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Le 2 mai 2022
Le Premier président
à
Monsieur Bruno Le Maire
Ministre de
l’économie, des finances et de la relance
Réf. : 2022-0817
Objet
: Les enchères pour
l’attribution de fréquences
pour la 5G
En application des dispositions de l’article
L. 111-3 du code des juridictions financières,
la Cour a examiné
les conditions dans lesquelles des autorisations d’utilisation de fréquences
ont été attribuées fin 2020 à quatre opérateurs de télécommunication pour le déploiement de
la 5G.
Cette cinquième génération de réseaux mobiles est constituée d’une combinaison de
technologies permettant de nouveaux usages et des performances supérieures aux
générations précédentes. Les retombées économiques et innovations attendues du
déploiement de la 5G donnent lieu à une intense compétition internationale entre les États.
Si la procédure d’attribution des fréquences, faisant notamment appel à des enchères
entre les quatre concurrents
, s’est déroulée da
ns des conditions globalement satisfaisantes,
les bénéfices de la 5G pour le grand public sont jusqu’à présent relativement limités et l’État
n’est pas parvenu à impliquer suffisamment les entreprises dans la montée en charge d’une
« 5G industrielle » au service de la compétitivité économique.
À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de
l’article R.
143-11 du code des juridictions financières, d'appeler votre attention sur les
observations suivantes.
1. UNE PROCÉ
DURE D’ATTRIBUTION
ADAPTÉE AUX OBJECTIFS FIXÉS PAR
LE GOUVERNEMENT
La France a procédé en novembre 2020, plus tardivement que certains de ses voisins
européens, aux attributions des fréquences de la bande 3,5 GHz au terme de deux années de
travaux préparatoires.
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La rareté du spectre disponible, la volonté
de préserver l’intensité concurrentielle ainsi
que la mise en place d’obligations substantielles
fixées aux opérateurs visant notamment à
orienter le déploiement territorial de la 5G
ont conduit l’État
à retenir un mécanisme mixte,
combinant l’attribution de blocs de fréquences à prix fixe (200
MHz au total) et la répartition,
par voie d’enchères, d’un spectre de 110
MHz. Seuls les quatre principaux opérateurs
télécoms déjà présents sur le marché ont pu concourir. Le résultat, conforme aux objectifs
fixés par le Gouvernement, a abouti à attribuer à chaque opérateur un bloc de 70 à 90 MHz,
ce qui augmente
d’environ
50 % leur patrimoine de fréquences. En contrepartie, les opérateurs
verseront 2,8
Md€ à l’État, un montant
supérieur de 28 % au prix de réserve fixé par le
Gouvernement et qui, exprimé en euro par MHz et par habitant, est comparable aux prix
constatés au Royaume-Uni et en Allemagne.
Les opérateurs se sont engagés à respecter un certain nombre
d’obligations visant un
déploiement progressif du réseau 5G, généralisé au plus tard fin 2030 et satisfaisant des
objectifs de performances et de services. Si le rythme de déploiement est
pour l’instant
conforme aux objectifs, le succès
global de l’
opération
ne pourra être apprécié qu’au regard
des performances finalement offertes et des services proposés, qui restent conditionnés au
déploiement des cœurs de réseau
1
. La maîtrise de la couverture territoriale fait partie des
points d’attention pour ne
pas accentuer les fractures numériques et éviter d’avoir à conclure
dans quelques années un «
new deal
» pour la 5G comme ce fut le cas en 2018 pour corriger
les retards et insuffisances du déploiement de la 4G.
2. DES USAGES GRAND PUBLIC ENCORE LIMITES ET UN CONTRÔLE DU
DÉPLOIEMENT À RENFORCER
Les récentes études de l
Autorité de régulation des communications électroniques, des
postes et de la distribution de la presse (Arcep) relèvent une diffusion commerciale limitée de
la 5G et des usages encore modestes. Les performances et services étant dépendants du
déploiement à venir de nouveaux
cœurs de réseaux,
la 5G permet
aujourd’hui
principalement
de décongestionner les réseaux 4G actuels dans les zones denses et une amélioration plus
ou moins sensible du débit offert aux clients.
Pour l’heure, l
es usages sont surtout récréatifs
(vidéo haute voire très haute définition et jeux en ligne) et ne correspondent pas aux
nombreuses
promesses de la 5G en matière d’internet des objet
s,
d’innovation
s
technologiques
ou encore d’amélioration des services publics
grâce à la « ville connectée ».
De fait, les ouvertures de sites
par les opérateurs n’ont pas
suscité un fort engouement
commercial,
l’amélioration du débit
ne semblant pas justifier, aux yeux des clients, une
augmentation des prix à travers la souscription d’un nouvel abonnement et l’acquisition d’un
terminal compatible.
Parallèlement, l
’amélioration
des mesures de performance et de qualité de service
effectuées
par l’Arcep
est un sujet d’attention
, pour les particuliers mais aussi pour les
entreprises pour lesquelle
s la continuité spatiale et temporelle de l’accès au réseau mobile et
la qualité de service attendue (débit, latence, densité des objets connectés) sont des enjeux
de compétitivité et d’appropriation de la
5G. Le régulateur pourrait davantage
s’appuyer sur
les mesures effectuées par des acteurs tiers, opérateurs publics et collectivités territoriales,
dès lors que celles-ci respectent les protocoles élaborés par l
’Arcep
. Une meilleure exploitation
de ces données améliorerait
l’information des différents publics
, renforcerait la capacité de
dialogue avec les opérateurs sur les cartes et simulations qu’ils fournissent
et accroîtrait la
connaissance des pouvoirs publics de la couverture et de la performance réelles des réseaux.
Enfin, il pourrait être
opportun de s’assurer que l
es indicateurs de mesure de la qualité
du service ne se limitent pas aux usages du grand public mais sont adaptés aux usages
professionnels attendus de la 5G. À cet égard, il apparaît nécessaire de faciliter les échanges
entre
l’Arcep
et les principales filières économiques concernées en vue de fiabiliser la mise en
place d’indicateurs appropriés.
1
Le cœur de réseau est l’ensemble des équipements et supports de transmission et de commutation qui effectuent
l’authentification, la gestion des accès, l’acheminement et le contrôle des flux
.
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3. UN RETARD SUR LES USAGES INDUSTRIELS
Alors que les générations technologiques précédentes étaient principalement tournées
vers le grand public, la 5G a vocation à être un catalyseur d’innovation pour les entreprises
grâce notamment à l’amélioration du débit maximal, la diminution de la latence et la
fourniture
de services différenciés. Les retombées économiques mondiales potentielles sont évaluées à
1 333
Md€ d’ici 2030
2
, voire 3 300
Md€ d’ici 2035
3
, par les acteurs du secteur, conduisant à la
création de plus de 20
millions d’emplois dans le monde.
Ces anticipations reposent
cependant sur
l’hypothèse du
développement de nouveaux usages et applications de la 5G
qui n’existent pas e
ncore.
L
’Arcep
a ouvert la possibilité de réaliser des expérimentations sur la 5G depuis 2018
et a organisé plusieurs consu
ltations publiques dans le cadre des procédures d’attribution de
fréquences, mais seuls les acteurs du secteur des télécommunications se sont véritablement
investis dans le déploiement de ces technologies. Les entreprises industrielles, qui sont
considérées comme leurs
premiers utilisateurs et bénéficiaires potentiels, n’ont pas témoigné
un intérêt marqué pour la 5G et le développement de nouveaux usages. L’État n’a pas
réussi
à les impliquer davantage dans les premières phases du déploiement, qui est resté un chantier
principalement technique, supervisé par l’Arcep et réalisé par les opérateurs de
télécommunications.
Le soutien apporté par Bpifrance à un nombre limité de projets industriels et
d’expérimentations dans le cadre d’appels à projets ne peut pas
constituer à lui seul une
stratégie publique d’appropriation de la 5G et de ses potentialités économiques par les
entreprises. La feuille de route gouvernementale de juillet 2018
4
, qui avait présenté la 5G
comme un facteur de croissance et d’innovation pour les entreprises
,
n’a
pas donné lieu à un
réel suivi et a débouché sur de faibles réalisations.
Il a fallu attendre le lancement de
la stratégie d’accélération sur la 5G
en juillet 2021
pour que soient formalisés les
objectifs de l’État concernant la dimension économique et
industrielle de la 5G et identifiés
les moyens pour les mettre en œuvre
, avec 734
M€ de
financements publics, dont 480
M€ d’ici la fin 2022, pour soutenir le dé
veloppement du marché
et des acteurs de la 5G en France.
Par ailleurs, dans la continuité des conclusions de la mission confiée à M. Herbert sur
la « 5G industrielle »
, l’État a annoncé le 15
mars
2022 la création d’un portail numérique pour
faciliter l’a
ccès aux expérimentations dans la bande 2,6
GHz et l’ouverture de nouvelles
fréquences pour des expérimentations dans la bande 3,8
4,2 GHz.
La mise en œuvre de ces
deux mesures relève désormais de l’Arcep.
Alors qu’une 6G est déjà envisagée d’ici la fin
de la décennie, la Cour, tout en
reconnaissant l’intérêt de ces initiatives, estime que l’État, sous l’impulsion de la direction
générale des entreprises, devrait engager des actions plus résolues pour mobiliser les acteurs
industriels et économiques autour des usages de la 5G afin de rattraper le retard pris par la
France en ce domaine. La Cour estime également que l
a mise en œuvre de la stratégie
d’accélération devrait donner lieu à une information publique et régulière,
sur les fonds
engagés et leur effet de levier sur des financements privés mais aussi sur les résultats des
expérimentations et projets soutenus.
À la lumière de ces constats, la Cour formule les deux recommandations suivantes :
Recommandation n° 1 :
rendre publiques à échéance régulièr
e les actions mises en œuvre
dans le cadre de la stratégie d’accélération sur la 5G et les résultats obtenus
;
2
PwC,
The global economic impact of 5G
, janvier 2021.
3
IHS Markit,
The 5G Economy in a Post-COVID-19 Era
, novembre 2020.
4
Feuille_de_route_5G-DEF.pdf (economie.gouv.fr)
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Recommandation n° 2 :
mobiliser les acteurs industriels et économiques autour des usages
de la 5G afin de rattraper le retard pris par la France en ce domaine.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez
donnée à la présente communication
5
.
Je vous rappelle
qu’en application des dispositions du même code
:
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances
et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de
l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera
accompagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site
internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L.
143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez
à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur
présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour
selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et
votre administration.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici
5
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante
:
greffepresidence@ccomptes.fr
(
cf
. arrêté du 8 septembre 2015 modifié portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).