ENTITÉS ET POLITIQUES PUBLIQUES
LA PRÉVENTION
DE LA PERTE
D’AUTONOMIE
DES PERSONNES
ÂGÉES
Construire une priorité partagée
Rapport public thématique
Synthèse
Novembre 2021
2
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
g
AVERTISSEMENT
Cette synthèse est destinée à faciliter la lecture et l’utilisation du
rapport de la Cour des comptes.
Seul le rapport engage la Cour des comptes.
Les réponses des administrations, des organismes et des collectivités
concernés figurent à la suite du rapport
.
3
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Sommaire
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5
1
La situation actuelle : on vit plus vieux en France
qu’ailleurs mais pas nécessairement en meilleure santé
7
2
La dispersion des intervenants prive de ses effets opérationnels
une politique pourtant consensuelle sur le fond
11
3
Mieux structurer la prévention
15
Recommandations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
5
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Introduction
La prévention de la perte d’autonomie a été amplement abordée depuis
dix ans, dans des travaux parlementaires
1
, ceux de chercheurs et spécialistes
d’horizons divers et dans des rapports administratifs . Les analyses sont souvent
convergentes, notamment pour souligner l’importance du vieillissement
prévisible de la population mais aussi l’aspiration de celle-ci à vivre, de manière
autonome, à domicile, le plus longtemps possible .
Cependant, les acteurs de la prévention sont dispersés et leurs interventions
sont souvent concurrentes . Cette situation est à l’origine d’une insuffisance
marquée d’efficacité de cette politique et d’une forme d’inertie des acteurs . Le
présent rapport vise à identifier et analyser les points de blocage, puis à tracer
les pistes susceptibles de remédier à ce défaut d’efficacité .
1
Dont le rapport d’information de M . Bernard Bonne et Mme Michelle Meunier au nom de la
commission des affaires sociales du Sénat (mars 2021) .
7
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
1
La situation actuelle : on vit plus
vieux en France qu’ailleurs mais pas
nécessairement en meilleure santé
L’enquête de la Cour se situe en
amont
de
la
perte
d’autonomie
puisqu’elle traite de sa prévention . En
termes médico-sociaux, la cible ainsi
visée est celle des personnes encore
autonomes pour les actes essentiels
de la vie (GIR 6)
2
ou nécessitant
seulement
une
aide
ponctuelle
(GIR 5) . Des comparaisons ont été
menées avec sept autres pays et la
Cour s’est également appuyée sur un
comité d’experts .
La
population
française
vieillit,
comme celle des pays de l’OCDE
en général et ce vieillissement va
s’accélérer avec l’arrivée des classes
nombreuses du
baby boom
à l’âge
où survient le plus souvent la perte
d’autonomie, soit au-delà de 85 ans .
La France comptait 100 centenaires
en 1900, 1 120 en 1970 ; ils sont
actuellement 26 300 et approcheront
200 000 en 2060 .
Bien qu’elle augmente statistiquement
avec l’âge (cf . graphique suivant), la perte
d’autonomie n’est pas la conséquence
inéluctable
du
vieillissement .
Par
conséquent sa prévention est à la
fois indispensable, compte tenu de
l’évolution démographique attendue,
et réalisable .
2
Les degrés de perte d’autonomie sont classés en six groupes iso-ressources (GIR) auxquels
correspondent des besoins d’aides différents . Seuls les GIR 1 à 4 ouvrent droit à l’APA . La
personne relevant des GIR 5 (besoin d’une aide ponctuelle pour la toilette, la préparation des
repas et le ménage) ou 6 (encore autonome pour les actes essentiels de la vie courante) n’a pas
droit à l’APA mais peut demander une aide à sa caisse de retraite .
8
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Prévalence de la perte d’autonomie entre 2007 et 2014 par sexe
Source : Cour des comptes d’après données Drees
Note de lecture : la prévalence d’un score Vie Quotidienne Santé > 40
3
est de 12 % chez
les femmes de 75-79 ans en 2007 contre 10 % en 2014.
En son état actuel, cependant, le
dispositif
français
de
prévention
n’apporte pas la démonstration de son
aptitude à faire face aux problèmes à
venir . Il doit être amélioré .
L’espérance de vie à 65 ans est certes
plus longue en France que dans les
autres pays européens . En revanche,
les années de vie en bonne santé
représentent la moitié seulement de
cette durée espérée alors que bien
d’autres pays – onze en Europe – font
mieux .
La situation actuelle : on vit plus vieux
en France qu’ailleurs mais pas nécessairement
en meilleure santé
0
10
20
30
40
50
60
70
60-64
ans
65-69
ans
70-74
ans
75-79
ans
80-84
ans
85-89
ans
90 ans
ou plus
2014 - Hommes
2007 - Hommes
2014 - Femmes
2007 - Femmes
3
Le « score VQS » est calculé pour synthétiser en un seul chiffre les difficultés rencontrées par les
personnes âgées (limitation fonctionnelle physique, sensorielle, cognitive, maladie chronique) .
Un senior déclarant de fortes limitations pour de nombreuses activités aura ainsi un score VQS
élevé . Une personne ayant un score VQS supérieur à 40 est en situation de perte d’autonomie
(source : M . Brunel – A . Carrère, « Incapacités et perte d’autonomie des personnes âgées en
France : une évolution favorable entre 2007 et 2014 », cahiers de la Drees n° 13, mars 2017) .
9
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
La situation actuelle : on vit plus vieux
en France qu’ailleurs mais pas nécessairement
en meilleure santé
La
Cour
a
calculé
qu’un
gain
d’un an d’espérance de vie sans
incapacité (EVSI) ferait économiser
1,5 Md€ environ dans les dépenses
de l’assurance maladie
4
Outre le
bénéfice individuel et collectif pour
les personnes concernées, ces enjeux
financiers légitiment l’intervention
publique en matière de prévention
de la perte d’autonomie .
Espérance de vie à 65 ans en 2019
Espérance de vie
à 65 ans en 2019
15,9
17,4
19,3
20,8
22,0
Aucune valeur
Source : Cour des comptes d’après données Eurostat
4
La Cour a estimé grâce au modèle Pandore de projection des dépenses de santé, le gain d’une
année d’espérance de vie sans incapacité sur la période 2021-2031 .
En l’absence de données
sur les dépenses médico-sociales moyennes par âge, cette estimation ne prend pas en compte
les économies en matière d’APA, d’hébergement ou d’accueil de jour liées à l’amélioration d’un
an de l’EVSI .
Elle est donc minorée .
11
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Les
acteurs
participant,
sous
une
forme ou sous une autre, à la prise en
charge de la prévention de la perte
d’autonomie
sont
très
nombreux
(conseils
départementaux,
caisses
de retraite, agences régionales de
santé, caisses primaires d’assurance
maladie, Agence nationale de l’habitat,
communes
et
établissements
de
coopération intercommunale, conseils
régionaux, bailleurs sociaux, mutuelles,
associations
nombreuses…) .
Un
début de restructuration a certes
eu lieu en 2015 avec la création,
par
la
loi
d’adaptation
de
la
société
au
vieillissement
(dite
loi
ASV) du 28 décembre 2015, des
conférences des financeurs, présidées
par
les
présidents
des
conseils
départementaux . L’action sociale des
caisses de retraite, quant à elle, a entamé
un processus d’association en « inter-
régimes
5
» . L’ensemble est cependant
encore foisonnant, administrativement
complexe,
désordonné
dans
sa
progression . On ne sait du reste pas
évaluer
le
montant
des
dépenses
engagées au titre de la prévention de
la perte d’autonomie . La Cour l’estime
à près de 1,5 Md€ par an, dont près de
460 M€ pour les « aides techniques »
(fauteuils, déambulateurs, cannes…) de
l’assurance maladie et près de 300 M€
pour l’action sociale de la Cnav) .
La dispersion des intervenants
prive de ses effets opérationnels
une politique pourtant consensuelle
sur le fond
2
5
L’inter-régimes des caisses de retraite consiste en la coordination, à compter de 2011, de la
Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), de la mutualité sociale agricole (MSA) et du
régime social des indépendants (RSI) afin de délivrer une information commune aux retraités
et d’organiser des actions et des ateliers collectifs de prévention .
12
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Des
pans
entiers
de
la
politique
de prévention échappent encore à
la
concertation . Aussi
les
usagers
sont-ils souvent confrontés à une
multiplicité
d’interlocuteurs
et
au
risque bien réel de découragement .
Par
exemple,
la
reconnaissance
mutuelle des classements en GIR entre
caisses de retraite et départements,
prévu par la loi ASV, n’est toujours
pas effective, ce qui conduit à des
évaluations redondantes et à renvoyer
les demandeurs d’un guichet à l’autre .
Autre exemple, les caisses d’assurance
maladie et de retraites ont développé
deux dispositifs différents de sortie
d’hôpital .
Sur le fond, pourtant, il y a des sujets
consensuels .
Quant aux comportements à recom-
mander ou inculquer aux personnes,
on considère communément que les
moments charnières pour infléchir
préventivement
les
habitudes
se
situent, d’une part, vers 40-45 ans et,
d’autre part, au moment du départ en
retraite (par exemple pour l’exercice
physique) . Il faut aussi viser une
activité physique suffisante pour
les personnes âgées, à moduler en
fonction de l’évolution de leur état .
Le défaut de mise en œuvre de la
prescription médicale d’activité phy-
sique adaptée aux patients souffrant
de maladies chroniques, autorisée
depuis 2017 mais qui n’a pas connu le
succès escompté, souligne l’importance
des efforts à produire en ce domaine .
La dispersion des intervenants prive de ses effets
opérationnels une politique pourtant consensuelle
sur le fond
Estimation des dépenses de prévention de la perte d’autonomie
(2019 ou 2020 selon la source)
Source : calculs Cour des comptes d’après données des administrations et
des organismes de sécurité sociale
6
Hors dépenses « habitat et cadre de vie » figurant dans la ligne « Adaptation logements » .
Financeurs
M€
Conférence des financeurs
203
Action sociale Cnav
6
297
Action sociale Agirc-Arrco
135
Action sociale MSA
42
Action sociale CNRACL
130
Action sociale fonction publique de l’État
2,3
Adaptation logement y compris crédits
d’impôts
224
Aides techniques assurance maladie
458
Total
1 491
13
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Il y a aussi consensus pour insister
sur la prévention des chutes des
personnes âgées, cause de plus de
10 000 décès de personnes de plus de
65 ans tous les ans . La France connaît
une incidence des accidents frappant
l’extrémité du fémur plus forte que
le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou le
Danemark . Le surcoût de dépenses de
santé associées à la prise en charge
des « patients chuteurs » dépasse,
selon les travaux menés par le CHU de
Toulouse en collaboration avec la Cour,
0,9 Md€ l’année qui suit l’accident . On
peut agir dans le sens de la prévention,
notamment en limitant la iatrogénie
7
médicamenteuse,
en
aménageant
le domicile, en faisant pratiquer une
activité physique adaptée, mais la
France néglige ce domaine ; elle n’a
d’ailleurs
plus
d’objectif
de
santé
publique en la matière et pas de suivi
centralisé (recommandation n° 2) .
L’objectif,
consensuel
lui
aussi,
de
favoriser le maintien à domicile grâce
à l’adaptation du logement se heurte
à
plusieurs
facteurs
d’inertie
ou
d’inefficience : trop grande complexité
pour les bénéficiaires potentiels, absence
de suivi (ni le besoin ni le nombre de
logements adaptés ne sont connus),
compétence
technique
fragmentaire
des agents chargés des diagnostics à
domicile (recommandation n° 1) .
Enfin, deux domaines de la prévention
n’ont encore fait l’objet que d’une
esquisse de prise de conscience :
la
lutte
contre
l’isolement
des
personnes âgées, générateur de perte
d’autonomie et la sensibilisation des
professionnels de santé au dépistage
des pathologies du grand âge et aux
techniques de maintien des capacités
fonctionnelles (recommandation n° 3) .
La dispersion des intervenants prive de ses effets
opérationnels une politique pourtant consensuelle
sur le fond
7
La iatrogénie est définie comme la conséquence néfaste pour la santé résultant de
l’intervention médicale (erreurs de diagnostic, prescription inadaptée, complications d’un acte
thérapeutique) ou de l’utilisation d’un produit de santé . On note en particulier le lien entre
l’usage des psychotropes et l’occurrence des chutes . Les chercheurs estiment par ailleurs
qu’environ de 400 000 cas de dépendance iatrogène, acquise lors d’un séjour hospitalier,
seraient évitables chaque année chez les personnes âgées de 75 ans et plus .
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Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
L’offre de prévention est actuellement
dispersée
et
inégalitaire .
Il
faut
la repenser . La Cour préconise de
construire
une
offre
graduée
de
services,
qui
comporterait
trois
niveaux :
l
au premier niveau : une informa-
tion générale accessible par des
campagnes
de
communication
grand public, une meilleure articu-
lation entre information nationale
et information des collectivités
territoriales, et la création d’une
plateforme téléphonique d’infor-
mation ;
l
au
deuxième
niveau
:
une
politique « d’aller vers », assortie
de
la
possibilité
d’une
visite
conseil à domicile réalisée par
des professionnels formés aux
problématiques
de
prévention,
pour ceux qui en font la demande ;
l
un troisième niveau, réservé aux
plus précaires socialement ou aux
personnes isolées, avec des plans
d’aide déployés par l’action sociale
des caisses de retraite, qui doit
être, à cet effet, repensée et plus
homogène (recommandation n°4) .
L’amélioration de l’impact de cette
politique imposera de clarifier les
rôles des acteurs locaux et nationaux .
Le pilotage devrait être renforcé pour
assurer l’intégration de la prévention
dans les objectifs fondamentaux de
la branche autonomie . Il est ainsi
proposé de :
l
conforter le département dans son
rôle de chef de file, responsable de
la politique de prévention sur son
territoire, en lien étroit notamment
avec l’agence régionale de santé et
la Caisse d’assurance retraite et de
santé au travail (Carsat) ;
l
au niveau national, permettre à
la CNSA de moduler les crédits
qu’elle verse aux départements,
dans l’objectif d’une plus grande
équité
territoriale,
et
la
doter
de
ressources
suffisantes,
afin
qu’elle assure son rôle de pilote
national
de
la
politique
de
prévention de la perte d’autonomie,
(recommandations n° 5 et n° 6) .
Mieux structurer la prévention
3
17
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Recommandations
1.
Amplifier et suivre l’adaptation
des logements tout en simplifiant
les aides et en uniformisant les
procédures
(ministères des solidarités
et de la santé et du logement)
2.
Définir
un
objectif
de
santé
publique ambitieux de diminution de
l’incidence des chutes et des décès
induits, en donnant aux agences
régionales de santé les outils leur
permettant de mobiliser les leviers
identifiés pour y parvenir, dont un
recueil statistique systématique des
chutes
(ministère des solidarités et
de la santé)
3.
Encourager
les
professionnels
de santé à infléchir leurs pratiques
(détection des signes de fragilité,
prescription
d’activité
physique
adaptée, réexamen de la pertinence
des
médicaments,
etc .)
via
des
incitations financières
(ministère des
solidarités et de la santé et Cnam)
4.
Construire une offre graduée de
prévention de la perte d’autonomie
que le département serait chargé de
mettre en œuvre sur son territoire
(ministère des solidarités et de la
santé)
5.
Moduler les crédits versés par la
CNSA aux départements en fonction
de l’atteinte d’objectifs clairs, dans
l’objectif d’une plus grande équité
territoriale
(CNSA)
6.
Doter la CNSA, pilote national
de
la
politique
de
prévention
de
la
perte
d’autonomie,
des
ressources suffisantes pour mener
à bien ses missions, au besoin par
redéploiement de moyens humains
des caisses nationales de sécurité
sociale et mettre à sa disposition
les données nécessaires, relatives
à l’accès des retraités à l’offre de
prévention, de l’ensemble des caisses
(ministères des solidarités et de la
santé et du budget)