1
Les personnes âgées hébergées
dans les Ehpad
_____________________ PRÉSENTATION_____________________
Un peu plus de 600
000 personnes résident dans l’un des
7 500 établissements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad)
36
. Si ceux-
ci sont accessibles dès l’âge de 60 ans, ils accueillent en fait une pop
ulation
beaucoup plus âgée et souffrant de multiples pathologies : une personne sur
dix de plus de 75 ans vit dans un Ehpad, une sur trois de plus de 90 ans
37
.
La crise sanitaire a de ce fait particulièrement frappé leurs
résidents
: près de 34 000 d’entre eux sont décédés du fait de la pandémie
entre mars 2020 et mars 2021. Cette vulnérabilité particulière ne
s’explique pas seulement par la fragilité des résiden
ts. Elle résulte
également des difficultés structurelles des Ehpad.
À
l’issue d’une enquête portant plus largement sur la qualité des
prises en charge médicale dans les Ehpad
38
et reposant notamment sur
57
monographies d’établissements
réalisées par les chambres régionales
et la Cour des comptes, il a paru utile à la Cour de rendre compte de
l’impact de la crise sanitaire sur ces établissements et des facteurs de
vulnérabilité qui l’expliquent (I). Cette crise a été l’occasion d’une
mobilisation
nouvelle
av
ec,
d’une
part,
des
soutiens
financiers
considérables décidés par l’
É
tat, qu’ils soient conjoncturels, afin de faire
face aux conséquences immédiates de la crise sanitaire sur les
établissements, ou pérennes, dans le cadre du « Ségur de la santé » et,
d’autre part, l’émergence de bonnes pratiques des acteurs du secteur
médico-social. Ces évolutions ne se sont cependant pas accompagnées des
réformes structurelles d’envergure qui apparaissent nécessaires (II).
36
Selon la Drees (
Études et résultats n° 1196
, juillet 2021), on dénombrait au début de
la pandémie 7 547 Ehpad accueillant 606 400 personnes âgées.
37
Drees,
728
000 résidents en établissements d’hébergement pour personnes âgées en
2015
,
Études et résultats n° 1015
, juillet 2017.
38
Enquête réalisée à la demande du Parlement (commission des affaires sociales du
Sénat), dans le cadre de laquelle les juridictions financières ont contrôlé
57 établissements à travers tout le territoire, outre-mer compris, ainsi que les principaux
acteurs publics. Une instruction complémentaire porta
nt sur la période d’août 2020 à
juillet 2021 a été réalisée pour les besoins de la présente publication.
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COUR DES COMPTES
70
I -
Le lourd impact de la crise sur les personnes
âgées, amplifié par les fragilités structurelles
des Ehpad
La pandémie de covid 19 a provoqué, parmi les résidents en Ehpad,
un nombre élevé de décès (A). Les évolutions de l’épidémie, auxquelles
les Ehpad ont tâché de s’adapter (B), ont souligné leurs fragi
lités
structurelles (C).
A -
Un lourd bilan humain
D’une façon générale, la gestion de la pandémie s’est
améliorée de
manière très nette entre la première vague, durant laquelle, malgré des
mesures drastiques, parfois vécues comme trop uniformes et brutales, les
Ehpad ont été tout particulièrement frappés, et la troisième vague, qui les a
pour l’essentiel épargnés grâce à la campagne de vaccination.
Au total, le bilan humain de l’épidémie peut être considéré comme
lourd, même si les comparaisons internationale
s montrent que d’autres
pays ont révélé des fragilités analogues, voire supérieures, à celles
constatées en France.
1 -
Une mortalité importante durant les deux premières vagues,
touchant des territoires et des établissements différents
La fiabilité des sources statistiques recensant le nombre
de décès en Ehpad et le nombre de cas de contamination
La Cour des comptes a travaillé sur les données de la période de mars
2020 à mars 2021, consolidées par Santé publique France et transmises par
la direction de la re
cherche, des études, de l’évaluation et des s
tatistiques
(Drees). Les données concernant les décès sont cohérentes avec celles
publiées par un consortium d’organismes de recherche en septembre 2020.
Le
nombre de décès correspond aux résidents des Ehpad décédés du fait
de la covid 19, dans un établissement hospitalier ou au sein de l’Ehpad lui
-même.
Les décès à l’hôpital ont été enregistrés
via
le système
d’informations Si
-Vic, mis en place après les attentats de novembre 2015
pour recenser les décès intervenus dans des conditions exceptionnelles.
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LES PERSONNES ÂGÉES HÉBERGÉES DANS LES EHPAD
71
Les décès en Ehpad ont été recensés par des systèmes d’information
ad hoc
mis en place à l’occasion de la pandémie
: un système développé par
l’AP
-
HP, spécifique à l’Î
le-de-
France et utilisé jusqu’en juillet 2020
, et un
système déployé sur l’ensemble du territoire, développé par Santé publique
France, appelé « Voozanoo » et permettant de faire remonter non seulement
le nombre de décès mais aussi les cas de contamination et leur évolution.
Depuis juillet 2020, Vooz
anoo est l’unique système d’information utilisé
pour recenser les contaminations et décès dans les Ehpad.
Les données saisies dans Voozanoo remontent au 1
er
mars 2020.
Cependant, selon la Drees, elles ne peuvent être considérées comme fiables
et exhaustive
s qu’à compter de la fin du mois d’avril 2020.
Les données relatives aux contaminations sont également sujettes à
caution, jusqu’à la mise en place de tests PCR systématiques en Ehpad,
intervenue à partir de mai 2020.
Les données de la vague 1 sont donc à prendre avec précaution.
Selon Santé publique France et la Drees, sur la période de mars 2020
à mars 2021, 34 000 personnes âgées hébergées dans des Ehpad sont mortes
des suites de la covid 19
39
. Parmi elles, 14 700 sont décédées entre le mois de
mars et le 1
er
juillet 2020, 14 600 entre le mois de juillet et le 1
er
janvier 2021
et 4 700 au premier trimestre 2021. Les premières études épidémiologiques
ont toutefois conclu à une mortalité en réalité un peu plus élevée
40
.
Au cours de la première vague, dans les 3 497 Ehpad touchés,
80 100 résidents ont été contaminés et 14
700 d’entre eux ont perdu la vie
(ce qui représente 50 % des décès comptabilisés au cours de la première
vague de l’épidémie
41
). Lors de la deuxième vague, 144 400 personnes
hébergées ont été infectées
42
. Le nombre de décès (14 600) a été quasi
identique à celui de la première vague. La présence d’équipements de
39
Source : bases de données Drees à partir des chiffres de Santé publique France.
40
Une étude menée par le consortium COMONH regroupant plusieurs chercheurs
appartenant notamment à l’AP
-
HP, à la Cnam, à l’Ined, à SPF, à l’Inserm et à différentes
universités aboutit à une mortalité liée à la covid 19 de 15 114 décès, alors que les données
de SPF en identifient 14 054 sur la période allant du 1
er
mars au 1
er
juin. COMONH
Consortium,
Magnitude, change over time, demographic characteristics and geographicc
distribution of excess deaths among nursing home residents during the first wave of
covid 19 in France : a nationwide cohort study
, Age and Ageing, 2021.
41
Drees,
En 2020, trois Ehpad sur quatre ont eu au moins un résident infecté par la
covid 19
,
Études et résultats n° 1196
, juillet 2021.
42
Contre 80 100 lors de la première vague : mais du fait d
’une
politique de tests très
différente entre les deux périodes, la comparaison demeure délicate.
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COUR DES COMPTES
72
protection individuelle
43
(EPI) et de tests, la connaissance des protocoles
et les partenariats sanitaires n’ont pas suffi à
réduire le nombre de décès.
Cette vague a toutefois été plus longue et a concerné presque toutes les
régions. De ce fait, le nombre de contaminations a été plus élevé. Il faut
toutefois interpréter ces chiffres avec prudence, l’absence de tests au début
de la première vague ne permettant pas de déterminer avec certitude le
nombre de personnes âgées contaminées.
Les Ehpad ont été très inégalement frappés selon leur implantation
géographique. Lors de la première vague, 4 436 décès
44
ont été enregistrés
en Île-de-France, 1 809 dans le Grand Est, 1 339 en Auvergne-Rhône-
Alpes, 1 244 dans les Hauts-de-France, contre seulement 225 en Nouvelle-
Aquitaine, par exemple. La deuxième vague a été plus durable et plus
étendue géographiquement que la première, mais les disparités territoriales
sont restées importantes : les régions et les établissements les plus touchés
lors de la deuxième vague ne l’avaient que peu été lors de la première. Sur
la période de mars 2020 à mars 2021, 80 % des Ehpad ont été touchés, mais
seuls 37
% l’ont
été sur plusieurs épisodes
45
.
Carte n° 1 :
les régions les plus touchées (vague 1 et vague 2)
Source : Drees
43
Dans les Ehpad, les équipements de protection individuelle recouvrent notamment
les masques, les gants, les blouses, les tabliers, les charlottes et les lunettes.
44
Que le résident soit décédé au sein de l’Ehpad ou à l’hôpital.
45
Source : analyse de la Cour des comptes.
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LES PERSONNES ÂGÉES HÉBERGÉES DANS LES EHPAD
73
Les comparaisons internationales réalisées par le Centre européen
de prévention et de contrôle des maladies
46
sont à prendre avec précaution.
En effet, la notion de «
Nursing Homes
», sur laquelle elles sont fondées,
regroupe des réalités très disparates. La comparaison, au sein d’un même
groupe privé implanté dans plusieurs pays, de ses différentes entités,
soumises aux mêmes règles de
reporting
, du fait notamment d’une
direction médicale commune, peut, dans une certaine mesure, éliminer
certains biais et permettre une meilleure approche. Il ressort ainsi des
synthèses du groupe Colisée, portant sur la période du 1
er
mars 2020 au
1
er
février 2021, que la proportion de résidents touchés par la covid 19 dans
les établissements français du groupe (44,4 %) a été inférieure à celle
constatée dans ses établissements implantés en Belgique (46,5 %), en Italie
(64,7 %) et en Espagne (53,2 %). La part de résidents décédés a également
été moins élevée en France (5,1 %) que dans ces trois pays, où elle a atteint
respectivement 6,8 %, 7 % et 6 %.
Il existe encore peu de travaux épidémiologiques pour expliquer
pourquoi, dans une même zone géographique, certains Ehpad ont été plus
touchés que d’autres. Une étude réalisée en juin 2021 par Santé publique
France et l’A
gence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine auprès
d’une cinquantaine d’Ehpad
47
a permis de recueillir des données relatives
aux caractéristiques des établissements touchés. Le manque de ressources
humaines, l’inadaptation des locaux, l’intervention tardive des mesures
préventives et de contrôle ressortent parmi les facteurs de risque dans la
propagation du virus. En particulier, les Ehpad les plus touchés sont ceux
dont la proportion d’équivalents temps plein (ETP) de personnel
paramédical, d’infirmiers ou de médecins coordonnateurs était
plus basse.
D’autres facteurs de meilleure résistance à la pandémie, mis en
lumière par la Drees dans une étude de juillet 2021
48
, tiennent à la taille des
Ehpad, à leur implantation dans la zone d’attraction d’une aire urbaine de
plus de 700 000 personnes et à leur statut juridique. Il en ressort notamment
que les Ehpad privés commerciaux, où le taux d’encadrement des résidents
est moins élevé, ont été significativement plus touchés que les autres
structures lors de la deuxième vague. Toutefois, ce sont aussi ceux qui
accueillent, en moyenne, des résidents aux pathologies les plus lourdes
nécessitant plus de soins. À l’inverse, les Ehpad dépendant d’établissements
publics hospitaliers ont été moins exposés au virus que les autres,
probablement grâce à leur adossement à un établissement sanitaire.
46
Agence européenne au sein de laquelle sont organisés des échanges entre les
organismes de santé publique des 27
pays membres de l’UE
(SPF pour la France).
47
Les résultats de cette étude doivent ainsi
être relativisés, le nombre d’Ehpad analysés
ne représentant que 0,7 % de
l’ensemble
des établissements en France.
48
Drees,
Études et résultats
n° 1196, juillet 2021.
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74
2 -
Un impact psychologique peu documenté
Peu d’établissements ont, à l’issue de la première vague, proc
édé à des
bilans psychologiques et physiques systématiques des personnes âgées
qu’elles hébergeaient, faute de moyens ou du fait d’autres priorités,
résultant de la poursuite de la pandémie. Quatre des cinq établissements du
groupe Korian contrôlés dans le
cadre de l’enquête s’y sont cependant
livrés. Un bilan psychologique des résidents y a été réalisé en juin 2021, le
plus souvent par les psychologues, appuyés par les psychomotriciens et les
infirmiers de coordination (Idec) de ces établissements. Il a montré que les
conséquences physiques et psychologiques de la crise sur les personnes
âgées avaient été importantes
: augmentation de l’anxiété, apparition ou
accentuation des troubles du comportement, de la douleur, de la perte
d’
autonomie, déficit alimentaire, etc..
Certaines mesures ont été particulièrement mal vécues par les familles
et les équipes des Ehpad, comme celles relatives à la fin de vie et à la mise
en bière immédiate sans toilette du corps. Les contrôles menés ont montré
que certains
directeurs n’avaient pas suivi strictement ces consignes, les
considérant comme trop violentes. La prise en compte des préoccupations
d’éthique dans les Ehpad a d’ailleurs progressé au cours des
vagues épidémiques : activation des espaces de réflexion éthique
régionaux (Erer)
49
, initiatives des ARS, réflexions au sein des groupes
d’Ehpad, charte élaborée à la demande du ministère de la santé
50
.
La liberté d’aller et venir au sein des établissements a également
évolué au fil de l’épidémie.
Dans un avis du 1
er
avril 2020, le Comité
consultatif national d’éthique (CCNE) a rappelé plusieurs garanties
fondamentales et émis des recommandations, portant sur le caractère
temporaire et proportionné des mesures, la nécessité d’associer les familles
et des tiers extérie
urs à la prise de décision ou encore l’importance de la
lutte contre l’isolement des résidents.
Le confinement individuel est ainsi
devenu exceptionnel lors de la deuxième vague. Dans son rapport de mai
2021 sur
Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en
Ehpad
, la défenseure des droits a estimé que «
la crise sanitaire [avait] mis
en évidence les difficultés, pour les pouvoirs publics, à concilier les enjeux
de santé publique avec la nécessité d’une réponse appropriée aux besoins
spécifiques des personnes âgées accueillies en Ehpad afin de préserver non
49
Les Erer ont été créés par la loi relative à la bioéthique du 6 août 2004. Dès la loi du
4 mars 2002 relative aux droits des malades, les établissements de santé s’étaient vus
confier la mission de mener en leur sein une réflexion sur l’éthique liée à la prise en
charge médicale.
50
Fabrice Gzil,
Charte éthique et accompagnement du grand âge
, septembre 2021.
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LES PERSONNES ÂGÉES HÉBERGÉES DANS LES EHPAD
75
seulement leur santé, mais aussi leurs droits et libertés
». La direction
générale de la cohésion sociale (DGCS) du ministère des solidarités et de
la santé et la direction des affaires civile et du sceau (DACS) du ministère
de la justice ont été chargées en 2021 de redéfinir une doctrine sur le respect
des droits fondamentaux des personnes accueillies dans des établissements
et services médico-sociaux (ESMS).
L’impact psychologique de la crise
a été important également pour les
personnels, confrontés à la gestion de situations complexes. En Occitanie, un
accompagnement spécifique des personnels des ESMS a été mis en place et
une étude sur le stress a été réalisée par les CHU de Montpellier, Nîmes et
Toulouse pour aider au maintien dans l’emploi en Ehpad.
B -
Une gestion évolutive des difficultés
Le contexte sanitaire et réglementaire a considérablement évolué au
fur et à mesure des différentes « vagues
» de l’épidémie. Les Ehpad se sont
efforcés de
s’adapter à ces évolutions.
1 -
La « première vague »
La crise sanitaire, qui a éclaté au cours du printemps 2020, s’est
d’abord traduite par des mesures progressivement rendues très rigoureuses
de février à juillet 2020.
La gestion de la crise a reposé d’abor
d sur une forte mobilisation des
services dans les Ehpad et les hôpitaux, avec l’appui des ARS, elles
-mêmes
coordonnées au niveau national. Nombre d’Ehpad ont ainsi pris
des
dispositions précoces pour se protéger de l’épidémie. Par exemple, l’Ehpad
Le Manoir, du groupe Colisée, situé dans le Val-
d’Oise a, dès le 24 février,
imposé un sas d’entrée pour les visiteurs, avec prise de température, gel
hydroalcoolique et port du masque obligatoires. Début mars, il a étendu
l’obligation de
porter un masque à tout
le personnel et, comme d’autres
établissements, interdit les visites.
L’Ehpad Les Opalines
à La Ciotat
(Bouches-du-Rhône)
a décidé la fermeture totale de l’établissement aux
visiteurs externes le 6 mars. De la même façon, l’Ehpad du centre
hospitalier de l
a presqu’île de Crozon (Finistère) a suspendu les visites le
7 mars.
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COUR DES COMPTES
76
Les établissements se sont trouvés plus ou moins armés face à une
pandémie d’une intensité inédite. Presque tous les Ehpad contrôlés étaient
dotés d’un plan bleu
51
. Cependant, aucun n’av
ait anticipé un tel choc et
n’avait constitué des stocks d’équipements de protection individuelle (EPI)
suffisants.
La période a ainsi été marquée par une pénurie d’EPI et de tests, la
logistique s’avérant plus difficile à organiser au plan national compte
tenu
de la dispersion des établissements sur le territoire, notamment en zone
rurale. Les Ehpad ont certes reçu des EPI, mais de manière limitée. La
livraison, assurée
via
les groupements hospitaliers de territoire (GHT), a
démarré la semaine du 24 mars 2020. Les fortes tensions sur les
approvisionnements ont poussé de nombreux Ehpad contrôlés dans le cadre
de l’enquête
à recourir à des moyens de fortune : masque porté toute la
journée, moyennant l’ajout d’une compresse de gaze, confection de
masques en ti
ssu et de tenues de protection en sacs poubelle…
Dans une certaine mesure, les groupes privés lucratifs ont pu pallier ce
manque en passant dès le mois de février des commandes groupées. Les
groupes associatifs se sont également efforcés de privilégier un travail en
réseau. Ainsi, le groupe SOS Séniors a mis en place une équipe centrale
d’appui à ses Ehpad, très implantés dans la région Grand Est. À une
moindre échelle, l’Association pour le développement et la gestion des
équipements sociaux, médico-sociaux et sanitaires (ADGESSA) a
également apporté un soutien réel aux 21 établissements, dont 11 Ehpad,
qu’elle gère en Nouvelle
-Aquitaine.
51
Élaboré sous la responsabilité du directeur de l’établissement médico
-social, le plan
bleu est un plan d’organisation permettant la mise en œuvre rapide et cohérente des
moyens indispensables pour
faire face efficacement à une crise, quelle qu’en soit sa
n
ature. Les plans bleus ont été créés à la suite de la canicule de l’été 2003. L’
Ehpad Les
monts du matin dans la Drôme ne disposait pas de plan bleu à jour depuis 2011.
L’
Ehpad
le Grand âge d’Alfortville avait élaboré son plan bleu juste avant la crise. Il
s’est avéré complet et adapté aux modes d’organisation des différents sites de
l’établissement ainsi qu’à la population accueillie.
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LES PERSONNES ÂGÉES HÉBERGÉES DANS LES EHPAD
77
Pour leur part, les agences régionales de santé
52
ont organisé des
cellules de crise, tant au niveau régional que dans leurs délégations
départementales
53
. Elles ont aidé à la fourniture d’EPI, participé à la mise
en place de plateformes pour les renforts en personnel, organisé des
campagnes de dépistage, favorisé les coopérations entre Ehpad et
établissements de santé et instauré, avec les Ehpad, des échanges réguliers
accompagnés de consignes (au demeurant jugées assez lourdes par
beaucoup d’établissements).
Les ARS ont fait preuve de réactivité : celles du Grand Est et des
Hauts-de-France ont ainsi, les premières, établi un protocole pour les
Ehpad,
repris
ensuite
au
niveau
national
pour
l’ensemble
des
établissements. Toutes les ARS ont organisé leur propre circuit de collecte
d’équipements d’EPI, sur la base de dons, afin de compléter les
distributions nationales faites par Santé
publique France. L’ARS
d’Occitanie a mis en place une politique de tests plus dynamique que ce à
quoi l’engageaient les consignes nationales. Celle de Nouvelle
-Aquitaine
a quant à elle mis en place des sas à l’entrée de tous les Ehpad.
En dépit de ces initiatives, le dispositif est resté très centralisé. Même
si les premières alertes n’ont pas été relayées immédiatement, la
chronologie des mesures prises pendant la première vague de l’épidémie
montre qu’au niveau national, les acteurs ont été guidé
s par un constant
souci de protection des personnes âgées.
52
L’action des conseils départementaux doit être soulignée également même si elle n’a
pas fait l’objet d’un examen dans le cadre de l’enquête. Les observations indirectes
recueillies semblent refléter une certaine dispersion dans l’intensité de leur mobilisation.
53
Au niveau du siège régional, ce sont les Cellules régionales d’appui et de pilotage
sanitaire (Craps), qui comprenaient les directions métiers, les directions support, dont
la communication et les systèmes d’informations
,
ainsi que d’autres cellules
instaurées
spécifiquement pour la gestion de la pandémie (fourniture de matériel par exemple). Au
niveau départemental
, ce sont les cellules départementales d’appui (CDA).
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78
Schéma n° 1 :
chronologie des mesures prises
pendant la première vague dans les Ehpad
Source : Cour des comptes
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LES PERSONNES ÂGÉES HÉBERGÉES DANS LES EHPAD
79
2 -
Les deux « vagues » suivantes
Lors de la deuxième vague, qui a débuté dans certaines régions dès le
mois d’août 2020 et a pris fin en janvier 2021, les protocoles de prise en
charge étaient opérationnels, les équipements de protection disponibles, les
tests plus accessibles (notamment avec l’arrivée des tests antigéniques
54
) et
les dispositifs d’ap
pui des établissements sanitaires rodés (hygiène astreinte
gériatrique, hospitalisation à domicile, soins palliatifs, etc.).
À
la lumière de l’expérience accumulée, les prescriptions
réglementaires ont été assouplies. Tout en conservant une certaine
uniformité nationale, le soin de décider des mesures applicables localement
a été explicitement laissé aux directeurs d’Ehpad, après concertation
collégiale, en fonction de la situation sanitaire de l’établissement et dans le
respect des préconisations locales d
e l’ARS. Certaines ARS ont ainsi mis
en place des protocoles différents selon les départements, comme celle
d’Occitanie, qui a classé les
treize départements de la région selon trois
zones (verte, orange ou rouge) et adapté les mesures à prendre selon
l’in
tensité constatée de la pandémie.
54
L’arrivée des tests antigéniques dans les Ehpad, d’abord de manière expérimentale à
compter de l’arrêté du 10 juillet 2020 puis de manière systématique à compter de celui
du 16 octobre 2020, a permis de réduire les délais de réalisation des tests.
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80
Schéma n° 2 :
les mesures concernant les Ehpad
lors des deuxième et troisième vagues
Source : Cour des comptes
La montée en charge de la vaccination a été rapide : selon les
données de Santé publique France
55
, le 2 février 2021, 57 % des résidents
(358 000) avaient reçu une première dose. Ce taux est passé à plus de 72 %
au 2 mars. Au 16 juin, près de 80 % des résidents avaient reçu deux doses.
Le processus a été plus lent pour les professionnels : à la fin du mois de
juin 2021, seuls 50
% d’entre eux étaient complètement vaccinés
56
.
Cette forte montée en puissance de la vaccination a permis aux
Ehpad d’échapper presque totalement à la troisième et à la quatrième vague
de pandémie. Dès le mois de février 2021, le nombre de nouveaux épisodes
a chuté, particulièrement les épisodes sévères ou critiques
57
.
55
Les données sur la vaccination proviennent de Santé publique France.
56
Selon Santé publique France, ce taux s’établissait à 88
% au 7 septembre 2021.
57
Un épisode est
« sévère »
lorsqu’au moins un tiers ou
30 résidents sont touchés. Un
épisode est
« critique »
quand il entraîne le décès de 10 % des personnes hébergées ou
d’au moins 10 personnes.
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LES PERSONNES ÂGÉES HÉBERGÉES DANS LES EHPAD
81
Graphique n° 1 :
nombre d’épisodes sévères ou critiques
dans les Ehpad entre janvier et mai 2021
Source : Drees
C -
Des fragilités préexistantes
Identifier les causes structurelles du lourd bilan humain de
l
’épidémie dans les Ehpad n’est pas tâche aisée. La lourdeur croissante des
pathologies des personnes hébergées en est une, qui ne s’est cependant
qu’insuffisamment traduite dans les moyens mis à disposition des
Ehpad (1). Ceux-
ci ont également souffert d’i
mportantes difficultés
structurelles de gestion de leurs personnels (2) et parfois aussi de
l’inadaptation de leurs locaux (
3).
1 -
Des ressources médicales insuffisantes face à l’évolution
des profils des résidents
Selon la Drees, l’âge moyen des résidents
des Ehpad était de
86
ans et six mois en 2015. En quatre ans, la proportion de ceux d’entre
eux qui sont âgés de 90 ans ou plus est passée de 29 % à 35 %
58
.
Le niveau de dépendance des personnes concernées s’accro
ît, tout
comme leurs besoins médicaux
59
. En 2015, 260 000 personnes âgées
58
Drees,
L’accueil des personnes âgées en établissement
, septembre 2017.
59
La proportion de personnes âgées se trouvant
en perte d’autonomie au sens de la grille
Aggir (classées en catégorie de GIR 1 à 4) est passée de 81 % en 2011 à 83 % en 2015.
Les Ehpad ont davantage été touchés par cette hausse : leur GMP (GIR moyen pondéré)
est passé de 689 en moyenne en 2011 à 723 en 2018. Plus de la moitié des résidents
(54 %) y sont très dépendants (en GIR 1 et 2). Les besoins en soins médicaux mesurés
par le PMP (Pathos moyen pondéré) ont également fortement progresé, passant de
180 en 2010 à 209 en 2018.
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82
résidant dans un Ehpad (soit plus de 40
% de l’ensemble des personnes
accueillies dans ces établissements
60
) étaient recensées comme atteintes de
la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée.
Selon France
Alzheimer, 70 % à 80 % des résidents des Ehpad seraient atteints de
troubles cognitifs. Ces données sont proches de celles présentées dans un
rapport récemment remis par les professeurs Jeandel et Guérin
61
, selon
lesquelles 80 % des résidents présenteraient des troubles de la cohérence et
57 % seraient touchés par des maladies neurodégénératives.
La prise en charge sanitaire des résidents repose à la fois sur les
soins dispensés dans les Ehpad, sur l’intervention de la médecine de ville
et sur les partenariats avec des établissements de santé. Sous ces trois
angles, elle présente toutefois de notables faiblesses. Tous les Ehpad
doivent disposer d’un médecin coordonnateur (Medec)
62
. Cette fonction,
dont la quotité est normée règlementairement, s’est imposée comme
structurante pour l
e fonctionnement d’un Ehpad, au côté
de celle du
directeur. Or, 32 % des Ehpad ne déclaraient aucun ETP de Medec en
2015
63
. Parmi les Ehpad contrôlés dans le cadre de l’enquête, un tiers
connaissait ou avait connu récemment une vacance de poste de médecin
coordonnateur
64
. Un quart d’entre eux fonctionnait avec un temps de
médecin coordonnateur inférieur aux seuils réglementaires.
60
Drees, Études et résultats n° 1015, juillet 2017.
61
USLD et Ehpad, rapport de mission des Professeurs Jeandel et Guérin, juin 2021.
62
Décret n° 2005-560 du 27 mai 2005 relatif à la qualification, aux missions et au mode
de rémunération du médecin coordonnateur exerçant dans un établissement hébergeant
des personnes âgées dépendantes
. Cette fonction, dont la quotité est normée par l’article
D. 312-156 du
code de l’action sociale et des familles (CASF), s’est imposée comme
l’un des cadres structurant le fonctionnement d’un
Ehpad, au côté du directeur. Ses
missions portent principalement sur l’admission des résidents, l’organisation de la
qualité et de la sécurité des soins, avec une fonction de formation et d’encadrement
technique des personnels. Le médecin coordonnateur assure également une fonction de
coordination gériatrique, notamment avec les intervenants extérieurs, et de contrôle des
prescriptions de médicaments. Ses attributions ne comprennent pas le suivi individuel
des résidents, sauf cas particuliers.
63
Source Drees,
Les difficultés de recrutement en Ehpad
, Études et résultats n° 1067,
juin 2018.
64
À titre d’exemple, l’
Ehpad associatif Saint-Antoine de Desvres (Pas-de-Calais)
souffre de l’absence d’encadrement médical depuis plus de trois ans
. Aussi cet
établissement
n’assume
-t-il pas la totalité de ses responsabilités dans le champ du soin.
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LES PERSONNES ÂGÉES HÉBERGÉES DANS LES EHPAD
83
Les consultations de médecins généralistes dans les Ehpad, prises
en charge par l’Assurance maladie, étaient avant la crise
sanitaire en
diminution. Les dépenses correspondantes
65
sont ainsi passées de 30
€ à
34
€ par mois et par résident entre 2014 et 2016 à 27
€ en 2017 et 24
€ en
2018. La pénurie de médecins traitants se rendant en Ehpad est un
phénomène très largement répandu sur le territoire.
Enfin, dans tous les Ehpad contrôlés, des partenariats avaient
certes été conclus avec les établissements sanitaires, mais leur application
n’était pas toujours effective.
2 -
De fortes tensions sur le personnel préjudiciables
à la qualité des prises en charge
Sur les 377 000
66
ETP que comptent les Ehpad, les médecins
représentent moins de 1 %, les infirmiers 11 % et les aides-soignants
67
33 %. Les Ehpad ne sont donc pas à proprement parler des lieux
médicalisés, mais des lieux de vie dans lesquels un certain niveau de soins
doit être accessible. La comparaison des structures de personnel avec un
établissement de santé l’indique clairement
68
.
De plus, la plupart des Ehpad sont en proie à des difficultés plus
ou moins aiguës en matière de resso
urces humaines. Le taux d’absentéisme
est élevé
69
, avec une médiane nationale de 10
% selon l’Agence nationale
d’appui à la performance (Anap)
70
. Dans les établissement contrôlés, il se
situait en 2019 à un niveau sensiblement plus élevé (autour de 20 %)
71
.
65
Pour les Ehpad en tarif partiel sans pharmacie à usage interne (PUI). La tendance est
similaire pour les Ehpad en tarif partiel avec PUI, à un niveau inférieur.
66
Représentant 433 250 personnes, chiffre 2015, enquête Ehpa Drees.
67
Les aides-soignants font les toilettes mais ne sont pas habilités à distribuer des
médicaments sauf si délégation leur a été donnée pour le faire.
68
À titre de comparaison, selon l’édition 2020 de la Drees, les établissements de santé
comprennent 210 000 personnels médicaux, 767 000 personnels soignants non médicaux
(infirmiers, aides-
soignants, rééducateurs…) et 336
000 personnels non soignants.
69
En 2019, selon le baromètre de l’absentéisme et de l’engagement, la France présentait
un absentéisme de 5,11 %.
70
Anap,
Tableau de bord de la performance dans le secteur médico-social, premiers
enseignements
, juin 2018.
71
18 %
pour l’
Ehpad Saint-Joseph à Saint-Jean-de-Bassel (Moselle), 20 % pour
l’
Ehpad de Gournay-en-Bray (Seine-Maritime), plus de 25 % aux Opalines à
Saint-Chamond (Loire).
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COUR DES COMPTES
84
Les taux de rotation du personnel soignant sont également élevés.
L’instabilité des équipes rend difficile la formation et la montée en
compétence du personnel. À cet égard, l’enquête a mis en évidence des
situations particulièrement préoccupantes. Ainsi, la rotation annuelle des
infirmiers était montée jusqu’à 83
% en 2017 dans l’Ehpad de La Filature
à Mulhouse, notamment en raison d’un environnement concurrentiel. À
l’Ehpad Maison bleue de Villeneuve
-lès-
Avignon, au cours de l’année
2019, près de 159 personnes distinctes travaillant le jour se sont succédé,
pour un effectif théorique de 40 personnes, avec un taux de rotation de
50 % pour les infirmiers et de 38 % pour les aides-soignants.
Le cumul de difficultés (insuffisance du taux d’encadrement,
mauva
ise organisation des cycles, absentéisme, manque de formation…)
peut susciter de réels problèmes de qualité de prise en charge, hors situation
de crise. Compte tenu des difficultés que les établissements rencontrent pour
recruter des aides-
soignants, nombre d’entre eux sont remplacés par des
personnels « faisant fonction
» d’aides
-
soignants, bien qu’ils ne disposent
pas des diplômes nécessaires. C’est donc un personnel lui
-même fragilisé qui
s’est trouvé devoir accompagner les personnes âgées durant la période de
pandémie, le plus souvent avec une implication particulièrement forte.
Durant la crise, de nombreux dispositifs dérogatoires ont été mis en place
pour faciliter les conditio
ns d’exercice du personnel (mise à disposition de
taxis, paiement des loyers pour permettre à certains agents de loger à
proximité des Ehpad, garde d’enfants…), améliorer les conditions
d’embauche et favoriser les nouvelles collaborations initiées entre le
s Ehpad,
les ARS et les organismes chargés de l’emploi (Pôle Emploi…).
3 -
Des bâtiments parfois inadaptés
Les Ehpad sont des lieux de proximité. La plupart disposent d’une
capacité de 60 à 99 places (fourchette moyenne, tous statuts confondus).
Une minorité d
’entre eux (18
%, soit 1 361 Ehpad, souvent rattachés à des
établissements de santé) offrent une capacité d’accueil de plus de
100 places
72
. Leurs locaux sont parfois inadaptés, voire vétustes : 15 % des
Ehpad sont installés dans des bâtiments de plus de trente ans et leur
configuration architecturale n’a pas toujours permis la mise en place de
zones covid
19 séparées, ni l’isolement des résidents atteints par la
maladie. Seuls 45 % des Ehpad sont à même de ne proposer que des
chambres individuelles. Enfin,
à l’exception de ceux faisant partie
d’établissements de santé, ils ne sont pas équipés de systèmes de
distribution de gaz médicaux (notamment d’oxygène).
72
CNSA,
La situation des Ehpad en 2017
, avril 2019.
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LES PERSONNES ÂGÉES HÉBERGÉES DANS LES EHPAD
85
II -
La réponse organisationnelle et financière
à la crise ne doit pas retarder
les réformes structurelles
Depuis le début de la crise sanitaire, des réponses nouvelles ont été
apportées aux difficultés anciennes du secteur
: au plan national, à l’effort
conjoncturel consenti en période de crise a succédé un effort financier
pérenne considérable (A) ; au plan local, de « bonnes pratiques » ont émergé
(B). Cependant les réformes structurelles progressent trop lentement (C).
A -
Un effort financier public inédit, conjoncturel
puis permanent, sans contreparties notables
Le secteur médico-social, et les Ehpad en particulier, ont bénéficié,
au cours de la pandémie, d’aides conjoncturelles sans précédent, décidées
par l’État et financées par l’assurance maladie
73
. Au-delà, des financements
supplémentaires d’un montant très significatif, principalement à caractère
pérenne, ont été engagés dans le cadre du « Ségur de la santé » et du plan
« France Relance
». Ce dernier effort financier aurait pu être l’occasion
pour l’État d’engager des réformes structurelles trop longtemps différées.
Tel n’a pas été le cas.
1 -
La compensation de pertes de recettes et de surcoûts
durant la crise
Si l’on s’en tient aux seules dépenses liées à l’épidémie de
covid 19
74
, les Ehpad ont bénéficié d’un triple soutien
: la compensation
73
Les financements publics (hors conseils départementaux) aux établissements et
services médico-sociaux prennent place dans le cadre
d’un objectif global de dépenses
médico-
sociales (OGD), fixé annuellement. Avant 2021, le montant de l’OGD
correspondait à la somme des sous-
objectifs de l’objectif national de dépenses
d’assurance maladie (Ondam) relatifs respectivement aux établissement
s et services
pour personnes âgées, et à ceux pour personnes handicapées et des dépenses financées
par la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) à partir de ses ressources
propres, hors Ondam. Depuis 2021, à la suite de la création de la nouvelle branche
autonomie au sein de la sécurité sociale, les deux sous-
objectifs de l’OGD font partie
de ceux de l’Ondam et portent sur des montants identiques.
74
Hors effets de la « prime Grand âge » et hors mesures de revalorisation salariale suite
au « Ségur de la santé ».
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86
des pertes de recettes
75
, la couverture des dépenses occasionnées par la
pandémie (renfort de personnel pour compenser l’absentéisme accru, frais
logistiques, petit matériel, masques, coût des unités covid 19, etc.) et la
prise en charge intégrale par l’assurance maladie de la «
prime Covid »
allouée aux personnels, annoncée en juin 2020. L’ensemble a représenté
1,7
Md€
en 2020
à la charge de l’assurance maladie.
Graphique n° 2 :
soutien financier alloué aux Ehpad pour compenser
les
dépenses liées à la covid 19 (2020, montants en M€)
76
Source : CNSA
Ces mesures ont été partiellement reconduites pour la première
phase de la campagne budgétaire 2021. L’instruction budgétaire du
8 juin 2021 a ainsi prévu une somme totale de 324
M€ pou
r le secteur des
personnes âgées, dont 151
M€ de compensation de pertes de recettes,
141
M€ de compensation de surcoûts et 24
M€ pour le remboursement des
franchises applicables à la réalisation de tests de dépistage.
75
Dès le mois de mars 2020, des dispositions ont été prises pour aider financièrement
les établissements médicosociaux, qui étaient confrontés à des surcoûts importants et à
une baisse d’activité, les entrées en Ehpad ayant été gelées. L’ordonnance n° 2020
-313
du 25 mars 2020 relative aux adaptations des règle
s d’organisation et de fonctionnement
des établissements sociaux et médico-sociaux a ainsi sécurisé les financements 2020 en
supprimant leur modulation selon l’activité et a assoupli les délais de
s procédures
budgétaires et comptables applicables aux établissements. Ces dispositifs dérogatoires
ont été mis en œuvre tout au long de l’année 2020, par la voie de trois circulaires
budgétaires modificatives.
76
Hors dépenses correspondant aux EPI livrés par SPF et hors dépenses directes de
l’assurance maladie.
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87
2 -
Des coûts pérennes consécutifs au Ségur de la santé
a)
Les revalorisations salariales
Dès avant la crise sanitaire, les rémunérations dans les Ehpad
avaient commencé à être revalorisées au début de l’année 2020, dans le
cadre du plan ministériel « Ma Santé 2022 ». Faisant suite au rapport
El Khomri
sur l’attractivité des métiers du grand âge
77
, une « prime Grand
âge » de 100 euros nets par mois a été allouée, à compter du
1
er
janvier 2020, aux aides-soignants relevant de la fonction publique
hospitalière
78
et exerçant en Ehpad.
Puis, dans le cadre des accords du « Ségur de la santé » signés en
juillet 2020, une revalorisation de 183 euros nets mensuels a été attribuée
aux personnels des hôpitaux et des Ehpad publics, avec effet au
1
er
décembre 2020, ainsi qu’à ceux des Ehpad privés non lucratifs. L
es
personnels des Ehpad privés à but lucratif ont bénéficié quant à eux d’une
augmentation de 160 euros nets mensuels.
Cette revalorisation est exceptionnelle à double titre. D’une part,
par son ampleur. Pour les aides-soignants et les accompagnants éducatifs
et sociaux, elle représente une augmentation comprise entre 10 et 15%
79
.
D’autre part, par son étendue. Elle concerne en effet non seulement les
professions médicales, mais aussi toutes les professions non médicales des
Ehpad, qu’elles relèvent des soins, de la dépendance ou de l’hébergement.
La sécurité sociale prend donc à sa charge, de manière totalement inédite,
des revalorisations salariales de personnels non soignants, qui n’entrent pas
dans son périmètre de compétence
80
.
Il est encore trop tôt pour
mesurer l’impact du Ségur de la santé
sur l’attractivité des métiers des Ehpad. Cependant, selon l’ensemble des
acteurs interrogés, les tensions suscitées par le manque de personnel
demeurent très fortes.
77
Plan de mobilisation nationale en faveur de l’attractivité des métiers du grand âge 2020
-
2024
, octobre 2019.
78
Décret n° 2020-66
du 30 janvier 2020 portant création d’une prime «
Grand âge »
pour certains personnels affectés dans les établissements mentionnés à l’article 2 de la
loi n° 86-33 du 9 janvier 1986.
79
Selon la CNSA, Situation économique et financière des Ehpad en mai 2017 et 2018, mai
2020, le coût annuel d’une aide
-soignante est de 39
573 € et celui d’une ASH de 34
718 €,
cotisations sociales comprises.
80
Le financement des Ehpad repose sur trois sections : soins, dépendance et hébergement.
La section soins est financée à 90 % par la Cnam et 10 % par la CNSA. La section
hébergement est financé
e à hauteur d’un tiers par les conseils départementaux, un tiers par
la CNSA et un tiers par les ménages. La section hébergement est principalement à la charge
des ménages. La Cnam finançait en 2019 28 % du budget global des Ehpad (Source :
Commission des comptes de la sécurité sociale,
les comptes de la sécurité sociale
, juin 2020).
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88
Au total, pour l’année 2020, la prime «
Grand âge » a représenté
un coût de 134
M€ et l’entrée en vigueur au 1
er
décembre 2020 de la
mesure socle de revalorisation du Ségur de la santé a occasionné une
dépense de 351
M€. Le montant en année pleine de cette dépense
supplémentaire atteint 1 867
M€.
D’au
tres dépenses, de moindre ampleur, ont été par ailleurs
décidées pour améliorer l’attractivité des métiers, intéresser les
établissements et leurs personnels à la qualité de la prise en charge des
personnes âgées, et étendre les revalorisations des rémunérations du Ségur
de la santé à d’autres personnels intervenant dans les établissements et
services médico-sociaux
81
.
En 2022, les mesures salariales du « Ségur de la santé » auront un
coût pérenne de plus de 2,2
Md€ pour ce qui concerne les établissements
et services médico-sociaux accueillant des personnes âgées. Le graphique
ci-après détaille la montée en puissance de ces dépenses de rémunération
supplémentaires entre 2020 et 2022.
Graphique n° 3 :
dépenses supplémentaires liées aux mesures
de revalorisation des rémunérations versées aux personnels
exerçant dans les Ehpad
Source : Cour des comptes à partir des informations communiquées par la
direction de la sécurité sociale
81
Les agents publics titulaires et contractuels de la fonction publique exerçant en tant
que personnels soignants, aides médico-psychologiques (AMP), auxiliaires de vie
sociale (AVS) et accompagnants éducatifs et sociaux (AES) des établissements médico-
sociaux publics non rattachés à un établissement de santé ou à un Ehpad et financés par
l’assurance maladie bénéficieront également de la
revalorisation de 183 euros nets
mensuels.
Une mesure identique s’applique par ailleurs aux mêmes personnels exerçant
dans des établissements médico-sociaux privés financés par des Ehpad.
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LES PERSONNES ÂGÉES HÉBERGÉES DANS LES EHPAD
89
b)
Des investissements importants pour le numérique et l’immobilier
En plus des revalorisations salariales, des dotations d’un montant
de 1,5
Md€ sur
quatre ans ont été mises en place pour financer la
rénovation ou la création de places dans les Ehpad, auxquelles s’ajoute une
enveloppe de 600
M€ pour le développement des o
utils numériques dans
les établissements et services médico-sociaux. Le montant total des
dépenses prévues à ces deux titres atteint donc 2,1
Md€ au total sur la
période de 2021 à 2025. La CNSA est chargée de l’attribution de ces
concours financiers, qui relèvent du plan « France Relance », par la voie
d’appels à projets dont les premiers ont été lancés durant l’année 2021.
Les projets du programme « ESMS numérique
» s’inscrivent dans
le cadre de la feuille de route nationale « Accélérer le virage numérique en
santé »
82
.
En revanche, la circulaire du 24 septembre 2021 relative à la
mobilisation des crédits d’investissement du Ségur de la santé et de France
Relance
83
ne donne pas de cadrage national suffisamment précis pour
l’attribution de concours financiers à la réalisation d’investissements
immobiliers
dans
les
Ehpad.
En
partenariat
avec
les
conseils
départementaux, les ARS doivent recenser les investissements à réaliser,
sans qu’ait été défini au préalable le modèle d’Ehpad que les pouvoirs
publics souhaitent privilégier : simple mise aux normes des établissements
existants, ouverture sur l’extérieur, à l’instar du projet sur les «
tiers lieux »
dans les Ehpad, ou encore renforcement du maintien à domicile. La CNSA
a certes mis en place, au début de l’année
2021, un « laboratoire des
solutions de demain », mais qui ne constitue pas un cadre stratégique.
Au total, pour 2022, l’objectif global de dépenses en faveur des
personnes âgées est de 14,3
Md€
84
, soit une hausse de 3,6
Md€ (+
33,6%)
en l’espace de quatre
ans, dont 2,2
Md€ au titre des revalorisations de
rémunérations du « Ségur de la santé » et près de 0,6
Md€ au titre du
financement de l’immobilier et du numérique.
82
En particulier, le déploiement du dossier usager informatisé (DUI)
doit s’intégrer aux
autres modules comme la messagerie sécurisée des professionnels de santé (MSanté),
le dossier médical partagé, le projet d’ordonnance dématérialisée (e
-prescription) et
l’outil de coordination des parcours de santé (e
-parcours).
83
Circulaire n° DGCS/SD5C/CNSA/2021/210 du 24 septembre 2021 relative à la
mobilisation des crédits d'investissement du Ségur de la santé et de France Relance en
appui du virage domiciliaire de l'offre d'accompagnement des personnes âgées dans la
société du grand âge.
84
Source : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
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90
Au-delà de cet effort financier considérable, un certain nombre de
mesures ont été prises
face à l’urgence, qui mériteraient d’être pérennisées.
B -
L’émergence de bonnes pratiques à
consolider
1 -
Une meilleure insertion dans les réseaux de soins
Malgré l’hétérogénéité des organisations selon les territoires,
l’activation de filières gériatriques a
permis de mettre en place des
astreintes spécifiques à partir de la fin du mois de mars 2020
85
. Elles ont
notamment permis d’assurer des
hotlines
gériatriques et de soins palliatifs,
afin de recueillir un avis multidisciplinaire avant chaque hospitalisation et
de faciliter une admission directe sans transit par les services d’urgence.
Ces astreintes gériatriques ont été renforcées avec, notamment, une
augmentation des plages d
’ouverture, la mise en place d’équipes mobiles
ou la création de nouveaux dispositifs. Ainsi, en Auvergne-Rhône-Alpes,
97
% des Ehpad ont bénéficié d’une
hotline
dédiée. En Meurthe-et-
Moselle, où une astreinte sanitaire « personnes âgées
», dotée d’un numéro
dédié, a été mise en place, le CHRU de Nancy a mis à disposition des Ehpad
plusieurs équipes mobiles : équipe mobile de soins palliatifs (EMSP),
équipe mobile de liaison gériatrique (EMLG).
En 2019, l’hospitalisation à dom
icile (HAD) des patients domiciliés
en Ehpad représentait 8,1 % du total des admissions en HAD (soit
14 300
patients). Durant la pandémie, les conditions d’admission ont été
assouplies
86
et l’hospitalisation à domicile s’est fortement développée. En
2020, p
our les résidents en Ehpad, le nombre d’admissions en HAD a ainsi
augmenté de 69 %, soit près de 12 000 séjours. Cette évolution est presque
entièrement due à la prise en charge des patients atteints de la covid 19.
Ces nouveaux partenariats entre Ehpad et hôpitaux sont en voie de
consolidation, ce qui est positif. La feuille de route stratégie 2021-2026
pour la HAD prévoit son développement dans les Ehpad comme objectif
stratégique.
La
feuille
de
route
du
plan
national
2021-2024
« Développement des soins palliatifs et accompagnement de la fin de vie »
intègre le renforcement des partenariats avec les Ehpad. Le déploiement
des équipes mobiles de gériatrie (EMG) est accéléré vers les Ehpad. En
85
Fiche établissement de santé,
Consignes et recomma
ndations concernant l’appui des
établissements de santé aux établissements hébergeant des personnes âgées
dépendantes
, ministère de la santé et des solidarités, 31 mars 2020.
86
L’arrêté du 1
er
avril 2020 complétant l
’
arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures
d
’
organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à
la pandémie de covid 19 dans le cadre de l
’
état d
’
urgence sanitaire a autorisé un très
grand nombre de dérogations pour le recours à la HAD dans les Ehpad.
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LES PERSONNES ÂGÉES HÉBERGÉES DANS LES EHPAD
91
2021, 55 EMG ont été créées ou renforcées. Il convient également de
pérenniser les éq
uipes mobiles d’hygiène et les centres d’appui pour la
prévention des infections associées aux soins (CPIAS), qui ont fait la
preuve de leur utilité pendant la crise.
Plusieurs mesures ont également été prises pour permettre un renfort
e
n médecins et infirmiers libéraux : possibilité d’appliquer aux visites de
patients en Ehpad le tarif de la majoration d’urgence (avec un plafond de
57,60
€ par visite), mise en place d’un forfait de 420
€ par demi
-journée
dans le cadre d’un contrat entre l’établissement et le médecin. Ces
dispositions ont en partie été consolidées dans l’avenant 9 de la convention
médicale de 2016, signée le 30 juillet 2020
87
.
2 -
Un apport du numérique à amplifier
Le déploiement des outils numériques dans les ESMS connaît un
retard certain par rapport aux établissements de santé
88
. Dans les Ehpad, la
pandémie a favorisé le développement rapide du numérique dans trois
domaines : les rapports avec les familles, les téléconsultations et la
remontée d’informations.
Tous les établissements contrôlés se sont appuyés sur les réseaux
sociaux et ont mis en place des visioconférences pour permettre aux
résidents de communiquer avec leurs familles. La Cour et les chambres
régionales des comptes ont cependant constaté, sur place, que les outils
seuls ne suffisent pas : un accompagnement est indispensable, car
nombreux sont les résidents à ne pas maîtriser les outils informatiques mis
à leur disposition. Tel était le cas de 30
% des résidents de l’Ehpad Saint
-
Charles de Bayon (Meurthe-et-Moselle).
Les téléconsultations réalisées dans les Ehpad ont augmenté, mais
dans des proportions moindres que pour l’ensemble de la population. Selon
l’Agence du numérique en santé (ANS)
89
, 71 % des médecins avaient
dispensé au moins une téléconsultation à la fin du mois de septembre 2020,
contre 13
% à la fin du mois de septembre 2019. Les téléconsultations n’ont
toutefois pas dépassé 3
% de l’activité des gériatres sur la même période.
Seuls 9 % des médecins téléconsultants ont dispensé des téléconsultations
avec des patients hospitalisés ou hébergés dans un Ehpad.
87
Ainsi une visite à domicile pour un patient de plus de 80 ans en affection longue
durée (ALD) pourra être cotée en visite longue à hauteur de 70
€ (contre 35
€
actuellement), quatre fois par an
pour un coût annuel estimé à 145 M€.
88
Anap,
Usage du numérique dans les ESMS
, mars 2019.
89
Odoxa,
Le baromètre télémédecine de l’ANS
, Vague 2, octobre 2020.
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92
Enfin, les outils numériques de collecte et d’agrégation des
données, du type Voozanoo
90
, mis en place par Santé publique France et
utilisés pour suivre la pandémie dans les Ehpad doivent être, sur le
fondement d’un retour d’expérience, consolidés.
C -
Des mesures à compléter par des réformes
structurelles, tout juste amorcées avec le PLFSS 2022
Ces mesures, pour nécessaires qu’elles fussent, ne sauraient suffire
à remédier aux faiblesses structurelles des Ehpad. Ces faiblesses sont
connues des pouvoirs publics et ont fait l’objet de plusieurs rapports
récents
91
, ainsi que de publications de la Cour. Ces rapports sont
convergents dans leurs constats et proches dans leurs recommandations.
Deux des principales faiblesses mises en lumière par ces travaux
appelaient des réponses structurelles,
dont la mise en œuvre a été
repoussée. Elles concernent les conditions de travail des personnels, qu’il
convient d’améliorer, d’une part, et l’organisation des établissement
s, dont
la trop grande dispersion ne permet pas d’offrir aux personnes âgées un
niveau de médicalisation satisfaisant, d’autre part.
En premier lieu, le soutien apporté aux personnels soignants et non
soignants dans le cadre du « Ségur de la santé », pour justifié
qu’il était,
n’a porté que sur la revalorisation des rémunérations. Or, la formation,
l’évolution des carrières et la prévention des accidents du travail et des
maladies professionnelles, particulièrement élevés dans le secteur médico-
social, ont été identifiées depuis plusieurs années comme des priorités,
appelant, de la part des pouvoirs publics comme des acteurs du secteur, un
plan d’action national de long terme. Le plan de mobilisation nationale en
faveur de l’attractivité des métiers du grand
âge 2020-2024, issu du rapport
El Khomri, proposait, sur ces sujets, plusieurs mesures. Nombre d’entre
elles, pourtant moins coûteuses, n’ont pas connu la même impulsion
92
.
En second lieu, la crise a souligné les difficultés particulières que
rencontrent les établissements isolés et,
a contrario
, le bénéfice que représente,
90
L’application Voozanoo a été développé par SPF au mois de mars 2020 pour recenser
les cas de covid 19 dans les ESMS et assurer un suivi épidémiologique, les outils
préexistant s’avérant inadaptés.
91
Rapport
Grand âge et autonomie
remis par Dominique Libault le 28 mars 2019,
rapport intitulé
Plan de mobilisation nationale en faveur de l’attractivité des métiers du
grand-âge
, remis par Myriam El Khomri le 29 octobre 2019, Rapport de mission sur
les ULSD et les Ehpad des Pr Jeandel et Guérin de juin 2021.
92
Le plan de mobilisation comprenait 16 objectifs recouvrant un coût annuel estimé à
825
M€. La partie revalorisation salariale n’était prévue qu’à hauteur de 170
M€ et se
concentrait sur la remise à niveau des rémunérations inférieures au Smic. Il comprenait
également un programme national de lutte contre la sinistralité et l’amélioration de la
qualité de vie au travail, une simplification des formations, la possibilité de progressions
de carrière. Ces mesures n’ont que peu avancé.
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LES PERSONNES ÂGÉES HÉBERGÉES DANS LES EHPAD
93
pour un Ehpad, l’insertion dans un réseau, qui peut prendre plusieurs formes
:
un partenariat approfondi avec un établissement de santé, la mutualisation de
fonctions supports et de ressources médicales et sanitaires entre plusieurs
établissements ou l’appartenance à un groupe d’établissements. L’adossement
à un hôpital ou à un groupe, en particulier, permet une organisation plus
efficiente de la ressource médicale et,
in fine
, une meilleure continuité des
prises en charge entre les secteurs médico-social et sanitaire.
Les enveloppes financières prévues pour l’investissement auraient
pourtant pu être l’occasion de redéfinir le modèle d’organisation des Ehpad,
d’une part en orientant les financements en priorité vers ceux des
ét
ablissements s’engageant à s’inscrire dans une démarche de mutualisation,
d’autre part en réformant le régime des autorisations, pour passer
d’autorisations organiques (accordées par les ARS à des établissements) à des
autorisations fonctionnelles (accordées pour des services adaptés au parcours
du patient, qu’ils soient en Ehpad ou à domicile).
Force est de constater que les
ARS ont beaucoup de mal à mettre en place de vraies stratégies territoriales,
permettant une meilleure insertion des Ehpad dans des réseaux gériatriques.
Les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens passés par les ARS avec les
Ehpad ne sont pas des documents stratégiques et, le plus souvent, leur contenu
est trop descriptif et essentiellement administratif.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022
comprend certes des mesures sur la médicalisation. Il prévoit également que
certains Ehpad puissent devenir des « centres territoriaux de ressources »,
chargés d’organiser et fédérer les différents acteurs du grand
âge.
Toutefois, ces mesures ne constituent pas une évolution du cadre
global de fonctionnement des Ehpad. Des réformes avaient pourtant été
annoncées et engagées, comme la fusion des dotations « soins » et
« dépendance », qui devait constituer une simplification importante du
cadre financier applicable aux Ehpad. À défaut de prise en compte de ces
orientations plus structurelles, l’effort financier d’un niveau exceptionnel
décidé dans le cadre du « Ségur de la santé » risque de ne pas permettre
aux Ehpad de surmonter leurs faiblesses organisationnelles et de
fonctionnement les plus profondes.
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94
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
La pandémie de covid 19 a durement frappé les Ehpad. La capacité
des acteurs locaux à s’adapter à l’urgence et à mettre en place des
coopérations indispensables, puis la priorité vaccinale donnée aux
personnes âgées, ont permis de limiter peu à peu ses effets, au fur et à
mesure de l’évolution de l’épidémie.
Deux principaux enseignements peuvent être tirés de cette crise.
D’abord, la nécessité d’une meilleure articulation entre les Ehpad et les
filières de soins, établissements de santé en tête. Ensuite, le réel bénéfice pour
un Ehpad à ne pas être isolé et à
s’insérer dans un ensemble fonctionnel plus
vaste, soit par adossement à un établissement de santé, soit par l’appartenance
à un groupe, soit encore par la mutualisation de certaines fonctions.
La crise a également confirmé les faiblesses structurelles des
Ehpad, mises en lumière par plusieurs rapports convergents remis au
ministre des solidarités et de la santé, et proposant des pistes de réforme
dont la mise en œuvre est depuis trop longtemps reportée.
La Cour formule les recommandations suivantes :
1.
consolider les relations de partenariat nouées pendant la crise entre
ARS, Ehpad et établissements de santé, notamment en articulant mieux
les plans bleus et les plans blancs, dans le cadre territorial (ministère
de la santé et des solidarités) ;
2.
f
avoriser l’i
nsertion des Ehpad dans un réseau (adossement à un
établissement de santé, insertion dans un groupe, participation à un
groupement de coopération médico-social) dans le cadre de la
négociation des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens
(établissements, ARS, conseils départementaux) ;
3.
accélérer la mise en place des réformes structurelles, en identifiant au
préalable l’impact de l’utilisation des trois principaux leviers de réforme
:
autorisations, CPOM et tarifs
93
(ministère de la santé et des solidarités).
93
Recommandation réitérée et figurant dans : Cour des comptes, Sécurité sociale 2021,
Chapitre VII :
Soins de suite et de réadaptation, soins psychiatriques, accueil des
personnes âgées dépendantes et des personnes handicapées : dix ans de réformes
inabouties du financement des établissements et services
, octobre 2021.
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Réponses
Réponse de la ministre déléguée auprès du ministre des solidarités
et de la santé, chargée de l’autonomie
......................................................
96
Destinataires n’ayant pas d’observation
Madame la présidente du Groupe Colisée
Madame la directrice générale du Groupe Korian
Monsieur le président du Groupe SOS
Madame la directrice générale
de l’Ehpad du
Centre hospitalier de la
Presqu'Île Crozon
Madame la directrice de l’Ephad de Gournay en Bray
Madame la directrice de l’Ehpad Les Opalines
- La Ciotat
Monsieur le dir
ecteur de l’Ehpad Maison bleue
- Villeneuve-lès-Avignon
Madame la directrice de l’Ehpad Les Opalines
- Saint-Chamond
Madame la directrice de l’Ehpad Saint
-Joseph - Saint-Jean-de-Bassel
Monsieur le président de l’Association pour
le développement et la gestion
des équipements sociaux, médico-sociaux et sanitaires (ADGESSA)
Destinataires n’ayant pas répondu
Madame la directrice de l’Ephad Le Grand Age
Monsieur le directeur de l’Ehpad Les Monts du Matin
Monsieur le directeur
de l’Ehpad Saint
-Antoine de Desvres
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96
RÉPONSE DE LA MINISTRE DÉLÉGUÉE AUPRÈS
DU MINISTRE DES SOLIDARITÉS ET DE LA SANTÉ,
CHARGÉE DE L’AUTONOM
IE
Par courrier en date du 22 novembre 2021, vous nous avez adressé
le chapitre du rapport annuel de la Cour, intitulé « les EHPAD face à la
crise sanitaire (Janvier 2020-Juillet 2021) ».
La cour confirme le lourd bilan humain dans les EHPAD causé par
la crise sanitaire et s’interroge sur les liens entre les fragilités structurelles
identifiées dans ces établissements et le niveau de ce bilan. La vétusté des
bâtiments liée à un sous-investissement chronique depuis deux décennies,
l’insuffisante médicalisation ou la faible attractivité des métiers et du
niveau de formation sont ainsi identifiés dans votre rapport comme des
possibles facteurs de fragilités structurelles.
Vous
formulez
en
conclusion
trois
recommandations
qui
encouragent les partenariats entre les EHPAD et les établissements de
santé, favorisent l’insertion des EHPAD dans un réseau territorial et
invitent à accélérer les réformes structurelles par les différents leviers que
sont les CPOM, les autorisations et la tarification.
Le rapport insiste en premier lieu sur la forte réactivité du ministère
et des ARS dans le soutien aux EHPAD face à une crise sanitaire sans
précédent. Celle-ci est en effet notable, tant dans la gestion quotidienne de
la crise sanitaire, avec l’édiction de protocoles à destination des
directeurs, la réalisation d’une campagne de vaccination à grande échelle
des résidents, que sur le volet financier dans la compensation des surcouts
liés à la crise sanitaire ou des pertes de recettes des établissements. Sur ce
dernier point, l’aide financier de l’Etat aux établissements s’élève à
2
milliards d’euros entre 2020 et 2021, dans le cadres de
s différentes
instructions budgétaires pour établissements médico-sociaux, la dernière,
N° DGCS/5C/DSS/1A/CNSA/DESMS/2021/229 datant du 16 novembre
2021 consacrant 230 millions d’euros supplémentaires en mesures
exceptionnelles d’accompagnement liées à la
crise sanitaire.
Il souligne aussi cette réactivité au niveau des revalorisations
salariales ou des programmes d’investissement engagés dans le cadre des
mesures du Ségur de la santé, tout en soulignant la nécessité des réformes
structurelles pour mieux prendre en charge des personnes âgées de plus
en plus dépendantes, en leur sein.
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LES PERSONNES ÂGÉES HÉBERGÉES DANS LES EHPAD
97
Ces réformes profondes pour améliorer la prise en charge en
établissement ont été engagées dès avant la crise, mais cette dernière a
accéléré le mouvement pour faire évoluer le modèle des EHPAD, dont les
fragilités ont été particulièrement mises en exergue pendant cette période,
malgré le dévouement exemplaire du personnel.
Concernant les ressources humaines, il convient d’ailleurs de citer
à ce titre le plan de mobilisation
nationale en faveur de l’attractivité des
métiers du grand-âge 2020-2024, issu du rapport El Khomri et lancé à
l’automne 2020 par le ministère délégué à l’autonomie. Ce plan, qui
intègre de puissantes revalorisations salariales pour tout le secteur
(établissements et domicile), vise à agir sur tous les leviers pour améliorer
l’image et l’attractivité de ces métiers, dont le besoin de recrutement est
estimé à 350 000 dans les prochaines années.
C’est ainsi par exemple qu’une campagne de communication
organis
ée par le ministère délégué à l’autonomie en septembre dernier
pour valoriser les métiers du grand âge, visait à susciter des vocations,
alors que les quotas de formation ont été augmentés dans les écoles
concernées, tandis que l’apprentissage se développe
et les filières courtes
de formation. Tous ces efforts, salués par les acteurs, s’inscrivent dans la
continuité de la circulaire interministérielle du 9 octobre 2020 relative à
la mise en place d'une campagne de recrutement d'urgence sur les métiers
du grand âge.
Un engagement de développement des emplois et compétences
(EDEC des métiers du grand âge de l’autonomie) a également été signé
le
20 octobre 2021, entre l’État, les branches professionnelles et les OPCO
pour soutenir le secteur dans le déploiement
d’une politique de
recrutement et de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
Ce plan métiers, dont les premiers résultats sont tangibles, mérite
d’être poursuivi et étendu, pour conforter un partenariat actif avec les
acteurs du service pub
lic de l’emploi, ou encore conserver des marges de
manœuvre sur les rémunérations afin d’optimiser le recours aux
professionnels dans des établissements à forte vacance.
Sur le sujet de l’encadrement médical, la loi de financement de la
sécurité sociale 20
22 acte un renforcement du taux d’encadrement en
EHPAD : augmentation du temps de médecin coordinateur en EHPAD
avec le passage à un seuil minimal de 0,4 ETP soit deux jours de présence
pour tous les EHPAD et l’augmentation d’un jour pour chaque seuil ;
ab
ondement des crédits dédiés aux astreintes d’infirmier de nuit en
EHPAD, en vue d’atteindre une nouvelle étape (2/3 des EHPAD couverts)
en 2022, avant généralisation en 2023. Par ailleurs, suite aux
enseignements de la crise, la LFSS 2022 acte le déploieme
nt d’équipes
mobiles de gériatries et équipes mobiles d’hygiène en EHPAD dès 2022.
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98
Concernant l’investissement et l’amélioration des conditions
d’hébergement dans les EHPAD, le rapport souligne les investissements
sans précédents pour le numérique et l’imm
obilier avec la dotation de
1,5
Md€ pour la rénovation de places dans les EHPAD et l’investissement
de 600 millions pour l’intégration de nouvelles solutions numériques dans
les établissements médico-sociaux.
La programmation pluriannuelle doit viser une transformation en
profondeur des modalités d’accompagnement et de soutien de l’autonomie
des personnes âgées, s’inscrivant dans une approche transversale et
territorialisée des politiques de santé. Concernant plus spécifiquement les
EHPAD, un certain nombre de thématiques sont fixées, sur lesquelles
l’attention
des
ARS
est
attirée
pour
la
sélection
des
projets
d’investissement, qui permettront de faire émerger une nouvelle génération
d’établissements, caractérisée par le sentiment d’être chez soi et
l’humanisation,
l’ouverture
à
la
vie
sociale du
territoire,
une
médicalisation renforcée pour accompagner les nouvelles pathologies
accueillies et la structuration de filières gérontologiques locales, comme
la crise en a souligné le besoin. À ce titre, et dans le cadre des enveloppes
« Ségur » dédiées à l’investissement, la CNSA a mis en place le laboratoire
de l’offre de demain » apportant auprès des ARS et des opérateurs un appui
technique, dans le cadre de ces orientations stratégiques nationales.
Du reste, le rapport pourrait mentionner également le rôle des
conseils départementaux, compétents sur les tarifs d’hébergement en
EHPAD pour accompagner et compléter cet effort de l’
État en faveur de
la modernisation et de l’évolution de ce réseau d’établissements.
Si nous souscrivons enfin aux différentes recommandations émises
dans le cadre du rapport, elles doivent prendre en compte l’évolution
nécessaire du modèle des EHPAD en les positionnant, en tant que centres
ressources territoriaux, en appui des acteurs du territoire, y compris
sanitaires et en soutien du virage domiciliaire, conformément aux
orientations de la réforme de l’autonomie.
La principale leçon à tirer de la crise sanitaire sur le modèle de
prise en charge dans les EHPAD est bien l’évolution souhaita
ble vers une
capacité d’appui et d’interaction renforcée des établissements avec les
acteurs locaux, prenant en compte la dynamique des parcours, la mutation
de l’organisation des soins de proximité avec l’émergence des CPTS et des
dispositifs d’appui à la
coordination.
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LES PERSONNES ÂGÉES HÉBERGÉES DANS LES EHPAD
99
Il reste en effet à approfondir les sujets de coopération entre
établissements, avec la nécessité que les ARS proposent aux conseils
départementaux de travailler en étroite concertation sur un schéma territorial
partagé de l’offre d’EHPAD
et de ses perspectives de transformation.
Pour cela, les outils de contractualisation (CPOM) devront être en
effet mieux utilisés. La négociation et la conclusion d’un CPOM est un
processus
nécessitant
plusieurs
mois
afin
d’aboutir
à
une
contractualisation engageante et de qualité. Le cadre du CPOM doit
permettre d’instaurer un dialogue de gestion rénové, visant à dépasser le
strict cadre des questions budgétaires et financières pour porter plus
largement sur l’évolution des modes d’accompagnement des pers
onnes et
leurs incidences organisationnelles et structurelles pour les ESSMS.
Je tiens également à porter à la connaissance de la Cour qu’une
feuille de route ministérielle a enfin été lancé en décembre 2021 portant
sur le chantier de la médicalisation des EHPAD, corolaire de la priorité
donnée au virage domiciliaire dans l’accompagnement de la perte
d’autonomie des personnes âgées. Elle vise à tirer les enseignements de la
crise sanitaire et s’appuiera sur les recommandations du rapport de
mission sur les profils de soins en USLD et EHPAD remis le 5 juillet 2021
par les Professeurs Claude Jeandel et Olivier Guérin. Au travers d’une
vingtaine de mesures, cette feuille de route proposera l’évolution des
réponses sanitaires et médico-sociales dès lors que le maintien au domicile
n’est plus possible et notamment la question du tarif soin global en
EHPAD, la question de la prescription médicale en EHPAD ou le
regroupement des établissements et services pour personnes âgées publics
au sein de groupement territoriaux en lien avec les établissements
hospitaliers, parmi d’autres sujets.
Enfin, des travaux importants ont été menés pendant la crise sur les
différents sujets éthiques comme la liberté de circulation dans les EHPAD
ou le dialogue avec les familles. Cela a permis la production de documents
repères pour les professionnels et d’amorcer la réflexion sur de nombreux
chantiers à approfondir comme la réforme nécessaire des conseils de la
vie sociale, afin de renforcer la place des familles et des résidents dans la
gouvernance des établissements.
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