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Le 3 septembre 2021
Le Premier président
à
Monsieur Bruno Le Maire
Ministre de
l’économie, des finances et de la relance
Madame Frédérique Vidal
Ministre de l
’
enseignement supérieur, de la recherche et de l
’
innovation
Réf. : S2021-1699
Objet
: La relation entre
l’
école nationale supérieure des mines de Paris et l
’
association pour
la recherche et le développement des méthodes et processus industriels (Armines)
En
application des dispositions de l’article L.
111-3 du code des juridictions financières,
la Cour des comptes a procédé
au contrôle des comptes et de la gestion de l’
école nationale
supérieure des mines de Paris pour les exercices 2012 et suivants et, en application des
articles L. 111-6 et L. 133-
3 du même code, au contrôle de l’association pour la recherche et
le développement des méthodes et processus industriels (Armines), pour les exercices 2012
et suivants.
À l’issue de ces deux contrôles, la Cour
m’a demandé, en application des dispositions
de l’article R.
143-11 du même code, d
’
appeler votre attention sur les observations et
recommandations suivantes.
L’
école nationale supérieure des mines de Paris (« Mines Paris ») est un établissement
de grand renom, école
d’application de l’École polytechnique
, elle repose sur un modèle
pionnier et original qui se traduit par la forte interaction de ses 18 centres de recherche avec
le monde économique. En matière de recherche partenariale, elle se situe au premier rang
français et parmi les meilleurs mondiaux.
Mines Paris a récemment mis fin à sa communauté de destin avec les autres écoles
des M
ines situées en région. Elle est devenue une composante de l’université Paris Sciences
et Lettres (PSL). L
’Institut Mines Telecom (IMT)
regroupe quant à lui les écoles des Mines en
région ainsi que l’ensemble des écoles des télécommunications, dont Télécom Paris
.
Créée en 1967
sous la forme d’une association
, Armines avait pour vocation de
valoriser la recherche des écoles des Mines.
Aujourd’hui encore, elle héberge l’essentiel des
contrats de Mines Paris et une part importante des contrats de
l’IMT
. Des activités de
recherche sont menées dans des centres communs à Armines et ces deux établissements.
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Cette organisation
est aujourd’hui en cours d’évolution à la suite de la
transformation
de l’École en
établissement public à caractère scientifique culturel et professionnel, du
passage aux responsabilités et compétences élargies (RCE) depuis le 1
er
janvier 2021, de la
dénonciation
à l’été 2019
de la convention historique entre l’État et
Armines et du
désengagement progressif de
l’IMT
compromettent la viabilité du modèle.
1. UN MODÈLE CONFRONTÉ À DES LIMITES
1.1. Les compléments de rémunération versés par Armines aux enseignants
chercheurs de l’
École des Mines : un dispositif à réformer
La Cour constate que les dérives identifiées lors de précédents contrôles
1
concernant
les rétributions complémentaires versées à des enseignants-
chercheurs de l’École par
Armines perdurent. Des « honoraires
», selon la terminologie employée dans l’
École, sont
versés aux enseignants-chercheurs des centres de recherche par Armines. Dans certains cas,
le chercheur,
qui est fonctionnaire de l’
État,
s’est placé sous le statut d’
auto-entrepreneur pour
émettre des factures, réglées par Armines.
En 2019, 2,9
M€ d’honoraires ont été
attribués à 128 bénéficiaires affiliés aux centres
de
l’École, soit une moyenne de 23
000
€ par personne. Les situations des bénéficiaires sont
contrastées : les 10 % les mieux rémunérés reçoivent en moyenne 46 600
€ par an tandis que
les 10 % les moins favorisés reçoivent 6 000
€. Lors de la période sous revue, les honoraires
versés ont diminué de 4,3
M€ en 2012 à 2,9
M€, tout comme le no
mbre de bénéficiaires
passés de 262 à 128 agents. Toutefois le montant moyen accordé par bénéficiaire a augmenté
de 16 400
€ à 23
000
€ (hausse de 40
%), traduisant la préservation de situations acquises,
malgré une situation financière qui s’est
dégradée pour Armines.
La Cour a examiné les critères
d’octroi potentiels
de ces honoraires à partir de données
issues
de l’École, d’
Armines, ainsi qu
e d’archives scientifiques
ouvertes afin de mettre en
regard les montants individuels avec les caractéristiques et les profils professionnels des
bénéficiaires. Ces analyses quantitatives indiquent que les honoraires remplissent des
fonctions différentes. Dans le cas le plus fréquent,
il s’agit d’une prime liée à l’emploi occupé,
voire
à l’ancienneté
,
comme en témoignent les montants recond
uits à l’identique
chaque
année et dans certains cas,
d’
une
prime d’excellence scientifique pour retenir les chercheu
rs
de l’École les plus
réputés. Enfin, ces honoraires sont assimilables à une prime
d’intéressement
pour les personnels qui remportent des contrats avec les entreprises. À cet
égard, la
mise en place d’un système d’intéressement conforme aux dispositions du décret
n° 2010-619 du 7 juin 2010
2
et à l’article L.
952-
4 du code de l’éducation
3
s’impose.
Les
conventions successives entre l’École et
Armines prévoient que, dans le cadre de
ses activités de recherche, Armines puisse faire appel à des consultants, parmi lesquels les
agents de Mines Paris « en dehors de leurs obligations de service »
4
. Aucun outil de suivi des
temps n’ayant été mis en place
, il est cependant impossible de déterminer si, le cas échéant,
ces activités se déroulent bien en dehors des obligations de service des enseignants
chercheurs de l’École
. A
ucune autorisation de cumul d’activité
accessoire
5
n’est
en outre
délivrée par l’École
et des contrats sont signés entre Armines et le chercheur, sans mention
précise des prestations réalisées et des montants versés.
1
Lors de son précédent contrôle de Mines Paris en 2011, la Cour recommandait déjà de « modifier la politique de
versement d’honoraires par
Armines
en la rendant plus transparente et mieux encadrée par la direction de l’école
et par Armines. Une politique
d’intéressement aux contrats industriels pourrait être étu
diée, conformément au décret
n° 2010
‐
619 du 7 juin 2010 ».
2
Décret n° 2010-619 du 7 juin 2010
fixant les modalités de l’in
téressement des personnels de certains
établissements publics relevant du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pour services rendus
lors de la participation à des opérations de recherche scientifique ou de prestations de services.
3
Article L. 952-
4 du code de l’éducation
.
4
Article 25.V de la
loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée
, et
décret n° 2017-105 du 27 janvier 2017
relatif à
l
’
exercice d'activités privées par des agents publics et certains agents contractuels de droit privé ayant cessé leurs
fonctions, aux cumuls d
’
activités et à la commission de déontologie de la fonction publique
5
En application du décret n° 2017-105 du 27 janvier 2017 précité.
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1.2. Un système qui ne répond pas toujours aux exigences de la bonne gestion
Les dépenses corresponda
nt à l’exécution des
contrats de Mines Paris
et d’
Armines
sont gérées par les chefs des centres de recherche. Les contrôles de la Cour montrent
qu’
Armines
, Mines de Paris et l’IMT n’ont formalisé aucune procédure relative à la répart
ition
des investissements et des frais de maintenance relatifs à ces contrats. La Cour observe
également
qu’aucune règle d’encadrement
des achats, des frais liés aux missions, réceptions,
voyages et dép
lacements n’a été mise en place par
Armines.
S’agissant d
u
système d’information
relatif à la gestion des contrats et prestations, la
Cour constate que les fonctions informatiques
d’
Armines et de Mines Paris sont partagées.
Lancé en 2015, le projet de refonte du
système d’information
pour une gestion davantage
optimisée
s’élève à 4
M
€
. Les coûts liés à ce projet sont élevés au regard du budget
d’
Armines
(chiffre d’affaire
s de 32,1 M
€ en 2019
) et de la baisse de
l’activité observée
dès 2017.
Dans le domaine de la valorisation de la recherche, Armines
et l’École privilégient
de
longue date une stratégie fondée sur la commercialisation de logiciels. Armines est
l’actionnaire de référence à plus de 49
% de Transvalor,
société d’édition de logiciels
spécialisés dans la simulation des procédés de mise en forme des matériaux. Le portefeuille
de Transvalor est vieillissant et peu diversifié, malgré les atouts
de l’
École dans de nombreux
domaines scientifiques. Il conviendrait de revitaliser la gamme de logiciels commercialisés par
Transvalor de manière à résoudre la contradiction observée entre les connaissances nouvelles
produites dans les centres de recherche et le portefeuille des logiciels de Transvalor.
2.
L’IMP
ÉRIEUSE NÉCESSITÉ DE TRANSFORMER ARMINES
La diminution de l’activité d’
Armines notamment
liée au retrait progressif de l’IMT et
à
des divergences de vues a généré des tensions entre Armines
et l’École
. En novembre 2020,
l
’École et
Armines ont
saisi la tutelle d’une demande d’avis sur la possibilité d’un
« maintien
du statut associatif loi 1901
d’
Armines avec une modification profonde des statuts de
l’association et placer
Armines
sous contrat de quasi-
régie de l’école des Mines ».
La
qualification de quasi-régie est issue du droit de la commande publique et constitue une
dérogation au principe de mise en concurrence. Elle autorise un organisme public à faire appel
à une entité pour la réalisation d’une prestation, sans mise en concurrence, si e
lle exerce sur
elle un contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services, et si le délégataire réalise
au moins 80 % de son activité en sa direction. Ce choix apparaît risqué et doit être comparé à
d’autres solutions.
2.1. Une situation de risque juridique
La direction des affaires juridiques (DAJ) du
ministère de l’économie, des finances et
de la relance, dans une note en février 2021, a rendu un avis qui met en évidence les risques
d’un tel projet
. Pour la Cour, cette option apparaît également dénuée de base juridique sûre.
Elle
présente un degré de complexité élevé et confronterait l’
école et les gestionnaires de
l’association
à un risque de maniement de deniers publics dans des conditions hasardeuses.
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Dans
l’
hypothèse
retenue par l’
École et Armines, le maintien du statut associatif
suppose un hébergement des contrats par l’École
6
et un désengagement
rapide de l’IMT
7
.
L
’association devra
modifier en profondeur sa gouvernance pour écarter les acteurs privés
actuels tout en diversifiant les intérêts publics en présence afin de réduire le risque de se voir
qualifiée d’association transparente
8
, que traduit à court terme le recrutement de deux
directeurs communs à l’École et à l’association, celui des affaires financières et celui des
ressources humaines. La requalification
d’
Armines en « association transparente »
comporterait de graves conséquences : les
contrats de travail des personnels d’
Armines
seraient alors assimilés à des contrats de droit public et cette entité serait soumise au droit de
la commande publique, ce qui pourrait entraîner de multiples complications et amoindrirait
l’argument de souplesse mis en avant pour conserver la forme associative
.
2.2.
D’
autres scenarii doivent être étudiés
La gestion des contrats de recherche peut être internalisée ou déléguée à une filiale :
-
L’internalisation de la gestion des contrats de recherche, ou régie directe, permet
trait à
l’établissement d’avoir la pleine maîtrise de la stratégie scientifique et du modèle
économique associé. Ce modèle suppose une structuration interne et des processus
clairement définis pour assurer
le suivi de l’exécution des contrats. La démarche de
mutualisation des fonctions financières et de gestion des ressources humaines engagée
par l’école récemment devrait inciter à une étude
approfondie de cette hypothèse ;
-
La filialisation consisterait en
la transformation de l’association en société anonyme
(SA)
ou société
par actions simplifiée (SAS), permettant de maintenir sous statut p
rivé l’activité
de la structure et son personnel.
Il n’est pas manifeste que cette pratique aujourd’hui
généralisée dans le secteur des grandes écoles et des universités soit inapplicable à
Armines.
2.3. Un modèle économique à réévaluer
Si la loi autorise les établissements publics d
’
enseignement supérieur à mettre à
disposition des moyens matériels, humains ou financiers, le point 3°
de l’article
L. 533-3 du
code de la recherche
9
implique que ces mises à disposition doivent tenir compte de «
l'équilibre
des droits et obligations
» entre les parties. Or un tel équilibre ne semble pas assuré pour
Mines Paris et Armines. Cette dernière ne possède pas de locaux, et la valorisation des
surfaces des centres communs mises à disposition à titre non-
onéreux de l’association n’est
pas intégrée dans son modèle économique
. Les moyens mis à disposition par l’État sont
évalués à haut
eur d’environ 24
M€ pour les dépenses de personnel et frais de
fonctionnement
et de près de 1
M€ pour les locaux
(données figurant en annexe aux comptes 2019 de
l’association
).
S’ajoute à ce risque celui de l’absence d’une valorisation
précise du temps
passé par les chercheurs et personnels fonctionnaires mis à la
disposition d’
Armines.
Ainsi, à l’occasion de la nécessaire transformation d’
Armines
, l’ensemble constitué
autour de l’
École des Mines suppose une refonte complète de son modèle économique.
6
À ce jour, une part significative des contrats en volume sont hébergés par Armines et réalisés au bénéfice
d’entreprises.
7
Entre 30 et 40 % de l'activité d
’Armines
dépend
de l’IMT aujourd’hui.
8
Néanmoins, en se fondant sur les conclusions du rapporteur public relatives à la décision n° C4191 du tribunal
des conflits, la DAJ précise qu’un contrôle exercé y compris par plusieurs personnes publiques ne permettra pas
en soi d’écarter une qualification d’association transparente.
9
Article L. 533-3 du code de la recherche
.
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La Cour formule, dans cette perspective, les recommandations suivantes :
Recommandation n° 1
: d
ans le cadre de l’évolution du statut d’
Armines et du passage aux
RCE, remettre à plat le système des compléments de rémunération liés aux contrats de
recherche, dits « honoraires » ;
Recommandation n° 2
: établir un outil de suivi et de contrôle des obligations de services des
personnels et assurer le respect des procédures relatives aux cumuls de rémunérations ;
Recommandation n° 3
: revitaliser le portefeuille de logiciels commercialisé par Transvalor ;
Recommandation n° 4
: g
érer les nouveaux contrats de recherche de l’
École des mines de
Paris soit directement par elle
, soit au travers d’une filiale
;
Recommandation n° 5
: négocier un transfert du nom, des contrats, des brevets, des
logiciels, des autres éléments de propriété intellectuelle ainsi que des personnels d’
Armines
vers
l’
École ou sa filiale ; placer Armines, dans sa forme associative, en gestion extinctive.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à
l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que
vous aurez donnée à la présente communication
10
.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code
:
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances
et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de
l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site
internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L.
143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez
à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur
présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour
selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et
votre administration.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici
10
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante
:
greffepresidence@ccomptes.fr
(
cf
. arrêté du 8 septembre 2015 modifié portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).