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Le 2 décembre 2021
Le Premier président
à
Monsieur Gérald Darmanin
Ministre de
l’intérieur
Réf. : S2021-2194
Objet
: Le plan de vidéoprotection de la préfecture de police de Paris
En application des dispositions de l’article
L 111-3 du code des juridictions financières,
la Cour a examiné le plan de vidéoprotection de la préfecture de police de Paris (PVPP).
À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de
l’article R.
143-11 du même code, d'appeler votre attention sur les observations et
recommandations suivantes.
Initialement conçu pour déployer 1 000 caméras sur le territoire parisien et faciliter les
interconnexions avec d’autres systèmes existants, le
PVPP a été décidé en 2010. Conçu pour
être un outil au service de la sécurité publique, aux objectifs pluriels (circulation et sécurité
routière, ordre public, protection des institutions, prévention de la délinquance, secours aux
personnes), il fait l’objet d’un contrat de partenariat d’une durée de 16 ans avec la société IRIS
PVPP,
créée pour l’occasion
,
et regroupant deux filiales d’ENGIE et d’EDF
(INEO et
CITELUM). Conclu pour un montant de 225,1
M€, il atteint, au 31
décembre 2020, 343
M€.
L’estimation du coût complet à terminaison du projet est de 433 à 481
M€ en fonction des
scénarios retenus.
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1.
LE PLAN DE VIDÉOPROTECTION DE LA PRÉFECTURE DE POLICE A
CONNU DEPUIS 2015 UN DÉVELOPPEMENT ACCÉLERÉ QUI DOIT À
PRÉSENT
FAIRE L’OBJET D’
UNE STRATÉGIE EXPLICITE
Au cours de ses dix
ans d’existence, le
PVPP a connu deux phases distinctes : de 2010
à 2015, la conception et la réalisation du système par le titulaire du contrat, puis la prise en
main progressive de l’outil par les services de police
; à partir de 2015, suite aux attentats
terroristes et aux crédits déployés en réponse à ceux-ci (plan de lutte anti-terroriste, pacte de
sécurité, plan tourisme), le PVPP change de dimension. Son périmètre est désormais régional
avec la construction d’un réseau
propre de fibre optique, destiné à faciliter les interconnexions.
De plus, doté de technologies plus sophistiquées, le parc de caméras a plus que triplé, et il
s’est progressivement densifié sur le territoire de la capitale.
Bilan du Plan de vidéoprotection de la préfecture de police de Paris (fin 2020)
Source :
Cour des comptes d’après la préfecture de police de Paris
Dans le même temps, les usages se multiplient, et les directions actives, principales
utilisatrices, que sont la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne
(DSPAP), la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) et la d
irection régionale de
la police judiciaire (DRPJ) considèrent l’utilisation de la vidéoprotection comme le
prolongement naturel de leur activité quotidienne. Les perspectives de développement
apparaissent importantes, en raison des Jeux Olympiques de 2024 et, de façon structurelle,
des innovations qui devraient permettre une utilisation automatique du système (détection
automatique de situations anormales, aide à l’enquête notamment).
A l’occasion de
la transformation de la direction opérationnelle des services techniques
et logistiques (DOSTL) en direction de l’innovation, de la logistique et des technologies (DILT),
en 2019, le PVPP a été confié à une direction de programme rattachée directement au
directeur de la DILT. Cependant, le projet reste conduit à un niveau technique. Or son ampleur,
les transformations opérationnelles et organisationnelles qu’il implique
, nécessitent un
changement de portage. La préfecture de police aurait tout intérêt à mettre en place une
gouvernance de niveau stratégique impliquant un suivi du projet par le préfet,
secrétaire
général de l’administration
, et réunissant les directions de soutien et les directions
actives de la préfecture.
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Cette participation des directions actives est en outre indispensable à la bonne prise
en compte des besoins opérationnels qui,
in fine
, justifie l
’efficacité
de cet investissement
onéreux. La définition, au plus haut niveau, de cette stratégie permettrait également de prévoir
un financement adapté des objectifs poursuivis.
Enfin, dans le domaine évolutif de la vidéoprotection qui voit s’élargir le potentiel
d’utilisation du système, la préfecture de police devrait s’attacher à formaliser une doctrine
d’emploi de l’outil PVPP et à
accentuer la professionnalisation de ses utilisateurs. La réflexion
sur la doctrine d’emploi permettrait
, par ailleurs,
d’alimenter la stratégie globale
en matière de
sécurité
à l’échelle de la préfecture de police et les réflexions sur les finalités de la
vidéoprotection au niveau national. Elle
pourrait utilement s’accompagner d’une démarche
plus proactive en matière d’innovation qui gagnerait, elle aussi, à être portée à un haut niveau
opérationnel.
2.
DU POINT DE VUE CONTRACTUEL, IL APPARAÎT NÉCESSAIRE
D’ANTICIPER LE
RENOUVELLEMENT DU CONTRAT PRÉVU EN 2026
Le PVPP s’est
appuyé sur un contrat de partenariat public-privé. Le recours à ce type
de contrat et son mode de financement se sont révélés inadaptés et coûteux et il est
recommandé de ne plus recourir à ce type de contrat après 2026, pour une prestation aussi
évolutive géographiquement et fonctionnellement. Les avantages mis en avant dans
l’évaluation préalable ne
se sont en effet pas matérialisés, tandis que la préfecture de police
a dû faire face à des surcoûts. À
titre d’exemple, la
livraison des travaux
en retard n’a pas eu
pour effet d’infliger une pénalité au prestataire mais, au contraire
, de lui verser une indemnité
de 1,4
M€.
Pendant plus de dix ans, à travers l’émission de nombreux ordres d’exécution, la
réalisation du PVPP n’a pas donné lieu aux mises en concurrence qui,
en principe, permettent
de réduire les coûts. Ces amendements importants, justifiés notamment par les circonstances
de la menace terroriste,
ont conduit à changer le périmètre et l’ample
ur du projet PVPP, si bien
que le montant du marché estimé initialement à 225,1
M€
sera au minimum de 343
M€
, soit
une augmentation de 52,4 %.
Tout au long du contrat, le contrôle du prestataire a été insuffisant et il est à présent
indispensable que le préfet de police procède rapidement à un audit approfondi de ses
comptes.
Malgré un effort récent, la préfecture de police doit également
mettre en œuvre toutes
les clauses du marché à sa disposition pour renforcer les prestations d’IRIS.
Parallèlement, le
niveau de performance, la disponibilité et la résilience du système, imaginés en 2010, doivent
évoluer. Si une nouvelle architecture budgétaire, qui intègre le PVPP dans le programme
216 -
Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur,
a été instaurée récemment, elle
n’a pas
encore permis un renforcement du contrôle du PVPP.
Un ensemble de besoins supplémentaires,
à l’instar de l’intelligence artificielle
(vidéo-intelligence) ou liés aux Jeux Olympiques et paralympiques (JOP) de 2024 ont été
recensés dans une étude commandée à un prestataire en 2019. En fonction des différents
scénarios issus de cette réflexion et de compléments identifiés depuis, le coût complet du
projet PVPP sur la période 2011-2026 oscillerait entre 433
M€
et 481
M€.
Un travail de fond reste à mener par la préfecture de police pour élaborer un plan de
financement précis qui tient compte des possibilités contractuelles,
et s’assurer de sa
soutenabilité à moyen terme.
En particulier, l’impact des JOP sur le PVPP
doit être apprécié
avec discernement, sans entrainer de dépenses disproportionnées. Au-delà des crédits du
plan de relance, mobilisés pour améliorer la sécurité du système de vidéoprotection, la
participation de la Ville de Paris à travers une redevance devrait figurer parmi les sources de
financement.
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Dans un même temps,
et en tirant les leçons de plus de 10 ans d’exploitation du
système, la préfecture de police doit dès à présent concevoir la poursuite et le développement
du PVPP, une fois le contrat de partenariat terminé en 2026.
3.
LA RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DU PVPP ET SES USAGES PEUVENT
ÊTRE AMÉLIORÉS
Comme le soulignait déjà la Cour, dans des travaux passés ou récents au niveau
national
1
, l’absence d’évaluation de l’efficacité et de l’efficience du PVPP persiste depuis 2010.
Les directions actives, qui, pour certaines, n’y voient pas d’intérêt opérationnel, ne
comptabilisent pas leur utilisation du PVPP et les données de la performance opérationnelle
du système d’information (taux d’utilisation des caméras, des postes, profils d’habilitations,
etc…) ne sont pas exploitées.
Au-
delà d’exemples emblématiques d’utilisation du PVPP dans
certaines affaires, la préfecture de police ne dispose ni de données agrégées quant à ces
utilisations, ni d’indicateurs
permetta
nt d’
en
apprécier l’efficacité
.
Cette lacune entrave la capacité de la préfecture à optimiser l’usage du PVPP
et à
s’assurer de la bonne répartition des dispositifs de vidéoprotection
dans l’espace public
.
Ceux-ci
se concentrent aujourd’hui dans les arrondissements centraux de Paris et les
principaux axes de circulation comme l’avenue des Champs Elysées
, et non pas dans les
zones les plus criminogènes de la capitale. On compte ainsi moins de 1 caméra pour 1.000
habitants dans les 15
ème
et 20
ème
arrondissements, contre plus de 11 dans le 1
er
et plus de 9
dans le 8
ème
arrondissement.
Carte n° 1 :
Répartition des caméras de vidéoprotection par arrondissement de Paris
Source : Cour des comptes à partir de données du PVPP
1
Cour des comptes,
Les polices municipales
, rapport public thématique, octobre 2020.
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Avec le développement des technologies de traitement automatique des flux vidéos, la
préfecture
de
police
a
lancé
quelques
expérimentations
–
notamment
avec
la
vidéo-verbalisation semi-automatique de la circulation sur les voies de bus
–
sans que leurs
résultats soient à la hauteur des attentes des opérationnels. Les potentialités du PVPP, qui
permet de décupler la capacité de surveillance, à bien moindre coût
qu’avec des moyens
humains, n’ont pas été pleinement exploitées.
Compte tenu des potentialités de ces technologies, l’évaluation et le suivi de ces
expérimentations
n’ont pas rassemblé
les éléments probants, qui permettraient de lever les
freins réglementaires, financiers et opérationnels qui les limitent. Un effort au plus haut niveau,
doit être conduit dans ce domaine.
4.
LE CADRE JURIDIQUE DOIT ÊTRE RAPIDEMENT RENOUVELÉ ET UN
CONTRÔLE INTERNE ROBUSTE INSTITUÉ
4.1
Un cadre juridique aujourd’hui
inadapté
La
réglementation relative à la vidéoprotection sur l’espace public a été définie dans
les années 1990 et n’a pas été modifiée pour tenir compte des évolutions de
s technologies,
des pratiques, ou d
e l’environnement juridique
.
Il apparaît désormais urgent de la réformer.
Plusieurs dispositions de Code de la sécurité intérieure sont obsolètes par rapport à
certains outils devenus d’usage courant. Surtout,
le
Code n’a pas encore tiré les
conséquences du nouveau cadre juridique relatif à la protection des données à caractère
personnel entré en vigueur en mai 2018
2
. Comme l’a récemment rappelé la
Commission
nationale de l’informatique et des libertés
(CNIL)
3
, le cloisonnement entre le régime de la
vidéoprotection et celui de la protection des données à caractère personnel doit être remis en
cause.
Par ailleurs, le cadre légal
4
n’identifie pas la gestion du maintien de l’ordre comme
finalité de la vidéoprotection, alors que la DOPC
l’utilise fr
équemment à cette fin. De même, le
Code de la sécurité intérieure n’évoque pas explicitement l’élucidation à des fins judiciaires
comme finalité de la vidéoprotection. Ces décalages entre la réalité des usages du PVPP et
le cadre légal sont dus au fait que le PVPP constitue une exception par rapport au schéma
habituel
d’une vidéoprotection mise en œuvre
au niveau de la police municipale.
La situation particulière de Paris n’a été clarifiée au plan juridique que très tardivement,
puisqu
’il a fallu attendre
la loi du 25 mai 2021
5
pour conférer
une base légale à l’accès des
agents de la Ville aux enregistrements du PVPP, alors que cette pratique s’était établie dès
l’origine.
4.2 Un contrôle interne lacunaire
Le contrôle du PVPP repose à la fois sur des acteurs externes et internes.
La commission départementale de vidéoprotection, dans laquelle le préfet de police
est à la fois le pétitionnaire et le responsable de l’autorisation,
n’exerce pas de contrôle
a posteriori
et celui-ci ne peut reposer exclusivement sur la CNIL.
2
Règlement dit « RGPD
» d’avril 2016
; directive dite « police-justice
» d’avril 2016.
3
Délibération du 26 janvier 2021
portant avis sur une proposition de loi relative à la sécurité globale.
4
Article L. 251-2
du Code de la sécurité intérieure.
5
Loi
N° 2021-646 DU 25 MAI 2021
pour une sécurité globale préservant les libertés.
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De plus, l’évolution
indispensable de la réglementation nationale, mentionnée au point
précédent,
aura pour conséquence de revaloriser l’importance du contrôle interne
à travers,
par exemple, la fonction de délégué à la protection des données, conformément aux
dispositions de droit exigées en la matière. La préfecture de police doit repenser son dispositif
de contrôle interne en procédant, au préalable, à une analyse des risques qui fait toujours
défaut.
Sur cette base, elle devra définir les niveaux de contrôle pertinents, et la répartition des
rôles entre les différents acteurs. Ce dispositif de contrôle ne saurait se confronter avec
l’encadrement hiérarchique
.
Enfin, la préfecture de police aurait tout intérêt à se doter d’outils automatisés au
service du contrôle interne,
afin de mieux aider à la détection d’utilisations non conformes. Ces
outils viendraient en soutien des différents niveaux de contrôle, mais également des directions
actives de la préfecture de police
, pour mieux analyser l’utilisation d
e la vidéoprotection.
La Cour formule donc les recommandations suivantes :
Recommandation n° 1
: (préfet de police de Paris) : recentrer le rôle de la direction de
programme sur la supervision stratégique du PVPP en priorisant ses objectifs et formaliser les
rôles des directions support et actives de la préfecture de police de Paris et du ministère de
l’intérieur dans la conduite de la stratégie de la vi
déoprotection ;
Recommandation n° 2
: (m
inistère de l’intérieur)
établir un plan de financement des
dépenses liées au projet PVPP jusqu’en 2026 et lancer les procédures de mise e
n concurrence
qui en découlent, proscrire le recours à un contrat de partenariat après 2026 en remplacement
du contrat existant ;
Recommandation n° 3
: (préfet de police de Paris
–
maire de Paris) réviser la convention sur
la vidéoprotection entre la préfecture de police et la Ville de Paris afin de mettre en place une
contribution financière de la part de la Ville de Paris pour l’utilisation des caméras
;
Recommandation n° 4
: (préfet de police de Paris)
se doter d’une doctrine d’emploi
du PVPP
et de la vidéo en général pour la préfecture de police avec des objectifs ;
Recommandation n° 5
: (préfet de police de Paris) engager sans tarder une évaluation de
l’efficacité du PVPP dans la prévention de la délinquance et l’élucidation des dél
its ;
Recommandation n° 6
: (m
inistère de l’intérieur)
proposer une réforme du cadre juridique de
la vidéoprotection afin de tirer les conséquences de l’évolution de la réglementation
européenne et d’accompagner voire anticiper les évolutions technologiq
ues.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez
donnée à la présente communication
6
.
6
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante
:
greffepresidence@ccomptes.fr
(
cf.
arrêté du 8
septembre 2015 modifié portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).
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Je vous rappelle qu’en
application des dispositions du même code :
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances
et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de
l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accom
pagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site
internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L.
143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez
à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur
présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour
selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et
votre administration.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici