvelles ont choisi de développer des
formations professionnalisées et d’assumer la stratégie de différenciation
qui en résultait, tout en veillant à équilibrer l’ensemble de la carte des
formations.
1 -
Un choix pédagogique lié au bassin d’emploi
La professionnalisation de l’offre de formation de ces universités a
été souhaitée dès le départ, car le plan « Université 2000 » incluait
l’objectif de «
créer au moins quarante départements d’IUT dans les
banlieues pour compenser une insuffisance flagrante de l’offre en région
parisienne et pour répondre aux besoins d’un bassin d’emploi dense
».
De 1997 à 2005, les étudiants inscrits dans les IUT des quatre universités
sont
ainsi passés de 4 403 à 6 095, soit une progression de 40% en huit
ans.
Le succès de cette orientation pédagogique s’est amplifié si l’on
considère la population de tous les instituts ou diplômes professionnels.
Sur la base de l’enquête annuelle du ministère, plus de 30 % des effectifs
émargent ainsi à cette filière en 2005 : 30% à Cergy Pontoise, 32 % à
Evry Val d’Essonne et 27 % à Versailles Saint Quentin en Yvelines, hors
santé (40 % avec l’UFR de médecine). A Marne la Vallée, 36 % des
étudiants sont inscrits dans les sept instituts professionnels ou
technologiques.
L’accent mis sur les formations professionnelles n’est pas
spécifique à ces universités, mais l’accélération du phénomène y est plus
marquée ainsi que le montre la progression des effectifs de la licence
professionnelle. Créée à la rentrée 2000, cette licence a rencontré un vif
succès et ses effectifs passent de 646 en 2000 à 5 711 en 2005 pour
l’ensemble de la région Ile de France. Or les universités des villes
nouvelles qui développent actuellement cette formation au rythme
d’environ trois nouvelles licences par an hébergent, à elles seules, 2 453
étudiants, soit 43 % du total francilien
52
.
52) Marne la Vallée (794), Cergy Pontoise (619), Versailles Saint-Quentin en
Yvelines (534), Evry Val d’Essonne (506).
LES UNIVERSITÉS DES VILLES NOUVELLES FRANCILIENNES
161
Ces établissements dispensent en outre, avec succès, des
formations par l’apprentissage pour lesquelles Marne la Vallée et Evry
Val d’Essonne (plus de 10 % de leurs étudiants) occupent les deux
premières positions en France. Versailles Saint Quentin en Yvelines a
créé son propre centre de formation des apprentis (CFA) en 2006.
Ils rencontrent, en revanche, plus de difficultés pour trouver leur
place dans l’offre régionale de formation continue où les IUT jouent un
rôle essentiel. A Cergy, l’IUT, de création relativement récente, peine à
s’investir sur cette activité dont le chiffre d’affaire ne dépasse guère
300 000 euros ; la situation est à peine meilleure à Marne La Vallée
(700 000 € en 2005). Les recettes atteignent 1,4 M€ à Evry Val d’Essonne
qui a inscrit le développement de la formation tout au long de la vie dans
ses objectifs quadriennaux. Dans ce domaine, Versailles Saint-Quentin en
Yvelines a enregistré de réels succès avec des recettes de 1,6 M€ en 2005.
Comme dans la plupart des universités
53
, cette activité très concurrentielle
demeure insuffisamment
encadrée et identifiée ; elle
nécessite un
meilleur pilotage par l’université.
Lors du basculement dans le schéma LMD, chacune de ces
universités a révisé son offre de formation qui a suivi la tendance
générale à l’augmentation. L’équilibre entre professionnalisation et
maîtrise de l’offre apparaît désormais comme un enjeu important pour
l’avenir, compte tenu de l’exigence de maîtrise des coûts et de
rationalisation de la carte des formations. Cette exigence devra constituer
une dimension essentielle de la négociation des contrats quadriennaux
dans le calibrage des formations et les décisions, par le ministère, de
renouvellement ou
non des habilitations.
2 -
Une proportion élevée d’étudiants en 1
er
et 2
ème
cycles
Conséquence de leur orientation stratégique, ces universités
présentent une population étudiante
répartie de façon pyramidale entre
les trois cycles. Cette structure tranche avec celle de type plus cylindrique
des universités du centre de Paris.
La proportion des effectifs de 1
er
cycle de ces universités (49,3 %),
plus forte que celle des autres franciliennes (43,5 %) ou de l’intra muros
(36,8 %), les caractérise comme des établissements de proximité.
Démontrant leur réelle attractivité, le nombre des inscrits en 2
ème
cycle a
progressé de 65 % depuis 1997, alors qu’il diminuait de 13 % au centre
de Paris et de 2 % dans les autres franciliennes ; il représente environ un
53) Voir la communication de la Cour des comptes à l’Assemblée nationale de
novembre 2006 relative à «
La formation continue dans les universités »
.
162
COUR DES COMPTES
tiers des étudiants dans les trois catégories. C’est dans le troisième cycle
que ces quatre universités conservent un déficit important
54
, malgré le
triplement de leurs effectifs qui augmente de 2 413 à 7 195.
Part en % de chaque cycle
55
Année 2005-2006
Total
1
er
2
ème
3
ème
Hors
cycle
Universités parisiennes
189 412
36,8 %
32,9 %
28,7 %
1,5 %
Universités extra muros
173 249
45,1 %
35,3 %
18,4 %
1,2 %
Dont « villes nouvelles »
47 681
49,3 %
35,2 %
15,1 %
0,4 %
Dont autres franciliennes
125 568
43,5 %
35,3 %
19,6 %
1,5 %
Total
362 661
40,8 %
34,0 %
23,8 %
1,4 %
Au total, même si l’objectif de desserrement de 50 000 étudiants de
Paris centre n’a pas été atteint,
les universités des villes nouvelles ont
toutefois apporté une réelle contribution au rééquilibrage global des
populations étudiantes de la région Ile de France.
3 -
L’évaluation des résultats
Dans ce domaine, les quatre universités font figure de précurseurs,
et particulièrement Marne la Vallée avec son « observatoire des
formations, des insertions professionnelles et des évaluations » (OFIPE).
Trois éléments en témoignent.
L’articulation avec les lycées constitue le premier facteur
déterminant de la réussite de l’enseignement supérieur. Regrettant
l’insuffisance d’information sur les choix des promotions de bacheliers de
leurs ressorts, ces universités ont choisi d’institutionnaliser leurs relations
avec les proviseurs (par exemple en les intégrant dans les conseils des
études et de la vie étudiante) et soulignent l’importance de la pré-
orientation pour lutter contre l’évasion massive des inscrits en première
année. Cet effort doit être encouragé.
En dépit des limites méthodologiques actuelles (procédures
d’appréciation pédagogiques différentes, contenus des formations et des
conditions d’examen hétérogènes..) qui empêchent toute comparaison
directe des résultats lorsqu’ils sont (trop rarement) publiés, la publication
de statistiques de réussite est une nécessité et des outils de mesure
54) On note cependant une différence entre Marne la Vallée (17,6 %) et Versailles
Saint-Quentin en Yvelines (18,2 %) d’une part, Evry Val d’Essonne (13,3 %) et
Cergy Pontoise (10,3 %) d’autre part.
55) Cycles en vigueur avant la réforme LMD.
LES UNIVERSITÉS DES VILLES NOUVELLES FRANCILIENNES
163
homogénéisés doivent être élaborés. Ceux qu’utilise Marne la Vallée
constituent d’ores et déjà des supports d’évaluation et de pilotage interne
pour les composantes. Cette conviction est partagée par le ministère qui
affirme que ces universités donnent à leurs étudiants une vraie chance de
réussite, en comparaison notamment des établissements du centre de
Paris.
Le suivi de l’insertion professionnelle représente, enfin, la pierre
angulaire de la nouvelle approche initiée par ces établissements. Les
publications de l’OFIPE, de Cergy Pontoise et de Versailles Saint-
Quentin en Yvelines analysent la situation des étudiants 18 mois après
l’obtention de leurs diplômes. Leur taux d’insertion moyen est de 75 % à
80 % en « licence pro », dont 20 % sur des emplois de cadres ; le taux
d’actifs atteint 80 %, dont 75 % de cadres, pour les masters délivrés en
2005 à Marne la Vallée où le taux de chômage moyen a diminué de 17 à
9 % en 3 ans. Des résultats comparables sont observés à Versailles et à
Cergy Pontoise.
Le résultat obtenu est éloquent. Ces universités ont su devenir
attractives au-delà de leurs territoires : Cergy Pontoise accueille dans ses
licences professionnelles 47 % d’étudiants originaires de l’ouest et du
nord ouest de la France ; Marne la Vallée enregistre 90 % d’étudiants
extérieurs en licence professionnelle et 40 % dans ses masters. Evry Val
d’Essonne réalise des performances comparables.
II
-
Les nouveaux enjeux
Seize ans après leur création, les universités des villes nouvelles
forment, dans la région Ile-de-France, un ensemble original qui a su
relever des défis d’envergure. Elles vont devoir désormais, d’une part,
assumer les nouvelles compétences et responsabilités confiées aux
universités par la loi n°2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et
responsabilités des universités et, d’autre part, approfondir et parachever
leur
démarche
de
regroupement
avec
d’autres
établissements
d’enseignement supérieur et de recherche, dans le cadre des formules
offertes par la loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006.
A - Les conditions d’une
autonomie renforcée
La loi du 10 août 2007 prévoit, après l’adoption de nouvelles
règles de gouvernance, d’élargir dans un
cadre contractuel renforcé et
dans un délai maximum de cinq ans, les responsabilités et les
compétences des universités en matière budgétaire et de gestion des
164
COUR DES COMPTES
ressources humaines ; elle leur offre également la possibilité d’opter pour
l’exercice d’une pleine autonomie patrimoniale. Face à ces différentes
perspectives,
la situation des
quatre universités apparaît contrastée pour
le passage à une autonomie renforcée.
1 -
La gouvernance
Bâties sur un régime d’organisation interne dérogatoire mis en place
par les décrets de 1991 et influencées par la préexistence ou non, au
moment de leur création, de composantes issues d’universités du centre de
Paris, ces universités ont anticipé, pour leur gouvernance, la rénovation
aujourd’hui en cours.
a)
Une gouvernance resserrée et ouverte
En lieu et place des trois conseils de droit commun
56
, les universités
nouvelles ont été dotées de deux instances collégiales de composition plus
resserrée et plus ouverte sur l’extérieur : un conseil « d’université » de 28 à
34 membres et un conseil « d’orientation » ouverts aux représentants des
collectivités territoriales et des activités économiques, ainsi qu’à des
personnalités extérieures compétentes en matière d’enseignement et de
recherche. Cette organisation a facilité la collaboration des communautés
universitaires avec leur environnement socio-économique.
Malgré le retour au droit commun en 1995-1996, ces universités ont
conservé les caractéristiques originelles de leur gouvernance. Ainsi, les
conseils d’orientation ont-ils perduré à Versailles Saint-Quentin en
Yvelines et à Cergy Pontoise
où ils ont oeuvré utilement. Elles sont donc
prêtes à
basculer sans délais dans le nouveau cadre de gouvernance.
b)
Une gouvernance présidentielle
Dans les universités créées
ex nihilo
, l’absence de culture de type
« facultaire » a facilité l’émergence d’une gouvernance « présidentielle »,
bénéficiant d’une forte adhésion de la communauté universitaire et
entretenant des relations confiantes avec les composantes.
C’est particulièrement vrai à Cergy Pontoise où la présidence et le
secrétariat général exercent un réel pilotage des services concentrés au
siège, les composantes ne disposant que
de secrétariats restreints. A
Marne la Vallée, la forte centralisation autour de la présidence a constitué
un élément de dynamisme et d’équilibre dans la phase de croissance
56) Conseil d’administration, conseil scientifique et conseil des études et de la vie
universitaire.
LES UNIVERSITÉS DES VILLES NOUVELLES FRANCILIENNES
165
initiale. L’actuel contrat quadriennal prévoit le resserrement de quinze à
cinq des composantes pédagogiques et une profonde réorganisation du
secrétariat général et des services a été entreprise afin d’améliorer le
pilotage (ressources humaines ; LOLF ; immobilier…) et le contrôle de
gestion.
Cette caractéristique est moins établie dans les deux autres
universités. Centralisée dès l’origine, la gouvernance d’Evry Val
d’Essonne a dû composer avec les UFR créées en 1997. Les difficultés
financières et la centralisation budgétaire qui s’en est suivie ont entraîné,
lors du passage au LMD, une responsabilisation plus forte des
composantes qui devra s’accompagner d’un contrôle interne plus strict.
La création de Versailles Saint-Quentin en Yvelines à partir de
facultés de Paris 6 et de Paris 10 explique le poids des huit composantes
investies de certaines fonctions administratives et budgétaires dans la
gouvernance de l’université. Il en résulte, pour le siège, la nécessité
d’exercer un pilotage efficace qui n’a pas été pleinement assuré jusqu’ici
en raison de dysfonctionnements dans la gestion des services centraux. Le
renouvellement récent des responsables des ressources humaines, des
affaires financières et du patrimoine immobilier devrait contribuer au
redressement de la situation. Le projet envisagé d’accroître l’autonomie
financière des composantes ne peut
toutefois se concrétiser que s’il
s’accompagne de moyens de pilotage et de contrôle de la gestion
permettant au siège de veiller à l’application des orientations et décisions
prises par les organes délibérants et la présidence de l’université.
2 -
Les
ressources financières et humaines
Ces jeunes universités n’ont pas toujours bénéficié de la part du
ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche des moyens qui
auraient été nécessaires, ce qui a créé de fortes tensions financières. En
conséquence, les perspectives qu’ouvre la loi du 10 août 2007 pour une
autonomie renforcée ne pourront être accessibles à ces universités que si
elles disposent du soutien actif de l’Etat pour recruter des personnels
mieux formés et mettre en oeuvre des outils de pilotage adaptés.
a)
Des tensions financières liées à une forte croissance
- Un déséquilibre de fonctionnement quasi structurel
Caractérisés, depuis leur création, par des taux de croissance très
supérieurs à ceux des autres universités, ces établissements ont été
confrontés à un déséquilibre de fonctionnement, devenu désormais quasi
structurel, lié à des dépenses de fonctionnement évoluant à un rythme
166
COUR DES COMPTES
plus élevé que les recettes courantes : sur la période 1998-2005, l’écart de
croissance des dépenses de fonctionnement par rapport aux
recettes a
varié de 13 à 18% selon les universités.
Cette spécificité demeure, pour trois raisons : l’augmentation
croissante des dépenses de logistique (fluides, maintenance et entretien)
due à l’extension des
surfaces de ces universités
57
; le développement de
l’offre de formation lié à la hausse des effectifs étudiants, à sa
professionnalisation et au passage au LMD qui ont entraîné l’inflation des
heures complémentaires ; la progression des dépenses de personnels
recrutés sur ressources propres pour pallier l’insuffisance des postes
budgétaires.
Or ces universités n’ont pas disposé des moyens adaptés aux défis
auxquels elles étaient confrontées. Elles ont été soumises, dès le départ,
au dispositif de droit commun en vigueur dit « San Remo » qui détermine
mécaniquement
le
montant
annuel
de
la
dotation
globale
de
fonctionnement (DGF) accordée par l’Etat à chaque université, sur des
critères tels que le nombre d’étudiants ou les superficies, système
manifestement inadapté à ces universités « naissantes ». Conjugué à des
défaillances dans la gestion et à un développement mal contrôlé des
dépenses d’enseignement,
il a provoqué des crises financières dans
chacune de ces universités. Des plans d’urgence ont dû être mis en place,
dès 1996 à Cergy Pontoise, et en 2003 à Evry Val d’Essonne et Marne la
Vallée
58
;
l’Etat a dû alors consentir au coup par coup des ajustements
des moyens de fonctionnement, en intervenant tant sur la DGF que sur les
attributions annuelles de crédits des contrats quadriennaux. Quant à la
situation financière de Versailles Saint-Quentin en Yvelines, c’est en
2006 qu’elle s’est dégradée.
Il ne fait aucun doute qu’il a manqué à ces universités, à compter
de leur création, il y a seize ans, la visibilité sur les moyens dont elles
pourraient
disposer
pour
accompagner
leur
développement.
La
subvention annuelle du ministère n’a pas été fondée sur des hypothèses de
croissance qui auraient justifié l’allocation d’une dotation financière
spécifique ; elle a fait l’objet au contraire d’une appréciation ponctuelle,
et a posteriori, des besoins annuels de financement, le ministère aidant les
établissements à boucler leur budget par l’allocation, en fin d’année, des
postes budgétaires mobilisables et des crédits jugés nécessaires,
notamment pour les heures complémentaires.
57) A Cergy Pontoise, par exemple, les dépenses de logistique sont passées de 1,9 M€
pour 100 000 m², en 1999, à 2,7 M€ pour 125 000 m², en 2006.
58) En 2003, la DGF a augmenté de 17,7%, puis de 16,1% en 2004 ; entre 2003 et
2007, les dotations annuelles de crédits des contrats quadriennaux se sont accrues
de 37 %.
LES UNIVERSITÉS DES VILLES NOUVELLES FRANCILIENNES
167
- Des marges de manoeuvre financières limitées
Cette absence de visibilité a également affecté l’évolution des
dépenses d’investissement immobilier, même si les retards pris dans
l’exécution de leurs projets ont, jusqu’au début des années 2000, procuré
à ces universités un sentiment d’aisance financière lié à l’existence d’un
fonds de roulement certes élevé, mais gagé par les constructions futures.
Cette situation a surtout prévalu à Cergy Pontoise (17 M€ en 2001) et à
Versailles
Saint-Quentin en Yvelines (7,6 M€ en 2003), bénéficiaires du
soutien financier de collectivités locales qui, soucieuses d’en garantir la
réalisation effective, notifiaient leurs subventions d’investissement bien
avant l’engagement des opérations de construction.
Leurs fonds de roulement ont donc diminué avec la réalisation des
programmes, phénomène amplifié par le versement plus tardif de leurs
subventions par les collectivités locales. En dépit de tensions sur la
trésorerie liées à ces modifications de comportement, Cergy-Pontoise,
dont
les
principales
constructions
sont
achevées,
bénéficie,
au
31 décembre 2006, d’une situation financière solide avec un fonds de
roulement disponible de 3,5 M€, après déduction des crédits de recherche
reportés et financement des investissements en cours.
Il n’en va pas de même pour l’université de Versailles Saint-
Quentin en Yvelines dont le fonds de roulement était estimé à
167 404,30 euros après le vote de la décision budgétaire modificative du
29 mai 2007, niveau d’autant plus préoccupant que cette université
prévoit de réaliser de nouvelles constructions non retenues
dans le CPER
2007-2013, et de réhabiliter ou de mettre en sécurité certains locaux. De
plus, des décisions de reports de paiement de certaines dépenses
rattachables à l’exercice 2006, par exemple pour ce qui concerne les
heures complémentaires, sont de nature à peser sur sa situation financière.
Marne la Vallée montre, elle, la difficulté de mener à bien un
projet d’université nouvelle équilibré sans le soutien des collectivités
locales. Inscrite au CPER 2000-2006, la construction de la 1
ère
tranche de
la bibliothèque de Marne la Vallée, seule opération financée par l’Etat,
n’a pas été réalisée, faute de crédits de paiements. Son fonds de
roulement disponible a diminué de 1,6 M€ en 2005 à 1,08 M€ en 2006, ce
qui ne laisse pas d’inquiéter compte tenu des constructions prévues par le
CPER.
Au 31 décembre 2004, l’université d’Evry Val d’Essonne
considérait elle-même que pour un fonds de roulement comptable de
9,835 M€, le disponible n’était en réalité que de 0,449 M€, compte tenu
notamment de 9,060 M€ de crédits reportables qui étaient restés imputés
168
COUR DES COMPTES
dans les comptes des composantes
59
. La lettre de cadrage budgétaire
signée par le président de l’université en 2006 traduit une réelle prise de
conscience : «
les reports automatiques ont pour conséquence que des
actions ou achats ne peuvent pas être réalisés alors que parallèlement
des moyens, pour des raisons comptables, sont figés et non utilisés
». En
juin 2007, le fonds de roulement effectivement disponible était estimé par
l’université à 1,8 M€.
Quelles que soient les causes de leur fragilité financière, il importe
que ces universités mettent en place des tableaux pluriannuels de
financement des investissements programmant, par opérations, non
seulement la poursuite du développement immobilier mais aussi la
maintenance de l’ensemble du patrimoine et le renouvellement des
équipements scientifiques ;
il leur faut également mieux cerner leurs
marges de manoeuvre réelles et abandonner la pratique de report quasi-
systématique de tous les crédits inutilisés; plus généralement, la
perspective de l’attribution de compétences budgétaires élargies impose
le développement d’instruments de pilotage efficaces, à commencer par le
budget lui-même. Elles devront enfin améliorer la fiabilité de leurs
comptes, et notamment la comptabilisation de leurs amortissements,
seulement amorcée en 2005, ainsi que, particulièrement à Versailles
Saint-Quentin en Yvelines et à Evry Val d’Essonne, le rattachement des
charges et des produits à l’exercice concerné.
b)
La nécessité d’un accompagnement de l’Etat
Aux termes de l’article L. 712-9 du code de l’éducation, modifié
par la loi du 10 août 2007, « le contrat pluriannuel d’établissement prévoit
le montant global de la dotation de l’Etat en distinguant les montants
affectés à la masse salariale, les autres crédits de fonctionnement et les
crédits d’investissement ». Les contrôles effectués sur ces universités ont
montré la hausse continue et forte des dépenses de personnel sur la
période examinée, due à l’importance des recrutements de personnels
vacataires et contractuels sur ressources propres et au recours massif aux
heures complémentaires.
Comme les moyens financiers, les dotations en
effectifs n’ont en effet pas fait l’objet d’estimations prévisionnelles
appropriées et sont aujourd’hui considérées comme insuffisantes dans les
59) L’article 7 du décret n°94-39 du 14 janvier 1994 relatif au budget et au régime
financier des EPSCP prévoit que conformément au principe d’annualité, les crédits
ouverts au titre d’un budget ne créent aucun droit au titre du budget suivant, sauf
quelques exceptions.
LES UNIVERSITÉS DES VILLES NOUVELLES FRANCILIENNES
169
quatre universités. Le ministère a d’ailleurs reconnu cette situation pour
au moins deux d’entre elles
60
.
Outre l’insuffisance des dotations en effectifs, ces universités sont
confrontées à deux catégories de difficultés : la structuration de leurs
emplois administratifs et techniques qui les pénalise (jeunesse et
sous-
qualification du personnel) et pose le problème du repyramidage des
emplois de catégories C en A ; les difficultés de recrutement de
personnels d’encadrement de haut niveau.
Telles sont les raisons qui leur font redouter un transfert pur et
simple de la masse salariale correspondant à la structure actuelle de leurs
emplois, même si le ministère a annoncé l’ouverture d’un chantier de
réflexion sur les IATOS et s’il a indiqué que 770 emplois de catégorie C
seront
transformables
afin
de
permettre
des
redéploiements
en
catégorie A.
La combinaison du système de droit commun d’allocation d’une
dotation globale critérisée (San Remo) et d’une dotation contractuelle
théoriquement assise sur l’évaluation du contrat quadriennal s’est révélée
inappropriée aux besoins spécifiques liés à la croissance de ces
universités naissantes. La première, qui représente les trois quarts des
moyens alloués, est unanimement considérée comme dépassée. Quant à la
seconde, le ministère
61
souligne qu’elle « n’a pas vocation à pallier les
difficultés conjoncturelles ou structurelles d’un établissement », tout en
reconnaissant que « les spécificités des universités des villes nouvelles
sont réelles et souvent très contraignantes » ; elle est destinée à
« accompagner une démarche d’établissement expertisée, évaluée et
négociée ».
Dès lors, la Cour souligne la nécessité, pour l’Etat, de mieux
prendre en compte les perspectives de développement de ces universités
pour assurer la bonne fin de leur projet spécifique et leur accession à une
autonomie renforcée, dans le cadre des nouvelles relations contractuelles
prévues par la loi du 10 août 2007 et de l’effort financier affiché par les
autorités.
60) Dans ses réponses aux observations de la Cour, il a reconnu que, malgré la
création de 37 emplois d’enseignants et de 32 emplois de IATOS entre 2003 et 2007,
le «
taux de couverture San Remo 2006 [d’
Evry
] reste faible eu égard à la moyenne
nationale : 0,73 pour les enseignants et 0,74 pour les IATOS
» ; pour Marne la
Vallée,
48 emplois d’enseignants et 31 d’IATOS ont été créés sur la même période, ce qui
n’empêche pas le président de l’université de considérer que l’université dispose d’un
ratio potentiel enseignants sur charges d’enseignement de 0,54 et du même ordre pour
le personnel IATOS .
61) Réponse de la DGES du ministère en date du 27 septembre 2007.
170
COUR DES COMPTES
3 -
Les enjeux patrimoniaux
a)
L’absence de schémas d’urbanisme universitaire et ses
conséquences pour la vie étudiante
Avec un ratio global de l’ordre de 10 m² par étudiant, les
universités des villes nouvelles franciliennes offrent un confort supérieur
à celui des établissements de la région. Toutefois, si elles se sont plutôt
bien insérées dans leurs bassins d’emploi, elles souffrent de nombreux
handicaps dans le domaine de la vie étudiante ; s’y ajoute, pour deux
d’entre elles, une insuffisance de locaux de formation et de recherche.
L’absence
de
schémas
directeurs
d’urbanisme
universitaire
explique en partie cette situation : les opérations, réalisées par plusieurs
maîtres d’ouvrage, ont manqué d’articulation, subi des retards et
débouché trop souvent sur une déclinaison de projets individuels, sans
vision d’ensemble. Tel est le cas à Marne la Vallée qui, malgré des
caractéristiques de campus universitaire, présente un ensemble disparate
et inachevé, et à Versailles Saint-Quentin en Yvelines où les besoins
importants en locaux résultent tant de la croissance des effectifs que de
son modèle d’implantation éclaté ou de la nécessité de reconstruire les
locaux vétustes de l’UFR de médecine.
Parmi les carences dans l’exercice de la mission de formation, la
plus criante concerne les équipements de bibliothèque, très insuffisants à
Marne la Vallée ; à Versailles Saint-Quentin en Yvelines, le bâtiment en
verre de la nouvelle bibliothèque universitaire de Guyancourt ne dispose
pas de climatisation, faute de rallonge financière pour compenser le
décalage entre la programmation budgétaire et le lancement des travaux.
Les maisons de l’étudiant, elles, sont soit inexistantes comme à Marne la
Vallée ou à Evry Val d’Essonne, soit trop récentes et encore peu
fréquentées.
Les équipements d’accompagnement utiles à l’accomplissement
d’une
vie
étudiante
équilibrée
sont
également
très
lacunaires,
principalement pour ce qui concerne les conditions d’hébergement. Les
Yvelines souffrent à cet égard d’un grand retard par rapport aux autres
départements franciliens : le taux de satisfaction de la demande de
logements des étudiants y est de 1,81 %, pour 20,5 % dans les Hauts de
Seine, 16,4 % dans l’Essonne et 15,9 % dans le Val d’Oise. L’université
de Versailles Saint-Quentin en Yvelines estime nécessaire la construction
de 400 à 500 logements pendant quatre ans. Sur le campus de Marne la
Vallée, les logements sont quasi-absents.
LES UNIVERSITÉS DES VILLES NOUVELLES FRANCILIENNES
171
Les installations de restauration sont peu adaptées, surtout dans les
universités dont les implantations sont dispersées sur plusieurs sites,
comme Cergy Pontoise et Versailles Saint-Quentin en Yvelines. Les
activités sportives universitaires sont marginales, soit du fait du manque
d’équipements, soit à cause de la désaffection des étudiants dont souffrent
des établissements qui n’ont pas su créer un véritable esprit de campus.
Ces éléments expliquent pour une grande part la faible attractivité des
universités à l’égard des étudiants étrangers qui ne représentent que
14,5 % de l’effectif au lieu de 21 % dans les autres universités de la
région.
Le manque d’attention porté aux équipements de la vie étudiante
est particulièrement critiquable s’agissant d’universités créées au coeur
d’opérations d’aménagement du territoire. Faute de cahiers des charges
des opérations d’urbanisme universitaire, l’Etat n’a pas pu garantir la
constitution d’ensembles équilibrés susceptibles d’attirer et de fixer des
populations étudiantes dans des conditions normales sur des territoires
peu préparés à leur offrir ces prestations.
b)
Une gestion coûteuse du patrimoine
Les bâtiments de Marne la Vallée supportent des coûts
de
fonctionnement, de maintenance et de gardiennage élevés : 54€ par m² en
comparaison des 36€ de Cergy Pontoise où, cependant, les trois annexes
de l’IUT supportent un surcoût de 20 à 30 %. A Versailles Saint-Quentin
en Yvelines, le constat est aussi préoccupant car le service en charge du
patrimoine n’était
pas en mesure, jusqu’en 2006, d’indiquer le coût de
fonctionnement et d’entretien des bâtiments.
L’extension de l’antenne de l’IUT de Cergy Pontoise à Argenteuil,
entreprise sous maîtrise d’ouvrage de l’Etat, cumule à cet égard la quasi-
totalité des anomalies possibles : surcoûts de fonctionnement par étudiant
de la seconde tranche (3 fois et demi plus élevés que le coût moyen), en
partie liés à l’option architecturale retenue, aux retards de réalisation du
projet et à la non réalisation de la dernière partie de la seconde tranche.
Lorsque les capacités financières ne permettaient pas la réalisation
de constructions neuves, les solutions retenues se sont avérées coûteuses
ou inadaptées : ainsi de la location onéreuse pour la recherche et les
installations sportives d’Evry Val d’Essonne (800 000€ par an) ;
ou de
la
rénovation de
l’immeuble Copernic, cédé par l’entreprise Bull au profit
de Marne la Vallée, qui sera probablement plus onéreuse que les 11 M€
programmés. La réhabilitation d’un ancien hangar à l’IUT de Vélizy a,
quant à elle, conduit à des salles d’enseignement sans plafonds.
172
COUR DES COMPTES
En outre, la conception des bâtiments construits vingt ans après le
premier choc pétrolier, n’a pas
pris en compte la nécessité d’une gestion
économe en énergie. L’exemple de Cergy Pontoise, où la qualité des
constructions en verre a été soulignée, est significatif
à cet égard
car les
solutions d’équilibrage thermique sont le plus souvent défaillantes. Le
conditionnement d’air indispensable dans les bibliothèques vitrées de ces
universités est presque toujours absent. Des travaux coûteux seront
inévitables pour remédier à ces anomalies.
Des désordres trop fréquents, aux conséquences financières
lourdes, complètent ce tableau à Cergy Pontoise. Le plus important, non
couvert par la garantie décennale, concerne le bâtiment le plus vaste, celui
du siège, qui pâtit d’un agrafage déficient des pierres de revêtement sur
une surface de 12 000m². Les solutions étudiées se chiffrent en millions
d’euros.
Les difficultés qui affectent leur patrimoine immobilier ne sont
certes pas propres à ces établissements et ne relèvent pas, loin s’en faut,
de leur responsabilité exclusive, mais elles pèsent aujourd’hui sur leur
situation financière. Dans ces conditions, la perspective d’une accession à
l’autonomie de gestion du patrimoine offerte par la loi du 10 août 2007
reste éloignée, d’autant que les conditions préalables en termes de
capacité
de
pilotage
et
de
soutenabilité
financière
(charge
de
l’amortissement surtout) n’y sont pas encore remplies.
B -
Les perspectives de regroupement de ces universités
L’article L.344-1 du code de la recherche complété par l’article 5
de la loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006 dispose que
plusieurs établissements, ou organismes, de recherche ou d’enseignement
supérieur, publics ou privés, dont au moins un établissement public à
caractère scientifique, culturel et professionnel peuvent décider de
regrouper tout ou partie de leurs activités et de leurs moyens, notamment
en matière de recherche, dans un pôle de recherche et d’enseignement
supérieur (PRES) afin de conduire, ensemble, des projets d’intérêt
commun. «
Ces pôles peuvent être dotés de la personnalité morale,
notamment sous la forme d’un groupement d’intérêt public, d’un
établissement public de coopération scientifique (EPCS) ou d’une
fondation de coopération scientifique
».
Les options d’adhésion aux PRES retenues par ces universités ont
été fonction à titre principal de leur activité de recherche qui résulte de
leurs conditions de création, de leur modèle de développement et de leur
environnement scientifique. Toutefois, les perspectives ouvertes sont
aujourd’hui très contrastées.
LES UNIVERSITÉS DES VILLES NOUVELLES FRANCILIENNES
173
1 -
La place de la recherche dans les UVN
Sur 15 unités de recherche reconnues, Marne la Vallée compte
6 UMR, dont 5 avec le CNRS et 1 avec l’INRETS. Bien que l’université
n’ait pas bénéficié, lors de sa création, du transfert de laboratoires venant
d’universités mères, elle a fait le choix stratégique d’un développement
initial par la recherche qui lui assure aujourd’hui une place reconnue
parmi les établissements associés (CNRS, INRETS, INRIA) ou ses
partenaires du Polytechnicum, créé en 1994 avec les autres établissements
de recherche et d’enseignement supérieur de son aire géographique et
devenu le coeur du PRES. Son budget 2005 s’élève à 2,7 M€, dont
environ 1 M€ de contrats et prestations de recherche, mais les reports,
avec 1,1 M€, atteignent un taux élevé de 41% en 2006.
La recherche de Cergy Pontoise, qui compte 20 équipes, dont
9 UMR, , a connu d’indéniables succès et doit aujourd’hui consolider ses
acquis, notamment grâce à sa participation à cinq pôles de compétitivité.
Ses ressources globales s’élèvent à près de 2,5 M€ en 2005, mais sa
gestion génère 1,3 M€ de reports en 2006. L’un de ses enjeux majeurs est
la connexion entre la recherche, la formation et les besoins socio-
économiques du Val d’Oise, alors qu’elle ne compte que 320 doctorants
en 2004 et 2005.
La recherche d’Evry Val d’Essonne, initialement axée sur les
matériaux, est aujourd’hui centrée sur les sciences du vivant avec la
création du GIP Génopôle dont elle est membre fondateur avec l’Etat,
l’association française contre la myopathie et les collectivités territoriales.
Si 80 % des équipes de recherche exercent dans les sciences
fondamentales et appliquées contre 20 % dans les sciences de la société,
cette priorité de la recherche ne correspond pas cependant aux besoins en
formation de l’université dont le secteur des sciences humaines draine
actuellement 61 % des étudiants et des enseignants-chercheurs. Ainsi
l’université doit-elle assumer l’existence d’une dualité interne entre la
formation des étudiants dans un 1
er
cycle très professionnalisé et le rôle
central accordé au Génopôle, pour développer une recherche de qualité.
Avec 28 laboratoires, dont 15 unités mixtes de recherche (UMR),
répartis en six pôles, l’université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines
jouit d’un positionnement de premier plan dans les sciences « dures », les
sciences de l'environnement, les sciences économiques et la médecine. La
qualité scientifique de ses équipes lui a permis de développer une offre de
formation autour de parcours transversaux tels que les sciences de
l’environnement, du territoire et de l’économie, et d’être membre actif de
cinq pôles de compétitivité et de deux «
Domaines d’Intérêt Majeur
» de
la région d’Ile de France. Son budget de recherche est presque trois fois
174
COUR DES COMPTES
plus élevé que celui des trois autres universités et atteint 6,5 M€ en 2005.
Si le taux d’exécution budgétaire est satisfaisant en sciences (80 %), il
n’est que de 27 % dans les écoles doctorales.
2 -
Les conditions d’adhésion aux pôles de recherche et
d’enseignement supérieur
La loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006 incite les
établissements d’enseignement supérieur et de recherche à constituer des
pôles leur permettant d’atteindre une taille critique et préfigurant les
grands ensembles universitaires de demain. Les universités des villes
nouvelles franciliennes se sont, parmi les premières, résolument engagées
dans cette voie et sont membres de trois PRES dont les philosophies,
comme l’état d’avancement, se révèlent différents.
Créés par décret du 21 mars 2007, les PRES « UniverSud Paris »,
dont
Versailles Saint-Quentin en Yvelines est membre fondateur et Evry
Val d’Essonne membre associé, et « Université Paris-Est », fondé autour
de
l’université de Marne la Vallée, ont opté pour la solution d’un
établissement public de coopération scientifique (EPCS). A ce titre, ils
devront exercer des compétences
obligatoires fixées par l’article L.344-4
du code de la recherche modifié par la loi de programme de 2006 : mise
en place et gestion des équipements partagés entre membres fondateurs et
associés, coordination des activités des écoles doctorales, valorisation des
activités de recherche menées en commun et promotion internationale. Le
PRES « Cergy Pontoise-Val d’Oise » a, quant à lui, pris la forme d’une
association.
a)
Le PRES « UniverSud Paris »
Avec ses deux autres fondateurs, Paris 11 et l’ENS de Cachan,
« UniverSud Paris » compte environ 50 000 étudiants et 160 laboratoires
de recherche, dont 130 associés à des organismes de recherche ; la plupart
des grandes écoles ou établissements de recherche d’un secteur
géographique qui couvre les départements des Yvelines, des Hauts de
Seine, de l’Essonne et du Val de Marne figurent parmi ses 19 membres
associés
62
.
62) Ces associés sont regroupés en « consortia » qui assurent leur représentation dans
les organes délibérants : « sciences et technologies du vivant et de l’environnement »,
« pôle scientifique Evry Val de Seine », « écoles centrale de Paris et supérieure
d’électricité », « Polytechnique, HEC et Institut d’optique graduate school »…
LES UNIVERSITÉS DES VILLES NOUVELLES FRANCILIENNES
175
S’étant abstenue d’adhérer à ce PRES au moment de sa création,
Evry Val d’Essonne s’est ensuite attachée à structurer ses partenariats
avec Genopôle et avec les acteurs scientifiques locaux, dans une logique
territoriale forte. Il s’en est suivi la constitution du « pôle scientifique
Evry-Val de Seine »
63
qui est devenu membre associé du PRES
« UniverSud Paris » en juillet 2007.
A ce stade, le PRES s’attache à mettre en place son organisation
sur les nombreux domaines de compétence dont il est délégataire en
matière de recherche : coordination de recherches existantes, lancement
de
programmes
spécifiques,
signature
« UniverSud
Paris »
des
publications de ces activités. Si la recherche est un élément fort de la
structuration du PRES,
les membres fondateurs délèguent aussi des
compétences en matière de formation : coordination des politiques
d’établissements au niveau de la licence (L), harmonisation de l’offre en
master (M), mise en place de masters européens et suivi de l’insertion
professionnelle des diplômés du PRES aux niveaux des masters et des
doctorats.
Ce PRES affiche donc, par sa taille, par la notoriété de ses
membres fondateurs et associés, par les domaines de recherche qu’il
couvre et par sa localisation au centre de l’opération d’intérêt national du
plateau de Saclay Palaiseau, une grande ambition. Cependant, compte
tenu de la multiplicité de ses membres et de la dispersion géographique
de leurs implantations, qui pourraient compliquer la mutualisation des
équipements et sa gestion,
l’avenir d’UniverSud Paris dépendra largement
des modalités de mise en oeuvre effective des compétences communes.
b)
Le PRES « Université Paris-Est »
Constitué à partir du GIP Polytechnicum, le PRES « Université
Paris-Est » fondé par l’université de Marne la Vallée et l’école nationale
des ponts et chaussées (ENPC), a été rejoint par Paris 12 et l’ESIEE ,
tandis que le Laboratoire Central des Ponts et Chaussée, actuellement
associé, a vocation à devenir fondateur
64
. Profitant de l’expérience de
coopération ainsi acquise par ses
membres fondateurs, ce PRES présente
d’ores et déjà les caractéristiques d’un regroupement très avancé.
63) Ce pôle associe l’université, Génopôle, l’institut national des télécommunications
d’Evry, l’école nationale supérieure d’informatique pour l’industrie et l’entreprise et
l’école des mines de Paris pour le compte de son laboratoire d’Evry sur les matériaux.
64) L’école d’architecture de Marne la Vallée et le centre scientifique et technique du
bâtiment (CSTB) sont membres associés ; ils pourraient être rejoints par l’INRETS,
l’Institut Géographique National avec son école de géographie et l’Ecole vétérinaire
de Maisons-Alfort.
176
COUR DES COMPTES
Il bénéficie en effet du transfert intégral des 9 écoles doctorales des
fondateurs : 4 déléguées par Marne la Vallée et l’ENPC ; 5 apportées par
Paris 12. Fidèle au modèle de développement déjà suivi par l’université
de Marne la Vallée, le PRES a fait de la recherche son objectif premier et
organisé, dès sa mise en place, ses missions principales : la formation en
doctorat, la coordination des politiques de recherche avec, notamment, la
délivrance des diplômes de doctorat et de l’habilitation à diriger des
recherches, et la signature de la production scientifique sous l’appellation
« Université Paris-Est ».
En matière de formation, il ambitionne de coordonner, à terme,
l’offre
de
masters
de
ses
membres
afin
d’aboutir
également
progressivement à la délivrance de ces diplômes ; il doit aussi mener une
réflexion d’ensemble sur la carte de formation au niveau licence, en
particulier pour harmoniser la carte universitaire au sud de la Seine et
Marne.
La présence de la majorité de ses membres sur le campus de
Champs sur Marne devrait faciliter la réalisation d’autres objectifs du
PRES tout aussi intéressants dans l’optique de la constitution, souhaitée
par l’Etat, des grands établissements de recherche et d’enseignement
supérieurs de demain. Ainsi seront favorisés la mise en commun
d’équipements partagés (gymnase, bibliothèque…), la mutualisation
d’installations propres à chaque établissement (réseaux, documentation,
restauration…) et le développement de la compatibilité des systèmes
d’information et des outils de gestion.
Ainsi le PRES « Université Paris-Est » peut-il dès à présent
exercer de véritables compétences propres au bénéfice des établissements
fondateurs et préfigure-t-il un grand campus universitaire de l’Est
parisien.
c)
Le schéma associatif territorial de Cergy Pontoise
Après avoir débattu des différents regroupements possibles en Île-
de-France et, dans ce cadre, écarté les pistes d’un rapprochement avec
Paris 10 Nanterre et les universités de Paris Nord, son conseil
d’orientation lui a recommandé, le
26 février 2006,
«la création d’un
PRES centré sur Cergy-Pontoise, associant l’université, les écoles
publiques et privées de l’agglomération, les collectivités territoriales et
les entreprises et porteur d’une ambition à travers son contenu
scientifique».
LES UNIVERSITÉS DES VILLES NOUVELLES FRANCILIENNES
177
Déjà actifs, depuis le 4 septembre 2002, au sein d’une conférence
des dirigeants des établissements d’enseignement supérieur (CODEESC),
ses fondateurs ont créé le PRES Cergy Pontoise-Val d’Oise qui réunit le
groupe ESSEC, 6 écoles de l’institut polytechnique Saint-Louis (IPSL), les
écoles d’ingénieurs ENSEA et EISTI, l’école nationale supérieure d’arts et
le groupe ITIN / ESCIA (CCI de Versailles Val-d’Oise Yvelines). Il
totalise 28 000 étudiants, dont 3000 étudiants étrangers, répartis dans plus
de 150 formations aux niveaux licence, master et doctorat. Les collectivités
territoriales contributrices, des personnalités compétentes et des entreprises
peuvent être intégrées en tant que membres associés.
Selon son président, la stratégie de l’université «
est fondée d’une
part, sur la prééminence des collectivités et sur l’importance du territoire
dans son développement, d’autre part, sur la nécessité de trouver des
modes coopératifs forts avec les Ecoles
». Sont ainsi en projets la
constitution d’une équipe d’économie et de finances avec le CNRS et
l’ESSEC, l’ouverture des écoles doctorales aux établissements du PRES, la
création de masters avec les écoles d’ingénieurs et la mutualisation de
moyens.
Constitué sous la forme d’une association de la loi de 1901, non
expressément prévue par l’article L. 344-1 du code de la recherche, ce
PRES ne bénéficie pas d’une reconnaissance au niveau national et n’a pas
obtenu de soutien financier
de l’Etat, contrairement aux deux PRES ci-
dessus qui ont bénéficié, en tant qu’EPCS,
d’une mise à disposition de
moyens (4 M € et 3 emplois par PRES, selon le DGES).
Son président évoque
aujourd’hui la possibilité de créer une fondation de coopération
scientifique, visée par le même article, qui permettrait, conformément à
l’article L 344-12 du code, une reconnaissance nationale, car les statuts
seraient «
approuvés par décret
», et un financement public.
Bien que le ministère affiche une préférence pour soutenir
les PRES
constitués sous forme d’EPCS, la création à Cergy Pontoise d’un pôle de
« Paris Ouest » répond aussi aux objectifs assignés par le législateur aux
PRES. Ayant atteint la taille critique, seul PRES de l’ouest parisien, il
justifierait également un accompagnement de l’Etat.
178
COUR DES COMPTES
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
L’état des lieux dressé par la Cour met en évidence de jeunes
universités qui, en atteignant une masse critique suffisante d’étudiants et
en
contribuant au rééquilibrage de l’ensemble universitaire francilien
ont su répondre aux objectifs fixés lors de leur création. Elles ont très tôt
élaboré et poursuivi une stratégie caractérisée par le double objectif de
s’insérer dans leur environnement
socio-professionnel territorial et
d’offrir aux étudiants
de réelles capacités d’insertion professionnelle
grâce au niveau de leur préparation.
Mais les universités des villes nouvelles franciliennes n’ont pas
bénéficié d’un soutien adapté à leurs caractéristiques d’universités
naissantes et justifié,
aujourd’hui, par le maintien d’une croissance
soutenue. Ce constat explique, pour une large part, les tensions
structurelles observées par la Cour sur la situation financière et, tant
dans le domaine de l’enseignement que de la gestion, sur les ressources
humaines de ces établissements.
Contrairement à d’autres dont les projets de recomposition
65
n’ont
toujours pas vu le jour ou restent en devenir, ou qui sont isolées,
ces
universités ont su opter sans délai pour des solutions de regroupement
qui devraient leur permettre de consolider, à travers les partenariats, une
recherche qui atteint déjà des niveaux de performance reconnus, de
diffuser dans la communauté universitaire une pédagogie plus orientée
vers le monde professionnel et de bénéficier des atouts des grands
établissements publics ou privés qui leur sont associés dans les PRES.
Dans
cette
perspective,
la
Cour
formule
plusieurs
recommandations :
- accorder un soutien spécifique de l’Etat pour accompagner
l’accession de ces universités à une autonomie renforcée ;
- veiller à l’adoption d’instruments de pilotage efficaces, et
particulièrement
de
tableaux
prévisionnels
de
financement
des
constructions
et
des
programmes
de
maintenance, ainsi
qu’à
l’instauration d’un contrôle de gestion performant ;
- garantir le financement des projets immobiliers inscrits au
CPER, particulièrement à Marne la Vallée et à
Versailles Saint Quentin
en Yvelines ;
- mettre en place les indicateurs de réussite aux examens et aux
diplômes ainsi que d’insertion professionnelle permettant la publication
de statistiques nationales fiables et comparables.
65) Paris Universitas (p 87) et Paris Centre Universitas (p 89) in : « La carte
universitaire d’Ile de France : une recomposition nécessaire ».
LES UNIVERSITÉS DES VILLES NOUVELLES FRANCILIENNES
179
RÉPONSE DU PRÉSIDENT DE L’UNIVERSITÉ PARIS-EST
MARNE LA VALLÉE
J’ai pris connaissance avec grand intérêt de l’insertion de la Cour des
comptes
sur « les universités des villes franciliennes : bilan et perspective ».
Je vous confirme les termes de mon courrier du 21 septembre faisant
suite à la première synthèse de la Cour des comptes sur le sujet. Je vous y
indiquais que ce travail était pour nous très éclairant à un moment où le
caractère vital des schémas stratégiques de développement se faisait plus que
jamais sentir. Je vous y précisais qu’il éclairerait la réflexion collective que
suppose la prise de décisions de longue portée temporelle.
J’ai apprécié que certaines de nos remarques aient été retenues et
vous précise que j’adhère aux conclusions de ce rapport.
Je souhaite que les conclusions et recommandations de ce rapport
soient très rapidement prises en considération par notre tutelle dans la
perspective du passage à une autonomie renforcée. Nous ne doutons pas
qu’elle en partage tous les attendus mais nous attendons d’elle, et j’ai sur ce
point quelques inquiétudes, qu’elle en assume dès maintenant toutes les
conséquences. Je ne manquerai pas, pour ma part, d’en tirer les
enseignements propres à renforcer le dynamisme de notre université.
RÉPONSE DU PRÉSIDENT DE L’UNIVERSITÉ DE
CERGY-PONTOISE
L’université de Cergy-Pontoise se reconnaît très largement dans
l’analyse faite par la Cour. Elle en a tiré des conséquences dès l’élaboration
du budget 2008, en passant résolument à une politique de programmation
pluriannuelle, et en réglant la question du report des crédits recherche.
D’autres mesures suggérées par le rapport, comme l’établissement d’un
schéma directeur immobilier, seront rendues d’autant plus nécessaires par le
passage espéré aux compétences élargies au 1
er
janvier 2009.
Elle souhaite apporter une réponse ou des compléments sur quelques
points essentiels :
La conduite des opérations immobilières
La maîtrise d’ouvrage exercée par le rectorat au nom de l’Etat est
censée garantir un meilleur respect de l’enveloppe financière et des délais
prévus pour la réalisation d’une opération immobilière universitaire, en
raison notamment de l’expertise technique détenue par les divisions des
affaires immobilières des rectorats.
180
COUR DES COMPTES
En réalité, l’expérience tend à montrer que la maîtrise d’ouvrage
rectorale ne met pas à l’abri de dérives, tant en termes de coûts que de
délais, et que par ailleurs la maîtrise d’ouvrage exercée par l’université
permet une meilleure prise en compte des besoins particuliers exprimés par
les utilisateurs finals (départements d’enseignement et unités de recherche)
ainsi que des impératifs de maintenance et des coûts d’entretien.
Les conditions dans lesquelles ont été construites les tranches
successives du site de l’IUT à Argenteuil, sous la maîtrise d’ouvrage du
rectorat, puis de l’université, ont amené l’établissement à exprimer nettement
sa préférence pour une maîtrise d’ouvrage assurée par l’université.
Cette dernière formule s’imposera tout naturellement aux universités
qui opteront pour la pleine propriété de leur patrimoine, compétence
optionnelle prévue par la loi du 10 août 2007 sur les libertés et les
responsabilités des universités.
Notons par ailleurs que l’université réfléchit aux modalités d’un
partenariat public-privé qui lui permettrait d’engager un programme
d’économies d’énergie et de réduction de ses émissions de CO
2
. Un tel
engagement paraît toutefois lourd à porter pour l’établissement seul, dans la
phase actuelle.
Le PRES Cergy-Pontoise/Val d’Oise
L’analyse
du
PRES
proposée
par
la
Cour
nous
paraît
particulièrement lucide. Que le chemin soit long qui permettra aux
établissements d’enseignement supérieur du site Cergy-Pontain, c’est-à-dire
les Ecoles publiques et privées, dans leur diversité, et l’Université, de
converger au bénéfice de la recherche et des étudiants, personne ne le nie.
Mais puisque la stratégie choisie, et déjà concrétisée, est en ligne avec les
objectifs du territoire, avec la mission de service public de l’université, et
avec les
termes de la loi, il nous semble aussi que l’Etat ne gagne rien à ne
pas la soutenir.
La systématisation des indicateurs
L’UCP est bien convaincue, au moment où elle revendique le budget
global et le transfert de sa masse salariale, de la nécessité d’une politique
d’indicateurs. Elle a renforcé en septembre sa cellule de contrôle de gestion ;
conformément aux nouvelles dispositions de la LRU, elle s’apprête à mettre
en ligne ses taux de réussite en licence. En termes d’évaluation de l’insertion
professionnelle, elle passera d’une stratégie basée sur des enquêtes
ponctuelles à une approche systématique, et s’attachera à valoriser le capital
constitué par ses diplômés.
LES UNIVERSITÉS DES VILLES NOUVELLES FRANCILIENNES
181
La remise à niveau des moyens, condition nécessaire à l’acquisition des
compétences élargies.
L’UCP est historiquement sous-dotée, mais sa gouvernance est
suffisamment resserrée et efficace pour qu’elle soit jugée apte à assumer
rapidement les compétences élargies prévues par la loi LRU. Or la maîtrise
de ces dernières nécessite de renforcer nettement les fonctions ressources
humaines, financière et comptable, immobilière. Compte tenu de la sous-
dotation, les redéploiements internes et le repyramidage proposés par la
tutelle ne sauraient constituer une solution. En raison de la jeunesse du
personnel et à nouveau de la sous-dotation, le transfert à l’identique de la
masse salariale au 1
er
janvier 2009 figerait durablement les perspectives. Si
l’Etat, s’appuyant sur les analyses de la Cour, n’assure pas une remise à
niveau ambitieuse et résolue, l’établissement n’a aucune chance de relever
les défis qui lui sont proposés.
RÉPONSE DE LA PRÉSIDENTE DE L’UNIVERSITÉ DE
SAINT-QUENTIN EN YVELINES
Au nom de l’ensemble de l’université je tiens tout d’abord à remercier
les magistrats de la Cour des Comptes pour la qualité de leur travail
d’expertise et la richesse des échanges que nous avons pu avoir tout au long
du processus d’évaluation.
Nous ne pouvons que nous féliciter du bilan globalement positif qui est
dressé des universités des villes nouvelles, et plus particulièrement bien
entendu de notre université, quelques 16 ans après leur création. Nous
partageons également le constat d’un accompagnement insuffisant à l’origine
d’un certain nombre de difficultés dans le domaine de la vie étudiante, du
patrimoine ou en termes financiers. Il est enfin à noter que nombre des
recommandations proposées trouvent d’ores et déjà écho dans les projets
d’amélioration et de développement de notre université.
Nous remercions les magistrats de la Cour des Comptes de mettre en
exergue la réussite des universités des villes nouvelles au regard des objectifs
qui leur étaient assignés lors de leur création. L’université de Versailles Saint-
Quentin-en-Yvelines, comme en témoignent toutes les analyses quantitatives et
qualitatives, a contribué largement au développement de l’accès à
l’enseignement supérieur, notamment pour les étudiants d’origine sociale
défavorisée, avec toujours le souci d’offrir aux étudiants une formation de
qualité à même de leur assurer un très bonne insertion professionnelle. La
proportion importante de licences et masters professionnels, souvent en
apprentissage,
témoigne de cette préoccupation constante tout comme elle
reflète notre volonté d’enrichir nos relations avec le tissu socio-économique,
182
COUR DES COMPTES
c’est-à-dire de participer au
développement social, économique et culturel du
territoire au sein duquel nous sommes pleinement intégrés. Ces actions,
s’inscrivant dans les missions assignées aux universités nouvelles, ne se sont
pas réalisées au détriment d’une autre mission fondamentale de l’Université, à
savoir la recherche. Comme le soulignent les magistrats de la Cour,
l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, avec ses 28 laboratoires
reconnues (et 5 demandes de création de nouveaux laboratoires de médecine
évalués à mi-parcours), ses pôles d’excellence dans les secteurs de
l’environnement et du développement durable, de la chimie et de la physique
des matériaux, des sciences sociales, des humanités et du management, du
droit et des sciences politiques ou encore de la santé, a su développer une
recherche de qualité qui irrigue ses formations, notamment pluridisciplinaires,
et lui permet aujourd’hui d’être membre actif de cinq pôles de compétitivité et
de plusieurs réseaux thématiques franciliens.
Toutes ces actions, qui n’ont pas toujours disposé d’un soutien
financier et humain adapté de l’Etat, comme le souligne avec insistance la
Cour des Comptes, n’ont été possibles que grâce d’une part à un appui sans
faille des collectivités territoriales (Conseil régional IDF, Conseil Général 78,
Communauté d’Agglomération de Saint Quentin en Yvelines, Communauté
d’Agglomération de Mantes en Yvelines …) et d’autre part à un investissement
massif de l’ensemble des personnels enseignants, chercheurs et administratifs
ainsi qu’une participation active de nos étudiants. Cette implication forte, sans
laquelle notre université ne serait ce qu’elle est aujourd’hui, peut
probablement s’expliquer par le dynamisme associé à la jeunesse et par la
force mobilisatrice d’un projet ambitieux et partagé, c'est-à-dire où chacun
peut participer et se retrouver. Ce volontarisme qui permet ainsi de mettre en
oeuvre chaque année de nouvelles actions qu’il s’agisse, à titre d’exemples,
de
la réforme LMD, de l’orientation active, des programmes de réussite, de notre
CFA universitaire, de l’évaluation des enseignements ou encore de l’accueil
des étudiants handicapés, a ses limites quand il apparaît que les moyens ne
suivent pas. L’épuisement et le découragement
ne sont pas loin quand un
investissement soutenu dans la vie et le rayonnement de l’université ne finit
par s’accompagner de quelque forme de reconnaissance. D’autant que nul
n’ignore que les conditions d’exercice sont plus favorables dans d’autres
universités franciliennes bien mieux dotées au moins en termes de nombre de
personnels enseignants-chercheurs et BIATOSS.
Une allocation insuffisante de moyens financiers ne peut avoir que des
effets néfastes dans des secteurs où l’enthousiasme et le volontarisme des
personnels ne suffisent pas. Nous ne pouvons ainsi que partager les constats
des magistrats sur les handicaps dont souffre notre université dans le domaine
de la vie étudiante, qu’il s’agisse du manque d’équipements sportifs, de
logements étudiants, des carences au niveau des bibliothèques ou de la
restauration. Nous tenons néanmoins à souligner, en contrepoint, les efforts
déployés avec constance par l’université auprès notamment des collectivités
territoriales afin d’améliorer la situation. Les projets en cours de
LES UNIVERSITÉS DES VILLES NOUVELLES FRANCILIENNES
183
concrétisation, tels que la Maison de l’Etudiant, sur Saint-Quentin-en-
Yvelines, la bibliothèque sur le campus des Sciences ou encore les résidences
universitaires sur plusieurs communes, témoignent des avancées significatives
dans ce domaine de la vie étudiante et, une fois encore, du soutien fort des
collectivités
territoriales
malgré
la
lourdeur
des
procédures.
Notre
communauté universitaire souffre d’autant plus du manque de soutien de
l’Etat au regard d’autres établissements que nous avons toujours répondu
immédiatement présents à toutes les nouvelles expérimentations (LMD, pôles
de compétitivité, orientation active, professionnalisation par alternance,
programme de réussite éducative, programme handicap, PRES), que nous
connaissons un développement régulier de nos effectifs et de nos activités,
notamment de recherche, et qu’enfin nous avons toujours su collectivement
maintenir le dialogue, l’ouverture et le calme, y compris dans les périodes les
plus difficiles au niveau national.
Les magistrats de la Cour établissent également un certain nombre de
constats et de recommandations relatifs à la gouvernance et à la gestion des
ressources humaines et financières au sein de notre université, dans le
perspective de l’acquisition de nouvelles compétences associées à l’autonomie
renforcée inscrite dans la loi LRU du 10 août 2007. Un certain nombre de
remarques
laissent
à
entendre
que
notre
université
témoigne
de
dysfonctionnements intrinsèques, c'est-à-dire qui ne peuvent être imputables,
en première analyse du moins, à un accompagnement inadapté des tutelles. Ce
qui appelle quelques commentaires afin de nuancer le constat, d’apporter des
éléments d’explication et de mettre en lumière les processus d’amélioration en
cours.
Ainsi, l’amélioration du pilotage institutionnel est une préoccupation
majeure et constante de l’université. À cet égard, les efforts fournis par les
personnels,
le
renouvellement des
responsables
de
certains
services
stratégiques,
la
modernisation
des
procédures
administratives
et
l’optimisation des outils informatiques ont permis d’obtenir des résultats très
satisfaisants.
Le domaine des ressources humaines illustre parfaitement les progrès
indéniables dans le pilotage. Les instances décisionnelles de l’université
disposent désormais de véritables outils d’aide à la décision (heures
complémentaires, gestion prévisionnelle des emplois…). Afin de poursuivre
son développement (intégration de l’UFR de médecine) et
de mettre en oeuvre
les réformes nationales qui ont affecté l’enseignement supérieur (LMD,
LOLF,…) l’université a du procéder aux recrutements de personnels
contractuels. En effet, comme le relève très justement la Cour, l’augmentation
de la dotation de l’université en emplois de catégorie A et d’encadrement
supérieur, n’était pas suffisante pour couvrir les besoins d’une université en
pleine mutation. Si ces recrutements indispensables de contractuels ont
entraîné un accroissement des dépenses de personnels, je souhaite souligner
que le développement du pilotage de la masse salariale associée à
184
COUR DES COMPTES
l’optimisation de la gestion des emplois d’Etat ont permis de stabiliser cette
charge financière.
Dans le domaine de la gestion immobilière, l’université dispose
désormais d’un tableau prévisionnel des opérations de constructions
immobilières et des opérations maintenance qui améliore la lisibilité du
programme de développement immobilier et favorise les arbitrages politiques.
La Cour évoque un projet d’accroissement de l’autonomie financière
des composantes et formule d’importantes recommandations. Un tel objectif
ne figure pas dans notre projet d’établissement et n’a jamais été débattu dans
les instances décisionnelles de l’Université.
En revanche, la réorganisation des services relatifs à la gestion
financière, et inscrite dans le projet d’établissement, vise à la déconcentration
des opérations de mandatement sur les composantes par le déploiement de
véritables services financiers. D’une manière générale, l’évolution des
attributions des services centraux, communs et des composantes est animée
par la volonté d’améliorer l’efficacité et l’efficience de la gestion de
l’université.
Selon la Cour, les difficultés financières des universités des villes
nouvelles franciliennes ont une source structurelle : l’inadaptation du soutien
financier de la tutelle à la situation de forte croissance de l’université.
Cette analyse est d’une particulière justesse en ce qui nous concerne.
La notification de la dotation globale de fonctionnement pour l’année 2008
confirme ce triste constat. En effet, le taux d’évolution de la DGF ne révèle
pas véritablement la prise en considération par notre Ministère de tutelle des
spécificités et des besoins humains et financiers de l’université de Versailles
Saint-Quentin-en-Yvelines.
A l’instar d’une start-up, une jeune université comme celle de
Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, située sur un territoire doté d’un
environnement scientifiquement de très haut niveau et, pédagogiquement
concurrentiel, se doit d’assurer son développement et son attractivité par des
investissements importants de différentes catégories. Il est à signaler que
l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines n’a jamais bénéficié des
mesures financières spécifiques dont fait état la Cour : interventions sur la
DGF et sur le contrat quadriennal, aide pour boucler le budget. Nous avons
du, chaque année compté sur notre propre créativité pour boucler notre
budget avec une DGF quasi-constante depuis plusieurs années, avec certes
une amélioration (mais encore insuffisante) en termes de création d’emplois
entre 2005 et 2007.
Grâce à la mobilisation de l’ensemble des personnels enseignants,
enseignants-chercheurs, chercheurs, BIATOSS, ITA et même étudiants,
l’université a fortement développé ses ressources propres ce qui lui a permis
non
seulement
de
concrétiser
certains
projets
d’équipement
et
d’investissement, mais également de retarder le moment où l’absence de
LES UNIVERSITÉS DES VILLES NOUVELLES FRANCILIENNES
185
soutien financier spécifique du Ministère devait, inéluctablement, se faire
ressentir sur la situation financière de l’établissement. L’adoption par le
Ministère de mesures financières catégorielles c’est-à-dire spécifiques aux
universités des villes nouvelles aurait pu permettre d’éviter certaines
difficultés financières.
S’agissant du fonds de roulement, la deuxième décision budgétaire
modificative de l’année 2007 a permis son quadruplement par rapport au
montant relevé par la Cour dans son rapport. De plus, les mesures budgétaires
prises au cours du second semestre 2007, le projet de budget 2008 et un
meilleur respect des règles applicables en matière de reports de crédits lors de
la première décision budgétaire modificative devrait permettre à l’université
de retrouver assez rapidement un fonds de roulement en adéquation avec les
référentiels de la Cour. L’université s’engage à faire part à la Cour des
résultats obtenus.
Notre université est arrivée à maturité et se sent en mesure, comme elle
l’a toujours fait, d’affronter les changements importants et rapides que
l’Université française va vivre ces prochaines années avec la mise en oeuvre
notamment de la loi LRU. La constitution des PRES va transformer le paysage
universitaire français, voire européen. Il est de bonne augure que notre
établissement soit l’un des trois permiers fondateurs du PRES UniVerSud
Paris. L’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines a beaucoup
travaillé ces dernières années à se forger une identité forte et cohérente
utilisant la diversité de ses composantes comme une force au service du
développement d’objectifs communs. C’est au niveau des conseils centraux et
au moment de la prise de décisions importantes pour l’avenir de notre
université que se concrétisent le mieux la solidarité et la complémentarité de
ses composantes. L’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines est
soucieuse de renforcer les liens entre composantes et entre services centraux
et composantes par l’implication des uns et des autres dans les réflexions et
l’orientation des choix politiques.
Les nombreux points forts soulignés par les magistrats de la Cour des
Comptes constituent un excellent encouragement pour la motivation de
l’ensemble des acteurs de l’université. Les faiblesses mentionnées dans le
rapport serviront de base de réflexions pour le développement de nouveaux
objectifs. Au total, je suis consciente des progrès restant encore à accomplir.
Toutefois, pour y parvenir, nous avons aussi besoin de l’aide de l’Etat (même
si nous nous engageons à poursuivre encore nos efforts de recherche de
fonds propres via, entre autres, les nouveaux outils que proposent la loi
LRU), notamment en matière d’encadrement administratif et technique, de
DGF et de projets immobiliers. Si la Cour des comptes nous a aidé à mieux
souligner ce qu’il relevait de notre responsabilité, elle a aussi eu le mérite
d’indiquer les points sur lesquels nous devrions recevoir davantage de
soutien.
La mise en place du Fonds pour
l’insertion des personnes handicapées
dans la fonction publique
_____________________
PRESENTATION
____________________
La loi du 10 juillet 1987 avait instauré l’obligation pour tout
employeur occupant au moins 20 salariés d’employer, à temps plein ou à
temps partiel, des personnes handicapées « dans la proportion de 6 % de
l’effectif total de ses salariés ». La loi précisait que cette obligation
s’appliquait à « l’État et, lorsqu’ils occupent au moins vingt agents à
temps plein ou leur équivalent, (aux) établissements publics de l’État,
(aux) collectivités territoriales et leurs établissements publics, y compris
ceux énumérés à l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant
dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière
(…) ».
La loi sanctionnait le non respect de l’obligation d’emploi pour les
entreprises privées par le versement d’une contribution financière
alimentant le "Fonds de développement pour l’insertion professionnelle
des handicapés" géré par une structure associative (l’Agefiph). Aucune
sanction n’était prévue, en revanche, à l’encontre des employeurs publics
défaillants.
Aussi, la Cour soulignait-elle, en juin 2003, qu’il revenait à l’État
et aux autres composantes du secteur public d’être exemplaires pour le
respect des règles qu’ils édictaient et ajoutait que ce n’était pas toujours
le cas dans le domaine de l’insertion des travailleurs handicapés
66
66) Rapport public particulier sur "La vie avec un handicap" ; juin 2003, p. 215.
188
COUR DES COMPTES
L’article 36 de la loi du 11 février 2005 a créé à compter du
1
er
janvier 2006 un "Fonds pour l’insertion des personnes handicapées
dans la fonction publique" (FIPHFP), pendant de celui que gère
l’Agefiph pour le secteur privé, alimenté par les contributions des
employeurs publics assujettis par la loi de 1987 à l’obligation d’emploi
de 6 % mais ne la respectant pas. Le FIPHFP reçoit « pour mission de
favoriser l’insertion professionnelle des personnes handicapées au sein
des trois fonctions publiques, ainsi que la formation et l’information des
agents en prise avec elles ».
A l’occasion du présent contrôle, la Cour a cependant constaté
qu’en matière d’emploi des personnes handicapées, la fonction publique
affichait un retard sensible par rapport au secteur privé.
I
-
La mise en place du Fonds
Économie du système
La loi
de 2005 crée le FIPHFP géré par «
un établissement public
placé sous la tutelle de l’Etat ». Le décret d’application du 3 mai 2006 a
confié cette gestion à la Caisse des dépôts et consignations. Le FIPHFP a
pour organe délibérant un comité national tripartite « composé de
représentants
des
employeurs,
des
personnels
et
des
personnes
handicapées, (qui) définit notamment les orientations concernant
l’utilisation des crédits du fonds (…) ». En complément de ce dispositif
central, un comité local est institué dans chaque région, composé (à
l’instar du comité national) de 17 membres parmi lesquels 3 élus locaux,
et présidé par le préfet de région ou son représentant au titre de la
fonction publique de l’Etat. Placé « sous la tutelle des ministres chargés
de la fonction publique de l’Etat, de la fonction publique territoriale, de la
fonction publique hospitalière et du budget », le FIPHFP est dirigé par un
directeur
nommé par arrêté conjoint des mêmes ministres et dispose d’un
agent comptable désigné dans les mêmes conditions. L’obligation
d’emploi en faveur des personnes handicapées est réalisée quand le
rapport entre le nombre de bénéficiaires de cette obligation et l’effectif
total atteint 6 %.
LA MISE EN PLACE DU FONDS POUR L’INSERTION DES
PERSONNES HANDICAPÉES DANS LA FONCTION PUBLIQUE
189
Quand ce rapport est inférieur à 6 %, l’organisme peut
toutefois
soustraire du nombre d’unités manquantes un nombre d’unités qui est
déterminé par le montant de certaines dépenses, par exemple les dépenses
de sous-traitance avec des entreprises employant des personnes
handicapées.
Le montant de la contribution est égal au nombre d’unités
manquantes, multiplié par un montant unitaire (de 400 à 600 fois le Smic
horaire selon l’effectif total). Ce montant ainsi que ses modalités de
modulation sont globalement identiques à ceux des entreprises privées, à
ceci près que la loi du 11 février 2005 a prévu que le montant des
contributions publiques serait réduit de 80 % en 2006, de 60 % en 2007,
de 40 % en 2008 et de 20 % en 2009. Dans ce cadre, les employeurs
doivent transmettre au FIPHFP, au plus tard le 30 avril, une déclaration
annuelle accompagnée du paiement de leur contribution. Le contrôle de
cette déclaration annuelle est effectué par la Caisse des dépôts,
gestionnaire du fonds.
Le FIPHFP a connu en 2007 une grave crise de gouvernance liée à
un conflit ouvert entre ses responsables, crise qui a atteint son paroxysme
à l’été 2007, les tutelles acceptant, le 27 juin 2007, la démission du
directeur du FIPHFP et mettant fin aux fonctions de la présidente du
comité national par arrêté du 14 août 2007. Cette crise de gouvernance
n’a toutefois pas empêché les protagonistes de chercher à assumer leurs
responsabilités.
A - Les ambiguïtés originelles dans l’organisation du
dispositif
La crise de gouvernance du FIPHFP a largement été la
conséquence des décisions des pouvoirs publics quant à la structure
juridique à donner au FIPHFP, telle qu’elle a été définie, après beaucoup
d’hésitations, par le décret du 3 mai 2006.
1 -
Les hésitations des pouvoirs publics sur le statut juridique du
Fonds
A l’origine, en effet, le choix de la Caisse des dépôts comme
gestionnaire administratif du FIPHFP trouvait sa justification dans une
logique de mutualisation avec d’autres fonds gérés par elle. Il était
cohérent avec la loi du 11 février 2005 qui prévoyait la création d’un
«
fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction
publique, géré par un établissement public placé sous la tutelle de l'État
»
et ne précisait pas la nature juridique de ce futur fonds.
190
COUR DES COMPTES
C’est le décret d’application du 3 mai 2006 qui allait le doter du
statut
d’établissement public administratif avec un exécutif propre et un
régime financier et comptable de droit commun, et ceci en dépit
d’observations de la Caisse de dépôts qui avait fait valoir, en novembre
2005, ses réserves quant à la viabilité du système.
Les conséquences de l’existence d’un établissement public de plein
exercice, administré par un « comité national » dont le président
présentait la particularité d’être élu au sein du comité au lieu d’être
nommé par les autorités de tutelle, et où les représentants de l’État (3 sur
17) étaient très minoritaires, n’ont pas été totalement acceptées par tous
les partenaires.
En ce qui concerne la Caisse des dépôts, rien n’illustre mieux sa
difficulté à évoluer dans le cadre fixé par le décret du 3 mai 2006 que ses
réticences à répondre aux demandes légitimes, car dictées par les textes
réglementaires, de l’agent comptable du FIPHFP s’agissant, en
particulier, de la fourniture d’informations indispensables à l’exercice de
sa mission, comme des états de restes à recouvrer.
Pour le comité national, le fait que le directeur de l’établissement
ait été un cadre de la Caisse des dépôts, adjoint du responsable de la
gestion administrative, mis à disposition du FIPHFP à mi-temps, ne
pouvait qu’accréditer le sentiment que, dans les faits malgré les textes, le
FIPHFP ne disposait pas d’un véritable exécutif.
La structure du budget de l’établissement est significative de ces
ambiguïtés : alors que l’établissement public peut disposer directement
d’un budget de l’ordre de 1 M€, le gestionnaire administratif a la
responsabilité de sommes six fois supérieures (6,17 M€) en vue d’assurer
la plus grosse partie des charges du fonds.
2 -
Les fondements approximatifs de l’intervention du
gestionnaire administratif
a)
L’absence de convention d’objectifs et de gestion
L’article 1
er
du décret du 3 mai 2006 confie la gestion
administrative du FIPHFP à la Caisse des dépôts. Mais son article 25
prévoit la conclusion d’une convention d’objectifs et de gestion entre
l’établissement, les ministres de tutelle et le gestionnaire administratif
pour une durée minimale de cinq ans.
Cette convention doit fixer
notamment les modalités de calcul, de répartition et d’évolution de
l’enveloppe budgétaire allouée au gestionnaire administratif du fonds.
LA MISE EN PLACE DU FONDS POUR L’INSERTION DES
PERSONNES HANDICAPÉES DANS LA FONCTION PUBLIQUE
191
La Cour n’a pu que constater que cette convention d’objectifs et de
gestion (COG) n’avait toujours pas été adoptée par les parties signataires,
son adoption étant, au mieux, envisagée pour la fin de l’année 2007. En
son absence, les services de la Caisse des dépôts cherchent à intégrer dans
une décision
modificative
au
budget
2007
«
la
facturation
du
gestionnaire administratif pour les années 2005 / 2006
» pour des
montants respectifs de 240 000 et 4 221 000 €.
Il paraît difficile d’admettre que le FIPHFP, établissement créé le
1
er
janvier 2006, se voie facturer des coûts de « gestion administrative »
engagés en 2005 par un organisme qui n’a reçu mandat de ladite gestion
qu’en mai 2006. En ce qui concerne les sommes exposées en 2005, la
Caisse des dépôts a reconnu qu’elles correspondaient aux frais de
préparation de l’offre de service. Il s’agit donc d’un investissement
qu’elle devrait conserver à sa charge.
b)
Le contenu mal défini de l’offre de service
L’offre de service de la Caisse des dépôts aux fins de se voir
confier le mandat de gestionnaire administratif du FIPHFP précisait que
l’évaluation des
coûts de gestion à refacturer au Fonds avait été faite à
partir de l’hypothèse, retenue par les pouvoirs publics, de 40 000 dossiers
d’aides individuelles par an
67
. Dans son mécanisme de calcul, cette
évaluation (5 772 000 € en 2006 et 6 170 000 € en 2007) dépendait
largement du nombre de dossiers traités.
Or, le FIPHFP n’a traité aucun dossier en 2006 et son gestionnaire
administratif évaluait à 1000 au maximum le nombre de dossiers qui
pourraient être traités en 2007.
La Cour a constaté que le gestionnaire administratif n’en a pas
moins maintenu (en 2006), voire dépassé (en 2007), son estimation
initiale de facturation dans les budgets du FIPHFP. Cette situation a
contribué à alimenter les incompréhensions entre la Caisse des dépôts et
les membres du comité national. Elle n’a été rendue possible qu’à raison
de la passivité des tutelles qui ont laissé faire alors même qu’elles
n’avaient pas formalisé par écrit leur accord sur l’offre de service que la
Caisse des dépôts leur avait transmise le 16 juin 2006.
67) Il existait deux autres hypothèses : une de 15 000 dossiers, l’autre de 95 000.
192
COUR DES COMPTES
B - La mise en place réussie du processus de
recouvrement des contributions
Pour lancer le dispositif, la Caisse des dépôts, à partir du
recensement des employeurs des trois fonctions publiques, soit près de
53 000 organismes, a sélectionné ceux qui lui paraissaient devoir être
astreints à obligation d’emploi (effectif en équivalent temps plein
supérieur à 20 personnes). Un courrier d’appel à déclaration leur a été
envoyé,
les
invitant
à
remplir
une
déclaration
dématérialisée,
transmissible d’une plate-forme en ligne sécurisée.
Pour 2006, 13 864 employeurs ont été appelés par le gestionnaire
administratif à faire une déclaration ; plus de 9 000 se sont révélés
assujettis. Le montant déclaré avoisinait les 56 M€. Pour 2007, 13 783
employeurs ont été appelés par le gestionnaire à faire une déclaration. Sur
ce total, seuls 1 464 ont fait l’objet d’une mise en demeure, soit un
pourcentage (10,6 %) en net recul par rapport à l’année précédente
(19 %),
ce
qui
atteste
de
la
montée
en
charge
du
système.
13 144 employeurs ont, le cas échéant après mise en demeure, procédé à
leur déclaration pour un montant d’environ 125,9 M€. Au 31 août 2007,
84,5 M€, soit les deux tiers, avaient été versés
.
Parmi les 1464 organismes publics mis en demeure en 2007
d’effectuer leur déclaration figurent des institutions d’État comme l’École
nationale de la magistrature, des établissements publics oeuvrant dans le
secteur des personnes handicapées, La Poste ou encore des départements
ministériels comme le ministère de l’économie, des finances et de
l’industrie. Ce dernier s’est, en définitive, complètement acquitté de ses
obligations (déclaration et paiement) ; au 1
er
septembre 2007, ce n’était le
cas ni du ministère de l’outre-mer (44 000 €), ni du ministère de la justice
(4,8 M€), ni des services du Premier ministre (236 000 €), tous
justifiables, à ce titre, d’un recouvrement forcé par titre exécutoire.
LA MISE EN PLACE DU FONDS POUR L’INSERTION DES
PERSONNES HANDICAPÉES DANS LA FONCTION PUBLIQUE
193
II
-
Une question qui demeure : l’emploi des fonds
collectés par le FIPHFP
Le décret du 3 mai 2006 confie au comité national le soin de régler
«
par ses délibérations les questions d’ordre général concernant le
fonds
». La Cour constate qu’en quelques mois d’activité
68
, cette instance
s’est attachée à mener à bien ou à initier la plupart des missions que lui
confient les textes, en particulier tout le travail de réflexion stratégique
s’appuyant sur l’expertise "handicap". Il doit cependant faire face au défi
que constitue l’emploi des sommes collectées.
A - Les difficultés d’utilisation
1 -
Un taux d’utilisation aujourd’hui dérisoire
D’après le gestionnaire administratif, 503 demandes d’aide étaient
parvenues à la plate-forme e-services au 31 août 2007. A cette date, le
montant des aides payées s’élevait à 478 197 €, montant auquel on
pouvait ajouter celui des aides ayant reçu un avis favorable (189 752 €).
Par ailleurs, toutes les parties prenantes du FIPHFP se sont accordées
pour mettre en place, à côté du système d’aides individuelles, des
financements par convention pluriannuelle, à l’origine non prévus dans le
dispositif, qui représenteront en 2007 un peu plus de 4 M€ de dépenses.
Au total, le FIPHFP ne devrait avoir dépensé à la fin 2007 que
moins de 5 M€ sur les 182 M€ collectés depuis sa création, soit un taux
d’utilisation de 2,7 %.
Pour éloquents qu’ils soient, ces chiffres doivent être replacés dans
un contexte de montée en charge du FIPHFP, car des difficultés que
l’établissement
a
rencontrées
sont
appelées
à
se
résorber
progressivement :
−
la mise en place tardive des comités locaux (seulement 13 sur 26
étaient installés au 1
er
octobre 2007) alors qu’il leur reviendra de
gérer plus des deux tiers des financements du Fonds ;
−
un incontestable déficit d’information des employeurs ;
−
les difficultés techniques de la plate-forme de traitement des
aides.
68) Compte tenu des délais de constitution, sa première réunion s’est tenue le 7 juin
2006.
194
COUR DES COMPTES
A titre de comparaison, l’Agefiph, il est vrai créée ex nihilo, n’a
été pleinement opérationnelle que deux ans après sa création, alors que le
premier dossier d’aide du FIPHFP a été payé au bout de 7 mois.
2 -
La disproportion entre le niveau prévisible de la ressource et
les
possibilités actuelles de financement
Tous les responsables du FIPHFP s’accordent sur le constat de la
disproportion entre le niveau attendu de la ressource et les possibilités
d’emploi du Fonds dans le cadre législatif actuel.
Une fois disparu, en 2010, le système des abattements sur les
contributions des employeurs, les ressources du FIPHFP dépasseront
250 M€ par an. Or, la Caisse des dépôts évalue à 110 M€ les possibilités
d’utilisation annuelle du Fonds en se plaçant dans un scénario
volontariste de 10 000 bénéficiaires par an au titre des seules aides
directes, avec un montant moyen de 5 000 € par aide, auquel se
rajouteraient des financements sur convention estimés à 60 M€ par an sur
la base de 150 conventions pour les principaux employeurs.
B - Les limites du FIPHFP : le recrutement effectif des
personnes handicapées dans la fonction publique
1 -
A périmètre comparable, la fonction publique est en retard
par rapport au privé
Les premiers éléments statistiques publiés par le FIPHFP à partir
des déclarations d’employeurs dans son rapport annuel 2006 font
apparaître un taux d’emploi des personnes handicapées dans la fonction
publique de 3,55 % contre un chiffre jusque-là affiché de 4,5 %, et un
pourcentage de 4,4 % pour le secteur privé. De plus, l’examen du détail
des déclarations d’employeurs assujettis au FIPHFP conduit à relativiser
fortement ces chiffres.
En effet, pour le cas spécifique des employeurs publics, l’article
L. 323-5 du code du travail ajoute à la liste des bénéficiaires de
l’obligation d’emploi prévue à l’article L. 323-3, qui est commune au
secteur public et au secteur privé, les catégories suivantes :
«
Les titulaires d’un emploi réservé (…) sont pris en compte pour
le calcul du nombre de bénéficiaires de l’obligation d’emploi instituée
par l’article L. 323-1. (…) Sont également pris en compte pour le calcul
du nombre de bénéficiaires de cette obligation : les agents qui ont été
reclassés (…), les agents qui bénéficient d’une allocation temporaire
d’invalidité (…).
»
LA MISE EN PLACE DU FONDS POUR L’INSERTION DES
PERSONNES HANDICAPÉES DANS LA FONCTION PUBLIQUE
195
Si l’on retire des statistiques du FIPHFP les catégories prévues de
l’article L. 323-5 en matière d’obligation d’emploi des personnes
handicapées, donc à périmètre comparable à celui du secteur privé
69
, le
taux d’emploi des personnes handicapées deviendrait alors inférieur
à 2 %.
2006
FP Etat
FP
Hospitalière
FP
Territoriale
Total FP
Effectif total des
organismes assujettis au
FIPHFP : (1)
2 462 471
878 418
1 265 258
4 606 147
Total bénéficiaires
déclarés au FIPHFP : (2)
88 397
31 350
43 929
163 676
Taux d’emploi :
(3) = (2) / (1)
3,59 %
3,57 %
3,47 %
3,55 %
Total art. L. 323-5 (4)
48 875
21 138
18 971
88 984
Total bénéficiaires hors
art. L. 323-5 :
(5) = (2) – (4)
39 522
10 212
24 958
74 692
Taux d’emploi sans
articleL. 323-5 :
(6) = (5) / (1)
1,6 %
1,16 %
1,97 %
1,62 %
Source : rapport annuel 2006 du FIPHFP
2 -
Un obstacle statutaire : la condition d’équivalence des diplômes
Au moment de l’adoption de la loi du 10 juillet 1987, le
gouvernement avait proposé pour la fonction publique un autre levier
d’action que la création d’un fonds analogue à celui qu’il mettait en place
pour le secteur privé. L’orientation privilégiée était alors d’agir de façon
volontariste et directe sur le recrutement des personnes handicapées,
notamment via les emplois réservés, pour atteindre le seuil de 6 %.
69) Comparable mais non identique car, en application des articles L. 323-4, L. 323-4-
1 et L. 620-10 du code du travail, les calculs d’effectif total et du nombre de
bénéficiaires de l’obligation d’emploi sont différents dans la fonction publique et dans
le secteur privé, ce dernier pouvant en particulier proratiser ses emplois à temps
partiel qui sont, à l’inverse, comptés pour une unité dans la fonction publique.
196
COUR DES COMPTES
Mais le protocole d’accord signé le 8 octobre 2001 sur l’emploi
des travailleurs handicapés dans la fonction publique d’État entre le
gouvernement et cinq organisations syndicales a acté l’extinction
progressive de «
la procédure actuelle de recrutement des travailleurs
handicapés en catégorie B et C par la voie dite des "emplois réservés"
»
au bénéfice de la procédure dite de "recrutement direct" introduite par la
loi de 1987 pour les catégories C et ex-D, puis étendue aux catégories A
et B par la loi n° 95-116 du 4 février 1995.
Avec la suppression de la filière des emplois réservés, il n’existe
donc plus que deux voies d’accès à la fonction publique pour les
personnes handicapées : le recrutement par concours et le recrutement
direct par contrat donnant vocation à titularisation.
Le recrutement par concours s’effectue selon les modalités de droit
commun, moyennant deux types de dérogations. Le fait qu’aucune
condition de limite d’âge ne soit opposable aux candidats handicapés et le
bénéfice «
d’aménagements particuliers des épreuves du concours en
fonction de la nature
(du)
handicap ou du degré
(…)
d’invalidité (par
exemple : installation dans une salle spéciale, temps de composition
majoré d’un tiers, utilisation d’un ordinateur, assistance d’un secrétariat,
temps de repos suffisant)
», tous aménagements prévus par le protocole
de 2001 mais érigés en droit à la décision du candidat par la loi du
11 février 2005.
Le recrutement direct par contrat permet, lui, aux personnes
handicapées d’être recrutées sous contrat renouvelable une fois, sur des
emplois publics de catégorie A, B et C avec une durée du contrat
qui est
équivalente à la période de stage effectuée, pour le même emploi, par un
lauréat de concours, en général un an. À l’issue du contrat, l’agent peut
être engagé sur un emploi de titulaire, après examen de son dossier de
candidature.
Mais, comme le rappelle la brochure éditée par le ministère de la
fonction publique sur "le recrutement des travailleurs handicapés dans la
fonction publique" : «
Que vous soyez recruté par concours ou par
contrat, vous devez satisfaire aux conditions générales d’accès à la
fonction publique, notamment celles relatives au niveau de diplôme
.
»
C - Repenser les modes d’interventions du Fonds
La capacité du FIPHFP à contribuer concrètement au recrutement
des personnes handicapées dans la fonction publique est centrale. Or, les
moyens budgétaires consacrés à l’insertion professionnelle des personnes
handicapées dans la fonction publique d’État avant la création du FIPHFP
LA MISE EN PLACE DU FONDS POUR L’INSERTION DES
PERSONNES HANDICAPÉES DANS LA FONCTION PUBLIQUE
197
pouvaient être estimés à 10 M€ par an, en regroupant le précédent fonds
homonyme (supprimé en 2006 lors de la création du FIPHFP) et les
dotations spécifiques de chaque département ministériel. Cette enveloppe
financière permettait largement de financer les aménagements des postes
de travail.
Avec une ressource de 250 M€ par an prévue à partir de 2010, le
nouveau FIPHFP ne peut évidemment plus être cantonné aux seuls
aménagements des postes de travail même dans une conception élargie de
ceux-ci et en prenant en compte les deux autres fonctions publiques,
hospitalière et territoriale.
1 -
Mieux utiliser les possibilités actuelles d’intervention.
Le FIPHFP est encore mal connu. Il doit être en mesure, comme
l’a proposé son comité national, de mener des campagnes d’information
et de mobilisation vis-à-vis tant des employeurs publics que des jeunes
handicapés susceptibles d’être intéressés par un emploi public. Cela
suppose qu’il puisse disposer, pour ce faire, de crédits d’intervention
spécifique qui devront nécessairement, là encore, être gérés à son
initiative et non à celle des employeurs. À titre de comparaison, on
rappellera que l’Agefiph consacre près de 4 % de son budget, soit 19 M€
en 2007, à des opérations de "mobilisation du monde économique" à
destination des employeurs du secteur privé.
Les crédits du FIPHFP doivent pouvoir être mobilisés à des fins de
formation et de sensibilisation, telles que la diffusion plus large de son
« guide »,
l’amélioration
de
sa
plate-forme
d’information
ou
l’enrichissement
du contenu de son catalogue.
Les partenariats prévus, d’une part, à l’article L. 323-10-1 du code
du travail, avec l’Agefiph et, d’autre part, à l’article L. 323-11 du même
code, avec les organismes de placement spécialisés du réseau Cap Emploi
devraient permettre de profiter de l’expérience capitalisée par ces
opérateurs qui concourent déjà, pour une part non négligeable de leurs
crédits, au financement de parcours vers la fonction publique.
2 -
Intervenir en amont des processus de recrutement
Le Fonds n’est pas actuellement habilité à intervenir le plus
possible
en
amont
du
processus
de
recrutement.
Les
critères
d’intervention du FIPHFP qui figurent à l’article 2 du décret du
3 mai 2006 privilégient, en effet, le maintien dans l’emploi sur le
recrutement des personnes handicapées dans la fonction publique. Ils
apparaissent restrictifs par rapport à ceux de l’Agefiph dont les
198
COUR DES COMPTES
ressources, en application de l’article L. 324 -8-4 du code du travail
«
sont destinées à favoriser toutes
les formes d’insertion professionnelle
des handicapés en milieu ordinaire de travail
». La règle selon laquelle
seuls les employeurs peuvent être à l’initiative des financements du
FIPHFP, posée par la loi du 11 février 2005 et qui figure aujourd’hui à
l’article L. 323-8-6-1-II du code du travail constitue également un frein
au développement des actions et induit une différence de traitement entre
salariés du secteur public et salariés du secteur privé.
Cette différence ne
saurait être jugée sans conséquence sur le taux d’utilisation du FIPHFP
quand on considère que 30 % des financements de l’Agefiph sont
aujourd’hui engagés à l’initiative des salariés.
L’article 137 de la loi de finances pour 2006 qui a permis aux
employeurs publics concernés, au premier chef l’éducation nationale, de
déduire du montant de leur contribution financière «
les dépenses
consacrées à la rémunération des assistants d’éducation affectés à des
missions d’aide à l’accueil, à l’intégration et à l’accompagnement des
élèves ou étudiants handicapés au sein des écoles, des établissements
scolaires et des établissements d’enseignement supérieur
», déduction
plafonnée à 80 % en 2006 et 70 % en 2007 et qui devra, ensuite, être
«
réexaminée annuellement
», constitue un exemple d’extension possible
de l’utilisation du fonds.
Une piste souvent évoquée consisterait à permettre au FIPHFP de
financer des mises en accessibilité de locaux, à la condition toutefois qu’il
s’agisse de recruter une personne handicapée identifiée et que cette mise
en accessibilité soit la condition de ce recrutement. Il ne s’agit nullement,
en effet, pour le FIPHFP de se substituer à l’obligation légale
d’accessibilité des bâtiments ouverts au public dont l’échéance avait été
fixée à 2015.
L’élargissement du champ d’action du FIPHFP est préconisé tant
par le Comité national que par la Caisse des dépôts mais suscite encore,
de la part de certains représentants du monde du handicap, un certain
nombre de réticences qui devront être levées, l’Etat devant s’engager à ce
que les recettes du fonds ne viennent pas, principalement, pallier
l’insuffisance des crédits
budgétaires.
LA MISE EN PLACE DU FONDS POUR L’INSERTION DES
PERSONNES HANDICAPÉES DANS LA FONCTION PUBLIQUE
199
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
En dépit des conflits intervenus et de la crise qu’a connue
l’établissement, tous les acteurs du FIPHFP auront entrepris d’assumer
leurs missions, conscients de l’importance de l’enjeu pour une politique
publique aussi essentielle que l’insertion professionnelle des personnes
handicapées, considérée ici dans son volet "fonction publique". Le
gouvernement a récemment réaffirmé l’importance qu’il attachait au
dossier, précisé les moyens d’actions à mettre en oeuvre et rappelé qu’au-
delà de la contribution financière, le non respect de l’obligation d’emploi
serait sanctionné dans le cadre de l’opération de gestion prévisionnelle
des effectifs.
Afin de permettre que le fonds, avec des équipes renouvelées,
puisse fonctionner rapidement dans les meilleures conditions, la Cour
recommande, en ce qui concerne la gestion et le fonctionnement du
fonds :
1) la mise au point et l’adoption sans délais de la convention
d’objectifs et de gestion ;
2) la mobilisation d’une partie des recettes du fonds pour des
actions de sensibilisation et de formation ;
3) l’officialisation des partenariats avec l’AGEFIPH
et le réseau
CAP-emploi ;
4) la poursuite des réflexions sur les conditions d’intervention du
fond, notamment en ce qui concerne les actions situées en amont du
recrutement pour favoriser l’acquisition d’une formation diplômante par
une personne handicapée.
En ce qui concerne le problème plus général du recrutement des
personnes
handicapées
dans
la
fonction
publique,
au-delà
des
améliorations attendues dans le fonctionnement et la gestion du FIPHFP,
la Cour s’interroge sur les capacités d’un tel fonds, dans un cadre
législatif inchangé qui limite aussi strictement son champ d’intervention,
à contribuer à la satisfaction de l’objectif d’emploi des personnes
handicapées dans la fonction publique.
200
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DU MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET
DE LA FONCTION PUBLIQUE
Le ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction
publique a pris connaissance avec le plus grand intérêt de l’insertion au
rapport public relative à «La mise en place du Fonds pour l’insertion des
personnes handicapées dans la Fonction publique (FIPHFP) ».
Il prend acte des constats faits par la Cour sur la complexité du cadre
juridique, sur les difficultés qu’a pu connaître la gouvernance, ainsi que sur
la disproportion observée en 2006 et 2007 entre le montant de recettes
perçues et les interventions effectives du fonds.
Des observations et précisions complémentaires, dont certaines sont
liées à des orientations gouvernementales récentes, paraissent toutefois
devoir être apportées à l’analyse et à l’information de la Haute juridiction.
A titre liminaire, il convient de rappeler que le fonds pour l’insertion
des personnes handicapées dans la fonction publique est de création
récente : institué par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des
droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes
handicapées, ses règles de fonctionnement et le rôle de ses organes ont été
fixés par le décret n° 2006-501 du 3 mai 2006, le directeur du fonds et les
membres du comité nationale ont été nommés par arrêtés conjoints du 2 juin
2006. Les difficultés auxquelles il a été confronté ne lui ont pas permis
d’enregistrer la montée en puissance qui était attendue par les pouvoirs
publics. C’est pourquoi, dès le mois de juin 2007, les ministres en charge de
la tutelle ont souhaité prendre toutes leurs responsabilités et les décisions
que la situation imposait. Ces décisions n’avaient pas encore commencé à
produire tous leurs effets au moment où intervenait l’enquête de la Cour.
1- En ce qui concerne la gouvernance du FIPHFP
, la Cour met en
évidence des lourdeurs de fonctionnement et des ambiguïtés juridiques qui
pourraient avoir eu un rôle déclencheur dans la crise.
Les administrations de tutelle estiment en effet que la crise a pu jouer
un rôle de révélateur d’un système complexe qui nécessite une bonne
intelligence de son fonctionnement et des ses objectifs. Elles souhaitent que
la clarification des rôles de chacun et la définition d’un cadre stratégique
permettent au Fonds de trouver toute son efficacité, dans un climat de
confiance entre les partenaires.
Un processus énergique de redressement et de clarification a été
enclenché par un courrier du 5 juin 2007 adressé au directeur du Fonds et à
la présidente du Comité national précisant le rôle de chacun des organes. La
crise perdurant au sein du FIPHFP, la démission, à sa demande, du
directeur de l’établissement a été acceptée et il a été mis fin au mandat de la
LA MISE EN PLACE DU FONDS POUR L’INSERTION DES
PERSONNES HANDICAPÉES DANS LA FONCTION PUBLIQUE
201
présidente du comité national en sa qualité de représentante titulaire de la
fonction publique de l’Etat par arrêté du 14 août 2007.
Une nouvelle équipe, localisée au plus près du fonctionnement
géographique du comité national a été constituée. Un nouveau directeur,
M. Jean-François de Caffarelli, a été nommé le 26 septembre 2007. Ses
fonctions ont été mieux définies. Il les exerce à temps plein, et il est
désormais rémunéré directement par le Fonds. L’objectif est d’affirmer
nettement la séparation des rôles avec le gestionnaire administratif qu’est la
Caisse des dépôts et consignations.
La représentation de l’Etat au comité national a été modifiée afin
d’assurer une représentation élargie des ministères et un nouveau président,
M. Didier Fontana, a été élu le 7 novembre 2007.
2- Les tutelles sont, bien entendu, très attachées
à la performance de
la gestion administrative.
La recherche d’efficacité dans la politique en faveur des personnes
handicapées est, plus largement, un des thèmes de la « révision générale des
politiques publiques (RGPP) » actuellement en cours. A cet égard, la
comparaison entre les structures AGEFIPH et FIPHFP est, comme le montre
la Cour, un élément important dans la définition du dispositif dans une
démarche de performance de l’intervention publique.
Dans ce contexte, et en application de la circulaire du Premier
ministre
relative
à
la
suspension
provisoire
des
démarches
de
contractualisation pluriannuelle avec les opérateurs de l’Etat (circulaire
n° 5256/SG du 23 octobre 2007) – dans l’attente des conclusions de la RGPP
– une convention de gestion administrative, limitée à 2007-2008, servira de
support juridique transitoire à l’organisation de la gestion entre le FIPHFP
et son gestionnaire CDC, souhaité par la Cour. Cette convention a été
adoptée le 7 décembre dernier, en séance plénière du comité national du
FIPHFP. Elle sera signée avant la fin de l’année.
En complément de la convention, un document d’orientations
stratégiques a été présenté au comité national qui a souhaité pouvoir
l’examiner dans une séance ultérieure. Une convention d’objectifs et de
gestion quinquennale, affinée en tenant compte de l’expérience de la mise en
oeuvre de la première convention de gestion administrative, pourra être
conclue à l’issue de cette période.
Il convient par ailleurs de signaler que, dans le cadre de la maîtrise
de la facturation présentée par le gestionnaire, la tutelle budgétaire a, par
exemple,
rejeté
tout
remboursement
de
facture
au
titre
de
2005
correspondant à une dépense qui, comme la Cour le note, serait difficile à
admettre pour un établissement créé au 1
er
janvier 2006.
202
COUR DES COMPTES
3 – Sur
la disproportion entre le niveau prévisible de la ressource et
les possibilités actuelles de financement
Les tutelles ont très vite pointé la faiblesse préoccupante des dépenses
du FIPHFP au regard des ambitions des objectifs publics dans le domaine de
l’insertion des personnes handicapées.
Les mesures de redressement préconisées doivent permettre d’agir sur
le niveau d’efficacité du fonds et donc sur le niveau des dépenses du fonds.
De manière générale, le ministère du Budget, des Comptes public et
de la Fonction publique est extrêmement désireux que l’action en faveur de
l’insertion des personnes handicapées dans les fonctions publiques (Etat,
collectivités territoriales et hôpitaux) parvienne à accroître le taux d’emploi
de ces personnes.
L’importance que le Gouvernement attache à cette politique se
manifeste notamment à travers les termes de la circulaire n° 5265/SG, signée
par le Premier ministre le 23 novembre 2007, relative à « l’insertion
professionnelle des personnes handicapées dans la fonction publique ».
Ainsi, le Premier ministre a demandé à chacun des membres du
Gouvernement de mobiliser les administrations placées sous leur autorité.
Les administrations, qui n’en disposeraient pas encore, devront mettre en
place un plan pluriannuel d’action permettant d’atteindre, dans la fonction
publique de l’Etat, l’objectif de 6 % d’emploi de personnes handicapées. Les
plans pluriannuels seront présentés au Premier ministre avant la fin de
l’année 2007. Ils devront traduire l’engagement effectif des administrations
de l’Etat en vue de l’amélioration des taux d’emploi et pouvoir être évalués à
partir de résultats quantifiés. Pour 2008, ils devront conduire à une hausse
d’au moins 25 % des recrutements de personnes handicapées par rapport à
l’année précédente.
Les plans feront l’objet d’un suivi annuel. Les objectifs de recrutement
de l’année considérée seront garantis, en début d’exercice, par un gel
correspondant à leur équivalent en masse salariale.
Cette circulaire insiste sur le rôle du FIPHFP et l’appui qu’il
représente dans le domaine de l’accompagnement à l’insertion des
personnels handicapés.
S’agissant de la projection de ressources du FIPHFP à hauteur de
250 M€ par an à partir de 2010, elle est effectuée sur la base du taux
d’emploi actuel. Or, on peut raisonnablement penser que le taux d’emploi
des personnes handicapées dans la fonction publique va s’accroître dans les
années à venir, ce qui diminuera le niveau des ressources du fonds.
LA MISE EN PLACE DU FONDS POUR L’INSERTION DES
PERSONNES HANDICAPÉES DANS LA FONCTION PUBLIQUE
203
Les efforts de redressement et de renouvellement de la gouvernance
que le gouvernement a entrepris ont donné une nouvelle dynamique au
Fonds. Ils permettent de conforter le dispositif et de renforcer sa légitimité. Il
faut souligner que le Fonds s’est orienté vers une politique de
conventionnement pluriannuel qui permet aux employeurs de mobiliser les
ressources autour d’un projet global. Compte tenu des enjeux, leur efficacité
sera suivie de près, y compris à travers l’évaluation des plans d’actions
ministériels dont elles constituent une déclinaison.
4 – Sur l’observation selon laquelle, à
périmètre comparable, la
fonction publique est en retard par rapport au privé en termes
Les premiers éléments statistiques publiés par le FIPHFP font
apparaître un taux d’emploi inférieur de près de un point à celui de la
dernière enquête DGAFP pour 2004. Si cet écart mérite d’être davantage
explicité, il convient de préciser que le périmètre de l’enquête a été modifié
par l’intervention de la loi. Ainsi, le Fonds recense 2 428 établissements
publics administratifs alors que l’enquête précédente en décomptait 4 938.
Par ailleurs, les agents de droit privé sont désormais pris en compte. Enfin,
les anciens modes de correction et de ventilation des bénéficiaires de
l’allocation temporaire d’invalidité, que la DGAFP effectuait avec l’appui du
service des pensions, n’ont pas été réalisés cette année.
Par ailleurs, plus de la moitié des effectifs de la FPE relèvent de
l’éducation nationale et exercent essentiellement dans des fonctions
d’enseignement pour lesquelles le vivier des travailleurs handicapés est
encore trop étroit. Il faut préciser qu’en moyenne 80 % des travailleurs
handicapés demandeurs d’emploi ont une qualification de niveau 5
correspondant à celui de la catégorie C.
De plus, il convient de préciser que si la fonction publique semble
frontalement en retard par rapport au privé, les périmètres et les pratiques
ne sont pas nécessairement comparables. Selon une étude de la DARES
publiée le 29 novembre 2007, si globalement le nombre de travailleurs
handicapés en entreprise a augmenté de 3 %, cette hausse s’explique, d’une
part :
- par le maintien en emploi de salariés devenus handicapés (ce qui est
comparable à la pratique de la fonction publique) ;
- par le grand nombre de salariés handicapés demandant la
reconnaissance de leur handicap (ce qui n’est pas le cas dans la
fonction publique) ;
- et par l’augmentation des emplois à temps partiel (ce qui n’est pas
avéré dans la fonction publique).
et, d’autre part, par le recours au CDD. L’étude constate qu’en 2005,
plus de la moitié des travailleurs handicapés ont travaillé moins de un mi-
temps et que la moitié des embauches l’ont été en CDD. Au contraire, la
204
COUR DES COMPTES
circulaire n° 5265/SG du 23 novembre 2007 précitée préconise au contraire
pour la fonction publique d’utiliser pleinement la possibilité de recrutement
sans concours, ouverte par le décret du 25 août 1995 relatif au recrutement
des travailleurs handicapés dans la fonction publique, qui donne vocation à
titularisation dans un corps de fonctionnaire.
5 – Sur la nécessité d’une
réflexion en amont des processus de
recrutement
de manière à contribuer à la création de la ressource et des
compétences humaines
Le gouvernement réalise un effort sans précédent dans le domaine de
l’accompagnement à la formation initiale à travers les moyens qui ont été
donnés au ministère de l’éducation nationale : 2 700 postes supplémentaires
d’AVS-i à la rentrée 2007, alors que jusqu’à présent 4 800 auxiliaires étaient
en fonction. Cela représente une augmentation de 56 % de leur nombre.
Comme la Cour le souligne, l’article 98 de la loi du 11 février 2005 a
autorisé le ministère de l’éducation nationale à déduire de sa contribution,
en 2006 et 2007, une part des dépenses qu’il consacre à la rémunération des
personnels d’aide à la vie scolaire des élèves handicapés. Cette déduction est
légitimée par le fait que l’éducation nationale contribue très activement, en
amont des opérations de recrutements des agents publics, à la création de la
ressource et des compétences humaines qui permettront de parvenir à
l’objectif de 6 % d’emploi de personnes handicapées. Pour cette même
raison, le gouvernement a proposé au Parlement, dans le cadre de la
discussion sur le projet de loi de finances rectificative, d’étendre le champ de
cette mesure.
Accompagner davantage la scolarisation des élèves handicapés et les
intégrer mieux dans les dispositifs scolaires et universitaires favorisera en
effet leur recrutement à tous les niveaux de la hiérarchie des administrations.
6 – S’agissant de la recommandation d
’
une
meilleure utilisation des
champs d’intervention et de financement
, il convient également de préciser
que certains financements, qui ont été insuffisamment mis en oeuvre, sont en
phase d’expansion :
- les actions des comités locaux - dont le déploiement sur l’ensemble
du territoire est tout récent - notamment en matière de sensibilisation
des acteurs, d’amélioration de la connaissance des populations de
travailleurs handicapés et de dépenses d’études ;
- le financement de la convention de
coopération avec l’AGEFIPH et
le réseau des Cap emploi. L’AGEFIPH estime qu’actuellement 20 %
du nombre des placements effectués par les Cap emploi le sont dans la
fonction publique.
Ces interventions sont susceptibles d’augmenter très sensiblement les
dépenses du FIPHFP et son efficacité.
LA MISE EN PLACE DU FONDS POUR L’INSERTION DES
PERSONNES HANDICAPÉES DANS LA FONCTION PUBLIQUE
205
En outre, comme il a été dit précédemment, le FIPHFP s’est orienté
vers une politique de conventionnement triennal. Les engagements
juridiques, contractualisés en 2007, représentent près de 24 M€ et
témoignent de la réalité d’une montée en puissance du Fonds. Une trentaine
de recruteurs publics ont d’ores et déjà entamé des démarches auprès du
Fonds. Toutes ces conventions prévoient notamment des actions de
sensibilisation et de formation.
7 – Les administrations de tutelle ont pris note de la
recommandation
de la Cour sur la nécessité d’une meilleure information
des employeurs
publics et des et des personnes handicapées. A ce titre, j’ai le plaisir
d’indiquer à la Cour que la communication propre du FIPHFP est en hausse
de plus de un million d’€ dans le budget 2008 de l’établissement qui vient
d’être examiné par le Conseil d’administration du Fonds.
Un catalogue d’aides techniques et humaines a d’ores et déjà été
élaboré. Il est directement accessible aux employeurs publics sous forme
dématérialisée. Au 31 août 2007, avec 503 demandes d’aide à la personne
parvenues à la plate-forme e-services, ce dispositif n’a pas encore produit
tous ses effets, mais se trouve maintenant en phase de croissance rapide.
Il est, au demeurant, normal d’observer une phase de montée en
charge progressive puisque, comme la Cour le rappelle, l’AGEFIPH avait
mis de son côté, deux années à devenir pleinement opérationnelle.
8 – S’agissant de l’
obstacle statutaire qui pourrait constituer la
condition d’équivalence des diplômes
, le recrutement direct par contrat sur
des emplois publics donne vocation à titularisation dans le corps de
fonctionnaires. Tous les corps de fonctionnaires sont classé en catégories A,
B ou C qui correspondent à des niveaux de diplôme. La condition de diplôme
peut être un obstacle au recrutement par concours dans les catégories B et C
dans la mesure où des candidats handicapés, qui ont le niveau de diplôme
requis, peuvent se trouver en concurrence, pour le même concours, avec des
candidats valides surdiplômés. Ce n’est pas le cas du recrutement direct par
contrat. Or, c’est cette dernière voie qui est privilégiée aujourd’hui pour
recruter des travailleurs handicapés dans la fonction publique (circulaire
n° 5265/SG du 23 novembre 2007).
A toutes fins utiles, il est précisé qu’une réflexion est en cours sur
l’organisation de concours moins axés sur les connaissances académiques, et
davantage sur les compétences et les potentiels. Cette mission a été confiée à
Mme Desforges, inspectrice générale de l’administration, comme préalable à
une révision générale des épreuves de concours. Elle rendra ses conclusions
pour la fin 2007.
Compte tenu de l’intérêt que le gouvernement attache à la politique
d’insertion des personnes handicapées, je tenais à vous faire part de ces
quelques éléments d’information complémentaires.
206
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DU DIRECTEUR DU FONDS POUR L’INSERTION DES
PERSONNES HANDICAPÉES DANS LA FONCTION PUBLIQUE
(FIPHP)
Depuis la mise en place du Fonds en juin 2006 :
−
le Comité national a défini ses orientations stratégiques ;
−
il a défini le catalogue des aides qu’il attribue, et publié et diffusé à
40 000 exemplaires un « guide de l’employeur public » qui traite, à
l’intention des employeurs, des questions relatives au recrutement et
au maintien dans l’emploi public des personnes handicapées et qui
présente le fonctionnement et les modes d’intervention du FIPHFP ;
−
22 comités locaux (sur 26) ont été mis en place (au 12 décembre
2007) ;
−
le gestionnaire administratif a mis en place le processus de
recouvrement des contributions qui permet au Fonds de disposer de
ressources, et mis en oeuvre la « plate-forme e-services » à partir de
laquelle les demandes d’aides individuelles émanant des employeurs
peuvent être traitées ;
−
les premières conventions avec des employeurs justifiant d’une
taille suffisante pour mettre en place des programmes pluriannuels
d’emploi des personnes handicapées, ont été négociées et signées.
A la fin de l’année 2007, le FIPHFP aura :
−
mis en place 1356 aides individuelles pour un montant total de
3,8 M€ ;
−
engagé 7 conventions pluriannuelles pour un montant total de
24,6 M€
(dont 3,3 M€ payés au titre de 2007).
En octobre 2007, le comité national a élu un nouveau président. Un
nouveau Directeur a été nommé le 26 septembre2007.
Les travaux conduits au sein du FIPHFP, en liaison avec les tutelles et
le gestionnaire administratif, ont permis, au cours du quatrième trimestre
2007 :
−
l’approbation d’une convention de gestion administrative du
Fonds, basée sur un réexamen des conditions d’exercice des
missions du gestionnaire administratif et une stabilisation du coût
de cette gestion à un niveau de 4,1 % des recettes attendues pour
le budget 2008 ;
−
l’approbation du projet de budget 2008 du FIPHFP.
LA MISE EN PLACE DU FONDS POUR L’INSERTION DES
PERSONNES HANDICAPÉES DANS LA FONCTION PUBLIQUE
207
Ce projet de budget tient compte :
−
de la montée en puissance de l’activité du FIPHFP qui se traduit tout à la
fois par l’accroissement du nombre d’aides traitées par la plateforme et la
signature des premières conventions établissant des engagements
financiers pluriannuels ;
−
de l’augmentation progressive du taux des contributions des employeurs
publics assujettis au FIPHFP, mais aussi de la disposition en cours de
discussion au Parlement permettant aux employeurs qui engagent des
dépenses de financement des auxiliaires de vie scolaire (AVS) de déduire
la totalité de ces dépenses du montant de leur contribution au Fonds.
Cette mesure, si elle doit avoir un caractère permanent, amputera à terme
de façon sensible les ressources du Fonds, qui n’atteindront pas dans ces
conditions le niveau de 250 M€
par an en 2010 mentionné dans le
rapport ;
−
des orientations du Gouvernement, renforçant l’incitation à augmenter le
nombre de personnes handicapées dans la fonction publique d’État.
Le budget 2008 du FIPHFP comporte une enveloppe de 2 M€ destinée à
financer un plan de communication destiné à accroître la mobilisation des
employeurs publics en leur faisant connaître les solutions concrètes permettant
de développer l’emploi des personnes handicapées et en facilitant leur accès
aux moyens du FIPHFP.
Il prévoit de porter ses dépenses d’intervention à 120 M€, notamment par une
montée de conventions passées avec les employeurs publics, mais également au
travers des partenariats dont la concrétisation fait partie des objectifs du Fonds
pour 2008 (AGEFIPH, CNFPT, …), et permettront de démultiplier son action,
d’assurer la cohérence entre les financements du FIPHFP et les autres
intervenants (fonds de compensation départementaux…), ainsi que d’intervenir
dans le domaine de la formation en amont du processus de recrutement.
La mise en place de ces conventions a commencé de se concrétiser avec la mise
en place du financement des plans pluriannuels de développement de l’emploi
des personnes handicapées :
−
du Ministère de la Justice
−
du MINEFE
−
du Ministère du Travail
−
du Conseil Général du Maine et Loire
−
de la Préfecture de la Savoie
−
de la Mairie de Paris ;
et également par la signature d’une convention avec le Centre National de la
Fonction Publique Territoriale. Ce partenariat a pour objet la mise en place et
la promotion de formations spécifiques relatives au handicap destinées aux
agents territoriaux et également aux personnes handicapées qui souhaitent
entrer dans la fonction publique territoriale.
L'évolution des structures et des
services aux demandeurs d'emploi
_____________________
PRESENTATION
____________________
La fusion entre l’ANPE et l’Unédic, dans son contenu et ses
modalités, doit être avant tout inspirée par l'amélioration du service
rendu aux demandeurs d’emploi. C’est dans cette perspective que la Cour
a examiné les évolutions récentes intervenues dans le cadre d'une
politique plus active de lutte contre le chômage, dans le souci d’aider
davantage le demandeur d'emploi à retrouver, si possible rapidement, un
emploi, ou, à défaut, de lui proposer une palette de services adaptés.
(formation, etc.).
Dans la logique du plan de cohésion sociale qui avait fait des
institutions de l’assurance chômage des membres à part entière du
service public de l’emploi, la Cour, en mars 2006, avait préconisé le
rapprochement entre ces institutions et l’ANPE dans des domaines aussi
structurant que l’implantation territoriale et les systèmes d’informations.
Deux ans plus tard, elle a examiné ces rapprochements ainsi que le
contenu des maisons de l’emploi, présentées comme la préfiguration de
guichets uniques.
En ce qui concerne le suivi des demandeurs d’emploi, le PARE-
PAP a été remplacé en juin 2006 par les « parcours » du « projet
personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE) ». Depuis le premier janvier
2006, chaque demandeur bénéficie d’un entretien mensuel à compter du
4
ème
mois d’inscription, ces entretiens étant assurés par le même
conseiller. De nouvelles méthodes de suivi ont été définies, avec la mise
en place d’un outil de profilage statistique destiné à tous les demandeurs,
indemnisés ou non.
210
COUR DES COMPTES
En outre, les conditions de mise en oeuvre des expériences menées
dès 2004 qui ont confié à des opérateurs privés de placement un suivi
renforcé des personnes les plus éloignées de l’emploi ont été revues, et la
seconde phase d’expérimentation concerne des populations beaucoup
plus importantes.
Enfin, le suivi de certaines populations peut être confié par
l’ANPE à des co-traitants : missions locales pour les jeunes, réseau CAP
emploi pour les personnes handicapées, association pour l’emploi des
cadres (APEC) pour les cadres qui perçoit des cotisations obligatoires
que la Cour a contrôlé pour la première fois.
I
-
Le rapprochement largement inabouti des
structures en charge des demandeurs d’emploi
Dans le rapport public thématique « L’évolution de l’assurance
chômage : de l’indemnisation à l’aide au retour à l’emploi » publié en
mars 2006, la Cour formulait des recommandations visant notamment au
rapprochement des réseaux de l’Unédic et de l’ANPE dans des domaines
structurants comme les implantations immobilières et les systèmes
d’information en vue d’améliorer l’accueil et le suivi des demandeurs
d’emploi. A côté de ces réseaux opérationnels est apparue le concept de
« maison de l’emploi » qui n’a pas contribué à améliorer la lisibilité du
dispositif d’ensemble.
A - Le rapprochement physique des réseaux de l’ANPE
et de l’assurance chômage
La Cour avait identifié des « bonnes pratiques » que les initiatives
de coopération locales avaient fait émerger notamment en vue de
simplifier les démarches d’inscription au chômage et l’élaboration du
projet personnalisé de retour à l’emploi.
La convention tripartite Etat-ANPE-Unédic du 5 mai 2006 relative
aux engagements pris par les deux réseaux pour renforcer leur
coopération prévoit ainsi un dispositif de guichet unique défini comme un
lieu où l’ANPE et l’Unédic sont présents et au sein duquel les
demandeurs d’emploi et les entreprises peuvent bénéficier des services
proposés par chacun des deux organismes. La définition du guichet
unique a été précisée lors de la réunion du comité stratégique ANPE-
Unédic du 12 février 2007 comme étant soit un site commun, soit des
sites mitoyens ou distants de moins de 200 mètres, soit des sites ANPE
qui accueillent des agents Assédic ou des sites Assédic qui accueillent des
L'ÉVOLUTION DES STRUCTURES ET DES SERVICES AUX
DEMANDEURS D'EMPLOI
211
agents ANPE. Ils permettent aux demandeurs d’emploi d’être reçus en
une seule démarche par un agent de l’Assédic pour l’entretien
d’inscription et par un conseiller de l’ANPE pour l’élaboration du projet
personnalisé d’accès à l’emploi.
Au 30 juin 2007, 254 sites, qu’il faut rapprocher des 531 antennes
de l’Assédic et des 824 agences locales de l’ANPE, répondent à cette
définition, répartis selon les catégories suivantes :
Locaux communs
18
7,1%
Locaux contigus
26
10,2%
Moins de 200 m entre Assédic et ALE
69
27,2%
Antennes Assédic hébergeant des agents ANPE
124
48,8%
Agences ANPE hébergeant des agents Assédic
17
6,7%
Total
254
100%
Source : Unédic
Si ces données montrent bien l’affirmation d’une volonté politique
de rapprochement des services délivrés aux demandeurs d'emploi, elles
mettent également en lumière la faible proportion des rapprochements
« physiques » dans l’ensemble (17,3 %). Elles confirment la nécessité
persistante de faire converger les politiques immobilières des deux
institutions. Des travaux sont engagés dans ce but : un état des lieux des
zones de compétence géographique de chaque institution a été établi en
avril 2007, un référentiel immobilier commun est en cours d’élaboration
et l’harmonisation des horaires d’accueil et des jours d’ouverture des
guichets uniques est prévu pour fin 2007. Il est essentiel que ces projets
se concrétisent effectivement de façon à améliorer sensiblement l’accueil
du demandeur d’emploi dans la mesure où les maisons de l’emploi ont
une vocation plus large.
A ce titre, l’ANPE prévoit d’installer 91 agences locales au sein
des 227 maisons de l’emploi labellisées. Elle déclare que l’équivalent de
162 ETP sont mobilisés à des actions habituelles partagées sur le territoire
des maisons de l’emploi, et qu’en plus 146 ETP sont soit engagés dans le
cadre d’actions renforcées soit affectés aux maisons de l’emploi.
De son côté, l’Unédic prévoit la présence permanente d’agents
dans 27 maisons (dont 25 doivent aussi accueillir une agence locale pour
l’emploi
70
).
70) Il y aurait donc à terme 25 guichets uniques ANPE-Unédic dans des maisons de
l’emploi (sur, rappelons-le, 227 maisons labellisées, plus de 500
points d’accueil
Assédic et plus de 800 ALE). Mais aujourd’hui, il n’y en a que 7 en fonctionnement
effectif. Sur les guichets uniques, cf. plus haut et l’insertion de suivi sur les relations
entre l’ANPE et l’Unédic.
212
COUR DES COMPTES
B - Les maisons de l'emploi
Inspiré
par
différentes
réalisations
de
terrain
telles
que
Valenciennes, Perpignan, Mulhouse, Rueil, Dunkerque ou Bonneville, le
plan de cohésion sociale assignait à la maison de l’emploi d’être « à la
fois : une instance chargée de recenser les ressources humaines et de
prévoir les besoins locaux en emplois […], un lieu dédié au traitement
particulier des chômeurs en difficulté, après orientation par les grands
réseaux, notamment celui de l’ANPE, un lieu regroupant tous les services
susceptibles d’être offerts en matière d’aide à la création de leur propre
emploi par les chômeurs, l’association de tous les partenaires de l’emploi
et de la formation, fédérés au sein d’une structure juridique ».
1 -
Un dispositif encore en phase de montée en charge
On peut distinguer trois stades dans la mise en place d’une maison
de l’emploi : la labellisation du projet, la signature de la convention
permettant le participation de l’Etat au financement pour une durée de
quatre ans et enfin l’ouverture effective de la structure.
Ainsi, trois cents maisons de l’emploi avaient été annoncées pour
la fin 2007. Après la dernière commission nationale de labellisation
(tenue en février 2007), 227 projets couvrant environ la moitié du
territoire étaient labellisés. De l’aveu même de la Délégation générale à
l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) l’administration a
examiné avec bienveillance les demandes de labellisation, afin de donner
une plus grande lisibilité au lancement du dispositif.
A la fin 2006, 82 maisons seulement étaient conventionnées. A la
fin mai 2007, sur les 227 maisons labellisées, 128 étaient conventionnées,
soit 56 %. Elles ne couvraient en moyenne, selon la DARES, que 37 %
des demandeurs d’emploi. Ce taux de couverture - calculé en rapportant
les effectifs de demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE
présents dans les
communes couvertes par les maisons de l’emploi à l’ensemble des
demandeurs d’emploi de la région considérée – varie notablement selon
les régions et s’échelonnait de 3 % (Limousin) à 72 % (Alsace).
Au 10 septembre 2007,
152 maisons étaient conventionnées,
soit
67 % des maisons labellisées. Sur les 75 projets restants, certains ne
verront sans doute jamais le jour ; pour d’autres, la convention est en
discussion.
L'ÉVOLUTION DES STRUCTURES ET DES SERVICES AUX
DEMANDEURS D'EMPLOI
213
Les dates d’ouverture au public communiquées par les DRTEFP
indiquent que 65 maisons étaient en fonctionnement à la fin 2006
(souvent des maisons de l’emploi qui préexistaient au plan de cohésion
sociale), et 97 à la mi-2007.
Ce décalage dans le temps se retrouve également dans le rythme de
consommation des crédits. Le montant des crédits programmés par la loi
de cohésion sociale du 18 janvier 2005 pour le financement des maisons
de l’emploi pour la période 2005-2009 s’établissait à 680 M€ en
autorisations d’engagements ou de programmes (AE ou AP) et à
1 730 M€ en crédits de paiement. A la fin 2006, les crédits prévus par la
loi de programmation n’avaient été consommés qu’à hauteur de 8,2 %
pour les autorisations d’engagement et de 3,1 % pour les crédits de
paiement.
En
additionnant
fonctionnement
et
investissement,
la
consommation, arrêtée au 25 août 2007, a été de 118,5 M€ en AP ou AE
et de 48,9 M€ en CP.
L’assurance chômage, dont il convient de relever le rôle
déterminant joué dans la commission de labellisation, en particulier pour
préciser les règles de gouvernance des maisons de l’emploi, n’a pas
alloué de financements directs. Elle a néanmoins apporté des moyens, des
services, et mis à disposition des collaborateurs, apports qu’elle a refusé
de voir comptabilisés dans les budgets, notamment pour ne pas élargir
indûment l’assiette servant de base à la subvention de l’Etat.
Il faut d’ailleurs souligner que les différentes techniques de
valorisation des apports, d’une maison à l’autre et, au sein d’une même
maison, d’un partenaire à l’autre, rendent difficile l’appréciation de la
part réelle de l’Etat dans le financement des maisons de l’emploi et du
niveau effectif d’engagement de chacun.
2 -
Un dispositif qui doit encore trouver sa place
Le statut des maisons de l’emploi, qui associent des partenaires
publics et privés, peut être de deux types : groupement d’intérêt public
(GIP) ou association. Les GIP, qui étaient pourtant encouragés par la loi
de cohésion sociale, sont finalement minoritaires : 17 % des maisons
conventionnées à la fin 2006, 15 % prévus pour les 227 maisons
labellisées.
En reprenant la typologie de la DARES, on peut distinguer trois
grandes catégories : maison unique regroupant tout ou partie des
partenaires sur des fonctions d’accueil et d’orientation ou de délivrance
d’une offre de service plus approfondie ; maison centrale avec des
antennes (créées par la maison de l’emploi ou implantations existantes
214
COUR DES COMPTES
des partenaires) ; maison sans lieu d’accueil propre, qui s’appuie sur les
lieux d’accueil existants du réseau des partenaires.
Malgré la référence faite par les textes au
bassin d’emploi
,
l’initiative de la détermination du périmètre a été largement laissée aux
collectivités territoriales porteuses de projets. La DARES note d’ailleurs
que, fin 2006, les maisons conventionnées couvraient en moyenne 80
communes, mais avec un territoire variant de une à 498 communes.
La loi du 18 janvier 2005 pour les GIP et le décret du 22 mars
2005 fixent, aux côtés de l’État, les membres constitutifs
obligatoires
d’une maison de l’emploi : la collectivité territoriale porteuse, l'ANPE et
l’Unédic. Les autres partenaires susceptibles d’être associés apparaissent
dans le cahier des charges des maisons de l’emploi. Il s’agit des
collectivités territoriales autres que la collectivité porteuse (partenaires
constitutifs à leur demande) et d’autres partenaires, non limitativement
énumérés, tels que l’AFPA, les organismes consulaires, les partenaires
sociaux, les entreprises, l’APEC, les supports de PLIE, les missions
locales, etc.
Le rôle central confié aux élus porteurs de projets était d’emblée
un atout mais aussi une fragilité du dispositif. L’IGAS constatait dans son
rapport
d’octobre
2006
que
les
difficultés
rencontrées
tenaient
« essentiellement au niveau de mobilisation des élus, aux rivalités
politiques qui se manifestent notamment dans l’organisation territoriale
de la maison de l’emploi » mais aussi « à l’incertitude sur le devenir des
maisons de l’emploi et la pérennité de leur financement à l’échéance du
plan de cohésion sociale ».
L’occasion n’a pas été saisie de mettre un peu de cohérence dans
l’entrecroisement
déjà
existant
des
périmètres
des
collectivités
territoriales et des établissement publics de coopération intercommunale
avec ceux des plans locaux pour l’insertion et l’emploi (PLIE), des
missions locales, des comités de bassins d’emploi, ainsi qu’avec le
découpage territorial des différents partenaires (agences locales pour
l’emploi, antennes Assédic en particulier). Une position plus ferme de
l’Etat au moment d’accorder son soutien financier
aurait ainsi permis
d’éviter la concurrence fréquemment rencontrée de plusieurs maisons sur
un même bassin ou l’éloignement du terrain dont souffrent les maisons
départementales.
L’intervention de l’Etat a été essentielle mais empirique et parfois
hésitante. Elle s’est centrée sur l’élaboration de documents (textes
réglementaires, documents types, offre de services du service public de
l’emploi, charte des maisons de l’emploi, fiches de questions-réponses),
le secrétariat de la commission nationale et la tenue de réunions
L'ÉVOLUTION DES STRUCTURES ET DES SERVICES AUX
DEMANDEURS D'EMPLOI
215
préparatoires avec les membres du service public de l’emploi, l’appui aux
collectivités
et
aux
services
pour
l’élaboration
des
conventions
pluriannuelles, la mise en place des subventions, la maintenance d’un site
Internet très documenté, la préparation de l’autoévaluation (2007) et de
l’évaluation nationale (2008).
Il reste à préciser par la DARES en lien avec la DGEFP les travaux
relatifs à l’évaluation nationale et finaliser le guide national actuellement
en cours d’expérimentation qui permettra aux maisons de l’emploi de
répondre à l’obligation qui leur est faite d’une auto-évaluation annuelle.
Un système d’information partagé, un certain nombre d’indicateurs
imposés pour l’autoévaluation et la normalisation des rapports d’activité
permettraient de mener des comparaisons entre maisons de l’emploi et de
rendre tous ces travaux plus riches d’enseignements opérationnels.
C - Le rapprochement informatique
L’ANPE a décidé d’abandonner le projet GEODE dont on peut
souligner le coût très élevé sans aucun résultat tangible : les différents
chiffrages aboutissent à un coût minimal de 135,5 M€ (hors coût de
personnel et après déduction des indemnités de retard versées par les
prestataires).
L’ANPE et l’Unédic ont mis en place, à une date plus tardive que
prévu, un GIE commun, doté notamment d’un comité stratégique
coprésidé par les directeurs généraux de l’Unédic et de l’ANPE. Ce GIE
est chargé de faire en sorte que le système d’information des deux
organismes soit unique, sans que le contenu réel de ce système
d’information ait été précisé.
Encore au stade de la préfiguration, ce GIE devrait monter
rapidement en puissance dans la mesure où il est prévu la mise à
disposition de moyens en personnel importants à partir du 1
er
janvier
2008 : 1 383 personnes au total, dont 1 095 salariés de l’Unédic et 288
agents de l’ANPE. Cependant, les conditions de mise en oeuvre du GIE
conduisent à s’interroger sur ses capacités opérationnelles futures.
L’État n’est présent au comité stratégique que si son représentant
est invité. L’État ne saurait pourtant être tenu à l’écart d’une fonction
aussi stratégique dans le suivi des demandeurs d’emploi.
Si le régime d’assurance-chômage a prévu de mettre à disposition
du GIE l’ensemble de sa direction des systèmes d’information, l’ANPE
envisage de mettre à disposition ses agents, ce qui ne peut se faire sans
leur accord. Chacune de ces catégories d’agents demeure placée sous
216
COUR DES COMPTES
l’autorité hiérarchique respective de son employeur, l’Unédic ou l’ANPE,
mais les agents sont placés sous l’autorité fonctionnelle du directeur
général du GIE. De plus, l’Unédic a décidé de confier la maîtrise d’oeuvre
et l’assistance à maîtrise d’ouvrage au GIE, alors que l’ANPE a décidé de
conserver en son sein l’assistance à maîtrise d’ouvrage.
Les enjeux du rapprochement sont cependant tout à fait
prioritaires : le dossier unique du demandeur d’emploi (DUDE) prévu par
la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 est en cours de déploiement
auprès des acteurs du service public de l’emploi et à tous les utilisateurs
habilités (AFPA, APEC, Cap Emploi, maisons de l’emploi, missions
locales), et seul l’achèvement –en cours- du projet « portail de l’emploi »
facilitera réellement la mise à jour et l’accès aux données relatives aux
demandeurs d’emploi.
Enfin, la Cour relève que le projet informatique commun ANPE-
Unédic Offre de formation ANPE-Assédic (OFAA’), qui permet de
diffuser à l'ensemble des conseillers l'offre de formation disponible (au
moins celle financée sur fonds publics) ainsi que les conditions
financières de prise en charge a été déployé au printemps 2006 dans la
quasi-totalité des régions. Force est ainsi de constater la lenteur et la
timidité des réalisations. Les maisons locales de l’emploi traduisent
l’émergence des initiatives locales dans le domaine mais ne constituent en
rien les guichets uniques souhaités. Les collaborations dans le domaine
des systèmes d’information sont déséquilibrées et peu viables. Dans ces
conditions, la fusion projetée ne pourra pas reposer sur des collaborations
et des expériences croisées suffisamment nombreuses et consolidées.
II
-
L’évolution de l’accueil et de
l’accompagnement des demandeurs d’emploi
L’accueil et l’accompagnement des demandeurs d’emploi ont été
profondément modifiés par trois dispositions depuis le début 2006 :
−
la mise en place (depuis le 1
er
janvier 2006) pour chaque
demandeur d’un entretien mensuel à compter du 4
ème
mois
d’inscription, ces entretiens étant assurés par un même conseiller ;
−
la mise en place (depuis le 1
er
janvier 2006 également) d’un
« profilage
statistique »
de
tous
les
demandeurs
d’emploi,
indemnisés ou non ;
−
enfin la substitution, en juin 2006, au dispositif d’accompagnement
précédent, le PARE-PAP, des parcours du PPAE.
L'ÉVOLUTION DES STRUCTURES ET DES SERVICES AUX
DEMANDEURS D'EMPLOI
217
La Cour examine d’abord les différentes étapes du nouveau
processus, résultant de ces modifications, dans lequel entre le nouveau
demandeur d’emploi (accueil, profilage, choix de parcours, prestations,
suivi mensuel), puis les aides de l’Unédic au reclassement des
demandeurs indemnisés, enfin la connaissance et l’évaluation d’ensemble
de l’accueil et l’accompagnement.
A - Les étapes d’un processus amélioré
1 -
Le dispositif d’accueil du demandeur
Dans l’attente de la mise en place progressive des guichets uniques
qui devraient permettre aux demandeurs d’emploi d’effectuer leurs
entretiens d’inscription en une seule démarche, point examiné plus haut,
la convention tripartite du 5 mai 2006 impose un délai maximal de 8 jours
ouvrés à partir du 1
er
juillet 2006 et de 5 jours ouvrés à partir du 1
er
juillet
2007 entre les premiers entretiens de l’Assédic (IDE) et de l’ANPE
(PEP).
Cet objectif a été atteint et dépassé. Le délai moyen au mois de
février 2007 était de 5,5 jours, ce qui correspond à une diminution de
10 jours en un an, et 80 % des demandeurs sont reçus par l’ANPE moins
de 8 jours après leur premier entretien d’inscription à l’Assédic. Un effort
particulier a été fait pour les demandeurs en parcours accéléré pour
lesquels le délai est de 4,8 jours. Le directeur général de l’ANPE évalue à
20 % le nombre de demandeurs d’emploi qui effectuent leurs deux
premiers entretiens le même jour.
Un effort parallèle de réduction des délais est engagé entre l’ANPE
et les co-traitants de l’ANPE
71
. Ainsi, à terme, l’APEC devra recevoir les
demandeurs d’emploi dans un délai maximum de 5 jours ouvrés après la
prescription par l’ANPE, alors que ces délais peuvent aller jusqu'à
20 jours aujourd’hui. Mais les progrès seront plus lents compte tenu de la
structure des réseaux.
2 -
La mesure de la distance à l’emploi dès le premier entretien
L’expérimentation des techniques de profilage par l’ANPE et
l’Unédic, même si elle a été engagée tardivement, a débouché sur la mise
en place progressive, à partir de la fin avril 2006, d’un outil statistique
conçu conjointement par les deux organismes permettant de mesurer la
distance à l’emploi de chaque demandeur, indemnisable ou non, dès son
71) APEC, missions locales, réseau CAP emploi.
218
COUR DES COMPTES
premier entretien d’inscription à l’Assédic, en fonction de ses
caractéristiques personnelles et de celles du bassin d’emploi local. Depuis
le 1
er
janvier 2007 cette technique de profilage est appliquée à tous les
demandeurs qui s’inscrivent.
Trois catégories de demandeurs d’emploi sont identifiées en
fonction de leur probabilité individuelle de chômage de longue durée
dans leur bassin d’emploi : risque faible de chômage de longue durée
(RS1), risque modéré (RS2) et risque élevé (RS3). Sur la période de
calibrage de l’outil de classement, 15 % des demandeurs étaient classés
dans la catégorie RS1, 67,2 % dans la catégorie RS2, 17,8 % dans la
catégorie RS3.
Le résultat de ce profilage, réalisé par l’Assédic, est transmis au
conseiller ANPE qui dispose ainsi d’une information utile pour
déterminer, au moment du premier entretien professionnel à l’ANPE, la
forme d’accompagnement qui convient le mieux au demandeur. Le
conseiller de l’ANPE a toute liberté, en fonction des autres informations
qu’il recueille au moment du premier entretien, d’élaborer son propre
diagnostic, éventuellement différent du résultat du profilage. La Cour
déplore que le souci de préserver les domaines d’intervention des deux
institutions ait conduit à limiter la portée de cet outil de profilage : ainsi
ne comporte-t-il aucun renseignement sur le niveau de formation des
demandeurs d’emploi ni sur le type d’emploi qu’ils recherchent, au motif
que ces indications relèveraient de la seule compétence des conseillers de
l’ANPE. D’ailleurs, le diagnostic du profilage et le parcours proposé au
demandeur d’emploi ne coïncident que dans 20 à 30 % des cas. L’outil de
profilage doit donc être remanié et ses résultats plus largement pris en
compte par les conseillers de l’ANPE.
3 -
La définition des parcours d’accompagnement
Avec le passage au 1
er
janvier 2007 du PARE-PAP au PPAE, les
modalités d’accompagnement vers l’emploi ont été profondément
réformées. Comme l’avait recommandé la Cour, la sélectivité des
dispositifs a été renforcée et une définition plus précise a été donnée aux
objectifs des différents accompagnements.
Les parcours de l’accompagnement du demandeur d’emploi vers l’emploi
Les parcours types suivants sont distingués.
Parcours de recherche Accélérée
:
sont concernés les demandeurs
d’emploi les plus proches de l’emploi ou à la recherche d’un métier porteur
ou en tension.
La durée de ce parcours est de 3 mois. L’Assédic contacte au
cours de ce parcours les demandeurs d’emploi à trois reprises (à 15 jours, 30
L'ÉVOLUTION DES STRUCTURES ET DES SERVICES AUX
DEMANDEURS D'EMPLOI
219
jours et 60 jours après le début du parcours). Ces contacts sont organisés en
alternance avec des contacts réalisés à l’ANPE dans le cadre d’un
accompagnement centré sur la proposition d’offres d’emploi
.
Parcours de recherche active
: sont concernés les demandeurs d’emploi
moyennement éloignés de l’emploi. L’Assédic
organise le suivi des intéressés
au travers de contacts programmés à échéances fixes (entretiens physiques
aux 8ème et 14ème mois et au 5ème mois en 2008), en alternance pour ces
trois échéances avec le suivi mensuel personnalisé réalisé par l’ANPE à
partir du 4ème mois d’inscription. A tout moment au cours de la période de
chômage, l’Assédic est en mesure de contacter les demandeurs d’emploi,
afin de faire le point sur leur situation au regard de leur recherche d’emploi.
Ce suivi est réalisé en concertation avec l’ANPE ; il est matérialisé dans les
conventions départementales
de suivi de la recherche d’emploi conclues avec
les services déconcentrés de l’Etat.
Parcours de recherche accompagnée
: Le parcours de recherche
accompagnée doit permettre aux demandeurs d’emploi ayant une distance à
l’emploi supérieure à douze mois avec un besoin d’accompagnement d’articuler
les différents dispositifs existants. Cet accompagnement peut concerner les
techniques de recherche d’emploi ou le traitement des problèmes périphériques
à l’emploi (social/logement,…), parcours dans ce cas dit de « mobilisation vers
l’emploi ». C’est le parcours qui fait le plus largement appel à la co-traitance et
à la sous-traitance notamment au travers de la mobilisation des opérateurs privés
financés par l’Unédic ou des prestataires de l’ANPE.
Parcours créateur/repreneur d’entreprise
dont l’accompagnement peut
être confié à des opérateurs privés de placement (OPP) : quand ce n’est pas le
cas, il prévoit des entretiens de suivi de l’avancement du projet réalisés par
l’ANPE aux 6
ème
et 9
ème
mois et par l’Assédic aux 3
ème
et 11
ème
mois. Le
dispositif confié à des opérateurs privés est mis en place à titre expérimental
dans 10 régions (11 Assédic). Il doit concerner à terme 2 500 demandeurs
d’emploi en 2007 et autant en 2008. Cet accompagnement est confié à 9
opérateurs privés de placement ; il se met en place progressivement depuis
janvier 2007. Cette offre de service vient en complément du dispositif classique
(parcours coordonné Assédic/ANPE) et du dispositif national d’aide et d’appui à
la création et reprise d’entreprise mis en place par les autres acteurs (chambres
consulaires
....
)
Deux parcours supplémentaires sont en cours de définition : le p
arcours
spécifique aux allocataires en chômage saisonnier
et le p
arcours spécifique aux
allocataires en activité réduite
.
220
COUR DES COMPTES
La notion de « parcours » se substitue à celle « d’offre de service »
en vigueur dans l’ancien système PARE-PAP. La logique de parcours,
qui repose principalement sur l’évaluation de la distance à l’emploi vise à
fournir à chaque demandeur, au-delà d’un appui, les prestations qui sont
le plus propres à réduire la durée de son inactivité. Les parcours visent
aussi à favoriser les incitations du demandeur à chercher un emploi.
Toutes ces évolutions sont positives, mais la définition des
parcours devrait cependant être améliorée car elle n’est pas encore assez
sélective, le parcours de recherche active ayant un contenu trop large. Par
ailleurs, la mise en oeuvre initiale de cette grille de parcours n’a pas été
satisfaisante. En effet, depuis la mise en place du dispositif jusqu’à fin
février 2007, 701 652 demandeurs d’emploi ont été orientés vers un
parcours personnalisé dès leur premier entretien professionnel à l’ANPE :
38 038 en parcours de recherche accélérée (5,4 %), 483 803 en parcours
de recherche active (69,0 %), 159 830 (dont 7 600 en parcours de
mobilisation vers l’emploi) en parcours de recherche accompagnée
(22,8 %), 19 981 en parcours créateur repreneur d’entreprise (2,8 %). La
part des parcours de recherche accélérée est trop faible (5,4 %) et très
inférieure à ce qui était prévu (environ 15 % d’après les tests de l’outil de
profilage).
4 -
Les prestations offertes
L’ANPE considère que l’amélioration de la cohérence des parcours
types d’accompagnement dans le dispositif PPAE par rapport au PARE-
PAP devrait rendre plus étroits les liens entre les parcours et leur contenu
en prestations ; les demandeurs engagés dans les mêmes parcours
devraient davantage que par le passé bénéficier d’un ensemble de
prestations à peu près identiques. Mais cette question est seulement en
cours d’examen.
Par ailleurs, si les modalités d’accompagnement types ont été
redéfinies, l’ANPE a apporté peu de modifications aux différentes
prestations qu’elle offre. L’adaptation de celles-ci aux nouveaux parcours
est encore à l’étude.
5 -
Le suivi mensuel personnalisé
Depuis le 1
er
janvier 2006, avec la mise en place du suivi mensuel
personnalisé, chaque demandeur d’emploi est reçu tous les mois, à partir
du 4
ème
mois d’inscription, par un même conseiller, le conseiller référent,
qui le suit ainsi de façon active en lui proposant continûment des services
et en le relançant par téléphone s’il est absent à un entretien. L’entretien
mensuel personnalisé a entraîné en 2006 un doublement des entretiens
L'ÉVOLUTION DES STRUCTURES ET DES SERVICES AUX
DEMANDEURS D'EMPLOI
221
réalisés par l’ANPE
72
. Appliquée à tous les demandeurs d’emploi depuis
le printemps 2007, cette continuité et cette personnalisation du suivi
modifient profondément la nature de l’accompagnement et ses effets
devront être évalués lorsque le recul sera suffisant.
B - La gestion des aides financières versées par l’Unédic
pour favoriser le retour à l’emploi
Les
aides
au
reclassement
proposées
aux
allocataires
de
l’assurance chômage par l’Unédic visent trois objectifs : favoriser la
reprise d’activité des allocataires qui sont en chômage de longue durée
par l’attribution d’une aide à l’employeur ; accroître leur mobilité
géographique ; renforcer leur capacité à répondre rapidement aux besoins
des secteurs où l’offre d’emploi est forte par des actions de formation
spécifiques. Ces aides ont été complétées par l’aide forfaitaire liée au
contrat de professionnalisation et par la prise en charge des frais relatifs à
une démarche de validation des acquis de l’expérience (VAE).
La Cour avait relevé dans son rapport public thématique que les
volumes de ces aides financières étaient relativement limités et que leur
mode de répartition entre les différentes Assédic engendrait une trop
grande rigidité dans l’affectation des crédits aux actions.
Les évolutions n’ont pas été corrigées, elles se sont même
accentuées. L’enveloppe financière annuelle globale fixée à 472 M€ sur
la période antérieure a été maintenue à ce niveau en 2005 et elle a été
diminuée en 2006 (440 M€). De plus, le taux de consommation de ces
enveloppes est demeuré faible et s’est très fortement infléchi en 2006. De
ce fait, le nombre de bénéficiaires dont la Cour avait relevé qu’il était
relativement limité au regard du nombre des demandeurs d’emplois a
fortement diminué.
Comme au cours de la période antérieure, la répartition de
l’enveloppe globale entre les différentes aides s’est notablement écartée,
des objectifs fixés par le Groupe paritaire national de suivi (GPNS)
73
au
profit de l’aide dégressive à l’employeur. De même, l’affectation des
enveloppes est demeurée trop rigide et il n’a pas été tenu compte des
spécificités régionales propres à ces aides, en dépit des modifications
72) L’augmentation fut cependant inférieure à ce qui avait été prévu. Cf. sur ce point
l’insertion sur la gestion des ressources humaines de l’ANPE.
73) Instance de l’Unédic qui veille aux modalités opérationnelles de mise en oeuvre
des dispositions de la convention d’assurance chômage, adopte les orientations, fixe
les priorités en matière de formation des allocataires de l’assurance chômage et veille
au respect des enveloppes financières affectées.
222
COUR DES COMPTES
intervenues en 2005 et 2006 dans les règles de calcul des enveloppes
régionales.
Il aura donc fallu attendre mars 2007 pour que le GPNS décide
d’installer un groupe de travail chargé d’examiner les critères de répartition
des différentes enveloppes et de proposer des modifications pour mieux
tenir compte des spécificités de chaque Assédic.
C - La connaissance du dispositif et son évaluation
1 -
La connaissance et le suivi du dispositif
La Cour avait critiqué l’insuffisance des données disponibles,
notamment sur les motifs de sortie de la liste des demandeurs et sur le
système retenu d’indicateurs
qui sont apparus très difficilement
interprétables du fait des biais dont ils souffrent (notamment effet de la
conjoncture, changement de règles de l’assurance chômage, mesure de la
rapidité de sortie et non vitesse de retour à l’emploi).
Concernant les motifs de sortie de la liste, des travaux d’appariement
du fichier des demandeurs d’emploi et du fichier des déclarations annuelles
de salaires (DADS) qui fournit des informations précises sur les salaires et
les emplois occupés sont en cours de réalisation par l’INSEE la DARES et
l’ANPE.
Les indicateurs destinés à apprécier l’efficacité du suivi des
demandeurs ont été refondus. Ils distinguent désormais les prestataires
privés et les co-traitants de l’ANPE, ce qui permettra de procéder à des
comparaisons de résultats entre les différents opérateurs. Cependant, le
système d’information nécessaire à leur alimentation sera long à mettre en
place, et la critique principale de la Cour qui portait sur la difficulté
d’interprétation de ces indicateurs indépendamment de l’efficacité propre
des dispositifs, n’a pas trouvé de réponse.
2 -
L’évaluation du dispositif
La Cour avait critiqué le dispositif mis en place pour évaluer le
programme PARE-PAP, notamment la dilution des responsabilités entre
les différentes instances d’évaluation prévues et l’absence de définition
préalable d’une méthode. Depuis, un important ensemble de travaux de
recherche sur la notion et les modalités possibles de l’accompagnement
des demandeurs d’emplois a été lancé par appel à projets par la DARES.
Aucun résultat n’est encore disponible.
L'ÉVOLUTION DES STRUCTURES ET DES SERVICES AUX
DEMANDEURS D'EMPLOI
223
Certaines des insuffisances du dispositif d’évaluation antérieur ont
été corrigées. Les conventions entre l’Etat, l’Unédic et l’ANPE précisent
notamment
que
les
évaluations
doivent
recourir
aux
méthodes
d’expérimentation contrôlée comparant les vitesses et modalités de retour
à
l’emploi
des
demandeurs
d’emploi
bénéficiant
de
prestations
d’accompagnement à celles de demandeurs de mêmes caractéristiques qui
n’en bénéficient pas (population dite « témoin ») et soulignent la
nécessité de faire appel à des équipes de recherche spécialisées, ce qui est
un gage de qualité et d’impartialité. Cependant, le dispositif de pilotage
des évaluations du PPAE lui-même n’est pas précisément prévu ; il est
indiqué seulement dans la convention ANPE-Unédic que le comité
stratégique de ces deux organismes veillera à la coordination des travaux
et aucune échéance n’est imposée.
III
-
Le recours à des opérateurs privés de
placement
La Cour a examiné de nouveau le déroulement des expériences de
recours à des opérateurs privés de placement
depuis le début de 2005.
Ces expériences, menées par l’Unédic et les Assédic en coopération avec
l’ANPE, concernent uniquement des demandeurs d’emploi allocataires de
l’assurance chômage. Parmi ceux-ci, elles visent des personnes
rencontrant des difficultés particulières de reclassement, exposées à un
risque important de chômage de longue durée. Elles se sont déroulées en
deux phases. Une première série d’opérations (2005-2006), faisant appel
à cinq opérateurs, concernait 9 700 demandeurs d’emploi pour un coût
potentiel de l’ordre de 35 millions d’euros. Une seconde phase s’est
ouverte en janvier 2007 avec dix-sept prestataires dans le cadre d’un
programme sur deux ans devant concerner 92 000 demandeurs, tandis que
l’ANPE développe au même moment dans six régions un programme
concurrent, Cap vers l’entreprise (CVE), pour 40 000 demandeurs.
A - Des premières expériences peu concluantes
Comme la Cour l’avait constaté pour l’une des opérations, lancée
dès l’automne 2004, le choix des opérateurs privés de placement de la
première phase n’a pas toujours donné lieu à une mise en concurrence
formalisée. La rémunération des prestataires, assez élevée, comportait une
partie fixe prépondérante et n’incitait guère à obtenir un retour durable à
l’emploi.
224
COUR DES COMPTES
Ces expériences se sont heurtées à des difficultés pour remplir les
objectifs de nombre d’entrées chez les opérateurs privés de placement.
L’une des expériences n’a pas permis d’atteindre le volume attendu. Il en
a été de même, en 2006, pour deux des trois opérateurs avec lesquels des
avenants avaient été passés pour faire entrer dans le dispositif 2 050
demandeurs d’emploi supplémentaires.
Le fait que ces expériences soient fondées sur le volontariat a
constitué la principale difficulté. Des demandeurs d’emploi présentant les
caractéristiques requises se voyaient proposer un accompagnement
personnalisé d’une durée maximale de neuf ou dix mois, plus renforcé
que les prestations habituelles de l’ANPE. Dans la pratique, un tiers
seulement des demandeurs identifiés pour être orientés vers un opérateur
privé sont effectivement entrés dans le dispositif. Cette difficulté s’est
trouvée amplifiée par les délais excessifs de la procédure d’orientation
vers les opérateurs et la possibilité pour le demandeur d’emploi de refuser
la prestation à plusieurs stades de la procédure : premier entretien à
l’ANPE, convocation chez le prestataire, premier entretien chez le
prestataire.
Ces difficultés, jointes à l’hétérogénéité des populations et à
l’effectif limité de celles qui furent orientées vers quatre opérateurs sur
cinq, expliquent qu’il ait été impossible de comparer les résultats des
opérateurs privés de placement avec ceux d’un groupe témoin, comme
cela avait été prévu. Les essais d’évaluation des résultats de ces
prestations présentés tant par l’Unédic que par l’ANPE sont dès lors peu
convaincants.
En matière de retour à l’emploi, la valeur probante des statistiques
d’accès à l’emploi qui ont été tirées du suivi mis en oeuvre par l’Unédic
est faible. Ces données ne fournissent aucune information sur l’efficacité
comparée des opérateurs privés de placement par rapport aux autres
formes d’accompagnement. Elles ne permettent pas, en particulier,
d’apprécier dans quelle mesure les demandeurs d’emploi pris en charge
par ces opérateurs sont sortis durablement du chômage au cours et à la
suite de l’accompagnement.
Une étude de l’ANPE, décidée en réaction à celle de l’Unédic,
tente de comparer l’impact des opérateurs privés de placement et d’un
accompagnement par l’ANPE. Elle ne montre
aucune différence sensible
entre les deux types d’accompagnement. Ses résultats n’emportent
cependant pas non plus la conviction, car la comparaison peut être
faussée par la dissemblance des populations étudiées.
L'ÉVOLUTION DES STRUCTURES ET DES SERVICES AUX
DEMANDEURS D'EMPLOI
225
Sur l’impact financier des opérateurs privés de placement du point
de vue de l’assurance chômage, une étude, contestée devant le conseil
d’orientation de l’emploi, fait état d’un gain de l’ordre de 3 400 euros par
demandeur accompagné par rapport à un demandeur allant jusqu’à la fin
de ses droits.
Un sondage limité
74
, portant sur le principal opérateur privé et sur
l’une des deux Assédic où son intervention s’est déroulée, a été réalisé
par la Cour. Pour l’ensemble des demandeurs de l’échantillon, le total des
économies maximales théoriques est supérieur à la rémunération de
l’opérateur. Ce bilan est toutefois négatif pour près de 60 % des
demandeurs de ce (petit) échantillon. L’économie nette globale est
attribuable en quasi-totalité à une quinzaine de demandeurs qui se
caractérisent par un niveau moyen élevé d’indemnité d’assurance
chômage ou par leur appartenance à une filière d’indemnisation longue –
dans près de la moitié de ces cas il s’agit de la filière de 1 095 jours
réservée à des demandeurs d’au moins cinquante ans. Parmi ces quinze
demandeurs, dans plusieurs cas, le profil des bénéficiaires ne semblait pas
nécessairement justifier a priori qu’ils bénéficient d’un accompagnement
particulièrement renforcé réservé aux chômeurs présentant un risque fort
de chômage de longue durée.
La relative modestie de ce résultat s’explique par diverses causes :
les emplois retrouvés sont loin d’être tous stables ; l’importance de la
partie fixe alourdit le coût de la rémunération de l’opérateur ; surtout, le
coût unitaire d’un accompagnement lourd peut devenir rapidement
prohibitif
au
regard
de
l’espérance
d’économie
lorsqu’une
part
substantielle de la durée d’indemnisation a déjà été consommée, lorsque
le taux journalier de l’indemnité est faible ou lorsque l’emploi retrouvé, à
temps partiel, ne correspond en fait qu’à une activité réduite cumulable
avec une partie de l’indemnisation.
B -
Une montée en puissance dont les résultats doivent
encore être évalués
La seconde phase
de l’expérience de recours aux opérateurs privés
de placement décuple à peu près les effectifs (elle concerne 92 000
personnes) et le coût des opérations menées. L’Unédic a en partie tiré les
leçons de la première phase en améliorant le dispositif sur plusieurs
points : procédure formalisée d’appel à la concurrence, meilleure
74) Pour chacune des 150 personnes tirées au hasard sur une population de 1 361
bénéficiaires entrés en accompagnement de février à octobre 2005, ont été évalués le
coût de l’intervention de l’opérateur et les économies maximales, pour l’assurance
chômage, pouvant être attribuées à cette intervention.
226
COUR DES COMPTES
organisation de la coopération entre les acteurs, rémunération des
prestataires globalement moins coûteuse et plus incitative, meilleure
implication des Assédic dans le contrôle des facturations, prise en charge
par l’opérateur à la fois plus précoce et de plus courte durée –en général
six mois, au lieu de neuf ou dix mois auparavant. Les premières
expériences ont interpellé l’ANPE, cette dernière entendant désormais
démontrer sa compétitivité par le lancement de son programme Cap vers
l’entreprise. L’ANPE a aussi fortement contribué à faciliter l’évaluation
de ces différentes actions. Le nouveau dispositif d’évaluation, mis en
place au début de 2007 conjointement par l’Unédic, l’ANPE et la
DARES, représente à cet égard un progrès décisif par rapport aux
pratiques antérieures.
Un dispositif d’évaluation innovant
Une évaluation indépendante a été prévue et organisée dès la mise en
place de la seconde phase des expérimentations. Elle est placée sous la
responsabilité d’un comité de pilotage qui rassemble des représentants de la
direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques
(DARES) au ministère chargé de l’emploi, de l’Unédic et de l’ANPE.
Le dispositif comporte trois volets : une évaluation scientifique de
l’impact des accompagnements proposés tant par les opérateurs privés que
par le programme Cap vers l’entreprise de l’ANPE ; des enquêtes statistiques
auprès des bénéficiaires et des non-bénéficiaires, visant à obtenir des
informations précises sur leur situation, et notamment sur la qualité et la
durabilité des emplois retrouvés ; des enquêtes de terrain par entretien auprès
des acteurs des expérimentations.
Le premier volet de l’évaluation est particulièrement innovant.
L’exercice consiste à comparer les effets de l’accompagnement renforcé dit
classique, de trois mois, proposé par l’ANPE à ceux des accompagnements
proposés par les opérateurs privés et à ceux du programme Cap vers
l’entreprise de l’ANPE, plus long –six mois- et plus intensif que
l’accompagnement classique, et très semblable à celui des opérateurs privés.
Les bénéficiaires de l’accompagnement classique servent de groupe témoin.
L’ANPE a mis en place dans un court délai un outil de constitution des
cohortes
qui
affecte
de
façon
aléatoire
entre
différents
modes
d’accompagnement les demandeurs d’emploi présentant les caractéristiques
requises. La comparaison doit porter au moins sur la sortie vers l’emploi, la
récurrence du chômage et le bilan net coût d’accompagnement/économies de
versement d’allocation chômage. La méthode employée permet de rendre
comparables les différents groupes étudiés en dépit du fait qu’ils ne sont pas
entièrement choisis au hasard -les demandeurs d’emploi pouvant refuser la
prestation proposée ou, à l’inverse, la demander même si elle ne leur a pas été
proposée.
L'ÉVOLUTION DES STRUCTURES ET DES SERVICES AUX
DEMANDEURS D'EMPLOI
227
Les
expériences
en
cours
ne
restent
pas
exemptes
de
dysfonctionnements. Une première interrogation est suscitée par les
difficultés de la montée en charge du dispositif : utilisation insuffisante de
l’outil destiné à une sélection aléatoire des populations orientées vers les
OPP, vers CVE et vers le traitement classique ; contestations locales de
cet outil par des agents de l’ANPE ; taux d’adhésion des demandeurs
d’emploi orientés vers les opérateurs privés demeurant inférieur à ce qui
était attendu (40 % à la fin de juin 2007 au lieu de 50 %). Ces difficultés
ont été apparemment plus graves que celles constatées au cours de la
première phase. À la fin du premier semestre 2007, le déficit cumulé des
entrées par rapport aux prévisions était d’environ un tiers pour les
opérateurs privés, de 40 % pour Cap vers l’entreprise. Ce déficit n’était
pas résorbé pour Cap vers l’entreprise à la fin de l’été 2007. A cette date,
10 % des demandeurs d’emploi restaient en attente de leur orientation
vers Cap vers l’entreprise, un opérateur privé ou un accompagnement
classique.
De tels dysfonctionnements perturbaient la finalité même des
dispositifs des opérateurs privés de placement et de Cap vers l’entreprise.
D’une part, en effet, de nombreux demandeurs d’emploi qui a priori
auraient eu besoin de ces types d’accompagnement n’en bénéficiaient pas
car la prestation tardait à leur être proposée ou ils n’avaient pas adhéré au
dispositif s’il leur avait été proposé. D’autre part, ces demandeurs faisant
défaut, un plan d’urgence avait été mis en oeuvre pour rechercher d’autres
demandeurs qui, a priori, avaient moins besoin ou n’avaient pas besoin de
ces prestations : demandeurs du stock plus anciens « et pour lesquels un
besoin serait néanmoins identifié » -alors qu’un tel besoin n’était pas
apparu
évident
jusque-là ;
demandeurs
n’ayant
pas
un
projet
professionnel défini ; demandeurs classés par les conseillers de l’ANPE
dans un parcours ne justifiant pas un accompagnement très renforcé.
Une deuxième interrogation concerne les critères de choix des
populations concernées : il s’agit a priori des chômeurs les plus éloignés
de l’emploi, mais des divergences excessives demeurent entre la
perception statistique de ce risque par l’Unédic et cette même perception
matérialisée par les prescriptions des agents de l’ANPE
75
.
75) Depuis la mise en place conjointe de l’outil de profilage et des nouveaux parcours
des demandeurs d’emploi, moins de 30 % des demandeurs d’emploi classés par
l’ANPE en parcours de recherche accompagnée (demandeurs ayant vocation à
bénéficier d’un accompagnement renforcé) ont été classés auparavant par l’outil de
profilage dans le niveau du risque de chômage de longue durée le plus élevé dit
« RS3 ». Réciproquement, un tiers seulement des demandeurs classés RS3 par l’outil
de profilage ont été ensuite positionnés en parcours de recherche accompagnée par
l’ANPE.
228
COUR DES COMPTES
Enfin, dans l’attente des résultats des nouvelles évaluations,
l’incertitude demeure à la fois sur la rentabilité de l’investissement
d’accompagnement très renforcé, qui consomme beaucoup de temps
pouvant être aussi consacré à d’autres actions et sur l’efficacité comparée
des prestations des opérateurs privés de placement et de l’ANPE. Pour
lever ces incertitudes, il conviendrait de s’interroger sur la nécessité
d’obtenir ou non l’adhésion des demandeurs d’emploi à une orientation
vers un opérateurs privés ou Cap vers l’entreprise et de réduire l’écart de
diagnostic entre l’outil de profilage qui semble encore perfectible (cf. ci-
dessus) et les prescriptions des agents de l’ANPE.
IV
-
L’accompagnement des cadres sans emploi
par l’Association pour l’emploi des cadres (APEC)
Association de 1901 réunissant à parité les représentants du
MEDEF et des organisations de salariés, l’APEC oeuvre au reclassement
des cadres ayant perdu leur emploi, conformément à l’ambition exprimée
par la convention collective nationale du 18 novembre 1966. L’APEC a
depuis élargi ses missions à des activités d’étude et de recherche
(observatoire), à des activités commerciales (prestations de service au
profit des entreprises et aux cadres dans la gestion de leur carrière), ainsi
qu’à la mise en place d’un système d’information au bénéfice de
l’ensemble des cadres, qu’ils travaillent ou soient à la recherche d’un
emploi. L’association bénéficie d’une cotisation légalement obligatoire,
assise sur le nombre et la masse salariale des cadres supportée à hauteur
de 2/5 par les cadres et de 3/5 par leur employeur. Elle a fait l’objet, pour
la première fois, d’un contrôle de la Cour
76
, en 2007.
La coopération avec l’ANPE, inaugurée dès 1969 par une première
convention de placement, s’est sensiblement renforcée depuis 2001 dans
le cadre de la « co-traitance » : les conseillers de l'ANPE peuvent, avec
leur consentement, diriger vers l’APEC des demandeurs d'emploi cadres
titulaires d’un PAP ou d’un PPAE, dans la limite d’un nombre maximum
de 30 000 par an, dont un dixième n’est pas indemnisé par le régime
d'assurance-chômage. Cette mission d’accompagnement des demandeurs
d’emploi cadres a initialement été mise en oeuvre par une autre
association, l’association de gestion des bilans de compétences pour les
cadres (AGBCC) dont le caractère formel de son indépendance à l’égard
de l'APEC conduit à s’interroger sur la justification du maintien de cette
structure.
76) Dans le cadre de l’article L-111-7 du code des juridictions financières.
L'ÉVOLUTION DES STRUCTURES ET DES SERVICES AUX
DEMANDEURS D'EMPLOI
229
L’ANPE rémunère le service rendu par l’APEC en versant, pour
chaque demandeur indemnisé accompagné, sur les crédits de l’assurance
chômage, une somme qui a évolué de 534 € en 2001 à 560 € en 2006 (pour
les parcours de « recherche active ») et 1 300 € (pour les parcours
« recherche accompagnée »). L’APEC prend à sa charge le coût de
l’accompagnement
des
10%
de
cadres
demandeurs
d'emploi
non
indemnisés.
A - Les effets de la « co-traitance » ANPE-APEC
Avant 2001, l’ANPE et l’APEC avaient déjà conduit des actions
communes, notamment en direction des jeunes diplômés, mais la co-
traitance a donné l’occasion à l’APEC de mieux structurer son offre de
services au profit des parcours 2 et 3 qui lui sont confiés : le cadre
demandeur d'emploi bénéficie de plusieurs entretiens et participe à des
ateliers dès la perte de son emploi ; l’APEC estime en effet que
l’accompagnement doit être concentré sur les premiers mois de chômage.
La complémentarité entre les deux institutions ne semble pas pouvoir
aller plus loin que le système de la co-traitance, qui ne vise qu’une partie de
la population de cadres recherchant un emploi, pour deux raisons
principales : la capacité de traitement de l’APEC (245 personnes en 2005)
et
la
liberté
laissée
au
demandeur
d'emploi
de
choisir
entre
accompagnement ANPE et accompagnement APEC.
B - Les difficultés rencontrées dans la communication des
données et la réduction des délais
Faute de pouvoir aboutir à construire une interface entre l’application
propre à l’APEC et celle de l’ANPE, « Gide », ce n’est qu’à la faveur de
l’extension à l’APEC du dossier unique du demandeur d'emploi (DUDE),
qui permet aux différents organismes du service public de l'emploi, ou
travaillant en liaison avec lui, de saisir directement les prescriptions de
prestations et les conclusions des entretiens, que devaient être réglées pour
la fin de l’année 2007 les difficultés dues aux divergences des systèmes
d’information des deux partenaires. Ainsi, 10% des affectations à l’APEC
se font encore en 2007 en méconnaissance des conditions que doit réunir le
cadre demandeur d'emploi pour en bénéficier
77
, faute pour le conseiller
ANPE d’accéder à la donnée « nom de la caisse de retraite » dans Gide ; ce
point a pu contraindre certains demandeurs d'emploi à des aller et retours
inutiles entre les deux organismes.
77) Inscription à une caisse de retraite et de prévoyance des cadres, prévue par la
convention collective nationale du 14 mars 1947, et classement par l’ANPE en
parcours 2 ou 3.
230
COUR DES COMPTES
Cette inadéquation d’une partie des flux d’affectation à l’APEC,
couplée à une certaine irrégularité temporelle dans l’affectation des
demandeurs, a créé des périodes de surcharge pour les consultants de
l’APEC chargés de recevoir les cadres, nuisant à la qualité du service rendu
et compromettant l’égalité de traitement dont ces derniers doivent
bénéficier.
Enfin, les délais entourant les démarches du cadre demandeur
d'emploi « co-traité » ne s’améliorent que progressivement : le bilan 2004
de la co-traitance faisait état d’un intervalle de 54 jours entre le premier
rendez vous à l’Assédic et le premier rendez vous avec l’APEC. Pour sa
part, l’ANPE s’est engagée, d’une part, à conduire le premier entretien
diagnostic dans les cinq jours après l’entretien d’inscription à l’Assédic et
50 % d’entre eux le même jour
78
, d’autre part, à adresser le cadre sans
emploi à l’APEC dans les cinq jours suivants
79
.
Interrogée sur l’expérimentation, menée d’octobre 2004 à fin 2005
en Poitou-Charentes, d’une affectation directe à l’APEC par l’Assédic qui
avait permis une sensible réduction des délais, l’ANPE estime que la
réduction des délais ne requiert pas une telle affectation directe, car elle
peut être obtenue grâce aux guichets uniques ANPE-Unédic, qui permettent
au demandeur d'emploi de bénéficier de l’inscription Assédic et du
diagnostic ANPE sur le même site et dans la même journée. Ces guichets
uniques sont cependant encore extrêmement peu nombreux (cf. ci-dessus),
ce qui confère à la liaison directe Assédic-APEC, qui semblait découler
naturellement de l’élargissement du service public de l’emploi décidé par la
loi de cohésion sociale, un certain intérêt. La Cour déplore que de telles
expérimentations n’aient pas été poursuivies ou étendues.
C - L’absence de supériorité avérée de l’APEC
L’APEC a financé de nombreuses études pour mesurer le taux et la
vitesse du retour à l’emploi des cadres qu’elle accompagne. Basées sur le
suivi régulier de cohortes de demandeurs d'emploi de 2002 à 2006, leurs
résultats sont marqués par les fluctuations du marché du travail.
Deux études s’essaient à des comparaisons : la première, comparant
le reclassement des demandeurs d'emploi qui s’adressent à l’APEC de leur
propre initiative et celui des personnes qui lui sont affectées par l’ANPE,
remonte à 2002, première année de plein effet de la co-traitance Les biais
dans la sélection des populations respectivement suivies -caractéristiques
sociodémographiques différentes, type d’éloignement par rapport à
78) L’ANPE estimait, en août 2007, que 20 % des entretiens se tenaient le même jour.
79) Nouvel accord de co-traitance 2006-2008.
L'ÉVOLUTION DES STRUCTURES ET DES SERVICES AUX
DEMANDEURS D'EMPLOI
231
l’emploi- fragilisent cependant le constat d’un écart en faveur des
demandeurs d'emploi hors co-traitance.
La seconde, plus récente (avril 2004), est la seule à comparer le
retour à l’emploi d’une population suivie par l’APEC dans le cadre de la
co-traitance et celui d’une population similaire accompagnée par l’ANPE,
les deux ensembles étant inscrits à l’ANPE entre janvier et février 2003. La
proportion des demandeurs d'emploi qui travaillaient quinze mois après
cette inscription est légèrement plus élevée pour l’ANPE que pour l’APEC
(42% contre 39%), mais ceux qui avaient bénéficié des services de l’APEC
avaient retrouvé cet emploi légèrement auparavant. Là encore, l’imparfaite
comparabilité des deux populations suivies, ajoutée à la durée de la
procédure d’affectation à l’APEC, ne permet pas de tirer des conclusions
assurées.
Un investissement renouvelé dans la réalisation d’études strictement
comparables est donc indispensable pour apprécier les performances
respectives du reclassement des cadres demandeurs d'emploi et évaluer
ainsi l’éventuelle « valeur ajoutée » de l’APEC.
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
La fusion entre l’ANPE et l’Unédic remédiera à certaines difficultés
frictionnelles, mais ne permettra pas l’économie d’une réflexion en
profondeur sur les méthodes d’accompagnement à mettre en oeuvre en vue
d’un retour rapide à l’emploi. La réforme doit avant tout entraîner un
accroissement de l’efficience du service public de l’emploi, au moins à
moyen terme, accroissement qui devrait se traduire à la fois par une
amélioration du service et une réduction de son coût pour la collectivité.
Dans cette perspective, il est possible de tirer des analyses
précédentes les conclusions et recommandations suivantes.
1) En ce qui concerne le suivi des demandeurs d’emploi
, la Cour
prend acte de l’intensification et de la diversification des actions menées.
Elle formule les recommandations suivantes :
- l’outil de profilage doit être amélioré et complété, et son utilisation
par les conseillers de l’emploi doit être systématique ;
- la gamme des prestations proposées par l’ANPE doit être mieux
adaptée
à chaque « parcours » ;
- les conditions d’attribution des aides financières accordées par
l’assurance
chômage
doivent
mieux
tenir
compte
des
spécificités
régionales ;
- dans la ligne des améliorations constatées, l’effort en faveur de
l’évaluation des incidences sur le retour à l’emploi doit être poursuivi.
232
COUR DES COMPTES
2) S’agissant du recours à des opérateurs privés de placement
, la
Cour prend acte de ce qu’il a été remédié à certains dysfonctionnements
de la période d’expérimentation. Elle note que l’ANPE a pour sa part mis
en place le dispositif « Cap vers l’entreprise ». Elle souligne l’intérêt
du
mode d’évaluation innovant mis en place.
Le principe du volontariat étant à l’origine du faible effectif
entrant dans ce dispositif, il devrait être repensé à l’issue des phases
d’expérimentation et au vu des résultats des évaluations.
3) Pour ce qui est de l’APEC
Au terme de ce premier contrôle, la Cour n’est pas en mesure de
constater une plus grande efficacité du suivi des cadres au chômage par
l’une ou l’autre des deux
organisations, l’APEC ou l’ANPE.
Elle considère néanmoins que le système de la co-traitance doit
permettre de travailler dans les meilleures conditions. Le déploiement à
l’APEC du dosser unique du demandeur d’emploi (DUDE) devrait mettre
fin aux inconvénients
nés de la coexistence de deux systèmes
informatiques. Il restera encore à réduire les délais d’orientation
des
cadres vers l’APEC, l’adresse des cadres à l’APEC devant être quasi-
immédiate.
4) En ce qui concerne les maisons de l’emploi
Il est impératif d’introduire des règles du jeu plus claires, et
notamment de dessiner la carte des bassins ou regroupements de bassins
au niveau desquels doit se positionner une maison de l’emploi. Le
renouvellement de la participation de l’Etat pourrait être conditionné au
respect de la carte cible.
L'ÉVOLUTION DES STRUCTURES ET DES SERVICES AUX
DEMANDEURS D'EMPLOI
233
RÉPONSE DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DE
L’AGENCE NATIONALE POUR L’EMPLOI (ANPE)
Les observations de la Cour appellent, de la part de l’ANPE, les
remarques suivantes :
1. Les expériences du passé comme socle de la fusion
La Cour souligne que la fusion projetée devra être réalisée ex nihilo,
du fait de la lenteur et de la timidité des réalisations en terme de
rapprochement ces dernières années. L’ANPE conteste l’appréciation de la
Cour sur l’ampleur des rapprochements engagés, notamment depuis le vote
de la loi de programmation pour la cohésion sociale en février 2005.
En effet, les travaux menés conjointement ces dernières années, sur la
constitution des guichets uniques (384 en place au 31 octobre 2007) mais
aussi sur le raccourcissement du délai de réception entre le premier entretien
en antenne ASSEDIC et le premier entretien en agence locale pour l’emploi
(au mois d’octobre 2007 : 4,8 jours en moyenne et 33 % des demandeurs
reçus le même jour à l’ASSEDIC et à l’ANPE), doivent servir de socle pour
la fusion à venir.
A cet égard, la mise en place commune de l’outil « rendez vous
agence » a
permis de diviser par 4 ce délai moyen de réception et montre
qu’un réseau de collaborations opérationnelles efficaces existent bien entre
les deux établissements.
Bien qu’étant deux établissements de cultures différentes, les réseaux
opérationnels ont donc prouvé leur capacité à travailler ensemble au service
du demandeur d’emploi. Ces collaborations ont permis à chaque réseau de
mieux connaître et respecter le travail de l’autre institution, préalables
indispensables à la fusion.
2. Le rapprochement informatique
La Cour s’interroge sur les capacités opérationnelles futures du GIE.
Les travaux de rapprochement informatique, engagés depuis plus d’un
an, entrent dans une phase opérationnelle. Le GIE a été créé juridiquement
en mars 2007. Il est piloté par un Comité Stratégique dans lequel l’Etat est
systématiquement présent. Par ailleurs, le contrôleur général économique et
financier de l’ANPE et de l’Unedic est présent au conseil d’administration.
L’année 2007 a permis de rapprocher les deux directions des systèmes
d’information, de mettre en place un modèle d’organisation générale orienté
client et de démarrer le plan de convergence entre les systèmes (plan en
cours de finalisation, disponible à la fin de l’année).
234
COUR DES COMPTES
Les différents travaux menés dans le cadre de la création du GIE
(inventaire,
définition
d’une
cible,
gestion
parallèle
de
l’existant)
constitueront dans les prochains mois une première expérience importante
dans le cadre de la fusion des réseaux.
3. La nécessité d’un profilage statistique plus fiable et plus complet
La Cour souligne l’incomplétude des renseignements pris en compte
par l’outil de profilage statistique et le manque d’adéquation entre les
résultats de ce profilage statistique et les orientations des conseillers de
l’ANPE.
L’ANPE partage ce constat et est favorable à l’amélioration et à
l’enrichissement de l’outil de priflage statistique; c’est d’ailleurs dans ce
sens que des propositions ont été faites par l’Agence, notamment celle
d’ajouter le niveau de formation du demandeur d’emploi dans les paramètres
pris en compte.
Un profilage statistique fiable et intégré au premier entretien en
agence locale pour l’emploi ne peut qu’enrichir le diagnostic professionnel
du conseiller et améliorer la qualité de l’orientation des demandeurs vers les
différents parcours personnalisés.
Il paraît toutefois essentiel à l’ANPE que le profilage statistique ne
devienne pas prédominant par rapport à l’expertise qualitative des
conseillers. A cet égard, l’ensemble des expériences étrangères démontrent
que l’utilisation d’un outil statistique déconnectée de l’acte et de l’expertise
de conseil à l’emploi est vouée à l’échec.
4. La refonte des prestations de l’ANPE
La Cour souligne le fait que, malgré l’apparition du dispositif PPAE,
le contenu des prestations offertes par l’ANPE a connu peu de modifications.
L’ANPE tient à préciser que la refonte de ces prestations, à des fins
d’adéquation avec les parcours personnalisés, a démarré dès le début de
l’année 2007 avec une différenciation entre de nouvelles prestations internes
qui pouvaient être expérimentées rapidement et la refonte des prestations
réalisées par des partenaires externes qui nécessitent d’attendre la fin des
marchés en cours.
C’est ainsi qu’a été lancée la prestation interne d’accompagnement
Cap Vers l’Entreprise, ensuite expérimentée à partir de la fin de l’année
2006. Cette prestation a bien pour but de renforcer l’offre de service actuelle
de l’Agence au sein du parcours de recherche accompagnée pour les
demandeurs les plus éloignés de l’emploi.
L'ÉVOLUTION DES STRUCTURES ET DES SERVICES AUX
DEMANDEURS D'EMPLOI
235
Par ailleurs, les prestations confiées à des sous-traitants font
actuellement l’objet d’une refonte globale, toujours dans le but de s’adapter
aux réalités actuelles du marché de l’emploi et à l’apparition du PPAE. Les
nouveaux cahiers des charges de ces prestations (accompagnement, atelier,
évaluation, bilan de compétences approfondi) prévoient aussi :
- d’accroître la personnalisation de la prescription afin de renforcer
leur complémentarité avec les parcours personnalisés et avec le
Suivi Mensuel Personnalisé ;
- d’élever le niveau d’exigence à l’égard des prestataires pour
développer l’efficacité de nos prestations (renforcement des
objectifs de confrontation au marché du travail, contrôle qualité
après la prestation avec le demandeur dans le cadre du SMP).
Les procédures de marchés ont été lancées en novembre 2007 pour
une attribution des marchés début 2008 et une mise en oeuvre opérationnelle
au 1
er
mai 2008.
Les péages autoroutiers
_____________________
PRESENTATION
____________________
La France comptait il y a cinquante ans moins de 100 km
d’autoroutes. Pour développer un réseau autoroutier moderne, l’Etat a
alors mis en place un système de concessions grâce auquel les sections à
construire étaient financées sans recours au budget général.
Afin de trouver les ressources nécessaires, le choix avait été fait de
déroger au principe de la gratuité des voies de circulation. Les péages
prélevés sur les usagers devaient couvrir à la fois l’amortissement des
investissements, l'exploitation et l'entretien des autoroutes et leur
extension. Les opérateurs étaient, pour l’essentiel, des entreprises
contrôlées directement ou indirectement par l’Etat.
Désormais le contexte a changé. La France dispose d’un réseau
autoroutier étendu (d’environ 8 300 kms) dont la partie la plus ancienne
est amortie. L’ouverture du capital (en 2002 puis en 2004-2005), puis la
privatisation (en 2006) des sociétés d’économie mixte concessionnaires
d’autoroutes (SEMCA) ont modifié la relation entre l’Etat et les
opérateurs, dans un contexte de quasi-monopole naturel. Aujourd’hui, six
sociétés précédemment d’économie mixte, concessionnaires d’autoroutes,
relèvent du secteur privé : Autoroutes du Sud de la France (ASF),
Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et Sanef, ainsi que leurs filiales, la
société des autoroutes Estérel, Côte-d’Azur, Provence, Alpes (ESCOTA),
la société des Autoroutes Rhône-Alpes (AREA) et la Société des
Autoroutes Paris-Normandie (SAPN). L'Etat reste propriétaire des
infrastructures autoroutières, mais les sociétés en assurent la gestion.
Le péage est entré dans les moeurs. Des préoccupations nouvelles
de protection de l'environnement et de régulation du trafic conduisent à
s’interroger sur la part du trafic routier par rapport aux chemins de fer et
à la voie d’eau et peuvent influer sur le niveau des tarifs.
238
COUR DES COMPTES
En dépit de ces évolutions et des privatisations, le dispositif des
péages n’a pas été modifié. L'administration a mal rempli son rôle de
régulateur. Les défauts et l'opacité de mécanismes d'une grande
complexité ont permis des niveaux de recettes supérieurs aux tarifs
moyens affichés et des augmentations dépassant les hausses autorisées.
La Cour a évoqué les problèmes liés à la tarification de Cofiroute,
seul concessionnaire privé antérieur, dans ses rapports publics 2003 et
2006. A l’issue d’une enquête portant sur la tarification des autres
sociétés d'autoroutes (hors tunnels), elle formule de sérieuses critiques
sur le système de fixation des péages autoroutiers.
I
-
Un système qui s’est éloigné de la référence
juridique aux coûts
A - Les principes de base des péages
1 -
Le cadre législatif et jurisprudentiel
A l’origine, l’introduction de péages dans un système routier
jusqu'alors gratuit était justifiée par la nécessité de financer la
construction des nouvelles autoroutes. Les tarifs étaient donc clairement
liés à leurs coûts de construction et de gestion. Ce lien a ensuite subsisté.
Le dispositif est encadré par l’article L. 122-4 du code de la voirie
routière (article 4 de la loi du 18 avril 1955), qui définit le péage en
fonction du coût des facteurs à amortir par autoroute et prévoit une
rémunération du capital investi, et par la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993
relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie
économique et des procédures publiques, dite « loi Sapin », qui borne
dans son article 40 la durée des concessions par la durée normale
d’amortissement. Cette loi interdit les paiements étrangers à leur objet, et
par conséquent le financement d’autoroutes nouvelles par les recettes
tirées des autoroutes plus anciennes et déjà amorties.
Par ailleurs, la directive européenne « Eurovignette » du 17 juin
1999, modifiée par la directive du 17 mai 2006 et applicable à compter de
2008 aux concessions nouvelles, fonde aussi le « péage moyen pondéré »
d’une concession autoroutière sur le recouvrement des coûts. Elle prévoit
une rémunération « aux conditions du marché » des capitaux investis.
Enfin, la loi du 30 décembre 1982 d’orientation des transports
intérieurs (LOTI) exige des évaluations et des bilans par grand projet
d’infrastructure, ce qui conduit, selon son décret d'application du
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
239
17 juillet 1984, à calculer la rentabilité socio-économique et la rentabilité
financière en fonction des coûts complets par autoroute.
La jurisprudence relative aux redevances pour service rendu fixe
comme plafond aux tarifs les coûts du service rendu. Elle incite
80
à fonder
ces tarifs sur des coûts clairement cernés, et ainsi sur des autoroutes
facilement identifiables, plutôt que sur des réseaux d’autoroutes
hétérogènes, d’âges divers, pour lesquels le lien entre équipement, coûts
et péages est difficile à déterminer.
2 -
La négociation et l'homologation des péages
Les cahiers des charges ne définissent pas une « loi tarifaire » sur
la
durée
des
concessions
en
fonction
de
prévisions
de
trafic
contractualisées, mais seulement sur la durée du contrat de plan en cours.
Conformément au cadre réglementaire (décret tarifaire de 1995 et
mode de fixation des tarifs dans les cahiers des charges), des formules de
hausses globales sont négociées entre l’Etat, représenté par la direction
générale des routes, et le concessionnaire avant le début de chaque contrat
d’entreprise de cinq ans. La discussion porte sur la hausse annuelle de
base pour les véhicules légers (classe 1), sur des majorations
additionnelles visant à compenser des charges supplémentaires, en
particulier le coût de nouveaux investissements, et sur le relèvement
éventuel des coefficients appliqués aux péages de la classe 1 pour passer
à ceux des autres classes (poids lourds notamment).
Chaque année, la direction générale des routes et la direction de la
concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
(DGCCRF)
homologuent conjointement, fût-ce tacitement, les grilles
tarifaires
proposées par les concessionnaires. A défaut de contrat
d'entreprise, les hausses des péages sont négociées pour l'année et mises
en vigueur par arrêté ministériel.
Le système de péages s'inscrit ainsi dans un cadre mixte, à la fois
de nature contractuelle, en ce qu'il contribue à l'équilibre de la
concession, et de nature réglementaire, en ce qu'il relève d'un ensemble
de décisions publiques - décret tarifaire, décret d'approbation du cahier
des charges, décisions d'homologation des tarifs.
80) Même si elle s'est très récemment assouplie (Conseil d'Etat, 16 juillet 2007,
syndicat national de défense de l'exercice libéral de la médecine à l'hôpital) par la
prise en compte complémentaire de la valeur économique de la prestation pour
l'usager
240
COUR DES COMPTES
B - La pratique antérieure de l'adossement
1 -
La généralisation de l'adossement
Après la réalisation des premières autoroutes, les pouvoirs publics
ont largement eu recours à la méthode de l’« adossement » pour financer
les suivantes.
Ainsi le produit des péages des autoroutes déjà construites a été en
partie utilisé pour développer le réseau. Cette pratique nécessitait
l’augmentation régulière des péages des autoroutes en service ou
l’allongement de la durée des concessions existantes pour assurer des flux
suffisants
de
ressources.
Les
deux
formules
ont
été
utilisées
simultanément.
Au fil des ans, les six sociétés concessionnaires se sont
progressivement retrouvées à la tête de réseaux d’autoroutes hétérogènes,
de rentabilité très variable et inégalement amorties. La concession dont
chacune était titulaire restait et reste cependant unique pour l’ensemble de
son réseau.
2 -
La fin partielle de l'adossement
L’avis du Conseil d’Etat du 16 septembre 1999 a confirmé
l'illégalité de la pratique de l’adossement, en limitant la faculté
d’extension des concessions au financement d’aménagements accessoires
aux autoroutes existantes ou de prolongements restreints sans autonomie
propre (bretelles d’accès, nouveaux échangeurs...).
Les conséquences étaient doubles :
−
le mécanisme de l’adossement devait à l'avenir être écarté ;
−
les péages des autoroutes les plus anciennes auraient dû évoluer
à la baisse, une fois leur amortissement achevé.
L'Etat a mis fin à l’adossement : dès 1998, le financement des
nouvelles autoroutes a été organisé par concession autonome et sans lien
avec les ressources tirées des concessions anciennes. En revanche, le
mode de fixation des péages des autoroutes anciennes n'a pas été modifié
et la baisse des péages n'a pas eu lieu.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
241
C - L'absence de fondement juridique clair
1 -
La coexistence de situations juridiques variées
Deux régimes juridiques coexistent aujourd'hui : celui des
concessions « historiques », au réseau étendu et hétérogène, dont les
premières autoroutes ont financé et continuent de financer les plus
récentes ; celui des concessions nouvelles, dévolues par autoroute, dont
les besoins de financement non comblés par les péages sont couverts par
des subventions publiques.
La durée de concession diffère très sensiblement selon les
autoroutes. La durée totale des concessions a été allongée une dernière
fois de 12 à 15 ans en 2001 pour compenser la banalisation du régime des
SEMCA ; elle va de 62 ans (AREA) à 71 ans (ASF). Les contrats de
concession expireront en 2026 (ESCOTA), en 2028 (Sanef et SAPN) et
en 2032 (ASF, APRR et AREA). Sur les premières autoroutes, les plus
rentables, les péages seront perçus pendant une période deux fois plus
longue que sur les dernières, les moins rentables.
2 -
Les distorsions entre péages et coûts
Au fil du temps, plusieurs facteurs ont contribué à affaiblir le lien
entre les coûts et les péages par autoroute :
−
l’approche économique globale des concessions anciennes,
correspondant à des réseaux hétérogènes, comme il a été dit, ne
justifie pas le niveau des péages par autoroute, ni leurs écarts ;
−
l’article 25 des cahiers des charges antérieurs à 1990-1992 ne
fixait qu’un tarif kilométrique plafond par concession, commun
en outre à plusieurs concessions ;
−
enfin la notion de « tarif kilométrique moyen » d’un réseau,
retenue par le décret du 25 janvier 1995 relatif aux péages
autoroutiers, et son instrument de mise en oeuvre pour les
hausses annuelles, le « taux kilométrique moyen » par « section
de référence » des cahiers des charges depuis 1995, ne font plus
de lien clair entre tarifs et coûts par autoroute.
L'affaiblissement du lien entre péages et coûts a été accentué par
un mouvement apparent d’uniformisation tarifaire. Bien que les
autoroutes d'une même concession aient des coûts de construction
différents, notamment selon les zones traversées – plaine ou montagne,
zone urbanisée ou rurale – et des trafics inégaux et soient d'ancienneté
variable, la tendance de longue durée est au rapprochement des tarifs
242
COUR DES COMPTES
moyens entre autoroutes au sein d'un même réseau. Cette politique,
amorcée en 1977, avait été confirmée par le Gouvernement en septembre
1981.
Au moins en apparence, la plupart des sociétés ont pratiqué depuis
lors cette harmonisation. L’écart des « taux kilométriques moyens » des
« sections de référence » est, par exemple, tombé à 18 % pour la SAPN
(hors A14) et Sanef et à 26 % pour AREA (hors A51) et APRR. Seul le
réseau ESCOTA, pour des raisons tenant à sa configuration, conserve des
écarts constants, globalement et entre sections de référence de l’A8.
Les procédés d’harmonisation tarifaire entre sections de référence
La SAPN a relevé les tarifs de l’autoroute A13 en moyenne de 3,25 %
par an depuis 1995.
ASF accroît ceux de l’A7 et de l’A9 qu'elle fait converger vers son
tarif moyen affiché.
APRR a augmenté entre 1995 et 1997 les prix moyens de 9 à 14 % sur
les autoroutes A6 et A31 tout en gelant les tarifs de l'A5 moins fréquentée et
alors que la partie sud de l'A6 n'est pas en concurrence avec l'A5.
Sanef a resserré les tarifs moyens de l’A4 en rehaussant de 7 % en
12 ans les tarifs moins chers de la section Metz-Strasbourg.
3 -
La faible prise en compte des surcoûts de construction
Les majorations de tarifs lors de la mise en service de sections
d'autoroutes nouvelles plus onéreuses sont très inférieures à leur surcoût
de
construction,
voire
hors
de
proportion,
même
si
l’exacte
proportionnalité n’est ni exigée, ni souhaitable au regard des prix
supportables par les usagers et de la nécessité de réguler le trafic.
La même majoration de 20 %, par exemple, ne traduit pas le coût
de construction de l’A51, triple de celui des autoroutes voisines A48 et
A41 sud (AREA), ou le coût 2,5 fois supérieur du tronçon Mansac –
Brive
par rapport à l’A89 ouest (ASF) ; elle ne correspond pas davantage
au surcoût de l’A8 est par rapport à l’A8 ouest, dont la construction a été
3,5 fois moins onéreuse et dont le trafic n’est inférieur que de 25 %
(ESCOTA).
La situation actuelle est ainsi caractérisée par de grandes
différences juridiques et structurelles entre autoroutes, qui donnent au
système de détermination des péages un caractère disparate, voire
arbitraire.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
243
II
-
Un système économiquement incohérent
Les écarts d’ancienneté et de coûts de construction se conjuguent
aux divergences de flux de trafic pour induire de grandes différences de
rentabilité. Les autoroutes anciennes, les plus fréquentées, sont
vraisemblablement amorties depuis longtemps, tandis qu’une vingtaine
d’autres, qui ne voient passer que 5 000 à 15 000 véhicules par jour, sont
peu rentables, voire déficitaires. En effet, sur chaque réseau, la densité du
trafic varie fortement entre autoroutes : la variation va au moins de 1 à 4
sur le réseau ESCOTA et de 1 à 9 sur le réseau ASF. La part du trafic
poids lourds est très variable : pour les véhicules de classe 4 elle ne
représente que 2 % du trafic sur l’A14 (SAPN), mais atteint 24-25 % sur
l’A9 et l’A63 (ASF).
Quels que soient le degré d'amortissement, le trafic et l'ancienneté
de
concession des autoroutes, trois faiblesses principales caractérisent le
dispositif de fixation des péages : une conception théorique faussement
rigoureuse, des grilles de tarifs peu cohérentes, l’opacité sur la
construction des prix. Malgré ses défauts, il n’a pas été revu avant
l’ouverture du capital des sociétés concessionnaires, ni avant leur
privatisation qui est donc intervenue avec le système très imparfait en
vigueur.
A - Une conception faussement rigoureuse
1 -
Les méthodes
Chacun des réseaux est divisé en sections de référence de
longueurs variables, allant d’une dizaine à plusieurs centaines de
kilomètres. Une section de référence ne s’assimile pas au tronçon entre
deux sorties contiguës, mais comprend plusieurs entrées et sorties
81
.
Chacune de ces sections est caractérisée par un « taux kilométrique
moyen » (TKM).
81) Il est important de distinguer plusieurs notions :
- le réseau d’autoroutes concédées à une société, qui comprend plusieurs autoroutes ;
- les sections de référence qui représentent des portions de longueur très variable au
sein des réseaux (10 à 400 km) et correspondent à des fractions d'autoroute, à des
autoroutes ou même (APRR et ESCOTA) à des groupes d'autoroutes ;
- les tronçons d’autoroute entre deux points d'échange consécutifs ;
- les trajets parcourus effectivement par chaque automobiliste.
244
COUR DES COMPTES
En valeur absolue, les tarifs d’un même réseau, pour une même classe
de véhicules, se déterminent à trois niveaux différents :
- les péages de tous trajets, seuls tarifs connus des usagers qui les
acquittent ;
- le TKM de chaque section de référence, égal à la somme des tarifs
sur tous les trajets possibles internes à cette section, divisée par la somme des
longueurs de ces trajets ;
- le tarif kilométrique moyen du réseau, qui, implicitement, doit être la
moyenne des TKM des sections de référence, pondérée par le trafic.
Cependant le dispositif tarifaire n’est pas conçu en niveau, mais en
variations : en classe 1 (véhicules légers), la moyenne des évolutions des
TKM des sections de référence délimitées dans le contrat d’entreprise,
pondérée par leur trafic en kilomètres parcourus, doit être égale à
la hausse
globale annuelle accordée (hausse du tarif kilométrique moyen du réseau).
L’évolution du TKM d’une section de référence résulte de l’application des
nouveaux tarifs à ses trajets.
L’article 25 des cahiers des charges prévoit des hausses tarifaires
annuelles. L'homologation annuelle des tarifs des concessionnaires par
l'administration est censée porter sur les grilles complètes de tarifs.
Chaque année, les tarifs sont d'abord déterminés pour les véhicules
légers, qui constituent la classe 1, selon la méthode définie en termes de
hausse dans les cahiers des charges. Les tarifs des autres classes – poids
lourds notamment – sont calculés par les sociétés concessionnaires selon
la même méthode qu'en classe 1 et en fonction d'un coefficient global.
2 -
Les failles des règles tarifaires
Les failles se situent à plusieurs niveaux.
Le système tarifaire ne s'attache plus qu'à des variations, hausses
annuelles des sections déjà en service ou écarts de tarifs des nouvelles
sections, et non à des valeurs absolues.
Entre sections de référence, les hausses de taux kilométriques
moyens sont pondérées par le trafic, mais sans limitation des écarts, hors
l'objectif de hausse globale pour le réseau. En revanche, au sein des
sections de référence, le taux kilométrique moyen ne tient pas compte des
volumes de trafic et laisse les concessionnaires libres de concentrer les
hausses de péages et les tarifs élevés sur les tronçons ou les trajets les
plus fréquentés. Ainsi, l’instrument faussement rigoureux qu’est le TKM
d’une section de référence est indépendant du trafic.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
245
De plus, par construction, le taux kilométrique moyen décompte
plusieurs fois les mêmes tronçons, mais le fait bien davantage pour
les
tronçons centraux, en général moins fréquentés, que pour les extrémités,
plus fréquentées. De ce fait, plus les sections de référence sont longues et
démultiplient les trajets internes, plus il est possible de jouer sur les
variations de tarifs pour une même hausse du TKM
82
.
Les sections en "système ouvert" de péage ajoutent une difficulté
supplémentaire par l'application d'une distance forfaitaire indépendante
du trafic et par l'opacité accrue de leurs tarifs.
B - Des tarifs incohérents
L'analyse des tarifs effectifs ne révèle aucune logique.
1 -
Les divergences tarifaires entre sections de référence
Les sociétés ne sont pas tenues d'appliquer uniformément les
hausses globales annuelles ; certaines font ainsi varier fortement les
hausses de TKM entre sections de référence : chaque année, ASF les
échelonne entre 0 % et 4 ou 5 % et Sanef sur une plage de deux points.
Les arrondis de prix n'expliquent pas de tels écarts, qui relèvent d'une
politique tarifaire. A l'inverse, depuis 2003, sauf une année, APRR et
AREA ont sensiblement réduit les écarts de hausses annuelles entre
sections de référence.
Les coefficients appliqués pour passer du tarif véhicules légers
(classe 1) au tarif poids lourds (classe 4) varient eux-mêmes entre
sections de référence et encore plus selon les trajets. Ainsi, ces écarts,
calculés entre sections de référence, atteignent quelque 12 % pour ASF
(contre cependant 20 % en 2001), Sanef et la SAPN. Il arrive même, sur
certains tronçons, que les tarifs appliqués aux poids lourds soient
identiques à ceux des véhicules légers (SAPN, APRR, AREA). Quant à
l’écart entre la classe 3 (autocars et camions légers) et la classe 4, il va de
29 % pour la Sanef à 40 % pour la SAPN.
Aucun lien évident ne peut être établi entre ces écarts de hausses
ou de coefficients tarifaires et l’évolution des coûts.
82) A titre d'exemple, si une section de référence comporte dix tronçons égaux, les
deux tronçons médians sont comptés trois fois plus que les tronçons extrêmes.
246
COUR DES COMPTES
2 -
Les distorsions des grilles tarifaires
L’examen des péages appliqués selon les trajets révèle les
distorsions des prix perçus pour parcourir un même tronçon. On trouve
des écarts de 1 à plus de 10 sur un même réseau, voire une même
autoroute. Deux sociétés – ESCOTA et SAPN – font toutefois exception
en appliquant un tarif identique pour un tronçon quelconque, quel que soit
le trajet qui l'inclut, ce qui est logique et compréhensible par tous les
usagers.
Le calcul des différentiels de prix fait apparaître des tronçons
gratuits pour certains trajets dans les réseaux ASF et Sanef. De même, sur
le réseau APRR, divers tronçons sont gratuits, soit sur leur seul trajet
élémentaire, soit au contraire sur les autres trajets les contenant, le trajet
élémentaire étant alors le seul payant.
La disparité des tarifs sur un même tronçon
L’automobiliste qui emprunte vers le nord le tronçon Avignon sud-
Cavaillon de l’autoroute A7 paye son passage sur ce tronçon 11 à 13 fois plus
cher s’il va jusqu'à Orange (1,1 €) ou Chanas (1,3 €) que s’il se rend à
Montélimar (0,1 €). La situation est la même dans l'autre sens.
Celui qui emprunte le tronçon L’Isle d’Abeau centre-Bourgoin-Jallieu
de l’autoroute A43 ouest paye pour ce tronçon 0,1 € s’il se rend à Chatuzange
(Valence) et 1,6 € s’il sort à Voiron (Grenoble) ; s'il vient de Rumilly, ce
tronçon est gratuit.
Quant au conducteur qui emprunte le trajet Boulogne-Amiens de
l'autoroute A16, il paye moins cher s’il sort à Amiens ouest (9,5 €) qu’à
Amiens nord (9,9 €) en dépit d’un trajet plus long de 5 kilomètres. Autrement
dit, pour lui, le parcours entre ces deux sorties a un tarif négatif (- 0,4 €).
Sur une même autoroute, les prix au kilomètre entre trajets
différents peuvent également connaître des écarts importants sans motif
repérable.
L’hétérogénéité des tarifs au kilomètre
Sur l’autoroute A16 (Sanef), les contournements de Beauvais et
d’Abbeville sont facturés 13,2 à 13,4 cts/km alors que le parcours Amiens
ouest - Méru ne coûte que 6,23 cts/km.
Sur le réseau ESCOTA, hors tunnel de Monaco, les prix au kilomètre
peuvent varier de 1 à 6. Ainsi l’automobiliste qui emprunte l’A52 de Saint-
Maximin à Pas-de-Trets va débourser 2,5 € pour 39,6 km, soit 6,31 cts/km,
alors que celui qui roule sur l’A50 de La Bédoule à Cassis paye 0,9 € pour
2,3 km, soit 39,13 cts/km.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
247
3 -
La diversité des méthodes de calcul des péages
Pour les tarifs des véhicules légers (classe 1), le paramètre de
pondération employé pour arriver au tarif moyen ou à la hausse globale
doit être le trafic. Or, trois sociétés – ESCOTA, AREA et ASF – ont leurs
méthodes propres.
Ainsi, AREA en 2003 emploie deux « tarifs moyens » différents,
dont aucun n'est conforme à la règle du cahier des charges : l’un, qui
figure dans le contrat d’entreprise, assimile le réseau à une section
unique ; l’autre, indiqué dans le cahier des charges, divise le réseau en
plusieurs sections, avec une pondération des moyennes par les distances
tarifaires. L’écart entre les deux est de 2,8 %.
ASF pour sa part a changé de méthode lors de l’ouverture de son
capital en 2002. Sa nouvelle formule aboutit à un tarif moyen en
apparence inférieur de 1,6 à 2,3 % au niveau qu’indiquerait pour les
mêmes péages l’ancienne pondération, qui était correcte.
Les
données
de
trafic
utilisées,
au
demeurant
souvent
approximatives, varient selon les sociétés. Les périodes de référence ne
sont pas les mêmes et fluctuent par rapport à l'année calendaire. Les
chiffres employés par APRR et ESCOTA n’incluent que le trafic en
parcours payant. Sanef et AREA calculent leurs pondérations pour la
classe 1 en incluant les véhicules des classes 2 et 5, alors qu’AREA, avant
2004, et APRR, encore aujourd’hui, prennent en outre en compte les
trafics de poids lourds. Ces méthodes sont impropres puisqu'il s'agit de la
seule classe 1.
C - Une tarification opaque
1 -
Les défauts de publicité des péages
Les clauses des cahiers des charges sur la publicité des tarifs de
péage sont vagues et désuètes. Malgré l’article L. 113-3 du code de la
consommation, qui s’appliquait aussi aux SEMCA (article L. 113-2),
aucune société n’affiche ses prix unitaires, c’est-à-dire les tarifs
kilométriques, dont les écarts se révèleraient aussitôt. Les publications de
tarifs, faites sans contrôle, sont disparates et incomplètes. Sanef publie ses
tarifs par groupe d’autoroutes et ESCOTA – qui seule édite toutefois les
grilles de distances – le fait pour le réseau complet. APRR a même
abandonné les brochures depuis 2003. Les sites internet, qui donnent le
tarif d’un trajet, n’assurent qu’un service particulier, non l’information
générale.
248
COUR DES COMPTES
Une publicité compréhensible, par brochures et sur internet, des
doubles grilles de péages et de tarifs kilométriques par autoroute devrait
être exigée.
2 -
La structure tarifaire des réseaux
Le nombre des trajets possibles sur des sections de référence très
hétérogènes varie très fortement.
L’agrégation des autoroutes d’APRR en six sections, la fusion de
trois des six sections d’ESCOTA en 2007 ou l’existence d’une seule
section pour l’ensemble de l’autoroute A13 de la SAPN ont accentué
l’opacité des péages effectivement pratiqués à l’intérieur de ces vastes
sections.
Trois sociétés recourent largement au système ouvert de péage,
avec paiement à chaque barrière en pleine voie et péage forfaitaire sans
ticket : ESCOTA (A8 est et A50), Sanef (A4, sauf Reims-Metz) et la
SAPN (A13 et A29). Or, les sections soumises à ce système, comme les
tronçons gratuits, rendent incompréhensibles les prix au kilomètre.
III
-
Un système devenu trop favorable
aux concessionnaires
A - Les hausses de prix accordées par l'Etat
Comme il a été exposé, l'Etat, ce qui est normal dans la gestion
d'un service public concédé et d'un quasi-monopole naturel, homologue
les nouveaux tarifs annuels des péages et donc aussi leurs hausses.
1 -
La poursuite de hausses souvent supérieures à l’inflation
Pour les véhicules légers (classe 1), de janvier 2001 à fin 2006 ou
début 2007
83
, les hausses annuelles de tarifs accordées se sont élevées à
quelque 2,1 % pour APRR et ASF et ESCOTA, tandis qu’elles
atteignaient 2,6 % pour la SAPN, tous chiffres sensiblement supérieurs à
l’inflation (1,8 % par an). Les hausses consenties à AREA (1,6 % par an
en moyenne) et à Sanef (1,8 %) restent un peu en-deçà ou à un niveau
équivalent.
83) Les hausses annuelles du groupe ASF continuent à intervenir en février,
conformément aux cahiers des charges, tandis que celles des groupes APRR et Sanef
sont repoussées en octobre et décembre depuis 2004.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
249
Pour les poids lourds (classe 4), depuis janvier 2001, les
coefficients tarifaires ont été relevés en moyenne de 0,9 % (APRR) à
1,25 % (ESCOTA). Les plus fortes hausses de tarifs poids lourds sur la
période atteignent ainsi 3,7 % par an (SAPN) et 3,4 % par an (ESCOTA).
2 -
Le caractère contestable de l’indexation
Le décret du 25 janvier 1995 assure aux concessionnaires une
hausse des péages égale à 70 % au moins de l’inflation. Le groupe
ASF
s’est même vu accorder par ses cahiers des charges, à l’ouverture de son
capital en 2002, une hausse de base égale à 85 % de l’inflation, dans la
mesure où un contrat d'entreprise était signé.
Cette garantie constitue une exception surprenante à la politique
de désindexation des prix. Elle est d’autant plus critiquable que, pour les
concessionnaires d’autoroutes anciennes, l'achèvement des programmes
de construction et la fin de l’adossement font qu’ils n’ont plus de
nouvelles sections importantes à financer, que les anciennes autoroutes
sont elles-mêmes progressivement amorties et que l’automatisation des
péages procure des gains de productivité significatifs.
Les taux de 70 % ou 85 % excèdent en outre la part des charges
récurrentes – personnel, frais de fonctionnement, etc. – plus proche de
30 % des coûts totaux d'une concession, tandis que les remboursements
d'emprunts n'ont pas de raison d'être indexés sur les prix à la
consommation.
3 -
Des hausses additionnelles mal étayées
Tout nouvel investissement est compensé aux concessionnaires, en
particulier par des compléments de hausses tarifaires. Mais les projections
financières qui les fondent ne sont pas publiques et n’ont pas été
communiquées à titre d'exemples à la Cour. Ainsi la justification des
hausses additionnelles allouées au groupe ASF (0,62 % en 2001-2006 et
0,31 % en 2007) ou aux sociétés Sanef, SAPN et APRR (respectivement
0,45 %, 0,74 % et 0,84 % sur 2003-2008) est invérifiable.
La combinaison, pendant la période où la pratique de l’adossement
était acceptée, de hausses tarifaires et d’allongements de la durée des
concessions pour financer les nouvelles sections d'autoroutes a rendu
encore plus illisible l'équilibre des concessions.
250
COUR DES COMPTES
4 -
Des modulations de péages autorisées sans grand succès
Les cahiers des charges autorisent les concessionnaires à moduler
les péages dans le temps et dans l’espace, dans un souci de régulation du
trafic. Ces modulations, dont l’objectif doit être précisé dans les contrats
de plan, ne doivent entraîner ni gain ni perte pour les sociétés, ni
discrimination pour les usagers. L’objectif est d’encourager les
automobilistes à mieux répartir leurs déplacements afin de limiter les
embouteillages aux heures de pointe ou les jours de grands départs ou
retours de vacances.
En pratique, les modulations dans le temps, en fonction des
horaires, ne concernent que les autoroutes A14 (SAPN) et le sud de l'A1
vers Paris (Sanef). Les modulations autorisées entre autoroutes, visant à
reporter le trafic automobile vers les itinéraires moins chargés, sont
également peu nombreuses. Les contrats de plan 1995-1999 en ont suscité
deux : Sanef encourage ainsi à emprunter l’autoroute A16 Boulogne-l’Isle
Adam par un prix inférieur à celui du trajet Calais-Roissy par l’A26 et
l’A1 ; APRR avait majoré aux vacances d’hiver 1996 et 1997 le tarif de
l’autoroute A6 nord pour favoriser l’itinéraire A5-A31 sur le trajet Paris-
Beaune.
Malgré
l’incitation
marquée
dans
les
nouveaux
contrats
d’entreprise, les sociétés n’ont pas proposé depuis lors d’autres
modulations.
B - Les pratiques de maximisation des recettes
1 -
Les mécanismes mis en oeuvre par les sociétés
Les sociétés, à des degrés divers, font porter les principales hausses
sur les trajets les plus fréquentés, si bien que les recettes effectives tirées
des péages croissent plus rapidement que les hausses accordées et sont
supérieures, au kilomètre parcouru, aux tarifs moyens affichés.
A cet égard, entre sections de référence, l’harmonisation des tarifs
déjà évoquée s’opère en relevant les tarifs les plus bas, historiquement
appliqués aux autoroutes anciennes les plus fréquentées
84
, et en gelant ou
en limitant les hausses des prix plus élevés des autoroutes nouvelles,
moins utilisées.
84) Avec une exception pour ESCOTA, dont l'autoroute A8 est la plus chère du
réseau
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
251
De même, à l’intérieur des sections de référence, les hausses ont
porté en priorité sur les trajets les plus employés et notamment sur les
trajets complets et les sections d’extrémité. De nombreux exemples
d’augmentation plus rapide des péages sur les trajets à forte circulation
peuvent être cités : ainsi la SAPN a augmenté de 80 % depuis 1995 le
prix de la section Mantes-Gaillon, la plus chargée de l’autoroute A13, soit
5,1 % par an.
Les hausses des prix des trajets complets
Les hausses de tarifs ont particulièrement touché les trajets complets.
Ainsi, sur le réseau Sanef, le prix du parcours Roissy-Lille, sur l’autoroute
A1, a augmenté de 4 % par an de 2003 à 2006 contre 1,9 % par an pour
l’ensemble du réseau de ce concessionnaire. A l’inverse, les tarifs sur les
trajets Senlis-Péronne et Senlis-Albert, inclus dans ce parcours, n’ont pas
varié. Autrement dit, la hausse a porté en priorité sur les flux principaux.
Le trajet Paris-Rouen, sur l’autoroute A13 (SAPN), a vu son prix
croître de 4,3 % par an de 2002 à 2006 contre 2,6 % en moyenne sur ce
réseau.
Sur le réseau ASF, les trajets complets Vienne-Orange (autoroute A7
nord) et Montpellier-Narbonne sud (A9 centre) sont quelque 30 % plus
coûteux au kilomètre que les trajets Montélimar-Orange (7,50 cts/km contre
5,81 cts/km) ou Agde-Narbonne sud (7,35 cts/km contre 5,68 cts/km) qu’ils
incluent respectivement.
Sur le réseau APRR, le trajet complet Beaune-Lyon de l’autoroute A6
sud a vu son prix progresser de 3,4 % par an en moyenne depuis 2002 contre
2,3 % pour le réseau et 0 % depuis au moins 1999 sur le trajet intermédiaire
Tournus-Mâcon nord, le moins cher. Le trajet complet Fleury-Beaune, sur
l’A6 nord, coûte 7,27 cts/km alors que le parcours Pouilly-en-Auxois-
Beaune, qu’il inclut, est tarifé 5,95 cts/km.
Depuis 2005, ASF a relevé les péages des trajets complets
Orange-
Montpellier (autoroute A9 nord) et Nantes-Bordeaux de respectivement 3,9 et
3,1 % par an contre 2,0 % pour la moyenne du réseau.
Ces mécanismes induisent une recette kilométrique moyenne
supérieure au tarif moyen affiché de chaque réseau puis, lorsqu'ils sont
systématisés, un effet de « foisonnement » des recettes qui augmentent, à
trafic constant, au-delà des hausses de tarifs accordées.
252
COUR DES COMPTES
2 -
La baisse des réductions pour les poids lourds
La directive européenne Eurovignette a prévu le plafonnement en
2008 à 13 % des rabais accordés aux poids lourds sur les tarifs affichés.
Or, les remises accordées par les concessionnaires allaient bien au-delà.
La plupart des sociétés ont anticipé l'échéance en réduisant leurs remises
à compter de 2005. En 2006, AREA les a diminuées de 4 points, APRR
de 3 points et ASF de 2 points. Rapporté aux recettes totales de péage, ce
mouvement s’est traduit par des gains sur l'année de 0,7 % pour ASF, de
0,8 % pour AREA et de 1,2 % pour APRR.
L’octroi de ces rabais s’effectuait à l’initiative des sociétés
concessionnaires au titre de leur politique commerciale. Leur diminution
et l’amélioration corrélative des recettes des concessionnaires n’ont pas
été compensées par une moindre hausse de tarifs accordée par l’Etat.
3 -
Le résultat : des recettes majorées
au-delà des hausses théoriques
Les recettes effectives des sociétés concessionnaires augmentent
plus qu'elles ne le devraient par rapport aux niveaux de tarifs affichés et
aux hausses accordées. La croissance théorique des recettes de péage
devrait résulter de la combinaison de l’évolution du trafic et de celle des
tarifs homologués. Or, tel n'est pas le cas. Ce constat important provient
essentiellement de la diminution sans contrepartie des remises consenties
par les sociétés aux poids lourds et de la pratique du « foisonnement »,
qui appelle des critiques.
L’évaluation du « foisonnement » des recettes
Le calcul exact de l’effet « foisonnement » est compliqué.
Déduction faite de la diminution des rabais accordés aux poids lourds,
les sociétés APRR et AREA ont reconnu cet effet qu'elles ont estimé
respectivement à 1,37 % et 0,84 % pour l’année calendaire 2006. La direction
générale des routes en évalue l’effet pour ces deux sociétés à respectivement
0,95 % et 0,62 % sur les grilles tarifaires d’octobre 2005 et à 1,35 % et 0,94 %
sur celles d’octobre 2006. La Cour l'évalue à 0,5 % par an de 2002 à 2005 pour
APRR.
La pratique est niée par le groupe Sanef et la société ASF. Sur les bases
des éléments provisoires auxquels elle a eu accès, la Cour évalue le
phénomène en 2006 à environ 1 % pour le premier et 0,4 % pour la seconde.
La direction générale des routes, poursuivant ses vérifications à la suite des
observations de la Cour, a plus récemment évalué les effets du foisonnement à
1,12 % dans la hausse de décembre 2006 de Sanef et à 0,81 % dans la hausse
de février 2007 d'ASF.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
253
En classe 1, la recette kilométrique de la société ASF
85
dépasse de
4,5 % le tarif kilométrique moyen homologué. Cet écart est resté
quasiment stable de 2002 à 2006. La direction générale des routes estime
plus généralement que la recette kilométrique moyenne des sociétés est
supérieure de 5 % aux tarifs kilométriques moyens affichés.
Dès la privatisation, en 2006, les sociétés Sanef, SAPN et AREA,
par la conjonction des deux phénomènes identifiés, ont su augmenter
leurs recettes réelles de 2 % de plus que leurs tarifs théoriques et la
société APRR plus de 2,5 %. Le concessionnaire ASF a réalisé un gain de
1,1 %. Par exception, le phénomène n'apparaît pas dans sa filiale
ESCOTA.
4 -
La situation financière des sociétés concessionnaires
Le chiffre d’affaires des sociétés d’autoroutes, constitué à 96-98 %
de péages, a progressé en moyenne à un taux compris entre 4 % par
an (AREA) et 6,7 % par an (ASF) entre 2001 et 2006.
Le rapport entre le résultat net et le chiffre d’affaires était compris
entre 14 et 23 % en 2005. Il dépassait 18 % pour cinq sociétés sur six en
2006.
ASF
ESCOTA APRR
AREA
Sanef
SAPN
Chiffre d’affaires (CA) en M€
2 081,7
543,5
1 272,5
397,5
917,2
283,2
Croissance par an du CA
de 2001 à 2006
6,7 %
5,1 %
4,7 %
3,9 %
4,9 %
6,5 %
Résultat net (RN) 2005 en M€
352,0
98,5
166,2
85,4
131,8
45,6
Résultat net (RN) 2006 en M€
374,4
107,1
435,4
*
97,8
196,9
12,2**
Performance 2005 (RN/CA)
18,0 %
19,1 % 14,0 % 22,7 %
15,2 % 17,2 %
Performance 2006 (RN/CA)
18,0 %
19,7 % 34,2 % 24,6 %
21,5 % 4,3 %
**
* dont 277,6 M€ de dividendes d’
AREA
** plus faible, sans le résultat exceptionnel antérieur lié à la recapitalisation
Les bilans au titre de la LOTI, établis pour des autoroutes ou des
sections récentes, sont limités, sauf exception, à la rentabilité socio-
économique, malgré le décret d’application de 1984 et les demandes de
l’Etat. De façon contestable, la rentabilité financière des autoroutes n'est
pas calculée au cas par cas.
85) Seule société ayant fourni des données permettant les comparaisons.
254
COUR DES COMPTES
C - La faiblesse du
contrôle des tarifs
par l’administration
1 -
Une maîtrise longtemps insuffisante
Comme il a été dit, la direction générale des routes et la direction
générale de la concurrence homologuent chaque année les tarifs.
La perte du lien entre montant des péages et coûts, l’incohérence
des prix pratiqués, l’opacité des tarifs moyens et les pratiques de
maximisation des recettes révèlent que le dispositif a été longtemps mal
maîtrisé par les administrations. En outre, la notion de marge raisonnable
« aux conditions du marché » n’est ni définie, ni même inscrite dans les
cahiers des charges des sociétés concessionnaires en dépit de la situation
de quasi-monopole naturel des autoroutes.
Certes, le contexte antérieur d’économie mixte et d’allocation des
dividendes aux infrastructures de transport collectif incitait moins l’Etat
à contrôler les tarifs. La privatisation des sociétés concessionnaires aurait
exigé, avant qu'elle n'intervienne, et exige encore, maintenant qu'elle a eu
lieu, une clarification des principes et des pratiques des péages
autoroutiers.
2 -
Un effort récent de reprise en mains
La question peut se poser de la création d’une autorité
indépendante chargée de la régulation des péages.
Par un avis du 2 décembre 2005, le Conseil de la concurrence
appelait à une régulation des tarifs autoroutiers par une autorité publique,
pour empêcher les rentes de monopole : citant le rapport public 2003 de la
Cour sur Cofiroute, il estimait que «
les services de l’Etat ne sont pas
nécessairement bien armés pour assumer dans de bonnes conditions le
contrôle d’une multiplicité de sociétés concessionnaires
». Par lettre du
6 mars 2006, le ministère des finances a néanmoins soutenu le dispositif
réglementaire et déclaré l’Etat «
en mesure de jouer efficacement son rôle
de régulateur en matière de tarifs de péage autoroutier
».
A la suite du présent contrôle de la Cour, prolongeant un contrôle
d’ASF, la direction générale des routes, pour la première fois, a mis en
demeure à l’été 2007 les concessionnaires de justifier les tarifs détaillés
de tous les trajets. Elle
procède depuis lors, groupe après groupe, à un
contrôle approfondi des grilles 2005 et 2006 et des nouvelles propositions
de tarifs. Fin août 2007, fait sans précédent, elle a rejeté, conjointement
avec la DGCCRF, les demandes de hausses d’APRR et AREA au
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
255
1
er
octobre, en jugeant leurs modulations tarifaires non conformes aux
principes de neutralité financière du péage et d’égalité de traitement des
usagers. Les deux administrations ont obtenu des sociétés de nouvelles
propositions et une compensation étalée sur deux ans des excès des
hausses de 2006, en renonçant toutefois à remettre en cause les hausses
antérieures.
Dans ses échanges récents avec la Cour, la direction générale des
routes a insisté sur l’effort de remise en ordre et la mutation de culture en
cours. Ce changement d'approche, s'il se poursuit, peut fournir une
réponse à la question de la nature de l'autorité de régulation des péages
autoroutiers.
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
Les autoroutes sont des services publics. Leurs concessions
bénéficient d’un quasi-monopole naturel dans la mesure où, même s’il
existe toujours ou presque des trajets alternatifs gratuits, l’avantage
qu’elles procurent est tel que le volume de trafic, sauf peut-être dans le
cas des poids lourds, est peu sensible aux hausses annuelles de prix. Des
concessions de service public exigent des prix raisonnables et équitables.
Le fondement juridique des péages est et demeure la tarification au
coût des facteurs ; mais la politique tarifaire s’est sensiblement éloignée
des règles qui la fondaient et le système se caractérise par une grande
opacité pour les usagers. Année après année, les pouvoirs publics ont
homologué des tarifs n'empêchant pas les exploitants d'augmenter leurs
recettes au-delà des pourcentages accordés tout en affichant des tarifs
moyens inférieurs à la réalité. Ils ont ainsi paru valider un système
critiquable.
L'ouverture du capital des sociétés concessionnaires et plus encore
leur privatisation réalisée en 2006 dans un délai fort bref, après une
période où le principe retenu était de ne pas les privatiser et d’employer
le produit des péages pour financer les nouvelles infrastructures de
transports alternatifs, auraient dû provoquer un réexamen du système.
Ce n’est que récemment, à la suite des contrôles menés par la
Cour, que les administrations représentant l'Etat concédant ont engagé
une action de grande ampleur pour mieux connaître les péages
réellement pratiqués et ont remis profondément en cause les demandes de
hausses qui leur étaient soumises.
256
COUR DES COMPTES
La logique aujourd’hui voudrait, au moins pour les autoroutes
anciennes, en grande partie amorties, que les péages diminuent, ce qui
aurait pour inconvénient majeur d'encourager le transport routier en
contradiction avec la politique de l'environnement et les possibilités
offertes
par
les
droits
régulateurs
de
la
directive
européenne
"Eurovignette" . Sans entrer dans cette perspective, la Cour formule les
recommandations suivantes :
- définir une procédure de consultation de personnalités qualifiées
et des usagers avant que les administrations compétentes prennent leurs
décisions relatives aux péages ;
- imposer la publicité, au moins sur Internet, des tarifs réels au
kilomètre ;
- publier sous la responsabilité des services de l'Etat, un rapport
annuel sur l’évolution des péages autoroutiers et sur les raisons qui
l'expliquent ;
- sanctionner les concessionnaires qui ne fournissent pas les
éléments d’information nécessaires au suivi de la concession par les
pouvoirs publics ;
- réexaminer l'indexation minimale des péages sur 70 ou 85 % de
l’inflation et étudier la réforme du décret de 1995 ; dans l'immédiat,
examiner avec plus de rigueur les hausses proposées par les sociétés ;
- étudier la possibilité, dans le respect des engagements pris par
l'Etat, de
clarifier le système de détermination des péages autoroutiers
dans le respect des engagements contractuels de l’Etat.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
257
RÉPONSE DU MINISTRE D’ÉTAT, MINISTRE DE L’ÉCOLOGIE,
DU DÉVELOPPEMENT ET DE L’AMÉNAGEMENT DURABLES
A la suite de ses travaux sur la tarification des autoroutes concédées
effectués dans le cadre du contrôle de la privatisation des sociétés
d’économie mixte concessionnaires d’autoroutes, la Cour des Comptes a
établi une insertion à son prochain rapport public.
Ces travaux reflètent une connaissance approfondie des règles de
détermination des péages. Toutefois, l’insertion, dont la tonalité générale est
renforcée par des titres de chapitre souvent en décalage par rapport au texte
lui-même, me parait exagérément critique et traduit de façon imparfaite
la
situation actuelle.
Le système autoroutier français comporte certes des insuffisances,
notamment liées à sa constitution
par strates historiques successives, mais
les actions destinées à y remédier ont été engagées depuis déjà plusieurs
années.
Je souligne en outre que l'encadrement juridique de notre système
autoroutier,
bien
que
comprenant
des
éléments
réglementaires
ou
jurisprudentiels, est essentiellement d'ordre contractuel. La correction de ses
faiblesses et des hétérogénéités qu'il comporte ne peut donc être ni aussi
rapide ni aussi ambitieuse que la Cour l’indique, sauf à exposer l'Etat à des
demandes de compensation des concessionnaires.
Je ne peux ainsi partager l'affirmation figurant dans l'insertion selon
laquelle ce système n'évoluerait que dans un sens favorable aux sociétés
concessionnaires du fait de l'insuffisance du contrôle de l'Etat. Bien au
contraire, l'important travail accompli par l'administration ces dernières
années se concrétise par une évolution exactement inverse, conformément à
l'objectif fixé à la direction générale des routes. Cette évolution se traduit
notamment par un durcissement des négociations avec les sociétés
concessionnaires et des contrôles plus approfondis du respect de leurs
obligations.
***
I - Le système autoroutier français est complexe et hétérogène, en
raison d’une évolution par strates successives et d’un cadre juridique
essentiellement contractuel
.
I.1 La pratique de l'adossement a été abandonnée à la fin des
années quatre-vingt-dix, mais ses effets se font toujours sentir dans les
péages appliqués sur les autoroutes les plus anciennes
258
COUR DES COMPTES
Comme le relève la Cour, la pratique de l’adossement a conduit à
prolonger la perception du péage sur les premières autoroutes concédées au-
delà des durées des concessions initiales. L'équilibre actuel des contrats est
donc la résultante d'équilibres successifs, dont le plus significatif a été défini
en 2001 lors de la réforme du secteur autoroutier. Ces équilibres successifs
procédaient, à chaque ajustement, à une péréquation entre les péages perçus
sur les autoroutes déjà construites et les péages des autoroutes à construire.
Le niveau des péages des nouvelles sections, tenant compte de coûts de
construction en général plus élevés et d’une durée de perception plus faible,
était nécessairement plus élevé que celui des péages historiques. Il en résulte
une certaine hétérogénéité des péages, qui en soi, n’est pas critiquable, dès
lors qu’elle participe de l’équilibre de la concession, et permet de mutualiser
les recettes des ouvrages anciens avec celles des ouvrages plus récents.
Dans son analyse, la Haute Juridiction confond donc la nécessité du
respect des règles relatives à la concurrence – à l’origine de l’abandon de la
pratique de l’adossement – et la régularité de la mutualisation des coûts – et
donc des péages – au niveau de la totalité de l’infrastructure concédée.
Il serait évidemment plus simple pour la compréhension du niveau des
tarifs que, comme dans les concessions nouvelles attribuées après mise en
concurrence, les péages soient fixés depuis la signature du contrat et
n’évoluent qu’en fonction de la clause d’indexation.
La réalité, faite de strates historiques, est différente. Le modèle des
nouvelles concessions permet cependant d’illustrer le caractère contestable
de l’affirmation selon laquelle les péages historiques doivent baisser en
fonction du degré d’amortissement des ouvrages. Tout se passe en effet
comme si les concessions historiques dont la durée totale avoisine désormais
celle des nouvelles concessions, soit 70 ans, étaient l’addition de concessions
de durées variables, aux tarifs fixés indépendamment les uns des autres.
Aucune de ces nouvelles concessions indépendantes ne prévoit de baisse de
tarifs. L’amortissement comptable qui y est pratiqué est un amortissement de
caducité, qui se distingue nettement de l’amortissement technique pour
dépréciation des ouvrages appliqués aux actifs renouvelables et dont le
fondement est l’extinction, à l’échéance de la concession, de tout actif dans
la mesure où celui-ci n’est plus, par hypothèse, productif de recettes.
L’équilibre financier de la concession historique après allongements
est réalisé de sorte que l’amortissement de la totalité des infrastructures qui
la constituent est achevé à la fin de la concession, ceci indépendamment du
rythme de renouvellement physique des ouvrages. Intellectuellement, on
aurait pu sans doute réaliser cet équilibre avec des lois tarifaires évoluant
négativement, à condition que les péages initiaux soient d’un montant
suffisant, et au prix sans doute de durées d’allongement très importantes. Le
choix fait de retenir pour les péages de l’ensemble des sections une
indexation identique sur l’inflation a permis d’adosser les nouvelles sections
aux excédents financiers enregistrés sur les sections historiques du fait des
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
259
allongements successifs ou des progressions tarifaires supérieures à
l’évolution de base. Par construction, le niveau des péages historiques ne
peut donc baisser.
On comprend donc que dans un tel système, le niveau des péages soit
hétérogène, les écarts initiaux pouvant même s’accroître au gré des
actualisations. C’est pourquoi les sociétés concessionnaires et l’Etat ont
recherché des outils, essentiellement contractuels, permettant d’encadrer
l’évolution des tarifs afin d‘accroître leur lisibilité et faciliter leur contrôle.
I-2 Si le droit du péage comporte des éléments réglementaires ou
jurisprudentiels, la fixation des péages relève principalement de clauses
contractuelles.
Comme le souligne la Cour, le cadre législatif national et
communautaire – s’agissant pour ce dernier seulement des poids lourds –
transpose la jurisprudence traditionnelle relative aux redevances pour
service rendu. Le cadre réglementaire hérité du contrôle des prix – le décret
du 24 janvier 1995 – renvoie aux cahiers des charges la fixation des règles
précises de détermination des hausses tarifaires par sections de référence.
Sous réserve du respect des grands principes jurisprudentiels, dont
notamment le principe d’égalité, la fixation des tarifs ne peut se faire que par
accord entre la société concessionnaire et l’Etat. Il en est ainsi de la
définition des sections de référence, qui est effectuée dans le cadre des
contrats d’entreprise, donc après accord du concessionnaire. Il en est de
même de la détermination du TKM, tarif kilométrique moyen dont la Cour a
bien perçu les limites, qui ne prévoit de prise en compte des trafics que pour
répartir entre les sections de référence les hausses autorisées et qui laisse
une grande liberté aux sociétés concessionnaires pour répartir les hausses
entre trajets d’une même section de référence.
Ces clauses contractuelles, qui constituent en général l’article 25 des
cahiers des charges des concessions, peuvent bien entendu être modifiées
d’autorité par le concédant. Il doit cependant être bien compris que toute
modification unilatérale de ces clauses sensibles pour l’équilibre de la
concession ne pourrait qu'aboutir à une hausse des péages compte tenu de la
jurisprudence du fait du Prince qui octroie à la société concessionnaire une
compensation dès que l’équilibre du contrat est modifié par le concédant. En
cas de saisine du juge, celui-ci serait ainsi conduit à accorder des hausses
tarifaires supplémentaires pour rétablir l’équilibre antérieur et l’inverse du
but recherché serait obtenu.
De ce fait, seule la négociation est de nature à obtenir les correctifs
souhaités à juste titre par la Cour. Or, les mandataires sociaux ne peuvent
conclure un avenant ou un contrat d’entreprise avec l’Etat qu’à la condition
qu’il soit conforme à l’intérêt social de l’entreprise, c'est à dire qu’il
présente des avantages de nature à contrebalancer les contraintes
supplémentaires exigées par l’Etat. Compte tenu de l’impact des clauses
260
COUR DES COMPTES
tarifaires sur les revenus futurs des sociétés, leur durcissement est à
l’évidence difficile à faire accepter. Que l’entreprise soit publique ou privée
ne change rien à la responsabilité des mandataires sociaux, telles qu’elle est,
par exemple, sanctionnée par l’article L 242-6 du Code de Commerce.
Dans ce contexte, la récente remise en ordre conduite par la direction
générale des routes consiste à appliquer une lecture stricte des principes
réglementaires et contractuels existants sans en changer ni la lettre, ni
l’esprit. En revanche, une fois les conclusions dûment tirées de cette stricte
application, il sera tout à fait possible de les traduire par une rédaction
contractuelle plus claire et plus directement applicable.
II - La remise en ordre nécessaire pour remédier à l’hétérogénéité
des situations héritée de l’adossement ne peut être aussi rapide et
ambitieuse que le souhaite la Cour.
II-1 Contrairement à ce qu'indique la Cour, la tarification
n’est pas
décorrélée des coûts
La Cour critique la politique tarifaire d’uniformisation des TKM
indépendante par nature de la réalité des coûts respectifs à amortir par
autoroute.
S’agissant des concessions historiques, la pratique de l’adossement a
conduit à ce que le calcul du péage moyen s’effectue sur la totalité du réseau,
rendant ainsi plus indirect le lien entre le coût de construction ou
d’exploitation et le montant du péage mais sans méconnaître les principes
qui fondent la redevance pour service rendu, celui-ci étant entendu comme le
service apporté par l’ensemble du réseau du concessionnaire. C'est d'ailleurs
le cas pour les exemples pris par la Cour dans la partie I-3 concernant AREA
et ASF qui sont des concessionnaires historiques. Le lien avec le coût de
construction n’en a pas pour autant disparu, comme le démontre la
comparaison des tarifs kilométriques moyens applicables aux véhicules de la
classe 1 (véhicules légers) selon que la société dispose d’un réseau constitué
principalement d’autoroutes de plaine ou d’autoroutes de montagne, qui sont
sensiblement différents entre les deux catégories et en outre relativement
homogènes à l’intérieur de chacune de celles-ci.
A titre d’exemple, pour 2006, le TKM classe 1 du réseau concédé aux
Autoroutes du Sud de la France (ASF) est de 6,90 cts€ TTC/km et de
6,74 cts€ TTC/km sur le réseau concédé à la Société du Nord et de la France
(SANEF), alors qu’il est de 9,09 cts€ TTC/km pour la société des Autoroutes
Rhône Alpes (AREA) et de 9,70 cts€ TTC/km pour l’A40, autoroute d’accès
au tunnel du Mont-Blanc concédée à la société ATMB.
Ce principe d’homogénéisation des tarifs, tout en gardant un lien avec
les caractéristiques physiques des différentes sections, est illustré par les
clauses contractuelles encadrant les tarifs relatifs aux sections nouvelles. Les
éléments pris en compte concernent alors l’ensemble du réseau concédé à la
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
261
société et sont modulés en fonction des caractéristiques spécifiques de la
section. Ainsi, l’article 25.5 du cahier des charges des sociétés dispose que «
la tarification des sections nouvelles à leur mise en service est fixée par la
société concessionnaire sur la base du tarif kilométrique moyen (TKM) de
son réseau au moment de l'ouverture de ces sections, éventuellement corrigé
en fonction des coûts de construction et d'exploitation si ceux-ci sont
sensiblement différents de ceux constatés sur le reste du réseau ». Sauf
autorisation conjointe du ministre chargé de la voirie nationale et du
ministre chargé de l’économie, cette correction ne doit pas conduire à ce que
le TKM de la section nouvelle soit supérieur de plus de 20% au TKM des
sections contiguës. La détermination des tarifs de l’autoroute A 89 concédée
à ASF, dont les coûts de construction et d’exploitation élevés ont justifié un
TKM à la mise en service supérieur de plus de 20 % au TKM des sections
contiguës, a par exemple bénéficié d’une telle autorisation.
La Haute Juridiction constate par ailleurs que les rentabilités
financières des autoroutes sont rarement disponibles. Dans son avis du
25 juin 2003, le Conseil général des ponts et chaussées a produit des
recommandations de nature à clarifier les objectifs, le champ d’application
et le contenu des bilans prévus au titre de l’article 14 de la LOTI. Parmi les
éléments demandés, figure explicitement un calcul de la rentabilité financière
de l’opération pour la société concessionnaire. Dans le cadre de sa politique
de
relance
de
la
production
des
bilans
socio-économiques
et
environnementaux initiée par lettre du 23 février 2005 adressée à l’ensemble
des concessionnaires, l’Etat a demandé à ce qu’il soit tenu compte de ces
recommandations. Il n'existe en revanche pas de texte de portée nationale
définissant un éventuel contrôle de la rentabilité financière des sociétés.
L'analyse faite par les services de la direction générale des routes a donc
surtout valeur d'étalonnage de ses propres modèles financiers en vue de leur
application aux nouvelles concessions.
II.2 Une remise en ordre progressive par grandes sections
homogènes est néanmoins possible.
Le lien entre tarification et coûts de l’infrastructure n’est cependant ni
systématique, ni homogène entre les sociétés. C’est ainsi que les contrats
d’entreprises les plus récents (ASF-Escota 2007-2011) et à venir (Sanef-
SAPN et APRR-AREA pour lesquels des négociations sont en cours)
s’inscriront dans une homogénéisation des pratiques et une meilleure
traduction des coûts dans les tarifs kilométriques moyens des sections de
référence. Cette évolution aura pour objet de faire du prix un signal du
niveau du coût, sans bien sûr chercher à faire supporter celui-ci pour chaque
section autoroutière, par les péages enregistrés, ce qui serait impossible dans
le contexte général d’adossement tel que décrit plus haut. Pour ASF, cet
effort se traduit dans le récent contrat d’entreprise par un objectif, modeste,
de convergence des tarifs kilométriques moyens des sections de référence,
afin de lisser les différences historiques les moins justifiables.
262
COUR DES COMPTES
Le ministère de l’écologie, du développement et de l’aménagement
durables partage en outre avec la Cour l’objectif de limiter les distorsions
des tarifs kilométriques entre les trajets. Il est néanmoins nécessaire de ne
pas bouleverser ces tarifs, ce qui se traduirait pas des augmentations très
fortes localement sans bénéfice pour les usagers et inutiles dès lors que,
comme il est rappelé au III ci-dessous, le foisonnement est supprimé. Par
ailleurs, les chiffres cités par la Cour sur les dispersions sont inexacts. Les
tarifs par kilomètre des trajets s’inscrivent certes dans une large fourchette
mais dans des proportions qui n’ont rien à voir avec celles indiquées dans le
projet d’insertion. En particulier, les exemples cités dans la section II-B-2
concernant les tarifs calculés sur certaines sections des autoroutes A7, A43
et A16 sont factuellement exacts mais ne prennent pas en compte les écarts
de tarif kilométrique sur les trajets considérés qui sont d’ampleur plus
limitée, certaines modulations sur des trajets longs pouvant de surcroît être
les conséquences de contraintes locales particulières.
II-3 Le
concept
de
tarification
aux
coûts
des
facteurs,
historiquement particulièrement fécond, mais qui montre aujourd’hui ses
limites,
doit progressivement être dépassé, au profit de la prise en compte
des coûts complets des transports et de la valeur du service pour l’usager.
Dans son intéressante étude du 24 octobre 2002 sur les redevances, le
Conseil d’Etat, prenant acte de la souplesse de sa jurisprudence, écrivait
déjà : « Que la redevance soit destinée à couvrir les charges ou les frais
exposés par le service dont le financement est assuré est une chose ; qu’il
faille toujours en déduire un strict plafonnement du prix en fonction du coût
en est une autre, qui ne va pas de soi ».
Affirmant cela, le Conseil d’Etat évoquait une éventuelle évolution de
la jurisprudence qui permettrait notamment de déterminer la valeur du
service rendu à l’usager autrement qu’en considération du seul coût. Depuis,
la Haute juridiction a eu l’occasion d’infléchir les principes historiques
applicables aux redevances pour service rendu en reconnaissant que la
tarification d’un service n’est pas nécessairement strictement corrélée à ses
coûts mais peut tenir compte de la valeur du service pour l’usager
86
.
Cette évolution jurisprudentielle est accompagnée par certaines
dispositions
du
droit
communautaire,
notamment
la
directive
dite
Eurovignette modifiée, qui prévoit depuis 2006 quelques entorses au principe
de la tarification au coût des facteurs en introduisant la possibilité de sur-
péages localisés
87
et de droits régulateurs
88
, ces éléments de tarification
s’ajoutant à une tarification de base représentative des coûts. Cette directive
fait par ailleurs clairement apparaître le texte actuel comme une première
86) CE 16 juillet 2007, « Syndicat national de défense de l’exercice de la médecine
libérale à l’hôpital »
87) Article 7 de la directive 2006/38 CE
88) Article 9 de la directive 2006/38 CE
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
263
étape vers une prise en compte plus directe et plus complète des externalités,
notamment environnementales, dans les principes de la tarification
89
.
Dans ce contexte, la remise en ordre décrite plus haut pourrait
s’inscrire dans une évolution à moyen terme du cadre législatif et
réglementaire, notamment de l’article L 122-4 du Code de la voirie routière.
Là encore, la traduction concrète de ces évolutions sur les péages sera un
processus long, non seulement parce que leurs conséquences sur les usagers
seraient très sensibles si elles venaient à s’appliquer sans discernement, mais
aussi parce qu’elles devront respecter l’équilibre financier préalable des
concessions historiques. Néanmoins, ce mouvement semble inéluctable.
III - L’appréciation selon laquelle l’évolution des concessions se fait
à sens unique, est contestable. Depuis la fin de l’adossement, les
négociations sont au contraire de plus en plus strictes et les contrôles
tarifaires se sont considérablement durcis.
III.1 L’évolution récente montre que les négociations tarifaires sont
de plus en plus précises et strictes et que les investissements nouveaux ont
été compensés au plus juste.
Les hausses tarifaires accordées aux sociétés concessionnaires sont
établies pour compenser les investissements nouveaux qu’elles doivent
réaliser. Elles font l’objet d’âpres discussions visant à définir les
compensations au plus juste.
Pour ce faire, la direction générale des routes procède d’une part à
une évaluation du montant des investissements, d’autre part à une analyse
financière visant à déterminer le niveau des hausses tarifaires destinées à les
compenser. Cette dernière analyse financière nécessite une modélisation
précise du plan d’affaires de la société. Elle est fondée sur la méthodologie
des flux actualisés utilisée classiquement par les entreprises. Je tiens à
assurer la Cour de la rigueur et du sérieux apportés à la vérification des
projections financières concernant les investissements compensés aux
concessionnaires par des compléments de hausses tarifaires, ainsi que de la
juste prise en compte de ces coûts par la direction générale des routes,
l’absence de publicité de ces travaux ne traduisant pas la moindre carence
en ce domaine.
S’agissant de l’établissement des lois tarifaires, le décret du
24 janvier 1995 relatif aux péages autoroutiers dispose qu’en l’absence de
contrat de plan, la société doit bénéficier d’une hausse tarifaire minimale de
70 % de l’inflation permettant de couvrir les charges normales et récurrentes
de la concession. Aussi, toute hausse supérieure ne constitue en rien une
« prime » à la signature d’un contrat de plan et doit avoir une contrepartie
sous forme d’investissements nouveaux.
89)) Considérants 18 et 19 notamment de la directive 2006/38 CE
264
COUR DES COMPTES
C’est bien ce principe qui a été retenu et mis en oeuvre lors des
dernières négociations avec les sociétés, en particulier lors de l’élaboration
du contrat de plan 2007 – 2013 conclu entre l’Etat et ASF. Pour la même
raison, la hausse des coefficients poids lourds a eu pour contrepartie des
investissements nouveaux à réaliser. C’est sur ces mêmes bases que seront
conduites les négociations à venir précédemment évoquées.
Il ne fait pas de doute qu’une modification de cette évolution
minimale, fondant le calcul de l’équilibre des concessions revu en 2001 lors
de la réforme du secteur autoroutier, ouvrirait droit à une compensation au
bénéfice des concessionnaires.
III.2 Les contrôles approfondis ont révélé le foisonnement et il y a
été mis fin.
Comme le rappelle la Cour, il a été entrepris de mettre fin à la
pratique du foisonnement.
Afin de mettre un terme à l'optimisation des tarifs de péage,
optimisation qualifiée d'effet de foisonnement ou effet de structure, dénoncé
depuis 2006 par le commissaire du gouvernement ou son adjoint lors des
conseils d'administration ou par la Cour dans son contrôle de la
privatisation, la direction générale des routes a renforcé ses méthodes de
contrôle au cours de l'été 2007. Après avoir demandé aux sociétés
concessionnaires d'autoroutes les données détaillées relatives aux trafics sur
chacun des trajets internes à leur réseau, elle a reconstitué les recettes
tarifaires réelles en multipliant le tarif de chaque trajet possible sur le réseau
par le nombre d'usagers ayant parcouru au cours de l'année le trajet. Ceci a
permis de comparer l'évolution du chiffre d'affaires brut théorique au taux de
hausse tarifaire accordé contractuellement et de mettre en exergue le fait que
les recettes kilométriques toutes classes confondues, à structure du trafic
constante, étaient supérieures à la hausse tarifaire contractuellement
accordée.
Ces contrôles approfondis ont, pour les sociétés APRR, AREA et
SANEF dont la hausse est intervenue au 1
er
octobre ou au 1
er
décembre 2007,
conduit à la suppression du foisonnement. Les recettes supplémentaires dues
aux modulations tarifaires pratiquées lors de la hausse intervenue en 2006
ont en outre été neutralisées par la combinaison d'une baisse de la hausse
tarifaire contractuellement accordée pour 2007 de 0,84 % pour APRR,
0,22 % pour AREA et 0,40 % pour SANEF et d'un report pour les prochaines
hausses d'une baisse respectivement de 0,51 %, 0,72 % et 0,72 % toutes
classes confondues.
Il va bien évidemment de soi que cette démarche sera poursuivie à
l’occasion de la détermination des prochaines hausses tarifaires.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
265
III.3 La seule question aujourd’hui non réglée qui confine à
l’enrichissement sans cause est celle de la suppression des réductions poids
lourds.
La diminution des réductions des péages consenties par les sociétés
concessionnaires aux poids lourds titulaires d’abonnements, en prévision de
la transposition prochaine des dispositions de la directive Eurovignette
plafonnant à 13% le taux maximum de rabais accordés aux usagers
fréquents, a pour conséquence une croissance soutenue des recettes, au-delà
de l’évolution du tarif kilométrique moyen. Comme le constate la Cour, cet
effet d’aubaine ne s’inscrit pas, contrairement au foisonnement, dans une
démarche délibérée des sociétés concessionnaires de procéder à une
maximisation indue de leurs recettes.
La captation par les sociétés du bénéfice de cet effet n’est pas pour
autant légitime. Des discussions sont en cours avec les sociétés
concessionnaires sur la façon dont ces recettes supplémentaires pourraient
être redistribuées, totalement ou en partie, aux usagers. Plusieurs possibilités
sont ouvertes parmi lesquelles figurent l'amélioration de la qualité de service
et des investissements nouveaux. Même s’il est difficile aujourd’hui de se
prononcer sur l’issue de ces négociations, l’Etat restera vigilant sur
l’aboutissement d’une solution juste pour les usagers.
III.4
La
publicité
des
tarifs,
de
la
responsabilité
des
concessionnaires, montre des pratiques hétérogènes mais assurant un
niveau d’information très correct.
Les cahiers des charges de concession disposent que les grilles
tarifaires des sociétés, annexées aux contrats de concession, sont
consultables auprès de la société, de la direction générale des routes et de la
direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression
des fraudes, en substitution à la publication de ces tarifs par l’Etat. Ils
imposent également à la société concessionnaire de les porter à la
connaissance du public.
Par ailleurs, les contrats d’entreprise 2004 – 2008 conclus avec
APRR, AREA, SANEF et SAPN imposent à ces sociétés de délivrer une
information sur les tarifs dix jours francs avant la hausse annuelle. Cette
obligation est reprise à l’article 25 du cahier des charges des concessions
ASF et ESCOTA.
L’intégralité des tarifs de péage a de plus été publiée au Journal
officiel par arrêté du 24 décembre 2001 fixant les tarifs de péage en euros.
Cette publication avait été jugée nécessaire car ces tarifs avaient été
considérés comme une nouvelle grille tarifaire n’émanant pas des sociétés.
266
COUR DES COMPTES
Par lettre du 9 juillet 2007, la direction générale des routes a
demandé aux sociétés d’indiquer précisément les conditions dans lesquelles
elles portaient à la connaissance des usagers, en application des articles
25.8 et 26 du cahier des charges, les tarifs de péage en vigueur en joignant
notamment des exemples de documents commerciaux (affiches, plaquettes
d’informations, …), ainsi qu’en explicitant les moyens mis en oeuvre sur le
site internet de la société.
Les réponses reçues traduisent effectivement des pratiques différentes,
qui permettent néanmoins toutes d’obtenir le tarif d’un trajet spécifique. Les
prochaines négociations des contrats de plan avec les sociétés des groupes
APRR et SANEF seront l’occasion de mieux définir les objectifs
d’information des usagers.
La proposition de la Cour d’afficher avant l’accès aux autoroutes les
tarifs de péage de certains trajets mérite d’être analysée au regard de sa
faisabilité technique, notamment de ses conséquences en terme de sécurité
routière.
Il en est de même de la publication des tarifs par kilomètre, qui
pourrait constituer une information utile au consommateur. Il conviendrait
cependant de s’en assurer auprès des usagers, car le prix total du trajet
qu’ils souhaitent effectuer est peut-être une information plus pertinente. Sur
ces questions qui relèvent de l’attente du consommateur à l’égard du service
rendu par l’autoroute, des études qualitatives seront menées par la direction
générale des routes, pour aller au-delà des enquêtes annuelles de satisfaction
menées par les concessionnaires en application de l’article 19 du cahier des
charges de la concession sur la base d’un questionnaire unique établi par
l’Etat.
IV - Conclusions
Comme indiqué précédemment, plusieurs des critiques de la Cour
paraissent devoir être nuancées, et plus particulièrement celles portant sur la
faiblesse des contrôles de l'administration ou l’absence de justification
économique des tarifs et des niveaux de hausses tarifaires accordées.
Au-delà du fait que la baisse des tarifs envisagée par la Cour sur les
sections les plus anciennes n’est pas praticable (pour les raisons explicitées
plus haut), les recommandations avancées par la Cour appellent de ma part
les observations suivantes :
- la Haute juridiction suggère la création d’un organisme consultatif
comprenant des représentants des usagers. Je suis favorable à une telle
mesure qui contribuera à une meilleure transparence des procédures
complexes s'appliquant d'une manière générale aux concessions et plus
spécifiquement
à
la
détermination
des
tarifs.
La
définition
d’une
représentation adéquate du public sera néanmoins un exercice délicat
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
267
compte tenu de l’absence d’organisme représentatif des usagers des
autoroutes concédées ;
- je suis également favorable à la suggestion de la Cour de faire
établir par la direction générale des routes un rapport annuel sur ses travaux
en terme de contrôle tarifaire ou plus globalement sur les résultats des
concessions. S’agissant d’une communication officielle, ce rapport devrait
d’une part s’inscrire dans le cadre de la politique globale d’information du
gouvernement, d’autre part veiller à ne diffuser que des informations
incontestables et qui ne soient pas couvertes par le secret des affaires ;
- même si jusqu’à ce jour, il n’a pas été nécessaire d’aller jusqu’au
bout des démarches entreprises pour obtenir les éléments d'information
nécessaires au suivi de la concession, mes services n’hésiteraient pas à
sanctionner financièrement les sociétés ne les fournissant pas. La Cour peut
être assurée de la mise en oeuvre effective des sanctions prévues par les
contrats chaque fois que nécessaire ;
- sur la question des hausses tarifaires, je souligne que la suppression
du décret du 24 janvier 1995 instituant une hausse minimale des tarifs de
70 % de l'inflation n'est pas envisageable. Le principe de cette hausse
minimale est d'ailleurs repris à l'article 25 des contrats de concession. Si la
Cour peut légitimement s'interroger sur la justification technique du niveau
retenu, force est de constater que ce niveau est un élément essentiel de
l'équilibre de la concession tel qu'il a été défini par les avenants successifs.
Or cet équilibre, par hypothèse, prend déjà en compte la perspective de
maturité du réseau, qui aura pour effet de rapprocher la loi tarifaire de ce
niveau plancher. L'absence de justification d'une suppression unilatérale de
ce
décret
aurait
pour
conséquence
certaine
la
condamnation
de
l'administration à rétablir l'équilibre antérieur ;
- la clarification des dispositions contractuelles relatives à la fixation
des péages me semble enfin indispensable, dans le sens d’une plus grande
lisibilité et d’une traduction plus directe des principes régissant les
évolutions annuelles.
268
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DE LA MINISTRE DE L’ÉCONOMIE, DES FINANCES
ET DE L’EMPLOI
Les observations formulées dans l’insertion sur « Les péages
autoroutiers », que conduisent la Cour à recommander une réforme des
conditions de régulation tarifaire des sociétés concessionnaires d’autoroutes,
appellent de ma part les éléments de réponse suivants :
1. Le système de fixation des tarifs
La mise en oeuvre de l’évolution des péages a parfois pu être utilisée,
comme vous le soulignez, par des sociétés concessionnaires pour optimiser
leurs recettes, en ciblant les hausses les plus fortes sur les portions du réseau
les plus fréquentées. Il convient effectivement d’encadrer strictement cette
mise en oeuvre pour éviter de telles dérives.
C’est ce à quoi se sont attachés les services de l’Etat : ainsi, les
premières propositions de hausse tarifaire qui ont été présentées cette année
par différentes sociétés concessionnaires n’ont pas été entérinées au motif
que les modulations envisagées n’étaient pas conformes aux principes
encadrant les évolutions tarifaires.
Sur ce point, il m’apparaît naturellement que l’exploitation des
concessions doit respecter strictement les termes du contrat qui régit la
concession. Une bonne application de ce cadre de régulation permet une
évolution maîtrisée des péages et évite
tout prélèvement non justifié sur le
pouvoir d’achat des ménages.
2. Les défauts de publicité des péages
L’information essentielle dont les usagers doivent pouvoir disposer
pour choisir entre différents trajets possibles (entre autoroutes et routes
nationales, choix de la sortie sur l’autoroute, etc.) est celle relative aux tarifs
des péages qui leur seront appliqués sur la liaison empruntée. Ces tarifs
doivent être facilement accessibles, par brochure et sur les sites internet des
différentes sociétés.
En revanche, la publication par les sociétés concessionnaires
d’autoroutes des prix au kilomètre serait moins directement utilisable par les
usagers pour décider de leur itinéraire.
3. La baisse des réductions pour les poids lourds
Il m’apparaît que la limitation des réductions tarifaires accordées aux
poids lourds dans le cadre des abonnements, qui a pour conséquence un
accroissement
des
recettes
d’exploitation
perçues
par
les
sociétés
concessionnaires, pourrait justifier une compensation, tarifaire ou d’une
autre nature, notamment s’il est clairement démontré que ces réductions, au
moment où elles ont été mises en oeuvre, ont été compensées par des hausses
complémentaires de péages.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
269
4. Une procédure de consultation des usagers
La mise en oeuvre d’une procédure de consultation des usagers, qui
interviendrait avant que les administrations compétentes ne prennent leurs
décisions relatives aux péages, pose la question de l’instance adéquate
auprès de laquelle une telle consultation pourrait être menée, de ses
capacités d’expertise et des délais dans lesquelles celle-ci pourrait se
prononcer. Cette instance pourrait être le Conseil national de la
consommation, qui réunit des représentants des professionnels et des
consommateurs, sous réserve d’en adapter le mode de fonctionnement pour
ce type de mission.
***
Les contrats de concession, qui portent sur la construction, l’entretien
et l’exploitation d’autoroutes, sont conclus aux risques et périls de
l’exploitant en prenant en compte l’équilibre financier de la concession tel
qu’il a pu être établi à son origine. Il est bien entendu exclu que
l’exploitation des concessions autoroutières puisse conduire à une forme
d’enrichissement sans cause des concessionnaires. Toutes les modifications
ultérieures de ces contrats de concession, consécutives notamment à des
investissements, témoignent de la même préoccupation du respect de
l’équilibre originel de la concession, au coeur des engagements contractuels
entre l’Etat concédant et le concessionnaire. Les évolutions ambitieuses que
vous suggérez doivent en tenir compte.
Dans ce contexte, je n’exclus pas que l’Etat concédant engage des
négociations avec les concessionnaires pour améliorer le cadre tarifaire
existant, mais naturellement dans le respect du cadre contractuel qui régit les
concessions autoroutières. Il en va de la crédibilité de l’Etat comme
concédant et comme régulateur tant vis-à-vis des concessionnaires et des
investisseurs que vis-à-vis des utilisateurs.
L’Etat est et restera en tout état de cause très attentif à la bonne
exécution des contrats de concession : les procédures de suivi et de contrôle
de l'exécution de la concession et les obligations du concessionnaire en
matière de qualité de service ont été renforcées à l’occasion de la
privatisation d’ASF, d’APRR et de Sanef, et les mesures tarifaires adoptées
récemment pour les sociétés APRR, AREA, SANEF et SAPN montrent la
détermination des pouvoirs publics à encadrer au plus près les modulations
de tarifs, conformément au cadre de régulation.
270
COUR DES COMPTES
RÉPONSE COMMUNE
DU PRÉSIDENT DU GROUPE AUTOROUTES PARIS-RHIN-RHÔNE
(APRR)
ET DU PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ DES AUTOROUTES
RHÔNE-ALPES (AREA)
L’insertion au rapport public transmis par la Cour des Comptes
relatif aux péages autoroutiers appelle, de la part des sociétés APRR et
AREA, trois séries d’observations :
−
la remise en cause de la tarification des autoroutes n’est ni fondée
en droit ni justifiée économiquement ;
−
la
politique
tarifaire
des
sociétés
concessionnaires
est
respectueuse des cahiers des charges imposés par l'Etat ;
−
si des réformes de la tarification autoroutière peuvent être
envisagées, elles doivent respecter le cadre concessif et l’équilibre
financier des contrats.
1. la remise en cause de la tarification des autoroutes n’est ni fondée en
droit ni justifiée économiquement
Dans le projet d’insertion au rapport public, le Rapporteur formule
d’importantes critiques à l’encontre du système de tarification de l’usage des
autoroutes résultant du décret n° 95-81 du 24 janvier 1995. Ces critiques ne
sont justifiées, ni en droit, ni économiquement. Au surplus, elles comportent
encore certaines erreurs factuelles.
1.1. Les critiques formulées méconnaissent la notion de redevance pour
service rendu et remettent en cause l'économie générale des contrats de
concession en vigueur
Ces critiques des règles de fixation des péages autoroutiers instituées
par le décret du 24 janvier 1995 s'appuient sur l'idée qu'existerait une
insuffisante corrélation entre le tarif et l'amortissement de l'autoroute
concernée. En réalité, cette appréciation méconnaît à la fois les règles de
fixation des péages et
celles de la concession de service public.
La méconnaissance des règles de fixation des péages porte à la fois
sur les dispositions législatives qui les encadrent et sur la notion de
redevance pour service rendu.
Il résulte des dispositions législatives relatives aux péages - l'article
L.122-4 du Code de la voirie routière - que les niveaux de péage s’apprécient
à l’échelle d’une concession et non section d’autoroute par section
d’autoroute. C’est, d'ailleurs, la raison pour laquelle le décret du 24 janvier
1995 encadre des tarifs kilométriques moyens, pondérés par les trafics
constatés, ce qui permet la mise en place d'une péréquation tarifaire entre les
sections d'autoroutes.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
271
La Cour fonde également son raisonnement sur une interprétation de
la notion de redevance pour service rendu – en se référant au plafonnement
des redevances par le coût du service – qui n'est pas conforme à la
jurisprudence administrative. Par une importante décision du 16 juillet
2007
90
, en effet, le Conseil d'Etat a supprimé cette exigence de plafonnement
par les coûts, ce qui autorise une plus grande souplesse dans la fixation des
tarifs.
Exiger une corrélation totale entre l'amortissement de la section
d'autoroute concernée et le tarif pratiqué n'est donc pas justifié en droit.
Les observations formulées par le Rapporteur méconnaissent, par
ailleurs, l'économie générale des concessions autoroutières existantes.
Les concessions autoroutières sont constituées de réseaux plus ou
moins anciens au sein desquels s’exerce une péréquation tarifaire : les
recettes des autoroutes les plus anciennes servent à financer les réseaux les
plus récents, tout en mutualisant les coûts entre les différentes sections. Cette
technique de financement – dénommée "adossement" – a permis le
développement d’un réseau autoroutier dense, de qualité et à haut niveau de
service.
Si le recours à cette technique de financement est désormais très
encadré par l’avis du Conseil d’Etat du 16 septembre 1999, deux limites sont
fixées à l'interdiction : d'une part, l'adossement n'est pas prohibé pour des
extensions limitées des réseaux ; et, d'autre part, surtout, les situations
antérieures n’ont pas été remises en cause.
Il n’y a pas lieu, par conséquent, de réduire les tarifs des péages des
sections les plus anciennes car ces sections contribuent au financement de
sections d’autoroutes à trafic modéré qui n’auraient jamais pu être réalisées
sans leur intégration aux concessions existantes, si ce n’est au prix de
subventions publiques très importantes.
Exiger une corrélation totale entre le coût d’une autoroute et le tarif
qui y est pratiqué reviendrait à remettre en cause cette appréciation globale
de l’équilibre financier d’une concession qui constitue l’un des piliers du
système autoroutier français.
En outre, la délégation de service public ne peut être confondue avec
la régie. La délégation, comme sa dénomination l'implique, entraîne la
dévolution au partenaire de la collectivité publique d'un certain nombre de
responsabilités : la notion même de délégation de service public implique
ainsi de laisser à la société concessionnaire une certaine autonomie dans la
définition de sa politique tarifaire, dans les limites autorisées par le cahier
des charges et dans l'encadrement contractuellement convenu du contrat de
90) CE, Assemblée, 16 juillet 2007, SYNDICAT NATIONAL DE DEFENSE DE
L'EXERCICE LIBERAL DE LA MEDECINE A L'HOPITAL, req. n° 293229.
272
COUR DES COMPTES
plan ou d'entreprise. L'autonomie ainsi laissée à la société concessionnaire
comporte le risque, notamment commercial. Les modalités de fixation de la
rémunération du concessionnaire constituent le corollaire nécessaire du
risque porté par ce dernier.
Enfin, les critiques fondées sur les formules d’indexation des tarifs
inscrites dans les cahiers des charges ne sont pas davantage justifiées. Les
règles d’évolution des tarifs sont fixées ex ante et constituent une composante
essentielle de l’équilibre financier des concessions. Ces formules prennent en
compte les investissements nouveaux réalisés par les concessionnaires sur les
réseaux en service ainsi que ceux à venir, mais également les gains de
productivité des concessionnaires, de sorte que les "augmentations" se
traduisent, en réalité et sur le long terme, par des
baisses de tarifs en valeur
réelle
.
1.2 Les solutions suggérées aggraveraient les inégalités entre les usagers et
entre les territoires
Outre le fait qu’elle méconnaîtrait profondément la logique des
concessions autoroutières, l’exigence d’une forte corrélation entre coût de
chaque section d’autoroutes et tarif produirait des effets pour le moins
paradoxaux sur le plan économique et injustes du point de vue de
l'aménagement du territoire.
Cette exigence conduirait, en effet, à réduire, voire à supprimer la
péréquation tarifaire entre les sections d'autoroutes d'une même concession :
si les sociétés étaient contraintes de réduire les tarifs des autoroutes les plus
anciennes, elles devraient alors majorer les tarifs des sections les plus
récentes. Compte tenu de la structure des réseaux, il s'agit le plus souvent de
sections d'aménagement du territoire à trafic modéré. Pour compenser la
perte de recettes résultant des baisses de tarifs des sections anciennes, les
augmentations de tarif seraient très fortes.
L'augmentation des tarifs des autoroutes nouvelles risquerait au
surplus – du fait des effets d'élasticité – de conduire à des reports de trafic
sur le réseau non concédé, ce qui contredirait totalement les objectifs
d'aménagement du territoire et de désengorgement du réseau non concédé
qui ont motivé la réalisation de ces mêmes autoroutes.
Inversement, la réduction des tarifs sur les sections les plus anciennes
– qui sont souvent les plus fréquentées – risque d'accroître la saturation de
ces axes et leurs effets induits sur l'environnement (pollution, bruit, etc)
auquel tant les pouvoirs publics que nos concitoyens accordent une
importance toujours plus significative.
On sortirait ici du simple paradoxe pour entrer à vrai dire dans le
domaine de la contradiction pure et simple.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
273
2. La politique tarifaire des sociétés concessionnaires est respectueuse des
cahiers des charges imposes par l'Etat
Si la Cour formule également un certain nombre de critiques sur des
distorsions dans les grilles tarifaires ou des incohérences dans les politiques
tarifaires des sociétés concessionnaires, aucune de ces critiques ne résiste à
un examen détaillé.
2.1 Les sociétés appliquent les règles déterminées par l'Etat
Les sociétés APRR et AREA souhaitent rappeler que la tarification
mise en oeuvre résulte de l'application des clauses des cahiers des charges
très largement imposés par l'Etat. Ces règles ont d'ailleurs été mises à jour
récemment par le concédant, par des avenants aux cahiers des charges des
concessions approuvés par le décret du 5 novembre 2004.
Deux avenants sont entrés en vigueur depuis cette date, relatifs
respectivement à APRR et à AREA – et d'ailleurs dans le contexte de la
privatisation – sans que l'Etat ait jugé nécessaire d'apporter la moindre
modification aux clauses relatives aux tarifs de péage.
Depuis 1995, les services de la DGR et de la DGCCRF ont toujours
homologué chaque année les tarifs proposés par les sociétés. Ce n'est que
pour les grilles tarifaires applicables pour l'année 2008 que certaines
divergences d'interprétation sont apparues entre l'Etat et les sociétés.
2.2 Les écarts tarifaires critiqués par la Cour sont conformes aux règles
régissant les péages
Il convient de préciser, en tout état de cause, que ni les dispositions
législatives ou réglementaires relatives aux péages, ni les clauses des cahiers
des charges n'imposent de pratiquer des tarifications kilométriques
uniformes selon les sections d'autoroutes.
L'existence d'écarts tarifaires est parfaitement admise par la
jurisprudence administrative puisque – comme le sait la Cour – le principe
d'égalité comporte trois catégories de dérogations :
- celles prévues par la loi
: l'appréciation des tarifs s'effectuant
concession par concession, les autoroutes situées sur deux concessions vont
nécessairement comporter des tarifs différents ;
- celles justifiées par des différences de situations appréciables entre
usagers
: il est admis que les situations de congestion fassent l'objet de
tarifications spécifiques, ce qui permet la mise en oeuvre de tarifs
kilométriques plus élevés sur les sections les plus fréquentées ;
- celles justifiées par des motifs d'intérêt général
, au nombre
desquels figurent à la fois les nécessités de l'exploitation des autoroutes et de
l'équilibre financier des concessions.
274
COUR DES COMPTES
De plus, force est de rappeler à nouveau à ce stade que la Délégation
de Service Public (DSP) n'est pas une régie et que c'est la logique même de
la DSP que de laisser au concessionnaire une certaine marge de manoeuvre
dans la définition de sa politique commerciale et tarifaire, dans les limites
fixées par le cahier des charges et le contrat de plan ou d'entreprise.
C'est
la raison pour laquelle l'encadrement des tarifs s'effectue sur la base de
tarifs moyens pondérés calculés sur des sections de référence, de manière à
ajuster les tarifs kilométriques selon les caractéristiques principales des
différentes sections.
Certaines contraintes d'exploitation justifient également des écarts
tarifaires. Ainsi en est-il des systèmes de péage "ouvert", qui conduisent à
percevoir un péage forfaitaire indépendant de la distance parcourue, péage
dont la légalité a été admise par le Conseil d'Etat. Il en va de même des
écarts nés de l'existence de sections gratuites pour le trafic local qui ont été
prévues par les cahiers des charges.
Cela rappelé, les sociétés sont conscientes du fait que certains écarts
tarifaires, bien que justifiés en droit, suscitent des interrogations, voire des
critiques, d'usagers. Au fur et à mesure des augmentations tarifaires, elles
s'emploient donc à réduire progressivement certaines disparités.
C'est dans cette logique que les sociétés APRR et AREA ont accepté
une modération des hausses tarifaires intervenues au 1
er
octobre 2007 et non,
comme semble l'inférer la Cour, en raison des divergences d'interprétation
de certaines clauses du cahier des charges qui ont pu opposer récemment les
services compétents de l'Etat et certaines sociétés concessionnaires.
Sur cette question, les sociétés APRR et AREA ont toujours considéré
et continuent, d'ailleurs, de considérer que l'appréciation portée par les
services compétents de l'Etat sur les grilles tarifaires n'est pas fondée en
droit, qu'elle méconnaît les cahiers des charges de concession et qu'elle
altère les perspectives sur la base desquelles les sociétés ont fait l'objet d'un
transfert au secteur privé.
3. Si des réformes de la tarification autoroutière peuvent être envisagées,
elles doivent respecter le cadre concessif et l’équilibre financier des
contrats
3.1 Certaines réformes peuvent être envisagées
Les sociétés ne sont pas hostiles, par principe, à toute réforme de la
tarification des autoroutes.
Certaines réformes sont d'ailleurs inéluctables pour transposer les
règles issues du droit communautaire ou pour intégrer des préoccupations
nouvelles, exprimées notamment lors du Grenelle de l'Environnement.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
275
D'autres réformes peuvent également être envisagées, à plus long
terme, pour faire du péage un outil plus efficace de régulation du trafic et de
lutte contre la congestion.
Les sociétés sont également conscientes de la nécessité d'accroître
l'information du public sur les tarifs autoroutiers. A cet égard, et avant même
la communication du projet d'insertion au rapport public, les sociétés APRR
et AREA ont déjà pris les mesures suivantes pour l'augmentation de tarifs
intervenue au 1
er
octobre 2007 :
- mise en place d'affichettes dans les gares de péage informant du
changement de tarifs ;
- affichage du tableau des tarifs applicables dans la gare considérée
dans toutes les voies de péage, hors celles réservées au télépéage ;
- publication, sur le site internet des deux sociétés, de l'ensemble des
tarifs consultables par trajet et par classe ou par gare ;
- envoi de la grille tarifaire complète par classe à tous les clients qui en
font la demande ;
- envoi d'un courrier aux abonnés "Poids lourds" les informant de
l'augmentation de tarifs ;
- envoi d'une lettre intitulée "Voie réservée" aux abonnés "liber-t" les
informant de l'augmentation de tarifs ;
- distribution de la plaquette "toutes les réponses sur le péage" aux
clients dans les cabines de péage ;
-
diffusion
d'un
communiqué
de
presse
et
d'un
dossier
de
presse annonçant l'augmentation des tarifs.
3.2 D'autres propositions formulées par la Cour appellent, en revanche, des
réserves sérieuses.
Si l'information des usagers peut être améliorée, la proposition
tendant à la publication des tarifs kilométriques des différentes autoroutes ne
semble guère pertinente car elle n'est pas de nature à aider les usagers dans
leurs choix. Ce n'est pas le prix au kilomètre mais le prix du trajet que
souhaite réaliser l'usager qui constitue, en effet, l'information pertinente et
l'élément déterminant du choix du mode de transport ou de l'itinéraire.
En outre, la publication de tarifs kilométriques risque d'induire des
confusions en permettant des comparaisons faussées car réalisées sur des
bases hétérogènes. Le niveau de tarif étant la résultante de l'équilibre
financier d'un contrat de concession, la comparaison des tarifs de plusieurs
réseaux n'a de sens que si l'on compare également l'ensemble des paramètres
intervenant dans leur détermination, et notamment, la durée de concession,
le volume des investissements restant à réaliser, etc.
276
COUR DES COMPTES
De même, le réexamen des formules d'évolution tarifaire et, d'une
manière générale, des règles de détermination des tarifs des péages ne peut
s'effectuer que dans le respect de l'équilibre financier des concessions
.
D'une manière générale, il y a lieu de souligner le risque consistant à
modifier unilatéralement des éléments aussi essentiels des contrats au cours
de leur exécution, surtout lorsqu'est intervenue peu de temps avant une
novation institutionnelle aussi importante qu'une privatisation.
Lors du processus de privatisation, en effet, la valorisation des
sociétés concessionnaires par les investisseurs a été effectuée sur la base (i)
des obligations existantes des charges en vigueur à cette date et (ii) du projet
d'avenant communiqué par l'Etat et présenté par ce dernier comme la
condition sine qua non et non véritablement négociable de la cession. Et c'est
en se fondant sur les perspectives de recettes autorisées par le cahier des
charges tel qu'il se trouvait ainsi rédigé que les propositions des futurs
actionnaires des sociétés à privatiser ont été élaborées et acceptées par
l'Etat.
La remise en cause unilatérale de ces perspectives, postérieurement
aux opérations de cession, risquerait d'affecter la valorisation de ces sociétés
et serait, en toute hypothèse, difficilement comprise par les investisseurs,
notamment étrangers, dans un contexte d'appel croissant aux fonds privés
pour financer les programmes nouveaux d'infrastructures publiques.
Au surplus, une réduction de l'indexation ou un encadrement plus
strict des tarifs auraient sans doute pour conséquence des pertes de recettes
pour les sociétés concessionnaires. En l'absence de faute de leur part, de
telles mesures unilatérales nécessiteraient la mise en place de compensations
financières
au
bénéfice
des
sociétés
qui
pourraient
conduire,
paradoxalement, à substituer le contribuable à l'usager dans le financement
des autoroutes concédées.
La parfaite rationalité et même la légitimité d'une telle solution
n'apparaît pas dans ces conditions avec évidence.
***
En définitive, et comme peut le constater la Cour, l'attitude des
sociétés concessionnaires n'est en aucune manière fermée à des
perspectives d'aménagement et d'amélioration. Mais les sociétés ne peuvent
accepter des constats inexacts, fondés sur des présupposés injustifiés et qui
débouchent sur des conclusions excessives.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
277
RÉPONSE DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SOCIÉTÉ DES
AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE (ASF)
Comme le montrent les éléments de la réponse de la société ci-après,
l’insertion de la Cour des comptes sur «
Les péages autoroutiers », destiné à
figurer dans son prochain rapport public annuel, contient de nombreuses
affirmations manifestement erronées, de nature à porter un préjudice sérieux
à l’ensemble des acteurs du domaine autoroutier. Après analyse du dispositif
applicable, la société ASF considère que, tant en droit, qu’en fait :
- contrairement à ce que soutient la Cour, le péage reflète bien le coût
des sections anciennes comme des sections nouvelles. Pour toutes les
sections
incluses
dans
les
contrats
de
concession
par
voie
d’adossement, l’amortissement des sections anciennes, comme des
plus récentes, a été reporté à une date commune et unique : celle de la
fin du contrat.
- c’est méconnaître la réalité de la régulation des contrats que de dire
qu’« aucun lien évident ne peut être établi entre les hausses tarifaires
et l’évolution des coûts ». Les contrats font régulièrement l’objet
d’avenants et le péage est ajusté tous les cinq ans dans les contrats de
plan : l’équilibre financier de la concession détermine la loi tarifaire
des cinq années couvertes par le contrat à partir de simulations
financières prenant en compte les investissements nouveaux prescrits
par l’Etat concédant.
- contrairement à ce qu’affirme la Cour, les sociétés concessionnaires
ne vivent pas «
une rente de monopole ». La concurrence existe avec
le rail et la route, et elle s’accroît comme le souhaite d’ailleurs l’Etat
qui, à l’issue du Grenelle de l’Environnement, a réaffirmé sa volonté
de développer les autres modes de transport.
- la Cour commet une erreur d’appréciation lorsqu’elle affirme que le
mécanisme tarifaire est « opaque » et « faussement rigoureux ».
Certes, il est, par essence, complexe, avec des grilles de plusieurs
milliers de tarifs. Cette complexité intrinsèque n’autorise pas, pour
autant, à parler de «
fausse rigueur » alors que les contrats de
concession
prévoient
des
dispositions
très
précises
et
fort
contraignantes. Il y a lieu de rappeler également que tous les tarifs
sont publiés (notamment sur internet), conformément aux dispositions
législatives et contractuelles. Enfin, toutes les informations sont
fournies au concédant, conformément au contrat.
Plus largement, le raisonnement sous-jacent du projet de rapport de
la Cour méconnaît, à plusieurs titres, la nature et l’économie même du
système de la concession, ainsi que sa réalité juridique :
278
COUR DES COMPTES
- Les sociétés concessionnaires exercent leurs activités dans le cadre de
contrats de concession, lesquels impliquent par nature qu’elles
assurent l’exploitation à leurs risques et périls :
•
contrairement aux titulaires d’un marché public, d’un
contrat de gérance ou d‘une régie intéressée, elles assument
à leurs risques et périls le risque trafic ; de ce fait, seuls les
tarifs, à la différence des recettes, sont déterminés selon des
règles fixées par le contrat de concession ;
•
elles ont emprunté à leurs risques et périls des sommes
considérables sur le long terme afin de financer les
investissements
nécessaires
à
la
construction,
à
l’amélioration et à la rénovation du réseau autoroutier qui
leur a été concédé ;
•
elles
n’affichent
aujourd’hui
des
résultats
financiers
excédentaires qu’après plusieurs décennies beaucoup moins
favorables ; or, l’équilibre des concessions doit s’apprécier
sur la totalité de leur durée.
Or, la Cour ne prend nullement en compte, dans son appréciation, ce
critère du risque et remet en cause, ce faisant, les fondements mêmes des
contrats de concession en général.
- Les sociétés concessionnaires exercent leurs activités dans le
cadre de dispositions législatives, réglementaires et contractuelles.
Elles ne peuvent donc, sans encourir le risque de voir leur
responsabilité engagée, s’abstenir de les appliquer. Or, la société
ASF a toujours appliqué l’ensemble de ces dispositions.
- Les obligations s’imposant aux sociétés dans le cadre des contrats
de concession existants n’ont pas à être modifiées du fait de
l’évolution de la structure de leur capital. Que des sociétés
concessionnaires soient détenues par des actionnaires publics,
comme ce fut très majoritairement le cas jusqu’en 2006, ou qu’elles
soient détenues par des actionnaires privés, comme tel est le cas
maintenant pour la plupart, est nécessairement sans rapport avec
l’analyse. La Cour établit donc, à tort, un lien, qui n’a pas lieu
d’être, entre le système tarifaire et l’évolution du capital ;
Le rapport omet de rappeler que ce système de la concession
autoroutière a permis de financer, construire, exploiter et maintenir, en
l’améliorant sans cesse depuis plus de 50 ans, l’un des meilleurs réseaux
autoroutiers du monde, et cela quasiment sans apport de fonds publics. Cet
instrument particulièrement efficace a permis la mise en oeuvre de la
politique d’aménagement et de solidarité entre territoires voulue par tous les
gouvernements successifs.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
279
Or, le succès du modèle de la concession repose sur la stabilité des
engagements réciproques contractuels de l’Etat concédant et de ses
concessionnaires.
Remettre maintenant en cause cette exigence reviendrait à fragiliser
la crédibilité économique et la signature financière d’acteurs qui se sont
lourdement endettés pour participer à l’aménagement du territoire français.
Ce serait également faire prendre un risque important pour l’Etat au
moment où il soumet à l’appel d’offres de nouveaux projets nécessitant des
investissements de plusieurs milliards d’euros.
Si des évolutions des lois, des règlements ou des contrats régissant les
concessions apparaissaient souhaitables – notamment à la lumière des
nouveaux enjeux de mobilité résultant du Grenelle de l’environnement – la
société ASF se déclare prête à en discuter des conséquences, dans le respect
de l’équilibre financier de ses concessions. D’ici là, comme elle l’a toujours
montré, la société ASF continuera à être force de proposition auprès de
l’Etat concédant.
***
I.
SUR LA PRETENDUE INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE PAR LE
SYSTEME DE
LA REFERENCE JURIDIQUE TIREE DES COUTS
1.
Trois principaux griefs sont formulés par la Cour pour considérer
que le système actuel ne serait pas de nature à garantir une prise en compte
suffisante de l’ensemble des coûts dans la détermination du montant des
péages : (i) l’Etat n’aurait pas tiré toutes les conséquences juridiques
résultant de l’avis du Conseil d’Etat du 16 septembre 1999 mettant fin à la
pratique de l’adossement, (ii) la pratique antérieure de l’adossement
permettrait aux sociétés de percevoir, sur les concessions historiques, des
péages sur une «période deux fois plus longue» que sur les plus récentes,
alors que les premières seraient «plus rentables» que les secondes, (iii) le
système mis en place ne reposerait pas sur un fondement juridique clair,
compte tenu de l’existence de distorsions entre les coûts et les péages et
d’une insuffisante prise en compte des surcoûts de construction dans
l’établissement des tarifs.
2. ASF considère qu’aucun des éléments avancés par la Cour n’est
fondé et que les péages sont, contrairement à ce qu’elle soutient, bien
déterminés en fonction de l’ensemble des coûts.
A.
La fin partielle de l’adossement
3.
La Cour considère que le Conseil d’Etat ayant confirmé l’illégalité
de la pratique de l’adossement, les conséquences en résultant devaient être
doubles : «le mécanisme de l’adossement devait être à l’avenir
écarté» et
«les péages des autoroutes les plus anciennes auraient dû évoluer à la baisse
une fois leur amortissement achevé». Elle relève, par ailleurs, que «l’Etat a
280
COUR DES COMPTES
mis fin à l’adossement : dès 1998, le financement des nouvelles autoroutes a
été organisé par concession autonome et sans lien avec les ressources tirées
des concessions anciennes. En revanche, le mode de fixation des péages des
autoroutes anciennes n’a pas été modifié et la baisse des péages n’a pas eu
lieu».
4. Ces affirmations méconnaissent, à plusieurs titres, la portée de
l’avis rendu par le Conseil d’Etat.
5.
Si celui-ci a, en effet, considéré qu’il devait être mis fin à la
pratique de l’adossement, c’est uniquement parce que cette pratique
s’avérait incompatible avec l’adoption des dispositions
nouvelles de la loi
du 29 janvier 1993. Ainsi, devait-il préciser, dans cet avis, que «si, en vue de
la concession de la construction et de l’exploitation d’un tronçon d’autoroute
dont le trafic envisagé ne permet d’assurer la rentabilité, un candidat déjà
titulaire d’une concession était admis à présenter une offre dont l’équilibre
financier serait assuré par la prolongation de la durée de la concession
initiale, alors que les autres candidats ne pourraient que réclamer une
subvention de la part de l’autorité concédante, l’égalité entre les candidats
serait rompue» et que les dispositions de l’article 40 de la loi du 29 janvier
1993 n’autorisent pas, par ailleurs, un allongement de la durée des contrats
de concession pour des motifs tenant au financement de tronçons
autoroutiers déficitaires.
6.
On voit donc bien que, contrairement à ce qu’affirme la Cour, le
Conseil d’Etat n’a jamais, dans son avis, remis en cause, d’une manière ou
d’une autre, le mode de fixation des tarifs existant. Et, en réalité, il ne
pouvait pas le faire.
7.
D’une part
, parce que, pour les raisons expliquées ci-après, les
autoroutes anciennes ayant fait l’objet d’un adossement ne peuvent être
regardées comme amorties.
8
. D’autre part
, parce que le financement des autoroutes nouvelles est
sans rapport avec le mode de fixation des tarifs des autoroutes anciennes.
L’exploitation des autoroutes nouvelles a, en effet, été attribuée dans le cadre
de nouveaux contrats de concession, distincts de ceux régissant les
concessions anciennes. Dès lors que ces autoroutes ne relèvent pas du
périmètre des concessions anciennes, on ne voit pas en quoi l’attribution de
ces nouveaux contrats aurait dû conduire, d’une manière ou d’une autre, à
une baisse des péages sur les autoroutes anciennes. Les conditions de
détermination des tarifs autoroutiers étant fixées contrats par contrats, il
n’est pas possible de prendre prétexte de la conclusion de nouveaux contrats
pour revenir sur celles définies dans le cadre de contrats anciens et déjà
attribués.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
281
B.
La pratique antérieure de l’adossement
S’agissant des concessions historiques, c'est-à-dire celles ayant fait
l’objet d’un adossement, ASF considère qu’il est erroné de raisonner,
comme le fait la Cour, autoroute par autoroute ou, encore moins, section
par section.
10
. L’incorporation, par voie d’adossement de sections autoroutières
nouvelles dans le contrat d’origine, a en effet conduit à un allongement de sa
durée initiale et à un nouveau calcul des amortissements de caducité. Toutes
les sections autoroutières qui ont été incluses dans un même contrat de
concession, par voie d’adossement, étant juridiquement et financièrement
interdépendantes, elles ne constituent aujourd’hui qu’un seul et même
réseau. Il en résulte que l’équilibre financier du contrat doit s’apprécier au
regard de l’intégralité du réseau et qu’aucune autoroute ne peut être
considérée, d’un point de vue comptable, comme amortie ; l’amortissement
des sections anciennes comme des sections nouvelles ayant été reporté à une
date commune et unique, celle de la fin du contrat. De fait, et sauf à porter
directement atteinte à la viabilité économique du contrat de concession, droit
pourtant garanti au concessionnaire, l’économie du système oblige
nécessairement à raisonner quant à la question de la prise en compte des
coûts, de manière globale, au niveau du réseau concédé.
11
. Le seul fait, par conséquent, que les tarifs ne soient pas fixés
autoroute par autoroute ne suffit donc pas à considérer qu’ils ne seraient pas
de nature à refléter l’ensemble des coûts. Bien au contraire, les allongements
décidés par l’autorité concédante avant qu’il ne soit mis fin à l’adossement,
ont toujours été déterminés en vue de respecter l’équilibre financier global
de la concession. Or, l’équation financière de tout contrat de concession
devant elle-même être déterminée de manière à assurer au concessionnaire
« la couverture de ses dépenses, une rémunération raisonnable des capitaux
investis et un bénéfice normal»
91
, les tarifs ne peuvent pas être fixés
autrement qu’en tenant compte de l’ensemble des coûts.
12. Toute autre interprétation serait d’ailleurs directement contraire
au cadre juridique applicable.
13
. D’une part
, parce que le décret n° 95-81 du 24 janvier 1995
relatif aux péages autoroutiers, pris en application de l’article L. 122-4 du
Code de la voirie routière précise que le cahier des charges d’une concession
autoroutière «définit les règles de fixation des tarifs de péages, notamment
les modalités de calcul d'un tarif kilométrique moyen servant de base aux
tarifs de péages et qui tient compte de
la structure du réseau
, des charges
d'exploitation et des charges financières de la société, ainsi que les
possibilités de modulation de ce tarif kilométrique moyen». Dès lors que les
91) Voir Gaston Jèze in RDP 1935, p. 735 cité in Lamy droit public des affaires,
2006, N° 3515.
282
COUR DES COMPTES
dispositions réglementaires applicables prévoient expressément le principe
de la détermination des tarifs au regard de la structure du réseau, il ne peut
être fait grief aux sociétés concessionnaires de s’y conformer en prenant en
compte l’ensemble de leur réseau, et notamment sa structure globale, pour
fixer le niveau des péages.
14.
D’autre part
, parce que, comme il a été précédemment démontré,
le Conseil d’Etat n’a, contrairement à ce que laisse entendre la Cour, jamais
remis en cause l’adossement au motif qu’il ne serait pas de nature à garantir
une fixation adéquate des tarifs. Il en résulte donc bien que, pour les
concessions historiques ayant fait l’objet d’un adossement, le régime
consistant à définir l’équilibre financier du contrat au regard de l’ensemble
du réseau doit être regardé comme valide. Il en est donc de même de toutes
les conséquences en découlant logiquement et, a fortiori, de la possibilité,
pour le concessionnaire, de déterminer le niveau des tarifs en fonction des
coûts du réseau pris dans sa globalité.
15.
Au surplus, et à supposer que l’on puisse raisonner autoroute par
autoroute, exercice purement théorique compte tenu des liens financiers
indissolubles créés par les adossements successifs et les allongements de la
durée de la concession qui en ont résulté, la baisse des péages sur les
sections les plus anciennes aurait dû inévitablement trouver sa contrepartie
dans des hausses très significatives des tarifs sur les sections les plus
récentes, notamment ceux des moins rentables. Or, dans la mesure où c’est
précisément la pratique de l’adossement et le mode de détermination des
tarifs y afférent qui a permis aux sociétés concessionnaires de ne pas imposer
aux usagers, un niveau de tarif disproportionné sur les sections les plus
récentes ou encore de permettre la construction d’autoroutes qui, sans cela,
n’auraient jamais pu être réalisées, puisqu’elles auraient dû alors être
financées par voie de subventions publiques, ce qui n’a pas été le choix de
l’Etat, on voit difficilement comment cette pratique
aurait pu être
considérée, sur le plan des principes, comme contestable.
En rappelant que
«l’exacte proportionnalité n’est ni exigée, ni souhaitable au regard des prix
supportables pour
les usagers», la Cour reconnaît d’ailleurs elle-même
implicitement la nécessité de réaliser une péréquation tarifaire entre les
différentes sections d’un réseau autoroutier concédé.
C.
La prétendue absence de fondement juridique clair
16. Pour considérer que le régime actuel ne reposerait pas sur un
fondement juridique clair, la Cour affirme (i) qu’il existerait des distorsions
entre les coûts et les péages résultant de la détermination du niveau des tarifs
par référence au «taux kilométrique moyen» et de la mise en oeuvre, par les
sociétés concessionnaires, d’une politique d’uniformisation et (ii) que les
surcoûts de construction ne seraient qu’insuffisamment pris en compte dans
la détermination des tarifs.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
283
17. ASF considère qu’aucun de ces arguments n’est fondé.
18
. S’agissant des « distorsions entre péages et coûts », on rappellera,
tout d’abord, que la détermination des tarifs par référence à un taux
kilométrique moyen du réseau et des hausses annuelles à partir de taux
kilométriques moyens par section de référence, qui est considérée comme
critiquable par la Cour, est expressément prévue par le cahier des charges. Il
s’agit donc là d’un principe qui s’impose aux sociétés concessionnaires et
dont elles ne peuvent s’exonérer, sauf à voir leur responsabilité engagée.
19.
En outre, et contrairement à ce que prétend la Cour, ASF
considère que la référence au taux kilométrique moyen n’engendre pas de
distorsion entre les péages et les coûts.
20.
S’agissant des sections nouvelles, le cahier des charges prévoit, en
effet, que «la tarification des sections nouvelles à leur mise en service est
fixée par la société concessionnaire sur la base du taux kilométrique moyen
de son réseau au moment de l’ouverture de ces sections,
éventuellement
corrigé en fonction des coûts de construction et d’exploitation
si ceux-ci
sont sensiblement différents de ceux constatés sur le reste du réseau»
92
. Et il
précise, par ailleurs, que «dans le cas où le tarif envisagé conduit à un taux
kilométrique moyen de l’autoroute concernée supérieur de plus de 20 p.100
au taux kilométrique moyen des sections contiguës de son réseau, la société
doit recueillir
l’accord
du ministre chargé de l’économie et du ministre
chargé de la voirie nationale avant de fixer les tarifs applicables avant la
mise en service». On voit donc bien que la tarification des sections nouvelles
ne se détermine pas exclusivement par référence au taux kilométrique moyen
du réseau, puisque le cahier des charges impose la prise en compte d’un
facteur correctif tenant aux coûts de construction et d’exploitation, et que la
fixation du taux kilométrique moyen de la section d’autoroute concernée est
elle-même bien contrôlée par l’Etat concédant.
21
. Enfin, indépendamment de ces mécanismes qui, à eux seuls,
garantissent déjà que les péages soient fixés de manière à refléter l’ensemble
des coûts, il convient de rappeler, puisque la Cour omet de le préciser, que
les cahiers des charges et le contrat de plan propre à chacune des sociétés
s’inscrivent, tout entier, dans une logique de prise en compte des coûts.
22
. Ainsi, le cahier des charges fait obligation au concessionnaire de
remettre chaque année à l’autorité concédante une étude financière
prévisionnelle portant sur l’équilibre comptable de la concession et
intégrant, à ce titre, les charges d’exploitation et d’investissements. Cette
étude doit ainsi notamment comprendre, pour la durée restant à courir, un
92) Article 25.5 du cahier des charges de la société ASF.
284
COUR DES COMPTES
plan de financement ainsi que le programme des investissements à réaliser
sur les cinq années ultérieures
93
.
23.
Dans le même sens, le contrat de plan signé avec l’Etat pour cinq
ans, retrace la nature des investissements réalisés par le concessionnaire et
les coûts s’y rattachant
94
.
24.
Sur la période de ces cinq années, la loi tarifaire est déterminée
sur la base de simulations financières prenant notamment en compte les
charges d’exploitation et les investissements prescrits par le concédant
comme l’impose, d’ailleurs, le décret n°95-81 du 24 janvier 1995.
25.
S’agissant du mouvement « d’uniformisation tarifaire » mis en
oeuvre par les sociétés, ASF considère que, compte tenu de ce qui précède et
des mécanismes tenant à la détermination de la loi tarifaire, ce mouvement
ne peut, contrairement à ce que laisse entendre la Cour, être, par lui-même,
considéré comme critiquable,.
26
. Il peut d’autant moins l’être que, comme le rappelle d’ailleurs la
Cour, cette politique d’uniformisation a été prescrite par l’autorité
concédante, le contrat de plan d’ASF pour 2007-2011 prévoyant même
expressément que «la société s’efforcera de faire converger progressivement
les taux kilométriques moyens de chaque section de référence pour chaque
classe de véhicule vers le taux kilométrique moyen de la classe de véhicule
concernée»
95
. A nouveau, et sauf en réalité à faire grief aux sociétés
concessionnaires de se conformer aux dispositions applicables, on ne voit
pas comment cette politique pourrait, d’une manière ou d’une autre, être
remise en cause.
27
. Au demeurant, cette politique tarifaire souhaitée depuis longtemps
par l’Etat et désormais explicitement inscrite dans les dispositions du contrat
de plan précité, doit s’analyser au regard de la nature juridique spécifique
des péages.
28.
Les péages constituent en effet, au sens de la jurisprudence, des
redevances pour service rendu
96
et doivent, pour cette raison, trouver leur
contrepartie directe dans le service procuré aux usagers. C’est donc au
regard de la valeur du service procuré à l’usager qu’il faut raisonner pour
déterminer le montant des redevances. C’est d’ailleurs tout le sens de la
jurisprudence du Conseil d’Etat, puisque celui-ci a expressément considéré
que l’intensité du trafic pouvait être prise en compte dans la détermination
93) Articles 35 du cahier des charges d’ASF relatif au Compte rendu d’exécution de
la concession et aux informations transmises à l’autorité concédante.
94) Voir, par exemple, article 3.1.4. du contrat de plan Etat-ASF 2007-2011 relatif à
la réalisation des investissements sur sections nouvelles.
95) Article 5.1.1. du Contrat de plan Etat-ASF 2007-2011.
96) CE, 14 février 1975, Epoux Merlin et Association de défense des habitants des
quartiers de Super-La-Ciotat et de Ceyreste, p. 110.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
285
du montant des péages autoroutiers, en jugeant qu’«il est constant que les
usagers d'une autoroute se trouvent placés dans une situation différente, au
regard des conditions d'exploitation de l'ouvrage, selon la densité de la
circulation prévisible ; qu'ainsi, en prévoyant une variation du prix des
péages en fonction de l'intensité du trafic, afin de favoriser dans l'intérêt
général la plus grande fluidité de celui-ci, l'arrêté attaqué n'a pas institué
une discrimination illégale entre ces usagers»
97
.
Or, la politique
d’homogénéisation tarifaire vise précisément à répondre à cet objectif. En
effet, et à défaut, les usagers se verraient imposer
des charges différentes
selon les sections, qui ne seraient pas toujours justifiées par des situations
elles-mêmes différentes. C’est d’ailleurs à cette
conclusion que la Cour
aurait dû arriver, lorsqu’elle souligne, à juste titre, que «l’exacte
proportionnalité n’est ni exigée, ni souhaitable au regard des prix
supportables pour les usagers et de la nécessité de réguler le trafic ».
29.
Enfin, pour ce qui concerne « la faible prise en compte des
surcoûts de construction », la Cour, en affirmant que «les majorations de
tarifs lors de la mise en service des sections d’autoroutes nouvelles plus
onéreuses sont très inférieures à leur surcoût de construction» se livre à un
raisonnement intrinsèquement contradictoire. En effet, elle ne peut pas à la
fois faire grief aux sociétés concessionnaires de ne pas suffisamment tenir
compte des surcoûts de construction dans la détermination des tarifs
appliqués aux sections nouvelles et, en même temps, considérer que la stricte
proportionnalité entre tarifs et coûts n’est ni souhaitable ni exigée.
30. Ainsi, et de quelque manière qu’on l’envisage, il apparaît bien
que les tarifs sont fixés de manière à refléter l’ensemble des coûts et que le
système mis en place n’est ni empreint de disparités, ni, encore moins
d’arbitraire, comme l’affirme la Cour.
II
-
SUR LE CARACTERE PRETENDUMENT FAUSSEMENT RIGOUREUX
,
INCOHERENT ET OPAQUE DE LA TARIFICATION
31
. Pour considérer que le système tarifaire serait faussement
rigoureux, incohérent et opaque, la Cour affirme, (i) que les tarifs ne seraient
pas déterminés sur la base de valeurs absolues et que le taux kilométrique
moyen ne constituerait pas une référence appropriée, (ii) que l’analyse
des
tarifs pratiqués ne révèlerait aucune logique , compte tenu de l’existence de
divergences de hausses ou de coefficients entre sections de référence et de
distorsions dans les grilles tarifaires, et (iii) que la publicité des tarifs serait
incomplète.
97) Conseil d'Etat, 28 février 1996 Association FO Consommateurs, n° 150520.
286
COUR DES COMPTES
32. ASF considère que ces affirmations sont erronées et que si le
système tarifaire est certes, par essence, complexe, avec des grilles de
plusieurs milliers de tarifs, il n’est pas, pour autant faussement rigoureux,
incohérent ou opaque.
A.
Un système prétendument faussement rigoureux
33. Le fait pour le système tarifaire de s’attacher à des variations, et
non à des valeurs absolues, ne permet
en rien de le qualifier de faussement
rigoureux. D’ailleurs, la Cour n’apporte, à l’appui de ses observations,
aucun élément de nature à le démontrer.
34.
Bien au contraire, l’analyse du système, pour peu qu’on s’y
attache, établit que la référence à des hausses annuelles sur les sections en
service ou à des écarts de tarifs des nouvelles sections, constitue, en réalité,
la seule méthode praticable. Compte tenu des effets de l’adossement qui
obligent, on l’a vu, à raisonner au regard du réseau pris dans son intégralité,
il n’est pas possible, en effet, de recalculer chaque année, à partir des coûts
complets affectables à chaque section, les valeurs absolues des tarifs
élémentaires.
35.
De manière plus générale, on relèvera que ce mécanisme n’est ni
inédit, ni spécifique au système autoroutier. Pour exemple, c’est précisément
celui qui a été retenu pour la détermination des tarifs applicables au réseau
de la SNCF ou de la RATP.
36.
Dans le même sens, le fait pour le taux kilométrique moyen d’une
section de référence de ne pas être défini par référence au trafic et que les
sociétés concessionnaires puissent prévoir des différenciations tarifaires sur
les trajets les plus parcourus ne constitue en rien un élément pouvant
conduire à qualifier le système de faussement rigoureux. Cette pratique, qui
n’a, d’ailleurs, rien de systématique, est, à l’inverse, conforme à la
jurisprudence et aux dispositions contractuelles applicables.
37.
D’une part
, parce que, comme précédemment indiqué, le Conseil
d’Etat a expressément validé, dans son arrêt du 28 février 1996 précité, la
possibilité
pour
les
sociétés
concessionnaires
de
pratiquer
des
différenciations tarifaires sur les sections les plus fréquentées. Ce qu’il a
confirmé, par la suite, dans son rapport sur les redevances pour service
rendu, puisqu’il a considéré qu’il était «normal et conforme à la théorie
économique que l’utilisateur acquitte un péage plus élevé sur des tronçons
réputés encombrés pour lesquels la fluidité du trafic n’a été rendue possible
que par des investissements accrus ou par le soutien d’autres modes de
transport»
98
. Ce qui est en réalité logique, compte tenu de la différence de
situation existant entre les usagers empruntant des sections encombrées et
ceux empruntant des sections au trafic plus fluide et de la nécessité, pour les
98) Redevances pour service rendu et redevances pour occupation du domaine public,
Rapport du Conseil d’Etat, la Documentation française, 24 octobre 2002, p. 76.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
287
exploitants, de tenir compte, dans la détermination de leurs tarifs, de
l’acceptabilité sociale du péage.
38
. D’autre part
, parce que, la composante trafic est bien prise en
compte dans la détermination des tarifs. Ainsi, le cahier des charges prévoit-
il, s’agissant de l’évolution du taux kilométrique moyen sur le périmètre de la
concession, que celle-ci est «égale à la
moyenne des évolutions
des taux
kilométriques moyens (HT) en vigueur sur chaque section de référence
figurant dans le contrat d’entreprise,
pondérée par le nombre de kilomètres
parcourus sur la section
considérée l’année précédant la hausse»
99
. On voit
donc bien que les sociétés concessionnaires sont tenues de mettre en oeuvre
un principe de pondération par les kilomètres parcourus en matière
d’évolution tarifaire.
39
. Enfin
, parce que le caractère rigoureux ou non du mécanisme
tarifaire doit s’apprécier au regard du cadre juridique dans lequel il
s’inscrit.
Or,
la
Cour
semble
raisonner
comme
si
les
sociétés
concessionnaires exerçaient leurs activités dans le cadre d’un marché public,
d’une régie intéressée ou encore d’un contrat de gérance, qui leur
garantirait
le versement d’une rémunération indépendante des résultats
d’exploitation, ce qui n’est pas le cas. L’exploitation des autoroutes
s’inscrivant, en effet, dans le cadre de contrats de concession supposant, par
nature, que le délégataire assume la gestion du service à ses risques et périls,
il n’est pas possible, sauf à dénaturer la substance même de ces contrats, de
mettre à sa charge un transfert du risque sans lui reconnaître
concomitamment la liberté de gestion y afférente, ne serait-ce que parce que
le délégataire assume complètement le risque trafic. Celui-ci peut, en effet,
évoluer beaucoup moins vite que prévu, notamment sur les trajets à trafic
élevé, voire même régresser comme cela s’est
déjà produit sur l’autoroute
A7, pour laquelle on peut d’ailleurs remarquer que les taux kilométriques
moyens des deux sections de référence Nord et Sud restent encore inférieurs
au taux kilométrique moyen du réseau, alors que le trafic moyen journalier
de cette autoroute est très élevé.
40
. Cette faculté laissée au concessionnaire, au demeurant limitée et
d’ailleurs reconnue par la Cour, de procéder à des différenciations de
hausses tarifaires s’impose d’autant plus que les sociétés concessionnaires
exercent leurs activités sur un marché pleinement concurrentiel. En effet, et
contrairement à ce qu’affirme la Cour , les sociétés concessionnaires ne sont
pas en situation de monopole naturel. Bien au contraire, elles subissent la
concurrence résultant de l’existence de modes alternatifs de transport : le
rail, la route ou encore le transport aérien, concurrence qui a d’ailleurs
vocation à se développer, comme l’a rappelé l’Etat à l’issue du Grenelle de
l’environnement. C’est d’ailleurs ce que le Conseil d’Etat a rappelé
formellement, puisqu’il a considéré dans son avis des 25 et 29 août 2005 que
99) Article 25.2.1 du cahier des charges d’ASF.
288
COUR DES COMPTES
la notion de monopole de fait doit «s’entendre compte tenu de l’ensemble du
marché intérieur à l’intérieur duquel s’exercent les activités des entreprises
ainsi que de la concurrence qu’elles affrontent dans ce marché de la part des
autres entreprises ; qu’on ne saurait prendre en compte les positions
privilégiées que telle ou telle entreprise détient momentanément ou à l’égard
d’une production qui ne représente qu’une petite partie de ses activités. A cet
égard, les sociétés concessionnaires ne constituent pas des monopoles de fait
dès lors qu’il existe, pour chaque itinéraire autoroutier, un autre itinéraire
permettant de relier les deux points desservis. En outre, la circonstance que
l’exploitation des autoroutes prend la forme d’une concession exclusive ne
saurait conférer aux sociétés concessionnaires le caractère d’un monopole
de fait au sens de l’alinéa précité»
100
. Dès lors que cette question a été
expressément tranchée, la Cour ne peut pas ne pas en tenir compte dans son
analyse.
41.
En outre, la nature exacte des risques pesant sur les sociétés
concessionnaires doit s’examiner au regard du statut qui est le leur, celui de
sociétés exposées au risque du marché financier. Or, ce risque est d’autant
plus élevé que ces sociétés ont emprunté, à leurs risques et périls, des
sommes considérables sur le long terme, afin de financer les investissements
nécessaires à la construction, à l’amélioration
et à la rénovation du réseau
routier autoroutier qui leur a été concédé.
42
. Il n’est donc pas possible de faire abstraction de ces éléments de
risques pour mener l’analyse. C’est d’ailleurs tout le sens de la
jurisprudence, puisqu’elle fait précisément de ce transfert de risque un
élément caractéristique des contrats de concession les distinguant, par
exemple, de la régie intéressée ou des marchés de service, et qu’elle
considère, par ailleurs, que l’équilibre financier du contrat de concession
devant être défini de manière à garantir au concessionnaire un bénéfice
raisonnable,
l’autorité
concédante
a
l’obligation
de
garantir
le
concessionnaire contre les risques de concurrence
101
.
43. Il résulte de ce qui précède que le système tarifaire ne peut être
considéré comme faussement rigoureux.
B.
Des tarifs prétendument incohérents
44
. Pour considérer que les tarifs pratiqués seraient incohérents, la
Cour relève qu’il existe « des divergences de hausses ou coefficients entre
sections de référence » et « des distorsions de grilles tarifaires ».
45. En se bornant à ce simple constat, la Cour méconnaît la logique
même du système et en tire des conséquences erronées.
100) Avis du Conseil d’Etat des 25 et 29 août 2005, Section des finances, n° 372.147.
101) CE, Ass. 16 avril 1986, n° 75.040, 75.087, 75.110 CLT, Rec. CE. 1986, p. 97.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
289
46
. En effet, et pour ce qui concerne « les divergences de hausses ou
de coefficients
», la Cour relève, à juste titre, que «les sociétés ne sont pas
tenues d’appliquer uniformément les hausses globales annuelles »et constate
que « certaines font ainsi varier fortement les hausses de TKM entre sections
de référence». Or, on précisera, tout d’abord, que les différences de taux
kilométriques doivent être distinguées des différences de prix. Les taux
kilométriques ne sont qu’un mode de détermination des prix, défini par les
dispositions contractuelles applicables et ne peuvent donc, à eux seuls,
caractériser un élément d’incohérence des tarifs.
47
. En outre, la divergence de hausses entre sections de référence ou
de coefficients de classe se justifie par la combinaison de plusieurs facteurs :
(i) la politique d’uniformisation progressive des taux kilométriques moyens,
pour un service rendu équivalent, à partir des taux kilométriques fixés à la
mise en service de chaque section, politique voulue par l’Etat et imposée aux
concessionnaires, (ii) la prise en compte de l’acceptabilité sociale du péage,
notamment en zone urbaine et périurbaine, (iii) la mise en oeuvre de hausses
spécifiques lors de l’intégration de sections ou d’échangeurs nouveaux, et
(iv) l’impossibilité d’augmenter d’une année sur l’autre tous les tarifs
élémentaires, du fait notamment de la règle de l’arrondi au décime le plus
proche, dans la mesure où elle génère des hausses élevées, en pourcentage,
pour les tarifs applicables aux courts trajets.
48.
On voit donc bien que la logique même du système conduit à des
divergences de hausses ou de coefficients, sans qu’il soit, pour autant,
possible de caractériser l’existence d’une quelconque incohérence.
49.
Pour ce qui a trait, cette fois-ci aux « distorsions de grilles
tarifaires »,
la Cour
souligne notamment que «le calcul des différentiels de
prix fait apparaître des tronçons gratuits pour certains trajets dans les
réseaux ASF ».
50.
On relèvera que ce raisonnement est purement théorique, la
«gratuité» évoquée par la Cour, n’étant, en effet, qu’une «gratuité
virtuelle», sans aucune réalité pour l’usager.
51.
En effet, la «gratuité» apparente de certains tronçons inclus dans
plusieurs trajets tient essentiellement à l’historique de l’établissement, puis
de l’évolution des tarifs soumis à un jeu de contraintes, tel que toutes ne sont
conciliables que si l’on prend en compte une période de temps suffisamment
longue. Notamment la règle des arrondis et le respect d’un temps minimal
entre deux hausses (qui ne peuvent être inférieures à 10 centimes d’euros),
pour lisser, dans la durée, l’effet d’une hausse sur des tarifs très faibles, font
que des distorsions peuvent se créer, pour ensuite s’atténuer voire
disparaître, faisant ainsi apparaître, à un moment donné, certains tronçons
comme «gratuits», lorsqu’ils sont parcourus au sein de certains trajets qui
les englobent.
290
COUR DES COMPTES
52.
Par ailleurs, pour les sections en système ouvert et pour les
sections d’extrémité d’un système fermé - lorsqu’elles comportent au-delà de
la barrière de péage en pleine voie, plusieurs entrées et sorties elles-mêmes
libres de péages -, le tarif de péage acquitté est nécessairement le même,
quelle que soit l’entrée ou la sortie, en système ouvert ou en section
d’extrémité en système fermé. Les différences de longueur des différents
trajets effectués pour un même
tarif de péage induisent,
dans ces cas, des
taux kilométriques différents, et donc une apparente gratuité de certains
tronçons. Dans ces deux cas, un calcul par différence pour faire apparaître
des «tronçons gratuits» inclus dans des trajets payants n’a alors aucun sens.
53.
Seuls peuvent donc être véritablement considérés comme gratuits,
les trajets pour lesquels les dispositions contractuelles prévoient qu’ils soient
totalement libres de péage.
54. Il suit de là que les tarifs de péage appliqués par la société ASF
ne peuvent, en aucun cas, être qualifiés d’incohérents.
C.
Des tarifs prétendument opaques
55. La Cour affirme que les clauses des cahiers des charges sur la
publicité des tarifs seraient vagues et désuètes et qu’aucune société
n’afficherait « ses prix unitaires, c'est-à-dire les tarifs kilométriques ». Elle
estime, à ce titre, qu’une «publicité compréhensible, par brochures et sur
Internet, des doubles grilles de péages et de tarifs kilométriques par
autoroute devrait être exigée».
56. ASF considère que les affirmations de la Cour sont erronées tant
en droit, qu’en fait.
57
. On rappellera, tout d’abord, que la notion de tarif kilométrique,
en tant que prix unitaire, qui fonde tout entier le raisonnement de la Cour,
n’existe pas. Les cahiers des charges, qui définissent la nature des
obligations s’imposant aux concessionnaires, font référence aux tarifs de
péage, entendus comme les prix payés pour emprunter les différents trajets,
et introduisent, pour la détermination de ces tarifs, la notion de « taux
kilométrique moyen » (et non de « tarif kilométrique »), pour chaque section
de référence et non pour chaque trajet.
On ne voit pas, dans ces conditions,
comment il serait possible de soutenir que les sociétés concessionnaires
devraient publier un quelconque «tarif kilométrique».
58
.
Au demeurant,
les dispositions
légales
et
contractuelles
applicables en matière de publicité s’imposent aux concessionnaires et
leur
caractère prétendument désuet ou non ne peut leur être imputé.
59
. Sur le fond, aucune opacité du dispositif mis en place ne peut être
caractérisée.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
291
60.
L’article 113-3 du Code de la consommation prévoit, en effet, que
«tout vendeur de produit ou tout prestataire de services doit, par voie de
marquage, d'étiquetage, d'affichage ou par tout autre procédé approprié,
informer le consommateur sur les prix, les limitations éventuelles de la
responsabilité contractuelle et les conditions particulières de la vente, selon
des modalités fixées par arrêtés du ministre chargé de l'économie, après
consultation du Conseil national de la consommation».
61
. Pour l’application de ces dispositions législatives, le cahier des
charges définit les obligations des sociétés en matière de publicité des tarifs.
Ainsi, le cahier des charges ASF prévoit-il que «L’ensemble des tarifs
applicables sur le réseau de la société, en vigueur, à la date de la publication
du décret approuvant le présent avenant, sont annexés au cahier des charges.
L’ensemble des tarifs en vigueur peuvent être consultés soit sur un serveur
télématique, soit auprès de la société concessionnaire […], soit auprès de la
direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression
des fraudes […] ou auprès de la direction des routes […]»
102
.
La référence
à un serveur télématique montre, à l’évidence, que les clauses des cahiers
des charges ne sont, en rien, désuètes, comme l’affirme la Cour.
62
. Ces dispositions, qui édictent des obligations précises en matière
de publicité, sont appliquées par la société ASF.
C’est ainsi que la société
ASF a spécifiquement édité une brochure largement accessible à tous les
usagers et retraçant l’ensemble de ses grilles tarifaires. Les informations y
figurant sont, en outre, publiées sur son site Internet dans une rubrique
complètement dédiée aux tarifs et intitulée de manière explicite «Tarifs &
Péages».
63
. Il n’est donc pas possible de considérer que sa tarification serait,
d’une manière ou d’une autre, opaque, aucune disposition n’obligeant la
société, par ailleurs, à publier les taux kilométriques, lesquels ne sont pas
des «tarifs» mais des modalités de calcul des tarifs applicables aux différents
trajets effectués.
64. Au vu de l’ensemble de ces éléments, il apparaît donc bien que le
système tarifaire n’est ni faussement rigoureux, ni incohérent, ni opaque,
et que la publicité des tarifs, telle qu’elle est effectuée par la société ASF,
est complète.
III
-
SUR LE CARACTERE PRETENDUMENT DEVENU TROP FAVORABLE
DU SYSTEME POUR LES CONCESSIONNAIRES
65.
Deux observations principales sont ici formulées par la Cour: (i)
les hausses de prix accordées par l’Etat seraient contestables compte tenu
notamment du mécanisme d’indexation et du caractère «mal étayé» des
hausses additionnelles et (ii) les sociétés concessionnaires mettraient en
oeuvre, dans un contexte de «rente de monopole», une politique de
102) Article 25.7 du cahier des charges d’ASF.
292
COUR DES COMPTES
«maximisation» des recettes résultant de «l’effet de foisonnement» et de la
baisse des réductions pour les poids lourds.
66. ASF considère que ces
observations ne sont pas fondées et
remettent en cause les fondements même des contrats de concession.
A.
Les hausses de prix accordées par l’Etat
67.
Pour ce qui concerne le principe de l’indexation, la Cour
relève
que le groupe ASF «s’est vu même accorder par ses cahiers des charges, à
l’ouverture de son capital en 2002, une hausse de base égale à 85 % de
l’inflation» et affirme que cette garantie «est d’autant plus critiquable que,
pour les concessionnaires d’autoroutes anciennes, l’achèvement des
programmes de construction et la fin de l’adossement font qu’ils n’ont plus
de nouvelles sections importantes à financer, que les anciennes autoroutes
sont elles mêmes progressivement amorties».
68.
Pour ce qui a trait, au caractère « mal étayé » des hausses
additionnelles, la Cour affirme que «tout nouvel investissement est compensé
aux concessionnaires, en particulier par des compléments de hausses
tarifaires. Mais les projections financières qui les fondent ne sont pas
publiques et n’ont pas été communiquées à titre d’exemples à la Cour».
69. ASF considère que la seule lecture des dispositions applicables
suffit à établir que ces affirmations sont infondées.
70.
En effet, le principe de l’indexation
est expressément posé par les
dispositions applicables, le décret n° 95-81 du 24 janvier 1995
garantissant
aux concessionnaires, comme le rappelle d’ailleurs la Cour, une hausse des
péages au moins égale à 70 % de l’inflation. Le cahier des charges fixant
pour ASF une hausse
au moins égale à 85 % de l’inflation, dans le cadre des
contrats de plan, est donc en tout point conforme aux dispositions du décret
précité, seul pertinent pour trancher cette question. Par conséquent, et sauf à
modifier les dispositions applicables et à indemniser les concessionnaires à
raison du bouleversement de l’économie du contrat qui en résulterait, ce
régime s’impose et doit régir la situation des sociétés concessionnaires.
71
. Sur le fond, on rappellera, que l’équilibre financier du contrat
devant s’apprécier sur l’ensemble de sa durée, le niveau de la hausse ainsi
autorisée ne peut, par nature, être considéré comme critiquable.
72.
Par ailleurs, et pour ce qui concerne tant le mécanisme de
l’indexation que le caractère prétendument mal étayé des hausses
additionnelles
, il convient de rappeler que la loi tarifaire est établie sur la
base de simulations financières fournies par la société à l’autorité
concédante.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
293
73
. A ce titre, le cahier des charges règle expressément cette question
en prévoyant que la société doit fournir à l’autorité concédante «tous les
éléments d’information et de calcul nécessaires à la bonne application des
règles de calcul»
103
définis par le contrat de concession, le contrat de plan et
la réglementation en vigueur et qu’elle lui communique, par ailleurs, chaque
année, «une étude financière prévisionnelle portant sur l’équilibre comptable
de la concession» comprenant, notamment, pour la durée restant à courir, un
plan de financement ainsi que le programme des investissements à réaliser
sur les cinq années ultérieures
104
.
74
. Dans le même sens, le contrat de plan retrace la nature des
investissements réalisés par la société concessionnaire et les coûts y
afférents. Ce qui conduit bien à établir que, sur la période des cinq années
concernées, la loi tarifaire n’est pas définie autrement que sur la base de
simulations
financières prenant
en
compte
l’ensemble
des
charges
d’exploitation et les investissements à réaliser. On peut souligner, sur ce
sujet que, contrairement à ce que laisse entendre la Cour, non seulement les
programmes de construction ne sont pas encore achevés, mais les
programmes d’investissement sur autoroutes en service sont très importants.
C’est ainsi qu’au total, 3 milliards d’euros et 2,5 milliards d’euros ont été
inscrits respectivement dans les contrats de plan ASF pour 2002-2006 et
2007-2011.
75.
On voit donc bien déjà, que contrairement à ce que laisse entendre
la Cour, les mécanismes prévus par les dispositions applicables ne
conduisent en rien à l’octroi d’un avantage indu.
76.
Conformément à ces dispositions, ASF a d’ailleurs toujours
communiqué à l’autorité concédante les éléments justifiant sa loi tarifaire et
elle a, de surcroît, transmis à la Cour les éléments qu’elle lui avait
demandés. Si Cour n’a pas pu vérifier la justification des hausses
additionnelles, acceptées par l’Etat et contractualisées, elle n’est pas pour
autant fondée à considérer que ces hausses seraient mal étayées.
B.
Les prétendues pratiques de «maximisation des recettes»
77. S’agissant du «foisonnement»
, notion introduite par la Cour
mais qu’elle ne définit nullement et dont elle précise, elle-même, que son
calcul exact est «compliqué», ASF considère que le raisonnement suivi est
tout entier entaché de contradictions et d’erreurs.
103) Article 25.6 du cahier des charges d’ASF.
104) Articles 35 du cahier des charges d’ASF relatif au Compte rendu d’exécution de
la concession et aux informations transmises à l’autorité concédante.
294
COUR DES COMPTES
78.
Il convient de rappeler que, contrairement à ce que la Cour laisse
croire, les hausses accordées ne concernent pas les recettes mais le seul taux
kilométrique moyen du réseau, ainsi qu’éventuellement les coefficients de
classe. A ce titre, ASF a toujours publié des grilles tarifaires respectant les
hausses tarifaires autorisées, comme cela a d’ailleurs été vérifié chaque
année par la DGCCRF et la direction générale des routes.
79.
Sur le fond, on rappellera, à nouveau, qu’aucune disposition du
cahier des charges n’interdit aux sociétés concessionnaires d’appliquer des
hausses tarifaires différenciées, bien au contraire. La Cour le relève, elle-
même, en soulignant que « les sociétés ne sont pas tenues d’appliquer
uniformément les hausses globales annuelles », et qu’«au sein des sections de
référence, le taux kilométrique moyen ne tient pas compte des volumes de
trafic et laisse les concessionnaires libres de concentrer les hausses de
péages et les tarifs élevés sur les tronçons ou les trajets les plus fréquentés au
sein de chaque section».
80
. Cette pratique est donc licite et ne peut, par principe, être remise
en cause. Elle résulte des termes même du contrat de concession, lequel
constitue la loi des parties.
81.
Ce qui est en réalité logique dans la mesure où les
concessionnaires assumant entièrement l’exploitation à leurs risques et
périls, seuls les tarifs, à la différence des recettes, sont déterminés selon des
règles fixées par le contrat de concession.
82.
Cette pratique est, d’ailleurs, conforme aux principes posés par le
Conseil d’Etat
comme il a été précédemment indiqué.
83.
En tout état de cause, cette pratique est induite par la nature et
l’économie même du système dans la mesure où elle ne constitue, en réalité,
qu’une
simple
contrepartie
aux
aléas
de
trafic
supportés
par
le
concessionnaire, entre autres de l’élasticité du trafic aux tarifs. Ainsi, et sauf
à méconnaître le principe même de la gestion de la concession aux risques et
périls du concessionnaire, il n’est pas possible de la considérer comme
contestable. D’autant que, comme il a été démontré, les sociétés
concessionnaires opèrent, non pas en «rente de monopole», mais sur un
marché pleinement concurrentiel et sont, par ailleurs, exposées aux risques
du marché financier.
84.
S’agissant des réductions pour les poids lourds
, la Cour relève
que «l’octroi de ces rabais s’effectuait à l’initiative des sociétés
concessionnaires au titre de leur politique commerciale. Leur diminution et
l’amélioration corrélative des recettes des concessionnaires n’ont pas été
compensées par une moindre hausse des tarifs accordés par l’Etat».
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
295
85.
Il convient de préciser que le contrat d’abonnement CAPLIS
octroyant des remises aux sociétés de transport, a été mis en place, non pas à
l’initiative des sociétés, mais à la demande expresse de l’Etat. Dans la
mesure où l’objectif fixé par l’Etat était alors de diminuer les charges du
poste péage pour les transporteurs, l’octroi de ces remises n’a pas fait l’objet
de compensations tarifaires. Sa mise en place a donc pesé sur le chiffre
d’affaires des sociétés. L’adoption de la directive européenne 2006/38
modifiant la directive 1999/62 relative à la taxation des poids lourds pour
l’utilisation de certaines infrastructures, prévoyant un plafonnement à 13 %
des rabais accordés aux poids lourds, a conduit la société à réduire
progressivement les pourcentages de remise accordés pour tendre vers ce
plafond. Cette évolution sera achevée au printemps 2008 avec la suppression
totale de l’abonnement CAPLIS et son remplacement par l’abonnement
télépéage PL respectant le plafond fixé par la directive. La mise en place de
ce nouvel abonnement télépéage PL a, d’ores et déjà, conduit à un
doublement du nombre d’entreprises bénéficiaires de ces remises.
86.
L’exemple de l’abonnement CAPLIS montre, plus largement, que
les conditions commerciales offertes aux clients de la société ont un impact
sur les recettes, qui peut être positif ou négatif selon l’évolution de ces
conditions commerciales, du nombre d’abonnés et des chiffres d’affaires
concernés, impact qu’il convient en tout état de cause, de distinguer de l’effet
des hausses tarifaires proprement dit.
87.
Enfin, il convient également de tenir compte du fait que les
recettes de péage de la société augmentent à la suite des mises en service qui
interviennent en cours d’année, alors que les hausses tarifaires autorisées le
sont « à périmètre constant », un dispositif spécifique étant, par ailleurs,
prévu par le cahier des charges pour déterminer les tarifs de péage
applicables aux sections nouvelles.
87. Ainsi, force est de constater que le système n’est en rien devenu
trop favorable aux sociétés concessionnaires, mais se justifie par le
principe même de la gestion aux risques et périls du concessionnaire,
fondement du contrat de concession.
296
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DU PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DE
LA
SOCIÉTÉ DES AUTOROUTES ESTEREL CÔTE D’AZUR, PROVENCE,
ALPES (ESCOTA)
RÉSUMÉ
L’insertion au rapport public annuel de la Cour des comptes sur « Les
péages autoroutiers » contient de nombreuses affirmations manifestement
erronées, de nature à porter un préjudice sérieux à l’ensemble des acteurs du
domaine autoroutier. Après analyse du dispositif applicable, la société
ESCOTA considère que, tant en droit, qu’en fait :
−
Contrairement à ce que soutient la Cour, le péage reflète bien le
coût des sections anciennes comme des sections nouvelles. Pour
toutes les sections incluses dans les contrats de concession par
voie d’adossement, l’amortissement des sections anciennes,
comme des plus récentes, a été reporté à une date commune et
unique : celle de la fin du contrat.
−
C’est méconnaître la réalité de la régulation des contrats que de
dire qu’« aucun lien évident ne peut être établi entre les hausses
tarifaires
et
l’évolution
des
coûts ».
Les
contrats
font
régulièrement l’objet d’avenants et le péage est ajusté tous les
cinq ans dans les contrats de plan : l’équilibre financier de la
concession détermine la loi tarifaire des cinq années couvertes par
le contrat à partir de simulations financières prenant en compte
les investissements nouveaux prescrits par l’Etat concédant.
−
Contrairement
à
ce
qu’affirme
la
Cour,
les
sociétés
concessionnaires ne vivent pas «
une rente de monopole ». La
concurrence existe avec le rail et la route, et elle s’accroît comme
le souhaite d’ailleurs l’Etat qui, à l’issue du Grenelle de
l’Environnement, a réaffirmé sa volonté de développer les autres
modes de transport.
−
La Cour commet une erreur d’appréciation lorsqu’elle affirme que
le mécanisme tarifaire est « opaque » et « faussement rigoureux ».
Certes, il est, par essence, complexe, avec des grilles de plusieurs
centaines de tarifs. Cette complexité intrinsèque n’autorise pas,
pour autant, à parler de «
fausse rigueur » alors que les contrats
de concession prévoient des dispositions très précises et fort
contraignantes. Il y a lieu de rappeler également que tous les tarifs
sont
publiés
(notamment
sur
internet),
conformément
aux
dispositions législatives et contractuelles. Enfin, toutes les
informations sont fournies au concédant, conformément au
contrat.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
297
Plus largement, le raisonnement sous-jacent du projet de rapport de
la Cour méconnaît, à plusieurs titres, la nature et l’économie même du
système de la concession, ainsi que sa réalité juridique :
→
Les sociétés concessionnaires exercent leurs activités dans le
cadre de contrats de concession, lesquels impliquent par nature
qu’elles assurent l’exploitation à leurs risques et périls :
▪
contrairement aux titulaires d’un marché public, d’un contrat
de gérance ou d‘une régie intéressée, elles assument à leurs
risques et périls le risque trafic ; de ce fait, seuls les tarifs, à la
différence des recettes, sont déterminés selon des règles fixées
par le contrat de concession ;
▪
elles ont emprunté à leurs risques et périls des sommes
considérables
sur
le
long
terme afin
de
financer
les
investissements nécessaires à la construction, à l’amélioration
et à la rénovation du réseau autoroutier qui leur a été concédé ;
▪
elles
n’affichent
aujourd’hui
des
résultats
financiers
excédentaires qu’après plusieurs décennies beaucoup moins
favorables ; or, l’équilibre des concessions doit s’apprécier sur
la totalité de leur durée.
Or, la Cour ne prend nullement en compte, dans son appréciation, ce
critère du risque et remet en cause, ce faisant, les fondements mêmes des
contrats de concession en général.
→
Les sociétés concessionnaires exercent leurs activités dans le
cadre de dispositions législatives, réglementaires et contractuelles.
Elles ne peuvent donc, sans encourir le risque de voir leur
responsabilité engagée, s’abstenir de les appliquer. Or, la société
ESCOTA a toujours appliqué l’ensemble de ces dispositions ;
→
Les obligations s’imposant aux sociétés dans le cadre des contrats
de concession existants n’ont pas à être modifiées du fait de
l’évolution de la structure de leur capital. Que des sociétés
concessionnaires soient détenues par des actionnaires publics,
comme ce fut très majoritairement le cas jusqu’en 2006, ou
qu’elles soient détenues par des actionnaires privés, comme tel est
le cas maintenant pour la plupart, est nécessairement sans rapport
avec l’analyse. La Cour établit donc, à tort, un lien, qui n’a pas
lieu d’être, entre le système tarifaire et l’évolution du capital.
Le rapport omet de rappeler que ce système de la concession
autoroutière a permis de financer, construire, exploiter et maintenir, en
l’améliorant sans cesse depuis plus de 50 ans, l’un des meilleurs réseaux
autoroutiers du monde, et cela quasiment sans apport de fonds publics. Cet
instrument particulièrement efficace a permis la mise en oeuvre de la
politique d’aménagement et de solidarité entre territoires voulue par tous les
gouvernements successifs.
298
COUR DES COMPTES
Or, le succès du modèle de la concession repose sur la stabilité des
engagements réciproques contractuels de l’Etat concédant et de ses
concessionnaires.
Remettre maintenant en cause cette exigence reviendrait à fragiliser
la crédibilité économique et la signature financière d’acteurs qui se sont
lourdement endettés pour participer à l’aménagement du territoire français.
Ce serait également faire prendre un risque important pour l’Etat au
moment où il soumet à l’appel d’offres de nouveaux projets nécessitant des
investissements de plusieurs milliards d’euros.
Si des évolutions des lois, des règlements ou des contrats régissant les
concessions apparaissaient souhaitables – notamment à la lumière des
nouveaux enjeux de mobilité résultant du Grenelle de l’environnement – la
société ESCOTA se déclare prête à en discuter des conséquences, dans le
respect de l’équilibre financier de sa concession. D’ici là, comme elle l’a
toujours montré, la société ESCOTA continuera à être force de proposition
auprès de l’Etat concédant.
***
PARTIE I – OBSERVATIONS GENERALES
I
-
SUR LA PRETENDUE INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE PAR LE SYSTEME
DE
LA REFERENCE JURIDIQUE TIREE DES COUTS
1
. Trois principaux griefs sont formulés par la Cour pour considérer
que le système actuel ne serait pas de nature à garantir une prise en compte
suffisante de l’ensemble des coûts dans la détermination du montant des
péages : (i) l’Etat n’aurait pas tiré toutes les conséquences juridiques
résultant de l’avis du Conseil d’Etat du 16 septembre 1999 mettant fin à la
pratique de l’adossement, (ii) la pratique antérieure de l’adossement
permettrait aux sociétés de percevoir, sur les concessions historiques, des
péages sur une «période deux fois plus longue» que sur les plus récentes,
alors que les premières seraient «plus rentables» que les secondes, (iii) le
système mis en place ne reposerait pas sur un fondement juridique clair,
compte tenu de l’existence de distorsions entre les coûts et les péages et
d’une insuffisante prise en compte des surcoûts de construction dans
l’établissement des tarifs.
2. ESCOTA considère qu’aucun des éléments avancés par la Cour
n’est fondé et que les péages sont, contrairement à ce qu’elle soutient, bien
déterminés en fonction de l’ensemble des coûts.
A.
La fin partielle de l’adossement
3.
La Cour considère que le Conseil d’Etat ayant confirmé l’illégalité
de la pratique de l’adossement, les conséquences en résultant devaient être
doubles : «le mécanisme de l’adossement devait être à l’avenir
écarté» et
«les péages des autoroutes les plus anciennes auraient dû évoluer à la baisse
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
299
une fois leur amortissement achevé». Elle relève, par ailleurs, que «l’Etat a
mis fin à l’adossement : dès 1998, le financement des nouvelles autoroutes a
été organisé par concession autonome et sans lien avec les ressources tirées
des concessions anciennes. En revanche, le mode de fixation des péages des
autoroutes anciennes n’a pas été modifié et la baisse des péages n’a pas eu
lieu».
4. Ces affirmations méconnaissent, à plusieurs titres, la portée de
l’avis rendu par le Conseil d’Etat.
5.
Si celui-ci a, en effet, considéré qu’il devait être mis fin à la
pratique de l’adossement, c’est uniquement parce que cette pratique
s’avérait incompatible avec l’adoption des dispositions
nouvelles de la loi
du 29 janvier 1993. Ainsi, devait-il préciser, dans cet avis, que «si, en vue de
la concession de la construction et de l’exploitation d’un tronçon d’autoroute
dont le trafic envisagé ne permet d’assurer la rentabilité, un candidat déjà
titulaire d’une concession était admis à présenter une offre dont l’équilibre
financier serait assuré par la prolongation de la durée de la concession
initiale, alors que les autres candidats ne pourraient que réclamer une
subvention de la part de l’autorité concédante, l’égalité entre les candidats
serait rompue» et que les dispositions de l’article 40 de la loi du 29 janvier
1993 n’autorisent pas, par ailleurs, un allongement de la durée des contrats
de concession pour des motifs tenant au financement de tronçons
autoroutiers déficitaires.
6.
On voit donc bien que, contrairement à ce qu’affirme la Cour, le
Conseil d’Etat n’a jamais, dans son avis, remis en cause, d’une manière ou
d’une autre, le mode de fixation des tarifs existant. Et, en réalité, il ne
pouvait pas le faire.
7
. D’une part
, parce que, pour les raisons expliquées ci-après, les
autoroutes anciennes ayant fait l’objet d’un adossement ne peuvent être
regardées comme amorties.
8
. D’autre part
, parce que le financement des autoroutes nouvelles est
sans rapport avec le mode de fixation des tarifs des autoroutes anciennes.
L’exploitation des autoroutes nouvelles a, en effet, été attribuée dans le cadre
de nouveaux contrats de concession, distincts de ceux régissant les
concessions anciennes. Dès lors que ces autoroutes ne relèvent pas du
périmètre des concessions anciennes, on ne voit pas en quoi l’attribution de
ces nouveaux contrats aurait dû conduire, d’une manière ou d’une autre, à
une baisse des péages sur les autoroutes anciennes. Les conditions de
détermination des tarifs autoroutiers étant fixées contrats par contrats, il
n’est pas possible de prendre prétexte de la conclusion de nouveaux contrats
pour revenir sur celles définies dans le cadre de contrats anciens et déjà
attribués.
300
COUR DES COMPTES
B.
La pratique antérieure de l’adossement
9. S’agissant des concessions historiques, c'est-à-dire celles ayant
fait l’objet d’un adossement, ESCOTA considère qu’il est erroné de
raisonner, comme le fait la Cour, autoroute par autoroute ou, encore
moins, section par section.
10.
L’incorporation, par voie d’adossement de sections autoroutières
nouvelles dans le contrat d’origine, a en effet conduit à un allongement de sa
durée initiale et à un nouveau calcul des amortissements de caducité. Toutes
les sections autoroutières qui ont été incluses dans un même contrat de
concession, par voie d’adossement, étant juridiquement et financièrement
interdépendantes, elles ne constituent aujourd’hui qu’un seul et même
réseau. Il en résulte que l’équilibre financier du contrat doit s’apprécier au
regard de l’intégralité du réseau et qu’aucune autoroute ne peut être
considérée, d’un point de vue comptable, comme amortie ; l’amortissement
des sections anciennes comme des sections nouvelles ayant été reporté à une
date commune et unique, celle de la fin du contrat. De fait, et sauf à porter
directement atteinte à la viabilité économique du contrat de concession, droit
pourtant garanti au concessionnaire, l’économie du système oblige
nécessairement à raisonner quant à la question de la prise en compte des
coûts, de manière globale, au niveau du réseau concédé.
11.
Le seul fait, par conséquent, que les tarifs ne soient pas fixés
autoroute par autoroute ne suffit donc pas à considérer qu’ils ne seraient pas
de nature à refléter l’ensemble des coûts. Bien au contraire, les allongements
décidés par l’autorité concédante avant qu’il ne soit mis fin à l’adossement,
ont toujours été déterminés en vue de respecter l’équilibre financier global
de la concession. Or, l’équation financière de tout contrat de concession
devant elle-même être déterminée de manière à assurer au concessionnaire
« la couverture de ses dépenses, une rémunération raisonnable des capitaux
investis et un bénéfice normal»
105
, les tarifs ne peuvent pas être fixés
autrement qu’en tenant compte de l’ensemble des coûts.
12. Toute autre interprétation serait d’ailleurs directement contraire
au cadre juridique applicable.
13.
D’une part
, parce que le décret n° 95-81 du 24 janvier 1995
relatif aux péages autoroutiers, pris en application de l’article L. 122-4 du
Code de la voirie routière précise que le cahier des charges d’une concession
autoroutière «définit les règles de fixation des tarifs de péages, notamment
les modalités de calcul d'un tarif kilométrique moyen servant de base aux
tarifs de péages et qui tient compte de
la structure du réseau
, des charges
d'exploitation et des charges financières de la société, ainsi que les
possibilités de modulation de ce tarif kilométrique moyen». Dès lors que les
105) Voir Gaston Jèze in RDP 1935, p. 735 cité in Lamy droit public des affaires,
2006, N° 3515.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
301
dispositions réglementaires applicables prévoient expressément le principe
de la détermination des tarifs au regard de la structure du réseau, il ne peut
être fait grief aux sociétés concessionnaires de s’y conformer en prenant en
compte l’ensemble de leur réseau, et notamment sa structure globale, pour
fixer le niveau des péages.
14
. D’autre part
, parce que, comme il a été précédemment démontré,
le Conseil d’Etat n’a, contrairement à ce que laisse entendre la Cour, jamais
remis en cause l’adossement au motif qu’il ne serait pas de nature à garantir
une fixation adéquate des tarifs. Il en résulte donc bien que, pour les
concessions historiques ayant fait l’objet d’un adossement, le régime
consistant à définir l’équilibre financier du contrat au regard de l’ensemble
du réseau doit être regardé comme valide. Il en est donc de même de toutes
les conséquences en découlant logiquement et, a fortiori, de la possibilité,
pour le concessionnaire, de déterminer le niveau des tarifs en fonction des
coûts du réseau pris dans sa globalité.
15.
Au surplus, et à supposer que l’on puisse raisonner autoroute par
autoroute, exercice purement théorique compte tenu des liens financiers
indissolubles créés par les adossements successifs et les allongements de la
durée de la concession qui en ont résulté, la baisse des péages sur les
sections les plus anciennes aurait dû inévitablement trouver sa contrepartie
dans des hausses très significatives des tarifs sur les sections les plus
récentes, notamment ceux des moins rentables. Or, dans la mesure où c’est
précisément la pratique de l’adossement et le mode de détermination des
tarifs y afférent qui a permis aux sociétés concessionnaires de ne pas imposer
aux usagers, un niveau de tarif disproportionné sur les sections les plus
récentes ou encore de permettre la construction d’autoroutes qui, sans cela,
n’auraient jamais pu être réalisées, puisqu’elles auraient dû alors être
financées par voie de subventions publiques, ce qui n’a pas été le choix de
l’Etat, on voit difficilement comment cette pratique
aurait pu être
considérée, sur le plan des principes, comme contestable.
En rappelant que
«l’exacte proportionnalité n’est ni exigée, ni souhaitable au regard des prix
supportables pour
les usagers», la Cour reconnaît d’ailleurs elle-même
implicitement la nécessité de réaliser une péréquation tarifaire entre les
différentes sections d’un réseau autoroutier concédé.
C.
La prétendue absence de fondement juridique clair
16.
Pour considérer que le régime actuel ne reposerait pas sur un
fondement juridique clair, la Cour affirme (i) qu’il existerait des distorsions
entre les coûts et les péages résultant de la détermination du niveau des tarifs
par référence au «taux kilométrique moyen» et de la mise en oeuvre, par les
sociétés concessionnaires, d’une politique d’uniformisation et (ii) que les
surcoûts de construction ne seraient qu’insuffisamment pris en compte dans
la détermination des tarifs.
302
COUR DES COMPTES
17. ESCOTA considère qu’aucun de ces arguments n’est fondé.
18.
S’agissant des « distorsions entre péages et coûts »
, on
rappellera, tout d’abord, que la détermination des tarifs par référence à un
taux kilométrique moyen du réseau et des hausses annuelles à partir de taux
kilométriques moyens par section de référence, qui est considérée comme
critiquable par la Cour, est expressément prévue par le cahier des charges. Il
s’agit donc là d’un principe qui s’impose aux sociétés concessionnaires et
dont elles ne peuvent s’exonérer, sauf à voir leur responsabilité engagée.
19
. En outre, et contrairement à ce que prétend la Cour, ESCOTA
considère que la référence au taux kilométrique moyen n’engendre pas de
distorsion entre les péages et les coûts.
20.
S’agissant des sections nouvelles, le cahier des charges prévoit, en
effet, que «la tarification des sections nouvelles à leur mise en service est
fixée par la société concessionnaire sur la base du taux kilométrique moyen
de son réseau au moment de l’ouverture de ces sections,
éventuellement
corrigé en fonction des coûts de construction et d’exploitation
si ceux-ci
sont sensiblement différents de ceux constatés sur le reste du réseau»
106
. Et il
précise, par ailleurs, que «dans le cas où le tarif envisagé conduit à un taux
kilométrique moyen de l’autoroute concernée supérieur de plus de 20 p.100
au taux kilométrique moyen des sections contiguës de son réseau, la société
doit recueillir
l’accord
du ministre chargé de l’économie et du ministre
chargé de la voirie nationale avant de fixer les tarifs applicables avant la
mise en service». On voit donc bien que la tarification des sections nouvelles
ne se détermine pas exclusivement par référence au taux kilométrique moyen
du réseau, puisque le cahier des charges impose la prise en compte d’un
facteur correctif tenant aux coûts de construction et d’exploitation, et que la
fixation du taux kilométrique moyen de la section d’autoroute concernée est
elle-même bien contrôlée par l’Etat concédant.
21.
Enfin, indépendamment de ces mécanismes qui, à eux seuls,
garantissent déjà que les péages soient fixés de manière à refléter l’ensemble
des coûts, il convient de rappeler, puisque la Cour omet de le préciser, que
les cahiers des charges et le contrat de plan propre à chacune des sociétés
s’inscrivent, tout entier, dans une logique de prise en compte des coûts.
22
. Ainsi, le cahier des charges fait obligation au concessionnaire de
remettre chaque année à l’autorité concédante une étude financière
prévisionnelle portant sur l’équilibre comptable de la concession et
intégrant, à ce titre, les charges d’exploitation et d’investissements. Cette
étude doit ainsi notamment comprendre, pour la durée restant à courir, un
106) Article 25.5 du cahier des charges de la société ESCOTA.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
303
plan de financement ainsi que le programme des investissements à réaliser
sur les cinq années ultérieures
107
.
23.
Dans le même sens, le contrat de plan signé avec l’Etat pour cinq
ans, retrace la nature des investissements réalisés par le concessionnaire et
les coûts s’y rattachant
108
.
24.
Sur la période de ces cinq années, la loi tarifaire est déterminée
sur la base de simulations financières prenant notamment en compte les
charges d’exploitation et les investissements prescrits par le concédant
comme l’impose, d’ailleurs, le décret n°95-81 du 24 janvier 1995.
25
. S’agissant du mouvement « d’uniformisation tarifaire » mis en
oeuvre par les sociétés, ESCOTA considère que, compte tenu de ce qui
précède et des mécanismes tenant à la détermination de la loi tarifaire, ce
mouvement ne peut, contrairement à ce que laisse entendre la Cour, être, par
lui-même, considéré comme critiquable,.
26.
Il peut d’autant moins l’être que, comme le rappelle d’ailleurs la
Cour, cette politique d’uniformisation a été prescrite par l’autorité
concédante, le contrat de plan d’ESCOTA pour 2007-2011 prévoyant même
expressément que «la société s’efforcera de faire converger progressivement
entre eux les taux kilométriques moyens des sections de référence (pour
chaque classe de véhicule) de nature semblable en termes de trafic, système
de péage, contraintes d’exploitation,..»
109
. A nouveau, et sauf en réalité à
faire grief aux sociétés concessionnaires de se conformer aux dispositions
applicables, on ne voit pas comment cette politique pourrait, d’une manière
ou d’une autre, être remise en cause.
27. Au demeurant, cette politique tarifaire souhaitée depuis longtemps
par l’Etat et désormais explicitement inscrite dans les dispositions du contrat
de plan précité, doit s’analyser au regard de la nature juridique spécifique
des péages.
28
. Les péages constituent en effet, au sens de la jurisprudence, des
redevances pour service rendu
110
et doivent, pour cette raison, trouver leur
contrepartie directe dans le service procuré aux usagers. C’est donc au
regard de la valeur du service procuré à l’usager qu’il faut raisonner pour
déterminer le montant des redevances. C’est d’ailleurs tout le sens de la
jurisprudence du Conseil d’Etat, puisque celui-ci a expressément considéré
107) Articles 35 du cahier des charges d’ESCOTA relatif au Compte rendu
d’exécution de la concession et aux informations transmises à l’autorité concédante.
108) Voir, par exemple, titre 2 du contrat de plan Etat-ESCOTA 2007-2011 relatif à
la réalisation des investissements et l’annexe 1 reprenant les échéanciers annuels des
investissements prévus au contrat de plan.
109) Article 5.1.1.3 du Contrat de plan Etat-ESCOTA 2007-2011.
110) CE, 14 février 1975, Epoux Merlin et Association de défense des habitants des
quartiers de Super-La-Ciotat et de Ceyreste, p. 110.
304
COUR DES COMPTES
que l’intensité du trafic pouvait être prise en compte dans la détermination
du montant des péages autoroutiers, en jugeant qu’«il est constant que les
usagers d'une autoroute se trouvent placés dans une situation différente, au
regard des conditions d'exploitation de l'ouvrage, selon la densité de la
circulation prévisible ; qu'ainsi, en prévoyant une variation du prix des
péages en fonction de l'intensité du trafic, afin de favoriser dans l'intérêt
général la plus grande fluidité de celui-ci, l'arrêté attaqué n'a pas institué
une discrimination illégale entre ces usagers»
111
.
Or, la politique
d’homogénéisation tarifaire vise précisément à répondre à cet objectif. En
effet, et à défaut, les usagers se verraient imposer
des charges différentes
selon les sections, qui ne seraient pas toujours justifiées par des situations
elles-mêmes différentes. C’est d’ailleurs à cette
conclusion que la Cour
aurait dû arriver, lorsqu’elle souligne, à juste titre, que «l’exacte
proportionnalité n’est ni exigée, ni souhaitable au regard des prix
supportables pour les usagers et de la nécessité de réguler le trafic ».
29.
Enfin, pour ce qui concerne « la faible prise en compte des
surcoûts de construction », la Cour, en affirmant que «les majorations de
tarifs lors de la mise en service des sections d’autoroutes nouvelles plus
onéreuses sont très inférieures à leur surcoût de construction» se livre à un
raisonnement intrinsèquement contradictoire. En effet, elle ne peut pas à la
fois faire grief aux sociétés concessionnaires de ne pas suffisamment tenir
compte des surcoûts de construction dans la détermination des tarifs
appliqués aux sections nouvelles et, en même temps, considérer que la stricte
proportionnalité entre tarifs et coûts n’est ni souhaitable ni exigée.
30. Ainsi, et de quelque manière qu’on l’envisage, il apparaît bien
que les tarifs sont fixés de manière à refléter l’ensemble des coûts et que le
système mis en place n’est ni empreint de disparités, ni, encore moins
d’arbitraire, comme l’affirme la Cour.
II
-
SUR LE CARACTERE PRETENDUMENT FAUSSEMENT RIGOUREUX
,
INCOHERENT ET OPAQUE DE LA TARIFICATION
31
. Pour considérer que le système tarifaire serait faussement
rigoureux, incohérent et opaque, la Cour affirme, (i) que les tarifs ne seraient
pas déterminés sur la base de valeurs absolues et que le taux kilométrique
moyen ne constituerait pas une référence appropriée, (ii) que l’analyse
des
tarifs pratiqués ne révèlerait aucune logique , compte tenu de l’existence de
divergences de hausses ou de coefficients entre sections de référence et de
distorsions dans les grilles tarifaires, et (iii) que la publicité des tarifs serait
incomplète.
111) Conseil d'Etat, 28 février 1996 Association FO Consommateurs, n° 150520.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
305
32. ESCOTA considère que ces affirmations sont erronées et que si
le système tarifaire est certes, par essence, complexe, avec des grilles de
plusieurs centaines de tarifs, il n’est pas, pour autant faussement
rigoureux, incohérent ou opaque.
A.
Un système prétendument faussement rigoureux
33. Le fait pour le système tarifaire de s’attacher à des variations, et
non à des valeurs absolues, ne permet
en rien de le qualifier de faussement
rigoureux. D’ailleurs, la Cour n’apporte, à l’appui de ses observations,
aucun élément de nature à le démontrer.
34.
Bien au contraire, l’analyse du système, pour peu qu’on s’y
attache, établit que la référence à des hausses annuelles sur les sections en
service ou à des écarts de tarifs des nouvelles sections, constitue, en réalité,
la seule méthode praticable. Compte tenu des effets de l’adossement qui
obligent, on l’a vu, à raisonner au regard du réseau pris dans son intégralité,
il n’est pas possible, en effet, de recalculer chaque année, à partir des coûts
complets affectables à chaque section, les valeurs absolues des tarifs
élémentaires.
35
. De manière plus générale, on relèvera que ce mécanisme n’est ni
inédit, ni spécifique au système autoroutier. Pour exemple, c’est précisément
celui qui a été retenu pour la détermination des tarifs applicables au réseau
de la SNCF ou de la RATP.
36
. Dans le même sens, le fait pour le taux kilométrique moyen d’une
section de référence de ne pas être défini par référence au trafic et que les
sociétés concessionnaires puissent prévoir des différenciations tarifaires sur
les trajets les plus parcourus ne constitue en rien un élément pouvant
conduire à qualifier le système de faussement rigoureux. Cette pratique, qui
n’a, d’ailleurs, rien de systématique, est, à l’inverse, conforme à la
jurisprudence et aux dispositions contractuelles applicables.
37
. D’une part
, parce que, comme précédemment indiqué, le Conseil
d’Etat a expressément validé, dans son arrêt du 28 février 1996 précité, la
possibilité
pour
les
sociétés
concessionnaires
de
pratiquer
des
différenciations tarifaires sur les sections les plus fréquentées. Ce qu’il a
confirmé, par la suite, dans son rapport sur les redevances pour service
rendu, puisqu’il a considéré qu’il était «normal et conforme à la théorie
économique que l’utilisateur acquitte un péage plus élevé sur des tronçons
réputés encombrés pour lesquels la fluidité du trafic n’a été rendue possible
que par des investissements accrus ou par le soutien d’autres modes de
transport»
112
. Ce qui est en réalité logique, compte tenu de la différence de
situation existant entre les usagers empruntant des sections encombrées et
112) Redevances pour service rendu et redevances pour occupation du domaine
public, Rapport du Conseil d’Etat, la Documentation française, 24 octobre 2002,
p. 76.
306
COUR DES COMPTES
ceux empruntant des sections au trafic plus fluide et de la nécessité, pour les
exploitants, de tenir compte, dans la détermination de leurs tarifs, de
l’acceptabilité sociale du péage.
38
. D’autre part
, parce que, la composante trafic est bien prise en
compte dans la détermination des tarifs. Ainsi, le cahier des charges prévoit-
il, s’agissant de l’évolution du taux kilométrique moyen sur le périmètre de la
concession, que celle-ci est «égale à la
moyenne des évolutions
des taux
kilométriques moyens (HT) en vigueur sur chaque section de référence
figurant dans le contrat d’entreprise,
pondérée par le nombre de kilomètres
parcourus sur la section
considérée l’année précédant la hausse»
113
. On voit
donc bien que les sociétés concessionnaires sont tenues de mettre en oeuvre
un principe de pondération par les kilomètres parcourus en matière
d’évolution tarifaire.
39.
Enfin
, parce que le caractère rigoureux ou non du mécanisme
tarifaire doit s’apprécier au regard du cadre juridique dans lequel il
s’inscrit.
Or,
la
Cour
semble
raisonner
comme
si
les
sociétés
concessionnaires exerçaient leurs activités dans le cadre d’un marché public,
d’une régie intéressée ou encore d’un contrat de gérance, qui leur
garantirait
le versement d’une rémunération indépendante des résultats
d’exploitation, ce qui n’est pas le cas. L’exploitation des autoroutes
s’inscrivant, en effet, dans le cadre de contrats de concession supposant, par
nature, que le délégataire assume la gestion du service à ses risques et périls,
il n’est pas possible, sauf à dénaturer la substance même de ces contrats, de
mettre à sa charge un transfert du risque sans lui reconnaître
concomitamment la liberté de gestion y afférente, ne serait-ce que parce que
le délégataire assume complètement le risque trafic. Celui-ci peut, en effet,
évoluer beaucoup moins vite que prévu, notamment sur les trajets à trafic
élevé, voire même régresser comme cela s’est
déjà produit sur l’autoroute
A8, alors que le trafic moyen journalier de cette autoroute est très élevé.
40.
Cette faculté laissée au concessionnaire, au demeurant limitée et
d’ailleurs reconnue par la Cour, de procéder à des différenciations de
hausses tarifaires s’impose d’autant plus que les sociétés concessionnaires
exercent leurs activités sur un marché pleinement concurrentiel. En effet, et
contrairement à ce qu’affirme la Cour , les sociétés concessionnaires ne sont
pas en situation de monopole naturel. Bien au contraire, elles subissent la
concurrence résultant de l’existence de modes alternatifs de transport : le
rail, la route ou encore le transport aérien, concurrence qui a d’ailleurs
vocation à se développer, comme l’a rappelé l’Etat à l’issue du Grenelle de
l’environnement. C’est d’ailleurs ce que le Conseil d’Etat a rappelé
formellement, puisqu’il a considéré dans son avis des 25 et 29 août 2005 que
la notion de monopole de fait doit «s’entendre compte tenu de l’ensemble du
marché intérieur à l’intérieur duquel s’exercent les activités des entreprises
113) Article 25.2.1 du cahier des charges d’ESCOTA.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
307
ainsi que de la concurrence qu’elles affrontent dans ce marché de la part des
autres entreprises ; qu’on ne saurait prendre en compte les positions
privilégiées que telle ou telle entreprise détient momentanément ou à l’égard
d’une production qui ne représente qu’une petite partie de ses activités. A cet
égard, les sociétés concessionnaires ne constituent pas des monopoles de fait
dès lors qu’il existe, pour chaque itinéraire autoroutier, un autre itinéraire
permettant de relier les deux points desservis. En outre, la circonstance que
l’exploitation des autoroutes prend la forme d’une concession exclusive ne
saurait conférer aux sociétés concessionnaires le caractère d’un monopole
de fait au sens de l’alinéa précité»
114
. Dès lors que cette question a été
expressément tranchée, la Cour ne peut pas ne pas en tenir compte dans son
analyse.
41
. En outre, la nature exacte des risques pesant sur les sociétés
concessionnaires doit s’examiner au regard du statut qui est le leur, celui de
sociétés exposées au risque du marché financier. Or, ce risque est d’autant
plus élevé que ces sociétés ont emprunté, à leurs risques et périls, des
sommes considérables sur le long terme, afin de financer les investissements
nécessaires à la construction, à l’amélioration
et à la rénovation du réseau
routier autoroutier qui leur a été concédé.
42
. Il n’est donc pas possible de faire abstraction de ces éléments de
risques pour mener l’analyse. C’est d’ailleurs tout le sens de la
jurisprudence, puisqu’elle fait précisément de ce transfert de risque un
élément caractéristique des contrats de concession les distinguant, par
exemple, de la régie intéressée ou des marchés de service, et qu’elle
considère, par ailleurs, que l’équilibre financier du contrat de concession
devant être défini de manière à garantir au concessionnaire un bénéfice
raisonnable,
l’autorité
concédante
a
l’obligation
de
garantir
le
concessionnaire contre les risques de concurrence
115
.
43. Il résulte de ce qui précède que le système tarifaire ne peut être
considéré comme faussement rigoureux.
B.
Des tarifs prétendument incohérents
44. Pour considérer que les tarifs pratiqués seraient incohérents, la
Cour relève qu’il existe « des divergences de hausses ou coefficients entre
sections de référence » et « des distorsions de grilles tarifaires ».
45. En se bornant à ce simple constat, la Cour méconnaît la logique
même du système et en tire des conséquences erronées.
114) Avis du Conseil d’Etat des 25 et 29 août 2005, Section des finances, n° 372.147.
115) CE, Ass. 16 avril 1986, n° 75.040, 75.087, 75.110 CLT, Rec. CE. 1986, p. 97.
308
COUR DES COMPTES
46
. En effet, et pour ce qui concerne « les divergences de hausses ou
de coefficients
», la Cour relève, à juste titre, que «les sociétés ne sont pas
tenues d’appliquer uniformément les hausses globales annuelles » et constate
que « certaines font ainsi varier fortement les hausses de TKM entre sections
de référence». Or, on précisera, tout d’abord, que les différences de taux
kilométriques doivent être distinguées des différences de prix. Les taux
kilométriques ne sont qu’un mode de détermination des prix, défini par les
dispositions contractuelles applicables et ne peuvent donc, à eux seuls,
caractériser un élément d’incohérence des tarifs.
47
. En outre, la divergence de hausses entre sections de référence ou
de coefficients de classe se justifie par la combinaison de plusieurs facteurs :
(i) la politique d’uniformisation progressive des taux kilométriques moyens,
pour un service rendu équivalent, à partir des taux kilométriques fixés à la
mise en service de chaque section, politique voulue par l’Etat et imposée aux
concessionnaires, (ii) la prise en compte de l’acceptabilité sociale du péage,
notamment en zone urbaine et périurbaine, (iii) la mise en oeuvre de hausses
spécifiques lors de l’intégration de sections ou d’échangeurs nouveaux, et
(iv) l’impossibilité d’augmenter d’une année sur l’autre tous les tarifs
élémentaires, du fait notamment de la règle de l’arrondi au décime le plus
proche, dans la mesure où elle génère des hausses élevées, en pourcentage,
pour les tarifs applicables aux courts trajets.
48.
On voit donc bien que la logique même du système conduit à des
divergences de hausses ou de coefficients, sans qu’il soit, pour autant,
possible de caractériser l’existence d’une quelconque incohérence.
49.
Pour ce qui a trait, cette fois-ci aux « distorsions de grilles
tarifaires »,
la Cour
souligne notamment l’existence de sections gratuites ou
l’hétérogénéité des tarifs au kilomètre.
50
. On relèvera que ce raisonnement est purement théorique, la
«gratuité» évoquée par la Cour,
n’étant, en effet, qu’une «gratuité
virtuelle», sans aucune réalité pour l’usager.
51.
En effet, la «gratuité» apparente de certains tronçons inclus dans
plusieurs trajets tient essentiellement à l’historique de l’établissement, puis
de l’évolution des tarifs soumis à un jeu de contraintes, tel que toutes ne sont
conciliables que si l’on prend en compte une période de temps suffisamment
longue. Notamment la règle des arrondis et le respect d’un temps minimal
entre deux hausses (qui ne peuvent être inférieures à 10 centimes d’euros),
pour lisser, dans la durée, l’effet d’une hausse sur des tarifs très faibles, font
que des distorsions peuvent se créer, pour ensuite s’atténuer voire
disparaître, faisant ainsi apparaître, à un moment donné, certains tronçons
comme «gratuits», lorsqu’ils sont parcourus au sein de certains trajets qui
les englobent.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
309
52.
Par ailleurs, pour les sections en système ouvert et pour les
sections d’extrémité d’un système fermé - lorsqu’elles comportent au-delà de
la barrière de péage en pleine voie, plusieurs entrées et sorties elles-mêmes
libres de péages -, le tarif de péage acquitté est nécessairement le même,
quelle que soit l’entrée ou la sortie, en système ouvert ou en section
d’extrémité en système fermé. Les différences de longueur des différents
trajets effectués pour un même
tarif de péage induisent,
dans ces cas, des
taux kilométriques différents, et donc une apparente gratuité de certains
tronçons. Dans ces deux cas, un calcul par différence pour faire apparaître
des «tronçons gratuits» inclus dans des trajets payants n’a alors aucun sens.
53.
Seuls peuvent donc être véritablement considérés comme gratuits,
les trajets pour lesquels les dispositions contractuelles prévoient qu’ils soient
totalement libres de péage.
54. Il suit de là que les tarifs de péage appliqués par la société
ESCOTA ne peuvent, en aucun cas, être qualifiés d’incohérents.
C.
Des tarifs prétendument opaques
55
. La Cour affirme que les clauses des cahiers des charges sur la
publicité des tarifs seraient vagues et désuètes et qu’aucune société
n’afficherait « ses prix unitaires, c'est-à-dire les tarifs kilométriques ». Elle
estime, à ce titre, qu’une «publicité compréhensible, par brochures et sur
Internet, des doubles grilles de péages et de tarifs kilométriques par
autoroute devrait être exigée».
56. ESCOTA considère que les affirmations de la Cour sont
erronées tant en droit, qu’en fait.
57.
On rappellera, tout d’abord, que la notion de tarif kilométrique,
en tant que prix unitaire, qui fonde tout entier le raisonnement de la Cour,
n’existe pas. Les cahiers des charges, qui définissent la nature des
obligations s’imposant aux concessionnaires, font référence aux tarifs de
péage, entendus comme les prix payés pour emprunter les différents trajets,
et introduisent, pour la détermination de ces tarifs, la notion de « taux
kilométrique moyen » (et non de « tarif kilométrique »), pour chaque section
de référence et non pour chaque trajet.
On ne voit pas, dans ces conditions,
comment il serait possible de soutenir que les sociétés concessionnaires
devraient publier un quelconque «tarif kilométrique».
58.
Au demeurant,
les dispositions
légales
et
contractuelles
applicables en matière de publicité s’imposent aux concessionnaires et
leur
caractère prétendument désuet ou non ne peut leur être imputé.
59
. Sur le fond, aucune opacité du dispositif mis en place ne peut être
caractérisée.
310
COUR DES COMPTES
60.
L’article 113-3 du Code de la consommation prévoit, en effet, que
«tout vendeur de produit ou tout prestataire de services doit, par voie de
marquage, d'étiquetage, d'affichage ou par tout autre procédé approprié,
informer le consommateur sur les prix, les limitations éventuelles de la
responsabilité contractuelle et les conditions particulières de la vente, selon
des modalités fixées par arrêtés du ministre chargé de l'économie, après
consultation du Conseil national de la consommation».
61
. Pour l’application de ces dispositions législatives, le cahier des
charges définit les obligations des sociétés en matière de publicité des tarifs.
Ainsi, le cahier des charges ESCOTA prévoit-il que «L’ensemble des tarifs
applicables sur le réseau de la société, en vigueur, à la date de la publication
du décret approuvant le présent avenant, sont annexés au cahier des charges.
L’ensemble des tarifs en vigueur peuvent être consultés soit sur un serveur
télématique, soit auprès de la société concessionnaire […], soit auprès de la
direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression
des fraudes […] ou auprès de la direction des routes […]»
116
.
La référence
à un serveur télématique montre, à l’évidence, que les clauses des cahiers
des charges ne sont, en rien, désuètes, comme l’affirme la Cour.
62.
Ces dispositions, qui édictent des obligations précises en matière
de publicité, sont appliquées par la société ESCOTA.
C’est ainsi que la
société ESCOTA a spécifiquement édité une brochure largement accessible à
tous les usagers et retraçant l’ensemble de ses grilles tarifaires. Les
informations y figurant sont, en outre, publiées sur son site Internet dans une
rubrique complètement dédiée et intitulée de manière explicite «Tarifs».
63.
Il n’est donc pas possible de considérer que sa tarification serait,
d’une manière ou d’une autre, opaque, aucune disposition n’obligeant la
société, par ailleurs, à publier les taux kilométriques, lesquels ne sont pas
des «tarifs» mais des modalités de calcul des tarifs applicables aux différents
trajets effectués.
64. Au vu de l’ensemble de ces éléments, il apparaît donc bien que le
système tarifaire n’est ni faussement rigoureux, ni incohérent, ni opaque,
et que la publicité des tarifs, telle qu’elle est effectuée par la société
ESCOTA, est complète.
III
-
SUR LE CARACTERE PRETENDUMENT DEVENU TROP FAVORABLE DU
SYSTEME POUR LES CONCESSIONNAIRES
65.
Deux observations principales sont ici formulées par la Cour: (i)
les hausses de prix accordées par l’Etat seraient contestables compte tenu
notamment du mécanisme d’indexation et du caractère «mal étayé» des
hausses additionnelles et (ii) les sociétés concessionnaires mettraient en
oeuvre, dans un contexte de «rente de monopole», une politique de
116) Article 25.7 du cahier des charges d’ESCOTA.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
311
«maximisation» des recettes résultant de «l’effet de foisonnement» et de la
baisse des réductions pour les poids lourds.
66. ESCOTA considère que ces
observations ne sont pas fondées et
remettent en cause les fondements même des contrats de concession.
A .
Les hausses de prix accordées par l’Etat
67.
Pour ce qui concerne le principe de l’indexation, la Cour
relève
que le groupe ASF «s’est vu même accorder par ses cahiers des charges, à
l’ouverture de son capital en 2002, une hausse de base égale à 85 % de
l’inflation» et affirme que cette garantie «est d’autant plus critiquable que,
pour les concessionnaires d’autoroutes anciennes, l’achèvement des
programmes de construction et la fin de l’adossement font qu’ils n’ont plus
de nouvelles sections importantes à financer, que les anciennes autoroutes
sont elles mêmes progressivement amorties».
68.
Pour ce qui a trait, au caractère « mal étayé » des hausses
additionnelles, la Cour affirme que «tout nouvel investissement est compensé
aux concessionnaires, en particulier par des compléments de hausses
tarifaires. Mais les projections financières qui les fondent ne sont pas
publiques et n’ont pas été communiquées à titre d’exemples à la Cour».69.
69. ESCOTA considère que la seule lecture des dispositions
applicables suffit à établir que ces affirmations sont infondées.
70
. En effet, le principe de l’indexation
est expressément posé par les
dispositions applicables, le décret n° 95-81 du 24 janvier 1995
garantissant
aux concessionnaires, comme le rappelle d’ailleurs la Cour, une hausse des
péages au moins égale à 70 % de l’inflation. Le cahier des charges fixant
pour ESCOTA une hausse
au moins égale à 85 % de l’inflation, dans le
cadre des contrats de plan, est donc en tout point conforme aux dispositions
du décret précité, seul pertinent pour trancher cette question. Par
conséquent, et sauf à modifier les dispositions applicables et à indemniser les
concessionnaires à raison du bouleversement de l’économie du contrat qui
en résulterait, ce régime s’impose et doit régir la situation des sociétés
concessionnaires.
71
. Sur le fond, on rappellera, que l’équilibre financier du contrat
devant s’apprécier sur l’ensemble de sa durée, le niveau de la hausse ainsi
autorisée ne peut, par nature, être considéré comme critiquable.
72.
Par ailleurs, et pour ce qui concerne tant le mécanisme de
l’indexation que le caractère prétendument mal étayé des hausses
additionnelles
, il convient de rappeler que la loi tarifaire est établie sur la
base de simulations financières fournies par la société à l’autorité
concédante.
312
COUR DES COMPTES
73.
A ce titre, le cahier des charges règle expressément cette question
en prévoyant que la société doit fournir à l’autorité concédante «tous les
éléments d’information et de calcul nécessaires à la bonne application des
règles de calcul»
117
définis par le contrat de concession, le contrat de plan et
la réglementation en vigueur et qu’elle lui communique, par ailleurs, chaque
année, «une étude financière prévisionnelle portant sur l’équilibre comptable
de la concession» comprenant, notamment, pour la durée restant à courir, un
plan de financement ainsi que le programme des investissements à réaliser
sur les cinq années ultérieures
118
.
74.
Dans le même sens, le contrat de plan retrace la nature des
investissements réalisés par la société concessionnaire et les coûts y
afférents. Ce qui conduit bien à établir que, sur la période des cinq années
concernées, la loi tarifaire n’est pas définie autrement que sur la base de
simulations
financières prenant
en
compte
l’ensemble
des
charges
d’exploitation et les investissements à réaliser. On peut souligner, sur ce
sujet, que les programmes d’investissement sur autoroutes en service sont
très importants. C’est ainsi qu’au total 777 millions d’euros ont été inscrits
dans le contrat de plan ESCOTA pour 2007-2011.
75.
On voit donc bien déjà, que contrairement à ce que laisse entendre
la Cour, les mécanismes prévus par les dispositions applicables ne
conduisent en rien à l’octroi d’un avantage indu.
76.
Conformément à ces dispositions, ESCOTA a d’ailleurs toujours
communiqué à l’autorité concédante les éléments justifiant sa loi tarifaire et
elle a, de surcroît, transmis à la Cour les éléments qu’elle lui avait
demandés. Si Cour n’a pas pu vérifier la justification des hausses
additionnelles, acceptées par l’Etat et contractualisées, elle n’est pas pour
autant fondée à considérer que ces hausses seraient mal étayées.
B.
Les prétendues pratiques de «maximisation des recettes»
77. S’agissant du «foisonnement»
, notion introduite par la Cour
mais qu’elle ne définit nullement et dont elle précise, elle-même, que son
calcul exact est «compliqué», ESCOTA considère que le raisonnement
suivi est tout entier entaché de contradictions et d’erreurs.
78
. Il convient de rappeler que, contrairement à ce que la Cour laisse
croire, les hausses accordées ne concernent pas les recettes mais le seul taux
kilométrique moyen du réseau, ainsi qu’éventuellement les coefficients de
classe. A ce titre, ESCOTA a toujours publié des grilles tarifaires respectant
les hausses tarifaires autorisées, comme cela a d’ailleurs été vérifié chaque
année par la DGCCRF et la direction générale des routes.
117) Article 25.6 du cahier des charges d’ESCOTA.
118) Articles 35 du cahier des charges d’ESCOTA relatif au Compte rendu
d’exécution de la concession et aux informations transmises à l’autorité concédante.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
313
79
. Sur le fond, on rappellera, à nouveau, qu’aucune disposition du
cahier des charges n’interdit aux sociétés concessionnaires d’appliquer des
hausses tarifaires différenciées, bien au contraire. La Cour le relève, elle-
même, en soulignant que « les sociétés ne sont pas tenues d’appliquer
uniformément les hausses globales annuelles », et qu’«au sein des sections de
référence, le taux kilométrique moyen ne tient pas compte des volumes de
trafic et laisse les concessionnaires libres de concentrer les hausses de
péages et les tarifs élevés sur les tronçons ou les trajets les plus fréquentés au
sein de chaque section».
80.
Cette pratique est donc licite et ne peut, par principe, être remise
en cause. Elle résulte des termes même du contrat de concession, lequel
constitue la loi des parties.
81.
Ce qui est en réalité logique dans la mesure où les
concessionnaires assumant entièrement l’exploitation à leurs risques et
périls, seuls les tarifs, à la différence des recettes, sont déterminés selon des
règles fixées par le contrat de concession.
82
. Cette pratique est, d’ailleurs, conforme aux principes posés par le
Conseil d’Etat
comme il a été précédemment indiqué.
83
. En tout état de cause, cette pratique est induite par la nature et
l’économie même du système dans la mesure où elle ne constitue, en réalité,
qu’une
simple
contrepartie
aux
aléas
de
trafic
supportés
par
le
concessionnaire, entre autres de l’élasticité du trafic aux tarifs. Ainsi, et sauf
à méconnaître le principe même de la gestion de la concession aux risques et
périls du concessionnaire, il n’est pas possible de la considérer comme
contestable. D’autant que, comme il a été démontré, les sociétés
concessionnaires opèrent, non pas en «rente de monopole», mais sur un
marché pleinement concurrentiel et sont, par ailleurs, exposées aux risques
du marché financier.
84
. S’agissant des réductions pour les poids lourds
, la Cour relève
que «l’octroi de ces rabais s’effectuait à l’initiative des sociétés
concessionnaires au titre de leur politique commerciale. Leur diminution et
l’amélioration corrélative des recettes des concessionnaires n’ont pas été
compensées par une moindre hausse des tarifs accordés par l’Etat».
85
. Il convient de préciser que le contrat d’abonnement CAPLIS
octroyant des remises aux sociétés de transport, a été mis en place, non pas à
l’initiative des
sociétés, mais à la demande expresse de l’Etat. Dans la
mesure où l’objectif fixé par l’Etat était alors de diminuer les charges du
poste péage pour les transporteurs, l’octroi de ces remises n’a pas fait l’objet
de compensations tarifaires. Sa mise en place a donc pesé sur le chiffre
d’affaires des sociétés. L’adoption de la directive européenne 2006/38
modifiant la directive 1999/62 relative à la taxation des poids lourds pour
l’utilisation de certaines infrastructures, prévoyant un plafonnement à 13 %
des rabais accordés aux poids lourds, a conduit la société à réduire
314
COUR DES COMPTES
progressivement les pourcentages de remise accordés pour tendre vers ce
plafond. Cette évolution sera achevée au printemps 2008 avec la suppression
totale de l’abonnement CAPLIS et son remplacement par l’abonnement
télépéage PL respectant le plafond fixé par la directive. La mise en place de
ce nouvel abonnement télépéage PL a, d’ores et déjà, conduit à un
doublement du nombre d’entreprises bénéficiaires de ces remises.
L’exemple de l’abonnement CAPLIS montre, plus largement, que les
conditions commerciales offertes aux clients de la société ont un impact sur
les recettes, qui peut être positif ou négatif selon l’évolution de ces conditions
commerciales, du nombre d’abonnés et des chiffres d’affaires concernés,
impact qu’il convient en tout état de cause, de distinguer de l’effet des
hausses tarifaires proprement dit.
86.
Enfin, il convient également de tenir compte du fait que les
recettes de péage de la société augmentent à la suite des mises en service qui
interviennent en cours d’année, alors que les hausses tarifaires autorisées le
sont « à périmètre constant », un dispositif spécifique étant, par ailleurs,
prévu par le cahier des charges pour déterminer les tarifs de péage
applicables aux sections nouvelles.
87. Ainsi, force est de constater que le système n’est en rien devenu
trop favorable aux sociétés concessionnaires, mais se justifie par le
principe même de la gestion aux risques et périls du concessionnaire,
fondement du contrat de concession.
PARTIE 2 – POINTS SPECIFIQUES
ESCOTA souhaite rappeler qu’elle a produit, en septembre 2007, des
observations sur l’annexe 3, la concernant, du relevé de constatations
provisoires
sur
« La
privatisation
des
sociétés
d’économie
mixte
concessionnaires d’autoroutes – La tarification des autoroutes », sans avoir
eu connaissance du corps dudit relevé. ESCOTA y réitérait des objections qui
avaient été formulées antérieurement dans le cadre d’un contrôle de sa
gestion par la Cour pour la période 1999 – 2003. Or ces objections avaient
conduit la Cour à ne pas reprendre certaines de ses observations dans le
rapport particulier définitif. ESCOTA s’étonne donc de retrouver dans ce
nouveau projet de rapport des observations qui avaient été retirées
par la
Cour elle-même dans le cadre de cette précédente procédure. Ces
observations portent de façon générale sur l’appréciation que porte la Cour
sur le système dit de l’ « adossement » et sur ses conséquences, et sont
reprises dans la première partie de la présente réponse.
D’autres remarques nouvelles et particulières concernant ESCOTA
sont néanmoins apparues dans le nouveau projet d’insertion et il y est
apporté ci-dessous des précisions ou des réponses.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
315
IV
-
S
UR L
’
HOMOGENEISATION DES TARIFS
88
. Le contrat de plan 2007/2011 d’ESCOTA stipule, à l’Article 5.1.1.
que la Société s’efforcera de faire converger les taux kilométriques moyens
entre les sections de référence présentant des caractéristiques similaires. De
fait, pour ESCOTA, cette convergence doit se faire deux à deux entre d’une
part les sections à caractère urbain et en système de péage ouvert (A8 est et
A50), et d’autre part les sections à caractère interurbain à système de page
fermé (A8 ouest, A52, A57 et A51).
89.
C’est d’ailleurs dans cette perspective qu’à la demande du
Concédant, le nombre de sections de référence à été ramené de 6 à 4 en
2007.
90
. Ce phénomène de convergence, imposé à ESCOTA par son contrat
de plan, ne remet pas en cause le lien qui existe entre les tarifs et l’ensemble
des coûts, mesurés à l’échelle de l’ensemble du réseau concédé à ESCOTA,
et s’inscrit bien dans une lecture économique globale de la concession et de
la valeur du service rendu à l’usager.
V.
S
UR
LES
SECTIONS
GRATUITES
ET
LES
DISTORSIONS
DE
TAUX
KILOMETRIQUE
91.
La Cour relève qu’ESCOTA, entre autres concessionnaires,
recourt largement au système ouvert de péage, ce qui, selon la Cour,
contribuerait à rendre incompréhensibles les prix au kilomètre.
92.
L’existence du système ouvert résulte, pour ESCOTA, d’un choix
historique, guidé par sa meilleure adéquation au milieu urbain et périurbain.
En effet un tel système permet de limiter l’espace consommé par les gares de
péage d’une part, et le nombre moyen d’arrêts au péage par déplacement
d’autre part (au moins 2 en système fermé, entrée et sortie, moins de 2 en
moyenne en système ouvert). Certes, cela peut entraîner une distorsion des
prix ramenés au kilomètre, mais c’est la contrepartie du service rendu par la
fluidité des entrées ou sorties sans péage.
93
. Seul un tel système ouvert permet en outre de respecter les
obligations de gratuité qui sont imposées à la Société par son cahier des
charges (Avenant n° 11, Article 25.8), sans multiplier les barrières de péage
entourant ces sections gratuites.
94
. Par expérience, les clients n’interprètent pas, d’une manière
générale, les tarifs de péage au kilomètre mais en valeur absolue et, en
système ouvert, les sommes unitaires perçues sont très faibles, à tel point
qu’elles ne couvrent pas toujours les coûts de leur perception.
95
. A titre d’exemple, la Cour relève que le tarif kilométrique de la
section La Bédoule – Cassis de l’autoroute A50 ressort à 39,13 c€ (0,90 €
pour 2,3 km). Le calcul est exact mais non représentatif d’une volonté de sur-
tarification. De fait, ce trajet est inclus dans la section Aubagne Est – Cassis,
316
COUR DES COMPTES
tarifé lui aussi à 0,90 €. En effet, la section Aubagne Est – Carnoux – La
Bédoule est libre de péage pour le trafic interne, au titre de l’Article précité
du cahier des charges. Cette gratuité ne s’étend pas aux trajets Aubagne Est
– Cassis ou La Bédoule – Cassis. Comme le péage est perçu en système
ouvert à Cassis, il n’y a qu’un tarif unique qui correspond au trajet Aubagne
Est – Cassis, 0,90 € pour 8,9 km, soit 10,11 c€ par kilomètre, proche du TKM
de la section de référence correspondante A50 : 9,735 c€ au 01/02/07.
L’utilité publique de l’échangeur de La Bédoule ne faisant aucun doute, et le
système de perception du péage, ainsi que les tarifs correspondants, ayant
été validés par le Concédant, il est faux de dire que cette situation constitue
une distorsion des grilles tarifaires.
96
. Ce taux kilométrique ne peut pas être, non plus, comparé
directement à celui du trajet interurbain Saint-Maximin - Pas-de-Trêts, qui
représente, de par le tracé de l’autoroute, un allongement de trajet par
rapport au trajet direct par le réseau départemental. Une telle tarification
correspond donc bien à une volonté d’inciter les automobilistes à emprunter
l’autoroute, quatre fois plus sûre que le réseau non concédé, malgré un
allongement de la distance parcourue. Là encore, l’utilité publique d’une
telle incitation ne peut être contestée et ce tarif ne peut être considéré comme
constituant une distorsion de la grille tarifaire.
VI.
S
UR LA METHODE DE CALCUL DES HAUSSES TARIFAIRES
97.
La Cour indique qu’ESCOTA, à côté d’AREA et d’ASF, a une
méthode propre en matière de calcul des péages, mais ceci n’est pas étayé
par la suite. En effet, ce n’est pas avoir une méthode propre que de ne pas
intégrer les kilomètres non payants dans les calculs de la hausse tarifaire. Au
contraire, c’est la manière normale de faire. Autrement, outre le fait que le
trafic non payant est connu avec moins de précision que le trafic payant
mesuré par le système de péage, les hausses tarifaires en seraient faussées,
puisque pondérées par une part de trafic à tarif nul. Il est important de noter
à cet égard le niveau très élevé de trafic non payant sur le réseau ESCOTA,
du fait de décisions de l’Etat sur la gratuité de certaines sections très
circulées sur A.8, A.50 et A.57 (cf. article 25.8 du cahier des charges).
VII.
S
UR LA
«
MAXIMISATION DES RECETTES
»
98.
Tout en rappelant que le contrat de concession et le contrat de
plan encadrent les tarifs et non les recettes du concessionnaire, ESCOTA
relève que, dans le contexte de ce rapport et plus particulièrement d’un
chapitre traitant de la « maximisation des recettes », la note de bas de page
n°4 de la page 14 du projet de rapport stigmatise les tarifs d’ESCOTA de
manière infondée. En effet, telle qu’elle est rédigée, cette note de bas de page
peut prêter à confusion, n’étant pas précisé de quelle partie de l’A8 il est
question (A8 ouvert, A8 fermé), à quoi se rapporte la notion de « plus chère »
(construction, exploitation, tarif ) ni à quel réseau on le compare (réseau
ESCOTA, réseau concédé). Une correction serait souhaitable.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
317
99.
De fait, la politique de convergence des taux kilométriques moyens
entre sections de référence similaires, conformément à l’article 5.1.1.3 du
contrat de plan 2007/2011, aura pour effet de limiter la hausse moyenne sur
la section de référence A8 « ouvert » et d’aligner progressivement le taux
kilométrique moyen de l’A50 sur le niveau de l’A8 ouvert. Il serait faux d’en
conclure qu’ESCOTA tend à aligner ses tarifs « les plus bas » sur les tarifs
« les plus chers ». ESCOTA ne fait par là-même que se conformer à ses
obligations contractuelles et il ne pourrait lui en être fait grief.
RÉPONSE COMMUNE DU
DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SOCIÉTÉ DES AUTOROUTES DU
NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE (SANEF)
ET DU PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SOCIÉTÉ DES
AUTOROUTES PARIS-NORMANDIE (SAPN)
Introduction
Les sociétés Sanef et SAPN ont toujours fait une application stricte
des contrats de concession et des contrats d’entreprise passés avec l’Etat et
en particulier, les hausses de tarifs proposées par Sanef et SAPN ont toujours
été conformes aux engagements contractuels et elles ont été validées par
l’Etat.
La Cour paraît souhaiter que l’administration fixe les recettes, c'est-
à-dire le chiffre d’affaires réalisé par le concessionnaire autoroutier, si tel
était le cas, il y aurait dès lors un changement radical du contrat de
concession signé avec l’Etat :
En effet dans un contrat de concession :
- d’une part, le concessionnaire n’a pas de garantie de recettes car il
n’est pas rémunéré par l’autorité concédante, comme dans le cas d’un
marché public de services ou d’un contrat de partenariat public privé, mais
par l’usager du service public. L’autorité concédante fixe une règle
d’évolution annuelle des tarifs que doivent acquitter
les usagers, mais non
les recettes du concessionnaire.
- d’autre part,
le contrat de concession est accordé aux risques et
périls du concessionnaire. En l’espèce, les risques sont multiples, il peut
s’agir à titre d’exemples : d’un trafic inférieur aux prévisions et qui menace
la rentabilité de l’investissement, des coûts des travaux, de la maintenance,
de l’exploitation, ou de décisions de l’Etat ou de Collectivités Territoriales
d’aménager des itinéraires routiers alternatifs, voire de construire des voies
de contournement des barrières de péage, ou encore de la politique de l’Etat
318
COUR DES COMPTES
qui peut décider de promouvoir des moyens de transport concurrents à
l’autoroute pour encourager le report modal du trafic au détriment de
l’autoroute.
1 – Selon la Cour, le système se serait éloigné de la référence juridique aux
coûts et serait économiquement incohérent
1.1
Le contexte historique de « l’adossement »
Historiquement, les
autoroutes concédées à Sanef et à SAPN ont été
décidées, financées, construites, mises en service et sont exploitées, dans le
contexte juridique dit de « l’adossement » à l’ensemble du réseau. Il s’agit
d’un système de péréquation financière dans lequel les autoroutes anciennes
à plus fort trafic, contribuent au financement de la construction et de
l’exploitation des sections autoroutières les plus récentes et à moindre trafic.
Cette pratique résultant de la politique d’aménagement du territoire de l’Etat
a permis le développement rapide du réseau autoroutier national, et a
contribué à un bon aménagement effectif
des territoires desservis.
Si la technique de « l’adossement » n’a juridiquement plus cours
depuis le 1
er
janvier 2001 pour les nouvelles concessions autoroutières, cette
pratique subsiste pour les concessions antérieurement accordées, ce qui est
notamment le cas des autoroutes concédées à Sanef ou à SAPN. Par
conséquent au sein du groupe Sanef et en vertu de l’adossement, la
rentabilité d’une section autoroutière ne peut s’analyser séparément mais
s’apprécie sur l’ensemble du réseau concédé.
1.2
Le système de « péage ouvert »
Les systèmes de « péage ouvert » existant sur les réseaux de Sanef et
de SAPN ont été décidés par l’Etat et figurent aux contrats de concession. Ils
consistent à faire payer un prix forfaitaire non proportionnel à la longueur
du trajet parcouru. Il peut ainsi exister plusieurs trajets possibles pour un
même péage. Pour des trajets courts, ce système est favorable à l’usager en
ne l’arrêtant qu’une seule fois au péage. Par ailleurs, ce système
permet de
faire cohabiter des trajets payants et des trajets gratuits entre deux barrières
de péage en pleine voie.
1.3
L’Etat définit des tarifs kilométriques moyens sur des « sections de
référence »
Le contrat de concession et le contrat d’entreprise de Sanef et de
SAPN signés avec l’Etat, fixent :
−
un système tarifaire appliqué à des « sections de référence », qui
donne une visibilité géographique forte lors de l’élaboration des
hausses de péage, ce qui ne ferait pas une pondération générale
indifférenciée par le chiffre d’affaire.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
319
−
des tarifs kilométriques moyens et non des tarifs kilométriques
unitaires, ce qui dès lors suppose une marge de manoeuvre du
concessionnaire dans les limites fixées par la loi et notamment
s’agissant de la règle d’égalité de traitement entre les usagers.
Il faut noter, à titre d’illustration de la complexité de modification
d’un barème de tarifs, que sur le réseau Sanef il y a plus de 4300 tarifs
différents et qu’à chaque hausse, la moitié environ ne sont pas modifiés,
notamment pour des raisons d’arrondis aux dix centimes d’euros.
1.4
Les tarifs de péage et l’égalité de traitement entre les usagers
L’article L. 122-4 du Code de la voirie routière fait du tarif la
résultante de l’équilibre financier des concessions, de sorte que les tarifs
kilométriques varient, selon les sociétés concessionnaires et selon les
concessions. La loi autorise ainsi, implicitement mais nécessairement, une
telle « distorsion. » La seule discrimination prohibée par le Code de la voirie
routière à l’article L. 122-4-1 concerne les poids lourds et les
discriminations selon leur nationalité.
Ainsi, sur une même autoroute située à la jonction de deux
concessions, les tarifs kilométriques peuvent varier assez sensiblement selon
que l’on se situe sur l’une ou l’autre des concessions, alors même qu’il s’agit
du même itinéraire.
La jurisprudence du Conseil d'Etat en matière de péages a, depuis de
nombreuses années, admis les différenciations tarifaires en se fondant sur
l'existence de différences de situations appréciables entre usagers et/ou sur
des motifs d'intérêt général.
1.5 Des tarifs modulés existent également chez d’autres gestionnaires
d’infrastructures de transports
−
les péages ferroviaires comportent
des modulations importantes,
en application du décret n° 97-446 du 5 mai 1997 relatif aux
redevances d'utilisation du réseau ferré national perçues au profit
de Réseau Ferré de France, lequel dispose que les redevances
"tiennent notamment compte du coût de l'infrastructure du réseau
ferré national, de la situation du marché des transports et des
caractéristiques de l'offre et de la demande, des impératifs de
l'utilisation optimale du réseau ferré national, du coût des effets
sur
l'environnement
de
l'exploitation
des
trains
et
de
l'harmonisation des conditions de la concurrence intermodale."
−
les péages perçus par Voies Navigables de France (VNF) ne sont
pas davantage uniformes. En application de l'article 124 de la loi
de finances pour 1991, VNF est autorisé à percevoir des péages
pour l'utilisation du domaine public fluvial dont il assure
l'exploitation. Ces redevances fixées par une délibération de son
conseil d'administration en date du 4 avril 2007 comportent un
320
COUR DES COMPTES
droit d'accès au réseau progressif en fonction du tonnage du
bateau et un terme variable exprimé en tonnes par kilomètres qui
prend en compte la longueur du trajet et le volume de
marchandises transportées.
−
les
redevances
aéroportuaires
comportent
également
des
modulations.
2 – Selon la Cour, le système serait devenu trop favorable aux
concessionnaires
2.1
Des hausses tarifaires différenciées par société
Conformément à l’article L. 122-4 du Code de la voirie routière, les
hausses tarifaires sont différenciées par société en fonction des charges.
Ainsi concernant SAPN, l’état d’endettement de cette société
provenant d‘un programme d’investissement demandé par l’Etat, trop élevé
par rapport à sa capacité financière, justifie que lors du contrat d’entreprise
2004-2008 en cours d’exécution, celle-ci se voit vue accorder la hausse la
plus élevée du secteur autoroutier. De plus le programme d’investissement de
SAPN prévu au contrat d’entreprise
pour la période 2004-2008 est
important, puisqu’il atteint un montant de près de 290 millions d’Euros, soit
l’équivalent d’un an de chiffre d’affaires. En vertu de ce programme
d’investissement, SAPN doit : élargir à trois voies
une partie de l’autoroute
A13, réaliser un nouveau diffuseur sur l’autoroute A14 et créer deux
nouveaux barreaux autoroutiers entre l’autoroute A13 et la RN13 à Caen et
à Chaufour.
Concernant Sanef, la hausse tarifaire annuelle pour les années 2005 à
2008 pour les véhicules de classe 1 est fixée à 80% du taux de l’évolution des
prix hors tabac assorti d’une majoration additionnelle de 0,455%. Cette
majoration additionnelle a pour objet de compenser les charges nouvelles
découlant du 7
ème
avenant, notamment le remboursement des études et des
travaux préliminaires en Île-de-France sur A16 jusqu’au BIP (Boulevard
Intercommunal du Parisis : projet abandonné par l’Etat), des travaux de
prolongation d’A16 en Île-de-France jusqu’à l’A104, les surcoûts liés à la
Ligne à Grande Vitesse Est sur le contournement sud de Reims.
Enfin
pour les deux sociétés précitées, la hausse tarifaire pour la
période 2004-2008, tient compte
de la renonciation au « crédit de départ
TVA » auquel avaient droit les sociétés lors de l’introduction sur le péage de
la TVA à compter du 1
er
janvier 2001
et du décalage de la date de la hausse
annuelle contractuellement prévue le 1
er
février au 1
er
décembre pour la
période 2004 - 2008.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
321
2.2
Une politique tarifaire continûment validée par l’Etat et base de la
valorisation du Groupe Sanef lors de l’introduction en bourse et lors de la
privatisation
L’Etat a approuvé continûment la politique tarifaire proposée par la
société Sanef et la société SAPN en vertu du décret de 1995 précité et des
contrats d’entreprise successifs antérieurement à la privatisation de Sanef
intervenue en février 2005 et a continué de le faire l’année qui a suivi la
privatisation.
En conséquence, c’est sur la base de cette politique tarifaire qu’a été
établie la
valorisation de la société Sanef lorsque celle-ci a été introduite en
bourse, puis privatisée.
2.3
Des tarifs publiés conformément à la réglementation applicable
Le groupe Sanef ne cherche pas à « rendre ses tarifs opaques »
comme le suggère la Cour, il est fait une stricte application de l’arrêté
n° 76-68/P du 8 juillet 1976 (BOCC du 10 juillet 1976) relatif à la publicité
des péages autoroutiers qui prescrit la publication des tarifs des trajets et
non des taux kilométriques.
Ainsi, les tarifs de tous les trajets et pour toutes les catégories, sont
disponibles dès leur date d'application sur les sites
Internet Sanef.com et
SAPN.fr et sont d'ailleurs utilisés par différents sites de calcul d'itinéraires.
Par ailleurs, dans chaque gare de péage, des affichettes indiquent
pour les différentes classes les tarifs des trajets correspondants.
Enfin un dépliant indiquant sous forme de grille pour chacune des
cinq classes les tarifs pour l'ensemble des trajets est disponible à la demande
des clients.
Conclusion
Les sociétés Sanef et SAPN ont toujours fait une application stricte
des contrats de concession et des contrats d’entreprise passés avec l’Etat et
en particulier, les hausses de tarifs proposées par Sanef et SAPN ont toujours
été conformes aux engagements contractuels et elles ont été validées par
l’Etat.
Si l’Etat souhaitait améliorer la lisibilité du système de la hausse
tarifaire tel que prévu par les contrats de concession et les contrats
d’entreprise, les sociétés du groupe Sanef sont ouvertes à la négociation des
avenants correspondants, dans le respect des principes développés par la
jurisprudence du Conseil d’Etat relative au maintien de l’équilibre
économique des concessions.
La dotation de continuité territoriale
aérienne avec l’outre-mer
_____________________
PRESENTATION
____________________
La dotation de continuité territoriale aérienne a été créée par
l’article 60 de la loi de programme pour l’outre-mer n° 2003-660 du
21 juillet 2003 (LOPOM). Elle prévoit l’octroi aux collectivités d’outre-
mer d'une dotation de l’Etat destinée à faciliter les déplacements de leurs
résidents, sous la forme d’une aide à la personne et concernant les
liaisons aériennes avec la métropole, dans des conditions déterminées
par la collectivité.
Dans un rapport établi à la demande de la commission des
finances du Sénat, en décembre 2005, en vertu des dispositions de
l’article 58-2 de la loi organique sur les lois de finances, la Cour avait
examiné la mise en place du dispositif du point de vue de l’Etat, ce qui
l’avait
conduit à souligner : le recours à la seule dotation de l’État, qui
compromet l’objectif affiché au départ (réduction significative du prix du
billet pour chaque résident, d’environ 30 %), le risque d’une dérive des
dépenses, les ordonnateurs (collectivités) n’étant pas les payeurs (l’État
est seul à payer), l’absence d’évaluation du système, faute d’un
indicateur pertinent pour en mesurer les effets.
Deux ans après, cette fois avec le concours des chambres
régionales et territoriales des comptes compétentes
119
, la Cour, a établi
un premier bilan de l’application effective de ce dispositif et a cherché à
établir s’il répondait bien aux objectifs visés par le législateur.
119)
Guadeloupe-Guyane-Martinique,
Réunion,
Nouvelle-Calédonie,
Polynésie
française, St-Pierre et Miquelon.
324
COUR DES COMPTES
I
-
Un dispositif au montage financier incertain
A - Le régime juridique du dispositif
1 -
Une subvention encadrée
La subvention d’aide au passage aérien est attribuée aux
collectivités dans un but déterminé et pour l'exercice d'une compétence
facultative. Elle n'a pour objet ni de créer ni de transférer à ces dernières
de
nouvelles
compétences,
ainsi
que
l’a
rappelé
le
Conseil
Constitutionnel dans sa décision n°2003-474 DC du 17 juillet 2003.
Pour autant, elle revêt pour l’Etat un caractère obligatoire. L’Etat
est tenu d’effectuer le versement aux collectivités qui remplissent les
conditions posées par la loi, celles-ci étant tenues, en retour, de justifier
l’emploi des fonds reçus de l’Etat.
Par ailleurs, la validité des dispositifs adoptés par les départements
d’outre-mer est soumise à réglementation européenne. En effet, si la loi
programme pour l'outre-mer ne prévoit pas de limitation dans le temps du
dispositif de dotation de continuité territoriale, la validation des régimes
d'aide adoptés par les départements d’outre-mer est soumise à un
réexamen périodique de la Commission européenne.
2 -
Des modalités de répartition fixées par l’Etat
La dotation fixée au titre d’un exercice budgétaire fait l’objet d’une
répartition entre les collectivités dans les conditions fixées par le décret
n°2004-100 du 30 janvier 2004, en tenant compte notamment de
l’éloignement de chacune d’entre elles avec la métropole. La moitié de la
dotation est attribuée proportionnellement au produit de la distance par la
population ; l’autre moitié proportionnellement au produit de la distance
par le trafic. Ce produit est affecté d’un coefficient correcteur (basé sur le
critère de facilité d’accès à l’aéroport et une condition de concurrence
entre les compagnies aériennes).
Ce mode de calcul est peu contesté, sauf à Mayotte, où la plupart
des communes de l’île n’ont pas accès à l’aéroport par la route.
LA DOTATION DE CONTINUITÉ TERRITORIALE AÉRIENNE
AVEC L’OUTRE-MER
325
B - Un montage financier incertain
1 -
Des financements complémentaires défaillants
La dotation, à l’origine imputée sur un compte d’affectation
spéciale (FIATA) est désormais inscrite sur le budget général de l’Etat et
classée dans la mission Outre-mer, programme 123 « conditions de vie
outre-mer » (action 3). Son montant, fixé à 30 M€ en 2004, est indexé sur
la dotation globale de fonctionnement de l’Etat aux collectivités locales.
Il atteint 32,6 M€ en 2007.
Il était prévu à l’origine que l’enveloppe de l’Etat soit abondée à
parité par des crédits européens et une contribution des collectivités
concernées, portant ainsi le financement total du dispositif à 90 M€. Ce
principe
de
financement
tripartite
a
été
repris
par
le
Conseil
constitutionnel, dans les considérants de sa décision susmentionnée.
Or, aucune collectivité d’outre-mer n’a souhaité participer
financièrement et l’Union européenne n’a pas donné suite aux attentes
des autorités françaises.
L’objectif initial était de permettre à 200 000 voyageurs de
bénéficier d’une aide moyenne de 150 €. Les résultats observés pour les
années 2005 et 2006 sont sensiblement inférieurs aux estimations :
(55 478 passagers aidés à hauteur de 22,4 M€ de crédits consommés, soit
400 €/passager en 2005 et de 63 776 passagers aidés à hauteur de
22,7 M€, soit 356 €/passager en 2006).
La Cour relève à la fois l’improvisation du mode de financement
initial, ainsi que l’absence des abondements additionnels, et par voie de
conséquence la remise en cause de l’économie du dispositif lui-même,
dès lors que l’effet de seuil escompté n’est pas atteint pour répondre au
public ciblé. Ainsi, la région Guyane refuse le bénéfice du dispositif en
invoquant l’insuffisance de la subvention au regard des besoins et
l’impossibilité de définir des critères objectifs et non discriminatoires
entre les résidents. La région estimerait en outre plus adéquat d’aider les
déplacements à l’intérieur de son propre territoire.
En outre, si certains éléments récemment introduits dans le
dispositif de gestion de la dotation sont de nature à assouplir la gestion
budgétaire de la dotation par l’Etat (fongibilité des crédits à l’intérieur du
programme 123, échelonnement des versements),
l’ouverture du bénéfice
de l’aide aux ultramarins résidant en métropole (à la condition que la
collectivité le décide) paraît à l’inverse propre à déstabiliser davantage le
dispositif et à l’éloigner des objectifs initiaux.
326
COUR DES COMPTES
2 -
Un contexte de hausse des tarifs aériens
La hausse des tarifs aériens observée au cours des dernières années
est en partie liée à des décisions de la puissance publique :
−
les obligations de service public dont l’instauration a été
autorisée par les instances européennes, parmi lesquelles
figurent notamment l’exploitation des lignes tout au long de
l’année,
avec
au
moins
une
fréquence
hebdomadaire,
l’existence d’un tarif enfant et l’acceptation des évacuations
sanitaires ;
−
les taxes sur le transport aérien, notamment les taxes
d’aéroport, alourdies par les nouvelles mesures de sûreté
imposées
par
la
réglementation
communautaire
et
internationale, relativement élevées dans les aéroports d’outre-
mer (leur taux dépasse d’environ 50 % celui de l’aéroport
d’Orly).
Ces prélèvements, qui s’ajoutent à la très forte hausse du prix du
kérosène, influent directement sur le coût du transport aérien, au point
qu’on est en droit de se demander si une part significative de l’aide à la
personne liée à la dotation de continuité territoriale n’a pas pour seul effet
de compenser l’augmentation de l’ensemble de ces charges.
3 -
La lente mise en place du dispositif
L’action 3 du
programme
123 « conditions de vie outre-mer » de
la mission « outre-mer » est dotée, en loi de finances pour 2006, de
52,57 M€ en AE et en CP, dont 31,8 M€ pour la dotation de continuité
territoriale aérienne avec l’outre-mer.
Le régime des aides s’est mis en place tardivement, les
délibérations des collectivités s’échelonnant du 6 janvier 2004 pour la
Guadeloupe au 18 novembre 2004 pour Saint-Pierre et Miquelon, la
notification de la délibération de la Réunion n’ayant elle-même été
notifiée qu’en juillet 2005. Cette situation a induit des lenteurs dans la
délégation et la consommation des crédits, conduisant à de nombreux
reports de crédits en 2004 et 2005. Ainsi, au cours de l’année 2005,
Mayotte et la Guadeloupe avaient consommé la presque totalité de leurs
crédits, alors que la Martinique et la Réunion avaient utilisé moins de 4 %
des crédits attribués, le taux de consommation des quatre autres
collectivités se situant entre 63 et 83 %.
LA DOTATION DE CONTINUITÉ TERRITORIALE AÉRIENNE
AVEC L’OUTRE-MER
327
Comme l’indique le tableau ci-dessous, la Martinique a commencé
à rattraper son retard en 2006, la Réunion restant quant à elle encore très
en
retrait avec le plus faible taux de consommation de l’ensemble :
en €
Crédits
attribués
(1)
Crédits
délégués
(2)
Crédits
consommés
(3)
Taux
(3)/(2)
Martinique
5 047 554
3 370 989
2 762 810
82 %
Guadeloupe
6 056 938
6 064 225
3 782 364
62 %
Guyane
1 948 910
0
0
0
Réunion
8 611 697
5 893 225
3 442 590
58 %
Mayotte
1 664 915
1 664 915
1 719 241
103 %
St Pierre et
Miquelon
122 115
122 115
173 270
142 %
Wallis et Futuna
280 240
280 240
354 755
127 %
Nouvelle
Calédonie
3 952 445
3 952 445
4 425 897
112 %
Polynésie
française
4 147 295
4 147 295
6 038 265
146 %
Total
31 832 109
25 495 449
22 699 192
89 %
Source MEDETOM
II
-
Des collectivités peu impliquées
A - Les critères d’attribution et la gestion des aides
La lente appropriation du dispositif de la dotation de continuité
territoriale
par
les
collectivités
s’est
accompagnée
de
fréquents
ajustements des critères d’admission au bénéfice de l’aide.
1 -
Des régimes d’aides au contenu disparate
Les régimes adoptés par l’ensemble des collectivités reposent sur
un panachage des critères de sélection des bénéficiaires et des taux de
prise en charge.
328
COUR DES COMPTES
La liberté laissée aux collectivités de déterminer les critères
d’attribution de l’aide a conduit, dès la mise en place du dispositif, à
l’adoption de deux types différents de régimes : une aide bénéficiant à
tous les résidents (Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis et Futuna) et une
approche catégorielle qui réserve l’aide à certains publics cibles (les
autres collectivités). De sensibles disparités en résultent pour les
bénéficiaires selon leur collectivité d’appartenance.
Par ailleurs, deux types de barème d’aides ont également été
adoptés : le forfait en deniers (système le plus répandu), et le pourcentage
de réduction du prix du billet pour certaines catégories particulières de
bénéficiaires (jusqu’à 90 % du prix du billet)(cf. annexe).
La région Guyane a dès l’origine refusé le bénéfice du dispositif.
Bien que la position de la région n’ait pas évolué, le ministère de l’outre-
mer a provisionné, année après année, les crédits qui lui étaient réservés.
Dans l’espoir de contourner cette situation de blocage, le gouvernement a
introduit dans la loi du 17 février 2007 portant diverses dispositions pour
les DOM la possibilité pour le département de se substituer à la région si
celle-ci persiste dans son rejet.
Un blocage comparable est intervenu à l’été 2007 à la Réunion, le
conseil régional contestant le régime appliqué aux collectivités d’outre-
mer par rapport à la Corse et le non versement de la subvention au titre de
2007 par le représentant de l’Etat, en attente de données sur la gestion du
dispositif. La situation a, semble-t-il, été débloquée en septembre avec le
versement des crédits attendu.
2 -
Une gestion parfois critiquable
Dans la mesure où la gestion administrative et financière de l’aide
relative à la continuité territoriale relève de la responsabilité exclusive des
collectivités territoriales concernées, celles-ci ont défini elles-mêmes les
procédures et modalités de mise en oeuvre, aucune instruction ou
circulaire de l’Etat n’étant intervenue à cet effet.
Il en est de même pour la gestion des aides, qui peut être assurée
en régie directe par les services des collectivités ou faire l’objet d’une
externalisation, en tout ou partie, au profit d’un opérateur désigné à cet
effet. En fait, toutes les collectivités ont opté pour une gestion du
dispositif par leurs propres services.
Les huit collectivités concernées ont toutes adopté la procédure du
bon de réduction : l’aide est versée au résident sous la forme d'un bon de
réduction à valoir sur l'achat d'un billet d'avion, la collectivité
LA DOTATION DE CONTINUITÉ TERRITORIALE AÉRIENNE
AVEC L’OUTRE-MER
329
remboursant ensuite à la compagnie aérienne ou à l'agence de voyages le
montant de la réduction correspondante.
Le rôle des émetteurs de billets doit faire l'objet d'un descriptif
détaillé concernant la remise du bon à la caisse par le service gestionnaire,
les normes de validité du bon et ses conditions d'acceptation, les effets sur
le prix du titre de transport, la comptabilisation et la conservation des bons
utilisés ainsi que la confection des états de remboursement.
Plusieurs aspects de cette gestion par les collectivités méritent d’être
évoqués, certains appelant des critiques sévères :
a)
La consommation de la subvention
La consommation des crédits s’avère, selon les régimes d’aide
adoptés et le mode de gestion retenu, ou trop rapide, ou trop faible.
Elle a par exemple été trop rapide en Polynésie française, à
Saint Pierre et Miquelon, à Mayotte. Ainsi le guichet des aides a dû être
fermé en cours d’année par plusieurs collectivités, en raison de
l’insuffisance de crédits. Elle a été trop faible jusqu’en 2006 à la Réunion,
en raison du retard pris par la collectivité dans la mise en place du
dispositif.
Par ailleurs, en 2005, il a été relevé qu’une partie de la prise en
charge par l’Etat du rapatriement des passagers, de la Réunion en
métropole, suite à la défaillance de la compagnie aérienne Air Bourbon, a
été imputée par le ministère de l’Outre-Mer sur les crédits de la dotation de
continuité territoriale (98.391€). Le financement de façon indifférenciée du
transport de la totalité des passagers, notamment de ceux résidant en
métropole, s’est ainsi effectué de façon non conforme à la destination des
crédits et en dehors du respect des critères d’attribution en vigueur. .
b)
Les bons de réduction
Les huit collectivités ayant adopté la procédure du bon de réduction,
la principale difficulté réside dans la durée de validité des bons de
réduction qui peut entraîner des effets d’aubaine, mais aussi gêner la
prévision budgétaire.
Plusieurs collectivités n’ont fixé aucune durée de validité aux bons
de réduction.
Ainsi, en Nouvelle Calédonie, il est possible d’obtenir un bon en
cours d’année n (année de faibles revenus par exemple) et de l’utiliser
l’année suivante. Ce cas est fréquent pour les fonctionnaires métropolitains
nouvellement arrivés en cours d’année et qui, de façon abusive, ne
330
COUR DES COMPTES
déclarent la première année que les seuls revenus perçus en Nouvelle-
Calédonie.
Aucune règle de conservation du titre de transport aidé n’a été
établie en Polynésie française, ou à la Réunion. A contrario, la
Guadeloupe a réduit à 3 mois le délai d’utilisation des bons, fixé à
l’origine à un an, une
trop longue durée de validité des bons rendant
difficile la prévision des règlements.
c)
Les relations avec les émetteurs de billets
Les émetteurs de billets se font rembourser ex post par la
collectivité le montant total des réductions qu’ils ont consenties sur les
billets délivrés. Toutes les collectivités paraissent s’être dotées des
moyens de vérifier, au stade de la liquidation, le calcul des factures
présentées. La plupart sont dotées d’outils de suivi, dont elles se sont
efforcées d’améliorer les performances au cours des années. On peut
regretter
cependant,
de
façon
générale,
l’absence
de
données
économiques sur la politique tarifaire des compagnies.
d)
Le cas particulier de la Polynésie française
Mis en place dès le 1
er
mai 2004, le dispositif, financé
exclusivement par une dotation annuelle de l’Etat d’environ 500 MF CFP
(4 190 000 €), a permis à quelque 5 000 résidents par an de voyager, pour
presque la moitié d’entre eux dans le cadre de déplacements
« associatifs ». Ces résultats sont très éloignés, non seulement des
objectifs du dispositif national, mais aussi des attentes exprimées lors de
la mise en place du régime d’aide qui ambitionnait de faire bénéficier
annuellement
15 000
résidents
d’une
aide
individuelle
de
30 000 F CFP (251,40 €).
Le dispositif initial s’est très rapidement écarté des motivations
exprimées par l’Etat, l’aide à orientation sociale étant devenue, « à titre
dérogatoire », une aide à vocation quasi universelle. Elle a bénéficié
notamment à des personnes se déplaçant à l’occasion de voyages
collectifs à des fins éducatives, culturelles ou sportives, sans conditions
de ressources. Parallèlement, le montant des aides est devenu plus
attractif,
les
déplacements
organisés
par
une
association
étant
subventionnés à hauteur de 90 % du prix du billet.
L’effet combiné de ces mesures a conduit à un épuisement rapide
de l’enveloppe financière affectée au dispositif et à l’abandon des
objectifs quantitatifs et qualitatifs qui lui étaient initialement assignés.
Ces difficultés ont abouti à trois reprises en deux ans à une décision de
LA DOTATION DE CONTINUITÉ TERRITORIALE AÉRIENNE
AVEC L’OUTRE-MER
331
suspension temporaire du service, la dotation de l’Etat ne suffisant plus
au financement du dispositif.
L’élargissement
des
publics
bénéficiaires
a
entraîné
un
fonctionnement erratique du régime d’aide, qui a parfois favorisé les
effets d’aubaine et les abus. Ainsi en a-t-il été :
•
des demandes émanant d’associations sans exiger une durée de
vie associative minimale, situation qui s’est traduite par une
hausse significative des créations d’associations de circonstance ;
•
des aides accordées dans une précipitation injustifiée (par
exemple pour la participation à l’animation de l’opération « Paris
Plage ») ;
•
des abus manifestes quant aux bénéficiaires (exemple d’agents
publics de haut niveau bénéficiant des aides par l’intermédiaire
d’associations).
Enfin, bien que la réglementation ait limité l’aide au passage à une
seule prise en charge par an, plus de 80 personnes ont bénéficié de deux
passages par an : une première fois en qualité de membre d’une
association, une
seconde à titre individuel (ou vice versa).
Fort opportunément, afin que cessent les effets d’aubaine et
certaines situations jugées « scandaleusement abusives » par le Président
de la collectivité lui-même, dans sa réponse aux observations provisoires
de la Chambre régionale, les autorités polynésiennes ont réagi.
L’encadrement réglementaire et la gestion des demandes d’aide
ont cependant été substantiellement modifiés, le 15 mai 2007, par
l’adoption de mesures qui vont dans le sens des recommandations de la
Cour : aide personnelle, réduction de la prise en charge, meilleur tarif et
diffusion plus équitable de l’aide au voyage. En outre, l’annonce de
l’engagement imminent de discussions avec les compagnies aériennes,
portant notamment sur la tarification, contribue, dans l’état actuel d’un
financement limité à la dotation de l’Etat, à replacer la question du prix
du billet au centre des contraintes de gestion du dispositif.
B - Le refus de la participation au financement du
dispositif
A ce jour, soit quatre ans après l’instauration du dispositif, aucune
collectivité d’outre-mer n’a décidé de participer financièrement à cette
politique publique.
332
COUR DES COMPTES
Seule la collectivité de Saint-Pierre et Miquelon a abondé la
dotation de l’Etat (à hauteur de 12 446 € en 2006). Elle a toutefois
souligné le caractère exceptionnel de cette opération destinée à éviter la
fermeture du guichet. Mais cela n’empêche pas certaines collectivités
d’omettre, à l’exemple de la Nouvelle Calédonie et de la Martinique, dans
leur publicité sur le dispositif d’aide, de mentionner qu’il s’agit d’un
financement de l’Etat.
Au surplus, en dépit des efforts de l’Etat pour les impliquer, rien
n’indique à ce jour une évolution de la position des collectivités dans le
sens d’une participation de leur part au dispositif de continuité territoriale.
III
-
Une évaluation embryonnaire par l’Etat
S’agissant d’une subvention publique, il appartient à l’Etat
d’évaluer la politique mise en place.
A cet effet, le décret susvisé du 30 janvier 2004 prévoit la
transmission au ministère de l’outre-mer, via le représentant de l’Etat, de
comptes rendus semestriels et de bilans annuels.
En dépit des efforts du ministère, les bilans annuels transmis par
les collectivités n’ont pas encore atteint le degré de précision propre à
permettre le suivi efficace par l’Etat de la mise en oeuvre des différents
régimes d’aide par les collectivités.
A titre d’exemple, le choix des critères et, secondairement, la durée
de validité des bons de réduction sont des facteurs qui influent sur la
consommation de la dotation, mais les données collectées par le ministère
sont incomplètes pour apprécier l’origine de la forte progression des bons
non utilisés en 2006.
En outre l’observatoire de la desserte aérienne pour les
départements d’outre-mer n’a pas rempli son rôle en matière de tarifs
aériens. Il n’a pas été en mesure de fournir des données à jour et fiables
permettant de nourrir une analyse économique propre à définir une
meilleure politique en matière de fixation des prix des passages aériens
entre l’outre-mer et la métropole.
A cet égard, dès lors que le choix serait fait de maintenir le
dispositif actuel, les efforts engagés par le ministère de l’outre-mer
doivent être poursuivis et les représentants de l’Etat invités à s’impliquer
davantage dans l’évaluation de l’utilisation des crédits, implication
d’autant plus fondée que la responsabilité qu’ils exercent dans le domaine
de la gestion des crédits délégués leur donne la possibilité de surseoir au
versement des crédits en cas de comptes rendus insuffisants.
LA DOTATION DE CONTINUITÉ TERRITORIALE AÉRIENNE
AVEC L’OUTRE-MER
333
______________________
CONCLUSION
_____________________
Après quatre années de mise en oeuvre, la politique de continuité
territoriale aérienne avec l’outre-mer est globalement un échec par
rapport aux objectifs fixés par le législateur.
La masse critique d’un financement associant l’Etat, les
collectivités territoriales d’outre-mer et l’Europe est loin d’avoir été
atteinte, si bien que la seule dotation de l’Etat n’a pas permis de servir à
toute la population concernée une aide significative.
Laissant aux collectivités bénéficiaires de la dotation le soin de
fixer elles-mêmes les critères d’attribution, il est résulté du dispositif une
situation confuse, des disparités selon les territoires et des effets
d’aubaine, propices à un usage détourné de ces concours financiers
publics.
Enfin l’Etat n’a pas mis en place un système d’évaluation fiable et
cohérent des effets de cette politique, se bornant à recevoir des
collectivités d’outre-mer des bilans eux-mêmes lacunaires et tardifs. A
l’évidence, la question de la poursuite
de cette
politique doit être
posée
car elle ne répond ni aux attentes des populations concernées, ni aux
ambitions du législateur.
334
COUR DES COMPTES
ANNEXE
2006
Barème
Collectivités
Catégories de
passagers
Montant de l’aide en
€
Montant
moyen
% du
prix
du billet
Majoration de
barème
12-30 ans
150 €
adulte
150 €
formation
examen
200 €
<12 ans
100 €
Guadeloupe
soumis à
condition de
ressources
sauf moins de 12
ans
revenus
modestes
200 €
168€
personnes non
imposables
étudiants (1)
Martinique
associations
217€
50%
26-60 ans non
imposables
30%
(<300 €)
autre âge, non
imposable
50%
(<500€)
évènement ou
handicap
50 %
100%
La Réunion
mobilité
éducative (2)
337€
100%
LA DOTATION DE CONTINUITÉ TERRITORIALE AÉRIENNE
AVEC L’OUTRE-MER
335
Mayotte
personnes à
ressources
modestes et leurs
ayants droit (3)
650€
10 à
80%
100%
adultes
St Pierre
260€
- 12
ans
Miquelon
290€
adultes
St Pierre
200€
St Pierre et
Miquelon
ensemble des
passagers
- 12
ans
Miquelon
220€
253€
enfant ayant droit
de 2 à 12 ans
293,30€
adultes et enfants
plus de 12 ans
502,80€
Nouvelle
Calédonie
personnes à
ressources
modestes et leurs
ayants droit d’au
moins 2 ans (4)
adultes non à
charge de 18 à 27
ans
838,00€
492€
Doublement
pour
personne
accompagnant
un malade
> 12 ans et adultes
670,40€
1378€
personnes à
ressources
modestes et ayants
droit > 2 ans (5)
enfants (2 à 12
ans)
502,80€
Polynésie
française
passagers « motifs
spéciaux » (6)
90%
Wallis et
Futuna
ensemble des
passagers
631€
30%
50%
Source Medetom
(1)
étendu aux scolaires, collégien, lycéens – passage au taux d’aide de 50% en octobre 2006
(2)
lycéens, étudiants et autres demandeurs de formation
(3)
taux fonction du quotient familial et pour des billets limités à 1200€ ; un quota de billets
réservé de 40% pour les domaines thématiques, jusqu’à fin septembre
(4)
dont l’impôt sur le revenu est inférieur à 2514€
(5)
dont les ressources mensuelles sont inférieures à 3xSMIG (personne seule) ou 4xSMIG
(couple)
(6)
étudiants, groupes associatifs, évasan (évacués sanitaires)
336
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DU MINISTRE D’ÉTAT, MINISTRE DE L’ÉCOLOGIE,
DU DÉVELOPPEMENT ET DE L’AMÉNAGEMENT DURABLES
L’insertion de la Cour des comptes sur « la dotation de continuité
territoriale aérienne avec l'outre-mer »
appelle de ma part les éléments de
réponse suivants.
1. S’agissant de l’absence de financements complémentaires
La Cour estime que l’absence de financements complétant la dotation
versée par l’Etat a pour conséquence « la remise en cause de l’économie du
dispositif lui-même, dès lors que l’effet de seuil escompté n’est pas atteint
pour répondre au public ciblé » et le fait que « à l’évidence, la question de la
poursuite de cette politique doit être posée car elle ne répond ni aux attentes
de la population concernée ni aux ambitions du législateur ». Cette analyse
me semble devoir être nuancée.
La dotation de continuité territoriale permet aux collectivités
d’accorder des aides de nature sociale à leurs résidents. La notion de masse
critique ou de seuil de financement n’est guère pertinente, s’agissant d’un
dispositif d’aides individuelles. La politique des collectivités d’outre-mer
aurait pu être critiquée si elles avaient choisi un saupoudrage des aides en
aidant d’un faible montant un grand nombre de bénéficiaires. Or la majorité
des collectivités a choisi d’accorder des aides d’un montant significatif par
rapport au prix du billet, en ciblant précisément les catégories de voyageurs
dont la mobilité est la plus entravée par le coût du transport.
Il est difficile de remettre en cause les aides qui sont aujourd’hui
accordées à certaines catégories de résidents d’outre-mer au motif que
d’autres catégories de résidents ne peuvent y avoir accès en l’absence de
financements complémentaires, dès lors que les critères d’éligibilité sont
recevables. En l’occurrence, la plupart des collectivités ont défini l’éligibilité
en fonction de seuils de ressources ou du motif du déplacement
(accompagnement d’évacuation sanitaire, prise d’emploi ou passage
d’examen…). Ces critères de sélection ne paraissent pas discriminatoires. Ils
correspondent aux personnes qui rencontrent le plus de difficultés
financières ou celles contraintes, par le caractère imprévisible de leur
déplacement, d’acheter des billets à un tarif élevé.
La Cour met l’accent sur l’absence de mise en oeuvre dans la région
Guyane, laquelle refuse le bénéfice du dispositif en invoquant l’impossibilité
de définir des critères objectifs et non discriminatoires entre les résidents.
Toutefois, l’exemple des huit autres collectivités montre qu’il est possible de
définir de tels critères. En outre, la Cour regrette l’ouverture par la loi du
21 février 2007 du bénéfice des aides aux ultramarins résidant en métropole,
qui lui paraît éloigner le dispositif de ses objectifs initiaux ; le souhait de la
région Guyane de pouvoir aider les déplacements à l’intérieur de son
LA DOTATION DE CONTINUITÉ TERRITORIALE AÉRIENNE
AVEC L’OUTRE-MER
337
territoire au moyen de la dotation de continuité territoriale pourrait appeler
la même critique. Il convient à cet égard de rappeler que l’Etat participe
d’ores et déjà au financement des liaisons aériennes de service public
intérieures à la Guyane, pour un montant annuel de l’ordre de 1,5 M€.
2. S’agissant de la hausse des tarifs
Les taux de la taxe d’aéroport ne sont pas plus élevés dans les
aéroports d’outre-mer que dans les aéroports de métropole comparables. Les
aéroports d’outre-mer, comme la majorité des aéroports de métropole,
relèvent tous de la classe des aéroports dont le trafic est compris entre 5 000
et 4 000 000 de passagers pour lesquels le plafond de la taxe est fixé à 11 €.
Le taux de la taxe est fixé à ce plafond pour 80 % des aéroports de cette
classe.
Si le produit de la taxe d’aéroport a augmenté sur les aéroports
d’outre-mer de 18 % en 2006 par rapport à 2005, c’est en raison de
l’extension, le 1
er
juillet 2006, des dispositions relatives à la taxe d’aéroport
aux aéroports d’Etat de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française.
A périmètre constant, compte tenu du plafonnement des taux, l’augmentation
des prélèvements sur les aéroports d’outre-mer est du même ordre de
grandeur que sur les petits et moyens aéroports de métropole.
La Cour se demande si une part significative de l’aide à la personne
liée à la dotation de continuité territoriale n’a pas pour seul effet de
compenser l’augmentation de l’ensemble des charges pesant sur le transport
aérien. Cette question pourrait effectivement se poser si des aides peu élevées
étaient octroyées à une très large partie des résidents de l’outre-mer. Le
choix des collectivités territoriales d’attribuer des aides d’un montant
significatif sur la base de critères sélectifs permet d’apporter une réponse
négative à cette question.
3. S’agissant de la diversité des régimes d’aides
La Cour porte une appréciation négative sur la diversité des
modalités d’attribution des aides de continuité territoriale selon les
collectivités concernées, qualifiant cette situation de disparate et confuse.
Chacune des collectivités d’outre-mer a ses spécificités, y compris en
matière de desserte aérienne. A titre d’exemple, les problématiques de
transport aérien sont radicalement différentes entre Saint-Pierre-et-
Miquelon, reliée à la métropole via une escale au Canada par un appareil à
hélices de 50 places, et les Antilles, reliées à Paris par plusieurs vols directs
transportant chaque jour un nombre important de passagers.
La situation de chaque collectivité appelle donc une réponse
spécifique et c’est pourquoi il est apparu légitime de confier aux collectivités
concernées la responsabilité de retenir les critères les plus pertinents en
fonction des besoins de leur population, sous le contrôle de l’Etat pour ce qui
concerne la compatibilité avec l’encadrement communautaire des aides
d’Etat, là où il est applicable.
338
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DU MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS
ET DE LA FONCTION PUBLIQUE
Le rapport estime non atteints les objectifs assignés par le législateur
à la politique de continuité territoriale aérienne avec l’outre-mer. La
précarité du montage financier d’une part, et l’absence de réel pilotage
d’autre part, restreindraient en effet la capacité de la seule dotation de
continuité territoriale à satisfaire les ambitions initiales, s’agissant
notamment du nombre de passagers aidés.
L’architecture qui a présidé à l’instauration de la politique de
continuité territoriale aérienne reposait en effet sur un investissement
significatif des partenaires locaux, à due concurrence de celui de l’Etat. Ce
partenariat entre l’Etat et les collectivités, financier tout d’abord, devrait
permettre de mobiliser les fonds nécessaires à la prise en charge d’un
nombre important de voyageurs. Cette coopération imposait alors de définir
les modalités de coordination et de pilotage de cette politique.
Or l’absence de participation financière des collectivités depuis
l’instauration du dispositif d’une part, et le caractère partiels des restitutions
d’informations transmises à l’Etat d’autre par, ont fragilisé cette
architecture, sans que les objectifs soient infléchis. En dépit de certaines
améliorations récentes, la mise en oeuvre des actions en faveur de la
continuité territoriale reste peu suivie. L’avenir de ce dispositif est donc
étroitement dépendant de la capacité de chacun des acteurs à respecter
l’architecture originelle, ce qui nécessite notamment, une participation
financière des collectivités territoriales.
Un des enjeux réside également dans le renforcement de l’évaluation
du dispositif. L’annexe relative à la continuité territoriale du document de
politique transversale « Outre-mer », réalisée dans le cadre du projet de loi
de finances pour 2008, marque un premier pas dans cette direction.
Soucieux de sensibiliser les collectivités au développement du suivi
des actions entreprises, l’Etat a décidé, pour l’année 2007, de lier
explicitement le versement de la dotation à l’amélioration des informations
transmises par les collectivités. L’article 3 de l’arrêté du 16 janvier 2007
fixant pour l’année 2007 la répartition de la dotation la répartition de la
dotation de continuité territoriale dispose ainsi que la dotation est désormais
versée en plusieurs tranches, sur la base des comptes rendus et bilans
transmis. La participation effective de l’Etat sera donc déterminée par le
montant des dépenses réelles effectuées et explicitées par les collectivités,
dans la limite du montant des crédits fixés par l’arrêté mentionné ci-dessus.
Enfin, la réflexion conduite dans le cadre de la révision générale des
politiques publiques portant sur l’outre-mer s’attachera à remettre en
perspective les finalités de la politique de continuité territoriale et en
conséquence, les modalités pratiques de sa mise en oeuvre.
LA DOTATION DE CONTINUITÉ TERRITORIALE AÉRIENNE
AVEC L’OUTRE-MER
339
RÉPONSE DU SECRÉTAIRE D’ÉTAT CHARGÉ DE L’OUTRE MER
Vous avez bien voulu me transmettre l'insertion sur la dotation de
continuité territoriale aérienne avec l'outre-mer, dotation qui a été mise en
place par l'article 60 de la loi programme pour l'outre-mer n° 2003-660 du
21 juillet 2003.
Le dispositif législatif de la dotation de continuité territoriale a été
mis en place en 2004 et a fait l'objet d'un premier rapport de votre juridiction
fm 2005. Les orientations formulées, l'analyse de la gestion des régimes
d'aide mais aussi l'initiative parlementaire ont conduit à des évolutions
récentes.
Ainsi, l'article 122 de la loi de finances pour 2007 a introduit le
principe du reversement sur le passeport mobilité des sommes non engagées
en fm d'exercice et, par la loi n° 2007-224 du 21 février 2007, la possibilité a
été donnée aux collectivités d'apporter une aide à des bénéficiaires non
résidents, dans des conditions très encadrées; cette loi permet également à
un département -de se substituer-à une région qui ne mettrait pas en place le
dispositif de continuité territoriale; elle clarifie enfin le principe d'une
dotation annuelle, dont les conditions de versement tiennent compte des
montants disponibles à la fm de l'exercice précédent dans les comptes de la
collectivité gestionnaire.
Le Gouvernement a pris toute la mesure des préconisations que votre
juridiction a formulées dans son rapport de 2005 et a déployé les efforts
nécessaires afin de s'assurer du bon usage et de la bonne gestion de cette
dotation.
En droit
Ceci s'est traduit en droit dans l'évolution législative rappelée ci-
dessus, et en particulier dans les conditions de versement à la collectivité, qui
sont clairement le fruit de cette volonté de maîtriser le régime d'aide; la
prolongation par voie réglementaire et de lettre circulaire des ajustements
apportés à ce dispositif n'a pas manqué de susciter, dans les collectivités, des
actions de recentrage sur les objectifs initiaux de la loi de programme pour
l'outre-mer de 2003.
Du point de vue réglementaire, l'arrêté du 16 janvier 2007 de
répartition de la dotation et pris en application du décret du 30 janvier 2004
a introduit une disposition encadrant le versement de la dotation à la
collectivité et les remontées d'informations sur la gestion aux préfets et
hauts-commissaires.
S'agissant des instructions adressées au niveau local sur les
conditions de la gestion, elles ont été données par le biais des remontées
statistiques semestrielles et du bilan annuel. En effet, compte tenu de ce que
340
COUR DES COMPTES
la loi de programme pour l'outre-mer a entendu donner aux collectivités la
responsabilité de déterminer les conditions de l'aide au passage aérien
financée par la dotation de continuité territoriale, une circulaire adressée
aux collectivités mêmes aurait empiété sur leur compétence, garantie par le
principe de libre administration. Aussi, la lettre circulaire aux préfets et
hauts-commissaires du 20 mars 2007 a permis d'apporter aux collectivités,
au travers des informations demandées par les représentants de l'Etat, les
orientations décidées par le Gouvernement, et de suivre au plus près les
dépenses et les reliquats.
En fait
Cette action sur le plan du droit s'est accompagnée de mesures
concrètes du secrétariat d'Etat chargé de l'outre-mer destinées à garder la
maîtrise de l'utilisation de cette aide, comme ceci a été le cas envers la
région de l'Ile de la Réunion, où le préfet a suspendu les versements dans
l'attente de la production par la collectivité des pièces justificatives de son
utilisation.
Vous rappelez le défaut de contrôle interne et les irrégularités
constatées dans la gestion de la dotation de continuité territoriale par la
collectivité de Polynésie française. S'agissant là, effectivement, d'une
utilisation de l'aide non conforme à son objet, les versements des crédits à la
collectivité ont été suspendus, et le hautcommissaire a confié au trésorier-
payeur général la réalisation d'une mission d'audit comptable du dispositif
de continuité territoriale.
Les objectifs maintenus: aider dans l'équité
L'instauration de la dotation de continuité territoriale par la loi du
21 juillet 2003 répondait à la volonté de favoriser le passage des ultra-
marins vers la métropole, tout en respectant le principe de l'équité.
Du point de vue de l'atteinte de l'objectif, l'avis de la Cour demande à
être tempéré. Car si, dans l'esprit de la loi de 2003, la dotation de continuité
territoriale se concevait comme une aide conjointe de l'Etat et des
collectivités d'outre-mer et de la Communauté européenne, le défaut de
contribution de ces deux derniers acteurs n'en a pas pour autant réduit
l'efficience du dispositif. Les bénéficiaires de la dotation reçoivent en effet
une aide substantielle pour le financement de leur passage aérien,
majoritairement située entre 30 % et 50 % du prix du billet. Ce résultat a pu
être obtenu par le resserrement du champ des bénéficiaires, sous l'effet des
critères d'attribution. Une limitation admise par tous consiste à n'offrir
qu'une aide par an.
L'aide au passage aérien est une nécessité alors même que le
transport aérien s'est démocratisé et est devenu incontournable sur ces
distances. Si l'on devait y mettre fin, ce serait avant tout les citoyens
ultramarins les plus défavorisés qui en subiraient les conséquences. La
LA DOTATION DE CONTINUITÉ TERRITORIALE AÉRIENNE
AVEC L’OUTRE-MER
341
dotation de continuité territoriale représente donc un moyen d'assurer
l'équité au sein de la société. Le renchérissement du transport aérien depuis
lors, en raison notamment de l'élévation du prix des carburants, souligne
d'autant plus la pertinence de l'aide aux usagers de ce mode de transport.
Dotation de continuité territoriale et coût du transport aérien
La Cour fait un lien entre la mise en place de la dotation de continuité
territoriale et la hausse des tarifs du transport aérien, notamment la hausse
des taxes et redevances.
Du simple point de vue des taxes et redevances, il est important de
souligner que la hausse tarifaire s'inscrit dans un contexte de plus grande
exigence en termes de sûreté et de respect environnemental, avec notamment
l'extension prochaine à l'aviation du système européen d'échange de droits
d'émission de gaz à effet de serre. Toutefois, on constate que l'augmentation
des taxes et redevances a été contenue: en moyenne sur les cinq dernières
années et sur les aéroports de Fort-deFrance, Pointe-à-Pitre, Cayenne et
Saint-Denis, cette augmentation se situe à 3,7 % par an, loin du chiffre de
20 % représentant un pic momentané sur la seule taxe d'aéroport. Il convient
également de préciser que la taxe d'aéroport est reversée aux gestionnaires
d'aéroport et ne constitue pas une ressource pour l'Etat. Il apparaît donc que
la dotation de continuité territoriale est motivée par la nécessité de réduire la
cherté du transport sur ces liaisons et non pas par la volonté de corriger la
hausse intervenue sur le montant des taxes.
Le Gouvernement est conscient des difficultés inhérentes à ce type de
système d'aide au passage aérien et poursuit la réflexion sur les moyens de
les résoudre. A ce jour, une profonde évolution est en projet, prévoyant une
fusion des deux systèmes existants, la dotation de continuité territoriale et le
passeport mobilité, en observant les conclusions que votre juridiction a
émises lors de son premier rapport de décembre 2005 ainsi que celles que
vous avez bien voulu me transmettre dans votre dernier courrier.
342
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DU PRÉSIDENT DU CONSEIL RÉGIONAL
DE LA RÉUNION
Cette insertion fait, sans en expliciter les motifs, le double constat
pour la Réunion :
- d’une mise en place tardive du régime d’aide de continuité
territoriale conduisant à des lenteurs dans l’utilisation des crédits délégués ;
- et du refus de la collectivité régionale de participer financièrement à
cette politique publique.
Concernant les raisons motivant l’application tardive du dispositif de
continuité territoriale, je souhaite vous apporter les éléments de réponse
ci-après.
1) Dès l’examen de la loi-programme du 21 juillet 2003, la Région a
affiché une position critique sur l’inégalité de traitement entre les
départements et collectivités d’outre-mer et la Corse en matière de
Continuité Territoriale.
La Région par une motion votée à l’unanimité lors de son assemblée
plénière du 23 octobre 2003 a demandé au gouvernement « d’attribuer aux
ressortissants de l’outre-mer une dotation de continuité territoriale évaluée
sur la base de celle attribuée aux ressortissants de la région Corse et dans
l’esprit de ce qui prévaut pour les Régions Ultrapériphériques espagnole et
portugaises ».
Cette motion établit ainsi le constat que la dotation par habitant est
évaluée à 11,5 € à la Réunion contre plus de 616 € par habitant en Corse.
Elle conclue que le dispositif institué pour l’Outre-Mer, tant par ses
modalités que par la modestie des moyens financiers mobilisés, est en
contradiction avec le principe proclamé de la Continuité Territoriale et
s’apparente à un dispositif de plus d’aide à la mobilité.
2) Malgré cela, la Collectivité s’est impliquée activement aux côtés de
l’Etat pour la création du dispositif.
Compte tenu du risque de superposition des aides à la mobilité à la
Réunion pouvant conduire à une double prise en charge, il était essentiel
d’engager une réflexion partenariale en amont de toute intervention.
Ainsi, au cours du premier semestre 2004, de nombreux échanges ont
eu lieu avec la préfecture, les organismes et les collectivités concernées par
des dispositifs d’aides à la mobilité. Ces discussions ont conduit à une
délibération de l’Assemblée Plénière du Conseil régional en date du 29 juin
2004 définissant les critères d’intervention du dispositif.
Par la suite, la Préfecture en date du 5 août 2004 a souhaité obtenir
des précisions sur le dispositif, notamment sur les modalités de gestion.
LA DOTATION DE CONTINUITÉ TERRITORIALE AÉRIENNE
AVEC L’OUTRE-MER
343
Ces précisions ont été apportées par la délibération de la Commission
permanente du 14 septembre 2004 mettant en oeuvre les principes de
continuité territoriale définis lors de l’Assemblée Plénière du 29 juin 2004.
Cette délibération a été transmise au ministère de l’Outre-Mer et à la
Préfecture le 21 septembre 2004 en vue de la notification du régime d’aide
auprès de la Commission Européenne.
3) La procédure de notification s’est avérée être une procédure
longue de 9 mois.
Rappelons à cet égard que la notification en l’espèce est adressée à la
préfecture pour transmission au ministère des Transports, lequel vérifie la
conformité du dispositif (en l’espèce un régime d’aide à caractère social)
avec les règles nationales avant de l’adresser à l’Union Européenne
(services de la commission) via le représentant permanent de la France à
Bruxelles. Ce dernier effectue alors les démarches nécessaires auprès de la
Commission Européenne qui a deux mois pour répondre et ce délai est
suspendu jusqu’à obtention des informations réclamées par l’UE.
Ainsi, le représentant de la France a déposé auprès de la Commission
Européenne le dossier de notification du régime d’aide le 9 novembre 2004.
Le 9 février 2005, soit trois mois plus tard, la Commission
Européenne accuse réception du dossier de notification et demande des
informations complémentaires relayées par le ministère français des
transports le 17 février 2005.
Le 26 mai 2005 soit presque deux mois plus tard, le représentant de la
France transmet ses réponses aux instances Européennes.
Au vu des retards pris dans cette procédure de notification qui ne lui
incombent pas par ailleurs, la Région a décidé de démarrer le dispositif le
1
er
juillet 2005, alors que l’agrément du régime d’aide par la Commission
européenne n’est intervenu que le 20 juillet 2005.
Il en découle que la mise en oeuvre du dispositif dès l’année 2004
était illusoire, et que cet aspect ne pouvait pas être ignoré par les ministères
concernés.
4) Aspects financiers
S’agissant de la participation financière de la Région à la politique
publique de continuité territoriale, il convient de rappeler que la mise en
oeuvre de ce principe relève d’une initiative de l’Etat, confiée à la Région
dans le cadre de dotations allouées à cet effet.
L’extrait du rapport de la Cour des Comptes relatif à la gestion de la
Continuité Territoriale par la Région Réunion, se basant sur des données
anciennes, fait également état de retard dans la mise en oeuvre de ce
344
COUR DES COMPTES
dispositif qui se traduit par un taux de consommation de crédits le plus faible
des collectivités bénéficiaires.
Ce constat est toutefois réducteur car après deux adaptations du
régime d’aide, le dispositif de Continuité Territoriale a atteint son rythme de
croisière en 2007.
Malgré les bilans transmis au représentant de l’Etat depuis le
18 février 2007 et le volume de financement justifié d’un montant total de
24 012 239 €
, l’Etat n’a pas versé à ce jour le solde de la dotation 2007 d’un
montant de
3 329 204 €
.
De même, l’Etat reste redevable du solde des dotations des années
2005 et 2006 non perçues à ce jour pour un montant global de
9 714 263 €.
A cet égard, la Région a adressé le 3 septembre 2007 un recours
gracieux à Monsieur le Préfet de La Réunion pour le versement de ces
reliquats. Aucune réponse n’a été communiquée à la Région à ce jour.
Par conséquent, la collectivité régionale mettra en oeuvre un recours
en contentieux afin de recouvrer les sommes dues.
Aussi, étant donné que les engagements financiers de l’Etat au titre
des années 2005 à 2007 ne sont pas respectés et que les moyens alloués ne
sont pas mis en adéquation avec les besoins exprimés par la population,
traduisant une grosse demande sociale, la Région a été contrainte de
suspendre l’instruction des demandes d’aides depuis le 4 septembre 2007, et
s’interroge sur la poursuite du dispositif en l’absence d’éléments nouveaux.
D’ailleurs, une position similaire semble avoir été prise par la Région
Martinique qui vient d’arrêter le dispositif.
En conclusion, consciente de l’enjeu d’un tel outil de désenclavement
et d’ouverture, la Région Réunion souhaite que l’Etat prenne toute sa
mesure, et mobilise des moyens à la hauteur des attentes de la population
réunionnaise.
LA DOTATION DE CONTINUITÉ TERRITORIALE AÉRIENNE
AVEC L’OUTRE-MER
345
RÉPONSE DE L’ADMINISTRATEUR SUPÉRIEUR DU TERRITOIRE
DES ÎLES DE WALLIS-ET-FUTUNA
Rendu opérationnel au mois de juillet 2004 à Wallis et Futuna, le
versement tardif des crédits prévus, conjugué avec une connaissance
insuffisante du dispositif par le public, a conduit à des reports de crédits sur
2005 et 2006.
Le nombre de bénéficiaires n’a cessé d’augmenter depuis 2004 avec
pour conséquence un taux de consommation des crédits avoisinant 100 % à
la fin de l’année 2006 puisque seulement 1 503 € ont été reportés sur 2007.
L’ouverture du régime à tous les résidents sans prise en compte des
critères sociaux comme à Saint-Pierre et Miquelon, conjuguée avec une
tarification aérienne la plus élevée dans toutes les collectivités d’outre-mer et
une hausse importante des demandeurs, a nécessité la participation
financière du Territoire au budget supplémentaire 2007 à hauteur de
83 800 €. Cette situation va perdurer en 2008 et le Territoire sera
inévitablement amené à revoir les critères d’attribution de l’aide au passage
aérien compte tenu des moyens financiers dont il dispose, sauf si l’Etat venait
à revoir sa contribution à la hausse.
La participation financière du Territoire s’inscrit donc parfaitement
dans l’esprit d’origine lors de la mise en place du dispositif où il a été prévu
une contribution financière tripartie : Union européenne / Etat / collectivités
outre-mer.
Au demeurant, l’Administration a prévu de présenter à la session
budgétaire de l’Assemblée territoriale au mois de décembre 2007 une
réforme du dispositif allant dans le sens de la prise en compte des conditions
sociales des demandeurs d’aide à la continuité territoriale. Par ailleurs,
l’ouverture du bénéfice de l’aide aux ultramarins résidant en métropole par
la loi n° 2007-224 du 21 février 2007 est intégré dans le projet de texte.
Les aides au développement agricole
_____________________
PRESENTATION
____________________
Le développement agricole, autrefois la « vulgarisation agricole »,
recouvre principalement des programmes de recherche appliquée à
l’agriculture ainsi que la diffusion des connaissances tirées de ces
recherches par des informations, des formations et des conseils donnés
aux agriculteurs. Il peut s’agir, par exemple, de déterminer les meilleures
pratiques de fertilisation ou d’irrigation selon les cultures, d’en informer
les agriculteurs par divers moyens (articles dans des revues, réunions…)
et de les aider individuellement à les mettre en oeuvre en leur donnant des
conseils adaptés aux caractéristiques de leur exploitation.
Le développement agricole mobilise environ 15 000 ingénieurs et
techniciens qui apportent leur concours à l'agriculture et qui peuvent
promouvoir des modèles de développement particuliers en insistant plus
ou moins, par exemple, sur l’augmentation des rendements ou la
préservation de l’environnement. L’orientation des programmes de
développement a ainsi toujours été un enjeu majeur pour l’Etat et les
syndicats d’exploitants agricoles.
Le développement agricole est assuré par de nombreux organismes
de nature variée qui bénéficient de ressources publiques de diverses
origines (subventions de l’Etat ou des collectivités territoriales, taxes
affectées…). Parmi ces organismes, figurent notamment les chambres
d’agriculture et les instituts techniques propres à chaque filière qui sont
les principaux bénéficiaires des « aides au développement agricole » de
l'Etat
dont le montant total est d’environ 100 M€ par an. Ces aides
étaient
naguère
gérées
par
une
association
nationale
pour
le
développement agricole (ANDA) regroupant l’Etat et les représentants de
la profession agricole. Dans son rapport public annuel publié en 2000, la
Cour avait vivement critiqué la gestion de cette association et reproché
au ministère de l'agriculture d’abandonner à la profession ses
prérogatives en matière de développement agricole.
348
COUR DES COMPTES
La distribution de ces aides a alors fait l’objet depuis 2001 de
plusieurs réformes successives. La Cour en présente ici le bilan et appelle
à
une
révision
plus
fondamentale
des
objectifs
des
aides
au
développement agricole et de l’organisation de leur distribution.
I
-
Les réformes accomplies
A - Une longue et difficile reprise en main par l’Etat
La
gestion
de
l'ANDA
était
marquée
par
de
nombreux
dysfonctionnements : reconduction automatique des aides aux mêmes
organismes ; financement d’activités étrangères au développement
agricole, notamment d’activités syndicales ; absence d’évaluation des
aides et de contrôle des actions subventionnées ; faible articulation entre
le développement, la recherche et l’enseignement etc. Ces critiques, faites
par la Cour en 2000, étaient encore valables en 2001.
L'Etat a fait à cette date deux premières réformes. Il
a d’abord
reconnu que le financement d’activités syndicales par l’ANDA (à hauteur
de 11 M€ dans son budget pour 2001) était contestable et une loi a
transféré la charge du financement des syndicats agricoles à son budget
général à partir de 2002.
Un décret d’octobre 2001 a ensuite institué de nouvelles
procédures, plus satisfaisantes, d’attribution des aides et de suivi des
conventions avec les bénéficiaires. Ces réformes ont suscité de très vives
oppositions
en 2001 et 2002
entre les représentants de l’Etat et ceux des
organismes membres du conseil de l’agriculture française
120
au sein
de
l’ANDA, paralysant le fonctionnement de l'association, ce qui a conduit
le ministre de l’agriculture à prononcer sa dissolution.
L’ANDA a été remplacée en 2003 par un établissement public,
l’agence de développement agricole et rural (ADAR). L’adjonction du
qualificatif « rural » à « développement agricole » est source de confusion
car il existe par ailleurs des aides au développement rural cofinancées par
l’Union européenne et le budget national et payées par le CNASEA. Pour
éviter cette confusion, l’expression « développement agricole » est
utilisée ici pour désigner le « développement agricole et rural » au sens du
texte créant l'établissement public.
120) FNSEA, CNJA, assemblée permanente des chambres d’agriculture et
confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricole ; la
FNSEA et les trois autres organismes sont très liés.
LES AIDES AU DÉVELOPPEMENT AGRICOLE
349
Les statuts de l’ADAR donnaient un pouvoir important à un
directeur désigné par l’Etat et la majorité du conseil d’administration aux
membres
du
conseil
de
l’agriculture
française.
Le
conseil
d’administration a freiné certaines réformes, comme la réorientation des
crédits de l’agence, et a voulu prendre lui-même des décisions
individuelles d’attribution de subventions. Il a ainsi remis en cause la liste
des lauréats d’un appel à projets dressé par un jury indépendant. Le
contrôleur d’Etat de l’ADAR ayant toutefois relevé que plusieurs
membres du conseil pouvaient être accusés de prise illégale d’intérêt, ces
décisions ont été rapportées. Constatant que leur pouvoir était ainsi limité,
les organisations professionnelles ont accepté que l’Etat prenne
directement en charge la gestion des aides au développement agricole.
Une nouvelle réforme est intervenue. L’ADAR a été supprimée et
remplacée en 2006 par un compte d’affectation spéciale « développement
agricole et rural » (CASDAR) géré par la direction générale de
l’enseignement et de la recherche (DGER) du ministère de l’agriculture,
les organisations professionnelles n’ayant plus, en droit, qu’un rôle
consultatif à travers une commission spécialisée du conseil supérieur
d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire. La
prépondérance des représentants de la profession au sein de cette
commission est toutefois regrettable. Des personnalités qualifiées plus
nombreuses en matière de recherche agronomique, de protection de
l’environnement ou de sécurité sanitaire, par exemple, pourraient
contribuer à éclairer les orientations de la politique de développement.
Les années 2002 et 2005 ont ainsi été marquées par des conflits qui
ont presque paralysé le fonctionnement de l’ANDA puis de l’ADAR et,
les réformes ayant été engagées dans la précipitation, les années 2003 et
2006 ont été consacrées à la mise en place de l’ADAR puis du CASDAR.
Le traitement des problèmes de fond relatifs aux orientations de la
politique du développement agricole a donc pris beaucoup de retard. Dès
la fin de 2002, la direction du budget et le comité permanent de
coordination des inspections du ministère de l’agriculture défendaient
pourtant un dispositif proche de celui finalement adopté en 2006 et
l’étape de l’ADAR aurait donc pu être évitée dans la succession des
réorganisations.
350
COUR DES COMPTES
B - Une gestion plus rigoureuse
1 -
Le financement des aides
L’ANDA était financée par l’affectation d’une dizaine de taxes
parafiscales sur les produits agricoles et, dans son rapport public de 2000,
la Cour avait critiqué la complexité et la fragilité juridique de ce dispositif
ainsi que les difficultés de recouvrement de ces taxes. Elle notait aussi
que ce mode de financement conduisait l’ANDA à répartir ses aides aux
instituts techniques dans une logique de « juste retour » des taxes payées
par chaque filière, indépendamment de toute considération d’efficacité.
La création de l’ADAR s’est accompagnée en 2003 d’une réforme
du financement des aides au développement agricole avec, conformément
aux recommandations de la Cour, le remplacement des taxes parafiscales
par une taxe unique sur le chiffre d’affaires des exploitations qui est
recouvrée par les services fiscaux.
2 -
Les budgets et comptes
L’examen des procédures budgétaires de l’ANDA en 2001 et 2002
a mis en évidence de graves errements. L’association avait ainsi pris
l’habitude d’exécuter ses budgets sans attendre l’approbation, nécessaire,
des ministres. Elle a payé des subventions à un institut technique sans que
son programme de développement ait été agréé, sans qu’une convention
ait été signée et alors même qu’un rapport de l’inspection générale des
finances avait relevé des irrégularités dans la gestion des actions de
développement de cet institut.
Les comptes 2001 et 2002 de l’ANDA présentaient une irrégularité
manifeste dans la mesure où ils ne tenaient aucun compte de
prélèvements de 11 et 58 M€ sur les réserves de l’ANDA votés en 2001
et 2002 par le Parlement. Les représentants de l’Etat à l’assemblée
générale de l’ANDA les ont cependant approuvés sur instruction des
ministres pour clore le dossier de l’ANDA sans nouveaux heurts avec la
profession.
La création de l’ADAR puis du CASDAR a permis d’adopter des
pratiques budgétaires et comptables plus satisfaisantes.
LES AIDES AU DÉVELOPPEMENT AGRICOLE
351
3 -
Le contrôle des subventions
Le contenu des conventions passées par l’ANDA avec les
bénéficiaires de ses subventions était insatisfaisant et le contrôle de leur
exécution était mal assuré. Le directeur de l’ADAR, désigné comme
liquidateur de l’ANDA, a ainsi refusé de payer 2,2 M€ sur les soldes des
conventions passées par l’ANDA, même si sa fermeté aurait pu être
encore plus grande.
Malgré quelques excès de formalisme
121
, les dispositions du décret
d’octobre 2001 permettaient d’améliorer le contrôle des aides
122
. Elles ont
été ensuite assez largement reprises dans les textes réglementaires qui ont
accompagné la création de l’ADAR puis du CASDAR et, sous les
réserves développées ci-dessous, le contrôle des aides au développement
est devenu nettement plus rigoureux.
II
-
La répartition des aides entre les bénéficiaires
A - Une logique générale d’abonnement aux aides
1 -
Les caractéristiques générales de la répartition des aides
La définition du développement donnée par la loi d’orientation
agricole de 1999 étant très large, il est nécessaire de définir des priorités
avant
d’attribuer
les
aides.
Les
programmes
de
développement
subventionnés doivent ainsi s’inscrire dans le cadre de contrats d’objectifs
passés par l’ADAR puis l’Etat avec l’assemblée permanente des
chambres d’agriculture et l’association de coordination des instituts
techniques lesquels doivent respecter des priorités nationales. Les contrats
d’objectifs et priorités nationales établis par l’ADAR ont été repris par la
DGER en 2006 mais, en raison des divergences entre l’Etat et la
profession, ces documents sont très généraux. Les orientations nationales
n’ont jamais été très contraignantes et la répartition des aides a toujours
été fondée, de fait, non sur la nature des projets, mais sur la reconduction
des subventions dans une logique de financement pérenne de structures.
121) Comme la décomposition des programmes en plusieurs actions requérant
chacune une convention spécifique.
122) Avec par exemple l’obligation de passer un contrat avec les sous-traitants.
352
COUR DES COMPTES
Ces aides sont attribuées à trois catégories de bénéficiaires : les
chambres d’agriculture, les instituts techniques, pour des montants
globalement égaux (40 M€ en 2006), et, plus secondairement (6 M€), les
divers « organismes nationaux à vocation agricole ».
La principale inflexion de ces dernières années réside dans une
décision prise par l’ADAR, à l’initiative de l’Etat, de consacrer une part
de son budget à des appels à projets. En 2004, l’Etat souhaitant porter
cette part à 30 % et la profession s’y opposant, le conseil d’administration
de l’ADAR l’a fixée à 10 % en 2005 et 20 % en 2006 dans sa délibération
sur les priorités du développement agricole. Cependant elle n’était encore
que de 10 % dans le budget du CASDAR pour 2006 (10 M€) et n'est que
de 12 % dans celui de 2008.
Si on neutralise la part consacrée aux appels à projets, la répartition
des aides entre les trois catégories de bénéficiaires et à l’intérieur de
chacune de ces catégories est quasiment la même en 2000 et en 2006. Les
variations notables ont surtout résulté du souci de répondre aux
sollicitations pressantes et peu justifiées de certaines filières au profit de
leur institut ou de relever la dotation des plus petits organismes, dans les
deux cas en invoquant les difficultés financières des bénéficiaires.
En 2006, 7 M€ ont certes été consacrés au financement des pôles
d’excellence rurale. Cette innovation est discutable, le financement de ces
pôles relevant
de la politique de développement rural avec laquelle la
confusion est ainsi entretenue. De plus, cette aide est exceptionnelle, car
elle a été attribuée par prélèvement sur le surplus des produits de
liquidation de l’ADAR.
2 -
Le cas particulier des organismes nationaux à vocation
agricole
Depuis l’époque de l’ANDA, des aides au développement agricole
sont attribuées à un même groupe « d’organismes nationaux à vocation
agricole »
dans des conditions dérogatoires aux procédures d’attribution
de ces aides. Contrairement aux instituts techniques et aux chambres
d’agriculture, leurs projets ne sont pas coordonnés par des contrats
d’objectifs passés avec leurs « têtes de réseau » et ne donnent pas lieu à
une expertise indépendante. Leurs actions sortent parfois du champ du
développement agricole (par exemple, aides attribuées pour améliorer la
gouvernance des coopératives agricoles, assurer des services de
remplacement ou faciliter l’installation des jeunes agriculteurs).
Outre la coopération agricole, ces organismes nationaux sont
depuis très longtemps constitués des mêmes huit associations ou
fédérations d’associations, dont trois ont les mêmes membres que le
LES AIDES AU DÉVELOPPEMENT AGRICOLE
353
conseil de l’agriculture française, alors même que d’autres structures
pourraient être aidées.
La Cour considère que les aides attribuées à ces organismes
devraient être beaucoup plus sélectives et reposer sur une expertise
indépendante de leurs projets. Elle prend acte de l’intention du ministre
d’étudier cette dernière recommandation.
B - Des aides particulières critiquables en 2006
1 -
Les appels à projets
Les dossiers des organismes répondant aux appels à projet sont
examinés par un jury indépendant qui propose au ministre de l’agriculture
une liste de lauréats. L’appellation « jury » est ambiguë dans la mesure où
cet organe n’est pas souverain. Sa composition est tenue secrète pour
éviter les pressions, ce qui est compréhensible, mais discutable sur le plan
des principes.
A la suite de l’appel à projets de 2006, le ministre de l’agriculture a
retenu 28 projets, pour un montant total de subventions de 9,6 M€, dont
trois ne figuraient pas sur la liste proposée par le jury. L’un d’eux était
certes le mieux classé par le jury parmi les candidats éliminés mais les
deux autres étaient beaucoup plus mal classés. De plus, ces trois projets
ont bénéficié d’une subvention de 1 M€ ce qui a entraîné une réduction de
plus de 5 % des subventions accordées aux autres lauréats pour respecter
la dotation budgétaire alors que le jury considérait qu’une réfaction de
plus de 3 % pourrait remettre en cause l’équilibre financier de leurs
projets.
2 -
Les subventions accordées aux syndicats
Si les syndicats d’exploitants reçoivent désormais, en fonction de
leurs résultats aux élections consulaires, des subventions inscrites au
budget de l’Etat (programme « gestion durable de l’agriculture »), ils
peuvent aussi recevoir des aides du CASDAR pour des projets de
développement.
C’est ainsi que le Centre National des Jeunes Agriculteurs a déposé
un dossier en réponse à l’appel à projets pour 2006, mais qu'il a été classé
au dernier rang par le jury. Le ministre de l’agriculture a néanmoins agréé
ce projet, en sus des trois autres évoqués ci-dessus, et lui a attribué une
subvention de 260 000 € par un arrêté spécifique du 11 décembre 2006,
en dehors de la procédure des appels à projets et sans autre avis technique
que celui, négatif, du jury de l’appel à projet.
354
COUR DES COMPTES
Ce projet, très imprécis selon ce jury, a pour objet de financer la
création d’un observatoire national de la création et de la transmission des
exploitations agricoles, ce qui devrait relever de la politique de
développement rural. De plus, si une base de données sur l’installation
des agriculteurs peut présenter en elle-même un intérêt, il n’est pas pour
autant souhaitable d’en confier la réalisation à une organisation syndicale,
surtout dans des conditions aussi peu transparentes.
III
-
L’efficacité de la politique de développement
agricole
A - Une politique mal évaluée
et des indices
d’inefficacité
L’efficacité des aides au
développement agricole
n’a jamais été
vraiment évaluée. Des instances d’évaluation ont été mises en place avec
la création de l’ADAR mais elles n’ont pas eu le temps de réaliser des
travaux approfondis. L’imprécision des objectifs visés à travers ces aides
est un obstacle à leur évaluation, de même que la très grande proximité
entre ces objectifs et ceux de la politique de
développement rural
qui
mobilise des moyens bien plus importants. Ces difficultés se reflètent
dans le choix des quatre indicateurs du programme « développement
agricole et rural » du budget de l’Etat : deux ne sont pas pertinents et
deux pourraient être fusionnés
123
. Sous ces réserves, les éléments
d’information disponibles permettent quelques constats.
Les enjeux du développement agricole ont beaucoup évolué. Les
préoccupations relatives à l’environnement, à la qualité des produits ou à
la sécurité sanitaire se sont ainsi ajoutées à l’amélioration des rendements.
Les organismes en charge du développement se sont mobilisés
tardivement et parfois avec réticence sur ces nouveaux enjeux. Les
conflits entre les membres de l’ANDA dans les années 2000 à 2002 ont
d’ailleurs souvent porté sur la prise en compte de ces nouvelles priorités
dans la distribution des aides au développement.
L’abandon par l’Etat de ses prérogatives en matière de définition
des objectifs du développement agricole jusqu’à 2001 a aussi eu pour
effet que le développement s’est éloigné de l’enseignement et de la
recherche. Le ministère de l’agriculture s’efforce depuis lors de les
rapprocher et des progrès importants ont été faits en ce sens, mais il
faudrait aller encore plus loin.
123) Leur révision a été annoncée par le ministre de l’agriculture à la Cour pour 2009.
LES AIDES AU DÉVELOPPEMENT AGRICOLE
355
Les aides au développement agricole sont attribuées surtout aux
chambres d’agriculture et aux instituts techniques qui sous-traitent
largement la réalisation de leurs programmes à d’autres structures. Le
champ des organismes intervenant dans le domaine du développement ne
s’arrête cependant pas là. Il y a depuis très longtemps un foisonnement
d’organismes faisant du développement agricole, en général avec des
ressources publiques
124
. Celles-ci sont d’origines multiples : aides au
développement agricole du CASDAR mais aussi subventions du
CNASEA (notamment aux ADASEA), taxes affectées aux chambres
d’agriculture, contributions volontaires obligatoires
125
prélevées au profit
des instituts techniques, subventions des offices et des collectivités
territoriales etc. Les risques d’incohérence des programmes ou de double
financement des mêmes projets ne sont pas négligeables.
L’ANDA avait été créée en 1966 dans le but de coordonner leurs
interventions, mais n’y est jamais vraiment parvenue. Finalement, les
agriculteurs peuvent se voir proposer sur les mêmes sujets des conseils
contradictoires de plusieurs organismes qui se font concurrence pour
obtenir des fonds publics.
B - De nouvelles réformes souhaitables
Dans le reste de l’Europe, le développement agricole est de plus en
plus souvent une activité privée et concurrentielle avec paiement par les
agriculteurs des conseils qui leur sont donnés. A défaut de suivre cette
voie qui a des avantages non négligeables, il conviendrait, comme y
invite le Conseil économique et social dans son avis du 14 février 2007,
de reposer la question des objectifs de cette politique et de l’organisation
et des moyens à mettre en place pour les atteindre.
La Cour s’interrogeait en 2000 sur « la légitimité de l’ANDA à
constituer un lieu de transit obligatoire de la totalité des fonds qui lui sont
actuellement affectés » et cette interrogation reste pertinente à l'égard du
CASDAR. La source de cette légitimité est parfois trouvée dans la
redistribution entre les instituts et entre les chambres opérée par un
système d’aides nationales. Il n’existe cependant aucune mesure de cette
redistribution pour les aides au développement agricole. Le schéma
suivant, dont l’impact sur la répartition des ressources entre régions et
filières reste à établir, pourrait en conséquence être envisagé :
124) Certaines de ces ressources proviennent des agriculteurs eux-mêmes comme la
taxe sur leur chiffre d’affaires qui alimente le CASDAR mais il s’agit bien de
prélèvements rendus obligatoires par l’Etat dans un but d’intérêt général, donc de
ressources publiques.
125) Voir le rapport public de la Cour de février 2007.
356
COUR DES COMPTES
−
l’Etat étant mal placé pour définir des politiques territoriales, les
subventions du CASDAR aux chambres d’agriculture pourraient
être remplacées par l’affectation directe à celles-ci du produit de la
taxe sur le chiffre d’affaires des exploitations dans leur région ;
−
la recherche appliquée à chaque filière relevant plutôt d’un
financement professionnel, les subventions du CASDAR aux
instituts pourraient être remplacées par des cotisations volontaires
obligatoires ;
−
les aides du CASDAR (ou d’un programme de la mission
agriculture) seraient alors recentrées sur des projets innovants, en
lien avec la recherche et l’enseignement ou dont les enjeux
dépassent le champ d’une région ou d’une filière
126
, sélectionnés sur
appel d’offres. Des aides pourraient être aussi apportées pour
faciliter une restructuration des organismes de développement.
L’évolution de la nomenclature budgétaire de l’Etat va dans ce sens.
Si le CASDAR était en 2006 une mission avec un seul programme, deux
programmes ont été distingués en 2007 : le premier regroupe les aides aux
chambres et instituts et le second les subventions attribuées dans le cadre
d’appels à projets.
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
Au bout de sept ans et après trois réformes, les recommandations
faites par la Cour en 2000 ont été pour la plupart suivies d’effet. L’Etat a
ainsi repris en main, malgré de nombreuses difficultés, la gestion des aides
au développement agricole et l’a nettement améliorée.
Toutefois, dans le cadre institutionnel actuel, des progrès sont
encore possibles. La Cour recommande en particulier de revoir la
répartition des aides et d’augmenter la part des subventions versées sur
appels à projets, au moins jusqu’à 20 %. Elle recommande aussi de
renforcer l’expertise technique dans les procédures de sélection des
dossiers et d’attribution des aides, notamment pour ce qui concerne les
« organismes nationaux à vocation agricole ».
La Cour considère en outre que, après avoir clairement distingué les
prestations qui relèvent de financements privés et publics, l’Etat doit
désormais se donner une véritable politique du développement agricole
avec des objectifs clairs, distincts de ceux des autres politiques agricoles, et
en évaluer les résultats. Cette politique ne sera vraisemblablement efficace
que s’il recentre ses interventions sur le soutien de projets que ni les
acteurs locaux ni les filières ne peuvent correctement prendre en charge.
126) Les subventions aux ONVA ne subsisteraient que si elles répondent à ces
conditions.
LES AIDES AU DÉVELOPPEMENT AGRICOLE
357
RÉPONSE DU MINISTRE DE L’AGRICULTURE ET DE LA PÊCHE
* Dans la partie « I – A – Une longue et difficile reprise en main par l’Etat »,
la Cour considère, à propos de la commission technique spécialisée pour le
développement agricole et rural, créée au sein du conseil supérieur
d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire, que
« la prépondérance des représentants de la profession au sein de cette
commission est toutefois regrettable ».
Sans écarter l’idée avancée par la Cour d’un élargissement de la
commission à des personnalités qualifiées, je considère particulièrement
nécessaires le dialogue, l’échange et la concertation avec l’ensemble des
familles du développement agricole représentées au sein de la commission.
Elle fait de ce dialogue un facteur-clef de la qualité des programmes et de
leurs capacités à orienter les pratiques dans un sens concret et opérationnel.
Il est à préciser en outre que la composition de la commission est
fixée par décret. Celle-ci, émanation directe du Conseil supérieur
d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire
(CSO), ne peut que rester proche du conseil dans sa composition.
* Dans la partie « II – A- 1 – Les caractéristiques générales de la répartition
des aides »,
la Cour fait état, pour la répartition des aides sur la période
2000 à 2006, de « sollicitations pressantes et peu justifiées de certaines
filières au profit de leur institut ».
Des actions de fond ont été engagées au cours de l’année 2006 sous la
forme d’actions d’accompagnement, pour mener des restructurations lourdes
au sein de plusieurs structures de développement. Peuvent être cités à cet
égard le regroupement de l’Institut technique de la vigne et du vin et
l’Etablissement national technique pour l’amélioration de la viticulture
(ENTAV) au sein du nouvel institut français de la vigne et du vin, ainsi que la
reprise d’une partie des activités du centre technique de la salaison, de la
charcuterie et des conserves de viande (CTSCCV) par l’Institut technique du
porc (ITP), pour constituer à cette occasion l‘Institut de la filière du porc
(IFIP) qui prend en charge l’ensemble des actions de recherche de la filière.
Par ailleurs, des menaces de crises sanitaires ont amené à financer en
2006 des actions complémentaires, notamment en direction de l’Institut
technique de l’aviculture (ITAVI)
* Dans la partie « II- B- 1 – Les appels à projets »,
la Cour souligne que le
« le jury considérait qu’une réfaction de plus de 3 % (dans les demandes de
financement) pourrait remettre en cause l’équilibre financier de leurs
projets ».
358
COUR DES COMPTES
Le jury, composé d’experts scientifiques et techniques, n’a pas pour
objet de fournir à l’administration des avis d’ordre économique et financier.
Ces aspects du traitement des dossiers de candidature relèvent en effet
directement des services de la direction générale de l’enseignement et de la
recherche (DGER) du ministère, au titre de sa mission de gestion
administrative
et
financière
des
programmes
éligibles
au
compte
d’affectation spéciale « développement agricole et rural ».
Par ailleurs, il est de pratique courante dans les appels à projets sur
des activités de recherche et de développement, de revoir à la baisse les
demandes financières des porteurs de projet. Ainsi, l’agence nationale de la
recherche ou l’Union européenne opèrent-elles assez couramment des
réfactions de l’ordre de 15 à 20 % sur les financements qui leur sont
demandés.
* Dans la partie « II- B- 2- Les subventions accordées aux syndicats »,
la
Cour ne juge pas souhaitable de confier le projet d’un observatoire national
de la création et de la transmission des exploitations agricoles à une
organisation agricole.
Il convient de souligner la nécessité de disposer d’un observatoire
national de la création et de la transmission des exploitations. En effet,
l’autorité publique ne détient des données que sur les exploitations aidées et
la conduite de la politique publique impose de disposer de l’exhaustivité des
données.
De plus, jusqu’à présent, les données n’étaient disponibles qu’à
l’échelon départemental alors que cette base de données est nationale et
qu’elle sera accessible via Internet à tous les acteurs de l’installation.
Suite aux observations de la Cour, je m’engage à veiller à la qualité et
à la transparence de ces données dont l’utilité est avérée.
Par ailleurs, ce dossier a pu, comme certains d’autres, être desservi
face à un jury en raison de son caractère plus socio-économique que
strictement scientifique et technique. Néanmoins, le Centre national des
jeunes agriculteurs a été le seul à proposer un projet.
On notera enfin que la critique formulée par le jury, concernant le
caractère peu concret des modalités de mise en oeuvre du projet, s’avère
largement infirmée par le travail de partenariat réalisé depuis la fin de
l’année 2006 et par la remise en juillet 2007 d’un rapport intermédiaire
détaillant l’ensemble des actions engagées par les nombreux partenaires du
projet.
LES AIDES AU DÉVELOPPEMENT AGRICOLE
359
RÉPONSE DU MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS
ET DE LA FONCTION PUBLIQUE
La Cour constate que la reprise en main par l’Etat des aides au
développement agricole, qui s’est notamment traduite par la création du
compte
d’affectation
spéciale
« Développement
agricole
et
rural »
(CASDAR), a permis une nette amélioration de la gestion des aides. Elle
formule toutefois des critiques et des recommandations qui appellent les
observations suivantes.
Sur le champ et les objectifs de la politique de développement agricole
Le souci de la Cour de bien distinguer, d’une part, le développement
agricole, qui recouvre essentiellement des programmes de recherche
appliquée à l’agriculture et la diffusion des connaissances tirées de ces
recherches, et d’autre part, le développement rural, qui fait l’objet d’aides
cofinancées par l’Union européenne et l’Etat et payées par le CNASEA,
apparaît particulièrement bienvenu compte tenu de la relative confusion des
objectifs et du foisonnement d’organismes faisant du développement agricole
à partir de ressources publiques d’origines diverses.
La comparaison avec les autres pays d’Europe où, comme le souligne
la Cour, le développement agricole tend à devenir assez largement une
activité privée et concurrentielle, doit au minimum conduire à une
clarification des objectifs de la politique de développement agricole et à
l’identification précise des prestations qui paraîtront devoir continuer à
relever de financements publics.
Sur l’efficacité des aides au développement agricole et la rationalisation
des financements publics
La clarification du champ et des objectifs de la politique de
développement agricole doit permettre de renforcer et d’améliorer
l’évaluation de son efficacité qui, comme le relève la Cour, est aujourd’hui
insatisfaisante. La révision des indicateurs du programme « Développement
agricole et rural », annoncée par le ministre de l’agriculture pour 2009, est
effectivement nécessaire.
Par ailleurs, la clarification des champs d’intervention des différents
financeurs du développement agricole apparaît indispensable pour prévenir
les risques d’incohérence des programmes ou de double financement des
mêmes projets, mis en évidence par la Cour. Il est effectivement souhaitable
de recentrer les interventions de l’Etat sur le soutien de projets que ni les
acteurs locaux ni les filières ne peuvent correctement prendre en charge. Le
schéma proposé par la Cour, consistant à affecter directement aux chambres
d’agriculture le produit de la taxe sur le chiffre d’affaires des exploitations
agricoles de leur région et à remplacer par des cotisations volontaires
obligatoires les subventions du CASDAR aux instituts techniques propres à
chaque filière, constitue à cet égard une piste qui mérite d’être explorée.
360
COUR DES COMPTES
Sur la répartition des aides entre les bénéficiaires
La clarification des objectifs et la définition des priorités de la
politique de développement agricole doivent permettre une attribution des
aides beaucoup plus sélective, en rupture avec la logique d’abonnement aux
aides dénoncées par la Cour. L’augmentation de la part des subventions
versées sur appels à projets et le renforcement de l’expertise technique dans
les procédures de sélection des dossiers, doivent ainsi constituer des objectifs
prioritaires, avant même toute évolution du cadre institutionnel.
RÉPONSE DU PRÉSIDENT DE « JEUNES AGRICULTEURS »
La Cour des Comptes déclare que le dossier du CNJA (dont la
dénomination nouvelle est Jeunes agriculteurs depuis 2002) a été classé au
dernier rang par le jury de l’appel à projets, or, jamais ce point n’a été porté
à notre connaissance.
Jeunes Agriculteurs s’étonne donc de voir apparaître
une telle mention qu’il juge négative et de nature à porter préjudice à son
image, surtout dans un document destiné à être rendu public.
Je vous saurai gré de bien vouloir retirer cette observation.
Vous considérez que le dossier relève du développement rural, or le
sujet porte exactement sur les enjeux d’avenir de l’agriculture (l’installation
et la transmission). Il est donc justifié que le financement provienne du
développement agricole et rural.
L’attribution de cette subvention me semble être faite de façon
transparente puisque l’ensemble des acteurs impliqués dans les politiques
publiques liées à l’installation et à la transmission des exploitations
agricoles (CLPA des ADASEA, ministère de l’agriculture et de la pêche,
APCA, MSA, FNSAFER, GIE des ADASEA, CNASEA), membres du comité
de pilotage du projet, avaient connaissance du dépôt de ce dossier et se
réunissent dans le cadre des comités de pilotage.
Je tiens en outre à vous démontrer l’intérêt de ce dossier, dont la mise
en oeuvre très rapide me semble à cet égard exemplaire. En effet, plus de 80
structures départementales techniques assurent la mobilisation de l’ensemble
des données.
Il s’agit d’un dossier qui s’intègre parfaitement dans les objectifs du
Programme National de Développement Agricole et Rural qui mentionnent
de
manière
sans
équivoque
dans
ses
« Enjeux
et
Priorités »,
« l’accompagnement
à
la
transmission »
et
« l’accompagnement
de
l’installation ».
LES AIDES AU DÉVELOPPEMENT AGRICOLE
361
Cette base de données permettra de faire des propositions concrètes
pour la formation et l’exploration de nouvelles propositions pour
l’installation des jeunes et la transmission des exploitations à travers des
dynamiques collectives. C’est un réel outil d’amélioration des connaissances
disponibles et surtout d’aide à la décision pour des agriculteurs, futurs
agriculteurs et des structures parties prenantes au développement agricole.
La mise en oeuvre est très rapide à travers toutes les ADASEA
départementales et je vous fais parvenir le compte-rendu intermédiaire du
projet envoyé début juillet 2007, avec la totalité des fiches techniques et de
mise en oeuvre. Je vous informe également qu’un site Internet provisoire, en
cours d’élaboration, fait état de cet observatoire (www.adasea.net
).
La participation de la France aux corps
militaires européens permanents
_____________________
PRESENTATION
____________________
Purement nationale il y a encore cinquante ans, la défense des
pays européens a suivi, avec bien des hésitations et des retards, les
progrès de la construction européenne. Alors que la France privilégie
désormais le cadre multilatéral pour ses engagements militaires
extérieurs autrement qu’au sein d’une force internationale, les sept corps
militaires européens dont elle fait partie, et qui ont tous été largement
créés à son initiative, apparaissent comme une accumulation d’unités
assez disparates, peu maniables et sous-utilisées.
Les corps militaires européens dont la France fait partie ont été
contrôlés par la Cour en 1996, puis en 2003 ; ce dernier contrôle a donné
lieu à un référé au ministre de la défense en date du 18 juin 2004.
Les observations de la Cour formulées à cette occasion portaient
sur trois points :
−
les contentieux financiers qui paralysaient, pour les plus
importants de ces corps, la mise en place de statuts juridiques
adaptés ;
−
la rationalisation de leur organisation, et, dans le cadre d’une
réflexion à moyen terme, le réexamen de l’architecture
d’ensemble de ces corps ;
−
l’utilisation de ces unités dans le cadre des opérations
extérieures auxquelles participent les nations européennes.
364
COUR DES COMPTES
Il a paru à la Cour utile de revenir sur ces corps européens qui
mobilisent des moyens non négligeables
127
. Il lui apparaît que sur les trois
points précédents les évolutions constatées depuis trois ans confirment
assez largement ces constatations.
La France participe à sept corps militaires européens de nature et
d’importance variables.
Le plus ancien, qui est aussi le plus structuré, est la brigade franco-
allemande. Prévue par le traité de l’Elysée du 22 janvier 1963, elle n’a été
créée qu’en 1989. Elle rassemble plus de 5 000 hommes en trois garnisons
toutes situées en territoire allemand.
Le Corps Européen de Défense, dit aussi Eurocorps, est un état-major
d’environ 1 000 personnes qui siège à Strasbourg. Créé en 1992, il comprend
la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne et le Luxembourg. Seule la
brigade franco-allemande lui est directement subordonnée, les autres unités
restant, en temps de paix, sous commandement national ; le total peut
atteindre 60 000 hommes,.
L’Eurofor est un état-major d’une centaine de personnes, situé à
Florence ; il réunit la France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal ; créé en 1995,
il ne détient pas d’unités organiques et assure la coordination d’exercices.
Les forces maritimes ne comportent aucune structure permanente ;
elles se composent de deux entités : la Force navale franco-Allemande créée
en 1991, initialement prévue pour des activités d’entraînement et de
formation, elle peut aussi exécuter des missions opérationnelles, et
l’Euromarfor, équivalent naval de l’Eurofor et datant, comme elle, de 1995.
L’Euromarfor est activée deux ou trois fois par an pour participer à des
exercices.
Les forces aériennes étaient encore au moment du précédent contrôle
de la Cour effectué en 2003 encore embryonnaires : elles se composent du
Groupe Aérien Européen, créé en 1994 par la France et la Grande-Bretagne,
auxquels se sont joints l’Allemagne, l’Italie l’Espagne les Pays-Bas et la
Belgique. Groupe de réflexion chargé d’améliorer les capacités des Etats
participants à travailler en commun, il se limite à un état-major d’une
vingtaine de personnes, basé à High-Wycombe, prés de Londres ; il est à
l’origine, en 2001, de la Cellule de Coordination du Transport Aérien, situé à
Eindhoven aux Pays-Bas, devenu en juillet 2004 Centre Européen de
Transport Aérien. Après des débuts difficiles, ce groupe de 25 officiers gère
désormais les missions et coordonne les échanges d’une réserve théorique de
plus de 250 appareils de transport.
127) Le ministère de la défense avait état pour 2001 auprès de la Cour d’un coût pour
la France des unités multinationales de l’armée de terre de 123 millions d’euros.
LA PARTICIPATION DE LA FRANCE AUX CORPS MILITAIRES
EUROPÉENS PERMANENTS
365
I
-
Des contentieux accessoires source de blocages
Des contentieux financiers ont, pendant de nombreuses années,
bloqué la mise en oeuvre de dispositifs juridiques nécessaires au bon
fonctionnement de certains de ces corps.
A) S’agissant du Corps européen de défense, le projet de traité de
Strasbourg, dont les bases avaient été fixées dans le rapport de la
Rochelle du 22 mai 1992 par le conseil franco allemand, avait les
objectifs suivants :
−
conférer au quartier général une personnalité juridique lui
permettant de bénéficier d’une autonomie administrative source
de plus d’efficacité et de rapidité de fonctionnement ;
−
donner un statut uniforme pour les personnels des États
membres ;
−
donner la responsabilité de la gestion financière du budget
globalisé au général commandant le Corps européen, sous le
contrôle d’un collège de commissaires aux comptes.
Ces dispositions mettaient un terme à la prépondérance de la
France dans son rôle de Nation hôte en matière d’exécution de la dépense
et à l’application du droit fiscal français comme aux dérogations
éventuellement consenties dans ce cadre.
Ainsi la France avait accordé aux personnels non français du Corps
européen une défiscalisation partielle des biens de consommation acquis à
titre individuel. Ces privilèges fiscaux individuels prenaient fin à l’entrée
en vigueur du traité. En revanche, la totalité des dépenses de
fonctionnement et d’investissement effectués au profit du quartier général
serait pour l’avenir détaxée et, en particulier, non soumise à la TVA.
Ce dernier sujet a longtemps bloqué la signature du projet de traité.
Les partenaires de la France subordonnaient en effet leur signature au
remboursement rétroactif, à partir de 1992
,
par la France, de la TVA
acquittée sur les investissements du quartier général.
La France a accepté ce principe dès l’ouverture des négociations
mais les discussions ont été très longues pour fixer le montant des
dépenses en cause et elles ont retardé la signature du traité qui n’est
intervenue que le 22 novembre 2004 par les partenaires (France,
Allemagne, Belgique, Espagne, Luxembourg). La loi française autorisant
la ratification est intervenue le 5 mars 2007, la ratification allemande est
imminente, celle de la Belgique risque de tarder du fait des difficultés
politiques actuelles de ce pays.
366
COUR DES COMPTES
Le montant de la somme à rembourser par la France pour la
période 1992-2004 a été fixé à 5 288 849 € selon l’échéancier suivant :
2004
865 861
2005
2 115 540
2006
2 307 448
Sur le plan interne français un arbitrage du 28 avril 2003 du
Premier ministre a stipulé que ces sommes devaient être prises en charge
par le budget du ministre de la défense, mais qu’à partir de la signature du
traité (2004) le remboursement « serait assuré par le ministère des
finances à partir du budget des charges communes de l’État ».
B) S’agissant de la brigade franco-allemande, cette dernière était
régie par un arrangement administratif signé le 2 novembre 1989, qui ne
correspondait plus à la réalité du fonctionnement du corps s’agissant
notamment de son articulation avec le corps européen, de son inscription
dans les actions aussi bien de l’Union européenne que de l’OTAN, de
l’application du droit de la nation hôte, l’Allemagne, de la répartition des
charges et de l’uniformisation des matériels.
Un projet de révision lancé depuis une douzaine d’années
établissait des principes mieux adaptés :
−
subordination opérationnelle au Corps européen ;
−
vocation d’intervention pour des missions Union Européenne
ou OTAN ;
−
application du droit de la notion hôte (donc le droit allemand
sauf pour le droit pénal et la gestion des personnels) ;
−
répartition équilibrée des charges ;
−
uniformisation et standardisation des matériels.
Mais du fait de contentieux financiers persistants, le projet de
révision n’a pu aboutir que le 26 octobre 2004.
- Le premier de ces contentieux portait également sur une question
de TVA. Il s’agissait cette fois du remboursement par l’Allemagne à la
France de la TVA indûment payée par cette dernière de 1991 à 1998
inclus soit 1,6 M€. L’Allemagne n’en contestait pas le principe mais
faisait valoir que la France devait de son côté payer sa part des coûts
annexes
de
construction
(maîtrise
d’ouvrage,
de
planification,
d’architecture, d’ingénierie et d’expertise des sols et matériaux) dont le
coût s’élevait à 2 M€ de 1991 à 1998 inclus.
LA PARTICIPATION DE LA FRANCE AUX CORPS MILITAIRES
EUROPÉENS PERMANENTS
367
Un accord est finalement intervenu sur ces deux points et la France
a versé le 17 juillet 2005, 0,4 M€ à l’Allemagne.
Toutefois pour la période postérieure à 1999, le montant des coûts
annexes de construction fait encore l’objet de discussions techniques.
- Le second contentieux portait sur le règlement du coût des
personnels civils. Il résultait de différences de structure entre armées
française et allemande. En France, les personnels de soutien sont intégrés
dans les régiments alors que dans l’armée allemande ils sont placés dans
des structures administratives extérieures. L’Allemagne estimait de ce fait
que le mode de calcul appliqué mettait à sa charge des dépenses ne lui
revenant pas. En définitive, un accord est intervenu en janvier 2004 et,
pour la période 1996-2002, la somme due par la partie française a été
fixée à 3,5 M€. L’évaluation 2003 est en cours.
La nouvelle rédaction de l’arrangement signée en 2004, plus
précise, élimine pour l’avenir ces deux sources de contentieux.
C) Pour ce qui concerne l’Eurofor, basée à Florence, la Cour avait
relevé
plusieurs
anomalies,
entraînant
une
insécurité
juridique
permanente pour nos militaires et leurs familles ; les plus sérieuses étaient
l’impossibilité d’obtenir un permis de séjour en Italie pour les familles
des militaires non italiens ou une plaque d’immatriculation pour les
véhicules personnels de ces militaires. Or, malgré la ratification du statut
juridique de l’Eurofor, le 9 septembre 2003, qui aurait dû normalement
résoudre ces problèmes, la situation n’a pas évolué, en partie en raison de
l’inertie de la représentation diplomatique française.
II
-
Quelques progrès dans la gestion d’un
ensemble toujours disparate
La Cour a relevé quelques progrès dans les modalités de gestion de
ces
corps mais
constaté
le
défaut
persistant d’une
articulation
d’ensemble.
A - Quelques progrès dans la gestion des corps
Des progrès ont été relevés par la Cour s’agissant du statut des
forces européennes et des structures de commandement de la brigade
franco-allemande.
368
COUR DES COMPTES
Les corps militaires internationaux européens, à la différence des
corps de l’OTAN, sont toujours dépourvus d’un statut international unifié
(accord de siège, droit des personnes, situation fiscale) ; un accord relatif
au statut des forces dans le cadre de l’Union européenne (SOFA-UE) est
certes en cours de ratification, mais il ne concerne que les forces
engagées, en mission ou en exercice
128
, et ne prévoit rien pour le temps de
paix, situation pourtant la plus ordinaire de ces corps, comme on le verra.
La brigade franco-allemande, quant à elle, dépend toujours de cinq
autorités différentes : deux du côté français, le Commandement de la
Force d’Action Terrestre (CFAT) de Lille au plan opérationnel, et la
Région Terre Nord-Est de Metz pour le soutien organique ; deux du côté
allemand, le corps d’armée de Coblence au plan opérationnel et le WBK4
de Munich pour le soutien ; enfin l’ensemble dépend sur le plan
opérationnel et l’entraînement de l’Eurocorps de Strasbourg. Les
recommandations de la Cour ont cependant été suivies sur deux points :
•
du côté français la brigade dépendait, lors du contrôle antérieur
de la Cour, au plan opérationnel d’un corps d’armée, le CFAT, et du côté
allemand d’une simple division, celle de Sigmaringen ; cette différence de
niveau hiérarchique suffisait à rendre tout dialogue direct impossible
entre les deux autorités militaires ; le rattachement de la brigade au corps
d’armée de Coblence, en décembre 2006, comme le recommandait la
Cour, a permis de résoudre le problème ;
•
bien que la brigade soit subordonnée au plan opérationnel à
l’état-major de l’Eurocorps de Strasbourg, ce lien était purement
théorique, et elle n’en recevait, au moment du contrôle antérieur de la
Cour, aucune instruction, notamment en matière d’entraînement ; il a été
indiqué qu’il avait été remédié à cette situation.
B - La question de l’articulation des différents corps
européens
Le ministère des affaires étrangères, comme celui de la défense,
s’étaient dits, dans leurs réponses au référé de la Cour, convaincus de la
nécessité d’une réflexion d’ensemble sur la rationalisation et la cohérence
de ces corps. Le ministère de la défense avait cependant souligné les
obstacles s’opposant à une évolution rapide : la lourdeur des structures
128) Les missions visées sont celles de l’article 17 paragraphe 2 du traité sur l’Union
européenne : « les missions humanitaires et d'évacuation, les missions de maintien de
la paix et les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les
missions de rétablissement de la paix ».
LA PARTICIPATION DE LA FRANCE AUX CORPS MILITAIRES
EUROPÉENS PERMANENTS
369
organiques
issues
du
concept
de « groupe
de
nations-cadres
129
»,
l’absence de réel statut international de ces forces, le niveau
d’implication, très différent d’un pays à l’autre des ministères concernés,
enfin l’insuffisante coordination entre les Etats-membres responsables ; il
concluait, comme le ministère des affaires étrangères, que la réflexion
s’inscrivait désormais dans le cadre de l’adaptation de ces forces aux
développements récents de la politique européenne de sécurité et de
défense (PESD), et donc dans la durée.
La Cour ne peut cependant que continuer à relever le manque
d’articulation de ces corps d’ambitions et de dimensions variables,
investis de missions souvent connexes mais exercées de façon
fréquemment indépendante. Au-delà de cette constatation qui résulte des
développements
qui
précèdent,
se
posent
aussi
des
questions
d’architecture ou de fonctionnement propres à chacun de ces corps.
La brigade franco-allemande est une unité binationale subordonnée
à un état-major composé en grande partie de nations qui n’y participent
pas.
L’Eurocorps est largement paralysé par son statut de nation-cadre
multiple, où chaque État membre participe, à égalité, à chaque décision, à
la différence de la nation-cadre unique sur le modèle britannique ou sur
celui de la force de réaction rapide de Lille, où la nation hôte prend en
charge la plupart des décisions.
S’agissant de l’Eurofor et de son adaptation aux évolutions de la
PESD, une tentative d’implication dans les groupements tactiques
(GTIRR)
de
l’Union
européenne,
à
l’instar
de
la
brigade
franco-allemande n’a pas abouti, le quartier général de Florence ne
répondant pas aux critères fixés. On s’orienterait désormais vers une
spécialisation plus restreinte de l’Eurofor. Cette réduction d’ambition
confirme les interrogations de la Cour sur le devenir d’une force qui
manifestement n’a pas encore trouvé sa vocation.
L’éventualité d’une fusion des différentes forces navales (Force
Navale Franco-Allemande et Euromarfor), un moment évoquée, n’a pas
abouti et l’Union européenne vient de mettre en place un nouveau
concept, l’Eumarc, indépendante des deux structures précédentes, qui
permet de constituer rapidement une force maritime pour une opération
de l’Union.
129) La nation-cadre, qui est aussi nation hôte de la structure concernée, assume la
principale responsabilité en matière d’organisation et de soutien.
370
COUR DES COMPTES
Seul le domaine aérien montre de réels progrès. La Cour avait, en
effet, relevé le caractère très embryonnaire des forces aériennes
multinationales et la nécessité d’une réflexion à ce sujet. Il semble que
quelques progrès aient été faits en ce domaine : en effet la Cellule
Européenne de Coordination du Transport Aérien (EACC) a été
transformée, en juillet 2004, en Centre Européen du Transport Aérien
(CETA ou EAC) ajoutant à ses fonctions de coordination un nouveau rôle
de planification. Après des débuts difficiles le centre d’Eindhoven
dispose désormais d’un réservoir théorique de quelques 270 appareils de
transport, dont il gère les missions et coordonne les échanges via le
système Atarès. Un autre arrangement technique, l’accord Salis, conclu
sous l’égide de l’OTAN, est venu récemment compléter le dispositif : il
met à la disposition des membres de l’Alliance et de l’EAC six Antonov
AN-124, mobilisables selon différents types de préavis. Enfin a été signé
le 11 mai 2007 à Bruxelles, un accord entre la France, les Pays-Bas, la
Belgique et l’Allemagne qui jette les bases d’un futur commandement
européen du transport aérien militaire (EATC) qui devrait voir le jour en
2010.
III
-
Une sous-utilisation manifeste
On aurait pu s’attendre à une grande visibilité des corps européens
compte tenu des ambitions qui ont présidé à leur création. Or les moyens
engagés dans ces différentes formations sont largement sous-utilisés
malgré les intentions affichées.
Le ministère de la défense affirmait en effet dans sa réponse au
référé précité que « les forces multinationales jouent et seront appelées à
jouer à l’avenir, tant dans le cadre de la montée en puissance de l’Europe
de la défense, que dans le processus d’adaptation de l’Alliance
Atlantique, un rôle majeur ». Plus prudent, le ministère des affaires
étrangères, s'il « partageait la recommandation de la Cour de donner à ces
forces toute leur portée politique et symbolique » soulignait que « les
contraintes attachées à l’action multinationale imposent une approche
souple des processus de génération de forces ».
LA PARTICIPATION DE LA FRANCE AUX CORPS MILITAIRES
EUROPÉENS PERMANENTS
371
Dans les faits, depuis quatre ans, chaque corps n’a trouvé qu’une
fois à s’employer dans des opérations extérieures pourtant nombreuses et,
souvent, de façon modeste :
−
sans doute faut-il souligner l’engagement du Corps européen et
de la brigade franco-allemande en Afghanistan au sein de la
Force Internationale d’Assistance et de Sécurité (FIAS) d’août
2004 à février 2005. La FIAS, commandée par le Corps
européen, et la brigade multinationale de Kaboul (BMN-K)
tenue par l’état-major de la brigade franco-allemande ont
couvert une période délicate, celle de l’élection présidentielle.
Mais il n’y a eu aucun autre engagement depuis cette date. Pour
le Corps européen, les explications données sont que la
préparation au commandement de la composante terrestre de la
Force de Réponse de l’OTAN et l’obtention de la certification
afférente ont requis toutes ses capacités ; quant à la brigade, son
intégration, prévue pour 2008, dans l’un des groupements
tactiques interarmées de réaction rapide (GTIRR) que l’Union
européenne a décidé de développer, lui interdirait tout autre
engagement sur un théâtre d’opérations ;
−
l’engagement des Euroforces pendant cette période est, en
revanche, particulièrement limité : L’Eurofor a contribué
récemment à l’état-major de l’opération Althéa en Bosnie ;
mais le commandement revenant à des officiers non membres
de la force, le QG n’a pu être déployé en tant que tel ; ses
éléments ont donc été répartis dans l’état-major sur place, ôtant
ainsi toute visibilité « européenne » à l’opération. Quant à
l’Euromarfor, on n’a pu lui trouver d’emploi depuis son retour,
il y a deux ans, de l’opération Enduring Freedom dans la Corne
de l’Afrique ; une tentative pour l’utiliser dans le volet
maritime de la Finul au Liban a échoué devant les réticences de
certains de nos partenaires ;
−
enfin, sur le plan aérien, si le Groupe Aérien Européen n’a pas
vocation, en tant qu’état-major de réflexion, à être déployé en
campagne, sa partie opérationnelle, le Centre Européen de
Transport Aérien, a été utilisée dans le cadre de l’opération
Artémis, en République Démocratique du Congo.
La Cour ne méconnaît pas les lourdeurs inhérentes à toute décision
d’emploi d’un corps multinational. Elle s’interroge cependant sur
l’entretien
de
structures
permanentes
auxquelles
il
n’est
qu’épisodiquement recouru.
372
COUR DES COMPTES
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
En conclusion, la Cour souhaite insister sur trois points :
- si la plupart des contentieux juridiques ou fiscaux handicapant le
fonctionnement normal des corps terrestres ont été résolus, il a fallu plus
d’une décennie aux administrations concernées pour parvenir à un
accord ; le dernier contentieux encore pendant, celui de l’Eurofor, risque
de durer, à défaut d’une intervention des autorités compétentes en France
et sur place. Le caractère subalterne des contentieux en cause et leur
durée témoignent de l’affaiblissement de l’inspiration qui a présidé à la
création des corps européens ;
- si, sur le plan de la gestion, quelques progrès ont été constatés,
on ne peut que regretter l’absence d’un statut unique des forces analogue
à celui de l’OTAN ; mais surtout, et au-delà, reste indispensable une
réflexion sur la cohérence d’ensemble de dispositifs disparates, souvent
redondants, complexes et mal articulés. Les administrations concernées
en avaient admis la nécessité. Elle n’a pas été engagée ;
- le sous-emploi de ces corps internationaux dans les opérations
extérieures à participation européenne, critiqué par la Cour en 2004, n’a
pas, sauf exception, connu d’amélioration. Certes il ne faut pas
sous-estimer la lourdeur du processus de décision inhérent à ces
dispositifs au sein desquelles la réticence d’un seul État suffit à
bloquer l’ensemble ; mais ce sous-emploi ne peut que susciter des
interrogations sur l’utilité même de la plupart de ces nombreuses
structures à caractère permanent.
La réflexion actuellement en cours sur la défense française devrait
être l’occasion d’évoquer l’avenir de ces organismes.
LA PARTICIPATION DE LA FRANCE AUX CORPS MILITAIRES
EUROPÉENS PERMANENTS
373
RÉPONSE DU MINISTRE DE LA DÉFENSE
Dans son insertion sur « La participation de la France aux corps
européens permanents », la Cour insiste sur trois points : les contentieux
financiers, la gestion et le sous-emploi de ces corps internationaux.
Le constat établi par la Cour concernant les contentieux financiers est
partagé par le ministère de la défense. Cependant, comme l’indique
d’ailleurs la Cour, ces contentieux sont, pour l’essentiel, réglés ou en cours
de règlement. Ils n’ont pas eu d’impact visible sur le fonctionnement des
structures, sauf les contentieux fiscaux, qui, s’ils touchent des individus, ont
pu susciter des réactions négatives
130
. La complexité de ces questions a
nécessité des arbitrages au plus haut niveau.
En matière de gestion, la Cour reconnaît aussi les progrès effectués
mais regrette l’absence d’un statut unique.
Les sept entités multinationales considérées sont envisagées de façon
globale. Or, elles couvrent,
comme cela est d’ailleurs souligné dans le projet
d’insertion, des missions très hétérogènes, dont l’organisation varie
considérablement d’une entité à l’autre, tant en termes de fonctions que
d’effectifs. Pour l’essentiel, leur création remonte au début des années 90, à
l’époque où une volonté politique forte cherchait à faire avancer l’Europe de
la Défense par touches successives, en privilégiant une logique d’intégration.
Cette logique tenait compte de celle qui prévalait dans l’OTAN et répondait
au souci politique d’approfondir la construction européenne et d’arrimer
l’Allemagne réunifiée à l’Europe. Or, la politique européenne de sécurité et
de défense (PESD) n’est devenue une réalité qu’à partir de 1999. Du fait de
certains blocages politiques, elle s’inscrit actuellement moins dans une
logique d’intégration que dans celle de nation cadre
131
, ce qui rend difficile
toute rationalisation d’ensemble de ces structures, créées à la suite
d’initiatives individuelles.
De même, les sept entités qui ont été étudiées étant effectivement
disparates, elles ne peuvent guère prendre place dans une architecture
d’ensemble, tant qu’il n’y aura pas de véritable chaîne de commandement
européenne et de label européen.
130) Cas du Canada, qui a retiré ses officiers du Corps européen, en protestant
contre l’interprétation restrictive à ses yeux du SOFA OTAN par les autorités
fiscales françaises.
131) Le concept de nation cadre suppose en fait qu’une nation constitue le noyau
fédérateur d’une force multinationale. Elle va fournir en général l’ossature du
commandement, de la logistique et une part importante des troupes.
374
COUR DES COMPTES
En ce qui concerne l’emploi de ces forces, au-delà de l’intérêt en
matière d’interopérabilité des forces européennes, leur utilité est variable
(cf. annexe détaillée ci-jointe). Il faut noter une réelle crédibilité
opérationnelle du Corps européen et de la Brigade franco-allemande et sans
doute un sous-emploi de l’Eurofor, de l’Euromarfor et de la Force navale
franco-allemande, cependant ces deux dernières structures ne sont pas
permanentes. L’ambition du Groupe aérien européen était, dès le départ,
limitée et excluait une utilisation en opérations. L’EATC (commandement
européen du transport aérien) en revanche est nettement plus ambitieux :
pour la première fois depuis 1995, il préfigure une logique d’intégration,
puisqu’un groupe de nations a décidé de mettre des moyens en commun, afin
d’assurer
une
fonction
opérationnelle
transverse
(transport
aérien
stratégique).
Les opérations actuelles se font, pour l’essentiel, dans un cadre
multinational dont l’intérêt va grandissant en raison des difficultés
budgétaires
des
pays
européens.
Créer
et
entretenir
des
entités
multinationales intégrées n’est donc pas illogique. Elles sont susceptibles de
générer des économies, d’éviter des duplications et de permettre à des
armées qui s’engagent souvent dans des opérations communes de mieux
opérer ensemble. Elles ont certes l’inconvénient de nécessiter un effort
d’harmonisation, mais celui-ci, une fois fait, un temps précieux est gagné
pour faire face à des situations d’urgence.
A l’image du Corps européen, qui a considérablement évolué depuis
sa création, afin de s’adapter aux besoins opérationnels, ces entités ne sont
pas figées. Des efforts sont en cours, afin de les rapprocher des réalités
actuelles de la PESD, elles-mêmes en constante évolution. Il faut noter que le
Traité de Lisbonne pourrait offrir à terme des perspectives nouvelles grâce
aux dispositions concernant les coopérations renforcées. Comme l’indique la
Cour, les réflexions actuelles sur la défense devraient prendre en compte ces
perspectives.
LA PARTICIPATION DE LA FRANCE AUX CORPS MILITAIRES
EUROPÉENS PERMANENTS
375
Annexe détaillée sur l’emploi des corps internationaux
•
le Corps Européen (CE) a un taux d’emploi comparable, voire
supérieur, aux structures de même niveau en Europe : Balkans en
1998, 1999 et 2000, Afghanistan en 2004/2005, alerte NRF en 2006,
engagement envisagé au Kosovo en 2008/2009 et alerte NRF en 2010.
Or, son budget de fonctionnement et d’investissement ne repose pas
uniquement sur la France, mais est réparti entre cinq nations
cadres
132
. Cette entité étant située en France, l’effort financier de nos
partenaires en matière de soldes est comparativement nettement plus
lourd. L’attractivité de ce corps semble bonne, puisque l’Italie et la
Roumanie vont y insérer des officiers, tandis que la Pologne va
augmenter significativement sa participation ;
•
la Brigade Franco-allemande (BFA) a un taux d’emploi inférieur à
celui des brigades françaises. Elle a cependant été engagée dans les
Balkans en 2002, en Afghanistan avec le CE, elle a monté l’alerte
NRF en 2006 et se prépare à celle d’un BG 1500 de l’UE en 2008.
L’Allemagne est pour cette brigade un partenaire particulièrement
fiable, puisqu’elle lui accorde une priorité visible en matière
d’équipements. On notera que la BFA accueille désormais des
officiers espagnols et belges et que son lien avec le CE est devenu réel.
Elle conserve tout comme lui une valeur politique importante ;
•
l’Eurofor, modeste état-major de brigade (82 personnes) sans troupe
subordonnée, a un taux d’emploi très faible. Ses perspectives
d’engagement restent marginales. Il existe toutefois une possibilité
d’engagement au Kosovo au deuxième semestre 2008. Son utilité reste
surtout politique, puisqu’il s’agit de la seule formation terrestre
européenne à vocation méditerranéenne. La participation française
est de 17 militaires, tandis que le coût global pour la France est de
1,2 M d’€uros par an
133
;
•
l’Euromarfor est une structure essentiellement temporaire. Elle a été
relativement peu utilisée et son utilité reste aussi avant tout politique.
Elle sera engagée au large du Liban en mars 2008 dans le cadre de la
Finul. L’Euromarfor permet de réaliser des exercices à fort
« affichage » avec des pays de la rive sud de la Méditerranée
.
Le
dernier a eu lieu avec l’Algérie en novembre 2007 ;
•
la Force Navale franco-allemande est également une structure
temporaire qui n’est activée que pour des exercices ou de rares
opérations (Océan indien, 2003) ;
132) En 2007, il s’élevait à 12,9 millions d’euros (35.6% à charge de la France).
133) Participation au budget de fonctionnement et surcoût en soldes à l’étranger.
376
COUR DES COMPTES
•
le Groupe Aérien Européen est une petite structure
134
, la seule qui
nous lie dans un cadre européen avec des Britanniques. Son utilité va
au-delà du symbole : il a amélioré par ses travaux l’interopérabilité
des flottes aériennes européennes et a contribué de façon notable à la
mise sur pied de l’EACC
135
;
•
l’EACC est devenu l’EAC
136
, lequel est en train de donner naissance à
l’EATC
137
. Au-delà des sigles, la différence est considérable : on est
passé d’une simple démarche de coordination à une logique de
commandement. L’EATC est destiné à fédérer la quasi-totalité du
transport militaire aérien français, allemand, belge et néerlandais.
Par ailleurs, un MCCE
138
a vu le jour, afin de coordonner l’ensemble
des transports aériens, terrestres et maritimes de 18 pays.
RÉPONSE DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET
EUROPÉENNES
L’insertion au rapport public annuel de la Cour des comptes relatif
à
la participation de la France aux corps militaires européens permanents
appelle de la part du ministère des affaires étrangères et européennes les
observations suivantes.
Dans ses conclusions, la Cour des comptes considère notamment que :
« la réflexion sur la cohérence d’ensemble de dispositifs disparates, souvent
redondants, complexes et mal articulés (…) n’a pas été engagée. » ;
« le sous-emploi de ces corps internationaux dans les opérations extérieures
à participation européenne (…) n’a pas connu d’amélioration » et suscite
« des interrogations sur l’utilité même de la plupart de ces nombreuses
structures à caractère permanent. »
Ces
conclusions,
pour
être
globalement
recevables,
méritent
néanmoins d’être nuancées au vu des efforts et des réflexions actuellement en
cours.
134) 7 nations représentées pour un total de 33 personnes.
135) Il n’y a cependant aucun lien fonctionnel entre les deux entités.
136) European Airlift Center : centre européen du transport aérien.
137) European Air Transport Command : commandement européen du transport
aérien.
138) Movement Coordination Centre – Europe : centre européen de coordination des
transports.
LA PARTICIPATION DE LA FRANCE AUX CORPS MILITAIRES
EUROPÉENS PERMANENTS
377
1 – Renforcement de l’articulation des forces multinationales avec la
politique européenne de sécurité et de défense, notamment dans la
perspective de la présidence française de l’Union européenne.
Les différentes forces multinationales européennes ont, pour la
plupart, été créées avant la mise en place de la politique européenne de
sécurité et de défense, dont elles ont été les précurseurs. La recherche d’un
rapprochement de ces forces avec les structures actuelles de l’Europe de la
défense doit permettre d’améliorer à la fois la cohérence d’ensemble de ces
différents dispositifs et leur emploi dans les opérations conduites par l’Union
européenne.
Dans la perspective de la présidence de l’UE, pour laquelle la relance
de l’Europe de la défense sera l’une de nos priorités, la France aura
notamment comme priorité de promouvoir, auprès de ses partenaires des
différentes forces multinationales, une meilleure articulation de celles-ci
avec la PESD. Deux corps multinationaux sont concernés en premier lieu par
cette démarche, l’EUROFOR et le Corps européen.
S’agissant de l’EUROFOR, une étude est en cours pour définir les
conditions nécessaires à la participation de cette force à un groupement
tactique de l’UE.
Lors du dernier comité commun du Corps européen, réuni à Madrid le
18 décembre 2007, les
cinq nations-cadres ont décidé d’étudier différentes
possibilités
concrètes
pour
rapprocher
dans
une
perspective
opérationnelle le Corps européen de la politique européenne de sécurité et
de défense. Il s’agit, notamment, de :
−
la mise en place d’un dialogue régulier entre l’état-major du Corps
européen et le Comité militaire de l’UE d’une part, l’état-major de
l’UE d’autre part ;
−
la constitution d’un groupement tactique de l’UE avec le Corps
européen ;
−
la déclaration du Corps européen comme état-major de force (FHQ)
ad hoc, notamment
pour participer aux exercices conduits par l’UE.
2 – Emploi des corps militaires européens permanents dans les opérations.
Les forces multinationales européennes ont vocation à participer aux
opérations internationales de gestion de crise. Comme le relève la Cour,
elles ont déjà fait leurs preuves dans ce domaine (Corps européen et BFA au
sein de la FIAS en Afghanistan d’août 2004 à février 2005 ; contribution
d’Eurofor à l’opération Althéa en Bosnie par exemple). Certaines de ces
forces, comme le Corps européen, bénéficient d’une réelle crédibilité
opérationnelle.
378
COUR DES COMPTES
Néanmoins, dans les processus de génération de forces pour les
opérations multinationales, une approche pragmatique est nécessaire pour
répondre rapidement aux besoins militaires identifiés dans un contexte
capacitaire contraint.
Actuellement, les perspectives d’emploi de ces forces au cours de
l’année 2008 concernent l’opération menée par l’OTAN au Kosovo et
l’opération des Nations Unies menée au Liban :
−
après confirmation de la participation italienne lors du sommet
franco-italien de Nice (30 novembre 2007), l’EUROMARFOR
assurera, à compter de février 2008 et pour une durée initiale de six
mois, la relève de l’Allemagne pour la composante navale de la
FINUL. Ce déploiement est un signe politique fort, qui confirme la
détermination des quatre pays de l’EUROMARFOR à oeuvrer au
règlement de la question du Liban ;
−
la possibilité d’emploi concomitant de l’EUROFOR et du Corps
européen au sein de la KFOR au Kosovo au second semestre 2008 est
à l’étude. Lors du dernier Comité commun du Corps européen
(Madrid, 18 décembre 2007), les nations-cadres ont donné leur accord
pour poursuivre la planification en vue
d’engager cette force pour
commander l’opération.
Chapitre II
Gestion des services de l’Etat et des
organismes publics
La réforme de la gestion des pensions
des fonctionnaires de l’Etat
_____________________
PRESENTATION
____________________
La gestion des pensions de retraite des fonctionnaires de l’Etat est
un cas typique des difficultés chroniques que l’Etat continue d’éprouver
pour moderniser son administration.
Ce constat, déjà effectué par la Cour dans son rapport public
particulier de 2003 sur les pensions des fonctionnaires, est, pour
l’essentiel, ressorti inchangé, quatre ans plus tard, d’un ensemble de
contrôles menés par la Cour en 2007 sur la chaîne de traitement des
pensions de retraite, notamment de l’enquête, demandée par le président
de la commission des finances du Sénat
139
, sur le service chargé d’allouer
les retraites.
Toujours, en place, l’organisation ancienne, propre à l’Etat, pour
l’attribution et le paiement des retraites justifie de longue date une
rénovation en profondeur. Si, de façon générale, les pensions sont bien
versées dans les règles et à temps, le système de gestion utilisé se
caractérise par une sous-productivité particulièrement coûteuse, puisque
les économies possibles sont évaluées à 1 200 emplois, soit 40 % des
effectifs actuels, et par une médiocre qualité de service.
139) Cette enquête a été réalisée en application des dispositions de l’article 58-2° de
la (LOLF). Elle a donné lieu, en octobre 2007, à deux auditions par la commission des
finances du Sénat, l’une des responsables concernés de l’administration, l’autre du
secrétaire d’Etat chargé de la fonction publique auprès du ministre du budget, des
comptes publics et de la fonction publique. Ces débats et les travaux de la commission
ont été publiés sous la forme d’un rapport d’information n° 27 (2007-2008).
382
COUR DES COMPTES
Au cours des dernières années, aussi bien la réforme des retraites
de 2003 (la loi Fillon) que celle des finances publiques de 2001 (la
LOLF) ont accru la nécessité d’agir. Mais l’inertie a largement continué
de l’emporter, avant tout en raison d'une défaillance de direction au sein
de l’État : sous-estimation de l'enjeu de gestion, impulsion politique
fugace, manque de vision, de détermination et parfois de savoir-faire
managérial
de
la
part
de
l'administration,
difficulté
à
gérer
l’interministérialité.
Les travaux de la commission des finances du Sénat, à la suite de
l’enquête de la Cour et auxquels elle a été associée, ont confirmé ces
carences. En soulignant toute l’importance des conséquences, tant pour
le contribuable que pour l’usager – fonctionnaire retraité ou en activité -,
la commission a conclu en appelant à un engagement rapide de la
réforme. En réponse, le Gouvernement a annoncé qu’elle sera lancée en
2008, dans le cadre de la revue générale des politiques publiques.
Le régime de retraite des quelque 2,5 millions de fonctionnaires
civils et militaires de l’Etat est géré par l’Etat lui-même.
Il en va autrement pour les autres fonctionnaires ou contractuels
publics : les fonctionnaires territoriaux ou hospitaliers relèvent, pour leurs
retraites, de la Caisse nationale de retraite des collectivités locales
(CNRACL), tandis que les agents contractuels sont affiliés au régime
général de la sécurité sociale et à une caisse complémentaire spécifique,
l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’Etat
et des collectivités publiques (l’IRCANTEC).
La gestion du régime propre aux fonctionnaires de l’État mobilise
actuellement environ 2 800 agents. Le service des pensions du ministère
chargé du budget – 460 emplois localisés principalement à Nantes -, qui
attribue les pensions, est le pivot d’une organisation séculaire impliquant
de nombreux autres intervenants : en amont, les ministères employeurs,
qui
préparent les décomptes des droits à pension des futurs retraités – au
total, environ 1.800 emplois - ; en aval, les 27 centres régionaux des
pensions - 450 emplois -, qui, dans le réseau du Trésor public, payent les
retraites.
Chaque année, cette chaîne accorde environ 86.000 nouvelles
pensions et verse 2 millions de pensions aux fonctionnaires retraités,
représentant pour le budget de l’Etat une dépense annuelle de l’ordre de
40 Md€. Elle traite également les pensions de réversion versées aux
veuves et veufs de fonctionnaires décédés, les allocations temporaires
d’invalidité,
les
retraites
du
combattant,
les
pensions
militaires
LA RÉFORME DE LA GESTION DES PENSIONS DES
FONCTIONNAIRES DE L’ETAT
383
d’invalidité et les traitements – modiques - versés au titre de la Légion
d’honneur
140
et de la médaille militaire
141
.
I
-
Une organisation administrative surannée
Le code des pensions civiles et militaires de retraite (CPCMR)
définit, pour les fonctionnaires de l’Etat, non seulement des règles mais
aussi une organisation spécifiques. Géré par l’employeur dans ses propres
comptes, le régime ne comporte pas de caisse et, a fortiori, pas
d’affiliation à plusieurs caisses, comme c’est le cas pour la plupart des
salariés, qui relèvent, pour leurs retraites de base, du régime général de
sécurité sociale et, pour leurs retraites complémentaires, d’au moins une
autre caisse.
Or, paradoxalement, ce facteur de simplicité de gestion ne se
retrouve pas dans la pratique. Bien au contraire, fragmentée et mal
articulée, l’organisation administrative traditionnelle qui continue de
prévaloir entretient une sous-productivité structurelle que les efforts de
rationalisation engagés ces dernières années n’ont guère atténuée.
A - Une gestion peu performante
1 -
Une chaîne de traitement éclatée
Le service des pensions valide les retraites, au nom du ministre
chargé du budget, à l’issue d’une procédure lourde, qui présente deux
particularités :
−
elle est déclenchée quelques mois seulement avant le départ en
retraite, sous la forme d’une reconstitution de la carrière du
futur retraité permettant de calculer ses droits à pension ;
−
elle implique d’autres ministères et, au sein de ceux-ci,
plusieurs services.
La démultiplication des intervenants qui s’ensuit n’est pas
seulement liée à la diversité des parcours professionnels des futurs
retraités. Elle résulte tout autant de l’organisation interne des ministères
employeurs, particulièrement pour ceux à effectifs nombreux.
140) Les traitements, réservés aux décorés à titre militaire, sont compris entre 6,10€
par an pour un chevalier et 36,59 € par an pour un grand’croix.
141) 4,57 € par an.
384
COUR DES COMPTES
Au ministère de l’éducation nationale, pas moins de 240 bureaux
ou cellules, relevant des inspections académiques départementales, des
rectorats ou des universités et autres établissements d’enseignement
supérieur, constituent les dossiers de base, transmis ensuite au service des
pensions du ministère, situé à La Baule qui les contrôle et communique
les propositions de pension au service des pensions de Nantes.
Au ministère de la défense, les propositions adressées au service de
Nantes font intervenir successivement trois niveaux :
-
le premier, comprenant environ 600 entités administratives
localisées dans les corps de troupe ou les bases aériennes et
navales, où les dossiers sont établis ;
-
le deuxième, formé de six « organismes gestionnaires » - un
pour chacune des trois armées, pour la gendarmerie nationale,
pour la délégation générale pour l’armement et pour le service
des essences -, où les dossiers sont rassemblés et subissent une
première vérification ;
-
le troisième, à l’administration centrale du ministère, où la
sous-direction des pensions, située à la Rochelle, procède à un
nouveau contrôle avant l’envoi à Nantes.
Une fois la retraite allouée par le service des pensions de Nantes, le
dossier est envoyé au centre régional des pensions dont relève le retraité,
qui assure ensuite la gestion et le paiement de la pension.
2 -
Un cloisonnement tenace
Les nombreux acteurs de cette chaîne agissent de façon cloisonnée,
sans réelle coordination.
Le système d’information en est le reflet. Chaque ministère, voire
chaque service, dispose de sa propre application, ce qui ajoute encore aux
cloisonnements :
-
VISA 3 pour le service des pensions de Nantes ;
-
PEZ pour les centres régionaux des pensions ;
-
pour les ministères employeurs :
o
soit des applications propres à chaque ministère (PENSIONS
pour le ministère de l’éducation nationale, PIPER pour celui de
la défense et PENSOME pour celui de l’écologie, du
développement et de l’aménagement durables) ;
o
soit une application, CONDOR, proposée par le ministère
chargé du budget.
LA RÉFORME DE LA GESTION DES PENSIONS DES
FONCTIONNAIRES DE L’ETAT
385
Cette mosaïque entraîne des redondances, notamment en matière
de contrôle, et de multiples transferts de données électroniques et de
documents papier.
La valeur ajoutée par chaque maillon de la chaîne n’est pas
analysée et aucune autorité, ministérielle ou interministérielle – pas plus
le service des pensions que la direction générale de l’administration et de
la fonction publique (DGAFP) -, ne s’estime investie de la responsabilité
de veiller à l’optimisation du processus d’ensemble. L’interprétation de la
réglementation peut même différer d’un service à l’autre.
B - Des progrès limités
De réelles améliorations sont intervenues au cours des dernières
années, mais le plus souvent ponctuelles et, en tout cas, sans transformer
fondamentalement l’organisation existante. L’absence persistante d’un
véritable réseau des gestionnaires de pensions en témoigne. Globalement,
le défaut d’efficience subsiste.
1 -
Des applications informatiques désormais interfacées
Si l’émiettement du système d’information n’a pas régressé, les
applications sont désormais interfacées. Les avantages sont substantiels :
suppression des doubles saisies, gains de productivité et sécurisation des
traitements de données.
Pour autant, les inconvénients de l’éclatement demeurent, sous
forme de redondances et corrélativement de surcoûts. En outre, la
connexion, dans les ministères, entre leurs systèmes d’information de
gestion de ressources humaines et ceux des pensions reste quasi-
inexistante, le ministère de l’éducation nationale étant l’exception.
2 -
L’amorce d’une sélectivité des contrôles
Longtemps, à chaque étape, les contrôles ont porté sur la totalité
des dossiers et sur l’ensemble du contenu de chacun.
En 2006, le service des pensions de Nantes a commencé à
appliquer, en son sein, un contrôle sélectif, fondé sur une analyse des
risques, qui a abouti à un traitement allégé pour environ 10 % des
dossiers. De leur côté, deux ministères, ceux de la défense et de
l’éducation nationale, se sont aussi engagés dans cette voie, en 2007.
386
COUR DES COMPTES
Toutefois, ces indéniables avancées dans la rationalisation des
contrôles demeurent partielles et n’ont aucunement été concertées, alors
que, pour être pleinement efficace et intéressante pour la réduction des
coûts, une stratégie englobant l’ensemble de la chaîne s’impose.
3 -
Une amélioration de la qualité du service
Depuis 2004, le service des pensions propose, sur son site Internet,
une documentation et des informations synthétiques et pratiques sur les
retraites des fonctionnaires, avec un simulateur de calcul de pension. Il a
également mis en place un centre d’appels téléphoniques pour renseigner
les retraités et futurs retraités.
La plupart des ministères ont pris des initiatives similaires et les
centres régionaux des pensions consacrent eux-mêmes une part non
négligeable de leur activité à renseigner les retraités.
Là encore, la coordination fait défaut et l’intérêt d’un « guichet
unique », facilitant l’accès aux informations pour l’usager et permettant
de lui apporter un meilleur service, qui plus est à un moindre coût, n’a
toujours pas été étudié.
4 -
Des gains de productivité
A effectif constant, le service des pensions de Nantes a absorbé,
entre 2001 et 2006, une augmentation de l’ordre de 20% du nombre des
nouvelles pensions attribuées chaque année. Les effectifs des centres
régionaux des pensions sont également restés stables. Ce constat est
assurément positif.
Cependant, même si le caractère approximatif des données pour les
ministères employeurs empêche de porter une appréciation précise sur le
coût global de la chaîne, il reste patent que des gains de productivité
particulièrement
substantiels
sont
possibles.
L’administration
142
a
récemment estimé qu’à moyen terme, une reconfiguration de la chaîne
devrait permettre d’économiser 1.200 des quelque 2.800 emplois actuels,
dont 900 dans les ministères employeurs.
Dans certains cas, l’actuelle dispersion géographique des emplois
pourrait, certes, compliquer les redéploiements. En revanche, la moyenne
d’âge relativement élevée des personnels aujourd’hui en fonction est de
nature à faciliter les évolutions à moyen terme.
142) Lors des auditions organisées par la commission des finances du Sénat.
LA RÉFORME DE LA GESTION DES PENSIONS DES
FONCTIONNAIRES DE L’ETAT
387
5 -
Un statu quo dans l’organisation
Jusqu’à présent, aucune réorganisation notable n’a été engagée.
En amont de la chaîne, des rationalisations reconnues nécessaires
de longue date tardent :
- au ministère de la défense, la suppression des divers organismes
gestionnaires (deuxième niveau), qui avait motivé la création, en 1965, du
service des pensions des armées, devenu depuis la sous-direction des
pensions, n’est toujours pas effective et, quarante ans plus tard, se
superposent trois niveaux de traitement des dossiers là où il n’en existait
précédemment que deux ;
- au ministère de l’éducation nationale, le nombre de cellules
déconcentrées n’a diminué que de quelques unités depuis 2003.
En aval, coexistent toujours, au sein du réseau de la direction
générale de la comptabilité publique, 27 centres régionaux des pensions.
Ce n’est qu’en mars 2007 qu’une première étude, demandée, par le
ministre chargé du budget, conjointement au directeur général de la
comptabilité publique et au chef du service des pensions, a été lancée en
vue d’un « rapprochement », là où la rationalisation des fonctions de
calcul et de paiement des pensions appelle à tout le moins un
regroupement. Les conclusions étaient attendues pour la fin de l’année
2007. Dans le régime général des salariés, seuls trois centres
informatiques suffisent à assurer ces tâches pour plus de dix millions de
retraités.
II
-
Une refonte toujours en gestation
La réforme des retraites de 2003 a significativement modifié le
régime de retraite des fonctionnaires de l’Etat
143
en le rapprochant du
droit commun. Par voie de conséquence, elle a transformé, plus
profondément encore, les besoins auxquels doit désormais répondre le
système de gestion du régime.
Ce bouleversement a heureusement coïncidé avec la mise en place
de la nouvelle organisation financière voulue par la loi organique relative
aux lois de finances (LOLF), mais la refonte de la gestion des retraites qui
aurait dû en découler est restée en suspens.
143) Ces modifications valent pour les trois fonctions publiques.
388
COUR DES COMPTES
A - L’évolution du régime
L’évolution vers un régime de retraite mieux individualisé et plus
proche
des autres régimes s’est accompagnée d’une réelle modernisation
du cadre budgétaire et comptable.
1 -
Des règles rapprochées du droit commun
La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a étendu
progressivement aux fonctionnaires les grandes règles communes que la
réforme visait à généraliser.
Ainsi, la durée de cotisation requise pour bénéficier d’une retraite
pleine (75 % du dernier traitement d’activité
144
) a été portée de 37 années
et demie à 40 années à compter du 1er janvier 2008 et à 41 années à partir
du 1er janvier 2012. Les surcotes et décotes, majorant ou minorant la
pension en fonction de la durée de cotisation, ainsi que la possibilité de
dépasser les limites d’âge
145
- de deux années et demie au maximum -
pour bénéficier d’une retraite à taux plein sont également applicables aux
fonctionnaires.
La création, par la loi de 2003, d’un régime de retraite
complémentaire obligatoire
146
pour la fonction publique, géré par un
organisme autonome, l’établissement de retraite additionnelle de la
fonction publique (ERAFP), adossé à la Caisse des dépôts et
consignations, a participé de cette même évolution.
2 -
Un compte d’affectation dédié
Innovation de la LOLF (article 21), un compte d’affectation
spéciale (CAS) permet désormais d’identifier, dans le budget et dans les
comptes de l’Etat, l’ensemble des flux financiers du régime.
Les dépenses de pension versées aux fonctionnaires retraités
(40 Md€ en 2006) y sont équilibrées par les cotisations prélevées sur les
traitements des fonctionnaires en activité et par une contribution de l’Etat
employeur. Appliqué à la masse salariale acquittée par chaque ministère,
144) 75 % du seul traitement indiciaire, et non pas de l’ensemble de la rémunération,
puisque, les autres éléments, notamment les primes, ne sont pas pris en compte.
145) Les fonctionnaires ne peuvent rester en activité au-delà d’un âge limite,
généralement de 65 ans.
146) Ce régime complémentaire, par points, couvre les rémunérations autres que le
traitement, notamment une partie des primes.
LA RÉFORME DE LA GESTION DES PENSIONS DES
FONCTIONNAIRES DE L’ETAT
389
le taux de cette contribution est calculé de telle sorte que le compte
d’affectation spéciale soit en permanence équilibré.
Au progrès en termes de transparence financière s’ajoute la
disponibilité d’une information sur les charges de personnel indispensable
à la fois à
la comptabilité d’analyse des coûts et à la gestion de la masse
salariale.
Par ailleurs, grâce à la nouvelle comptabilité patrimoniale,
l’annexe aux comptes annuels de l’Etat renseigne sur les engagements
hors-bilan de l’Etat en matière de retraites : au 31 décembre 2006, la
valeur actualisée des pensions à verser aux retraités et aux actifs présents
à cette date y ressort, à législation constante et sur la base d’un taux
d’actualisation de 2,5 %, à un montant de 941 Md€
3 -
Un pilote budgétaire
La
création
du
compte
d’affectation
spéciale a
eu
pour
conséquence d’adjoindre au système traditionnel de gestion, centré sur
une chaîne de production administrative de masse (décomptes et
paiements), un nouveau volet, d’une tout autre nature, axé sur le pilotage
et le contrôle budgétaire et comptable du régime.
Le rôle de pilote a été confié au chef du service des pensions, qui
est
responsable
des
deux
programmes
budgétaires
du
compte
d’affectation spéciale concernant les fonctionnaires civils et militaires de
l’État : le programme 741 « pensions civiles et militaires de retraite et
allocations temporaires d’invalidité » (42 Md€
147
en 2007) et le
programme 743 « pensions militaires d’invalidité et des victimes de
guerre et autres pensions » (3 Md€ en 2007). A ces deux programmes
sont associés des objectifs et des indicateurs suivis dans les projets et les
rapports annuels de performances soumis au Parlement.
Ainsi, depuis 2006, première année de mise en oeuvre, une
véritable gestion financière du régime est amorcée. Ce progrès est majeur.
Dans le même temps, le chef du service des pensions, en devenant
responsable des deux programmes, s’est vu reconnaître un rôle qui va au-
delà de ses fonctions traditionnelles. Le service a commencé à recruter en
2007 des agents ayant des compétences adaptées aux nouvelles missions.
147) Dont environ 3 Md€ au titre de la compensation démographique inter-régimes.
390
COUR DES COMPTES
B - La création du « compte individuel retraite » (CIR)
La loi du 21 août 2003 sur les retraites a instauré un droit, pour
chaque affilié d’un régime obligatoire, à être informé sur sa situation
individuelle en matière de retraite. Un groupement d’intérêt public, le
GIP Information Retraite, a été chargé d’organiser la collecte des données
nécessaires en provenance de tous les régimes et la transmission
périodique, à chaque affilié, des relevés de sa situation individuelle et des
estimations du montant de sa ou de ses retraites futures.
L’Etat s’est mis en mesure de remplir cette nouvelle obligation vis-
à-vis de ses fonctionnaires, mais sans y voir d’emblée un levier de
modernisation, pourtant exceptionnel.
1 -
Un bouleversement inéluctable
Pour le régime de retraite des fonctionnaires de l’Etat, il en
résultait inéluctablement un bouleversement : les reconstitutions de
carrière étant effectuées seulement à l’approche du départ à la retraite, les
informations requises ne pouvaient être tenues à disposition du GIP
Information Retraite tout au long de la carrière.
L’organisation existante a donc été doublée, avec la création d’un
compte individuel retraite (CIR) tenu par le service des pensions de
Nantes. Ce compte va être alimenté au fil de la carrière par les ministères
employeurs, dans l’immédiat selon un protocole rudimentaire. L’essentiel
des travaux actuels porte sur l’intégration progressive de l’historique de
toutes les carrières, tâche particulièrement lourde qui devrait être achevée
fin 2012.
La montée en charge s’effectue sous l’égide d’un comité de
pilotage co-présidé par le directeur général de l’administration et de la
fonction publique et le secrétaire général commun au ministère de
l’économie, des finances et de l’emploi
et au ministère du budget, des
comptes publics et de la fonction publique.
L’envoi des premiers relevés individuels de situation (RIS), pour
les personnes nées en 1957, et des premières estimations « indicatives
globales » (EIG) du montant de retraite, pour les personnes nées en 1949,
est prévu pour le deuxième semestre 2007.
LA RÉFORME DE LA GESTION DES PENSIONS DES
FONCTIONNAIRES DE L’ETAT
391
2 -
L’attente d’une décision
Tolérable durant une période transitoire, le doublon des chaînes de
traitement,
l’une
pour
l’attribution
des
pensions
à
partir
des
reconstitutions de carrière, l’autre pour l’alimentation des comptes
individuels retraite, ne saurait perdurer.
Le compte individuel a logiquement vocation à servir aussi de base
pour le calcul des pensions, les ministères employeurs l’alimentant
annuellement, par exemple au moyen de la déclaration annuelle de
données sociales (DADS). C’est d’ailleurs la préconisation faite, en
février 2007, par le rapport d’audit de modernisation sur « la préparation
des dossiers de pension des fonctionnaires de l’Etat ».
La mise en place de la chaîne de traitement du compte individuel
retraite
condamne
l’organisation
traditionnelle
fondée
sur
la
reconstitution des carrières. La substitution doit être anticipée sans tarder
et faire l’objet d’un plan d’action concerté entre toutes les parties
prenantes actuelles.
3 -
Des enjeux essentiels
La réorganisation attendue doit être l’occasion de dégager
progressivement les économies de personnel restées jusqu’à présent
latentes.
Le conseil aux usagers devrait aussi en être facilité. Chaque
fonctionnaire, en activité ou retraité, aura la possibilité d’accéder en ligne
à son compte individuel, voire d’y actualiser directement certaines
données personnelles.
Un autre avantage, tout aussi appréciable, sera la constitution
d’une base de données fiable sur laquelle pourra s’appuyer le pilotage du
régime. Pour les retraites des fonctionnaires, les services de l’Etat
rencontrent actuellement de sérieuses difficultés pour effectuer des
simulations
et
des
projections,
aussi
bien
démographiques
que
financières.
392
COUR DES COMPTES
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
Il est urgent de passer à une réforme d’ensemble, jusqu’à présent
restée orpheline, portant sur la totalité de la chaîne de traitement des
pensions et fondée sur une vision prospective du régime de retraite et de
son système de gestion.
Pour venir à bout de l’inertie qui a prévalu jusqu’à présent, la
détermination
des
responsables
administratifs
est
une
condition
essentielle, mais, à elle seule, insuffisante. Elle doit aller de pair avec une
forte impulsion politique.
Autre impératif, la modernisation du système de gestion des
pensions doit être placée sous la responsabilité d’un pilote administratif
unique, clairement identifié et investi d’une autorité véritablement
interministérielle. Il s’agit de fédérer les énergies à la fois dans les
ministères employeurs et les services du ministre chargé du budget, mais
aussi d’établir et de faire respecter des règles et une organisation
communes Que le même ministre ait aujourd’hui compétence pour le
budget,
les pensions et la fonction publique est un atout.
Il faut également un plan d’action construit et une véritable
conduite du changement. Les restructurations d’emplois, en particulier,
requièrent une planification de moyen terme et un accompagnement de
gestion
des
ressources
humaines
appuyées
sur
le
meilleur
professionnalisme.
Enfin, les synergies avec d’autres projets en cours doivent
également être prises en compte, notamment avec la mise en place de
l’opérateur national de paye (ONP), créé en 2007 pour assurer à terme
la paye de l’ensemble des agents de l’État, et la refonte des systèmes
d’information en matière de ressources humaines des ministères
employeurs.
LA RÉFORME DE LA GESTION DES PENSIONS DES
FONCTIONNAIRES DE L’ETAT
393
RÉPONSE DU MINISTRE DE LA DÉFENSE
Le traitement des pensions des fonctionnaires de l’Etat doit
effectivement être rationalisé. Mais, c’est l’ensemble de ce traitement qui doit
être pris en compte et cette rationalisation ne peut donc être envisagée que
dans un cadre interministériel.
Comme le souligne la Cour, le ministère de la défense s’est engagé,
depuis 2007, dans cette voie, notamment en ce qui concerne la sélectivité des
contrôles, et d’autres mesures seront prises. Ainsi, il est indispensable de
disposer de systèmes d’information des ressources humaines (SIRH) pour
l’ensemble des catégories de personnel afin d’accroître l’allégement des
contrôles opérés par les gestionnaires.
Les travaux actuellement menés dans le cadre de la révision générale
des politiques publiques (RGPP) et les premières décisions prises,
s’inscrivent totalement dans le sens des préconisations de la Cour afin
d’améliorer la gestion des pensions, au niveau interministériel comme au
niveau ministériel. Il s’agira, en particulier, grâce à une meilleure
organisation, de réduire fortement les effectifs et les chaînes d’intervenants,
ce qui entraînera des gains de productivité importants tout en maintenant la
qualité du service à l’égard des usagers.
La redevance audiovisuelle :
réforme et
perspectives
_____________________
PRESENTATION
____________________
Créée en 1933, la redevance audiovisuelle est aujourd’hui
acquittée par environ 20 millions de foyers - à raison de 116 € par an en
métropole et de 74 € dans les départements d’outre mer -, tandis que
5 autres millions en sont dégrevés, principalement sur des critères
d’âge
et de ressources.
Son produit s’est élevé à 2,3 Md€ en 2006. S’y ajoutent 500 M€ en
provenance du budget général de l’Etat, au titre de la prise en charge par
l’Etat des dégrèvements dont bénéficient certaines catégories sociales.
Ces sommes sont reversées aux organismes de l’audiovisuel public
(France Télévisions, Radio France, Radio France Internationale, Arte,
Institut national de l’audiovisuel) dont elles représentent 75 % du total
des ressources. La redevance ne fait pas partie des prélèvements
obligatoires, car elle est considérée par l’Institut national de la
statistique et des études économiques (INSEE) comme la contrepartie
d’un service rendu.
Une réforme de la gestion de la redevance audiovisuelle est
intervenue le 1
er
janvier 2005, en application de la loi de finances initiale
pour 2005. Elle visait à en simplifier la gestion
et à en augmenter le
produit.
A la demande du président de la commission des finances de
l’Assemblée nationale, la Cour s’est attachée à dresser le bilan de cette
réforme, notamment sur les aspects relatifs à sa gestion. Il montre qu’il
en est bien résulté une simplification pour l’usager et une diminution de
la fraude ainsi que des économies significatives, mais qu’un plein parti
n’a pas été tiré des gains de productivité réalisés.
396
COUR DES COMPTES
Les ressources procurées par la redevance, quant à elles, ont
continué à augmenter moins vite que les prévisions de ressources
publiques allouées aux sociétés de programme de l’audiovisuel
publictelles qu’elles sont appréciées dans les contrats d’objectifs et d
emoyens. Ainsi, la réforme n’a pas apporté, comme la perspective en
avait pourtant été annoncée, de réponse substantielle au problème du
financement de l’audiovisuel public et cette question demeure posée.
I
-
Les simplifications et les économies de gestion
A - Une redevance plus simple
Par les diverses simplifications introduites, le service rendu aux
redevables de la redevance audiovisuelle a été notablement amélioré.
Tout d’abord, pour les particuliers, la redevance est désormais
recouvrée conjointement avec la taxe d’habitation, sur la base d’une
déclaration incluse dans celle des revenus.Les contribuables qui ne
détiennent pas de téléviseur doivent cocher une case spécifique dans leur
déclaration de revenus ; tout déclarant ne l’ayant pas cochée est, par
principe, assujetti à la redevance audiovisuelle. L’avis du versement à
effectuer est le même que celui de l’imposition annuelle au titre de la taxe
d’habitation et le redevable s’acquitte des deux contributions par un seul
règlement, annuel (le plus souvent en novembre) ou mensuel.Après avoir
souvent hésité sur la signification de la case insérée dans la déclaration de
revenus (à cocher uniquement si l’on ne détient pas de téléviseur la
première année), les redevables se sont peu à peu accoutumés à cette
nouveauté.
Deuxième simplification, la suppression de la distinction entre
résidence principale et résidence secondaire a doublement bénéficié aux
particuliers concernés : en éliminant une disposition complexe, dont le
contrôle était d’ailleurs difficile à opérer
148
; en ramenant à une seule
taxation la charge supportée en cas de résidence(s) secondaire(s).
Autrement dit, la taxation des récepteurs situés dans les résidences
secondaires a été supprimée pour les personnes qui ont leur résidence
principale en France.
148) La France compte 3 millions de résidences secondaires. Dans l’ancien système,
une résidence secondaire équipée par intermittence d’un téléviseur portatif ne donnait
pas lieu à taxation.
LA REDEVANCE AUDIOVISUELLE : RÉFORME ET PERSPECTIVES
397
En troisième lieu, en cas de difficulté, le redevable peut dorénavant
s’adresser à un guichet de proximité
(soit la trésorerie, soit le centre des
impôts de son domicile)
alors que seuls le service central de la redevance
et les 5 centres régionaux étaient auparavant compétents.
Enfin, le régime de dégrèvement a été rendu plus lisible, puisqu’il
est désormais le même que pour la taxe d’habitation.
Les 5 millions de foyers dégrevés de redevance audiovisuelle et de
taxe d’habitation le sont :
−
soit sans autres conditions spécifiques de ressources :
. les bénéficiaires du revenu minimum d’insertion,
. les titulaires de l’allocation supplémentaire du Fonds de
solidarité vieillesse ou du Fonds spécial d’invalidité ;
−
soit sous conditions spécifiques de ressources :
. les contribuables âgés de plus de 60 ans,
. les titulaires de l’allocation aux adultes handicapés,
. les veufs ou veuves,
. les contribuables infirmes ou invalides.
La loi avait prévu une période transitoire jusqu’au 31 décembre
2007, pendant laquelle les personnes exonérées de redevance avant la
réforme,
mais
assujetties
à
la
taxe
d’habitation,
continuaient
temporairement à bénéficier d’un dégrèvement de redevance. Ce
dispositif, dit des « droits acquis », concernant actuellement environ
780 000 bénéficiaires – des personnes âgées ou handicapées -, vient
d’être
prorogé pour l’année 2008 s’agissant des personnes âgées (de
65 ans et plus au 1
er
janvier 2004, sous conditions de ressources) et rendu
définitif pour les personnes handicapées (environ 28 000)
149
.
Les dégrèvements pour motifs sociaux (500 M€) sont pris en
charge par le budget de l’Etat, via un versement, pour le montant
correspondant, aux
organismes de l’audiovisuel public.
149) Pour les personnes âgées concernées, la loi de finances rectificative pour 2007,
du 25 décembre 2007, a prorogé l’exonération pour 2008 à hauteur de 50 %
seulement, mais un amendement gouvernemental au projet de loi pour le pouvoir
d’achat, actuellement (janvier 2008) examiné en première lecture au Sénat, prévoit de
porter cette exonération à 100 %.
398
COUR DES COMPTES
B - Des contrôles mieux ciblés
L’introduction de la « case à cocher » dans la déclaration annuelle
de revenus a, par ailleurs, permis de mieux identifier les fraudeurs
potentiels.
En effet, le champ d’investigation des services de contrôle est ainsi
d’emblée circonscrit aux personnes qui déclarent ne pas détenir de
téléviseur (10,1 % en 2005 et 8,8 % en 2006). Leurs déclarations sont
répertoriées sur plusieurs années et croisées avec les données relatives à
la taxe d’habitation, avec celles fournies par les revendeurs de téléviseur
et, dans certaines limites, avec celles provenant des câblo-opérateurs et
des fournisseurs de services télévisés payants.
L’ensemble de ce dispositif a porté ses fruits, puisque, selon les
évaluations de la Cour, le taux de fraude à la redevance ne dépasse pas
aujourd’hui 1,25 %, alors qu’en 2004, donc avant la réforme, il était
estimé par la direction générale de la comptabilité publique à plus de 6 %.
Pour les seules résidences secondaires, il avait été évalué à plus de 65 %
en 1999.
Il est vrai, néanmoins, que cette diminution de la fraude résulte
certainement pour une large part de la réduction du nombre des
redevables et qu’elle aura donc eu pour prix une renonciation à des
ressources potentielles
150
:
−
du fait de l’abandon de toute taxation des récepteurs dans les
résidences secondaires, qui a mécaniquement restreint la
principale source de fraude ;
−
en raison aussi de l’extension des dégrèvements et du maintien
temporaire d’exonérations au titre des « droits acquis » qui ont
de facto réduit également le nombre de redevables et ainsi le
nombre maximal théorique des fraudeurs potentiels.
Enfin, la simplification de la collecte et du régime de
dégrèvements, ainsi que la diminution de la fraude, sont de nature à
rendre la redevance mieux acceptée.
150) Le manque de statistiques comparatives entre l’ancien et le nouveau système ne
permet pas de donner une évaluation chiffrée.
LA REDEVANCE AUDIOVISUELLE : RÉFORME ET PERSPECTIVES
399
C - Le coût de la réforme et les économies réalisées
En termes d’organisation et de moyens, la réforme était d’une
ampleur non négligeable : entraînant la suppression du service de la
redevance qui existait jusqu’alors au sein de la direction générale de la
comptabilité publique et le redéploiement d’un millier d’agents, elle a
effectivement permis des économies appréciables dans les coûts de
gestion de la redevance.
En revanche, une partie de ces économies ne s’est pas traduite par
des gains de productivité immédiats pour l’Etat.
1 -
La suppression du service de la redevance
Le service de la redevance, qui a cessé ses activités à compter du
31 décembre 2004 et dont la suppression est intervenue par décret le
30 septembre 2005, assurait auparavant la détermination de l’assiette, le
recouvrement et le contrôle de la redevance audiovisuelle.
Sur les quelque 1400 agents concernés,
−
environ 400 agents chargés du contrôle de la redevance répartis
sur le territoire n’ont changé ni de poste ni de site ; désormais
rattachés aux trésoreries générales, ils ont continué à assurer la
même fonction ;
−
environ 500 personnes ont été affectées à des activités
nouvelles (par exemple, les centres « prélèvement services » de
Lille et de Rennes, spécialisés dans la gestion à distance du
prélèvement automatique des impôts des particuliers, ou la
trésorerie du contrôle automatisé de Rennes qui gère les
amendes routières issues des radars automatiques) ;
−
un peu moins de 500 personnes ont été reclassées dans les
services traditionnels du Trésor public.
Les réaffectations d’agents dans ces services traditionnels sont
intervenues au cours de l’année 2005 où le total des effectifs de la
direction générale de la comptabilité publique a seulement diminué de
480 agents (57 275 à fin 2004, 56 795 à fin 2005), alors que la
suppression d’un millier de postes au service de la redevance aurait dû
permettre une diminution plus importante
151
.
151) La direction générale de la comptabilité publique a recruté 1100 personnes en
2005.
400
COUR DES COMPTES
Le plan d’accompagnement social a fait l’objet d’un accord, signé
par les ministres et les organisations syndicales le 25 novembre 2004,
intitulé « Relevé de conclusions relatif au plan d’accompagnement
social ».
Les reclassements de personnel ont été assortis d’engagements
variés, sous forme de garanties géographiques, de rémunérations, de
qualification ou de formation. Des indemnités exceptionnelles ont été
accordées sans base réglementaire, alors même que les agents restaient,
pour la plupart, non seulement dans la même direction, mais sur le même
site ou dans la même ville.
En termes d’économies de gestion, alors qu’elles en constituaient
un volet important, la réforme n'est ainsi qu'un demi-succès.
2 -
Le coût et les économies induits par la réforme
Les mesures exceptionnelles qui ont accompagné la suppression du
service de la redevance ont coûté un peu moins de 8 M€.
Ce
coût se décompose comme suit, étant précisé qu’il ne prend
pas en compte le plan de promotions exceptionnelles, la direction
générale de la comptabilité publique ne s’estimant pas en mesure de le
chiffrer
152
:
Tableau n°1 : coût des indemnités exceptionnelles versées et de
la formation
Nature
Montant (€)
Indemnité exceptionnelle de mutation
2 063 840
Indemnité exceptionnelle de reconversion
197 226
Prime exceptionnelle de 500 € par agent
700 000
Formation
4 768 500
TOTAL
7 729 566
Source : direction générale de la comptabilité publique
Bien que partiel, ce coût n’est pas disproportionné par rapport aux
enjeux, dès lors que la réforme de la redevance a permis des économies
de gestion pérennes d’un montant bien supérieur.
152) Cette direction n’a pas non plus été en mesure d’indiquer le nombre de ces
promotions. Celui-ci n’était pas indiqué dans le « Relevé de conclusions relatif au
plan d’accompagnement social ».
LA REDEVANCE AUDIOVISUELLE : RÉFORME ET PERSPECTIVES
401
En effet, si l’organisation antérieure avait été maintenue, le coût
complet de gestion de la redevance audiovisuelle aurait été de l’ordre de
155 M€ en 2006, sur la base actualisée d’une estimation élaborée par
l’inspection générale des finances en 1999.
Par comparaison, le coût effectif de la gestion de la redevance en
2006 ressort à 54,5 M€, à partir des éléments suivants :
−
le coût actuel des services de contrôle de la redevance qui
fonctionnent désormais au sein des trésoreries générales, est
évalué à environ 16 M€ par an ;
−
un seul avis est émis pour la taxe d’habitation et la redevance
audiovisuelle et leur recouvrement est conjoint, donc sans
surcoût de traitement administratif, à la réserve près du surcroît
de contentieux évoqué ci-après ;
−
de fait, le regroupement des paiements de la taxe d’habitation
et de la redevance audiovisuelle à une échéance unique a
engendré des contentieux, dont le coût de gestion est évalué à
23,5 M€ en 2005 : en particulier, le paiement simultané de
116 € de redevance par foyer et de 300 € en moyenne de taxe
d’habitation a occasionné un alourdissement sensible de charge
de trésorerie pour nombre de redevables aux revenus modestes ;
ce coût devrait cependant diminuer avec la progression de la
mensualisation du paiement de ces deux impositions, qui ne
concerne aujourd’hui que 32,39 % des redevables ;
−
enfin, la réforme de la redevance a fait supporter à l’Etat des
coûts de trésorerie pérennes de 15 M€ par an
153
qui ne pourront
également être allégés que par une augmentation du taux de
mensualisation du paiement conjoint de la taxe d’habitation et
de la redevance : ils tiennent à ce que les redevables paient
désormais leur redevance en même temps que la taxe
d’habitation, c’est-à-dire à la fin de l’année civile, alors
qu’auparavant le produit de la redevance était encaissé et
reversé aux sociétés de l’audiovisuel public de manière plus
étalée au cours de l’année ; l’Etat le leur verse désormais
chaque mois, par douzième, dès le début de l’année.
153) Le taux d’intérêt retenu par l’Etat est le taux d’adjudication des bons du trésor à
taux fixe (BTF) et à intérêts précomptés émis pour une durée de 13 semaines, taux
moyen pondéré du mois courant, majoré de 5 points de base.
402
COUR DES COMPTES
Comparé au coût du système précédent (155 M€)
et ainsi ramené à
54,5 M€
154
, l’ensemble des coûts de gestion de la redevance diminue
d’environ 100 M€ par an, soit près des deux tiers du coût complet de
l’ancien service de la redevance. L’économie est substantielle.
Dans la mesure où l’Etat a prélevé en 2005 et 2006 sur le produit
de la redevance des frais forfaitaires de gestion et de trésorerie de
24 M€
155
par an, alors que ce prélèvement était de 74 M€ en 2004 - soit
un gain pour l’audiovisuel public de 50 M€ -, on pourrait en conclure que
l’audiovisuel public et l’Etat se partagent les 100 M€ d’économies
réalisées dans une proportion sensiblement égale.
Ce n’est, toutefois, pas le cas. En effet, ces économies ne se sont
pas entièrement matérialisées pour ce qui concerne l’Etat, puisqu’un tiers
des agents du service de la redevance ont été reclassés dans le réseau du
Trésor public, sans réduction globale corrélative des effectifs du réseau.
Le gain pour l’Etat reste donc, pour l’instant, en grande partie théorique.
II
-
L’impact de la réforme sur le financement de
l’audiovisuel public
Les données du financement de l’audiovisuel public et la place
qu’y tient la redevance n’ont pas été substantiellement modifiées par la
réforme intervenue en 2005. Les problèmes soulignés par la Cour en
2004, alors que cette réforme venait d’être approuvée par le
Parlement,
restent ainsi entiers.
A - Les constats de la Cour en 2004
Dans son rapport public pour l’année 2004, la Cour avait pris
position sur la question du financement de l’audiovisuel public à
l’occasion de développements consacrés au groupe France Télévisions.
Elle relevait que, depuis la constitution du groupe en 2000, un écart
structurel s’était maintenu entre l’évolution des dépenses du groupe et
celle des ressources publiques
permettant d’y faire face. Cet « effet de
ciseaux » résultait d’une croissance de la ressource publique d’environ
2,6 % par an de 2000 à 2003, alors que, sous l’effet notamment des
dépenses de personnel et des achats de programmes, la croissance
tendancielle des charges de France Télévisions se situait entre 4 et 5 %
par an. Cet écart structurel, d’au moins un point et demi, avait été atténué
154) 16 M€ +23,5 M€ +15M€ = 54,5 M€
155) Ce prélèvement passe à 40 M€ en LFI 2008.
LA REDEVANCE AUDIOVISUELLE : RÉFORME ET PERSPECTIVES
403
par une progression dynamique des ressources publicitaires, dont la Cour
soulignait néanmoins le caractère précaire, compte tenu des incertitudes
pesant sur un marché publicitaire aléatoire et fortement concurrentiel.
La Cour était ainsi amenée à conclure que «
si l'Etat veut placer la
télévision publique en situation de financer les ambitions qui lui sont
assignées pour le contenu de ses programmes, il ne dispose que de deux
variables d'ajustement : l'assouplissement de l'encadrement actuel de la
diffusion d'écrans publicitaires ou l'accroissement du taux de la
redevance. De l'avis de la direction du développement des médias, la
première solution remettrait en cause un équilibre politique difficilement
trouvé avec la presse écrite et le secteur privé et comporterait en outre le
risque d'inciter à une course à l'audience qui compromettrait les lignes
éditoriales. Quant à la redevance, les administrations de tutelle n'ont pas
été en mesure d'évaluer l'effet que la modification des modalités de
recouvrement par adossement à la taxe d'habitation pourrait avoir sur
son rendement. Tout laisse penser cependant que l'amélioration attendue
de la collecte sera loin d'être à la hauteur des besoins de financement qui
ont été évoqués. Si cette hypothèse devait être confirmée, l'Etat et France
Télévisions se trouveraient placés devant le choix difficile d'avoir à
accepter et justifier une augmentation du montant de la redevance ou, à
défaut, de revoir le périmètre de la télévision publique, celle-ci n'étant
plus en mesure de couvrir la diversité des programmes de ses chaînes. »
B - Une augmentation peu significative des ressources
tirées de la redevance à la suite de la réforme
Les travaux parlementaires préalables à la réforme de 2005
faisaient état de l’attente d’un « gain substantiel de produit » de la
redevance.
Cette attente était excessive, dans la mesure où la réforme a eu
pour effet immédiat de réduire la base taxable, en exemptant les foyers
qui disposent d’une résidence secondaire du paiement d’une redevance
additionnelle, et en dégrevant de redevance environ un million de
personnes qui y étaient jusque là assujetties tout en ne payant pas la taxe
d’habitation.
Avec une base ainsi réduite dans des proportions difficiles à
estimer compte tenu de la fraude massive sur les résidences secondaires,
mais dont l’ordre
de grandeur peut être situé à 10 %, le fait que le produit
de la redevance ait néanmoins crû de 1 % par an en 2005 et en 2006 par
rapport à la dernière année de mise en oeuvre de l’ancien système est un
incontestable succès en termes de rendement. Cette évolution s’est
poursuivie en 2007.
404
COUR DES COMPTES
Cependant, une trajectoire de croissance annuelle de 1 % par an
pour la redevance depuis l’entrée en vigueur de la réforme, si elle ne
diminue pas le bien-fondé de celle-ci, implique que la croissance de son
produit restera tendanciellement inférieure à celle des dépenses de
l’audiovisuel public.
Deux dispositions prévues par la loi étaient certes susceptibles
de
compenser la réduction de la base taxable intervenue en 2005.
La première était la définition des postes de télévision, étendue par
la loi de finances pour 2004 aux « dispositifs assimilés », ce qui visait les
ordinateurs équipés d’une carte de télévision et d’autres appareils comme
les
téléphones portables. Cependant, la redevance n’étant due qu’une fois
par foyer, quel que soit le nombre de récepteurs possédés, et 91 % des
foyers déclarant spontanément en posséder un, l’administration a préféré,
non sans raison, faire l’hypothèse que le nombre de foyers qui
disposeraient de dispositifs assimilés mais non d’un téléviseur était limité,
et que leur taxation effective entraînerait des difficultés hors de
proportion avec le produit supplémentaire à en attendre.
La seconde était l’assujettissement, prévu pour 2008, des
personnes jusque là assujetties à la
taxe d’habitation, mais exemptées de
redevance. Estimée à un million de personnes lors du vote de la loi en
2004, la population, qui bénéficiait ainsi de « droits acquis » au titre de
l’ancien régime d’exonération de la redevance, ne serait plus aujourd’hui
que d’environ 780 000 personnes, selon la direction générale des impôts.
Toutefois, cette exonération transitoire vient, pour les principaux
bénéficiaires (personnes âgées), d’être reconduite pour l’année 2008, et,
pour les bénéficiaires handicapées, d’être rendue définitive, l’ensemble
pour un coût total évalué à 81 M€, soit 3,5 % du produit de la redevance
en 2006.
La marge de progression à attendre d’un élargissement de l’assiette
de la redevance n’est ainsi pas de nature à régler le problème du produit
de cette taxe, face aux besoins de financement de l’audiovisuel public.
L’assujettissement intégral des « droits acquis » en 2009 produirait un
surcroît de recettes équivalent à la progression annuelle des budgets des
sociétés concernées. Il ne ferait donc que différer d’un an les choix à
opérer pour le budget de l’audiovisuel.
LA REDEVANCE AUDIOVISUELLE : RÉFORME ET PERSPECTIVES
405
C - Un montant bas et inchangé depuis 2002
Dans la progression limitée du rendement de la redevance, ce n’est
pas l’assiette, mais le montant et le choix fait depuis cinq ans de ne pas le
réévaluer qui sont en cause.
Le montant de la redevance avait augmenté de 36 % entre 1990 et
2002, soit une moyenne annuelle de 2,9 %. Il n’a pas été relevé depuis
2002. L’adossement à la taxe d’habitation a même conduit à un
ajustement technique, à la baisse, de cinquante centimes, les logiciels de
la direction générale des impôts n’acceptant pas les centimes.
Avec un montant resté fixé, en 2007, à 116 € en France
métropolitaine et 74 € dans les départements d’outre-mer, la redevance
est ainsi maintenue à un niveau à peine supérieur à la moitié de celui de
plusieurs pays européens, dont l'Allemagne et la Grande-Bretagne, soit
environ 200 € dans ces deux pays.
Tableau n°2 : comparaisons européennes
Pays
Montant
annuel de la
redevance
(en €, en
2006)
Ressources
publiques
totales affectées
au secteur
audiovisuel
public
(en M€, en
2006)
Ressources
publiques affectées
au secteur
audiovisuel public
par habitant (en €)
Part
d'audience
du secteur
audiovisuel
public
(en 2005)
France
116,00
2 736
44,93
39 %
Allemagne
204,36
7 120
(1)
86,35
44 %
Royaume Uni
196,25
4 773
79,08
42 %
(1)
Chiffre 2005
Source : direction du développement des médias
L’absence de revalorisation régulière du montant érode les
ressources de l’audiovisuel public et pourrait faire peser un aléa à terme
sur le système de financement par la redevance. En effet, le blocage
maintenu depuis 2002 correspond à une réduction de 10 % du
financement par la redevance du simple fait de l’inflation. Si l’option
politique est maintenue de différer le choix en faveur d’une hausse de la
redevance, à tout le moins un réajustement visant à compenser cette
érosion devrait être envisagé.
406
COUR DES COMPTES
Il s’agirait ainsi de maintenir une cohérence minimale entre les
engagements pris par l’Etat dans le cadre des contrats d’objectifs et de
moyens des sociétés de l’audiovisuel public et l’évolution de la ressource
publique qui leur est affectée par la loi. La Cour ne préconise
naturellement pas un alignement mécanique de celle-ci sur ceux-là, qui
dispenserait
l’audiovisuel
public
de
l’effort
d’économie
et
de
développement de ses ressources propres qui lui incombe comme au reste
du secteur public concurrentiel. Mais la non-réévaluation du taux de la
redevance ne lui paraît pas, à terme, compatible avec sa nature de
ressource affectée à un objet déterminé, les dépenses de l’audiovisuel
public, alors que celles-ci connaissent un rythme de croissance soutenu
dont le gouvernement ne prévoit pas la diminution dans les années à
venir.
D - Des budgets de l’audiovisuel public en hausse, des
ressources propres en baisse depuis 2007
Les contrats d’objectifs et de moyens (COM) conclus, entre 2005
et 2007, par l’Etat et chacune des quatre principales entreprises qui
bénéficient de la redevance, l’Institut national de l’audiovisuel, Radio
France, France Télévisions et ARTE (ces deux derniers en mars 2007),
d’une durée de 5 ans, prévoient tous des augmentations importantes des
dotations publiques des sociétés : pour 2008, les augmentations prévues
sont respectivement de 3,5 % pour France Télévisions, de 3,6 % pour
l’INA, de 4 % pour Radio France (dont une dotation d’investissement de
14,3 M€ pour la réhabilitation de la Maison de Radio France) et de 4,2 %
pour ARTE.
Seule Radio France Internationale, qui relève de la problématique
générale de l’audiovisuel extérieur, n’est pas encore dotée d’un COM,
mais les tutelles de cette société se sont fixé pour objectif d’en conclure
un dans les mois à venir.
Ces augmentations, qui échappent à la norme de croissance des
dépenses du budget de l’Etat
156
, excèdent de deux points et demi le taux
de croissance constaté en 2005 et 2006 du produit de la redevance.
156) Les ressources publiques de l’audiovisuel public proviennent d’un compte
spécial qui n’entre pas dans le budget général de l’Etat. Ce compte est alimenté d’une
part par la redevance et d’autre part par la mission « remboursements et
dégrèvements » du budget général, dont les crédits sont évaluatifs et n’entrent pas
dans le périmètre de la norme de dépenses (cf. le rapport de la Cour sur la situation et
les perspectives des finances publiques, juin 2007).
LA REDEVANCE AUDIOVISUELLE : RÉFORME ET PERSPECTIVES
407
Dans le même temps, les ressources propres du secteur audiovisuel
public qui correspondent pour l’essentiel (plus des deux tiers) aux recettes
publicitaires de France Télévisions, accusent un infléchissement sensible,
après avoir connu une progression dynamique depuis le début des années
2000.
Cette progression est reflétée dans le tableau ci-après, qui retrace
les prévisions en lois de finances initiales pour 2001 et 2007.
Tableau n°3 : les ressources du service public de l’audiovisuel
(en millions d’euros)
2001
2007
2007-2001
2007/2001
Produit de la
redevance
1 925
2 281
+ 356
+18%
Remboursement des
exonérations
413
509
+ 96
+23%
Subvention MAE
69
74
+ 5
+7%
Total ressources
publiques
2408
2 864
+ 456
+19%
Ressources propres
630
904
+ 274
+43%
Total
3 038
3 768
+ 830
+27%
Source : lois de finances initiales 2001 et 2007
Or, les prévisions budgétaires pour 2007 ont été démenties. Après
plusieurs années où les recettes publicitaires de France Télévisions ont
progressé plus vite (de 6,8 % en 2006) que le marché publicitaire
télévision dans son ensemble (5,5 %), la tendance s’est inversée en 2007 :
alors que la croissance du marché publicitaire du premier semestre de
l’année s’est établie à 6,8 %,
les recettes publicitaires du groupe France
Télévisions ont globalement baissé d’environ 5 %. Cela tient pour partie à
une évolution structurelle : la hausse de la publicité télévisuelle se
concentre désormais sur les chaînes de la télévision numérique terrestre
(TNT), du câble et du satellite, où France Télévisions est relativement peu
présente, le marché des chaînes hertziennes stagnant (+0,9 %). Cette
évolution, si elle devait se poursuivre, remettrait en cause le contexte de
croissance de ses ressources publicitaires qui avait permis à France
Télévisions de maintenir une situation financière équilibrée au cours des
années récentes.
408
COUR DES COMPTES
E -
Des perspectives préoccupantes pour le budget
général de l’Etat
Dans l’état actuel des choses, si la perspective d’une revalorisation
de la redevance continue d’être écartée, les incertitudes et les limites d’un
financement additionnel tiré du marché publicitaire risquent de désigner
par défaut le budget général de l’Etat comme la principale source de
financement destinée à faire face aux besoins supplémentaires de
l’audiovisuel public.
D’ores et déjà, le budget général est mis à contribution au titre du
remboursement des dégrèvements de redevance pour motifs sociaux, que
l’Etat doit compenser intégralement en vertu de la loi du 1
er
août 2000.
Cette charge a cru au cours des années récentes, sans qu’elle atteigne le
niveau réel des dégrèvements de redevance pour motif social constatés.
Elle s’en rapproche néanmoins, et la perspective existe désormais d’un
financement structurel de l’audiovisuel public par le budget général au-
delà de cette obligation.
L’article 55 de la loi de finances pour 2005 avait fixé à 440 M€ les
crédits ouverts à ce titre, tout en instaurant, sur amendement
parlementaire, un mécanisme qui garantit la ressource publique des
organismes du service public de l’audiovisuel : si les encaissements de
redevance sont inférieurs au montant inscrit en loi de finances initiale, le
budget général compensera à due concurrence ce manque à gagner. Ce
mécanisme, présenté en 2005 comme provisoire et destiné à protéger les
ressources des aléas de la transition de l’ancien au nouveau régime, a été
reconduit en 2006 et 2007. Il conduit à une majoration du plafond des
dégrèvements pris en charge par le budget général en cas d’encaissements
de redevance inférieurs aux prévisions. C’est ce qui s’est produit en 2005,
2006 et 2007, années au cours desquelles le mécanisme de garantie a été
appelé à jouer et a provoqué les réévaluations du plafond.
Tableau n°4 : remboursement des dégrèvements par le budget général
Remboursement
dégrèvements sociaux
2005
2006
2007
2008
Plafond prévu en loi de
finances initiale
440
440
509
493
157
Montant réévalué
469
505
*
-
Source : lois de finances initiales 2005 à 2007 et projet de loi de finances
pour 2008
157) Montant inscrit au PLF 2008.
LA REDEVANCE AUDIOVISUELLE : RÉFORME ET PERSPECTIVES
409
La
contribution
du
budget
général
au
financement
de
l’audiovisuel public a ainsi progressé de 38% de 2005 à 2007. Elle a
représenté en 2007 près du quart du produit de la redevance.
En pratique, le budget général a été mis à contribution pour un
montant resté inférieur à celui des dégrèvements effectivement intervenus
pour motifs sociaux (571 M€ en 2006). Cependant, le jeu combiné du
mécanisme de garantie de ressources et de l’écart entre la croissance de la
redevance et celle des budgets de l’audiovisuel public risque d’entraîner
l’apparition d’un financement complémentaire pour le budget général de
l’Etat, ce qui ôterait toute signification à la fixation d’un plafond.
Cette perspective appelle une plus grande clarté des coûts
budgétaires de l’audiovisuel public.
Une première clarification pourrait consister à compenser le
décalage entre la connaissance des ressources et l’autorisation des
dépenses qui, dans le cas de l’audiovisuel public, aboutit à conduire le
débat parlementaire sur les dépenses de l’année n+1 dans l’ignorance des
recettes de l’année n, le produit de la taxe d’habitation et de la redevance
ne pouvant être estimé qu’en décembre. Ce décalage serait atténué si, en
cas de moins-value des recettes de la redevance constatée en fin
d’année n, le Parlement était conduit à se prononcer à nouveau sur le
financement des organismes de l’audiovisuel public à l’occasion de
l’examen de la première loi de finances rectificative de l’année n+1.
Une autre clarification pourrait consister à intégrer dans un
nouveau programme
ad hoc
rattaché à la mission « Médias » le montant
des dégrèvements de redevance, qui sont actuellement imputés au
programme « Remboursements et dégrèvements d’impôts d’Etat ».
410
COUR DES COMPTES
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
La réforme de la redevance a été un relatif succès en termes de
simplification
de la collecte et d’amélioration du service rendu au
public. En revanche, toutes les économies de gestion à en attendre n’ont
pas été réalisées.
Surtout, la réforme n’apporte pas de solution au problème du
financement de l’audiovisuel public, dans un contexte rendu difficile par
les charges accrues prévues par les contrats d’objectifs et de moyens et
l’évolution défavorable des recettes publicitaires des chaînes publiques.
Ces
circonstances
amènent
la
Cour
à
formuler
deux
recommandations :
- la première est d’améliorer la transparence des coûts
budgétaires de l’audiovisuel public, grâce aux deux mesures mentionnées
ci-dessus : l’organisation d’un débat parlementaire sur le financement de
l’audiovisuel public en cas de moins-values des recettes de la redevance
par
rapport
aux
prévisions
budgétaires
et
l’imputation
des
remboursements de dégrèvements de la redevance à
la mission
Médias.
- la seconde est que la ressource prévue par la loi pour être
affectée au financement de l’audiovisuel public soit mise à contribution
en priorité pour faire face aux difficultés financières et aux besoins
croissants de ce secteur, sans naturellement le dispenser des mesures
d’économie et de rationalisation qui lui incombent. Le blocage nominal
depuis 2002 du montant de la redevance correspond à une baisse en
termes réels de l’ordre de 10 %. Le principe du financement par une
ressource affectée semble difficilement compatible avec une érosion de
fait de cette ressource.
En 2004, la Cour avait souligné que
le choix restait posé d’une
augmentation de la redevance allant au-delà de cette revalorisation ou
d’une réduction du périmètre et des objectifs de l’audiovisuel public. Le
Président de la République a ouvert, le 8 janvier 2008, la perspective
d'une suppression de la publicité sur les chaînes publiques de télévision,
et donc d'une refonte d'ensemble du financement de l'audiovisuel public.
Entre la redevance, le remplacement des ressources publicitaires par le
produit de nouvelles taxations et les ressources budgétaires, l’équilibre
sera difficile à trouver, a fortiori de manière pérenne. En tout état de
cause, le financement par la redevance devrait demeurer un élément
majeur de l’ensemble, rendant d'autant plus sensibles ses limites, que la
Cour tient à rappeler.
LA REDEVANCE AUDIOVISUELLE : RÉFORME ET PERSPECTIVES
411
RÉPONSE DE LA MINISTRE DE LA CULTURE
ET DE LA COMMUNICATION
Le ministère de la culture et de la communication prend acte de
l’appréciation portée par la Cour sur le bilan de la réforme de la redevance
audiovisuelle et les perspectives du financement de l’audiovisuel public.
Le ministère de la culture et de la communication partage le constat
que fait Cour sur le risque de déstabilisation à terme du financement de
l’audiovisuel public, dont les besoins augmentent plus vite que la ressource
qui lui est affectée.
Le ministère de la culture et de la communication tient à rappeler que
France Télévisions, ARTE France, Radio France et l’Institut national de
l’audiovisuel ont chacune signé avec l’Etat un contrat d’objectif et de
moyens (COM), pluriannuel, qui définit la stratégie et les objectifs de
développement de chaque société et, en contrepartie, la participation
financière de l’Etat pour la durée du COM. Ainsi, il serait contraire aux
intérêts de la politique publique en matière d’audiovisuel de ne pas remplir
les engagements de l’Etat. Deux propositions formulées dans ce rapport, à
savoir la renégociation avec le Parlement en loi de finances rectificative des
dotations des sociétés de l’audiovisuel public et l’intégration des crédits de
remboursement des dégrèvements au sein du budget général de l’Etat,
pourraient mettre en péril l’équilibre des stratégies pluriannuelles de ces
sociétés et la notion même de contrat d’objectifs et de moyens, prévue par la
loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
***
Remarques complémentaires
La redevance audiovisuelle : réforme et perspectives
Certains points de l’insertion suscitent quelques remarques de la part
du ministère de la culture et de la communication.
Sur la proposition de revoir en loi de finances rectificative le montant des
subventions des sociétés de l’audiovisuel public.
* L’insertion propose « une disposition prévoyant qu’en cas de moins-value
des recettes de la redevance constatée en fin d’année n, le Parlement serait
amené à se prononcer à nouveau sur le financement des organismes de
l’audiovisuel public à l’occasion de l’examen de la première loi de finances
rectificative de l’année n+1 ». La mise en place de cette proposition n’est pas
recommandée pour deux raisons :
la redevance étant désormais payée par les contribuables en même
temps que la taxe d’habitation, les résultats de l’année n ne peuvent être
connus qu’en milieu d’année n+1. Il serait donc difficile pour les sociétés de
revoir à la baisse leur budget en cours d’année ;
412
COUR DES COMPTES
France Télévisions, ARTE France, Radio France et l’Institut national
de l’audiovisuel ont chacune signé avec l’Etat un contrat d’objectif et de
moyens (COM), pluriannuel, qui définit la stratégie et les objectifs de
développement de chaque société et, en contrepartie, la participation
financière de l’Etat pour la durée du COM. Ainsi, il serait contraire aux
intérêts de la politique publique en matière d’audiovisuel de ne pas remplir
les engagements de l’Etat.
Sur la proposition d’intégrer les crédits de remboursement et dégrèvements
à la mission du budget général de l’Etat « Médias ».
L’insertion indique qu’une solution à envisager pour clarifier le
financement de l’audiovisuel public serait l’intégration des crédits de
remboursements et dégrèvements en créant un programme dans la mission «
Médias ». Ces crédits sont actuellement des crédits évaluatifs, inscrits dans
le programme « Remboursements et dégrèvements d’impôts d’Etat », hors
budget général de l’Etat. Ils viennent compléter les encaissements de
redevance, sur le compte de concours financier « Avances à l’audiovisuel
public ». Ils représentaient 18% du total du compte dans la loi de finances
2007 et ils représentent 17% dans la loi de finances pour 2008.
Or, intégrer une partie du financement de l’audiovisuel public dans le
budget général de l’Etat n’apparaît pas recommandé. En effet, comme le
rapport le rappelle, l’objectif de la redevance est de garantir l’indépendance
des sociétés de l’audiovisuel public vis-à-vis du pouvoir politique et d’éviter
les difficultés de pilotage d’une entreprise soumise aux mesures budgétaires
de régulation. D’autre part c’est incompatible avec la logique de
contractualisation pluriannuelle prévue par la loi du 30 septembre 1986
relative à la liberté de communication, dans le cadre des contrats d’objectifs
et de moyens.
LA REDEVANCE AUDIOVISUELLE : RÉFORME ET PERSPECTIVES
413
RÉPONSE DU MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS
ET DE LA FONCTION PUBLIQUE
Dans son insertion intitulée « La redevance audiovisuelle : réforme et
perspective », la Cour rappelle les objectifs de la réforme : l’amélioration du
recouvrement de la redevance, le souci d’équité conduisant notamment à
rechercher une réduction de la fraude et la réduction des coûts de la collecte
de façon à ne pas alourdir la charge de la collectivité.
Ces différents objectifs ont été remplis. La réforme de la redevance a
de plus permis de dégager des ressources nouvelles pour le financement des
organismes de l’audiovisuel public (entre 2004 et 2006, les encaissements
bruts de redevance ont progressé de 45 M€ pour s’établir à 2257 M€) tout en
permettant :
•
de limiter la taxe à une seule redevance par foyer,
•
de diminuer le taux de la redevance (116 € en 2005 contre 116,5 €
en 2004),
•
d’exonérer un plus grand nombre de contribuables grâce à
l’alignement sur la taxe d’habitation.
Analysant l’impact de la réforme sur le financement de l’audiovisuel
public, vous rappelez la difficulté de prévision pour les années 2005 et 2006,
liée au changement de régime du dispositif et aux dates tardives de
recouvrement de la redevance adossé à celui de la taxe d’habitation, elle-
même recouvrée en novembre et décembre chaque année.
L’exécution 2007 devrait permettre de donner un plus grand recul
pour mieux appréhender la dynamique des effets liés à la réforme et affiner
les hypothèses destinées à établir les projections pour les futures lois de
finances.
La Cour examine également le dispositif de garantie de ressources
aux organismes de l’audiovisuel public établi en 2005, qui conduit à majorer
le plafond des dégrèvements pris en charge par le budget général sur le
programme « Remboursements et dégrèvements d’impôts d’État » si les
encaissements de redevance sont moins élevés que prévus.
Il convient de rappeler que le mécanisme de garantie a bien été
reconduit, mais l’exécution 2007 n’étant pas encore connue, il n’est pas
encore possible de savoir s’il aura à être mis en oeuvre.
Je suis conscient que le système actuel de recouvrement de la
redevance implique de conduire le débat parlementaire sur les dépenses de
l’année n+1 dans l’ignorance des recettes de l’année
n.
414
COUR DES COMPTES
Je tiens toutefois à rappeler que, sans qu’il ne soit nécessaire de
prendre une disposition ad-hoc, la loi de finances rectificative constitue
d’ores et déjà un véhicule législatif adéquat pour permettre au législateur
d’examiner à nouveau l’équilibre du compte de concours financier « Avances
à l’audiovisuel public » qui retrace le financement des organismes de
l’audiovisuel public.
Afin de renforcer la clarté des coûts budgétaires de l’audiovisuel
public, vous proposez d’intégrer dans un nouveau programme, rattaché à la
mission « Medias », le montant des dégrèvements de redevance.
A l’occasion de l’examen au Sénat du projet de loi de finances pour
2008
et
de
la
mission
« Remboursements
et
Dégrèvements »,
le
Gouvernement
s’est engagé à conduire une réflexion d’ensemble sur la
refonte de cette mission, associant la représentation nationale
.
La Cour insiste en conclusion sur le risque que fait peser l’exécution
des contrats d’objectifs et de moyens (COM) signés entre l’État et les
organismes de l’audiovisuel sur le financement de l’audiovisuel public par le
budget général en raison d’une croissance prévisionnelle de la dotation
budgétaire allouée aux organismes plus forte que la croissance des
encaissements de redevance.
La Cour estime qu’il conviendrait donc de procéder à un examen
approfondi des modalités de financement de l’audiovisuel public.
L’engagement pris par l’Etat en faveur des organismes audiovisuels
ne dispense pas d’une réflexion de fond et prospective sur l’avenir de
l’audiovisuel public et de son financement, sans écarter aucune piste a
priori.
Observations techniques
Les données présentées dans le rapport sont exprimées tantôt en brut,
tantôt en net, rendant plus difficile leur interprétation et ne permettant pas de
les comparer. Ainsi, en page 395 le montant de 2,3 Md€ est brut, il comprend
les frais de gestion et de trésorerie alors qu’en page 407 le produit de la
redevance annoncé en LFI 2007 de 2.281 millions d’euros est donné en net
(hors frais de gestion et de trésorerie).
* Il est proposé de remplacer les deux premiers paragraphes débutant par :
«
Les 5 millions de foyers dégrevés ….. »
par les paragraphes suivants :
« Le nombre de redevables exonérés ou dégrevés d’office de la taxe
d’habitation s’établissait à prés de 4,4 millions en 2006. Du fait de la
réforme, ils bénéficient automatiquement d’un dégrèvement de la redevance
audiovisuelle. Il s’agit :
LA REDEVANCE AUDIOVISUELLE : RÉFORME ET PERSPECTIVES
415
- sous réserve de respecter les conditions de cohabitation visées à
l’article 1390 du CGI, des bénéficiaires du RMI et des titulaires de
l’allocation supplémentaire prévue aux articles L. 815-2 ou L. 815-3 du code
de la sécurité sociale ;
- et, sous réserve de respecter les conditions de cohabitation susvisées
et des conditions de ressources prévue au I de l’article 1417 du code général
des impôts, des titulaires de l’allocation aux adultes handicapés, des
personnes âgées de plus de 60 ans ainsi que les veufs ou veuves quel que soit
leur âge et des infirmes ou invalides ne pouvant subvenir par leur travail aux
nécessités de leur existence ».
« Toutefois, dès lors que les champs d’exonération de la redevance et
de la taxe d’habitation ne se recouvraient pas totalement, un dispositif
transitoire applicable en 2005 et sous certaines conditions pour 2006 et
2007, a été institué afin de maintenir le bénéfice de l’exonération pour les
personnes qui ont été exonérées de redevance audiovisuelle en 2004 et qui,
compte tenu des dispositifs d'exonération applicables en taxe d'habitation ne
l'auraient plus été du fait de la réforme.
Il s’agit principalement :
-
des personnes âgées de plus de 65 ans non imposables à l’impôt sur
le revenu et à l’impôt de solidarité sur la fortune mais ayant un
revenu fiscal de référence supérieur à la limite prévue au I de
l’article 1417 ;
- des foyers dont l’un des membres est handicapé (cas le plus
fréquent, un enfant), ce dernier n’étant pas redevable de la taxe
d’habitation.
Plus de 700.000 personnes en 2007 (870.000 en
2006) sont dégrevées
de la redevance
audiovisuelle au titre du dispositif des droits acquis. »
* Il est proposé de remplacer dans le 1
er
paragraphe du C-1 :
« Supprimé le 31 décembre 2004, le service de la redevance assurait »
par la mention :
« Le service de la redevance, qui
a cessé ses activités à compter du
31 décembre 2004 et dont la suppression est intervenue le 30 septembre 2005
par le décret n° 2005-1232 du 30 septembre 2005 portant cessation de
l'activité du service de la redevance audiovisuelle et de l'agence comptable
du service de la redevance audiovisuelle, assurait »
* La dernière phrase devrait par ailleurs être complétée après le mot
« fonction » par les mots « à l’exception de l’assiette ».
Le rapport mentionne les frais de gestion et de trésorerie en précisant
que ceux-ci sont passés de 74 M€ en 2004 à 24 M€ prévus en 2007. Ce
montant de 24 M€ ne concerne que les seuls frais de gestion (tels qu’ils
apparaissent en LFI).
416
COUR DES COMPTES
Par conséquent il convient de nuancer la conclusion du gain de 50 M€
d’économies réalisées. En effet, il convient d’y ajouter les frais de trésorerie,
estimés en 2007 à 16 M€.
Au total, les frais de gestion et de trésorerie seront équivalents à ceux
de 2006, soit environ 40 M€. Le gain n’est donc pas de 50 M€ mais de 24 à
25 M€.
* Le rapport indique dans le dernier paragraphe de la partie I « qu’un tiers
des agents du service de la redevance ont été reclassés dans le réseau, sans
réduction globale corrélative du réseau. Le gain pour l’État resterait donc,
pour l’instant en grande partie théorique ».
Ce point n'est pas tout à fait exact. En effet, la DGCP a pu renforcer
la qualité du service rendu aux usagers et améliorer la qualité des
prestations du Trésor public en procédant aux transferts d’emplois
correspondants (au nombre de 500). Dans la durée, de nouvelles
suppressions d’emplois sont réalisées grâce aux gains de productivité eux
même générés par ces nouvelles activités (centres prélèvements services par
exemple).
* Le sixième paragraphe pourrait être remplacé par un paragraphe ainsi
rédigé :
« La première porte sur l’assiette de la redevance. La loi de finances
pour 2005 a maintenu le fait générateur de la redevance audiovisuelle à
savoir la détention d’un appareil récepteur de télévision ou d’un dispositif
assimilé permettant la réception de la télévision. Toutefois, le gouvernement
a maintenu le principe de la non-imposition des détenteurs de micro-
ordinateurs équipés pour la réception de la télévision. Plusieurs éléments
viennent justifier cette décision :
- cette taxation aurait été contraire à la volonté de développer la
société de l’information et les nouvelles technologies ;
- cette nouvelle taxation aurait été mal ressentie par les particuliers
ainsi que par les professionnels dotés d’un parc informatique équipé de
cartes tuner ;
- enfin, cette taxation aurait nécessité la mise en place de nouvelles
obligations déclaratives à la charge des professionnels et des modalités de
contrôle complexes. »
* Le début de la deuxième phrase du deuxième paragraphe ne paraît pas
d’actualité compte tenu du dernier état des débats au Parlement sur le
régime des « droits acquis ».
* Le rapport mentionne que le montant de la redevance est bas et inchangé
depuis 2002, ce qui n’est pas tout à fait exact. En effet, le montant de la
redevance est passé de 116,5 € en 2004 à 116 € en 2005. Sur 20 millions de
comptes payants, la moindre recette est donc d’environ 10 M€.
L’Imprimerie nationale :
le coût d’une réforme mal pilotée
_____________________
PRESENTATION
____________________
L’Imprimerie nationale, qui était un service central du ministère
des finances jusqu’en 1993 et employait 2 000 personnes, est devenue à
partir du 1
er
janvier 1994 une société anonyme appartenant à l’Etat. Le
monopole dont elle bénéficiait pour réaliser les commandes des
administrations a été simultanément limité aux seuls travaux concernant
des documents déclarés secrets ou dont l'exécution doit s'accompagner de
mesures particulières de sécurité, tels que les titres d'identité, passeports
et visas.
A l’instar d’autres pays étrangers comme les Etats-Unis,
l’Espagne ou l’Italie, la France a donc choisi de garder le contrôle direct
de la fabrication des documents sensibles. Dans le même temps, le
Gouvernement n’a pas souhaité regrouper l’ensemble des entités
réalisant des travaux d’édition pour le compte des administrations : la
Documentation française et les Journaux Officiels sont restés des services
de l’Etat.
En 2000, la Cour a contrôlé les exercices 1994 à 1999, premiers à
suivre la mise en place du nouveau statut de l’Imprimerie nationale. Elle
a souligné
158
alors les principales difficultés de l’entreprise : tassement
du chiffre d’affaires, capacité d’autofinancement insuffisante, charges
d’exploitation trop élevées, délais de règlement par les administrations
très largement supérieurs à la normale. Elle a relevé que la stratégie était
atypique : l’Imprimerie nationale ne privilégiait aucun axe de
développement et conservait ses activités traditionnelles tout en
s’engageant dans des diversifications, alors que ses concurrents se
158) Rapport particulier transmis au ministre de l’économie, des finances et de
l’industrie et au Parlement le 21 février 2002.
418
COUR DES COMPTES
recentraient sur leurs métiers de base ou les abandonnaient pour
développer de nouveaux produits. De plus, l’entreprise misait sur le
développement
d’un
chiffre
d’affaires
essentiellement
constitué
d’activités dont les prix de vente ne couvraient pas les charges. La
stratégie de croissance externe se soldait dans le même temps par un
échec, toutes les filiales acquises contribuant à la dégradation du résultat
net. Sur le plan de la gestion, le contrôle mettait en lumière des
faiblesses, en particulier dans le domaine du contrôle, des cessions
internes et des délais de facturation aux clients.
Un nouveau contrôle a porté sur les années 2000 à 2006 et a
confirmé
159
les analyses antérieures. En même temps, la commission des
finances de l’Assemblée nationale a demandé à la Cour un rapport sur
l’Imprimerie nationale, en application de l’article 58-2 de la loi
organique du 1
er
août 2001 relative aux lois de finances. Ce rapport lui a
été transmis le 10 octobre 2007.
Les développements qui suivent visent à mettre particulièrement en
lumière les retards intervenus dans la mise en oeuvre de mesures de
redressement : l’Imprimerie nationale s’est adaptée trop lentement aux
réalités du marché ; sa gouvernance a mal fonctionné ; le plan de
redressement en définitive adopté en juillet 2004 a été globalement bien
mené mais les perspectives, si elle sont désormais plus favorables
demeurent fragiles ; si la réforme décidée en 1993 était indispensable, la
manière dont elle a été conduite a eu un coût trop élevé pour l’Etat.
La Cour examine par ailleurs les conditions dans lesquelles l’entreprise a
vendu son immeuble de la rue de la Convention à Paris, immeuble qui a
été ensuite racheté par l’Etat.
I
-
Une adaptation trop lente aux réalités du
marché
Le changement de statut, et la réduction du champ de son
monopole, ont eu pour effet de placer l’Imprimerie nationale dans un
environnement concurrentiel difficile. L’entreprise aurait donc dû
analyser dès sa création les forces et les faiblesses de ses différents
métiers pour
définir les mesures propres à lui
permettre de s’adapter à la
concurrence. Cette réflexion stratégique n’a pas été entreprise à temps.
159) Rapport particulier transmis au ministre de l’économie, des finances et de
l’emploi et au Parlement le 30 juillet 2007.
L’IMPRIMERIE NATIONALE : LE COUT D’UNE RÉFORME
MAL PILOTÉE
419
Elle aurait été d’autant plus nécessaire que le premier exercice
social de la nouvelle entité a montré que sa situation était très fragile : le
chiffre d’affaires n’était en effet qu’à peine supérieur au point mort, alors
même que l’Imprimerie nationale n’avait encore réalisé que des marchés
passés sous le régime du monopole.
La fin progressive des marchés passés sous le régime du monopole,
et tout particulièrement à partir de 1996 la perte du marché de l’annuaire qui
représentait 40% de son chiffre d'affaires, a conduit l’Imprimerie nationale à
tenter de développer ses activités sur le marché concurrentiel. Pour autant,
la dégradation des résultats n’a pu être évitée et les premières pertes sont
apparues en 1997 : c’est seulement à ce moment que, devant la dégradation
des comptes, la direction a lancé un plan d’économies, dont les effets ont
été limités malgré une première baisse des effectifs. Même à ce moment,
elle n’a toujours pas entrepris d’étude stratégique. Les pertes ont ensuite
fortement augmenté. Le tableau suivant montre l’évolution très défavorable
des comptes consolidés, notamment à partir de 2000.
Principaux chiffres des comptes consolidés
en M€
1994
1996
1998
2000
2002
2003
2004
2005
2006
Total actif
302,4
319,0
317,2
322,2
274,7
195,3
177,5
194,1
146,2
Capitaux propres
234,8
237,5
216,6
173,7
74,9
-30,8
-159,8
-9,5
20,5
Chiffre d'affaires
243,5
260,5
276,2
272,2
208,8
176,5
162,4
136,6
129,3
Résultat courant
0,6
0,6
-11,2
-35,1
-39,4
-57,2
-44,5
-42,0
-10,3
Résultat net
0,9
0,3
-11,9
-29,6
-46,8
-105
-129
-46,5
30,0
Effectifs au 31/12
1938
1990
1829
1642
1609
1417
1145
604
592
L’IMPRIMERIE NATIONALE : LE COUT D’UNE RÉFORME
MAL PILOTÉE
421
Devant cette dégradation, l’Etat actionnaire a pris l’initiative de
faire réaliser un audit stratégique en 1999. Les constatations de cet audit
rejoignaient celles de la Cour, et ses conclusions étaient pessimistes :
l’Imprimerie nationale n’était compétitive sur aucun de ses métiers et une
projection de son positionnement compétitif conduisait à prévoir sa
disparition dans un proche avenir. Sur la base de cet audit, l’entreprise a
approuvé en 2000 un « plan stratégique » portant sur les exercices 2000 à
2003.
Cependant, malgré les conclusions de l’audit, ce plan ne prévoyait
aucune inflexion significative de la stratégie. La dégradation s’est donc
poursuivie, ce qui a conduit le comité central d’entreprise à voter une
résolution d’ouverture de la procédure du droit d’alerte le 16 juin 2001.
C’est seulement un an plus tard, le 10 juillet 2002, qu’un nouveau plan
pour la période 2002-2005 a été soumis au conseil d'administration. Les
résultats continuant à se dégrader, il a été actualisé le 6 juin 2003. Le
dossier soumis alors au conseil d'administration précise explicitement :
«
La volonté affichée et maintenue de l’Imprimerie nationale depuis le
premier plan d’affaires élaboré en 1999 est de maintenir sa présence sur
les trois filières de production (rotatives, feuilles et continu) en
accentuant le développement des produits fiduciaires et sécurisés à
travers un rôle d’intégrateur de services.
» Ainsi, et malgré son échec
patent, la stratégie n’était toujours pas modifiée dans ses fondements
mêmes.
Si, pour la première fois néanmoins, ce plan stratégique intégrait la
nécessaire diminution de l’emploi, c’était sans prévoir de licenciements
malgré l’urgence de l’adaptation nécessaire. En fait, après une légère
hausse en 1994 et 1995, la baisse tendancielle des effectifs depuis 1997
est due au non remplacement de tous les départs. L’actualisation du plan
stratégique, suivie six jours plus tard de la nomination d’un nouveau
président, n’a pu infléchir le résultat net de 2003 qui s’est révélé
désastreux avec une perte d’exploitation dépassant 57 M€, soit près du
tiers du chiffre d'affaires.
Les commissaires aux comptes ont déclenché à leur tour une
procédure d’alerte, qui a conduit l’Etat à solliciter de la Commission
européenne
l’autorisation d’accorder une aide au titre du sauvetage d’une
entreprise en difficulté. Cet accord a été obtenu le 18 février 2004 sous
réserve d’un plan de redressement qui a été approuvé par le conseil
d'administration le 8 juillet 2004, puis par la Commission le 20 juillet
2005. Il a profondément transformé l’entreprise et il était en cours
d’achèvement en 2007.
422
COUR DES COMPTES
L’entreprise a donc attendu dix ans pour s’adapter à son
environnement concurrentiel et prendre les mesures nécessaires pour
assurer sa pérennité. Ce délai peut en partie s’expliquer par le contexte du
changement de statut : l’Etat avait en effet consenti des investissements
importants - environ 120 M€ entre 1987 et 1992 – pour moderniser la
future entreprise. En outre, les débats au Parlement avaient fait ressortir
une vision optimiste de l’avenir de l’Imprimerie nationale, présentée
comme moderne et compétitive. Il était donc peu imaginable que la
direction s’engage immédiatement dans des plans de restructuration
comprenant des baisses d’effectifs, d’autant plus que l’impossibilité de
licencier ceux des agents qui ne bénéficiaient pas de la garantie de
l’emploi était à l’époque une contrainte non écrite imposée à la direction.
Si on doit garder à l’esprit la pression que cette règle tacite, aujourd’hui
disparue, exerçait sur les responsables, il n’en reste pas moins qu’un
véritable plan de redressement n’a été décidé qu’en 2004, lorsque
l’Imprimerie nationale était au bord du dépôt de bilan.
II
-
Une faiblesse de la gouvernance
L’Imprimerie nationale, société anonyme régie par la loi sur les
sociétés commerciales, est administrée par un conseil d'administration
dont la composition résulte de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative
à la démocratisation du secteur public. Le nombre des membres est de
dix-huit, répartis à parts égales entre trois catégories :
−
les représentants de l'Etat nommés par décret ;
−
des
personnalités
qualifiées
nommées
dans
les
mêmes
conditions ;
−
les représentants élus par les salariés.
Depuis son changement de statut, l’Imprimerie nationale a connu
trois présidents, dont le dernier a été nommé en 2003. Si les deux
premiers étaient issus de la fonction publique, leur successeur vient du
secteur privé.
Alors que l’Imprimerie nationale se trouvait confrontée à une
mutation extrêmement délicate, qui la faisait passer brutalement d’un
statut public et d’un marché protégé à un statut privé et un marché
hautement concurrentiel, son conseil d'administration ne comportait
aucun membre à même d’intégrer rapidement les exigences de rentabilité
et de concurrence propres à une entreprise privée. Les salariés exerçaient
une très forte influence, sans qu’aucun véritable professionnel du secteur
n’y fasse contrepoids. Cette situation, qui n’était pas à l’évidence propice
aux ruptures stratégiques, peut expliquer partiellement que les mesures de
L’IMPRIMERIE NATIONALE : LE COUT D’UNE RÉFORME
MAL PILOTÉE
423
redressement aient été prises très tardivement. Ce n’est qu’à partir de
2004 que la composition du conseil a commencé à évoluer.
La lecture des comptes rendus des séances fait apparaître un
conseil d'administration peu
réactif,
dont
les débats
concernent
principalement les représentants des salariés, le président et le
représentant de la direction du trésor chargée de gérer les participations
de l’Etat. Les autres représentants de l’Etat se manifestent peu, et les
personnalités qualifiées limitent leurs interventions à des demandes de
précisions, mais ne suggèrent aucune orientation de fond.
Les comptes rendus des trois conseils des 21 avril 2000, 10 juillet
2002 et 6 juin 2003 sont particulièrement éclairants : ces trois conseils ont
approuvé sans en discuter les hypothèses de base des plans stratégiques
successifs qui se sont révélés très rapidement irréalistes. Le conseil
d'administration du 10 juillet 2002 est d’autant plus remarquable qu’il
avait examiné auparavant le rapport de l’expert nommé après le
lancement d’une procédure d’alerte par le comité central d’entreprise. Ce
rapport était accablant sur les handicaps de l’entreprise : alors qu’il y
avait 1596 salariés au début de 2002, le handicap de productivité était
chiffré à 700 personnes. Après l’exposé du président sur son plan, dont
les limites étaient cependant manifestes au regard des évolutions des
premiers mois de 2002, la seule intervention du représentant de la
direction du trésor est résumée comme suit dans le compte rendu : «
M. …
souscrit à ce qui vient d’être dit sur le projet de réforme profond qui est
nécessaire et souhaite insister sur un point : des gages de réussite doivent
être donnés et pour cela, l’adhésion de tous est nécessaire
. »
La
critique
ne
peut
toutefois
s’arrêter
au
seul
conseil
d'administration. Le ministère de l’économie a insuffisamment exercé ses
responsabilités d’actionnaire alors même qu’il détenait l’intégralité du
capital. Il est demeuré trop en recul en matière stratégique et
insuffisamment réactif devant les pertes, faute notamment de disposer
d’une capacité d’analyse suffisante sur un secteur économiquement
difficile.
Il est difficilement compréhensible que le ministère de l’économie
ait pu approuver un plan stratégique en contradiction avec l’audit qu’il
avait diligenté et que la dégradation des résultats ne l’ait pas conduit à
remettre en cause les hypothèses des plans successifs. Comme le
souhaitent aujourd’hui ses responsables, l’Agence des participations de
l’Etat doit à l’avenir renforcer cette capacité, afin de pouvoir orienter et si
nécessaire infléchir les réflexions du management interne.
424
COUR DES COMPTES
III
-
Un plan de redressement tardif, mais
globalement bien mené
Le plan de redressement de juillet 2004 comprenait quatre volets :
−
une recapitalisation, d’autant plus indispensable que les fonds
propres de l’entreprise étaient devenus négatifs ;
−
un plan de sauvegarde de l’emploi qui prévoyait une forte
baisse des effectifs ;
−
la cession de nombreuses activités ;
−
enfin, la filialisation des activités conservées en dehors du
monopole, afin de séparer les comptes et de garantir l’absence
de subventions croisées entre secteurs sous monopole et secteur
concurrentiel.
Le coût du plan était estimé à 233 M€, financé par un apport de
197 M€ de l’Etat et la vente du siège social qui a apporté 33,4 M€ en
valeur nette (le montant de l’intéressement prévu par le contrat sur la
revente par l’acquéreur est venu s’y ajouter mais n’a été connu qu’en
2007
160
), complétée par un emprunt bancaire d’un montant maximum de
12,5 M€.
Le recentrage sur un petit nombre d’activités, principalement le
fiduciaire, c’est à dire la réalisation de documents comportant des signes
de sécurité tels que les passeports, les futures cartes d’identités
électroniques, les cartes grises ou éventuellement les cartes Vitale, et les
cartes électroniques telles que celles qui servent à contrôler les temps de
conduite des poids lourds, constituait le coeur de la nouvelle stratégie
d’entreprise. Les autres activités devaient être cédées ou fermées. Dans
les activités classiques d’imprimerie, seule l’impression en continu devait
être gardée, à condition de devenir rentable, car son implantation dans
l’usine sécurisée de Douai aurait rendu très délicate la séparation des
activités fiduciaires. En revanche, il était prévu de céder l’activité des
rotatives, avec la filiale ISTRA IN, les activités d’impression par feuille,
le prépresse, la logistique, la vente par correspondance, les éditions
générales et les éditions techniques et les beaux livres. Toutes ces
activités étaient déficitaires.
160) cf. pages 635 et suivantes.
L’IMPRIMERIE NATIONALE : LE COUT D’UNE RÉFORME
MAL PILOTÉE
425
La vente des activités d’édition s’est accompagnée de la vente des
stocks et de la marque « Imprimerie nationale éditions ». On peut donc
encore trouver en vente les séries éditées par l’Imprimerie nationale
161
, et
des nouveaux ouvrages sont de plus commercialisés sous cette marque,
sans que l’Imprimerie nationale ait conservé un droit de regard sur cette
utilisation de son nom.
Le financement du plan intégrait la vente du siège social, décidée
antérieurement pour rationaliser la production
162
. Grâce à l’intéressement
versé en 2007 lors de la revente de l’immeuble, la plus-value dégagée a
été de 51,4 M€.
Le plan de redressement a naturellement entraîné une forte baisse
des effectifs, ce qui devait permettre le retour à la rentabilité dans les
activités conservées. Pour les activités cédées,
l’Imprimerie nationale
devait reclasser ou licencier ceux des agents qui n’étaient pas repris par
les
acquéreurs.
A
l’inverse,
l’évolution
des
métiers
a
obligé
l’Imprimerie nationale à se doter de nouvelles qualifications, en
particulier pour la réalisation du passeport électronique à puce.
L’entreprise a ainsi connu un bouleversement profond de son
personnel : du 1
er
janvier 2003, date à laquelle l’effectif atteignait 1609
personnes, jusqu’au 1
er
mai 2007,
470 agents sont partis en retraite ou en
préretraite, 428 ont quitté l’entreprise avec les filiales cédées ou par
démission,
167
ont
été
licenciés
et
61
sont
retournés
dans
l’administration. Pendant cette même période, 169 ont été embauchés,
principalement
pour
les
métiers
nouveaux
liés
aux
passeports
électroniques.
A sa création, l’entreprise comprenait 2000 agents environ pour un
chiffre d'affaires voisin de 250 M€ ; à l’achèvement complet du plan de
redressement, elle aura environ 540 agents pour un chiffre d'affaires de
130 M€. Le chiffre d'affaires par agent aura ainsi pratiquement doublé.
Le plan était en cours d’achèvement fin 2007. Il s’est globalement
déroulé conformément aux prévisions. Toutefois, la cession de l’activité
feuille s’est révélée plus difficile qu’espérée ; l’entreprise prévoit qu’elle
soit réalisée fin 2007, l’option de la liquidation n’étant toutefois pas
exclue. De même, le plan social n’est pas totalement réalisé, environ
50 agents n’ayant pu être reclassés dans les délais prévus. Le plan devant
être clos fin 2007, des licenciements pourraient être inéluctables.
161) L’Imprimerie nationale ne participe plus à la vente de ces collections, son seul
point de vente situé rue de la Convention ayant été fermé en 2007.
162) Cf. également pages 635 et suivantes.
426
COUR DES COMPTES
IV
-
Une amélioration acquise à un coût trop élevé
L’entreprise a aujourd’hui accompli un chemin considérable dans
la voie du redressement. Il lui en reste cependant encore beaucoup à
accomplir, car la productivité demeure encore insuffisante.
Les perspectives pour 2007 sont encourageantes. Si l’on retraite le
budget de 2007 en supposant réalisés les derniers effets du plan de
redressement, on aboutit à un résultat net légèrement positif, hors
évènements exceptionnels. L’amélioration est donc réelle ; mais, comme
elle résulte principalement de l’activité encore en monopole, elle ne
traduit pas une véritable normalisation. L’entreprise doit donc poursuivre
ses efforts pour qu’un résultat net positif résulte de sa compétitivité et non
du seul maintien d’un marché protégé. Il est toutefois certain que la
brusque disparition d’un monopole qui représente près de la moitié de son
activité, serait encore incompatible avec la pérennité de l’entreprise.
Pour mettre l’Imprimerie nationale dans les meilleures conditions,
il conviendra également que l’Etat veille à améliorer la gouvernance et
mette le conseil d'administration en mesure de jouer pleinement son rôle,
en choisissant notamment des personnalités qualifiées pour leur
connaissance du métier d’imprimeur et de la gestion privée. Il serait
également souhaitable que le conseil se dote, en sus du comité d’audit
récemment
créé,
d’un
comité
stratégique
et
d’un
comité
des
rémunérations.
On peut par ailleurs regretter le retard pris par l’Etat pour régler la
situation de l’Atelier historique, probablement seul au monde à garder
vivantes les techniques anciennes et à conserver une collection de
poinçons typographiques remontant aux origines de l’imprimerie. Cette
situation présente un intérêt historique considérable, mais entraîne une
charge estimée à 0,9 M€ par an, qu’il est anormal de laisser à
l’Imprimerie nationale. L’Etat doit donc organiser au plus tôt la sortie de
cet atelier de l’entreprise, comme il s’y est engagé dans le plan de
redressement.
Même si le redressement est mené à bien dans la période à venir, il
restera que les conditions dans lesquelles a été mené le changement de
statut ont été très coûteuses pour l’Etat. Sans même compter les
investissements réalisés avant cette date, l’Etat a investi 150 M€ en 1994
et 197 M€ en 2004 pour une entreprise qui a désormais cédé ses
principaux actifs et qui n’avait plus que 20,5 M€ de fonds propres fin
2006.
L’IMPRIMERIE NATIONALE : LE COUT D’UNE RÉFORME
MAL PILOTÉE
427
Le changement de statut était certes indispensable, le statut
d’administration centrale étant mal adapté à une activité de production
industrielle. L’Imprimerie nationale avait des coûts de production très
supérieurs aux prix du marché. Les surcoûts ainsi pris en charge par des
clients majoritairement publics peuvent être estimés à environ 68 M€ par
an. Le maintien de cette situation n’était pas acceptable pour la
collectivité. L’économie récurrente permise par l’ouverture du marché
justifie la réforme entreprise. Celle-ci a cependant été menée à un coût
trop élevé.
La mise en place de la nouvelle société a en effet été accompagnée
d’une dotation financière initiale très large de l’Etat : les capitaux propres
de l’Imprimerie nationale représentaient au 1
er
janvier 1994 près de 80 %
de son bilan. Cette aisance financière lui a permis d’absorber longtemps
des déficits avant de devoir prendre des mesures drastiques : une dotation
initiale moins généreuse aurait vraisemblablement conduit à prendre plus
rapidement des mesures de redressement, et permis de diminuer les
contributions totales de l’Etat.
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
La transformation du statut de l’Imprimerie nationale opérée en
1994 a ouvert une période très délicate. Le changement culturel imposé
aux personnels et aux dirigeants nécessitait à l’évidence une étape
d’adaptation, qui a conduit
l’Etat à doter généreusement la nouvelle
entité en fonds propres.
L’entreprise et l’Etat n’ont pas utilisé le répit que leur donnait
cette aisance financière pour définir une stratégie réaliste et la mettre en
oeuvre. Le contexte du changement de statut ne peut justifier à lui seul la
persistance pendant près de dix ans des pratiques anciennes. Il est
regrettable qu’il ait fallu attendre l’approche du dépôt de bilan pour que
des mesures de redressement coûteuses pour l’Etat soient enfin mises en
oeuvre.
Aujourd’hui toutefois, l’entreprise a été profondément transformée
et recentrée sur un coeur de métier où elle bénéficie d’un monopole pour
les commandes de l’Etat. L’amélioration des comptes est réelle : si on
enlève les dernières charges du plan de redressement, l’exercice 2007
devrait présenter un résultat d'exploitation bénéficiaire. Cette situation
permet d’écarter le risque d’une disparition de l’entreprise à brève
échéance.
428
COUR DES COMPTES
Néanmoins, la situation n’est pas encore normalisée. La
productivité a été fortement améliorée, mais demeure insuffisante,
particulièrement dans le secteur du continu. Le résultat tient actuellement
principalement au secteur fiduciaire, et en particulier à sa partie sous
monopole, qui apparaît actuellement indispensable pour assurer la
pérennité de l’entreprise.
Il convient donc que l’Imprimerie nationale poursuive ses efforts
pour arriver dès que possible à des productivités comparables à celles de
ses concurrents. C’est à cette condition qu’elle pourra être considérée
comme réellement sauvée.
Au-delà de ce constat global et de la nécessité de poursuivre les
efforts de productivité, la Cour formule les recommandations suivantes :
- l’Imprimerie nationale devrait formaliser un plan d’affaires
pluriannuel, identifiant notamment les perspectives liées à ses nouvelles
activités, que ce soit en termes d’investissements ou de produits
d’exploitation ;
- il
serait
souhaitable
que
le
conseil
d'administration
de
l’Imprimerie nationale se dote d’un comité stratégique et d’un comité des
rémunérations ;
- l’Agence des participations de l’Etat doit mieux affirmer son rôle
d’actionnaire et participer au renforcement de la gouvernance de la
société, à la fois par une participation plus active aux réflexions
stratégiques et par une plus grande vigilance sur les résultats obtenus.
L’IMPRIMERIE NATIONALE : LE COUT D’UNE RÉFORME
MAL PILOTÉE
429
RÉPONSE DE LA MINISTRE DE L’ÉCONOMIE, DES FINANCES
ET DE L’EMPLOI
Le ministère de l’économie, des finances et de l’emploi (MINEFE)
partage dans les grandes lignes les observations formulées par la Cour dans
cette insertion au rapport public concernant l’Imprimerie Nationale,
notamment le diagnostic qu’elle porte sur les causes des difficultés passées et
son analyse de la situation actuelle et des perspectives à moyen terme de
l’entreprise. Ce document appelle toutefois un certain nombre d’observations
complémentaires.
La Cour estime en effet que l’entreprise n’a entrepris que trop
tardivement les efforts nécessaires pour s’adapter aux réalités du marché et
améliorer sa compétitivité, ainsi que pour définir un positionnement
stratégique adéquat, s’appuyant sur ses forces et sur son savoir-faire. Elle
considère que ce retard est pour partie imputable à une implication
insuffisante du conseil d’administration de l’entreprise, et à un manque de
réactivité de l’Etat, qui aurait selon la Cour insuffisamment exercé ses
responsabilités d’actionnaire. Ces conclusions me semblent devoir être
fortement nuancées.
1) Sur l’adaptation de l’entreprise aux réalités du marché
Un audit stratégique – confié à un cabinet de conseil en stratégie – a
été lancé dès 1999 à la demande du conseil d’administration et de la
direction du Trésor, en réaction à la dégradation de la situation de
l’entreprise. Cet audit, mentionné d’ailleurs par la Cour, tout en identifiant
clairement les problèmes de compétitivité de l’entreprise et en soulignant le
caractère atypique du positionnement de l’IN sur l’ensemble des filières du
secteur (rotative, feuille, continu et fiduciaire), ne recommandait pas pour
autant un changement radical de stratégie passant par un recentrage sur
certaines activités. Il avait en revanche souligné que ce positionnement
nécessitait une excellence opérationnelle et un contrôle rigoureux des coûts,
ainsi qu’une force commerciale étoffée et spécialisée.
Il convient par ailleurs de souligner que la très forte dégradation de
la situation enregistrée à partir de 2000 a été due pour partie à des facteurs
externes, qui sont venus contrarier les efforts d’adaptation engagés par la
direction de l’entreprise : forte baisse du volume d’imprimés produit par les
industries graphiques en 2001-2002, en lien avec le retournement de la
conjoncture économique, se traduisant par des surcapacités de production et
une forte pression sur les prix , baisse progressive du marché des formulaires
en continu, du fait de la tendance à la dématérialisation, et enfin et surtout
perte du contrat
de l’annuaire de France Télécom, pour lequel près de
300 personnes étaient mobilisées et qui avait conduit l’entreprise à réaliser
des investissements très lourds en vue de satisfaire les exigences d’un client
qui représentait en 2000 près de 40 % du chiffre d’affaires de l’IN.
430
COUR DES COMPTES
Il est possible de soutenir, avec le recul, que les coûts économiques et
sociaux de la restructuration engagée depuis 2004 auraient peut-être pu être
moins élevés si elle avait été lancée plus tôt. Force est toutefois de constater
qu’il na pas été possible de dégager un consensus entre l’ensemble des
parties prenantes (Etat, direction et personnels de l’entreprise) sur la
nécessité d’une restructuration aussi profonde avant 2004.
2) Sur la gouvernance de l’entreprise et le rôle de l’Etat actionnaire
La Cour estime que le conseil d’administration de l’entreprise n’était,
du fait de sa composition, pas « à même d’intégrer rapidement les exigences
de rentabilité dans le contexte concurrentiel dans lequel l’entreprise était
amenée à évoluer ». Le MINEFE ne partage pas cette opinion : s’il est
incontestable que les contraintes imposées par la loi de démocratisation du
secteur public conduisaient nécessairement à ce que les deux tiers du conseil
soient composés d’administrateurs représentant l’Etat et de représentants
des salariés, un tiers de ses membres étaient en revanche des personnalités
qualifiées, émanant de grandes entreprises publiques ou privées soumises à
la concurrence et aux impératifs de productivité et de rentabilité, et dont
certaines ont joué un rôle important dans l’animation des débats du conseil.
La Cour semble en outre négliger dans son rapport les efforts
importants menés depuis 2003 pour améliorer la gouvernance de
l’entreprise. L’Etat actionnaire a joué à cet égard un rôle moteur en
procédant à la mi-2003 à un renouvellement du management, avec la
nomination d’un nouveau PDG, fort d’une longue expérience dans le secteur
de l’imprimerie, qui a reçu pour mandat de redresser la situation de
l’entreprise. Il a par ailleurs été procédé à un renouvellement important des
membres du conseil d’administration en juin 2004, veillant à introduire dans
le collège des personnalités qualifiées plusieurs personnes disposant d’une
expérience significative du monde de l’entreprise, aptes à impulser et
soutenir les inflexions stratégiques majeures nécessaires pour redresser la
situation ; la recherche de deux nouvelles personnalités qualifiées destinées à
entrer au sein du conseil d’administration est en cours, en liaison avec
l’entreprise, pour pourvoir à la vacance de deux sièges. C’est à l’initiative de
l’Agence des participations de l’Etat que le conseil d’administration de
l’Imprimerie Nationale s’est doté d’un règlement intérieur, et d’un comité
d’audit, qui a impulsé un certain nombre de chantiers importants (remise à
plat des fonctions financières et comptables de l’entreprise, amélioration des
procédures et du dispositif de contrôle interne).
La Cour émet de nombreuses observations sur le rôle joué par l’Etat e
tant qu’actionnaire. Elle estime en particulier que l’Etat aurait été trop en
retrait en matière stratégique ou encore insuffisamment réactif vis-à-vis des
difficultés de l’entreprise. Elle illustre notamment cette observation par la
retranscription des propos de l’administrateur représentant la direction du
Trésor lors du conseil d’administration de juillet 2002.
L’IMPRIMERIE NATIONALE : LE COUT D’UNE RÉFORME
MAL PILOTÉE
431
Ce propos isolés ne reflètent pas la réalité des relations entre
l’entreprise et l’Etat actionnaire, ni ne témoignent d’un défaut de vigilance
de la part des services de l’Etat, qui entretenaient un dialogue permanent
avec l’entreprise sur sa stratégie et sa situation financière. Le conseil
d’administration de juillet 2002 n’avait pas par ailleurs pour objet
d’approuver formellement un plan stratégique, mais plutôt de discuter, sur la
base de premier éléments de réflexion présentés par la direction, des voies et
moyens d’un redressement de la situation économique de l’entreprise et de
réunir un consensus sur la nécessité d’évaluation profondes dans le
fonctionnement de celle-ci, ce que la direction du Trésor avait recommandé
dès le début de l’année 2002, au vu de l’évolution préoccupante de la
situation. L’Etat actionnaire avait en outre alerté le Président-directeur
général de l’entreprise en septembre 2002 sur les inflexions stratégiques qui
s’avéraient nécessaires pour assurer la survie de l’Imprimerie Nationale, et
s’était interrogé lors de cet entretien sur la pertinence des conclusions de
l’audit stratégique mené en 1999, en particulier sur la présence de
l’entreprise sur l’ensemble des métiers précités.
Il convient par ailleurs de rappeler que c’est sous l’impulsion et avec
le soutien très actif de l’Etat actionnaire que l’entreprise a engagé en 2004
un virage stratégique majeur, passant par un recentrage sur son coeur de
métier, la cession des activités concurrentielles déficitaires, et une réduction
très forte de ses effectifs, qui ont été réduits de près des deux tiers en
quelques années. Après avoir nommé un nouveau PDG, l’Etat a élaboré
conjointement avec la nouvelle équipe dirigeante le plan de restructuration et
le plan de sauvegarde de l’emploi, mis en place des dispositifs de
reclassement des personnels, négocié avec la Commission européenne les
termes du soutien financier apporté à l’entreprise en accompagnement de ces
efforts, et enfin veillé très étroitement à la mise en oeuvre de l’ensemble des
engagements pris dans ce cadre par l’entreprise dans les délais fixés. Il
paraît donc contestable de laisser entendre que l’Etat serait resté inerte face
aux difficultés de l’entreprise.
C’est enfin à la demande de l’Agence des Participations de l’Etat et
du conseil d’administration de l’entreprise que celle-ci s’est engagée dans
l’élaboration d’un nouveau plan stratégique. Cet exercice, mené avec l’appui
d’un conseil externe, permettra à l’entreprise d’approfondir sa réflexion sur
son positionnement stratégique sur le marché de l’imprimerie, et sur la
pertinence et le modèle économique des nouveaux axes de développement
qu’elle entend privilégier (personnalisation des documents, lutte contre la
contrefaçon /
techniques d’authentification, administration électronique)
pour trouver de nouveaux relais de croissance et consolider son
redressement, qui reste encore fragile. Ces orientations seront traduites dans
un nouveau plan d’affaires pluriannuel, qui permettra de doter l’entreprise
d’un nouvel outil de pilotage stratégique et financier, lui donnant une
visibilité sur le moyen terme. L’élaboration de ce plan doit constituer un
temps fort dans la vie de l’entreprise, et permettre de fédérer l’équipe
432
COUR DES COMPTES
dirigeante et les personnels autour d’un projet mobilisateur, garant de
l’avenir de l’Imprimerie Nationale.
3) Sur le plan de restructuration de 2004
Comme le rappelle la Cour, un plan de restructuration de grande
ampleur a été lancé en juillet 2004. Les termes et les objectifs de ce plan ont
été élaborés et discutés avec le management au premier semestre 2004, puis
négociés avec la Commission européenne. L’Etat en tant qu’actionnaire a
accompagné ces efforts par une recapitalisation de l’entreprise à hauteur de
197 M€, intervenue à l’automne 2005 après l’accord de la Commission
européenne. Conformément à la réglementation européenne, cet apport en
capital a été dimensionné pour financer les nécessaires restructurations
(plan de sauvegarde de l’emploi, réorganisation industrielle, coût de sortie
des activités déficitaires), et rétablir les fonds propres et la trésorerie à un
niveau suffisant pour restaurer durablement la viabilité financière de
l’entreprise.
Les mesures mises en oeuvre depuis 2004 s’articulent autour de
différents volets :
-
le volet social
, avec un deuxième plan de sauvegarde de l’emploi
(PSE), intervenant après celui mis en place en 2003 mais qui
s’était avéré insuffisant pour rétablir la compétitivité de
l’entreprise. Ce PSE, sur lequel les négociations ont abouti en
mars 2005, prévoyait 491 suppressions de postes sur un total de
1 130 personnes employées en février 2005, soit plus de 40 % des
effectifs. L’Etat a accompagné ce plan par de nombreux
dispositifs visant à faciliter le reclassement des personnels
concernés. Il restait à la fin novembre 2007 environ 50 personnes
à reclasser, pour lesquelles l’Etat et l’entreprise d’éploient
d’importants efforts en vue d’aboutir à un reclassement dans les
meilleures conditions ;
-
le volet industriel,
avec : (i) un recentrage de l’entreprise sur son
coeur de métier, à savoir l’impression des documents fiduciaires et
le continu et le regroupement sur le site de Douai de ces activités,
auparavant dispersées sur plusieurs sites ; (ii) la cession du siège
historique de l’entreprise, situé rue de la Convention à Paris,
décidée en 2002 et finalisée début 2006 ; (iii) la cession en 2005
et 2006 de filiales déficitaires dans le domaine de la rotative
(Istra et Evry Rotatives), des activités d’édition (Editions
générales et Editions techniques), de Logistique, de PVC, et de
prépresse. La dernière cession prévue dans le plan notifié à la
Commission européenne, celle de l’activité Feuille est entrée dans
sa phase finale, l’IN ayant engagé des négociations exclusives
avec le repreneur pressenti ;
L’IMPRIMERIE NATIONALE : LE COUT D’UNE RÉFORME
MAL PILOTÉE
433
-
le volet juridique
, avec une séparation juridique et comptable des
activités concurrentielles des activités sous monopoles, qui a été
finalisée au 1
er
octobre 2007 avec la création de la société IN
Continu et Services, conformément aux conditions posées par la
Commission européenne. Le périmètre du monopole légal de l’IN
sur l’impression de documents fiduciaires, a par ailleurs été
précisé par un décret, en date du 24 novembre 2006, et il a été
procédé à la nomination d’une personnalité indépendante. M.
Emmanuel Constans, qui aux termes de ce décret sera chargée
d’expertiser la liste des produits que chacun des ministères
concernés estimera devoir figurer dans le champ du monopole de
l’entreprise.
La mise en oeuvre de l’ensemble des engagements pris par l’entreprise
est ainsi quasiment achevée, pour la majeure partie dans les délais et
conditions exigés par la Commission européenne, ce qui a nécessité une forte
mobilisation des équipes de l’entreprise et de ses organes de gouvernance et
des services de l’Etat. En particulier, l’Etat actionnaire a accompagné
l’entreprise dans l’élaboration du plan de restructuration, et dans toutes les
phases de mise en oeuvre.
Comme le souligne la Cour, les efforts consentis ont permis de
réformer profondément l’entreprise. Les premiers signes d’amélioration de
sa santé financière sont apparus en 2006, avec le retour à une situation nette
positive. La situation n’en reste pas moins encore très fragile. L’amélioration
de sa compétitivité doit être poursuivie pour lui permettre de redresser sa
rentabilité d’exploitation – qui est encore insuffisante pour permettre à
l’activité de générer des flux de trésorerie positifs – et d’améliorer son
positionnement concurrentiel. Ceci suppose de poursuivre les efforts de
réduction des coûts de production engagés ces dernières années, mais aussi
de maintenir l’entreprise à niveau sur le plan technologique, dans un
contexte marqué par de profondes évolutions de la demande exprimée par les
Etats en matière de documents fiduciaires.
Le ministère de l’économie, des finances et de l’emploi partage, à cet
égard, l’analyse de la Cour sur l’importance pour l’entreprise du maintien à
moyen terme de son monopole dans le domaine de la réalisation de
documents sécurisés qui doit s’accompagner d’efforts pour en garantir la
compétitivité, mais aussi sur la nécessité de réduire progressivement sa
dépendance à l’égard des activités relevant du champ du monopole, en
développant de nouveaux axes de croissance rentable, s’appuyant sur son
savoir-faire technologique et sur ses points forts, et compatibles avec ses
contraintes financières. C’est l’objet du plan stratégique en cours
d’élaboration.
434
COUR DES COMPTES
4) Sur l’Atelier du Livre d’Art et de l’Estampe
Le MINEFE rejoint également la Cour sur la nécessité de trouver
rapidement une solution permettant d’organiser la sortie de l’Atelier du
Livre d’Art et de l’Estampe (ALAE) du périmètre de l’Imprimerie Nationale,
comme l’Etat s’y est engagé en 2004. Comme le sait la Cour, une mission
conjointe de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de
l’administration des affaires culturelles a été diligentée en 2005, avec pour
objectif de recenser et d’expertiser l’ensemble des solutions d’adossement
envisageables, permettant de préserver durablement et de mieux valoriser
cette activité à caractère patrimonial et culturel. La mission a rendu ses
conclusions en novembre 2006, et recommande de privilégier l’option d’une
installation de l’ALAE au niveau 0 du Palais de Tokyo. L’absence de
consensus sur ce schéma n’a toutefois pas permis à ce stade de réaliser
l’adossement de l’ALAE, faute de solution alternative satisfaisante. Il est
donc nécessaire d’intensifier les travaux interministériels sur ce sujet dans
les prochains mois, afin de parvenir à une solution consensuelle et réalisable
dans des délais acceptables.
Les conservations des hypothèques
_____________________
PRESENTATION
____________________
Réparties sur tout le territoire, les 354 conservations des
hypothèques assurent le service public de la publicité foncière,
notamment en tenant le registre officiel des propriétés immobilières et de
certains droits attachés - dont les hypothèques -, ainsi qu’une activité
fiscale connexe, la perception des droits d’enregistrement et de mutation,
de TVA immobilière et, depuis 2004, de l’imposition des plus-values
immobilières.
Composantes du réseau de la direction générale des impôts
(environ 5.000 emplois sur 75.000), elles tiennent, grâce à une
survivance juridique, une place sans commune mesure avec leur effectif
dans la gestion de l’encadrement de l’ensemble de la direction.
En vertu d’un statut toujours fondé sur une loi du 21 ventôse An
VII (11 mars 1799), le conservateur des hypothèques est, en effet, réputé
agir, pour la publicité foncière, non pas en tant que fonctionnaire
responsable d’un service administratif, mais comme un préposé extérieur
à l’administration, civilement responsable des éventuelles erreurs
commises dans la tenue des registres ou la délivrance des informations. Il
est ainsi censé être rémunéré directement par l’usager et, au moyen de
cette rétribution encaissée à titre personnel, prendre en charge lui-même
tous les frais, y compris de personnel, du service qu’il dirige.
Cette curiosité administrative repose, en grande partie, sur une
fiction, mais elle permet à la direction générale des impôts de continuer à
offrir, chaque année, comme fin de carrière, à un assez large éventail
hiérarchique de ses cadres, une centaine d’emplois particulièrement
attractifs par les rémunérations élevées et les pensions de retraite
majorées dont ils sont assortis.
436
COUR DES COMPTES
Les critiques réitérées de la Cour, à la fois sur l’opacité du
système, ses anomalies juridiques et, au-delà, son anachronisme, en
particulier au regard des exigences d’une gestion efficace des ressources
humaines, n’ont, jusqu’à présent, guère été entendues. En 2006, à l’issue
d’un nouveau contrôle, les ministres chargés des finances et du budget
ont, pour l’essentiel, réaffirmé leur préférence pour le statu quo.
Pour sa part, après avoir poursuivi ses analyses en 2007, la Cour
ne peut que conclure, au contraire, à l’urgence accrue d’une réforme.
D’une part, en tant qu’emplois dits de « débouché », les postes de
conservateur se révèlent de plus en plus inadaptés aux besoins d’une
gestion modernisée de l’encadrement de direction et de ses parcours
professionnels, notamment dans le contexte d’une politique de ressources
humaines des administrations financières désormais plus intégrée et donc
moins cloisonnée par direction.
D’autre part, si, dans les conservations, des progrès significatifs
de productivité et de qualité de service ont été réalisés ces dernières
années, les marges présentes et à venir y sont plus importantes encore, du
fait du développement, relativement tardif, de l’informatisation. Il doit
s’ensuivre, non seulement de nouvelles transformations de leur
organisation et de leur fonctionnement, mais aussi une restructuration de
leur réseau.
De tous ces points de vue, la fusion, récemment décidée, des deux
directions générales de la comptabilité publique et des impôts doit être
considérée à la fois comme une opportunité à ne pas manquer et comme
une
nécessité
supplémentaire
d’inscrire
les
conservations
des
hypothèques dans la dynamique d’ensemble de modernisation des
réseaux financiers.
Les missions de publicité foncière et fiscale des conservations des
hypothèques sont étroitement liées aux transactions et autres mutations
immobilières (successions, donations).
L’enregistrement et la publicité des actes ont notamment pour objet
de garantir leur sécurité juridique. Si la délivrance des actes authentiques
incombe aux notaires, l’inscription des actes à la conservation des
hypothèques est un élément probant devant la justice.
La publicité foncière implique également, pour les conservations,
un rôle important de délivrance d’information. Il leur revient de fournir, à
quiconque en fait la demande, toutes les formalités publiées sous le nom
d’une personne, toutes les charges et les inscriptions publiées pour un
immeuble donné, ou bien l’ensemble de ces éléments en croisant à la fois
LES CONSERVATIONS DES HYPOTHÈQUES
437
le nom d’une personne et un bien immeuble particulier. Dans plus de neuf
dixièmes des cas, les demandes d’information émanent aujourd’hui des
notaires, pour les besoins de la confection de leurs actes.
En 2006, les conservations des hypothèques ont reçu des usagers
714 M€ en rémunération des diverses prestations de publicité foncière.
Dans le même temps, elles ont encaissé 13,3 Md€ de recettes
fiscales, pour le compte de l’Etat et des collectivités territoriales, sous
forme de droits d’enregistrement et de mutation, d’impôt sur les plus-
values et de TVA immobilières.
I
-
Le statut des conservateurs des hypothèques :
un anachronisme grandissant
Pour les activités fiscales de sa conservation, le conservateur
intervient en tant que comptable public, dans les conditions, notamment
de responsabilité, du droit commun propre aux comptables publics.
C’est pour la seule publicité foncière qu’il est supposé opérer en
tant que préposé de l’administration, selon des principes remontant à la
création du corps des conservateurs des hypothèques par un édit de Louis
XV du 17 juin 1771. En contrepartie de leur responsabilité personnelle et
pécuniaire pour les erreurs susceptibles d’être commises dans la tenue des
registres, l’Etat leur abandonnait une partie des recettes perçues au
moment de l’enregistrement des actes et à l’occasion de renseignements
délivrés aux usagers.
Il s’agit là d’un régime de responsabilité civile dont la sanction
relève du juge judiciaire. Il joue en cas de défaut de publication ou bien
d’omission de mention ou d’inscription, durant toute la durée de fonction
du conservateur et pendant les dix ans années suivant son départ à la
retraite. Dans la pratique, les conservateurs couvrent leur responsabilité
par une assurance.
Depuis un décret du 3 janvier 1997, le cautionnement auquel sont
astreints les conservateurs est remplacé par une adhésion à l’association
des conservateurs des hypothèques agréée par la direction générale des
impôts, sous réserve que l’association ait conclu un contrat d’assurance.
438
COUR DES COMPTES
A - Une construction largement fictive
Sous des apparences partiellement préservées, la construction
juridique et administrative qui fonde le statut du conservateur procède
aujourd’hui largement d’une fiction.
Certes, le tarif appliqué à l’usager est toujours présenté comme le
« salaire » du conservateur, selon le vocable ancien visant des
émoluments destinés à couvrir tous les frais de la conservation. Mais le
montant acquitté est, en fait, immédiatement reversé à l’Etat, hors la part
correspondant à la rémunération du conservateur.
C’est bien l’Etat qui assure directement le fonctionnement des
conservations. Celles-ci sont des services administratifs classiques,
relevant des directions des services fiscaux et fonctionnant selon les
règles habituelles. Les personnels employés y travaillent et y sont
rémunérés comme dans les autres services de la direction générale des
impôts.
Le conservateur est lui-même un fonctionnaire en situation
d’activité et sa pension ressortit du droit commun des retraites des
fonctionnaires de l’Etat, quand bien même les bases de calcul de la
pension sont majorées.
B - Un régime de responsabilité mal fondé
Si, juridiquement, dans le cadre ancien toujours en vigueur, la
responsabilité du conservateur reste de nature civile, elle correspond, en
réalité, à une responsabilité de nature professionnelle.
Economiquement, la performance du régime, pour l’Etat, est
difficile à apprécier, en particulier le bien-fondé des taux de rémunération
des conservateurs au regard des mises en jeu effectives de leur
responsabilité. La direction générale des impôts déclare ignorer le
nombre, aussi bien que le montant, des sinistres intervenus, et a fortiori
les
indemnisations
versées
par
l’assureur
de
l’association
des
conservateurs des hypothèques
163
. L’absence de données et d’étude
continue à être expliquée par le caractère juridiquement « privé » des
deniers en cause.
163) Cette association est installée dans des locaux de la direction générale des
impôts.
LES CONSERVATIONS DES HYPOTHÈQUES
439
Ainsi l’intérêt pour les finances publiques du régime de
responsabilité actuel reste-t-il un sujet d’interrogation, alors même que
l’informatisation en cours dans les conservations et le développement des
télétransmissions avec les notaires devraient être de nature à réduire les
risques d’erreur. Pour autant, aucune conséquence n’en a, jusqu’à présent,
été tirée.
C - Des régularisations partielles
Les critiques répétées de la Cour visant des irrégularités patentes
ont été suivies de certaines remises en ordre, mais partielles.
S’agissant de personnel de la direction générale des impôts, il est
ainsi particulièrement heureux que les conservateurs des hypothèques ne
bénéficient désormais de leurs rémunérations qu’après service fait, et que
la défiscalisation à hauteur du quart, qui leur était appliquée au titre de
l’impôt sur le revenu, ait été supprimée.
En outre, depuis le 1
er
janvier 2007, ils ne reçoivent plus
d’indemnité de résidence, ni, pour ceux dont la situation familiale pouvait
permettre d’y prétendre, de supplément familial de traitement. Dans les
deux cas, la Cour avait relevé l’absence de texte réglementaire leur
ouvrant droit à ces avantages.
Mais plusieurs anomalies notables demeurent, qui laissent le
système du « salaire » des conservateurs encore entouré d’irrégularités et
d’opacités.
Les textes réglementaires concernant les conservateurs, leurs
rémunérations et leurs pensions de retraite ne sont toujours pas tous
publiés. Ne l’est pas le décret fixant leurs droits à pension. Quant au
barème des prélèvements effectués par l’Etat sur les « salaires », qui fixe
la base de calcul des rémunérations des conservateurs, celui figurant dans
le code général des impôts (article 67 de l’annexe IV) est, en fait, caduc,
car remplacé par un autre, plus favorable aux conservateurs, mais non
publié.
440
COUR DES COMPTES
En outre, la non prise en compte de l’effectif des conservateurs des
hypothèques dans les tableaux et les autorisations d’emplois soumis au
législateur lors des examens de la loi de finances de l’année et de la loi de
règlement apparaît d’autant plus injustifiée que cette entorse à la loi
organique relative aux lois de finances (la LOLF) sert d’argument pour
alléguer le caractère « privé » de la fonction de préposé exercé par les
conservateurs, ainsi que des « salaires » versés par les usagers à ce titre.
D - Des fins de carrière atypiques
L’attractivité des postes de conservateur tient aux suppléments de
rémunération d’activité et de retraite dont bénéficient les titulaires par
rapport à ce qu’auraient été leurs rémunérations et leurs droits à pension
dans le corps ou l’emploi où, sinon, ils auraient terminé leur carrière.
Une rotation rapide sur les postes, avec des nominations
intervenant, en général, dix-huit à trente six mois avant le départ à la
retraite, permet d’en faire bénéficier une centaine d’agents chaque année,
la plupart provenant de la direction générale des impôts. Seuls quatre
agents appartenant à d’autres administrations ont été nommés au titre de
chacune des trois dernières années.
Le niveau des rémunérations nettes annuelles est globalement
élevé : en moyenne, il a été de 113 743 € en 2006 pour des postes
d’envergure très variable, allant du petit chef lieu de canton rural, où les
mutations immobilières sont peu nombreuses et d’un montant modeste,
aux secteurs urbains les plus prisés, où le marché de l’immobilier de
bureau aussi bien que résidentiel est très actif.
En 2006, les montants des rémunérations se sont étagés, selon les
conservations, entre 55 000 € et 245 000 €. Les plus élevés atteignent un
niveau exceptionnel dans la fonction publique, qui, au surplus, aurait été
dépassé si la direction générale des impôts n’avait, dans certains cas,
appliqué un plafonnement – sans base réglementaire - par rapport au
barème.
L’évolution des rémunérations étant liée, non pas à la grille
indiciaire de la fonction publique, mais au volume et à la valeur des biens
immeubles enregistrés par les conservations, le renchérissement de
l’immobilier de ces dernières années a directement profité aux
conservateurs. En 2006, leur rémunération nette moyenne a ainsi
progressé de 13,1 % par rapport à 2005.
Le graphique ci-après montre à la fois le niveau globalement élevé
des rémunérations et leur large éventail.
LES CONSERVATIONS DES HYPOTHÈQUES
441
Graphique n° 1 : rémunérations annuelles nettes
des conservateurs des hypothèques
en milliers d’euros
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
110
120
130
140
56k-75k
75k-100k
100-125k
125-150k
150k-175k 175k-200k
200k-225k 225k-250k
Traitement annuel net
Nombre de conservateurs
source : ministères chargés du budget et des finances pour les chiffres,
Cour des comptes pour le graphique.
Dix-neuf conservations offraient en 2006 des rémunérations
supérieures à 180 000 € annuels nets, dont trois de plus de 240 000 €,
tandis qu’à l’autre bout de l’échelle, cent sept conservateurs ont perçu
entre 56 000 € et 100 000 €.
Fonction de la valeur des opérations enregistrées, les écarts de
rémunérations ne reflètent pas les différences de charge de travail entre les
conservations. Ils ne sont, en effet, corrélés ni au nombre des inscriptions
enregistrées, ni au volume des demandes d’information traitées, deux
indicateurs beaucoup plus caractéristiques de la charge de travail effective
que le montant unitaire des opérations.
Par exemple, l’écart des rémunérations atteignait seulement 7 % en
2006 entre les postes de Toulouse 1 et de Toulouse 2, pour une différence
de volume d’activité de plus de 300 %, et il était de 47 % entre les postes
de Dijon 1 et de Dijon 2, pour une différence de volume d’activité
supérieure à 400 %.
442
COUR DES COMPTES
Dans le cas des douze conservations parisiennes, l’une a traité
21 179 demandes en 2006 pour une rémunération du conservateur de
243 000 €, quand une autre, où le nombre des demandes traitées à été un
peu supérieur (24 028), n’a procuré à son conservateur que 135 000 €.
Les progressions sont elles aussi très variables : alors que la
rémunération d’un poste de la Sarthe a augmenté de 0,2 % en 2006, celle
d’un autre des Hauts-de-Seine s’est accrue de 50,2 %.
Pour les plus élevées d’entre elles, les rémunérations nettes
annuelles
des
conservateurs
des
hypothèques
se
comparent
avantageusement avec celles des emplois les plus lucratifs de la fonction
publique, comme le montre le graphique ci-après où sont rapprochées les
rémunérations des conservateurs des hypothèques, des trésoriers payeurs
généraux et des directeurs généraux et directeurs de l’administration
centrale des finances.
Graphique n° 2 : rémunérations annuelles nettes des conservateurs des
hypothèques (CH), des trésoriers payeurs généraux (TPG) et des directeurs
généraux et directeurs (Dir Adm Fi) du ministère des de l’économie, des
finances et de l’industrie en 2006
en milliers d’euros
0
20
40
60
80
100
120
140
56k-75k
75k-
100k
100-
125k
125-
150-k
150k-
175k
175k-
200k
200k-
225k
225k-
250k
CH
TPG
Dir Adm Fi
source : ministères chargés du budget et des finances pour les chiffres, Cour
des comptes pour le graphique
LES CONSERVATIONS DES HYPOTHÈQUES
443
Du même ordre que celles des trésoriers payeurs généraux, soumis
en tant que comptables publics eux aussi à un régime de responsabilité
personnelle et pécuniaire, les rémunérations nettes les plus élevées des
conservateurs ont, en 2006, dépassé 200 000 € dans une dizaine de cas,
contre une vingtaine pour les trésoriers payeurs généraux. Elles ont
culminé dans trois cas contre un seul à plus de 245 000 €. Ces montants
sont nettement supérieurs – entre le double et moitié plus - aux
rémunérations nettes perçues, cette même année, par les directeurs
généraux et les directeurs du ministère de l’économie des finances et de
l’industrie, qui s’échelonnaient entre 120 000 € et 168 000 €.
Lié à la rémunération, l’avantage en matière de pension de retraite
est souvent encore plus appréciable, et donc aussi plus coûteux pour
l’Etat, car il se perpétue durant tout le temps de la retraite, alors que la
durée d’activité dans le poste est généralement assez courte, quoique
suffisante pour obtenir une pension à taux plein. Il tient à ce que les
conservateurs cotisent sur une base et à des taux dérogatoires.
La pension annuelle brute moyenne versée aux conservateurs
retraités s’élevait à 40 383 € en 2006, correspondant à une majoration de
près de 5 000 € en moyenne (4 933 €) par rapport à la pension moyenne
qu’ils auraient reçue s’il n’avaient pas été nommés conservateurs. Dans
certains cas, cet avantage a pu atteindre 11 600 €.
E - Une gestion renouvelée de l’encadrement de direction
Si l’aménagement de parcours professionnels motivants est une
indéniable nécessité, surtout pour les cadres de direction, encore faut-il
que les emplois attractifs s’inscrivent dans les priorités de l’action
administrative, ainsi que dans une gestion modernisée des emplois et des
trajectoires de carrière. Il convient tout autant que les fonctions exercées
soient suffisamment consistantes et que les avantages en termes de
rémunérations et de retraite soient proportionnés à la fois aux
responsabilités assumées et à la hiérarchie d’ensemble des rémunérations
de la fonction publique.
Or, de tous ces points de vue, la formule actuelle des postes de
conservateur des hypothèques, nonobstant les vertus qu’elle a pu avoir
dans le passé, peut difficilement être considérée comme optimale. Au
contraire, elle apparaît en décalage grandissant avec les exigences d’une
politique renouvelée des ressources humaines.
444
COUR DES COMPTES
Les fonctions exercées par les conservateurs, pour importantes
qu’elles soient, ne sont pas parmi les plus stratégiques ou les plus
exposées de l’administration, notamment fiscale. La cohérence du niveau
de leurs rémunérations avec la réalité à la fois de leurs responsabilités et
des enjeux attachés aux postes ne prête pas moins à discussion.
Par ailleurs, positionner les emplois les plus attractifs en toute fin
de carrière et les localiser dans des services plutôt abrités comme les
conservations des hypothèques n’est pas de nature à faciliter l’évolution
souhaitable vers une plus large place faite, dans la gestion des ressources
humaines, à la professionnalisation par métier, aux exigences de mobilité
et à l’orientation des cadres vers des postes sensibles. D’un coût
probablement moindre, la formule des emplois fonctionnels, assortis de
bonifications indiciaires et de majoration de primes est, par exemple, de
plus en plus souvent privilégiée, mais elle est traditionnellement peu
utilisée par la direction générale des impôts.
De même, une gestion des postes de conservateur cantonnée à la
seule direction générale des impôts n’est plus aujourd’hui de mise. Alors
que la fusion, en préparation, des deux directions générales de la
comptabilité publique et des impôts trouve une de ses principales
justifications dans la mise en place d’une politique et d’une gestion de
personnel intégrées, une reconfiguration des filières actuelles, spécifiques
à chaque réseau, pour les emplois de débouché apparaît incontournable.
Enfin, le système actuel tend aussi à freiner les nécessaires
évolutions induites par l’informatisation, en faisant obstacle à la
rationalisation du réseau des conservations et à l’approfondissement des
synergies avec les autres activités, notamment foncières et cadastrales,
des directions des services fiscaux.
Au total, une approche prospective s’impose, là où la pérennisation
de l’existant a jusqu’à présent prévalu, dans un domaine sensible où les
évolutions ne peuvent être conduites qu’avec précaution et dans la durée.
II
-
Productivité et qualité de service : de fortes
marges de progrès
La qualité du travail d’une conservation des hypothèques dépend
de l’exhaustivité des enregistrements effectués, de leur exactitude et de
leur préservation dans le temps. Elle recouvre aussi la rapidité et la
facilité d’accès aux informations figurant sur les registres.
LES CONSERVATIONS DES HYPOTHÈQUES
445
Non
seulement
toutes
ces
tâches
sont
assez
largement
automatisables, mais, grâce aux nouvelles technologies de l’information,
les améliorations de qualité de service peuvent être tout aussi
considérables que les gains de productivité.
Arrivée avec retard, il y a à peine cinq ans, l’informatisation a eu
rapidement des effets sensibles. Loin d’être épuisés, ils devraient, au
contraire, aller en s’accentuant dans les années à venir. De ce fait, les
enjeux de gestion attachés aux conservations des hypothèques sont
aujourd’hui majeurs.
A - Des gains de productivité potentiels importants
Depuis 2003, tous les enregistrements et inscriptions effectués
auprès des conservations sont saisis dans le système d’information FIDJI
développé entre 1999 et 2004 pour un coût d’environ 90 M€. Les
inscriptions remontant à une période comprise entre les années 1956 et
2002 ont été digitalisées. Au-delà, les documents demeurent sous forme
papier.
Cette informatisation a permis de faire face à l’augmentation de
l’activité de ces dernières années, tout en réduisant sensiblement les
effectifs, qui ont diminué de 23,1 % entre 2002 et 2006. Il en est résulté
des gains de productivité substantiels, puisque le nombre de formalités
effectuées par agent est passé de 1 950 en 2001 à près de 2 800 en 2006
(+43,6 %).
446
COUR DES COMPTES
Graphique n° 3
- Productivité
(France entière en nombre de formalités par agent et par an)
1600
1700
1800
1900
2000
2100
2200
2300
2400
2500
2600
2700
2800
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
source : direction générale des impôts)
Les conservations des hypothèques ont ainsi contribué pour une
large part aux réductions d’effectifs réalisées par la direction générale des
impôts dans le cadre des contrats pluriannuels de performance successifs.
Pour
2008,
400
suppressions
d’emploi
sont
prévues
dans
les
conservations, sur l’objectif de 1 370 retenu dans le contrat pour
l’ensemble de la direction générale.
La digitalisation des registres couvrant la période 1956-2002 s’est
traduite par une réduction significative du volume des documents
conservés. Vingt tonnes d’archives papier peuvent désormais être
stockées sur une série de disques numériques ne pesant pas plus d’un
kilogramme. Les économies de surfaces qui s’en sont suivies ont
concouru aux réorganisations de l’ensemble des services du réseau de la
direction générale des impôts. Elles ont permis de céder des immeubles
pour un montant total estimé à 78 millions d’euros en 2006.
Par ailleurs, depuis 2005, FIDJI est relié à l’application utilisée par
les services du cadastre, MAJIC 2, au sein de la base nationale de
données patrimoniales (BDNP). Ce système d’information partagée entre
différents services de l’administration fiscale permet notamment une mise
à jour du cadastre à partir de FIDJI.
LES CONSERVATIONS DES HYPOTHÈQUES
447
Mais une nouvelle étape d’automatisation, au moins aussi
essentielle, a débuté en 2006 avec le déploiement de Télé@ctes, une
application
d’échanges
de
données
entre
les
conservations
des
hypothèques et les offices notariaux. Si sa réalisation avait été inscrite au
schéma directeur informatique de la direction générale des impôts pour
2001 et 2002, la première version opérationnelle n’a été achevée qu’au
début 2006. Entre avril 2006 et septembre 2007, près de 4 200 notaires
(soit un peu plus de la moitié de la profession) ont adopté le logiciel.
Dans un premier temps, les échanges de données portent sur les
demandes d’information, cependant Télé@ctes a vocation à assurer
également le transfert automatique des actes eux-mêmes.
Les conséquences de cet ensemble de processus d’informatisation
ont été d’ores et déjà particulièrement tangibles : rapidité de consultation
et transmission plus fiable et plus aisée de l’information. De nombreuses
manipulations de papier ont été supprimées.
Cependant, la modernisation informatique a aussi ses limites : le
premier travail de saisie de l’information demeure manuel, qu’il soit
effectué par les notaires ou par les agents des conservations des
hypothèques ; surtout, l’information reste aujourd’hui inaccessible
directement, pour les registres non informatisés, à partir du nom ou du
numéro d’immeuble, faute de possibilité de recherche par mots-clef et
donc de moteur de recherche.
En outre, l’informatisation des notaires dépend de l’initiative de
ces derniers et de l’actualisation régulière des produits commercialisés
par les sociétés de service informatiques nécessaires au fonctionnement
du logiciel Télé@ctes.
Ainsi, en 2007, Télé@ctes n’a pu traiter que les actes simples ; ce
n’est qu’en 2008 que tous les types d’actes pourront être transmis. Les
contraintes et les limites du logiciel, comme le caractère encore récent de
son déploiement, ont limité son usage, pour les actes, à moins de 1 % du
volume total des actes notariés intéressant les conservations des
hypothèques en septembre 2007.
Les gains de productivité se sont ainsi ralentis, alors que la montée
en puissance de FIDJI arrivait à son terme et que Télé@ctes n’était pas
encore opérationnel : ils sont passés de + 6,6 % en 2004 à + 4,5 % en
2005 et + 2,1 % en 2006.
Pour autant, les gains de productivité à attendre de Télé@actes
devraient être, à terme, supérieurs à ceux procurés par FIDJI et donc
permettre de nouvelles et importantes réductions d’effectifs.
448
COUR DES COMPTES
B - Une qualité de service en progrès mais encore partiels
Pour une large part également grâce à l’informatisation, le service
aux usagers, aujourd’hui essentiellement les notaires, a été grandement
amélioré s’agissant des délais.
La durée moyenne de publication est ainsi passée de 37 jours et
demi à la fin du premier semestre 2003 à 12 jours à mi 2007. Alors qu’en
juin 2003, on comptait 133 conservations des hypothèques dont les délais
de publication étaient supérieurs à 40 jours, elles n’étaient plus que six en
juin 2007.
L’accélération des délais de réponse aux demandes d’information
et de traitement des actes, également notable, s’explique aussi par le
nouveau mode de perception des droits mis en place en 2001 : depuis
cette date, le conservateur des hypothèques ne reçoit sa rémunération
qu’après la délivrance des documents et non plus au moment où la
demande est faite par l’usager.
Néanmoins, là encore, d’importantes possibilités de progrès restent
à exploiter pour mieux répondre aux attentes des notaires, mais aussi des
particuliers et des entreprises, notamment par l’ouverture de services
accessibles via Internet.
Les informations dont disposent les conservateurs permettraient,
par exemple, de fournir des renseignements sur l’évaluation des biens
immobiliers susceptibles, entre autres, de faciliter, pour les contribuables,
l’accomplissement de certaines formalités fiscales comme les déclarations
de succession ou d’impôt de solidarité sur la fortune.
C - Un réseau dense, disparate et rigide
Les 354 conservations constituent un réseau très dense, avec une
grande disparité de taille et de volume d’activité selon les services. En
dépit de l’importance croissante des zones urbaines, les implantations en
milieu rural sont les mêmes depuis plus de dix ans.
En 2006, vingt conservations traitaient moins de 6 000 demandes
d’information provenant des usagers, une moins de 2 800 (Vouziers),
vingt autres plus de 36 000 et une plus de 52 000 (Bordeaux 3).
Le niveau d’activité est tout aussi variable selon les actes
enregistrés. En 2006, le flux quotidien moyen des ventes, inscriptions et
radiations était inférieur à 10 dans seize conservations, mais supérieur à
50 dans cinquante trois autres, avec un maximum de 102 pour la
conservation de Meaux.
LES CONSERVATIONS DES HYPOTHÈQUES
449
La même hétérogénéité se retrouve dans le découpage du territoire
des grandes agglomérations urbaines : la conservation de Nice 1 gère un
flux deux fois plus important que celle de Nice 3 ; l’écart est de trois entre
les conservations de Toulouse 3 et de Toulouse 1 et 2 ; il atteint un
facteur quatre entre celles de Dijon 1 et de Dijon 2.
Le constat vaut tout autant pour les départements : le flux
journalier moyen, par département, des actes, inscriptions et radiations
s’établissait à 116 en 2006 (hors DOM), mais vingt départements
n’atteignaient pas un flux quotidien de 50.
Pourtant, la direction générale des impôts n’a toujours pas mené
d’étude sur la taille optimale d’un service de conservation, non plus que
sur celle du réseau. Elle explique que la constitution d’une base de
données d’images par conservation des hypothèques - qui revient à tabler
sur un réseau inchangé - a procédé d’un choix consistant à privilégier
l’obtention de gains de productivité dans chaque conservation grâce aux
nouveaux systèmes d’information, plutôt que par des restructurations du
réseau.
En réalité, avec les technologies actuelles, les deux leviers de
productivité ne sont nullement exclusifs l’un de l’autre, étant donné
notamment la grande dispersion du réseau et les synergies que pourraient
dégager
d’éventuels
rapprochements
avec
d’autres
services
de
l’administration fiscale.
Mais, dans les faits, la cartographie du réseau reste aujourd’hui
déterminée par le nombre existant de postes de conservateur, de manière
à le préserver et, dans ce cadre, à « optimiser » les rémunérations. Les
changements apportés aux périmètres géographiques des postes ont ainsi
eu notamment pour objectif d’éviter que la rémunération de certains
conservateurs ne dépasse les montants plafonds souhaités par la direction
générale des impôts.
D - Des tarifs déconnectés des gains de productivité
Deux catégories de tarifs sont pratiquées par les conservations des
hypothèques. La première concerne les biens qui nécessitent une
publication au fichier immobilier, soumis à un taux de 0,05 % ou de
0,1 % de la valeur du bien. La seconde recouvre les demandes de
documents, soumises à un tarif forfaitaire compris entre 6 € et 30 € selon
la nature du document demandé.
Héritage du temps révolu où les agents des conservations se
rendaient dans les offices notariaux pour porter les documents, des « frais
de correspondance » sont également demandés aux usagers. De surcroît,
450
COUR DES COMPTES
ils sont souvent systématiquement majorés de 50 % au titre de
« l’urgence », quand la rapidité de la réponse fournie n’est qu’une
conséquence de l’informatisation.
Ces tarifs n’ont pas de lien direct avec le coût des services rendus
aux usagers. Le tarif proportionnel est réputé lié au coût d’un éventuel
sinistre pour le conservateur en cas d’enregistrement inexact. Toutefois,
la direction générale des impôts n’est pas en mesure de confirmer que le
caractère proportionnel et les taux pratiqués couvrent ce risque de façon
satisfaisante. Quant aux tarifs forfaitaires, ils sont en vigueur depuis 1994,
sans que les gains significatifs de productivité enregistrés depuis 2003
aient été répercutés. De plus, la majoration de 50 % pour demande
urgente est appliquée dans huit cas sur dix du seul fait de
l’informatisation.
Sauf dans ce dernier cas, défavorable – indûment - à l’usager, les
effets de l’informatisation, pourtant importants notamment sur les frais de
fonctionnement, n’ont pas plus été répercutés dans la tarification que dans
les taux de rémunération des conservateurs.
Cette absence de prise en compte de l’évolution des coûts, et donc
des gains de productivité, est spécialement paradoxale dans un système
dont la logique veut que le « salaire » du conservateur corresponde
précisément aux frais engagés, dont les coûts du service lui-même, hors la
rémunération du conservateur, représentent la plus grande part.
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
Les conservations des hypothèques ont entamé, ces dernières
années, une modernisation dont il faut saluer les premiers résultats.
Toutefois, des marges de progression importantes demeurent, tant pour la
qualité du service rendu au public que pour les gains de productivité
attendus. La rationalisation du réseau, notamment par une meilleure
synergie avec les autres services fiscaux, implique des réorganisations de
grande ampleur et donc une conduite du changement à la mesure.
Cette évolution passe d’autant plus par une profonde réforme du
statut des conservateurs des hypothèques que ce système actuel d’emplois
de débouché essentiellement réservés à la direction générale des impôts
souffre, en plus de ces défauts intrinsèques, d’une inadaptation croissante
aux nouveaux besoins de la politique de personnel, tout particulièrement
au moment de la réunion des deux réseaux du Trésor public et des
impôts.
LES CONSERVATIONS DES HYPOTHÈQUES
451
La Cour recommande donc :
-
de définir une évolution cible, à moyen terme, du réseau des
conservations des hypothèques afin d’optimiser la répartition des moyens
sur le territoire et de rechercher des synergies avec les autres services
déconcentrés de l’administration fiscale, ainsi que, le cas échéant, du
Trésor public ;
-
de planifier l’évolution, également à moyen terme, des effectifs
des conservations en fonction du déploiement de Télé@ctes ; le cas
échéant, en prévoyant des incitations pour que les notaires s’équipent
rapidement et utilisent systématiquement Télé@ctes pour le transfert des
actes ;
-
d’étudier la création de services en ligne pour les différentes
catégories d’usagers, pas seulement les notaires, mais aussi les autres
professionnels et les particuliers, en fonction de leurs besoins et de leurs
attentes et en associant, en tant que de besoin, les autres services fiscaux,
notamment le cadastre ;
-
d’actualiser le tarif des conservations et de supprimer le régime
des frais de correspondance ;
-
de faire figurer les emplois de conservateur des hypothèques
dans les autorisations et les tableaux d’emplois des lois de finances ;
-
de réformer le régime actuel de rémunération des conservateurs
des hypothèques, en supprimant le système du « salaire » et en le
remplaçant par des emplois fonctionnels, avec une grille de rémunération
par catégorie de conservation ;
-
de publier le décret relatif aux pensions de retraite des
conservateurs des hypothèques ;
-
d’inscrire la réforme du statut et de la gestion des postes de
conservateur
dans
une
évolution
d’ensemble
de
la
gestion
de
l’encadrement des administrations financières.
452
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DU MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET
DE LA FONCTION PUBLIQUE
La publicité foncière est une mission importante de l’actuelle
direction générale des impôts et de la future direction générale unifiée. Elle
garantit un niveau élevé de sécurité juridique aux transactions et autres
mutations immobilières (donations, successions), à travers les obligations
d’enregistrement et de publicité des actes.
Le mode de délivrance de données relatives aux immeubles, permet
par ailleurs de s’assurer que les informations à la disposition des
conservations des hypothèques soient utilisées dans les meilleures conditions,
en particulier par les notaires pour la confection de leurs actes.
Les prestations de publicité foncière, ainsi que le rappelle la Cour des
Comptes, font l’objet d’une tarification aux usagers, dont le produit s’est
élevé à 714 millions d’euros en 2006. Elles s’accompagnent d’une mission de
recouvrement de plusieurs prélèvements (droits d’enregistrement et de
mutation, impôt sur les plus-values et de TVA immobilière), dont le produit
s’est élevé à 13,3 milliards d’euros en 2006.
La Cour des comptes, dans son développement relatif aux
conservations des hypothèques, analyse leur activité à travers trois points :
la qualité de service, la productivité des structures et le statut de
conservateur des hypothèques. Ses remarques appellent, de la part du
ministère du Budget, des comptes Publics et de la Fonction Publique, les
réponses suivantes.
1. La qualité de service dans les conservations des hypothèques.
La direction générale des impôts et la direction générale de la
comptabilité publique ont fait de l’amélioration de la qualité de service l’un
des axes structurants de leur action. La mission de publicité foncière s’inscrit
naturellement dans cette perspective depuis plusieurs années, avec des
progrès avérés, comme le souligne le rapport de la Cour.
Du point de vue des usagers, le délai de réponse aux demandes
d’information et de traitement des actes constitue l’un des principaux critères
de qualité de service. La direction générale des impôts a donc fait de sa
réduction une priorité, en s’appuyant sur l’application FIDJI, qui automatise
depuis 1999 l’enregistrement et les inscriptions effectués auprès des
conservateurs. Le nouveau mode de perception des droits mis en place en
2001, qui consiste à faire de la date de traitement des formalités le point de
départ de la rémunération du conservateur, en lieu et place du précédent
système de rémunération avant service fait, a également contribué à
accélérer la réduction du délai de réponse.
LES CONSERVATIONS DES HYPOTHÈQUES
453
Au total, et comme le souligne la Cour des comptes, le délai moyen de
publication a été divisé par 3
en l’espace de 4 ans. Les délais de la
délivrance des renseignements sommaires urgents, c’est-à-dire les états
hypothécaires demandés, par exemple, par les notaires pour établir les actes
de vente, ont été également fortement réduits. Depuis 2004, la direction
générale des impôts s’engage à fournir les renseignements sur les immeubles
dans un délai de 10 jours. Tel a été le cas, en 2006, pour 99,9 % des
5,31 millions de demandes (66,5 % en moins de 5 jours).
Cet effort doit être poursuivi. Le délai de mise à jour du fichier foncier
et de transmission des documents aux usagers, en particulier aux notaires,
constituera, à ce titre, l’un des objectifs structurants de la mission de
publicité foncière de la future direction générale unifiée.
La Cour des comptes propose par ailleurs de développer des services
en ligne, permettant, grâce à la richesse des informations détenues par les
conservations des hypothèques, de « fournir
des renseignements sur
l’évaluation des bines immobiliers susceptibles, entre autres, de faciliter
pour les contribuables, l’accomplissement de certaines formalités fiscales
comme les déclaration de succession ou d’impôt de solidarité sur la
fortune ».
Le ministère du Budget, des Comptes Publics et de la Fonction
Publique suscrit à la préconisation de la Cour des comptes, qui permettra de
répondre effectivement à une attente des usagers. A ce titre, une étude est
actuellement menée pour élaborer un outil informatique, distinct du fichier
immobilier, permettant aux usagers de consulter le prix des transactions
immobilières et de bénéficier d’études de marché. Cet outil apporterait,
conformément au souhait de la Cour, une véritable valeur ajoutée pour les
usagers, puisque l’ensemble des mutations sont enregistrées dans les outils
de la DGI avec une réactivité quotidienne. La future direction générale
unifiée s’emploiera à la rendre accessible en 2011, en veillant à ce que les
importants développements informatiques nécessaires à sa constitution soient
effectués dans le respect de ce calendrier.
L’analyse de la qualité des prestations assurées par les conservations
des hypothèques faite par la Cour porte également sur leur tarification. En la
matière, la Cour préconise d’actualiser le tarif des conservations et de revoir
le régime des frais de correspondance. L’actualisation viserait à répercuter
dans la tarification les effets de l’informatisation.
Le ministère du Budget, des Comptes Publics et de la Fonction
Publique n’est pas opposé à la baisse des tarifs de délivrance des actes,
cohérente, comme le souligne la Cour, avec la réduction des coûts de
fonctionnement induite par l’informatisation. Cette réduction devrait être
cependant mise en oeuvre au fur et à mesure que le retour sur investissement
des investissements informatiques réalisés dans les conservations se
concrétisera. Une étude en la matière est souhaitable, pour préciser le
454
COUR DES COMPTES
rythme de baisse des tarifs et leur calendrier et l’articuler avec les priorités
budgétaires du Gouvernement. Elle sera donc lancée dès 2008. Le cas
échéant, la baisse pourrait porter en priorité sur la majoration pour
demande urgente.
En ce qui concerne plus spécifiquement les frais de correspondance,
leur perception est liée à l’envoi aux notaires des documents par voie
postale. La tarification d’un service facultatif est donc fondée sur le plan des
principes. La suppression progressive de ces frais est cependant de facto
engagée sous l’effet de la transmission dématérialisée des documents aux
notaires par l’application Télé@ctes. La montée en charge de l’équipement
des notaires laisse en effet augurer une basse rapide des envois postaux.
2 600 notaires sur 4 500 utilisent aujourd’hui l’application, et 200 s’équipent
chaque mois. A ce rythme, l’objectif du Conseil supérieur du notariat d’un
taux d’équipement de 70 % à l’été 2008 est largement susceptible d’être
atteint.
2. L’organisation et l’efficacité des conservations des hypothèques.
Les conservations des hypothèques sont engagées dans un important
effort
de
productivité.
Sous
l’effet
de
l’informatisation
des
flux
d’enregistrements et d’inscriptions et de digitalisation du stock d’inscription
réalisées entre 1956 et 2002, les gains de productivité ont en effet connu une
croissance importante. Ainsi que le souligne la Cour, l’application FIDJI a
permis d’augmenter significativement le nombre de formalités effectuées par
agent (+43,6 % entre 2001 et 2006). Les conservations des hypothèques ont
par ailleurs largement contribué à la réduction des emplois à la direction
générale des impôts. En 2003, les effectifs des conservations s’élevaient à
5 800 agents. En 2007, à 4770, soit une baisse de près de 20 % en 5 ans.
Cet effort de productivité sera maintenu dans les prochaines années.
La poursuite du mouvement d’informatisation des conservations permettra en
effet de maintenir un niveau élevé de gains d’efficacité. La poursuite du
déploiement de Télé@actes apparaît à cet égard essentielle. L’augmentation
du taux d’équipement des notaires, favorisée par la forte implication du
Conseil supérieur du notariat dans le déploiement de l’application, laisse
augurer des marges de manoeuvre supplémentaires. La généralisation des
types d’actes pouvant être transmis par l’application favorisera également le
maintien de l’effort de productivité.
Au-delà de l’informatisation des structures, cet effort doit être porté
par chacune des conservations des hypothèques. Homogénéiser l’efficacité
du réseau est en effet indispensable pour s’assurer que toutes les
conservations participent à l’effort de bonne gestion et d’amélioration de la
qualité du service rendu.
Ce principe de convergence dans l’efficacité des structures qui a
guidé les gains de productivité réalisés ces dernières années, sera maintenu
dans le cadre de la direction général unifiée. Il ne fait pas obstacle à
LES CONSERVATIONS DES HYPOTHÈQUES
455
l’évolution du réseau des conservations, dont les implantations sont
inchangées depuis 10 ans. A l’évidence, à partir du moment où la
dématérialisation produit ses effets et que les gains de productivité générés
par Télé@ctes et FIDJI se concrétisent, la physionomie du réseau des
conservations des hypothèques est appelée à évoluer. Il peut dés lors être
envisagé d’adapter la répartition du réseau sur le territoire, tout en
optimisant le dimensionnement des conservations. Cette adaptation doit
nécessairement respecter deux conditions.
Premièrement, si le principe d’adaptation permanente des services
publics justifie de tirer les conséquences de l’évolution des besoins des
usagers et de la capacité à y répondre, il ne peut être mis en oeuvre qu’en
tenant compte des besoins locaux. Comme c’est aujourd’hui le cas pour
l’adaptation des autres structures de la DGI et de celles la DGCP, c’est donc
à partir d’une démarche locale d’appréciation de la pertinence de chaque
implantation que devront être réalisés d’éventuels ajustements.
En second lieu, toute réorganisation locale doit être précédée d’un
intense effort de concertation, dans le respect notamment de la charte des
services publics en milieu rural. Ce travail fait partie intégrante de la
mission confiée à chaque responsable territorial.
3. Le statut de conservateur des hypothèques.
La Cour, dans son rapport, émet plusieurs remarques à l’égard du
statut de conservateur des hypothèques.
La première porte sur l’absence de publication des éléments relatifs
aux pensions de retraite des conservateurs des hypothèques et d’inscription
dans les autorisations et les tableaux d’emploi des lois de finances.
Conformément à la demande de la Cour, la future direction générale unifiée
va rapidement conduire une expertise sur les conditions qui permettraient
d’inclure les emplois de conservateur dans les autorisations et les tableaux
d’emplois des lois de finances. Les éléments relatifs aux pensions de retraite
des conservateurs seront désormais publiés.
La seconde remarque de la Cour porte sur la pertinence du statut de
conservateur comme élément de gestion des fins de carrières de l’actuelle
direction générale des impôts. La Cour constate que « si l’aménagement de
parcours professionnels motivants est une indéniable nécessité, surtout pour
les cadres de direction, encore faut-il que les emplois attractifs s’inscrivent
dans les priorités de l’action administrative, ainsi que dans une gestion
modernisée des emplois et des trajectoires de carrière ». Elle regrette, à cet
égard, que « les fonctions exercées par les conservateurs, pour importantes
qu’elle soient, ne [soient] pas parmi les plus stratégiques ou les plus
exposées de l’administration, notamment fiscale ».
456
COUR DES COMPTES
Le ministre du Budget, des Comptes Publics et de la Fonction
Publique rejoint naturellement la Cour sur la nécessité d’offrir aux cadres de
la direction des perspectives professionnelles motivantes tout au long de la
carrière. Les conservations des hypothèques s’inscrivent dans cette
perspective. Elles ne sauraient néanmoins épuiser le sujet, et la possibilité
d’offrir d’autres types de postes à responsabilité doit être envisagée dans le
cadre de la fusion, compte tenu du nombre de fonctions qui trouveraient
bénéfice à être exercées par des cadres riches d’une forte expérience
professionnelle.
L’évolution de la fonction de conservateur des hypothèques est par
ailleurs possible. Une réflexion consistant à remplacer le système actuel par
des emplois fonctionnels peut, à cet égard, être conduite dans le cadre de la
fusion, sous réserve de permettre de maintenir un dispositif financièrement
attractif. Cette orientation supposera d’intégrer la contrainte que représente
ce type de basculement pour le budget de l’Etat, les rémunérations, y compris
les charges patronales, étant alors prises en charge sur le titre des dépenses
de personnel.
La gestion des frais de justice
_____________________
PRESENTATION
____________________
Les frais de justice sont les dépenses que l’Etat prend en charge ou
dont il fait l’avance, en contrepartie d’une prestation prescrite par un
magistrat ou un officier de police judiciaire (OPJ) dans le cadre d’une
procédure judiciaire déterminée. Parce que les dépenses de frais de
justice sont jugées nécessaires à l’exercice de la justice, aucun plafond
budgétaire ne pouvait leur être opposé : jusqu’en 2005, elles étaient
imputées sur des crédits dits évaluatifs. De fait, et pour plusieurs raisons,
elles ont doublé entre 1999 et 2005 pour atteindre près de 490 M€.
Avec la nouvelle loi organique relative aux lois de finances
(LOLF), entièrement en vigueur depuis 2006, les crédits destinés à payer
les frais de justice ont été inclus dans les enveloppes limitatives de crédits
délégués aux cours d’appel pour le fonctionnement des tribunaux de leur
ressort et en représentent environ la moitié. Dans le respect de
l’indépendance des magistrats, la croissance des dépenses de frais de
justice devait donc être endiguée pour ne pas empiéter sur les autres
dépenses de fonctionnement des juridictions, à quoi s’est employé le
ministère en 2006.
La maîtrise des frais de justice pénale avait fait l’objet, en 2005,
d’un contrôle de la Cour, à la demande de la commission des finances du
Sénat, en application du 2° de l’article 58 de la LOLF
164
. La Cour, par
un nouveau contrôle, réalisé en 2007, a examiné les suites réservées par
le ministère à ses observations et recommandations antérieures relatives
à la maîtrise des frais de justice pénale. Elle a en outre élargi son champ
de contrôle à l’ensemble des frais de justice, pénale et civile, et aux
procédures de gestion de ces frais.
164) Le rapport issu de ce contrôle a été adressé, le 18 novembre 2005, à la
commission des finances du Sénat, qui l’a publié en annexe au procès-verbal de sa
séance du 22 février 2006.
458
COUR DES COMPTES
I
-
La notion de « frais de justice »
A - Une liste hétérogène
Il n’y a pas de définition législative générale des frais de justice. Ils
sont seulement énumérés, sans ordre logique apparent, dans deux articles
du code de procédure pénale
165
.
Les frais de justice sont censés être directement liés aux procédures
judiciaires menées par des magistrats indépendants, sans se confondre
avec les dépenses de fonctionnement des tribunaux. C’est pourquoi ils
sont engagés, liquidés puis payés selon des procédures dérogatoires au
droit commun. Pourtant, les frais de justice n’ont pas tous, de manière
claire, cette caractéristique.
Jusqu’en 2005, qualifier une dépense de « frais de justice », par
décret en Conseil d’Etat, avait pour effet de la faire échapper à tout
plafond budgétaire, ce qui a pu inciter à en étendre la liste sans référence
à des critères précis.
Depuis le 1
er
janvier 2006, les crédits destinés à payer les frais de
justice sont inclus dans l’ensemble des crédits de fonctionnement du
programme « Justice judiciaire », qui sont limitatifs. Cependant les
procédures de gestion des frais de justice restent dérogatoires et
mobilisent davantage de moyens que celles de droit commun.
La question des catégories de dépenses à inclure dans le périmètre
des frais de justice se pose donc sous un angle nouveau.
B - Un périmètre à réduire
La singularité des frais de justice réside dans le double pouvoir du
juge, d’abord de prescrire une prestation, puis éventuellement d’en fixer
de manière unilatérale le prix, liberté nécessaire pour garantir
l’indépendance de l’autorité judiciaire par rapport à des contraintes
financières externes. Elle ne devrait donc concerner que les dépenses
relevant de l’essence même de l’activité judiciaire, à l’exclusion de celles
relevant du fonctionnement courant des services judiciaires ou même de
celles résultant de l’exécution des jugements. Or ce n’est pas le cas.
165) A l’article R.92, 23 catégories de dépenses ou de prestations en matière
criminelle, correctionnelle et de police dont la charge incombe à l’Etat ; à l’article
R. 93, 24 catégories de frais dits assimilés en matière civile, commerciale et
prud’homale,dont le Trésor public fait l’avance.
LA GESTION DES FRAIS DE JUSTICE
459
Par exemple, les frais postaux, facturés globalement par
La Poste
,
sont répartis par les juridictions entre « frais de justice » et « frais de
fonctionnement ordinaires » selon des critères complexes, sans intérêt
pratique au regard des montants en cause.
De même, une partie des dépens mis à la charge du Trésor public
rentre dans la catégorie des frais de justice
166
, alors qu’il serait plus
justifié de les rattacher aux réparations civiles.
Enfin, les dépenses d’indemnisation des jurés, des victimes de
violences ou d’atteinte aux biens, et des personnes ayant bénéficié d’une
décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement, ainsi que les frais liés
aux révisions et erreurs judiciaires sont aujourd’hui qualifiées de « frais
de justice » alors qu’elles devraient plutôt être traitées comme des
dépenses ordinaires selon des procédures plus simples.
II
-
La diminution de la dépense en 2006
A - Une tendance à la dérive enrayée en 2006
Graphique 1 : La dépense de frais de justice, 2002-2007 (
en M€)
290,09
341,43
487,37
379,42
375
419,06
0
50
100
150
200
250
300
350
400
450
500
550
2002
2003
2004
2005
2006
2007
Source : Ministère de la justice
Pour l’exercice 2007, il s’agit de la dépense annuelle estimée au 30 septembre 2007.
166) Il s’agit des dépens énumérés par les articles R 92 (17°) et R 93 (10°) du code de
procédure pénale : dépens découlant des décisions de rectification ou d’interprétation
notamment.
460
COUR DES COMPTES
La dépense de frais de justice a doublé entre 1999 et 2005, passant
notamment de 290 M€ en 2002 à 487 M€ en 2005. Les dotations, de
caractère évaluatif jusqu’en 2005, étaient systématiquement dépassées, et
dans des proportions croissantes au point d’atteindre un écart de plus de
110 M€ en 2005.
Cette dérive paraît avoir été enrayée en 2006, avec une dépense
d’un peu moins de 380 M€, soit une diminution d’environ 22 % d’une
année à l’autre. La dotation initiale de crédits pour 2006 n’a été dépassée
que de 8 M€
.
Ce dépassement n’a pas conduit à aller au-delà du plafond
des crédits ouverts sur le programme « Justice judiciaire » grâce à la mise
en jeu de la fongibilité des crédits au sein de ce programme, et sans avoir
eu recours à la réserve de 50 M€ prévue en cas d’insuffisance de crédits
initiaux
Si la modification en 2006 de la nomenclature comptable rend
certaines comparaisons difficiles, il apparaît néanmoins que le recul des
dépenses des frais de justice concerne la quasi-totalité des postes de
dépense, à l’exception des frais d’affranchissement, qui progressent de
2,3 %.
Tableau 1 : Evolution des principaux postes de frais de justice
entre 2005 et 2006
(en M€)
Dépense 2005
Dépense 2006
Evolution
Justice pénale
367,46
262,37
-28,6%
Réquisitions téléphoniques
69,08
38,28
-44,6%
Frais médicaux
70,3
61,43
-12,6%
Frais liés à la mise sous scellés
27
18,31
-32,2%
Analyses génétiques
23,8
20,5
-13,9%
Enquêtes sociales rapides, de personnalité
et contrôle judiciaire
20,26
19,8
-2,3%
Traduction et interprétariat
15
13,2
-12,0%
Justice civile (*)
60,55
22,9
-62,2%
Expertises et examens médicaux (tutelles)
7,96
7,5
-5,8%
Enquêtes sociales (protection de l'enfance,
tutelles…)
7,72
7,1
-8,0%
Justice commerciale
37,4
23,2
-38,0%
Justice prud'homale
ND
0,14
ND
Frais de justice postaux
47,16
Source : Ministère de la justice
(*) La forte baisse des frais de justice civile s'explique essentiellement par le fait que
jusqu'en 2005, cette catégorie incluait des frais d'affranchissement désormais regroupés
pour toutes les procédures dans une catégorie autonome.
LA GESTION DES FRAIS DE JUSTICE
461
Les frais de justice pénale demeurent la composante principale des
frais de justice (69 % du total). Les frais de justice en matière commerciale
sont désormais équivalents aux frais de justice en matière civile (6 % du
total). Les frais de justice en matière prud’homale restent d’un montant très
faible (0,04 %). Le solde (18 %) est constitué des dépenses dites de soutien,
pour l’essentiel les frais postaux.
B - Une diminution à interpréter avec prudence
La Chancellerie voit dans la diminution des dépenses de frais de
justice enregistrée en 2006 le résultat des efforts de rationalisation
accomplis récemment. Les effets de ces actions ne sont pas contestables,
mais l’interprétation de l’évolution doit être prudente.
En premier lieu, l’exercice 2005 ne saurait constituer une référence
pertinente. En effet, avant que les crédits pour les frais de justice ne
deviennent limitatifs, nombre de juridictions ont cherché à présenter au
paiement le maximum de mémoires en instance tant que les crédits restaient
évaluatifs. La dépense enregistrée en 2006 a décru mais pour se situer à un
niveau proche de celui de 2004 (- 6 %) et sensiblement supérieur à celui de
2003 (+15 %).
En deuxième lieu, le recul de la dépense semble dû davantage à la
baisse du prix unitaire exagérément élevé de prestations telles que les
interceptions téléphoniques ou les analyses génétiques, qu’à celle de leur
nombre. Si la diminution des prix unitaires doit être relevée positivement,
l’effort de rationalisation devrait également porter sur le nombre des actes
générant par eux-mêmes des frais de justice, conformément à la stratégie
que le ministère s’est fixé à lui-même au printemps 2004.
En troisième lieu, il n’est pas exclu qu’une partie non négligeable de
la diminution de la dépense constatée en 2006 s’explique par une nouvelle
augmentation des stocks de mémoires restant à payer, induisant un
allongement des délais de paiement et une augmentation des dettes en
instance. En effet, aux délais structurels liés à la complexité du circuit de
paiement (cf.
infra
), se sont ajoutées en 2006 les difficultés d’adaptation
aux nouvelles règles de gestion
167
. Dans de nombreux ressorts de cour
d’appel, des recensements ponctuels ont montré que les stocks de mémoires
en attente de traitement avaient augmenté en 2006. Le montant de cette
augmentation des dettes ne peut toutefois être exactement déterminé.
167) Délégation tardive des dotations ayant entraîné un blocage des régies d’avance,
implantation dans les régies de l’application
REGINA
, etc. A la fin du mois de juin
2006, le taux de consommation des crédits était de seulement 29% ; même si la
totalité des crédits ouverts a finalement été consommée, il n’est pas certain que la
totalité du retard accumulé au premier semestre ait été résorbée.
462
COUR DES COMPTES
La prévision initiale de dépenses pour 2007 est de 393 M€ environ,
donc en légère augmentation par rapport à celle de 2006. En septembre
2007, le ministère estime que les dépenses de l’année devraient être
inférieures à 375 M€. La baisse constatée en 2006 serait ainsi confirmée,
sans que les stocks de mémoires en attente de paiement soient pour autant
mieux identifiés.
C - La connaissance de la dépense
1 -
Une nomenclature inadaptée aux besoins de la gestion
Avec l’entrée en vigueur de la LOLF, les dépenses de frais de
justice sont enregistrées selon une nomenclature combinant deux critères :
leur objet, par action et sous-action budgétaire, et leur nature, par compte
du plan comptable de l’Etat (PCE). La possibilité de croiser ces deux
critères est un progrès indéniable.
Cependant, la nomenclature des dépenses du PCE n’est pas
suffisamment détaillée pour permettre une étude fine de l’évolution de
certains postes et une anticipation des coûts des réformes du droit ou de la
procédure. Par exemple, pour les analyses génétiques, la distinction entre
analyses portant sur les individus et celles portant sur les traces n’est plus
possible. De même, les prestations de traduction et d’interprétariat,
auparavant distinguées, sont désormais regroupées.
Il n’est pas possible de détailler davantage aujourd’hui la
nomenclature du PCE, mais il peut être nécessaire, pour les besoins de la
gestion, d’avoir une connaissance fine des dépenses. Une application
ministérielle de gestion développant certains comptes pourrait permettre
de répondre à ce besoin. Le cas échéant, elle devrait être impérativement
« interfacée » avec les applications comptables générales de l’Etat, pour
éviter la double saisie des mêmes opérations.
2 -
Un suivi de la dépense à parfaire
Les conditions du suivi des dépenses, critiquées dans le rapport de
la Cour au Sénat, ont été sensiblement améliorées, tant à l’échelon local
que central.
Cependant, l’administration centrale ne connaît toujours pas le
nombre de prestations correspondant aux paiements, ni le coût moyen par
type de prestation, ni la répartition de la dépense par catégorie de
prescripteurs (magistrats ou OPJ). Seule l’application
FRAIJUS
, qui porte
non sur la dépense mais sur les engagements juridiques, fournit des
informations, encore peu fiables, sur le nombre de prestations et sur leur
LA GESTION DES FRAIS DE JUSTICE
463
répartition entre catégories de prescripteurs. L’administration centrale
dispose donc de moyens limités d’analyse des dépenses, ce qui réduit
d’autant sa capacité d’anticiper leurs évolutions et de définir les actions
éventuellement nécessaires à leur maîtrise.
3 -
Des modalités de prévision budgétaire pragmatiques
Le ministère a réalisé des progrès notables pour évaluer l’impact
des diverses réformes sur les dépenses de frais de justice. Désormais, tant
les revalorisations tarifaires que les réformes du droit pénal ou de la
procédure pénale font l’objet, dans le cadre de la préparation du projet de
loi de finances, d’études d’impact suffisamment détaillées qui aboutissent
à des estimations assez rigoureuses compte tenu de l’information
disponible.
En revanche, le calcul de la dotation budgétaire initiale reste
encore empirique et n’obéit pas encore au principe de justification des
crédits au premier euro posé par la LOLF. Ainsi, le ministère n’a pas été
en mesure de fournir le détail du calcul de la dotation pour 2007.
L’absence de données précises sur le montant des engagements non
soldés et des mémoires en attente de paiement fin 2006, ainsi que le
caractère atypique des exercices 2005 et 2006 ont été autant d’obstacles à
une prévision budgétaire fiable.
III
-
La maîtrise des dépenses
A - La sensibilisation des prescripteurs
1 -
La diffusion des bonnes pratiques
La création d’une « mission frais de justice » au sein du secrétariat
général du ministère ainsi que la désignation de « magistrats référents
frais de justice », dans les cours d’appel, ont remédié à la dispersion des
compétences dénoncée par la Cour dans son rapport au Sénat.
Outre son rôle dans l’animation du réseau des référents comme
dans les actions de formation, la mission a mené une concertation avec les
services des ministères de l’intérieur et de la défense pour diffuser une
large information aux services enquêteurs sur la gestion des frais de
justice.
464
COUR DES COMPTES
Le réseau des magistrats référents implanté dans toutes les cours
d’appel permet de diffuser les bonnes pratiques dans l’ensemble des
juridictions. Il en est de même des moyens particuliers créés par la
direction des services judiciaires et la direction des affaires criminelles et
des grâces : site
intranet
en matière de tarification, « observatoire des
frais de justice » en ligne permettant une comparaison des coûts par
ressort et par activité des principaux postes de dépense. Par ailleurs une
« délégation aux interceptions judiciaires », créée en novembre 2006,
diffuse via un site
intranet
l’information sur les tarifs en matière de
téléphonie et les référentiels de prestations.
Le thème des frais de justice est désormais intégré dans le
programme de formation initiale des futurs magistrats et dans le
programme de formation continue de l’école nationale de la magistrature
et de l’école nationale des greffes.
2 -
L’appréhension par les prescripteurs du rapport
coûts / enjeux
La Cour a constaté que les magistrats font désormais souvent
preuve d’une plus grande sélectivité dans le recours à certaines
prestations facultatives et coûteuses dans de nombreux domaines : frais
médicaux, mise sous scellés, vols de portables. Ainsi, en matière de
recherches de stupéfiants dans le sang, les analyses demandées sont
adaptées au dossier et aux déclarations de la personne mise en cause. De
même, les procureurs sont incités à ne recourir aux réquisitions
téléphoniques qu’en cas de vol aggravé, avec violence ou arme ou encore
sur personne particulièrement vulnérable.
Les OPJ prescrivent directement environ 25 % des frais de justice
en matière pénale. Les parquets se sont surtout efforcés de rationaliser les
prescriptions des OPJ pour les enquêtes de flagrance où ils sont habilités
à agir d’office (contrairement aux enquêtes préliminaires qui requièrent
l’autorisation préalable du procureur). En revanche, les prescriptions des
OPJ dans le cadre des commissions rogatoires demeurent généralement
peu encadrées.
Il y a peu d’instructions écrites relatives à la rationalisation des
prescriptions. Le plus souvent, la chancellerie comme les chefs de cour se
bornent à émettre des recommandations d’ordre général ou des
préconisations verbales, pratique qu’ils justifient par le principe de liberté
de prescription et de choix du prestataire par les magistrats ou les OPJ.
Cette prudence est discutable : des recommandations écrites sont plus
précises que des interventions orales et n’entachent pas par elles-mêmes
la liberté de prescrire des magistrats.
LA GESTION DES FRAIS DE JUSTICE
465
B - La tarification et la mise en concurrence
1 -
Les limites du recours à la tarification
Un tarif national est défini pour certaines prestations. Le champ de
la tarification en matière pénale devrait s’élargir, avec la tarification de
l’ensemble des prestations en matière de téléphonie dont le principe a été
institué par le décret n° 2006-358 du 24 mars 2006. L’arrêté du 22 août
2006, pris pour son application, fixe des tarifs globalement en baisse de
40 %
168
. La tarification devrait être prochainement étendue aux
interceptions ainsi qu’aux réquisitions aux fournisseurs d’accès
internet
.
La tarification permet de connaître
a priori
les coûts, ce qui
simplifie la gestion, mais avec un risque permanent d’inadaptation du
tarif à la qualité de prestations attendue.
La procédure de révision des tarifs, critiquée par la Cour pour sa
lourdeur, a été assouplie par la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 ;
auparavant systématiques, les décrets en Conseil d’Etat peuvent
désormais se limiter à énoncer les modalités de fixation des tarifs et
renvoyer la fixation elle-même à des arrêtés ministériels. Ces dispositions
ont été appliquées à la tarification des prestations téléphoniques et
doivent l’être pour les nouvelles mesures alternatives prévues par la loi
« prévention de la délinquance » du 5 mars 2007. Cependant, les autres
tarifs préexistant à la loi du 23 janvier 2006 n’ont pas encore changé de
régime et la critique antérieure de la Cour relative à l’obsolescence de
nombreux tarifs demeure d’actualité.
Le niveau insuffisant de certains tarifs risque d’engendrer une
baisse de la qualité des prestations, voire une pénurie de prestataires dans
certains domaines ; à ce titre la revalorisation de la rémunération horaire
des interprètes et traducteurs apparaît urgente. Elle est à l’étude tout
comme celle des experts psychiatres et des administrateurs
ad hoc
.
Ce niveau insuffisant conduit aussi les juridictions à contourner la
réglementation. Il en est ainsi de la
prise en charge de « frais de
désinfection » en sus du tarif des autopsies, au titre de la rubrique des «
dépenses diverses de travaux techniques », afin de contribuer aux frais de
structure de l’institut de médecine légale de Lyon qui menaçait de
fermer ; du remboursement de frais de déplacement en principe exclu ; de
la surestimation du nombre d’heures consacré à la réalisation de la
prestation notamment en matière d’interprétariat.
168) Il fait actuellement l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat.
466
COUR DES COMPTES
2 -
L’appel à la concurrence
La tarification ne convient qu’à des prestations normalisables au
niveau national. Elle ne saurait donc être considérée comme le seul
moyen de maîtrise des coûts.
La recherche d’un meilleur rapport qualité / prix passe par la
généralisation du recours au devis préalable devenu, semble t-il, la règle
chez les magistrats prescripteurs pour les dépenses significatives. De
même est désormais sollicitée la mission frais de justice, pour la mise en
concurrence de professionnels à l’occasion d’affaires exceptionnelles ou
complexes.
Cette recherche ne peut reposer sur les seules pratiques
individuelles des magistrats prescripteurs qui ont peu de temps à
consacrer aux relations financières avec les experts. En outre, l’urgence
qui s’attache à certaines procédures fait obstacle à la mise en concurrence
des prestataires potentiels.
Cette recherche doit donc également s’inscrire dans des démarches
collectives, comme le recensement et la diffusion, par l’administration
centrale ou les cours d’appel, des prix pratiqués par les différents
prestataires. Ainsi, le coût moyen d’une empreinte génétique sur un
individu est passé de 350 à 50 € après diffusion d’une note de la
chancellerie aux magistrats récapitulant les prix pratiqués par les
principaux laboratoires privés.
La recherche d’un juste rémunération passe également par la mise
en concurrence des prestataires à tous les niveaux, débouchant sur la
conclusion de marchés publics à bons de commande (tels que celui liant
la chancellerie à
Air France)
ou d’accords cadre (comme celui conclu en
1995 avec
France Telecom)
. Ces accords ou marchés présentent
l’avantage de faire baisser les coûts tout en simplifiant et sécurisant la
liquidation des dépenses. Le marché à bons de commandes passé en vue
de la saisie des empreintes génétiques dans le fichier national des
empreintes génétiques a ramené le tarif unitaire à 23 € HT contre 67 € HT
dans le cadre du précédent marché ; le gain correspondant devrait être de
5 à 10 M€ en 2007. Une mise en concurrence est à l’étude pour certains
envois postaux dans le cadre des travaux interministériels des achats
publics et est déjà recommandée pour la collecte et la livraison du
courrier.
La Cour de cassation a certes rappelé en 2006 l’inopposabilité des
accords cadre aux prescripteurs comme aux magistrats taxateurs.
Cependant, ils constituent une référence pour le juge taxateur ou, en cas
de recours contre l’ordonnance de taxe, pour la chambre de l’instruction.
LA GESTION DES FRAIS DE JUSTICE
467
L’approche conventionnelle peut aussi permettre de gérer les situations de
monopole ou de préparer l’élaboration d’une tarification moins onéreuse.
3 -
La globalisation des commandes ou des paiements
La globalisation des commandes ou des paiements, source
potentielle d’économies d’échelle et de simplification de la gestion, est
amorcée dans certains domaines.
Pour la téléphonie, depuis le 1
er
janvier 2007, les juridictions ne
supportent plus que la part variable liée à la mise en oeuvre des
interceptions,
le
coût
des
investissements
des
opérateurs
étant
globalement pris en charge par le ministère de l’industrie. De même, pour
éviter les locations successives de matériels pour chaque interception, les
principaux services de police et de gendarmerie ont été incités par les
parquets à installer des « mini-centrales d’écoutes » et des lignes fixes
dédiées à ces interceptions.
En matière médico-légale, les inspections générales des services
judiciaires et des affaires sociales recommandent le versement sous forme
de dotation globale aux établissements de santé de l’ensemble des
sommes dues par les services judiciaires au titre de la médecine légale.
Ces exemples montrent que le principe de facturation à l’acte, lié
au rattachement de chaque dépense de frais de justice à une procédure
judiciaire nettement identifiée, peut être aménagé dans un souci
d’économie sans nuire à l’efficacité du dispositif.
IV
-
La normalisation de la chaîne de la dépense
A - Le suivi des engagements
1 -
Le suivi des engagements juridiques
Le ministère a implanté l’application
FRAIJUS
qui permet
d’enregistrer les montants des frais de justice juridiquement engagés.
C’est un progrès que la Cour souligne. La gestion de l’application doit
toutefois être améliorée, tant du point de vue de l’exhaustivité des
données saisies que de la fiabilité des montants enregistrés.
468
COUR DES COMPTES
Chaque trimestre, le ministère procède à un contrôle
a posteriori
des données enregistrées dans
FRAIJUS,
en comparant le montant des
engagements enregistrés avec le montant des crédits consommés. Le total
des engagements enregistrés en 2006, 282 M€, est inférieur de 18 % au
montant total des dépenses.
Compte tenu du délai entre la prescription d’une prestation et son
paiement, la différence entre le montant des engagements et le montant
des dépenses de l’année peut s’expliquer par divers facteurs indépendants
de la qualité des données enregistrées dans
FRAIJUS
: baisse du nombre
de prestations prescrites, résorption des stocks de mémoires.
Toutefois,
cette
différence
résulte
également
du
défaut
d’exhaustivité des enregistrements, comme le montre une analyse plus
fine par ressort de cour d’appel, avec certaines situations aberrantes où les
paiements excédent les engagements de plus de 30 % (Saint-Denis,
Versailles et Bordeaux) voire de presque 70 % dans la cour de Basse-
Terre.
En outre, le montant de chaque engagement enregistré dans
FRAIJUS
est fondé sur les tarifs réglementaires ou sur les coûts moyens.
Le paiement ultérieur peut s’avérer d’un montant sensiblement supérieur.
Enfin, les OPJ, policiers et gendarmes, n’ont pas accès à
FRAIJUS
pour enregistrer leurs engagements, dont le montant en 2006 est
d’environ 64 M€, soit près de 23 % des engagements totaux. La
transmission de leurs données aux juridictions aux fins d’enregistrement
dans
FRAIJUS
, selon un protocole signé avec la chancellerie par les
ministères de l’intérieur et de la défense, pourrait être sensiblement
améliorée.
2 -
La gestion budgétaire des autorisations d’engagement
La prescription d’une prestation, qui vaut engagement juridique de
la dépense, relève de la seule décision du magistrat ou de l’OPJ. Les chefs
de cour, co-ordonnateurs secondaires des dépenses de frais de justice, ne
peuvent que prendre acte de ces décisions. Il leur appartient toutefois de
veiller au respect du deuxième alinéa de l’article 8 de la LOLF, selon
lequel «
les autorisations d’engagement constituent la limite supérieure
des dépenses pouvant être engagées
».
En 2006, le montant des autorisations d’engagement (AE) et celui
des crédits de paiement (CP) ouverts par la loi de finances étaient
identiques. Le ministère a géré les crédits pour les frais de justice en ne
consommant des AE qu’au moment du paiement, ce qui n’était pas
conforme aux règles de la LOLF.
LA GESTION DES FRAIS DE JUSTICE
469
La loi de finances rectificative pour 2006 a ouvert un montant de
169 M€ d’AE destiné à couvrir les engagements antérieurs et la loi de
finances pour 2007 a prévu un montant d’AE (420 M€) supérieur à celui
des CP (393 M€). Le ministère a donc disposé en 2007 de crédits
permettant une gestion conforme à la LOLF, à condition d’exploiter les
données relatives aux engagements juridiques fournies par
FRAIJUS
de
manière à anticiper d’éventuelles insuffisances d’AE.
3 -
Le traitement automatisé de l’ensemble de la chaîne de la
dépense
FRAIJUS
se limite à l’enregistrement des engagements juridiques
et n’intègre ni la saisie du service fait, ni la proposition de mandatement.
La Cour estime que l’application doit
évoluer pour devenir une
application de gestion comptable de l’ensemble de la chaîne de la
dépense. Ceci permettrait notamment de connaître le montant des
engagements non soldés, de réduire le risque de paiement indu et de
fiabiliser le recensement des dettes ; enfin la répartition des dépenses par
service prescripteur ou par prestataire serait mieux connue.
Le ministère a engagé des travaux avec la direction générale à la
modernisation de l’Etat et l’agence pour l’informatique financière sur les
évolutions à prévoir dans la perspective de la mise en place du futur
système informatique général de l’Etat (projet CHORUS).
B - Les procédures de liquidation et de paiement
1 -
Un circuit lourd et complexe
Les règles de la liquidation et du paiement diffèrent
selon la nature
de la dépense en cause (soumise à certification par un greffier ou taxation
par un magistrat), son montant (inférieur ou supérieur à 2 000 €),
l’identité du prescripteur (siège ou parquet), l’existence ou non d’une
régie dans la juridiction dépensière. Cette complexité, dont les
justifications manquent de clarté, n’est pas toujours maîtrisée par les
magistrats ou fonctionnaires eux-mêmes.
L’organisation même du contrôle en limite la qualité. La personne
chargée d’attester le service fait, c’est-à-dire la réalité de la prestation, et
de contrôler le montant de la rémunération demandée est, dans la plupart
des cas, distincte de celle qui a requis la prestation et en a reçu le résultat
Par ailleurs, la superposition de plusieurs niveaux de contrôle est coûteuse
en moyens ; elle allonge les délais de paiement, sans pour autant garantir
parfaitement la régularité des dépenses.
470
COUR DES COMPTES
La plupart des juridictions disposent d’une régie
169
. Les régisseurs
payent le plus grand nombre de mémoires, tous ceux d’un montant
inférieur à 2 000 € ; ils vérifient même les mémoires qu’ils ne paient pas.
Leurs vérifications sont en partie redondantes avec celles déjà faites, en
principe, par le greffier certificateur ou le magistrat taxateur, car elles
sont fondées sur les mêmes documents : mémoire et réquisition.
Dans chaque cour d’appel, les services administratifs régionaux
(SAR) mandatent les mémoires d’un montant supérieur à 2 000 € et
mandatent les versements aux régisseurs pour reconstituer leur encaisse.
Les contrôles effectués par les SAR sont très variables ; les effectifs qui y
sont affectés sont eux-mêmes variables : un seul agent au SAR de Lyon
contre trois agents au SAR de Douai pour gérer des dépenses de montant
voisin. Les directives de l’administration centrale tendent à limiter ces
contrôles des SAR car ils allongent le circuit de paiement sans améliorer
de façon évidente la qualité des contrôles.
Enfin, les contrôles des trésoreries générales sur les mandats des
SAR sont très disparates. Les frais de justice se prêtent mal tant à un
contrôle exhaustif qu’à un contrôle hiérarchisé de la dépense. Le contrôle
exhaustif se heurte au très grand nombre de mémoires, à la modicité des
montants unitaires et à la complexité des règles applicables, tandis que le
contrôle hiérarchisé est rendu difficile par le fait du paiement en régie.
2 -
Des délais à l’origine de stocks importants de mémoires en
instance de paiement
Un mémoire de frais passe en moyenne entre les mains de sept
personnes avant d’être payé, alors que plus de deux tiers des mémoires
sont d’un montant inférieur à 100 €. Le délai estimé entre la réception
d’un mémoire et son paiement varie entre un et deux mois pour les petites
juridictions et entre un et trois mois pour les juridictions les plus
importantes ; il peut atteindre ponctuellement six mois à un an. Il est
probable que les difficultés passagères rencontrées au début de l’année
2006 ainsi que la multiplication des contentieux engagés par les
prestataires (en particulier les opérateurs de téléphonie) à l’encontre des
ordonnances de taxes aient conduit à un accroissement de ces délais.
169) Les régies d'avances et de recettes des juridictions judiciaires, au nombre de 730,
manient des fonds souvent considérables, sans commune mesure avec les régies
d'avances pour menues dépenses existant dans les services administratifs.
LA GESTION DES FRAIS DE JUSTICE
471
Les retards de paiement sont préjudiciables aux prestataires qui
peuvent, pour certains, renoncer à travailler pour le compte du ministère de
la justice et, pour d’autres, surfacturer délibérément leurs prestations afin
de compenser leurs frais de trésorerie.
En outre, ces délais de paiement sont de nature à fausser l’analyse
de l’évolution des dépenses. Cette évolution doit être corrigée par la prise
en compte des stocks de mémoires reçus, en attente de certification ou de
taxation, et de mémoires certifiés ou taxés, en attente de paiement dans les
régies ou de mandatement dans les SAR. Or, faute d’un suivi fiable de
l’ensemble de la chaîne de la dépense (cf. supra), le montant de ces stocks
est mal connu, ce qui a conduit le ministère à adopter, pour le recensement
des charges à payer, une méthode d’évaluation forfaitaire que la Cour a
critiquée dans l’annexe de son rapport sur la certification des comptes de
l’Etat de 2006.
3 -
Le projet de refonte du circuit de liquidation et de paiement
Le ministère de la justice étudie un projet de refonte du circuit de
paiement de paiement articulé autour de trois objectifs : instaurer un suivi
complet des mémoires de frais de justice, du moment de leur réception par
la juridiction à celui de leur mise en paiement, réduire les délais de
traitement des mémoires et donc les délais de paiement et enfin assurer une
mutualisation des ressources, source d’économies d’échelle et de gain de
qualité, avec la professionnalisation des agents. Une expérimentation de ce
nouveau circuit devrait être lancée en janvier 2008, dans cinq cours
d’appel, dans le cadre du « chantier
CHORUS
».
Ce
projet,
qui
soulève
d’importantes
questions
juridiques,
informatiques et pratiques, résoudrait certaines difficultés actuelles dues à
la complexité des circuits et à la redondance des contrôles, mais pas toutes.
En effet, d’une part, la personne chargée d’attester le service fait et de
contrôler le montant de la rémunération demandée resterait, sauf exception,
distincte de celle qui a requis la prestation. D’autre part, la chaîne de la
dépense resterait discontinue, avec en amont, l’enregistrement des
engagements dans l’application
FRAIJUS
, et, en aval, la liquidation et le
paiement de la dépense à l’aide d’une autre application.
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
Le ministère a engagé rapidement diverses actions pertinentes afin
de mieux maîtriser les dépenses de frais de justice, sans porter atteinte à
la liberté de prescription des magistrats et OPJ. Elles semblent avoir
porté leur fruit. La dérive des dépenses de frais de justice de ces
dernières années a été enrayée en 2006, mais sans aucune certitude, à ce
stade, sur le caractère durable de ce freinage.
472
COUR DES COMPTES
Des progrès sont encore possibles pour modérer le nombre et le
coût unitaire des prestations. Ils requièrent notamment une meilleure
connaissance des dépenses, tant au stade de leur engagement que de leur
paiement. Par ailleurs une rationalisation des procédures actuelles de
paiement doit conduire à des économies de gestion significatives.
Cependant quelles que soient les améliorations dans ce domaine,
le ministère doit se livrer à une réflexion d’ensemble sur la définition des
frais de justice pour en réduire sensiblement la liste.
Au-delà, la Cour recommande :
- le développement de moyens de prévisions budgétaires plus
précis permettant de mieux justifier les crédits demandés dès le premier
euro ;
- la formalisation, par écrit, des recommandations visant à
maîtriser les frais de justice ;
- un effort d’encadrement par les juges d’instruction de l’activité
des OPJ en matière de commissions rogatoires analogue à celui des
parquets pour les enquêtes de flagrance ;
- la poursuite des travaux pour élaborer des référentiels de
prestations et de coûts et l’approfondissement de la démarche de mise en
concurrence pour conclure des marchés à bons de commande ou des
accords cadre à l’échelon de l’administration centrale ou au niveau des
cours d’appel voire des TGI ;
- l’amélioration de l’exhaustivité et la fiabilité des données
relatives aux engagements, grâce au renforcement des actions de
sensibilisation et de formation des magistrats et des personnels des
greffes et, s’agissant des données communiquées par les OPJ, à une
concertation au niveau des services administratifs régionaux ; la
vérification des données saisies, par exemple en confiant aux services
administratifs régionaux des contrôles par sondages, au stade du
mandatement ;
- l’extension de l’application FRAIJUS à l’ensemble de la chaîne
de la dépense, permettant de rapprocher les engagements des paiements
et d’affiner la connaissance de la dépense, ainsi qu’une réflexion sur
l’articulation entre cette application et le futur système informatique
général de l’Etat ;
- une nouvelle organisation des contrôles beaucoup plus simple
qu’aujourd’hui qui s’en trouvera plus efficace et plus économe en
moyens.
LA GESTION DES FRAIS DE JUSTICE
473
RÉPONSE DE LA MINISTRE DE LA JUSTICE
En 2006, la maîtrise des frais de justice constituait un des enjeux
budgétaires majeurs du ministère de la justice, à un double titre :
−
le régime des crédits limitatifs, désormais applicable aux frais de
justice, et la réforme de l’ordonnancement secondaire imposaient
la mise en oeuvre d’un nouveau circuit de la dépense, et le
développement d’outils comptables appropriés;
−
mais
surtout,
alors
que
les
dépenses
avaient
augmenté
massivement au cours des trois dernières années (68% entre 2002
et 2005), la LFI limitait à 370 millions les crédits affectés au
paiement des frais de justice, soit une diminution de 24 %
par
rapport à la dépense 2005. Au surplus, ces crédits étant désormais
inclus dans les enveloppes limitatives des crédits délégués aux
cours d’appel pour le fonctionnement des tribunaux de leur
ressort, il importait de respecter le montant des crédits affectés
aux frais de justice pour ne pas obérer le fonctionnement des
juridictions.
Il était, en outre, essentielle que cette maîtrise puisse être réalisée en
préservant un enjeu capital pour l’institution judiciaire : celui de diminuer le
montant des dépenses à qualité constante, en bénéficiant des développements
des nouvelles technologies d’investigation et dans le respect du principe
absolu de liberté de prescription des magistrats. Il ne pouvait être question
de rendre la justice moins efficace, ou de limiter pour des questions
budgétaires les investigations des magistrats et des officiers de police
judiciaire.
En 2006, la consommation des frais de justice a diminué de 22 %
passant d’un total de 487 millions d’euros à 379,4millions d’euros.
Pour
l’exercice 2007, la consommation devrait se situer à un montant proche de
378 millions d’euros.
Pour parvenir à ces résultats, le ministère de la justice a procédé à
une analyse détaillée de la dépense des années antérieures avant de définir
un plan d’action.
Cette analyse a été facilitée par le rapport établi par la Cour des
comptes en 2005 sur la maîtrise des frais de justice pénale, rapport rédigé à
la demande de la commission des finances du Sénat, en application du 2° de
l’article 58 de la LOLF.
Un nouveau contrôle de la Cour des comptes a été réalisé en 2007 ;
ce contrôle a été élargi à l’ensemble des frais de justice, pénale et civile et
aux procédures de gestion de ces frais.
474
COUR DES COMPTES
D’une manière générale, le ministère de la justice partage les
conclusions de la Cour et fait siennes les recommandations émises qu’il
s’emploiera à mettre en oeuvre au cours des prochains exercices.
I – La notion de frais de justice
Le ministère partage les observations de la Cour sur la question de la
définition et du périmètre des frais de justice qui revêt, avec l’entrée en
vigueur de la LOLF, une nouvelle dimension.
La frontière est, en effet, difficile à établir entre les frais directement
liés aux procédures judiciaires et ceux relevant des dépenses de
fonctionnement courant des juridictions. Ainsi, s’agissant des frais postaux,
une réflexion doit effectivement s’engager pour envisager leur rattachement
exclusif au budget de fonctionnement.
A l’inverse, le ministère de la justice ne partage pas l’analyse de la
cour, sur les dépenses d’indemnisation des victimes de violence ou d’atteinte
aux biens et des personnes bénéficiant d’une décision de non lieu, de relaxe
ou d’acquittement, ainsi que sur les frais liés aux révisions et erreurs
judiciaires. En effet, l’ensemble de ces dépenses est bien directement rattaché
aux décisions judiciaires et ne peut être assimilé aux dépenses de
fonctionnement du tribunal.
S’agissant de l’indemnisation des jurés, leur paiement direct par les
régies des juridictions permet une prise en charge immédiate.
Par ailleurs, dans les relations avec les services enquêteurs, il
convient
de préciser que des travaux sont actuellement en cours avec les
ministères de la défense et de l’intérieur afin de rédiger une circulaire
commune sur l’imputation de certains frais d’enquête. Cette circulaire
devrait être diffusée aux échelons déconcentrés avant la fin de l’année 2007.
En effet, une étude menée avec l’aide des référents frais de justice atteste que
des solutions très diverses sont retenues d’un ressort à l’autre, imputant dans
certains cas sur frais de justice des frais d’enquête devant être pris en charge
sur les budgets de fonctionnement des services enquêteurs. A l’inverse,
certains magistrats ont parfois une interprétation très limitative des frais de
justice qui conduit à une prise en charge de frais indus par les services
enquêteurs.
II – La diminution de la dépense en 2006
Comme le relève la Cour, le recul de 22 % de la dépense en 2006 doit
être interprété avec prudence.
Il serait, en effet, illusoire de croire que la
maîtrise des frais de justice est définitivement acquise après une seule année
d’exercice.
Toutefois, les chiffres actuellement disponibles pour l’exercice 2007,
conduisent à estimer la consommation de CP
pour l’année à une somme
proche de 378 millions d’euros ce qui tend à démontrer que la maîtrise des
frais de justice se poursuit avec efficacité pour la deuxième année
LA GESTION DES FRAIS DE JUSTICE
475
consécutive. Il convient, en effet, d’observer qu’en 2007 les régies ont pu
fonctionner dès le début de l’année et de manière régulière, les juridictions
comme les SAR ayant acquis les compétences requises pour fluidifier
davantage le circuit des paiements.
En outre, si effectivement, il n’existe pas, en l’état, d’outil fiable pour
évaluer les stocks de mémoires en attente de paiement, les études ponctuelles
réalisées par de nombreux tribunaux paraissent confirmer la tendance
générale à la diminution des stocks. Ce constat général doit cependant être
tempéré
par
la
situation
de
certaines
juridictions
importantes,
particulièrement en région parisienne, qui connaissent encore des difficultés
de fonctionnement de leurs régies qui continuent à accumuler des stocks.
Le recul de la dépense enregistré depuis deux ans est dû, comme le
souligne la Cour, principalement à une baisse du prix unitaire des
prestations. Toutefois, comme le relève également la Cour en page 8 de son
rapport, les magistrats comme les enquêteurs « font désormais preuve d’une
plus grande sélectivité dans le recours à certaines prestations facultatives et
coûteuses dans de nombreux domaines ».
Toutefois, le choix des mesures ordonnées relève du pouvoir
souverain du magistrat dont la liberté de prescription reste absolue. Dès
lors, le ministère n’entend pas donner d’instructions mais envisage de
diffuser des documents retraçant les bonnes pratiques des juridictions en
matière
de
rationalisation
des
prescriptions
pour
favoriser
leur
généralisation. Il donne également des informations sur les tarifs
couramment pratiqués et sur
la nécessité du recours à la concurrence. En
outre, la direction des affaires criminelles et des grâces adresse
régulièrement des directives de politique pénale aux parquets en vue de
renforcer la maîtrise des frais de justice et suit attentivement leur évolution à
travers les rapports de politique pénale.
S’agissant de la connaissance de la dépense
, le ministère de la justice
partage les observations de la Cour sur « l’insuffisante finesse de la
nomenclature pour les besoins de la gestion ».
C’est la raison pour laquelle, il a été demandé aux services
informatiques de la DAGE de créer une base unique dans l’application
FRAIJUS permettant de disposer d’informations statistiques à partir de la
nomenclature très détaillée des actes de l’application. Cette base vient d’être
livrée et les derniers essais sont en cours. La base statistique sera donc
opérationnelle avant la fin de l’année 2007, permettant une analyse de la
dépense précise pour le suivi des frais de justice au plan national comme par
ressort.
S’agissant des données issues de l’application, il convient d’observer
que les derniers chiffres en notre possession attestent des efforts importants
réalisés tant par les magistrats et fonctionnaires de juridiction que par les
officiers de police judiciaire pour renseigner le logiciel.
476
COUR DES COMPTES
Toutefois, en l’état, l’application FRAIJUS reste une application
statistique et non comptable. Des évolutions devraient intervenir dans les
années à venir. Ainsi, une étude vient d’être menée sur l’interfaçage entre les
applications métiers des juridictions et des services enquêteurs (Cassiopée,
Ardoise, Pulsar) et FRAIJUS afin de générer, de manière automatisée, à partir
de ces applications métiers, l’engagement de la dépense.
Par ailleurs, si le ministère souhaite conserver l’application FRAIJUS
comme outil statistique, la nomenclature budgétaire ne pouvant pas donner un
détail suffisamment précis des prestations ordonnées, son interfaçage avec
CHORUS a été sollicité afin de pouvoir mettre en place une chaîne comptable
complète de la dépense.
Sur la qualité de la prévision budgétaire,
le ministère de la justice
poursuit les efforts entrepris depuis plusieurs années, dont la Cour reconnaît
les « progrès notables ».
Ainsi, les modalités de calcul de la dotation budgétaire initiale pour
2008 ont été affinées en tenant compte non seulement des données FRAIJUS
disponibles mais également des études d’impact des réformes à intervenir.
III – La maîtrise des dépenses
Le ministère de la justice entend poursuivre les actions entreprises pour
maîtriser les dépenses.
Comme l’indique la Cour, la mise en place d’un réseau des référents
désignés dans chaque juridiction est un vecteur particulièrement efficace pour
une diffusion rapide des bonnes pratiques et un dialogue entre les tribunaux et
avec les services du ministère en charge du suivi des frais de justice.
Par ailleurs, le ministère des finances
a été saisi d’une demande
regroupant l’ensemble des augmentations tarifaires demandées par le
ministère de la justice à savoir : les tarifs des experts psychiatres, des
traducteurs interprètes (dont l’impact budgétaire annuel est évalué à 16 M€),
des administrateurs ad hoc.
Pour autant, toutes les prestations n’ont pas vocation à faire l’objet
d’une tarification qui risquerait de figer exagérément leur coût dans des
domaines où les avancés technologiques peuvent conduire à des baisses
rapides des prix de revient.
En outre, le recensement des prix pratiqués par les différents
prestataires n’est possible que dans les domaines où la liste des prestataires
peut être dressée de manière exhaustive, comme pour les laboratoires
d’analyses génétiques ; dans les autres domaines une communication non
exhaustive conduirait à fausser le jeux de la concurrence, voire à diffuser des
tarifs trop élevés et à fragiliser la position de l’administration centrale.
Au contraire, le ministère de la justice est très favorable à une
adaptation des modalités de facturation pour permettre la globalisation des
commandes ou des paiements.
LA GESTION DES FRAIS DE JUSTICE
477
IV – La normalisation de la chaîne de la dépense
Le ministère de la justice partage les observations de la Cour sur la
chaîne de la dépense et la nécessité d’améliorer le circuit et notamment de
mieux évaluer les charges à payer.
Afin de mettre en oeuvre ses recommandations, le ministère de la
justice, en accord avec la direction générale de la comptabilité publique et la
direction du budget a élaboré un nouveau circuit de la dépense, qui va être
expérimenté dans cinq cours d’appel (Amiens, Grenoble, Nîmes, Pau et
Versailles
)
à partir du début de l’année 2008.
Ce nouveau circuit répond à plusieurs objectifs :
−
conserver certaines spécificités des frais de justice au premier
rang desquelles figure le principe absolu de liberté de prescription
y compris jusqu’à l’appréciation de la rémunération de l’expert ou
du prestataire ;
−
améliorer l’efficacité des procédures en limitant les contrôles
surabondants
;
car comme le souligne la Cour, « la superposition
de plusieurs niveaux de contrôle est coûteuse en moyens ; elle
allonge les délais de paiement sans pour autant garantir
parfaitement la régularité de la dépense » ;
L’objectif recherché est double :
¾
limiter les contrôles pour mieux professionnaliser les
acteurs ;
¾
rendre plus fluide la chaîne de la dépense ce qui réduit
les délais de paiement et donc les charges à payer
reportées d’une année sur l’autre, mais également, d’un
point de vue budgétaire, ce qui conduit à diminuer
encore certains tarifs qui prennent en compte les aléas et
les délais actuels de paiement (ainsi en matière de
téléphonie les tarifs actuels inclus 20 % de frais de
recouvrement et de suivi)
−
améliorer la qualité comptable du circuit pour obtenir une
meilleure visibilité de la dette de l’Etat : comme le souligne la
Cour « faute d’un suivi fiable de l’ensemble de la chaîne de la
dépense, le montant des stocks de mémoires reçus est mal connu,
ce qui a conduit le ministère à adopter une méthode d’évaluation
forfaitaire des charges à payer que la Cour a critiqué ».
Le principe général du nouveau circuit
réside dans la création au
niveau de l’arrondissement judiciaire d’un service de traitement des frais de
justice qui centralise tous les mémoires dès leur arrivée dans la juridiction et
jusqu’à leur mise en paiement.
478
COUR DES COMPTES
Le développement d’un outil informatique permettra d’enregistrer
tous les mémoires à leur arrivée dans le service et donc d’avoir une vue
exhaustive des stocks de mémoires en cours de traitement.
Le ministère de la justice est favorable à la suppression des régies
pour le paiement des mémoires de frais de justice et donc à la mise en place
d’un mandatement direct par les services centralisateurs. Toutefois, compte
tenu des contraintes des Trésoreries, les deux systèmes, paiement avec et
sans régie, vont être expérimentés.
Enfin, la mise en place du nouveau circuit des paiements permettra un
traitement plus rapide des mémoires de faible montant. Ainsi, les mémoires
inférieurs à 150 € donneront lieu à une mise en paiement rapide sans
contrôle exhaustif, étant précisé que les ordonnateurs secondaires que sont
les chefs de cour décideront, en concertation avec le Trésorier Payeur
général, de contrôles systématiques soit en fonction de la nature de la
dépense, soit par prestataire. Dans le cadre des expérimentations, le
ministère s’est engagé à ce que 15 % au minimum des mémoires de moins de
150 € fassent l’objet d’un contrôle exhaustif.
Il est important de souligner que les chefs de cour, « ordonnateur
secondaire », avec l’assistance du Service administratif régional (SAR),
superviseront l’ensemble de la chaîne de la dépense, et en assureront le
pilotage ; ils restent les interlocuteurs uniques de la trésorerie générale du
ressort de la cour seule compétente pour l’ensemble des services
centralisateurs.
Pour répondre à une interrogation de la Cour sur la certification du
service fait, il est prévu, dans le cadre du nouveau circuit de la dépense qui
va être expérimenté :
−
d’une part, que s’agissant des frais engagés par les services
enquêteurs, la mention du service fait soit immédiatement portée
par l’officier de police judiciaire (OPJ) sur le mémoire dès
réalisation de la prestation, avant transmission au service
centralisateur ;
−
pour les frais engagés à la demande d’un magistrat, les mémoires
de plus de 150 € leur seront systématiquement adressés dès
réception par le service centralisateur ; ils disposeront alors d’un
délai de 45 jours pour, s’ils le souhaitent, et s’ils constatent une
difficulté notamment dans l’exécution de la prestation, taxer le
mémoire. Ainsi, peut-on considérer qu’il y a présomption de
service fait dès lors que le magistrat n’exerce pas la faculté qui lui
est laissée de taxer le mémoire. Par ailleurs, s’agissant des
mémoires d’un montant inférieur à 150€, des contrôles du service
fait seront exercés dans le cadre des contrôles décidées par
l’ordonnateur secondaire.
LA GESTION DES FRAIS DE JUSTICE
479
Par contre, en l’état, le ministère de la justice ne répond pas encore
aux observations de la Cour sur la nécessité de mettre en place une chaîne de
la dépense continue depuis l’engagement.
En effet, si de réels progrès ont été réalisés dans l’enregistrement par
les magistrats et les OPJ des engagements dans FRAIJUS, l’outil n’est utilisé
que pour le recensement statistiques de ces charges, quelque fois de manière
groupé sans individualisation par acte. Le suivi acte par acte n’est donc pas
possible. Cette solution a dû être retenue, faute de personnel en nombre
suffisant dans les greffes et les services enquêteurs pour procéder à la saisie
individuelle.
Conscient de la nécessité de mettre en place, le plus rapidement
possible, un suivi complet de la chaîne de la dépense, le ministère de la
justice s’emploie à développer la possibilité de générer l’engagement de
manière automatisé dans Fraijus à partir des applications métiers des
ministères de la Justice, de l’Intérieur et de la Défense (Cassiopée, Ardoise et
Pulsar). Techniquement l’interfaçage via une plateforme d’échanges est
réalisable.
Par ailleurs, le ministère de la justice a demandé à l’Agence pour
l’informatique financière de l’Etat (AIFE), l’interfaçage entre Fraijus et
Chorus afin que le service centralisateur du paiement des frais de justice
puisse, en partir de l’engagement saisi dans Fraijus, assurer sa traçabilité
jusqu’au paiement. Le nombre de licences Chorus attribué au ministère de la
justice est suffisant pour une installation dans chaque service centralisateur.
C’est ainsi que pourra être mise en place, à l’horizon 2009-2010, la chaîne
complète de la dépense des frais de justice.
Conclusion :
Dans la gestion des frais de justice, le ministère de la justice s’est
employé depuis deux ans à maîtriser l’enveloppe budgétaire désormais
limitative affectée à ces dépenses.
Les résultats pour les exercices 2006 et 2007 sont satisfaisants mais
les efforts doivent être maintenus pour les consolider.
De même, comme le souligne la Cour, des avancées significatives ont
été réalisées dans le suivi de la dépense mais il reste à mettre en place un
circuit de la dépense complet qui permette d’avoir une meilleure vision des
charges à payer. Il convient, en outre, de développer des moyens de
prévisions budgétaires plus précis qui permettront de mieux justifier les
crédits demandés dès le premier euro.
Le ministère de la justice va donc poursuivre ses travaux dans ces
deux directions pour les années à venir.
480
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DU MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS
ET DE LA FONCTION PUBLIQUE
Je partage globalement l’analyse faite par la Cour sur ce poste de
dépenses caractérisé par un dynamisme inquiétant ces dernières années mais
aussi par un effort récent du ministère de la justice pour une meilleure
maîtrise de ces charges.
Les améliorations réelles que signale la Cour sont liées à l’entrée en
vigueur de la loi organique qui, en transformant les crédits concernés,
autrefois évaluatifs, en crédits limitatifs, amène le responsable de
programme et ses services à une gestion plus rigoureuse et efficiente de ses
ressources. Les résultats constatés sur ce poste de dépenses confortent
l’opinion, fréquemment exprimée par le ministère chargé du budget, qu’il est
effectivement
possible
de
maîtriser
ces
frais
sans
préjudice
de
l’indépendance des décisions de justice.
Il convient de saluer les efforts déployés par la chancellerie en
matière de maîtrise des coûts. Mérite ainsi d’être soulignée la réduction –
dès la première année de mise en oeuvre des recommandations formulées par
la mission d’audit sur le coût des empreintes génétiques – de 14 %, du coût
des analyses génétiques grâce à une meilleure exploitation des opportunités
du marché, la mutualisation de certaines commandes et les efforts tarifaires
des laboratoires de police scientifique.
S’agissant du recours à d’autres prestataires, la Cour estime
insuffisant le niveau des tarifs pratiqués à l’égard des interprètes et
traducteurs, des experts psychiatres et des administrateurs ad hoc.
Mes services examinent actuellement les arrêtés tarifaires relatifs à
une revalorisation des tarifs des interprètes et traducteurs ainsi que ceux des
administrateurs ad hoc.
En revanche, la question des tarifs applicables aux experts
psychiatriques mérite sans doute une réflexion plus poussée, dans la mesure
où ils bénéficient d’ores et déjà des revalorisations prévues par les
conventions de l’assurance maladie.
Il convient dorénavant, ainsi que le souligne la Cour, de s’assurer de
la pérennité du redressement amorcé par le ministère de la Justice. Je reste
donc pour ma part attentif à plusieurs éléments de nature à consolider les
effets de cette réforme :
LA GESTION DES FRAIS DE JUSTICE
481
- le bon rattachement des charges à l’exercice, afin que la maîtrise
constatée de la dépense budgétaire ne soit pas atténuée par un
report en 2008 de charges nées en 2007 ;
- l’amélioration du circuit comptable de cette dépense aujourd’hui
encore complexe, qui fait l’objet d’un chantier commun entre mes
services et ceux du ministère de la justice ;
- le pilotage efficient des engagements juridiques au sein des outils
existants que la chancellerie envisage d’améliorer ;
- l’amélioration des méthodes de prévision de la dépense budgétaire,
dans le cadre de la préparation du PLF 2009.
Les interventions en faveur de l’égalité
entre les femmes et les hommes :
le service des droits des femmes et de
l’égalité (SDFE)
_____________________
PRESENTATION
____________________
Les avancées en vue d’une plus grande égalité entre les femmes et
les hommes, d’abord portées par un militantisme actif, puis par une
volonté politique forte à partir de 1972 (date de la création du premier
centre d’information féminin, précurseur des centres d’information et de
documentation des femmes), ont été accompagnées par un service
administratif aujourd’hui appelé le service des droits des femmes et de
l’égalité (SDFE) qui compte 50 agents au niveau central, 180 déléguées
régionales, chargées de mission départementales et collaborateurs, et qui
bénéficiera en 2007 de 17,9 M€ de crédits d’intervention, de 9,47 M€ de
crédits de personnel et de 0,97 M€ de crédits de fonctionnement pour son
réseau déconcentré.
Ce service est actuellement placé sous l’autorité du ministre du
travail, des relations sociales et de la solidarité.
La Cour, à partir d’une analyse de l’action du service des droits
des femmes et de l’égalité menée de 2003 à 2005 et des modalités de mise
en place de la LOLF s’est attachée à mesurer la capacité du service à
faire face aux défis qui restent à relever, notamment pour un meilleur
accès aux droits et à l’information.
484
COUR DES COMPTES
I
-
Des avancées notables et des lacunes
persistantes
A - Des avancées significatives
Sous la pression d’un militantisme très actif, les avancées en
faveur de l'égalité des femmes ont été importantes dans les années
d'après-guerre. Pour ne citer que quelques dates, c'est en 1944 que les
femmes ont obtenu le droit de vote, en 1965 qu’elles ont pu exercer une
activité professionnelle sans le consentement de leur mari et qu'il a été
définitivement mis fin à la nécessité d’obtenir une autorisation de celui-ci
pour ouvrir un compte bancaire, en 1967 que la contraception a été
autorisée, en 1970 que la loi relative à l'autorité parentale a supprimé la
notion de chef de famille.
Pour favoriser l’application de ces textes importants, l’Etat a
suscité la création des centres d'information sur les droits des femmes, en
1972, et a doté de services administratifs le secrétariat d'État à la
condition féminine créé en 1974.
Ceux-ci et leurs successeurs, dont le service des droits des femmes
et de l'égalité (SDFE), ont accompagné des évolutions normatives
décisives, portées par une ambition politique et par l’élan donné au
niveau européen.
C'est en 1980 que le législateur adopte une définition du viol, en
1982 qu’il permet le remboursement de l'IVG par la sécurité sociale, en
1983 qu’il établit l'égalité professionnelle entre les femmes et les
hommes, dispositions qui seront renforcées par des lois de 2001 et 2006.
Les années 1990 voient également l'affirmation du principe de l'exercice
de l'autorité parentale à l'égard de tous les enfants, quelle que soit la
situation des parents (1993), et celle de “l'égal accès des femmes et des
hommes aux mandats électoraux et fonctions électives” par la loi
constitutionnelle du 8 juillet 1999 que met en oeuvre une loi de juin 2000.
Des
campagnes
de
presse
informent
les
femmes
sur
la
contraception, les incitent à ne pas s’auto-censurer dans le choix de leur
métier ou de leur orientation scolaire, tentent de prévenir les violences
conjugales.
LE SERVICE DES DROITS DES FEMMES ET DE L’ÉGALITÉ
485
Les droits formels ont indéniablement progressé mais, comme la
Cour le relevait déjà en 1992 dans un référé resté sans réponse, le service
du secrétariat aux droits des femmes est « une structure fragile »,
« instable », « à l’image de marque incertaine qui va à l’encontre des
objectifs poursuivis par ses créateurs, soucieux de promotion féminine ».
B - Des lacunes dans l’action du SDFE
1 -
L’absence de leviers interministériels efficaces
Les deux bureaux opérationnels (celui des droits personnels et
sociaux, celui de l’égalité professionnelle) sont notamment chargés de
veiller à ce que les décisions ou les textes pris par le gouvernement
respectent ou améliorent l’égalité des droits entre les femmes et les
hommes. Or rien n’impose aux autres ministères d’associer le SDFE à
cette mise en oeuvre ; son influence reste tributaire de l’adhésion
volontaire des différentes administrations aux objectifs qu’il poursuit.
Le réseau de correspondants ministériels, tardivement mis en place
par le SDFE pour élaborer et suivre l’évaluation de la charte de l’égalité
(2004), n’est pas en mesure de relever le défi de l’interministérialité des
politiques en faveur des droits des femmes : les postes ne sont pas définis,
la désignation des correspondants n’est pas obligatoire dans les autres
ministères, le SDFE n’organise pas des formations à leur intention.
Illustre ces carences le surprenant absentéisme aux réunions d’évaluation
de la charte de l’égalité, texte pourtant emblématique.
Dépendante du bon vouloir des autres ministères, l’influence
concrète du SDFE reste trop aléatoire pour que la politique en faveur des
droits des femmes apparaisse comme cohérente et suffisamment
volontariste au sein des administrations. Certaines conduisent d’ailleurs,
en grande partie en dehors des initiatives du SDFE, des politiques
reconnues comme exemplaires : encouragement de la pratique du sport
par les jeunes filles au ministère des sports, politique de recrutement et de
promotion des femmes au ministère de la défense nationale.
Dès lors, il n’est pas surprenant de constater les difficultés que
rencontre le service à élaborer chaque année le “jaune” budgétaire. Cette
annexe budgétaire qui devrait retracer l’effort des différents ministères en
faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ne parvient à rendre
compte que de 56 M€ de crédits (2005), évalués de surcroît dans des
conditions très imparfaites, dont 19 M€ pour le seul SDFE.
486
COUR DES COMPTES
Le service, en dépit de la faiblesse des leviers interministériels
dont il dispose, n’en souhaite pas moins être chargé d’élaborer un
document de politique transversale “égalité hommes/femmes”. Or les
questions relatives à son périmètre, aux indicateurs de performance à
retenir - qui ne peuvent s’inspirer de ceux, trop imparfaits, choisis par le
SDFE pour évaluer sa propre action - sont demeurées non résolues
et les
capacités de ce dernier à piloter chaque année une telle entreprise restent
à prouver.
2 -
Un réseau déconcentré insuffisamment structuré,
animé et évalué
Plusieurs rapports de 2004 de l’inspection générale des affaires
sociales (IGAS) pointaient les insuffisances de l'animation et du pilotage
du réseau déconcentré : faiblesse, à tous les niveaux, du cadrage politique
des travaux, absence d’objectifs stratégiques et opérationnels régionaux à
caractère pluriannuel, manque d'outils de pilotage et d'évaluation sur des
critères prédéterminés. L'inspection générale recommandait l’élaboration
par chaque responsable régionale et départementale de schémas
régionaux formalisés, ossature d’un plan national, en partenariat avec tous
les acteurs du secteur, avant d’être présentés aux préfets ; elle jugeait
indispensable une évolution du réseau déconcentré des droits des femmes
pour tenir compte, en particulier, de la création de la HALDE.
Or, à ce jour, l’évolution du réseau n’a pas été engagée, le
diagnostic territorialisé et la planification des actions n’ont pas été mis en
place, des objectifs précis, hiérarchisés et évalués n’ont pas été fixés.
L’animation au niveau national du réseau déconcentré reste
également à moderniser et à organiser. Faute d’un intranet du réseau et
d’un guide des bonnes pratiques permettant de mutualiser les expériences
réussies,
les
déléguées
régionales
et
les
chargées
de
mission
départementales se révèlent peu motivées : moins de la moitié d’entre
elles ont rédigé un rapport d’activité en 2005 - contre 100 % en 2006,
preuve que les mesures de formalisation des rapports ont été prises
tardivement - et l’absentéisme aux journées de travail organisées en 2004
et 2005 par le service central a atteint 17 % et 25 %.
LE SERVICE DES DROITS DES FEMMES ET DE L’ÉGALITÉ
487
II
-
La nécessité d’une autre organisation
administrative
A - Des défis majeurs, notamment pour l’accès aux
droits et à l’information
Il reste de nombreux domaines où l’égalité de droit entre les
hommes et femmes ne s'est pas encore concrétisée. C’est ainsi que la
représentation équilibrée entre les femmes et les hommes n'est pas encore
atteinte en politique
170
. Dans la vie économique, malgré un niveau de
formation égal ou supérieur à celui des hommes, les femmes restent
éloignées des postes de décision
171
et les écarts de salaires persistent
autour de 19 % dans le secteur privé ; elles représentent 80 % des salariés
gagnant moins que le SMIC. 10 % des femmes sont encore victimes de
violences, trop souvent mortelles, au sein de leur couple. L’accès à
l’interruption volontaire de grossesse souffre de longs délais de prise en
charge et d’obstacles structurels qui pèsent sur les capacités d’accueil.
Enfin, l’articulation des temps de vie est encore loin de constituer une
priorité.
La concrétisation des droits formels en droits réels suppose, avant
tout, que l'accès des femmes à leurs droits soit mieux garanti, y compris
en recourant aux nouvelles technologies de l’information, que celles-ci
puissent s'exprimer dans un cadre favorisant cette expression, notamment
celles qui sont en situation de détresse, et dans des délais inférieurs à ceux
de la prescription de l’action publique et des peines pour les faits relevant
du code pénal.
Cette mission d’information globale sur les droits et de
documentation est assurée essentiellement par les centres d’information
sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), qui ont largement
ouvert leurs activités à l’accueil, l’écoute, l’accompagnement des femmes
victimes de violences et au conseil en matière d’emploi et de formation
professionnelle.
Le centre national (CNIDFF) qui fédère les centres locaux et
assure leur représentation au plan national auprès des institutions
publiques et para publiques a rapidement développé, dès la fin de sa
170) 53 % d’électrices pour 17 % des députés, 11 % des conseillers généraux, 33 %
des conseillers municipaux.
171) 82 % d’entre elles travaillent mais elles ne sont que 7 % des cadres dirigeants
des 5000 premières entreprises françaises.
488
COUR DES COMPTES
restructuration en 2003, des outils adaptés d’appui, de suivi, de
coordination, d’animation de son réseau et de professionnalisation de ses
personnels. L’effort du CNIDFF pour soutenir les CIDFF et disposer de
données pertinentes sur son réseau n’est pas contestable. Toutefois,
certains outils restent à parachever (l’appui à la gestion des centres, le
développement des partenariats institutionnels et financiers, l’élaboration
de guides de bonnes pratiques), d’autres sont à réaliser (le recours aux
technologies de l’information pour traiter les questions standardisées, la
mutualisation des expériences et des ressources pour optimiser les
services rendus au public). Enfin, le CNIDFF devrait être en mesure de
piloter son réseau en appuyant également les CIDFF dans leur gestion.
Mais le SDFE, qui est le premier financeur du CNIDFF avec qui il
a signé une convention d’objectif, n’a pas mis le centre national en
position d’élaborer des objectifs personnalisés de développement de
chaque
CIDFF
s’inscrivant
dans
une
stratégie
d’ensemble
de
développement de son réseau. Il ne l’a pas davantage mis en position de
donner des orientations aux CIDFF afin d’optimiser le service qu’ils
rendent, service que le SDFE n’a d’ailleurs pas cherché à évaluer auprès
des femmes qui ont recours à eux. Enfin, les indicateurs essentiellement
descriptifs dont les conventions d’objectifs sont assorties n’ont pas permis
d’en évaluer l’efficacité.
Le SDFE n’a pas empêché les tensions qui existent sur le terrain,
depuis de nombreuses années, entre certaines déléguées régionales ou
chargées de missions départementales et les CIDFF qu’elles financent sur
les crédits délégués. Depuis une tentative en 2004, de réduction de ces
financements, ceux-ci sont en grande partie gelés, ce qui déresponsabilise
les unes et les autres.
Les services déconcentrés du SDFE n’ont pas une vision globale
de la stratégie du réseau ; les financements qu’ils accordent aux centres
ne sont pas subordonnés à la mise en cohérence de leur action avec les
orientations nationales fixées par le CNIDFF.
B - Les réponses indispensables
1 -
La définition des priorités
Le service reconnaît que l’organigramme actuel ne correspond plus
aux missions qui lui incombent aujourd’hui, comme celles, pourtant
importantes, de l’accès des femmes aux responsabilités politiques,
économiques et associatives ou de l’articulation des temps de vie.
LE SERVICE DES DROITS DES FEMMES ET DE L’ÉGALITÉ
489
Pour définir ses objectifs, le SDFE ne doit pas se limiter aux
obligations qui découlent de la LOLF qui n’ont pas vocation à se
substituer aux autres outils d’analyse et de définition des priorités. Par
exemple, le service n’a pas développé de démarche stratégique, en
relation avec son réseau déconcentré comme le préconisait l’IGAS, pour
hiérarchiser ses actions en fonction des évolutions sociales et planifier
leur mise en oeuvre.
Deux de ses cinq actions, dotées de moins d’un million d’euros
(0,2 M€ et 0,88 M€ au PLF 2007), ne se sont pas vu assigner d’objectifs
et d’indicateurs. Il n’était pas anormal que la meilleure articulation des
temps de vie et l’accès des femmes aux responsabilités ne soient assortis
que de crédits budgétaires d’un montant limité ; cela n’enlevait rien à leur
intérêt, mais la LOLF n’était pas le cadre le plus adapté pour leur donner
la visibilité requise.
De plus, le programme 137 géré par le SDFE, intitulé «
égalité
entre les hommes et les femmes
», est le seul des programmes relevant des
secteurs travail et santé/solidarité à disposer d’un plafond d’emplois,
d’une masse salariale et de crédits de fonctionnement (celui du réseau
déconcentré). Mais la modicité de sa taille (28 M€), qui en fait le plus
petit programme du budget de l’Etat (moins de 0,02 % du budget), limite
toute réelle fongibilité.
2 -
La mesure des résultats
Outre l’improvisation avec laquelle certains d’entre eux ont été
définis, les indicateurs retenus ne rendent compte que de l’usage de
montants modestes, entre 100 000 € et 480 000 € (PLF 2006) selon les
cas, 800 000 € au total. Par exemple, aucun indicateur ne permet
d’évaluer la performance des 15 M€ affectés chaque année au
financement des structures associatives et notamment leur “effet de
levier”, alors que le SDFE soutient que les fonds qu’il alloue aux
associations leur permettraient, fortes de cette caution, d’obtenir d’autres
financements.
Certains indicateurs ne sont pas imputables à un engagement
financier du service (conclusion d’accords de branche ou d’entreprise
comportant une clause relative à l’égalité hommes/femmes ; part des
femmes reprenant ou créant leur entreprise). Ces statistiques sont au
demeurant très difficiles à interpréter : 4 % des accords de branche ont
inclus en 2006 une clause visant à réduire les inégalités entre les femmes
et les hommes et 0,17 % des accords d’entreprise conclus en 2004 ont été
spécifiquement consacrés à l’égalité professionnelle hommes/femmes ; le
nombre même de femmes reprenant ou créant chaque année leur
490
COUR DES COMPTES
entreprise est tel qu’il est illusoire de penser mesurer un effet de levier du
fonds de garantie pour la création, la reprise ou le développement
d’entreprises à l’initiative des femmes (FGIF) qui a disposé de 100 000 €
en 2006 pour un montant moyen de garantie de 312,50 €. Il est à noter
que les indicateurs relatifs aux accords de branche et d’entreprise ne
seront renseignés que tous les 3 ou 4 ans.
La corrélation entre les variations annuelles des indicateurs choisis
et l’engagement du service est, de fait, très délicate, voire impossible, à
établir : la part des femmes créatrices d’entreprise passe de 29,8 % en
2003 à 32,8 % en 2007 ; la proportion d’accords de branche et
d’entreprise visant à la réduction des inégalités passe de 2,5 % à 6 %
entre 2003 et 2005 ; celle des accords d’entreprise spécifiques passe de
0,11 % (2003) à 0,17 % (2004).
Un indicateur, imposé au CNIDFF, est supposé retracer la
performance des centres d’information des femmes et des familles :
« pourcentage de centres dont le coût par personne accueillie est supérieur
ou inférieur à plus de 60 % par rapport au coût moyen ». Mais le budget
pris comme base de ce calcul ne provient du SDFE qu’à concurrence de
13 % et le coût de l’accueil d’une personne diffère sensiblement selon
qu’il s’agit de l’écoute d’une femme victime de violences ou de la
fourniture de renseignements sur les procédures de divorce. La quasi-
totalité des CIDFF se situent d’ailleurs aujourd’hui dans la fourchette
initialement définie.
3 -
L’inefficacité du soutien aux associations
La définition et l’organisation de la politique de financement par le
SDFE des associations intervenant dans ce domaine devraient constituer
une priorité dès lors que ces acteurs agissent au plus près du terrain.
Cependant, le service n'a pas accordé l'attention qu'il aurait dû aux
subventions versées aux associations (critères, modalités, contrôles,
évaluation...) et le contrôle a révélé de nombreux dysfonctionnements :
lorsqu’ils sont présents dans le dossier, les rapports d’activité sont très
souvent inexploitables ; en l’absence d’une formalisation de leur
présentation, il est généralement difficile de rapprocher la réalisation de la
convention initialement conclue ; dans la plupart des cas, aucun
justificatif des actions conduites n’est demandé, les informations ne sont
donc pas recoupées. En outre, les structures sont très souvent financées
par le SDFE pour leur fonctionnement et ne présentent pas au soutien de
leur demande une description claire des actions qu’elles souhaitent
engager.
LE SERVICE DES DROITS DES FEMMES ET DE L’ÉGALITÉ
491
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
Les acquis des dernières décennies, la modification du contexte
européen que marque l’entrée de nouveaux pays dans l’Union, les
évolutions économiques et sociales, militent pour que soit repensé le
cadre administratif qui, depuis 1974, accompagne les changements en
faveur des femmes. Le SDFE a apporté aux ministres en charge des droits
des femmes une réelle expertise, notamment en matière juridique.
Aujourd’hui,
la
Cour
considère
que
l’insuffisante
interministérialité de ses actions, les carences dans l’animation de son
réseau, ses difficultés à définir et évaluer des priorités claires, y compris
dans le cadre de la LOLF, les lacunes de ses relations avec ses
partenaires associatifs, incitent pour le moins à repenser les modalités
d’organisation et d’intervention de l’Etat dans ce domaine.
492
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DU MINISTRE DU TRAVAIL, DES RELATIONS SOCIALES
ET DE LA SOLIDARITÉ
Il est nécessaire, sous forme de préalable, de préciser que l’insertion
indique la période contrôlée, les exercices 2003 à 2005 à laquelle ont été
ajoutées,
les modalités de passage à la LOLF au 1
er
janvier 2006
préparées
pendant la période couverte par le contrôle.
Cette remarque, comme la plupart de celles qui vont suivre, ont été
formulées, en tant que de besoin de manière détaillée, aux différentes étapes
du contrôle, et en dernier lieu en réaction au projet de rapport définitif ; il
est regrettable que les éléments transmis à cette occasion n’aient souvent pas
été intégrés aux observations formulées par la Cour.
1. Les priorités du Services
Les priorités du Service ont été définies ces dernières années par les
ministres en charge des droits des femmes et de l’égalité entre les hommes et
votées dans le cadre de la LOLF par le Parlement, depuis le 1
er
janvier 2006,
en reprenant l’essentiel des axes définis par la Charte de l’égalité élaborée
en 2004. Ces grands axes de politique, toujours d’actualité et dont certains
figurent parmi les priorités présidentielles, sont :
•
L’accès des femmes aux responsabilités et à la prise de décision
,
dans la vie politique, professionnelle et sociale, car l’accès des
femmes aux responsabilités et à la prise de décision dans ces
différents champs constitue une exigence d’égalité et en enjeu
démocratique majeur ;
•
L’égalité professionnelle
, qui recouvre notamment le thème de
l’égalité salariale (organisation de la Conférence nationale sur
l’égalité salariale du 26 novembre 2007), l’emploi des femmes, leur
formation initiale et professionnelle et la création d’entreprise. La
promotion de l’égalité professionnelle relève d’une stratégie de
développement bénéfique tant pour les salariés que pour les
entreprises ;
•
L’accès aux droits
, car il convient de donner aux femmes un égal
accès à l’information sur leurs droits sur tout le territoire, quel que
soit leur origine ou leur milieu de vie. Cette action recouvre la
priorité nationale relative à la
lutte contre les violences faites aux
femmes
;
•
L’articulation des temps
qui participe de la politique d’égalité entre
les femmes et les hommes. Cette action, qui porte principalement sur
l’articulation vie professionnelle et vie familiale, a vocation à être
regroupée avec l’axe relatif à l’égalité professionnelle.
LE SERVICE DES DROITS DES FEMMES ET DE L’ÉGALITÉ
493
Ces priorités et l’action qui en résulte pour le Service ne se limitent
« pas aux obligations de la LOLF ». Si tel avait été le cas, le Service n’aurait
pas investi l’élaboration de la programmation FSE 2007/2013 pour la
compétitivité régionale et l’emploi qui intègre le principe d’égalité entre les
hommes et les femmes en rappelant qu’il constitue l’un des principes
fondamentaux du droit communautaire inscrit dans le traité. Il n’aurait pas
davantage
lancé
une
étude
de
préfiguration
sur
l’évaluation
des
répercussions économiques des violences conjugales en France prévue dans
le plan violences 2005/2007, ni conclu d’accords de collaboration avec
d’autres organisations administratives telles que l’ACSé, la DPM, la DIV, la
DGEFP et l’ANAEM sur la thématique relative aux femmes des quartiers
sensibles et des femmes immigrées ou issues de l’immigration. Les exemples
sont nombreux qui mobilisent les moyens structurels du Service au-delà de la
seule gestion des dispositifs et des crédits d’intervention du programme 137.
Ces modalités de mise en oeuvre des priorités relatives à la politique
publique d’égalité entre les hommes et les femmes relèvent de la double
approche :
-
spécifique
car les inégalités de fait qui persistent justifient encore
des mesures positives en faveur des femmes que l’on retrouve pour l’essentiel
dans le programme LOLF ;
-
intégrée
car il s’agit de prendre en compte la dimension de l’égalité
entre et les hommes et les besoins respectifs des hommes et des femmes dans
la conception et la mise en oeuvre des différentes politiques publiques
sectorielles (éducation, emploi, santé, sports…)/
L’organisation qui résultera des travaux relatifs à la RGPP doit
contribuer à renforcer la légitimité du Service à porter cette politique
publique, à l’animer et à coordonner sa mise en oeuvre et à la rendre plus
visible et plus lisible. Cette évolution portera non seulement sur le service
central, mais également sur le réseau conformément, pour ce dernier, aux
choix d’organisation territoriale de l’Etat qui seront pris au terme de la
réflexion de RGPP.
2. l’efficacité du Service
L’efficacité du Service ne peut
pas se mesurer au regard des seuls
moyens affectés au programme 137 par la Loi des finances. Comme cela a
été indiqué à la Cour, le Service à un rôle à la fois interministériel et
transversal dans la mesure où la mise en oeuvre de la politique relative aux
droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes repose non
seulement sur les autres ministères mais également sur l’ensemble de ses
partenaires : les collectivités territoriales, les entreprises, les partenaires
sociaux, les associations, sans oublier les organismes de sécurité sociale,
notamment dans l’objectif de réduction du coût économique des violence au
sein du coupe par une action volontariste de lutte contre les violences envers
les femmes, cet objectif figurant dans le plan 2008/2010 présenté par la
Secrétaire d’Etat chargée de la solidarité le 21 novembre 2007.
494
COUR DES COMPTES
Ce rôle transversal, qui répond à une préconisation de la Commission
de la femme de l’ONU, se traduit par la mise en oeuvre de l’approche
intégrée de l’égalité, donc par la prise en compte de la dimension du genre
par l’ensemble des partenaires du Service dans leurs missions, dans leur
action et dans leurs organisations. Cette mesure, initiée à l’occasion de la
mise en oeuvre de la Charte commence à produire ses effets, leur impact sur
la situation des femmes ne pouvant évidemment être mesuré que dans la
durée.
La pertinence de cette démarche peut être rappelée puisqu’elle a été
retenue dans le programme opérationnel national du fonds social européen
(compétitivité et emploi) pour la période 2007/2013. Les dotations
spécifiques ont été réduites au profit d’une prise en compte de la situation
des femmes, qualifiée de priorité transversale dans l’ensemble des actions
qui doivent être menées par les porteurs de projets. Dans ce cadre, le Service
assume un rôle d’animation, de coordination et de veille qu’il est envisagé de
reproduire dans la mise en oeuvre de la politique publique d’égalité entre les
hommes et les femmes suppose une mise en oeuvre par l’ensemble des
partenaires précités.
Ces orientations ont conduit le Service à demander que la politique
publique dont il a la charge fasse l’objet d’un document de politique
transversale (DPT) qui déterminera des objectifs communs et partagés entre
l’ensemble des ministères concernés, et les indicateurs associés à ces
objectifs. Il ne se limitera pas aux seules organisations ministérielles puisque
le caractère transversal de la politique d’égalité entre les hommes et les
femmes suppose une mise en oeuvre par l’ensemble es partenaires précités.
Cette perspective a été soutenue par une préconisation de la
Commission des finances de l’Assemblée nationale lors de l’examen du PLF
2008 et tout particulièrement
du programme 137. Ce DPT, qui permettra à
la représentation nationale « d’évaluer correctement l’effort financier global
en faveur des femmes » mesurera l’efficience de la politique publique
d’égalité à travers l’évolution de la situation des femmes dans les principaux
domaines où des progrès doivent être accomplis. L’efficacité du Service sera
mesurée non seulement à partir des dispositifs qu’il gère dans le programme
137, mais surtout à travers la progression de la prise en compte de
l’approche intégrée par ses partenaires.
Ce schéma suppose une organisation du Service reconsidérée en
fonction des priorités qui seront inscrites dans le DPT et d’un rôle
d’animation et de coordination qui s’appuiera sur le développement de
l’approche intégrée. Les modalités de mise en oeuvre de ce schéma et les
résultats obtenus suscitent d’ores et déjà, l’intérêt des partenaires européens.
LE SERVICE DES DROITS DES FEMMES ET DE L’ÉGALITÉ
495
Le service disposera alors de leviers interministériels efficaces
nécessaires au pilotage de la politique relative aux droits des femmes et à
l’égalité entre les hommes et les femmes, et d’une capacité renforcée à
évaluer cette politique publique, les dispositifs et les partenariats qui la
caractérisent.
L’élaboration du DPT s’appuiera sur le jaune budgétaire élaboré
dans le cadre du vote du PLF 2008 sui constitue une refonte complète de la
présentation initiale. Il donne une information plus précise de l’intervention
des autres ministères dans une présentation conforme à la LOLF.
3. Les lacunes des relations du Service avec les partenaires associatifs
Les critiques formulées par la Cour sur les relations avec les
associations, et tout particulièrement les relations financières avec ces
structures ont déjà fait l’objet de réponses précises. Elles ont notamment
conduit le Service à modifier cette relation financière par une intervention
plus exigeante du Comité des engagements. Celui-ci procède désormais à
l’examen des dossiers en s’appuyant sur l’analyse du bilan des précédentes
conventions et de la situation financière, sous réserve que les actions ou les
activités de l’association convergent avec les priorités précitées du Service,
donc avec les orientations de la politique publique. Dans ce cadre, le Service
est régulièrement conduit à refuser des demandes de subventions.
La Cour reprochait au service l’absence de contact
au Service
l’absence de contacts avec les dirigeants des associations, notamment pour
discuter des bilans d’activité et des bilans financiers. Ces contacts sont
renforcés depuis le début de l’exercice 2007 et ont vocation à être
généralisés.
La réduction du nombre de subventions accordées pour de faibles
montants constituait par ailleurs un objectif pour le Service qui anticipait les
remarques de la Cour. Cet objectif a été poursuivi en 2007 et sera encore
renforcé en 2008. L’action volontariste du Service qui, « dans un cadre
budgétaire contraint » a procédé à de redéploiements permettant « de mettre
l’accent sur les priorités fixées par les pouvoirs publics en matière d’égalité
professionnelle et de lutte contre les violences faites aux femmes » ; a été
soulignée par le rapporteur spécial de la Commission des finances de
l’Assemblée nationale. Ces redéploiements ont été opérés à partir des
moyens affectés aux subventions aux associations.
Ces mesures sont accompagnées d’une utilisation régulière de
conventions pluriannuelles d’objectifs qui, tout en donnant des garanties
financières aux associations sous réserve qu’elles réalisent les actions
prévues, prévoient une évaluation de leur intervention.
Cette rationalisation doit se poursuivre, la stratégie du Service étant
de privilégier la relation avec des associations « têtes de réseaux » ou avec
les grandes associations nationales.
496
COUR DES COMPTES
La Cour a notamment contrôlé le CNIDFF. C’est un partenaire
important du service sur lequel il s’appuie pour l’animation et la
coordination du réseau des CIDFF. Le contrat d’objectif du CNIDFF ainsi
que la convention pluriannuelle d’objectifs doivent être renouvelés à compter
du 1
er
janvier 2008.
A une interrogation de la Commission des finances de l’Assemblée
nationale sur les principaux éléments d’orientation concernant les futures
contrats d’objectifs et de moyens 2008/2010 du CNDIFF et sur les pistes
envisagées pour améliorer le fonctionnement et la performance de ces
réseaux associatifs, le service a apporté la réponse suivante qui fixe le cadre
dans lequel s’inscrit dorénavant le Service :
« Plusieurs pistes d’amélioration sont envisagées, la priorité devant
porter sur le rôle de tête de réseau du CNIDFF, notamment dans la mise en
oeuvre par les CIDFF des missions d’intérêt général qui leur sont confiées
dans :
o
L’accompagnement des femmes vers l’emploi (action 2) qui
s’appuie sur des services des CIDFF que sont notamment les
BAIE labellisés ;
o
L’information des femmes sur leurs droits (action 3) qui fait
l’objet d’un agrément des CIDFF par le comité national
d’agrément.
Le contrat d’objectif s’articulera avec des conventions pluriannuelles
d’objectifs qui seront passées localement entre les déléguées régionales et les
chargées de mission départementales aux droits des femmes et à l’égalité et
les CIDFF. La tête de réseau devra fournir une information physico-
financière et statistique consolidée sur ces deux domaines et suivre les autres
domaines d’intervention des CIDFF dans le cadre de la diversification de
leurs activités.
Le CNIDFF devra également assurer, en lien avec le Service, ses
délégations régionales et missions départementales, une veille permettant
d’anticiper les difficultés financières des CIDFF avec pour objectif le
maintien des missions d’intérêt général qui leur sont confiées par l’Etat.
Enfin, le contrat d’objectif doit permettre de mieux identifier les
activités du CNIDFF et de son réseau, notamment lorsque ce dernier, grâce
à l’agrément relatif à l’information des femme sur leurs droits et la
labellisation des activités d’accompagnement vers l’emploi, peut le conduire
à obtenir des cofinancements publics, sur ces activités ou sur d’autres ne
rentrant pas strictement sur ces missions d’intérêt général, afin d’assurer la
coordination de l’ensemble des actions qui concourent à la politique
d’égalité entre les femmes et les hommes. Cette mesure s’inscrit dans la mise
en oeuvre du DPT qui concernera l’ensemble des partenaires du Service, y
compris les associations. »
LE SERVICE DES DROITS DES FEMMES ET DE L’ÉGALITÉ
497
De telles évolutions sont de nature à renforcer le rôle de tête de réseau
du CNIDFF qui intéressera par ailleurs les autres responsables de
programmes qui contribuent au financement de ce réseau, notamment la
direction générale de l’action sociale.
Elles montrent en outre que les critiques relatives à un travail plus
rigoureux et plus efficace avec les relais associatifs sur le terrain ont été
anticipées puisque les améliorations décrites supra, qui reprennent les
principales réponses déjà fournies à la Cour, ont été mises en oeuvre dès 2006
et régulièrement renforcées depuis dans les rapports avec les associations et
la gestion des subventions à ces structures.
4. Les critiques relatives à des carences de l’animation du réseau
Comme cela a été rappelé, le rapporteur s’est attaché essentiellement à
examiner les actions et travaux du SDFE sur une période allant de 2003 à
2005.
Pour ce qui concerne l’animation du réseau déconcentré du service des
droits des femmes et de l’égalité, il est regrettable que son évolution sensible à
compter de 2006, présentée et développée lors des échanges avec le
rapporteur et dans les documents et réponses fournis à ce dernier, ne soit pas
davantage prise en considération dans les observations faites par la
Cour.
Il semble ainsi utile de rappeler :
−
l’évolution
organisationnelle
du
service
central
à
travers
le
renforcement des moyens humains de la Mission de coordination du
Réseau Déconcentré (MCRD) ;
−
la meilleure prise en compte de l’hétérogénéité des positionnements des
équipes locales ;
−
la définition et la communication par le service central de
planifications nationales en 2006 et 2007 ;
−
la mise en place d’outils d’évaluation ;
−
le renforcement, l’accroissement et l’amélioration quantitative et
qualitative des informations descendantes et ascendantes ;
−
le déblocage technique de l’accès du réseau à l’intranet ministériel ;
−
la mise en place d’outils techniques et méthodologiques (mutualisation
et professionnalisation) ;
−
le renforcement des échanges « service central/réseau » et « inter-
réseau » ;
−
l’accroissement et la diversification de l’offre de formation (ouverte
tant aux agents du SDFE qu’aux correspondants ministériels).
La mesure de l’impact de ces diverses mesures, sensible dès le début de
2006, se traduit notamment par un taux de retour de 100 % des rapports
d’activités 2006, ainsi que par le succès de l’expérimentation en 2007 de
journées inter régionales sur la thématique de l’égalité professionnelle
498
COUR DES COMPTES
(le taux de participation est passé de 57 % à 92,3 %). Ces éléments concrets
témoignent de la réelle remobilisation des équipes.
Le service central, conscient de ses faiblesses en ce domaine, a donc su
adapter et moderniser sa relation avec le réseau déconcentré en matière de
pilotage, d’information, d’animation, de coordination et de mutualisation,
ainsi que par la mise en place de modalités d’évaluation de son action. Il a
renforcé entre 2006 et 2007 l’équipe de la mission par redéploiement interne
de 2 cadres A.
Par ailleurs, des travaux sont actuellement en cours en matière
d’organisation régionale et départementale, afin d’accroître la lisibilité et la
visibilité des travaux et des actions menés sur le terrain par les équipes du
SDFE.
Ces diverses adaptation créent, d’ores et déjà, une dynamique
renforcée des actions en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes.
Ces évolutions sont tangibles et conséquentes ; elles doivent nécessairement
être prises en comptes.
5. La taille du programme, la mesure des résultats et les indicateurs de
la LOLF
La Cour observe que la taille budgétaire du programme (28 M€) ne
permet pas une réelle fongibilité. Il faut pourtant préciser que cette fongibilité
a été effective en 2006, comme cela été relevé dans la note d’exécution
budgétaire. Il s’agissait d’une pratique qui, utilisée lors du premier exercice
en mode LOLF, est appelée à se perpétuer sur les exercices suivants.
Cette règle de gestion a fait l’objet d’instructions précises aux Préfets
et aux déléguées régionales du SDFE. Cette « utilisation efficace de la
fongibilité », relevée par le rapporteur spécial de la Commission des finances
de l’Assemblée nationale, a notamment permis d’adapter l’affectation de
moyens aux réalités locales dans le cadre d’orientations prioritaires.
En ce qui concerne la mesure des résultats, la Cour critique
l’improvisation avec laquelle certains indicateurs ont été définis. Il faut
rappeler, en complément des éléments qui ont déjà été transmis à la Cour, que
ces indicateurs, élaborés comme pour l’ensemble des programmes dans le
cadre de concertations entre les responsables de programmes, les directions
des affaires financières des ministères auxquels ils sont rattachés, la Direction
générale de la modernisation de l’Etat et la direction du budget, devraient
être reconsidérés dans le cadre de l’élaboration du DPT.
Avec ces indicateurs et comme l’observe le rapporteur spécial de la
Commission des finances de l’Assemblée nationale, la démarche de
performance doit être « rapidement et durablement stabilisée » afin de
pouvoir mesurer dans la durée l’efficience de la politique publique d’égalité
entre les hommes et les femmes, l’efficacité des dispositifs et de l’approche
intégrée destinés à mettre en oeuvre l’amélioration de la situation des femmes
en France.
LE SERVICE DES DROITS DES FEMMES ET DE L’ÉGALITÉ
499
RÉPONSE DE LA DIRECTRICE DU CENTRE NATIONAL
D’INFORMATION SUR LES DROITS DES FEMMES ET DES
FAMILLES (CNIDFF)
Le centre national d’information sur les droits des femmes et des
familles (CNIDFF) prend acte de l’insertion relative au CNIDFF dans le
rapport annuel de la Cour des comptes sur « Les interventions en faveur de
l’égalité entre les femmes et les hommes : le service des droits des femmes et
de l’égalité (SDFE) ».
Le CNIDFF rejoint la Cour sur ses observations. Il tient à préciser
que le recours aux technologies de l’information pour traiter les questions
standardisées est envisagé dans la refonte du site Internet du CNIDFF. Le
nouveau site, opérationnel en janvier 2008, comportera une rubrique
« questions-réponses » que
le
CNIDFF
et
les
CIDFF
alimenteront
régulièrement.
Par ailleurs, pour faire face à la nécessaire mutualisation des
expériences conduites par les associations de son réseau, le CNIDFF a,
d’ores et déjà, dans le cadre d’une adaptation de son organigramme,
recentré l’un de ses postes vers une mission de conception, coordination des
méthodes et des moyens nécessaires au repérage, à la capitalisation, à
l’évaluation et au transfert à l’ensemble du réseau d’actions et/ou de
méthodes d’intervention pertinentes portées par des CIDFF. Ce poste a
vocation à intervenir de manière transversale auprès des différents services
du CNIDFF pour impliquer ces derniers dans une logique de mutualisation
des ressources développées par les CIDFF.
La gestion des ressources humaines de
l’ANPE
_____________________
PRESENTATION
____________________
L’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), principal acteur du
service public de l’emploi dispose d’un budget de plus de 2 milliards
d’euros. Elle a vu, au cours des dix dernières années, ses missions et ses
modes d’interventions évoluer afin de s’adapter
aux
évolutions
successives
des
politiques
de
lutte
contre
le
chômage
et
d’accompagnement des demandeurs d’emploi qui, au cours des dernières
années, se sont intensifiées et personnalisées. Pour l’agence, les
principales étapes dans la période récente ont été, en 2001, le
programme d’action personnalisé pour un nouveau départ (PAP-ND) qui
s’est ensuite inséré dans le plan d’aide au retour à l’emploi (PARE) et, en
2006, le parcours personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE) et le suivi
mensuel personnalisé (SMP) du demandeur d’emploi.
Dans ce contexte, marqué dans les années 2002 – 2005 par une
forte augmentation du taux de chômage, les effectifs de l’ANPE ont
augmenté de plus de 55 % entre 1999 et 2006. Pour atteindre près de
30 000 salariés, ce qui fait de l’ANPE le premier opérateur de l’Etat par
l’importance de ses effectifs.
Au moment où la décision de fusionner l’ANPE et les institutions
de l’assurance chômage est prise, la Cour analyse les conditions dans
lesquelles l’ANPE gère ses personnels.
502
COUR DES COMPTES
I
-
Un accroissement considérable des effectifs
A - Les trois vagues de recrutements
De 1999 à 2006, les emplois de l’ANPE ont augmenté de plus de
55 %, passant de 16 554 à 25 701 (en emplois budgétaires) et de 17 766 à
27 631 (en emplois permanents) sous l’effet de trois vagues, parfois
confondues, de recrutements massifs. Cette évolution a constitué une
réponse d’abord quantitative à l’accroissement du chômage au cours de la
période 2002-2005, mais a traduit également une demande accrue des
pouvoirs publics en matière d’accompagnement et de suivi des
demandeurs d’emploi.
Afin de permettre à l’ANPE d’appliquer les mesures prévues dans
le plan national d’action pour l’emploi (PNAE, « programme nouveau
départ »), l’Etat a autorisé la création de 2 000 emplois entre 1999 et
2001.
L’effort s’est poursuivi en 2002 avec le financement par l’Etat de
570 emplois pour mettre en oeuvre le projet d’action personnalisé –
nouveau départ
(PAP/ND) dans le cadre du PARE et le recrutement de
500 emplois - jeunes. Parallèlement, l’Unedic a, conformément à la
convention du 13 juin 2001, financé la création de 3 650 emplois au sein
de l’Agence.
Enfin, 3 200 nouveaux recrutements ont été opérés de novembre
2005 jusqu’en 2007 pour permettre le suivi mensuel personnalisé des
demandeurs d’emploi, mis en place à partir du 1
er
janvier 2006.
Au 30 juin 2007, l’effectif total rémunéré par l’ANPE atteint
30 878 personnes : 25 173 contrats à durée indéterminée (CDI), 3 064
contrats à durée déterminée (CDD), 675 intérimaires et 1 966 contrats
aidés
(8
contrats
emploi
consolidé
(CEC),
621
contrats
d’accompagnement dans l’emploi (CAE), 1 335 contrats d’avenir et
2 contrats emplois jeunes).
Evolution des emplois budgétaires et des personnels sur emplois permanents
31/12/99
31/12/00
31/12/01
31/12/02
31/12/03
31/12/04
31/12/05
31/12/06
Emplois budgétaires
16 554
16 990
20 223
21 223
21 223
21 223
22 485
25 701
Emplois permanents
17 766
18 234
21 156
22 665
22 945
23 220
24 598
27 631
dont :
CDI
17 140
17 600
19 836
21 475
21 908
21 803
22 214
24 501
CDD
626
634
1 320
1 190
1 037
1 417
2 384
3 130
Soit en ETP (*)
16 323
16 676
19 509
21 122
20 957
21 183
22 443
25 652
Evolution
annuelle des
emplois permanents
+ 2,6 %
+ 16,0%
+ 7,1 %
+ 1,2 %
+1,2 %
+ 5,9 %
+ 12,3%
(*) ETP : équivalent-temps-plein
Source : ANPE
504
COUR DES COMPTES
B - Des besoins de recrutement largement évalués
Pour calibrer ses demandes de recrutement, l’Agence a pris en
compte des ratios intégrant une proportion du temps de travail consacrée
à l’accueil et au suivi des demandeurs d’emploi supérieure à la réalité :
ainsi, les
conseillers étaient considérés comme consacrant à ces tâches
100 % de leur temps de travail au cours du 3
ème
contrat de progrès, mais
seulement 75 % pour le PARE/PAP et 63 % pour le suivi mensuel
personnalisé, le reste du temps devant être affecté, entre autres, à des
démarches auprès des entreprises pour collecter des offres d’emploi. Ce
taux de 63 % était calculé sur la base du nombre de jours annuels
effectivement travaillés en moyenne par un conseiller à temps plein, qui
n’est que de 182. L’Agence intègre donc comme une donnée inéluctable
un taux d’absentéisme élevé, ce qui conduit à surestimer ses besoins de
recrutement.
L’ANPE avait estimé à 14,4 millions le nombre annuel d’entretiens
supplémentaires que le suivi mensuel personnalisé allait entraîner par
rapport au PAP (soit un triplement) à raison de 120 à 130 demandeurs
d’emploi suivis en entretiens mensuels par conseiller. Elle en a déduit un
besoin de 4 700 conseillers supplémentaires, nombre réduit à 3 700, par
redéploiement de 1000 ETP dont 500 correspondent à des entretiens pris
en charge par les Assedic au 8
ème
et 14
ème
mois de chômage et 500 à des
gains de productivité. Les administrations de tutelle n’ont autorisé en
définitive que 3 200 recrutements.
En réalité, le nombre d’entretiens liés au suivi mensuel
personnalisé a été en 2006 de 12,7 millions sur un total de
17,1 millions
172
. Le nombre moyen de demandeurs d’emploi suivis par
conseiller
173
n’était que de 92 en mars 2007 et de 83 en septembre.
L’ANPE a indiqué que les entretiens (premier entretien personnalisé pour
l’accès à l’emploi et suivi mensuel personnalisé) ne représentaient que
cinq demi-journées de l’emploi du temps d’un conseiller par semaine, soit
50 % de leur temps, proportion inférieure à celle de 63 % utilisée pour le
calcul des besoins. Au total, alors que les effectifs augmentaient de plus
de 50 % entre 2000 et 2006, le nombre des entretiens n’a progressé que
de 35 %.
172) L’ANPE estime que le nombre total d’entretiens devrait passer à 20,1 millions
en 2007, compte tenu de le reprise des stocks.
173) En équivalent -temps plein (ETP).
LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES DE L’ANPE
505
C - La forte progression des dépenses de personnel
Dans un contexte politiquement sensible, l’accroissement des
effectifs a été d’autant mieux accepté des ministères de tutelle qu’il était,
en ce qui concerne les 3 650 emplois liés au PARE, financé par l’Unedic.
Fin 2005, l’ANPE a supporté sur ses crédits disponibles 500 des
nouveaux emplois autorisés, ce qui a contribué à accentuer leur caractère
provisoirement indolore pour le budget de l’Etat.
Du fait de ces recrutements
174
, les dépenses de personnel ont
augmenté de 67,6 % de 1999 à 2006 et le cap du milliard d’euros est
dépassé, avec un montant de 1 175 M€ au budget initial de l’ANPE pour
2007.
En outre, les agents présents entre 1991 et 1999 bénéficient d’un
régime de retraite pour lequel un fonds de capitalisation a été constitué
auprès de la Caisse nationale de prévoyance, dont le montant, abondé
chaque année, s’élève à 37,6 M€ en juillet 2007,. Ce régime représente
aujourd’hui pour l’ANPE des engagements hors bilan évalués entre 324
M€ et 365 M€, selon les hypothèses d’âge de départ en retraite. Fermé le
30 juin 1999, il a été remplacé par un système de retraite complémentaire
en points par capitalisation
175
.
174) mais aussi en raison de l’application du nouveau statut de 2003, cf. infra, III.
175) Le décret n°99-528 du 25 juin1999 a institué pour les agents de l’ANPE un
régime de retraite supplémentaire, consistant en une rente viagère déterminée en
fonction des cotisations versées et converties en points inscrits au compte de chaque
agent bénéficiaire.
Evolution des dépenses de personnel
En K€
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
Rémunérations
443 745
471 207
507 767
571 126
598 648
619 869
645 057
720 904
Cotisations
sociales
147 974
159 103
174 127
192 271
203 021
208 267
230 645
270 863
Total
591 719
630 309
681 894
763 397
801 669
828 136
875 703
991767
Evolution
annuelle en %
+ 8 %
+ 6,5 %
+ 8,2 %
+ 12 %
+ 5 %
+ 3,4 %
+ 5,7 %
+ 13,2 %
Source : ANPE
LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES DE L’ANPE
507
II
-
Une gestion peu dynamique
A - De nombreux facteurs de rigidité
1 -
Les caractéristiques du personnel
Le système d’information sur les ressources humaines était
jusqu’ici peu performant et ne permettait pas à l’Agence d’avoir une
connaissance fine du profil de ses agents ni du coût complet de leurs
fonctions. Il est en cours de refonte et la mise en place d’une base de
données prévue pour les éléments détaillés de paye devrait être achevée
en janvier 2008.
L’âge moyen de l’ensemble du personnel – 41,6 ans en 1999,
42,7 ans en 2005 - n’est pas très élevé, car les trois vagues de
recrutements ont été autant d’occasions d’embaucher des jeunes. La
proportion des plus de 50 ans est cependant de plus de 22 % de
l’effectif
176
. L’âge moyen des cadres approche de 50 ans et leur
ancienneté atteint près de 20 ans, ce qui peut constituer un facteur
d’inertie.
A l’ANPE, les départs à la retraite de 2007 à 2012 concerneraient
3 376 agents (11,3 % des effectifs de l’ANPE) sur la base d’un départ à
60 ans, ou 2 202 (7,4 % des effectifs) sur la base d’un départ à 62 ans.
L’âge moyen de départ constaté est actuellement de 61,2 ans.
2 -
Le temps partiel et l’absentéisme
Près d’un tiers des agents travaillent à temps partiel – en particulier
les femmes de 30 à 49 ans -, ce qui peut poser problème dans
l’organisation du travail en agence locale, pour assurer les plages
d’ouverture (notamment le mercredi) et la répartition des rendez-vous
entre les agents.
L’absentéisme est élevé. En 2005, le nombre de jours d’absence
par agent, exprimé en équivalent temps plein, s’est élevé en moyenne à
20,2 dont 17,7 pour motif médical. En 2006, un conseiller à temps plein
n’a travaillé en moyenne que 182 jours ouvrés par an : sur la base de 251
jours ouvrés dans l’année, on décompte ainsi les congés (25 jours),
176) Ce qui d’après l’ANPE, pourrait expliquer en partie le taux élevé d’absences
pour maladie.
508
COUR DES COMPTES
l’ARTT (18 jours), les absences (20 jours) et la formation (5 jours
177
).
L’ANPE dit avoir conscience de ce problème mais n’a pas mis en place
d’incitations à la réduction de l’absentéisme. Ainsi, les absences de courte
durée ne sont prises en compte qu’à partir d’un cumul de 6 jours pour
moduler à la baisse la part variable de la prime de fonction.
3 -
La répartition par filières
Le personnel est structuré en quatre filières professionnelles –
prévues par le statut de 2003 - dont les principales sont le « conseil à
l’emploi » (69,1 % des effectifs fin 2006) et « l’appui et gestion » (16,8 %
des effectifs). La filière « management opérationnel » représente 11,4 %
des effectifs et les « systèmes d’information » 0,7 %. Sont hors filières
l’encadrement supérieur (1,9 %) et le personnel de direction (0,1 %). La
filière
appui
et
gestion
regroupe
des
fonctions
très
diverses
(administrative et financière, logistique, mais aussi expertise et soutien au
conseil) dont, faute d’une comptabilité analytique performante, que la
Cour a pourtant demandée à plusieurs reprises, l’ANPE individualise mal
le coût.
4 -
Les procédures de recrutement
Le statut prévoit cinq formes différentes de recrutement, dont les
modalités offrent une grande souplesse de gestion : épreuves à caractère
général sur diplôme, épreuves à caractère professionnel sur expérience
professionnelle, recrutements sur titre, pré - recrutements par alternance
et recrutement spécifique en faveur des travailleurs handicapés. Le rang
de classement dans les sélections sur épreuves est supprimé. Le jury, dont
la composition est fixée par le directeur général, établit par ordre
alphabétique la liste des candidats jugés aptes à l’exercice des fonctions.
Ces souplesses n’ont pas été accompagnées d’une formalisation
suffisante
des
critères
et
des
procédures,
notamment
pour
les
recrutements de CDD, qui ont représenté 70 % du total des recrutements
en 2004 et 2005. L’ANPE indique qu’ils sont recrutés sur la base des
référentiels d’activité et des protocoles d’entretien utilisés pour les CDI,
avec les mêmes exigences en matière de diplôme ou de validation
d’expérience. Il n’est pas possible de vérifier le respect de ces indications
par les délégués régionaux et la dernière instruction sur le sujet remonte
au 14 octobre 1991. Pas plus que pour ses agents en place, l’ANPE n’a de
cartographie des profils des différents personnels recrutés, à l’exception
d’études ponctuelles.
177) Chiffre arrondi par l’ANPE ; cf. infra note 176.
LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES DE L’ANPE
509
B - Les conditions d’une gestion plus efficace
La Cour a eu l’occasion de constater lors de ses contrôles la
motivation individuelle de nombre des agents au service des demandeurs
d’emploi, en dépit des conditions parfois difficiles du travail en agence
178
.
Cependant, elle regrette que l’accroissement quantitatif n’ait pas été
l’occasion de promouvoir une gestion plus dynamique des ressources
humaines. Des gains de productivité sont certainement possibles si un
certain nombre de conditions sont remplies.
1 -
Formation et mobilité
Au sein des agences locales, l’organisation du travail repose sur la
polyvalence des conseillers, répartis entre deux niveaux de compétence
(niveau II, de base ; niveau III, d’expert référent). Des référentiels de
compétences et d’activité ont été mis en place. L’ANPE a un dispositif de
validation interne des compétences qui lui est propre
179
; le 4
ème
contrat de
progrès avec l’Etat (2006-2010) prévoit qu’il devrait être articulé avec les
dispositifs externes de validation des acquis de l’expérience (VAE) ».
Les dépenses de formation – initiale et continue - sont élevées (près
de 7 % de la masse salariale dont 4,5 % pour la formation continue
180
) mais
leur contenu est mal identifié. Afin de développer les compétences
managériales, des opérations de mentorat ou « coaching » sont proposées à
tous les membres de l’encadrement. Ce dispositif doit être évalué courant
2007. Des formations techniques sont organisées pour la filière « appui et
gestion ». Un comité de ressources humaines des fonctions comptables a
été mis en place.
La mobilité entre les filières est faible : en 2005, 381 personnes
seulement ont changé de filière, soit 1,6 % de l’effectif. Un redéploiement
de 460 emplois de la filière
« appui et gestion », tendant à la réduire à
15 % de l’effectif total, vers la filière
« conseil à l’emploi » est prévu d’ici
la fin 2008.
La mobilité géographique est également faible et s’effectue au sein
de la même région dans 75 % à 80 % des cas. Pour encourager la mobilité
des délégués départementaux et régionaux, la prime forfaitaire de direction
qui leur est attribuée est modulée selon quatre paliers dégressifs en
178) Depuis mars 2007, l’ANPE a mis en place une ligne téléphonique d’écoute et de
soutien psychologique pour ses agents, opérationnelle 24 heures sur 24.
179) Prévu par le statut de 2003.
180) En 2005, la formation continue a représenté 3,2 % de la masse salariale de la
fonction publique de l’Etat.
510
COUR DES COMPTES
fonction de l’ancienneté dans le poste. Mais, à l’inverse, la prime de
performance croît avec l’ancienneté dans le poste, ce qui est contradictoire
avec l’objectif de mobilité.
En matière de mobilité, l’ANPE se réfère à ses propres textes en
même temps qu’à ceux de la fonction publique pour indemniser des
sujétions voisines. Ainsi, la prime relative aux zones urbaines sensibles est
accordée, selon une acception large, aux agents qui exercent au moins le
quart de leur activité en direction de publics issus de ces zones, soit 6 700
agents en février 2007 (plus du quart de l’effectif total de l’ANPE), dont
2 500 bénéficient de bonifications d’ancienneté fondées sur une stricte
définition des zones.
2 -
Vers la déconcentration
La gestion des ressources humaines relève d’une direction générale
adjointe, réorganisée le 1
er
décembre 2006 autour de cinq pôles
181
. Des
difficultés à concilier la structure pyramidale traditionnelle de l’ANPE, très
hiérarchisée et une évolution vers la déconcentration au niveau régional,
encouragée par le 4
ème
contrat de progrès et reconnue par le décret du
27 mars 2007, sont prévisibles. Ces documents prévoient en effet que « le
directeur régional anime et contrôle l’activité de l’ANPE dans la région. Il
a autorité sur les directeurs délégués, sur les directeurs d’agence locale et
sur l’ensemble du personnel dans la région (…) ». D’ores et déjà, le
dialogue social est déconcentré : les directeurs régionaux peuvent
182
négocier avec les instances régionales des organisations syndicales
représentatives l’adaptation aux objectifs de leur région du schéma
directeur de l’emploi, des compétences et de la formation (SDECF)
183
.
Dans le cadre d’une délégation de pouvoirs du directeur général, les
directeurs régionaux sont désormais responsables de certains dossiers de
gestion des ressources humaines, comme le remplacement des absences.
En 2006, le directeur général a affecté une enveloppe globale par région
pour les primes de performance des directeurs, avec une modulation de +
6% à -10 % en fonction des résultats des régions. Un dialogue de gestion
est engagé avec les régions pour la négociation du projet de budget.
181) Direction chargée de la gestion des ressources humaines, direction du
développement des compétences et des politiques de management, direction du siège
et des services généraux, département du système d’information et mission
d’inspection générale.
182) Décision du directeur général n° 508-2005 du 12 avril 2005.
183) En Ile-de-France, les organisations syndicales se sont opposées à une telle
déclinaison régionale.
LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES DE L’ANPE
511
3 -
L’évaluation reste à mettre en place
Reprenant des dispositions qui existaient depuis 1981, le statut de
2003 prévoit une évaluation périodique de chaque agent, donnant lieu à
un entretien individuel et comportant obligatoirement une appréciation de
la manière de servir, de la compétence professionnelle et des acquis de la
formation continue. Cette évaluation n’est toujours pas pratiquée de façon
systématique. L’Agence reconnaît que son développement constitue « un
axe de progrès ». Un nouveau schéma est en cours d’élaboration, visant à
simplifier les différents entretiens existants.
III
-
L’application peu rigoureuse du statut de
2003
A la suite d’une déjà longue succession de textes intervenus depuis
sa création en 1967, l’ANPE dispose depuis 2003
184
d’un nouveau statut
pour ses agents contractuels de droit public. Il résulte d’une lettre de
mandat de la ministre de l’emploi et de la solidarité
185
aux termes de
laquelle le nouveau statut, qui serait l’objet d’une négociation avec les
représentants du personnel, devrait « permettre de faire (du) système de
gestion des ressources humaines un levier pour l’adaptation permanente
de (l’) établissement à l’évolution de son environnement. »
L’ANPE souligne que ce nouveau statut comporte des facteurs de
modernisation
tels que la création de filières et de niveaux d’emplois, la
reconnaissance de la performance, des compétences et des qualifications,
la
diversification
des
recrutements,
l’introduction
d’une
gestion
prévisionnelle des emplois.
Toutefois, dans l’application de ce statut, l’Agence a pris des
libertés, comme si l’objectif était de concilier la sécurité d’un statut
public et la souplesse qui relèverait du secteur privé. Environ 12 000
personnes ont bénéficié d’un avantage statutaire et, au total, plus de
19 000 ont obtenu un avantage indiciaire ou financier, sur un effectif de
près de 23 000 personnes concernées fin 2003. Ces proportions, qui
résultent
des
négociations
sociales
menées
dans
l’établissement,
dépassent les termes de la lettre de mandat selon lesquels « cette
184) Décret en Conseil d’Etat du 31 décembre 2003, décret du 31 décembre 2003
relatif au régime indemnitaire, modifié par décret du 28 avril 2004., arrêté
interministériel du 31 décembre 2003 relatif aux nouvelles grilles indiciaires (…).
185) Adressée le 18 avril 2002, après validation interministérielle, au directeur
général de l’ANPE
512
COUR DES COMPTES
amélioration ne devra pas prendre la forme de mesures générales de
revalorisation des carrières ou de reclassement collectif. »
En outre, en l’absence d’un contrôle efficace, tant interne
qu’externe de la part des tutelles – aussi bien du ministère de l’emploi que
du ministère des finances –, la Cour a constaté de nombreuses
irrégularités.
A - Le déroulement des carrières
1 -
Des reclassements nombreux et des promotions au-delà des
dispositions statutaires
La mise en oeuvre du statut s’est traduite par une importante
opération de reclassements, promotions et avancements accélérés. Le
décret prévoyait des reclassements au niveau supérieur, pendant une
période transitoire de deux ans, dans la limite de contingents budgétaires
annuels. L’arrêté interministériel octroyait aux agents, en cas de
reclassement, un forfait de 12 à 25 points d’indice selon le niveau
d’emploi, en précisant que, pour l’ensemble des échelonnements
indiciaires, il s’agissait d’indices bruts. L’ANPE a considéré que le forfait
était en indices nouveaux majorés, ce qui était plus favorable aux agents.
Compte tenu des nombreuses transformations et créations d’emploi
opérées en cours de gestion, il est difficile de vérifier que la structure des
emplois est conforme aux contingents annuels
186
.
Le décret précise que le taux de promotion annuel global peut
varier entre 1,3 et 2 % de l’effectif total. L’Agence n’a pas respecté le
plafond de 2 %. L’opération de reclassement ne portait pas sur les
conseillers, dont le niveau II
187
restait inchangé : environ la moitié de
l’effectif de l’ANPE se trouvait ainsi écartée du mouvement ascendant
qui concernait les autres catégories (sauf l’encadrement supérieur). Les
organisations syndicales ont obtenu de la direction de l’Agence la
promotion au niveau III de 1 205 conseillers hors contingent, ce qui a
porté le taux de promotion à plus de 5 % de l’effectif total en 2004.
186) L’Agence fait observer que, si la reclassification n’avait pas eu lieu, les agents
concernés auraient bénéficié de l’avancement lié à l’ancienneté prévu par l’ancien
statut.
187) Le statut fixe 7 niveaux d’emploi : I (baccalauréat), II (bac + 2), III (licence), IV
A (maîtrise), IV B, V A et V B (diplôme de 3ème cycle).
LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES DE L’ANPE
513
Dans le cadre du nouveau statut, la direction de l’Agence souhaitait
relever le niveau initial de la filière conseil à l’emploi du niveau I au niveau
II
188
, ce qui impliquait de reclasser tous les conseillers adjoints de cette
filière au niveau II. Les représentants du personnel ont obtenu que ce
reclassement se fasse, non pas en fonction de l’appartenance à la filière
conseil à l’emploi, mais de l’ancienneté, quelle que soit la filière. 2 500
conseillers adjoints de plus de deux ans d’ancienneté ont ainsi été reclassés.
Toutefois, ces modalités négociées n’ont pas réglé la question de la
filière conseil à l’emploi
pour laquelle 730 conseillers adjoints, récemment
recrutés, restent à reclasser, ce qui ne peut se faire que par la voie de la
promotion, à l’intérieur du plafond annuel de 2 %. L’Agence considère au
contraire dans son schéma directeur de l’emploi, de la compétence et de la
formation, que les promotions sont à apprécier sur une base triennale, que
celles des 730 conseillers sont hors quota et entend les appliquer d’ici le
premier trimestre 2008. Si tel était le cas, le plafond
réglementaire de 2 %
serait dépassé et porté à près de 3 % pour 2006, 2007 et 2008.
2 -
La possibilité d’accélérer les carrières
Le statut avait prévu, pendant une période transitoire de deux ans,
des plans individuels d’accélération de carrière (PIAC) comportant une
réduction d’ancienneté de 6 à 36 mois, qui devaient s’inscrire à l’intérieur
des contingents réglementaires d’avancements accélérés. Ces dispositions
ont été appliquées de façon extensive, à travers le ciblage large des
bénéficiaires concernés, la globalisation des niveaux d’emploi pour
l’appréciation des contingents, alors que ceux-ci sont définis par niveau
d’emploi, et l’étalement du dispositif sur trois ans. Il en est résulté un
dépassement des proportions autorisées d’avancement accéléré.
Les dispositions de carrière prévues par le statut sont en elles-mêmes
assez favorables, qu’il s’agisse des reclassements, des avancements
accélérés jamais inférieurs à un an, des promotions -mutations avec
conservation d’ancienneté ou de l’accès aux échelons fonctionnels de
délégués départementaux et de directeurs régionaux. En outre, elles peuvent
se combiner pour une même personne, alors qu’elles n’avaient pas vocation
à se cumuler pour une seule prise de fonction
189
.
188) Le niveau initial de la filière appui et gestion restant en niveau I.
189) Exemple : le directeur d’une petite ALE devient responsable d’une délégation
départementale
d’une dizaine de personnes. Titulaire au niveau IV B bis, indice
nouveau majoré 652, il est « muté avec promotion dans l’intérêt du service » et placé
à l’indice 694 (lié à la promotion). Il bénéficie du maintien de l’ancienneté, d’où
l’indice 724. Enfin, accédant à
un échelon fonctionnel, il arrive à l’indice 784. Son
gain total immédiat est donc de 132 points (soit 6 929 € annuels) et environ six ans de
carrière.
514
COUR DES COMPTES
Le décret a prévu que le nombre d’agents classés dans les échelons
exceptionnels de chacun des sept niveaux d’emplois, sur décision du
directeur général après avis de la commission paritaire compétente, ne peut
excéder 10 %
de l’effectif total de chaque niveau. Cette proportion a
été
respectée pour les quatre niveaux d’emploi concernant la quasi-totalité
(98 %) des effectifs mais dépassée de 30 %, de 2004 à 2006, pour les deux
niveaux les plus élevés, V A et V B, correspondant aux emplois
d’administrateurs.
3 -
Les conséquences financières
Les conséquences financières de la réforme statutaire se sont
cumulées avec la croissance des recrutements, même si l’effet des entrées
– sorties a masqué provisoirement les incidences de moyen terme.
Le mandat donné par la ministre en avril 2002 avait déterminé une
enveloppe de 22,87 M€ pour le coût de la réforme. L’ANPE estime que
les dépenses se sont élevées à 23,32 M€ en 2004 et à 15,97 M€ en 2005,
soit un total de 34,08 M€ dont 24,90 M€
190
de mesures reconductibles.
Cependant, cette estimation n’inclut pas le coût du reclassement hors
contingent des 730 conseillers adjoints évoqué ci-dessus.
Selon ce mandat, l’évolution du GVT
191
à partir de 2006 ne devait
pas être supérieure à ce qu’elle aurait été en l’absence d’un nouveau
statut. Cette exigence n’est pas aisément vérifiable, compte tenu des
mouvements de création et transformation d’emplois, qui affectent les
effectifs, indépendamment du statut. Ainsi, le GVT total, incluant les
entrées – sorties, a doublé de 2003 à 2004 mais cette hausse a été plus
qu’annulée en 2005, en raison des nombreux recrutements, notamment de
CDD, effectués à des indices (332,5 en moyenne) inférieurs à ceux de
l’ensemble du personnel (438,2 fin 2005). Selon les prévisions faites
jusqu’à 2010, le GVT évoluerait en moyenne annuelle de 2,1 % sur la
base d’effectifs constants par rapport à fin 2005, et de 2 % si les départs à
la retraite n’étaient pas remplacés.
190) En valeur du point au 1er janvier 2004.
191) Glissement – vieillissement – technicité.
LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES DE L’ANPE
515
B - Les rémunérations
Les rémunérations sont tirées par les primes : de 1999 à 2005, alors
que les rémunérations moyennes hors primes ont augmenté de 6,6 %, les
primes ont augmenté de 31 % et atteignent près de 20 % du traitement
brut
192
. Un glissement s’est opéré en faveur des cadres, et en particulier de
l’encadrement supérieur, dont les indices moyens ont
évolué de + 4,38 %
de 1999 à 2005 alors que ceux de l’ensemble du personnel progressaient de
+ 1,76 %. Le nouveau statut n’a pas réduit les écarts, alors qu’il visait
principalement la revalorisation des niveaux de qualification les moins
élevés.
Ceci est dû aux caractéristiques des recrutements de 2005 évoqués
ci-dessus, et à une pratique de revalorisation de la situation des personnels
de direction, qui cumulent des avantages en termes d’indices et
d’indemnités.
1 -
Les indemnités statutaires
Le décret indemnitaire du 31 décembre 2003 modifié par décret du
28 avril 2004 a défini les différentes primes applicables aux agents : prime
de fonction, prime liée à la manière de servir ou à la performance
individuelle, prime forfaitaire de direction, prime liée aux compétences
certifiées, prime liée à l’affectation dans une unité desservant une zone
urbaine sensible, indemnités de mobilité
193
, astreintes et autres indemnités.
L’ANPE intègre ainsi une partie des primes dans la base de calcul
de l’indemnité de résidence et du supplément familial de traitement, alors
que, selon le statut, ce calcul doit se faire dans les mêmes conditions que
pour la fonction publique de l’Etat, uniquement sur la base du traitement
indiciaire. L’Agence a répondu à la Cour qu’elle « a toujours calculé et
payé »
194
ces deux primes de la même façon. Les décisions du directeur
général interprètent ainsi de façon avantageuse les dispositions du statut.
La direction de l’audit et du contrôle interne n’a fait porter aucune
de ses investigations sur les questions de rémunérations et d’indemnités
depuis 2003. Les administrations de tutelle – délégation générale à
l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et direction du budget
-
ne sont jamais intervenues.
192) Ce taux est comparable à celui de la fonction publique de l’Etat, qui était de
19,7 % du traitement brut en 2004 (source INSEE).
193) Ajout du décret du 28 avril 2004.
194) Réponse de l’ANPE au relevé d’observations provisoires sur la gestion des
ressources humaines, 4 septembre 2007 ;
516
COUR DES COMPTES
2 -
Le régime des personnels de direction
Le montant des traitements des personnels fonctionnels de direction
(35 personnes en 2006
195
) a crû rapidement. Par rapport à 2005, leur masse
indiciaire est en hausse de près de 14 % et leur indice moyen (1 139,6) de
7 %. Le régime financier qui leur est applicable n’est pas défini par le
statut mais issu, depuis 1992, de lettres successives de la direction du
budget.
L e régime de leurs indemnités est, comme celui de leur
rémunération principale, sans base réglementaire. Jusqu’en 2003, il était
partiellement calqué sur celui de la fonction publique, comprenant
l’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (IFTS)
196
et la prime
de rendement, avec, en outre, depuis 1996, un complément modulable
propre à l’Agence. L’opportunité de régulariser le dispositif par le nouveau
statut n’a pas été saisie et en 2004, l’ANPE a fusionné les deux, avec
l’accord de la direction du budget
197
, en une prime de responsabilité et de
sujétion et une prime individuelle de résultat.
3 -
Autres primes sans base réglementaire
Depuis 1982, l’ANPE verse des indemnités aux organisations
professionnelles et syndicales représentatives, destinées aux conseillers
techniques
désignées
par
celles-ci
pour
participer
aux
réunions
préparatoires au conseil d’administration de l’Agence. Le seul fondement
de cette « subvention
198
», qui représente 0,4 M€ au budget 2007, est une
lettre du directeur adjoint du cabinet du ministre du travail du 24 mars
1982.
L’ANPE a décidé en 2005 de créer une indemnité spécifique pour
environ 2 500 agents exerçant, à titre accessoire, la fonction de
correspondant informatique dans les agences locales. Il s’agissait de tenir
compte du surcroît de travail lié à la mise en place du projet informatique
Géode - abandonné en octobre 2005
199
. Cette prime, qui n’était fondée sur
195) Directeur général, directeurs généraux adjoints, directeurs au siège et 4
directeurs régionaux.
196) L’IFTS a été, pour la fonction publique de l’Etat, réformée par décret du
14 janvier 2002.
197) L’ANPE avait précisé que « l’ensemble des coûts induits par ces ajustements
serait autofinancé sur les crédits de personnel. »
198) C’est le terme employé pour l’inscription de cette opération dans les comptes de
l’ANPE.
199) Cf. insertion de suivi relative aux relations immobilières, informatiques et
financières entre l’ANPE et l’assurance – chômage.
LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES DE L’ANPE
517
aucun texte, a été versée de mars 2005 à février 2007, pour un montant
total d’1,7 M€. Le directeur général l’a reconduite pour un an par décision
du 25 janvier, visée par le contrôleur général économique et financier.
L’ANPE a versé à deux reprises, en décembre 2005 et en janvier
2007, une prime, dite unique, exceptionnelle et non reconductible, d’un
montant de 190 € bruts dans les deux cas, à chaque membre de son
personnel, à titre de récompense pour sa mobilisation dans la mise en
oeuvre du suivi mensuel personnalisé. Dans les deux cas, elle a été payée
sur les reliquats de crédits de personnel non consommés du budget de
l’Agence.
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
1) Au cours de la période 1999 – 2006, l’ANPE a répondu aux
demandes croissantes de service aux demandeurs d’emploi, émanant des
pouvoirs publics. L’objectif politique prioritaire de réduction du chômage
lui a permis de recruter massivement et d’appliquer son nouveau statut
avec une liberté que les administrations de tutelle – emploi et budget –
n’ont pas cherché à encadrer..
Les administrations de tutelle – désormais réunies au sein du seul
ministère de l’économie, des finances et de l’emploi - doivent exercer leur
rôle de façon effective, veiller à l’application régulière des textes et mettre
fin aux irrégularités constatées en matière d’indemnités.
Une première étape a été franchie dans ce sens :
l’ANPE a établi
en mai 2007 un rapport de compte-rendu budgétaire, portant sur le
premier trimestre, qui a été examiné conjointement par la DGEFP et
la
direction du budget. Les efforts doivent être poursuivis .Il faut tout
particulièrement
définir et mettre en place les outils nécessaires à la
mesure de la productivité.
2) Il importe aussi de prendre les mesures indispensables pour
moderniser
la
gestion des
ressources
humaines
de l’ANPE.
La
déconcentration des responsabilités au niveau des directeurs régionaux,
prévue par le décret du 27 mars 2007, peut en offrir l’occasion, à
condition qu’elle s’accompagne d’un système d’analyse des coûts.
Toutefois, la question est posée de l’évolution à venir des effectifs
alors que le chômage devrait tendre, pour le moins, vers une stabilisation
sous l’effet des nombreux départs en retraite et de l’arrivée sur le marché
du travail de classes d’âge moins nombreuses.
Les conditions nouvelles
liées à la fusion entre l’ANPE et l’Unedic doivent également être prises en
compte.
Le ministère chargé de l’emploi doit donc engager sans tarder une
réflexion d’ensemble sur l’évolution à venir des effectifs de l’ANPE, tant
en termes quantitatifs qu’en termes de métiers.
518
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’AGENCE NATIONALE
POUR L’EMPLOI (ANPE)
En réponse aux observations de la Cour sur la gestion des ressources
humaines de l’Agence, l’ANPE souhaite apporter les précisions suivantes :
Les effectifs
La Cour met en avant la forte progression des effectifs de l’Agence
depuis 1999. L’ANPE précise que la première vague de recrutement a
commencé en1998, et non 1999, comme indiqué par la Cour, puisque 500
emplois ont été créés en 1998, et que la seconde vague de recrutement s’est
achevée en 2006, et non 2007 comme indiqué par la Cour.
Si la progression des effectifs est incontestable, elle marque la volonté
des gouvernements successifs et des partenaires sociaux de l’Unédic de
mettre en place un suivi plus intensif des demandeurs d’emploi, suivi
impossible à mettre en oeuvre sans accroissement important des effectifs,
compte tenu de plus de la progression importante du chômage depuis le
premier choc pétrolier.
Il convient de noter par ailleurs que l’effort en faveur de
l’accompagnement des demandeurs d’emploi, s’il s’est singulièrement accru
durant la période contrôlée par la Cour, n’a pas permis à l’Agence de
rattraper les effectifs de ses homologues des principaux pays européens.
La haute juridiction financière considère que les besoins de
recrutements pour la mise en place du suivi mensuel personnalisé auraient
été surévalués. L’Agence conteste cette appréciation.
Il convient de rappeler tout d’abord que recevoir des demandeurs
d’emploi n’a de sens que si l’Agence est en mesure de leur proposer des
offres d’emploi. C’est la raison pour laquelle seule une part du temps de
travail des agents nouvellement recrutés est consacrée à la rencontre avec
les demandeurs d’emploi, le reste étant dévolu à la relation avec les
entreprises, à la collecte des offres et à
l’aide au recrutement.
Par ailleurs, le nombre de jours pris en considération pour le calcul
des effectifs nécessaires (182 jours de travail par an) correspond à la
moyenne des jours travaillés, déductions faites des congés, des JRTT, des
absences pour maladie et pour formation. Cette estimation ne saurait
traduire un laxisme dans la gestion de l’absentéisme, mais bien plutôt la
juste prise en compte de la réalité.
LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES DE L’ANPE
519
Enfin l’Agence souligne que le nombre d’entretiens de suivi mensuel
effectivement réalisés en 2006 (12,6 millions) ne saurait correspondre à la
réalité de la charge en rythme de croisière puisque les chômeurs inscrits
avant le 1
er
octobre 2005 n’ont été progressivement pris en charge en suivi
mensuel qu’à partir d’octobre 2006. En conséquence le nombre d’entretiens
en 2007 devrait dépasser les 20 millions. La progression des effectifs (55 %
sur la période 2000-2006) s’avère en définitive inférieure à celle des
entretiens (+ 57 %).
Concernant la mobilité
La Cour fait observer que les directeurs délégués et les directeurs
régionaux perçoivent une prime forfaitaire de direction dégressive selon
quatre paliers en fonction de l’ancienneté dans le poste, afin d’encourager la
mobilité. La Cour ajoute qu’ils perçoivent en outre une prime de
performance qui croît en principe avec l’ancienneté, ce qui paraît
contradictoire avec l’objectif précédent.
L’Agence souhaite préciser que, au-delà de toute considération sur les
dispositifs d’incitation financière, la mobilité des directeurs délégués et des
directeurs régionaux revêt un caractère obligatoire précisé dans l’article 18
du statut du personnel. La nomination dans ces fonctions est prononcée pour
une durée initiale de quatre ans, renouvelable pour une durée totale
maximale de sept ans, après avis de la commission paritaire nationale
compétente.
Concernant la possibilité d’accélérer les carrières
La Cour pointe, à raison, un dépassement de 14 possibilités au niveau
VA et de 2 possibilités au niveau VB des quotas de carrière exceptionnelle au
30 septembre 2006, soit un dépassement de 30 % pour ces deux niveaux
d’emplois. Toutefois, l’Agence souligne que pour les autres niveaux
d’emplois –
qui regroupent 98 %
des effectifs
- le nombre d’agents ayant
accédé à la carrière exceptionnelle est
nettement inférieur
au quota
statutaire de 10 % puisqu’ils ne représentent que
55 %
des possibilités
offertes par ce quota.
Situation et perspectives
de l’institut national de l’audiovisuel
_____________________
PRESENTATION
____________________
Créé en 1974, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) a été
initialement chargé de missions autrefois exercées par l’ORTF :
l'archivage, la recherche, la production, et la formation professionnelle
en matière d'audiovisuel. A partir de 1986, la priorité a été
progressivement donnée à l'archivage et, depuis 1995, le dépôt légal des
diffusions audiovisuelles fait également partie des missions de l’institut.
Dans son rapport public 2000
200
, la Cour avait décrit un
établissement en situation critique et analysé les
difficultés de tous
ordres qui ne lui permettaient plus d'assumer convenablement les tâches
qui lui étaient confiées, posant clairement la question de sa viabilité.
Le contrôle que la Cour vient d'achever, et qui porte sur les années
1998 et suivantes, lui a permis de mesurer l’effort accompli en sept ans,
dans le cadre des contrats d’objectifs et de moyens signés par
l’établissement. Il la conduit toutefois à s’interroger sur l’avenir de
l’entreprise.
200) RPA 2000 – janvier 2001 – L’institut national de l’audiovisuel – p. 215
522
COUR DES COMPTES
I
-
Le redressement de l’INA
Lors de son précédent contrôle, qui portait sur les exercices 1991 à
1998
201
, la Cour avait dressé le tableau d’un établissement qui, en dépit
des efforts consentis, ne parvenait pas à se redresser. A l’issue de son
dernier contrôle, elle formule un constat inverse.
A -
La situation critique de l'INA en 2000
En premier lieu, la Cour avait relevé, dans son rapport public
portant sur l’année 2000, que les textes définissant les missions de l'INA,
nombreux et composites, ne constituaient pas un cadre juridique cohérent
et complet, lui permettant ainsi qu'aux ministères de tutelle de concevoir
une stratégie durable.
En second lieu, elle avait aussi constaté que l’INA, censé
constituer un modèle pour la recherche en matière de média audiovisuel,
fonctionnait encore, en 1998, sur la base de technologies analogiques
alors que les diffuseurs avaient déjà numérisé leurs archives. La
complexité des relations avec les ayants droit des programmes archivés
constituait, par ailleurs, un lourd handicap pour l'activité commerciale.
Alors que son stock comme la demande d'images s'accroissaient sans
cesse,
l’INA
se
montrait
incapable
de
saisir
les
opportunités
commerciales qui en résultaient : son chiffre d'affaires de cessions de
droits (aux maisons de production notamment) s'était ainsi réduit de 21 %
sur la période, alors que ses charges d’exploitation avaient progressé de
25 %.
L’insatisfaction des principaux clients était devenue telle que,
suivant l'exemple de la chaîne TF1 récemment privatisée, les chaînes de
télévision publiques avaient dénoncé unilatéralement les conventions
signées avec l’INA.
Tirant les conséquences d’une telle situation, la Cour avait
considéré que «
la poursuite d'une telle évolution [mettait] en cause la
viabilité de l'établissement
».
201 Rapport public annuel 2000. - janvier 2001 p. 215-241
SITUATION ET PERSPECTIVES DE
L’INSTITUT NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL
523
B - Aujourd’hui, une entreprise dynamique
L’INA avait engagé son redressement en 1999 en faisant de la
fonction patrimoniale le centre de gravité de son activité.
La loi du 1
er
août 2000, modifiant la loi de 1986 relative à la liberté
de communication, a entériné cette évolution en définissant clairement les
missions de l’établissement autour de la conservation des archives et de la
responsabilité du dépôt légal des documents audiovisuels. Elle a
également imposé à tous les organismes de l’audiovisuel public de
conclure avec l’Etat un contrat d’objectifs et de moyens (COM). C’est
dans ce cadre législatif que l’INA a pu négocier avec l'Etat deux
documents pluriannuels inscrivant ses priorités stratégiques patrimoniales
dans la durée et assortis d'indicateurs de suivi.
Pour mettre en oeuvre sa nouvelle stratégie patrimoniale, l'INA a
réorganisé
l'ensemble
de
ses
modalités
de
traitement
et
de
commercialisation des archives audiovisuelles, afin de constituer une
banque de données exploitable.
A ce titre, la numérisation du stock des archives audiovisuelles a
été considérée comme la première des priorités. Le tout numérique
permet, en effet, de servir, à partir d’une seule banque d’images
numérisées, aussi bien les chaînes de télévision que les particuliers, les
sociétés de production ou les chercheurs. Il permet également à l'INA de
réconcilier le temps long de l'archiviste et la réactivité commerciale
indispensable à une activité de marché. Il s'agissait aussi d'éviter des
pertes
irréversibles, la numérisation étant la seule réponse possible à la
dégradation physico-chimique des documents archivés sur des supports
traditionnels, ainsi qu’à la disparition de certains équipements de lecture.
Une expertise extérieure effectuée en 2003 révéla l’acuité du problème et
l’urgence qu’il y avait à le résoudre : le plan de sauvegarde numérique
des archives, lancé quelques années auparavant, fut donc étendu et
accéléré.
Afin de traiter son fonds d’archives sur un mode industriel, l’INA,
s’appuyant sur son service de recherche, a donc dû définir ses normes de
numérisation, mettre au point des processus adaptés, effectuer des
investissements lourds en robotique.
Aujourd'hui, grâce à cette généralisation de la numérisation, les
journaux télévisés des chaînes publiques avec lesquelles l’INA a conclu
en 2001 de nouvelles conventions, disposent, sur préavis très bref, d’un
canal de flux rapide leur permettant de diffuser des images conservées à
l’INA et le CSA bénéficie du procédé de captation numérique mis au
524
COUR DES COMPTES
point pour le dépôt légal de l'INA pour toutes les chaînes sur lesquelles il
doit exercer son contrôle.
La deuxième priorité de l’INA a été de mettre un terme à
l’incertitude
juridique
qui
caractérisait
jusque
là
l’exploitation
commerciale des archives qu’il détient. Il a donc conclu des accords avec
les sociétés d’auteurs, dont l’application implique que toute entrée
d’archives soit indexée sur une base de données juridiques.
Ce nouveau dynamisme de l'INA s’exprime également par l'offre
de services nouveaux, qui concourent au renom de l’établissement : la
création d’une école dédiée à l’audiovisuel, celle du site Ina.fr,
l’Inathèque localisée à la Bibliothèque nationale de France, contribuent à
faire connaître l’INA – et à travers lui la notion d’archive audiovisuelle.
Les professionnels de l’audiovisuel, en France comme à l’étranger,
apprécient
ses
procédures
de
commercialisation
des
archives
–
notamment le système informatisé Inamédiapro – et le savoir-faire
technique acquis dans la gestion de celles-ci (conservation, réparation,
indexation, distribution). Le taux de satisfaction des clients – mesuré par
des enquêtes récurrentes – est devenu très satisfaisant.
Au cours de la même période, les comptes de l’INA ont été
rééquilibrés, en partie grâce au développement de ses recettes
commerciales, mais surtout du fait de l’augmentation sensible de ses
ressources publiques (quote-part de redevance et subventions spécifiques)
justifiée par l’ampleur du plan de sauvegarde numérique, l’extension du
dépôt légal, mais aussi par la nécessité de compenser la réduction des
forfaits annuels versés par les chaînes publiques de télévision dans le
cadre de nouvelles conventions.
Parallèlement, l'INA a assaini sa gestion, en maîtrisant l'évolution
de ses effectifs (1077 agents en 2005) qui n’ont pratiquement pas
augmenté entre 1999 et 2006,
en réorganisant ses services financiers et
administratifs
et
en
mettant
en
place
de
nouvelles
procédures
automatisées et sécurisées de comptabilisation et de suivi des flux
d’information.
SITUATION ET PERSPECTIVES DE
L’INSTITUT NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL
525
II
-
L’avenir
Si, à court et sans doute moyen terme, les perspectives de l’INA ne
paraissent pas préoccupantes, l’avenir est porteur de fragilités et
d’incertitudes.
A - A court et moyen terme
L’avenir à court terme de l’établissement paraît devoir s’inscrire
dans la ligne du redressement opéré au cours des dernières années. En
effet, le plan de sauvegarde numérique ne s’achèvera qu’en 2015, les
relations avec Radio France sont stabilisées jusqu’en 2014, la convention
qui lie l’Institut à France Télévisions vient d’être renouvelée pour quatre
ans, et le stock d’archives que l’INA peut exploiter commercialement est
encore considérable.
L’INA est convaincu qu’il doit poursuivre et renforcer la politique
menée depuis plusieurs années pour orienter tous ses métiers vers la
valorisation du patrimoine dont il est dépositaire, tout en étant conscient
que le marché correspondant est évolutif et concurrentiel, et que les
résultats des différentes activités de valorisation doivent s’apprécier au
regard des coûts complets engagés.
Ainsi, en ce qui concerne la production audiovisuelle, déficitaire
de longue date, l’INA a récemment décidé de l’axer sur des programmes
à base d’archives et de ne pas s’engager sans disposer préalablement de
commandes fermes.
Les mêmes préoccupations caractérisent l’édition de DVD et de
vidéos ainsi que le téléchargement sur Internet. Ces activités ont par
ailleurs conduit l’INA à concevoir et breveter un dispositif de lutte contre
le piratage d’images télévisuelles, actuellement testé aux Etats-Unis.
L’établissement accorde également une attention particulière à
l’évolution des besoins en personnel de ses différents métiers, en
développant les actions de formation professionnelle – qui représentaient
en 2006 près de 6 % de sa masse salariale – et en privilégiant, pour le
plan de sauvegarde numérique, le recrutement d’agents de plus de 50 ans.
526
COUR DES COMPTES
Demeure cependant la question de la stabilisation du périmètre du
dépôt légal des émissions télévisées et radiodiffusées qui, à l’initiative de
l'INA, s’est considérablement élargi au cours des dernières années, avec
la multiplication des chaînes du câble et du satellite. De même, doit être
précisée la réglementation relative au dépôt légal du web, dont le principe
a été posé par la loi du 1
er
août 2006 relative aux droits d’auteur et aux
droits dérivés dans la société de l’information. Le règlement de ces deux
questions relève des pouvoirs publics. Des propositions de modifications
réglementaires seront mises en chantier au début de l’année 2008.
B - A moyen et plus long terme
A plus longue échéance, l’INA sera confronté au défi d’une
réduction très forte des droits qu’il est habilité à commercialiser.
Cette réduction résulte de toute une série de textes, conventions et
mesures qui sont intervenus depuis 25 ans. A la suite de la loi du
26 septembre 1986, TF1 a acquis rétroactivement la propriété des
archives de la chaîne publique à compter du 30 juillet 1982. Puis,
Antenne 2 et France 3 sont devenues rétroactivement propriétaires de
leurs fictions à compter
du 30 septembre 1981. Ce sont ainsi plus de
1200 programmes de fiction qui à ce jour ne sont plus la propriété de
l'INA. La même loi de 1986, en contribuant à la création d'un tissu de
producteurs indépendants des chaînes, a également circonscrit de facto à
certains genres les fonds exploitables par l'INA : actualités et magazines
d'actualités, plus rarement documentaires. Enfin, il résulte de la loi du 1er
août 2000, que, avec un effet rétroactif à compter d'août 1997, l'INA ne
pourra plus commercialiser que des extraits des intégrales produites par
France Télévisions, désormais exploitées par France Télévisions
Distribution.
Selon l’INA, le cumul de ces réductions successives du périmètre
de ses droits commercialisables l’aurait privé de 55 M€ de recettes sur la
période 1982-2006, soit la moitié environ de son budget 2006.
Cependant, leur impact sera beaucoup plus sensible à terme :
actuellement, l'INA est en situation de répondre à la demande de
« programmes de mémoire », puisqu'elle porte sur des périodes pour
lesquelles il détient des droits quasi complets. Mais, plus le temps
s’écoulera, plus cette demande concernera des périodes pour lesquelles le
stock commercialisable de l’INA se sera réduit du fait de la disparition de
ses droits sur les diffusions d’émissions sous forme intégrale. Les chaînes
de
télévision
publiques
s’en
réservent
en
effet
désormais
la
commercialisation, l’INA n’ayant que la mission de les archiver, de les
conserver et de les exploiter sous forme d’extraits.
SITUATION ET PERSPECTIVES DE
L’INSTITUT NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL
527
L’INA est conscient de ce risque, mais estime qu'il ne devrait pas
se concrétiser avant dix ans. Il a néanmoins engagé une série de
réflexions sur les marges de progression de sa commercialisation
d'images. Aujourd’hui, 90% de son chiffre d’affaires est réalisé à partir de
5 % seulement des images disponibles. Une amélioration de ce ratio,
fondée sur une meilleure commercialisation du stock ancien et la
poursuite de la recherche de mandats de commercialisation nouveaux est
donc à l'étude.
L’INA escompte par ailleurs une augmentation de la demande de
l’éducation nationale, des collectivités territoriales et des nouveaux
acteurs du marché (nouvelles chaînes, développement de l’Internet et des
images sur téléphone portable).
La concrétisation de ces développements commerciaux potentiels
est toutefois subordonnée à de nombreux facteurs rapidement évolutifs et
dont l’INA n’a pas la maîtrise : la confirmation de l’extension de la
demande d’extraits d’émissions (qui, à terme, constitueront l’essentiel des
droits commercialisables par l’INA), l’intensité de la concurrence des
chaînes publiques de télévision soucieuses de valoriser leur patrimoine
audiovisuel et l’évolution des technologies susceptibles de permettre à
des entreprises commerciales de proposer des services comparables sur
les créneaux les plus rentables.
Si les pouvoirs publics souhaitent que l’INA continue de prospérer
dans la configuration qui est la sienne aujourd’hui, le risque important qui
s’attache à la réduction des droits commercialisables doit donc être pris
en compte sans tarder.
L’activité de formation aux métiers de l’audiovisuel constitue un
autre sujet de préoccupation. Les enseignements assurés par l'INA
couvrent aussi bien l’apprentissage que la formation continue et
l’enseignement supérieur. Les conditions de gestion de cette activité sont
actuellement satisfaisantes, mais l’analyse met en évidence une très forte
sensibilité aux aléas du marché - réduction des budgets formation dans les
entreprises, réduction certaine de la demande une fois satisfaits les
besoins des entreprises face à la révolution numérique – et la concurrence
d'autres organismes de l’audiovisuel public français (CFI et RFI), en
interne comme en direction de l’étranger.
528
COUR DES COMPTES
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
Si le redressement opéré depuis le dernier contrôle de la Cour
mérite d’être salué, la réduction des droits commercialisables de l’INA
justifie de sa part, non seulement d’engager sans délai un effort de
valorisation de ses fonds mais aussi de demeurer particulièrement
vigilante sur l’équilibre financier de ses autres activités et l’évolution de
ses charges. La Cour estime en effet que rien ne serait plus dangereux
que de sous-estimer les risques encourus et de ne pas anticiper la mise en
oeuvre des éventuels efforts d’adaptation qui s’imposeraient pour assurer
la pérennité de l’entreprise.
SITUATION ET PERSPECTIVES DE
L’INSTITUT NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL
529
RÉPONSE DE LA MINISTRE DE LA CULTURE
ET DE LA COMMUNICATION
Le ministère de la culture et de la communication prend acte avec
satisfaction de l’appréciation globalement positive portée par la Cour sur le
redressement de la situation de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et
partage cette appréciation.
Le ministère de la culture et de la communication tient à rappeler que
l’Etat a accompagné et soutenu la transformation de l’Institut.
Il a en particulier négocié des objectifs ambitieux dans les contrats
d’objectifs et de moyens de l’Institut et a assuré depuis plusieurs années, une
forte évolution des ressources publiques de l’INA, ce qui a permis à l’Institut
de mettre en place ses projets de développements, notamment technologiques
tels que la numérisation des archives.
Les ressources publiques de l’INA ont en effet progressé plus
rapidement que celles de l’ensemble du secteur audiovisuel public depuis
2001, comme le montre le tableau ci-dessous.
en M€
2001
2002
2003
2004
2005
2006
LF 2007
PLF 2008
Evolution
01-08
Total HT des ressources
publiques de l'audiovisuel
2 407,9
2 488,6
2 538,4
2 597,1
2 679,6
2 736,7
2 802,6
2 902,3
croissance
3,4%
2,0%
2,3%
3,2%
2,1%
2,4%
3,6%
2,7%
Ressources publiques de l'INA
63,3
68,2
68,2
68,8
72,7
75,8
78,8
81,6
croissance
7,7%
0,0%
0,9%
5,7%
4,1%
4,0%
3,6%
3,7%
SITUATION ET PERSPECTIVES DE L’INSTITUT
NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL
531
Certains points de l’insertion suscitent quelques remarques de la part
du ministère de la culture et de la communication.
Sur la décision de l’INA de se doter d’un commissaire aux comptes.
L’insertion indique que « parallèlement à la suppression récente de
l’agence comptable et à la prise en charge de ses fonctions par le secrétariat
général, l’INA a décidé de se doter de commissaires aux comptes dans un
souci de transparence accrue ». Il convient de préciser que suite à la
suppression de l’agence comptable de l’INA effective au 1
er
janvier 2007,
conformément au contrat d’objectifs et de moyens (COM) signé avec l’Etat
pour la période 2005-2009, et du passage au système de comptabilité privée,
l’INA était dans l’obligation de se doter d’un commissaire aux comptes,
conformément au décret n°2006-1829 du 23 décembre 2006, portant
modification
du
décret
n°2004-532
relatif
à
l’organisation
et
au
fonctionnement de l’Institut national de l’audiovisuel, qui précise à l’article
10 que « le contrôle des comptes de l’établissement public est assuré par au
moins un commissaire aux comptes, nommé par arrêté du ministre chargé de
l’économie sur proposition du conseil d’administration ».
Sur la question de stabilisation du périmètre du dépôt légal et la
réglementation relative au dépôt légal du web.
L’insertion indique que « le règlement de ces deux questions relève
des pouvoirs publics ».
La stabilisation du dépôt légal a été définie dans le cadre du deuxième
contrat d’objectifs et de moyens (COM) de l’INA, signé avec l’Etat pour la
période 2005-2009. Ce COM prévoit qu’à la fin de la période considérée, le
périmètre du dépôt légal sera stabilisé à 120 chaînes, dont 100 chaînes de
télévision et 20 chaînes radios. En outre, chaque extension du périmètre du
dépôt légal est soumise à l’approbation du conseil d’administration de
l’Institut.
Par ailleurs, au début de l’année 2007, pour ce qui est de la
réglementation relative au dépôt légal du web, des propositions de
modification du décret de 1993 dans ses dispositions relatives aux services
de communication audiovisuelle et aux services de communication au public
en ligne ont été discutées entre la direction du développement des médias, la
direction de l’administration générale du ministère de la culture et de la
communication
et
l’établissement.
Cette
démarche
devrait
aboutir
prochainement.
Sur
le
risque
que
représente
la
réduction
des
droits
commercialisables de l’INA.
S’il est vrai que, depuis 1982, les modifications législatives
successives ont rétréci le périmètre des droits commercialisables par l’INA,
et donc restreint les perspectives de recettes futures, l’Institut a développé de
nouvelles activités d’exploitation de ses archives en élargissant leur accès au
532
COUR DES COMPTES
grand public et en développant des usages de plus en plus diversifiés. Ainsi,
sur les cinq dernières années, le chiffre d’affaires de cessions de droits de
l’INA a plus que doublé (15 M€ en 2006 contre 7 M€ en 2001).
L’initiative la plus marquante de ces nouvelles activités est le
lancement en avril 2006 du site Internet « ina.fr » qui rend accessible plus de
15 000 heures d’archives audiovisuelles au grand public. De nombreuses
autres possibilités de diversification des formes d’exploitation du patrimoine
audiovisuel de l’INA restent encore non explorées par l’Institut et
représentent des opportunités importantes d’augmentation de son chiffre
d’affaires commercial.
Sur les activités de formation de l’INA.
L’insertion précise que « l’activité de formation aux métiers de
l’audiovisuel constitue un autre sujet de préoccupation ». Cette inquiétude
peut être atténuée notamment par le renforcement de l’activité de formation
initiale de l’Institut avec l’ouverture récente de l’école de niveau master INA
Sup’ qui va renforcer la légitimité et la notoriété d’INA Formation.
RÉPONSE DU PRÉSIDENT DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’INSTITUT
NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL (INA)
Dans la première partie de son rapport, la Cour prend acte du
redressement opéré par l’Ina depuis son dernier contrôle et salue les efforts
réalisés par l’établissement dans le cadre des contrats d’objectifs et de
moyens signés avec l’Etat.
Plus qu’une marque de reconnaissance du travail accompli, ce
constat, pour l’Ina, pour son président et pour ses personnels, constitue une
pressante invitation à approfondir la démarche engagée et à rechercher sans
cesse de nouveaux progrès
pour rendre toujours plus vivant et plus
accessible le patrimoine audiovisuel national.
Une révolution numérique couronnée de succès
Depuis le début des années 2000, l’Ina a accompli une révolution
majeure. La migration numérique des archives de la radio et de télévision,
inscrite dans les deux contrats d’objectifs et de moyens signés avec l’Etat en
2000 et 2005, place la France au tout premier rang mondial pour la
sauvegarde de la mémoire audiovisuelle.
A la fin des années 90, l’Ina a initié un vaste chantier de sauvegarde
et de numérisation de ses archives audiovisuelles, portant sur plus de
800 000 heures d’images et de sons menacées de disparition. L’objectif était
à la fois de préserver 60 ans d’histoire de la radio et de la télévision
SITUATION ET PERSPECTIVES DE L’INSTITUT
NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL
533
française, et de révolutionner les usages de l’accès et de la connaissance de
cette mémoire collective. Dans le strict respect du cadre économique fixé,
l’Ina a ainsi fait évoluer ses métiers, ses compétences et ses processus de
production.
Cette mutation se décline aujourd’hui avec :
•
Le Plan de sauvegarde et de numérisation (PSN), qui garantit, à
l’horizon de 2015, la préservation de 100% des collections menacées.
•
Inamédia-pro, un service pour les professionnels lancé en 2004, qui
offre aux clients de l’Ina un accès en ligne direct aux 400 000 heures
d’images et de sons numérisés
202
.
•
Les accords signés avec les sociétés d’auteurs (SACEM , SACD,
SCAM…) et les syndicats d’artistes et de journalistes, qui permettent
désormais l’exploitation des contenus numériques sur tous les
supports
203
.
•
La place croissante de l’Ina dans l’action audiovisuelle extérieure
française, sur l’ensemble des secteurs : vente de programmes,
expertise-ingénierie, formation professionnelle, participation à des
projets de recherche européens
204
.
Une politique très active de valorisation du patrimoine audiovisuel
Après l’urgence de la sauvegarde des fonds menacés, assurée par le
PSN, l’Ina est entré dans le temps de la valorisation et de l’enrichissement de
ses collections. Il poursuit ainsi l’objectif d’ouvrir les archives audiovisuelles
à des publics et des usages de plus en plus diversifiés :
•
En élargissant le périmètre du dépôt légal (100 chaînes de télévision,
20 programmes de radio, et bientôt le dépôt légal du Web).
•
En renforçant sa présence sur le marché professionnel des
programmes de télévision
205
.
202) Les services offerts aux clients sont en constante amélioration : les tarifs de
cession de droits ont baissé de 16% en moyenne sur la période et les délais de
livraison ont été divisés par 7.
203) Hertzien, câble, satellite, Internet, vidéo…
204) L’Ina inscrit son action dans le cadre du pôle de compétitivité « Capdigital »,
dont il est membre fondateur.
205) Sur les cinq dernières années, le chiffre d’affaires de cessions de droits a plus
que doublé (15 M€ en 2006, contre 7 M€ en 2001)
534
COUR DES COMPTES
•
En développant une activité de production et d’édition de contenus
adaptée à la diversité des modes et supports de diffusion : télévision,
télévision mobile, salles indépendantes, DVD, Internet, collectivités
territoriales
206
.
•
En mobilisant les savoirs et les contenus à des fins pédagogiques,
éducatives et scientifiques.
Cette ambition se traduit notamment par deux initiatives marquantes :
•
En avril 2006, la création du site Internet « Ina.fr », qui rend
accessibles en ligne plus de 15 000 heures d’images et de sons qui
constituent la mémoire collective des soixante dernières années. Fort
d’un grand succès auprès du public, le site s’enrichit aujourd’hui de
déclinaisons
thématiques
spécifiques
(élections
présidentielles,
Festival de Cannes, chanson française).
•
En octobre 2007, l’ouverture d’une Ecole Supérieure de l’audiovisuel
et du numérique, Ina’Sup.
Les enjeux à venir
Dans les perspectives qu’elle trace à moyenne et longue échéance, la
Cour met l’accent sur la « réduction des droits commercialisables de l’Ina »
résultant de l’évolution des textes qui régissent l’établissement et dont
l’impact peut constituer à terme un facteur de graves déséquilibres.
Tout en partageant en partie cette analyse, l’Ina souhaite préciser la
notion de « droits commercialisables ».
Il est indéniable que, par rapport à l’ensemble des droits attachés aux
programmes diffusés par les chaînes publiques, la part des droits dévolue à
l’Institut s’est régulièrement contractée au fil des années.
Il est certain que cette évolution génère un manque à gagner en
termes de ressources commerciales et qu’une aggravation de cette tendance
ferait courir à l’Ina un risque économique sérieux.
Par contre, il faut noter que, à l’intérieur du périmètre de droits qui
est le sien, l’Ina a considérablement augmenté sa « capacité à agir » en
termes d’exploitation commerciale.
Jusqu’à ces dernières années, en effet, une partie importante des
droits de commercialisation dévolus à l’Ina restait purement théorique, du
fait notamment d’un cadre juridique de travail avec les ayants droit souvent
incomplet, trop rigide et parfois archaïque.
206) Deux films co-produits par l’Ina ont été présentés au dernier Festival de
Cannes :
Rue Santa Fe
de Carmen Castillo, dans la sélection « Un certain regard »,
et
Maurice Pialat, l’amour existe
. Rithy Panh, dont toute l’oeuvre documentaire a été
co-produite par l’Ina, a reçu le prix France Culture.
SITUATION ET PERSPECTIVES DE L’INSTITUT
NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL
535
L’actualisation des accords avec les auteurs et la signature de
conventions avec les représentants des ayants droit salariés ont permis de
porter les archives au plus près des nouveaux circuits de diffusion des images
et des sons : internet, vidéo à la demande, vidéo sur mobiles…
Avec la numérisation et la structuration documentaire des fonds en
corpus thématiques, ce travail de simplification juridique a ouvert des voies
de commercialisation jusqu’ici partiellement ou totalement bloquées.
Enfin, la signature de mandats de commercialisation pour enrichir,
actualiser et, dans la mesure du possible, internationaliser les collections,
offrira à court terme de nouvelles perspectives de développement
commercial.
Dans un autre domaine, la Cour met en avant le caractère aléatoire
des activités de formation, particulièrement sensibles aux variations du
marché et tributaires des cycles de mise à jour des technologies et des
compétences.
Cette analyse est tout à fait conforme à la réalité de l’activité de
formation professionnelle continue.
C’est notamment pour réduire ce risque que l’Ina a développé une
politique active de formation initiale.
Inséré depuis longtemps dans le champ éducatif, l’Ina, depuis
quelques années, a engagé à divers niveaux (Brevet de technicien supérieur,
licence, master) des actions de formation initiale en partenariat, pour
constituer une ligne d’activité stable au sein de la Direction de la formation
et « lisser » les aléas de la formation continue.
Passée de 1 % en 2000 à plus de 15 % en 2006, la part de chiffre
d’affaires de formation initiale confirme la pertinence de l’offre Ina dans ce
domaine. L’équilibre économique de la formation se stabilise et se consolide
par la combinaison des ressources issues de la formation continue et initiale,
la rationalisation des moyens techniques et humains et l’accès à des
ressources nouvelles, notamment la taxe d’apprentissage.
La capacité à diplômer au nom de l’Etat et l’ouverture de l’école
Ina’Sup en 2007 marquent une étape majeure dans la mise en oeuvre de cette
politique d’équilibre au sein de l’activité de formation.
L’Ina a su par ailleurs dynamiser ses activités de formation en les
ouvrant à l’international. Le chiffre d’affaires de formation et d’ingénierie
patrimoniale à l’étranger est ainsi passé de 1,2 M€ en 2004 à 1,8 M€ en
2006.
536
COUR DES COMPTES
Cette
dimension
internationale,
qui
constitue
également
un
contrepoids utile aux variations du marché national, pourrait se renforcer
par une meilleure articulation des acteurs français
207
qui participent à
la
formation des professionnels étrangers aux métiers de l’audiovisuel, en
donnant plus de cohérence et d’efficacité à l’action audiovisuelle extérieure
française dans ce domaine.
207)
L’Ina, Radio France Internationale et Canal France International
L’établissement public de santé national
de Fresnes (EPSNF)
_____________________
PRESENTATION
____________________
L’hôpital pénitentiaire de Fresnes a succédé à l’infirmerie centrale
des prisons de la Seine, créée en 1898, en même temps que la maison
d’arrêt de Fresnes. Transformé en établissement public en 1985, il est
devenu, en 1995, l’établissement public de santé national de Fresnes
(EPSNF). Certaines critiques formulées par la Cour des comptes lors de
ses précédentes interventions en 1991 et 1996 n’ont toujours pas trouvé
de réponse, en particulier sur la place de l’établissement dans
l’organisation des soins des détenus en France
208
. L’incertitude qui en
découle
a
de
graves
répercussions
sur
le
fonctionnement
de
l’établissement.
Le contrôle de la Cour a porté sur les exercices 1995 à 2006.
I
-
Une mission particulière qui reste à définir
La transformation de l’hôpital pénitentiaire de Fresnes en
établissement de santé est intervenue en 1995 alors que des réformes
d’ensemble transféraient la prise en charge sanitaire des détenus au
secteur public hospitalier. Après la création d’unités de consultations et
de soins ambulatoires (UCSA) puis d’unités hospitalières sécurisées
interrégionales (UHSI), l’Etat a décidé de créer, en mars 2006, des
chambres sécurisées au sein des hôpitaux de proximité. Malgré les
travaux de l’inspection générale des affaires sociales, ce choix d’un
208) La question de la santé des détenus a été abordée d’une manière générale dans le
rapport public thématique de la Cour « garde et réinsertion : la gestion des prisons »
de janvier 2006 (p. 60 à 64).