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Cour de discipline budgétaire et financière
Première section
Arrêt du 30 septembre 2021
«
Commune de Saint-Denis de La Réunion
»
N° 252-852
--------------
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
---
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE DISCIPLINE BUDGÉTAIRE ET FINANCIÈRE,
siégeant à
la
Cour des comptes, en audience publique, a rendu l
arrêt suivant
:
Vu le code des juridictions financières, notamment le titre 1
er
de son livre III relatif à la
Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu le code des relations entre le public et l
administration, notamment ses articles
L. 221-14 et R. 221-16 ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la
fonction publique territoriale ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et
comptable publique ;
Vu le réquisitoire du 30 septembre 2019 par lequel la procureure générale a saisi le
Premier président de la Cour des comptes, président de la Cour de discipline budgétaire et
financière, de faits relatifs à la gestion administrative et financière de la Commune de Saint-
Denis de La Réunion, conformément aux dispositions de l
article L. 314-1-1 du code des
juridictions financières ;
Vu la décision du 15 octobre 2019 par laquelle le président de la Cour de discipline
budgétaire et financière a désigné M. Guy Fialon, conseiller maître à la Cour des comptes, en
qualité de rapporteur de l
affaire ;
Vu la lettre recommandée de la procureure générale du 13 mai 2020, ensemble l
avis de
réception de cette lettre, par laquelle, conformément aux dispositions de l
article L. 314-5 du
code des juridictions financières, a été mis en cause, au regard des faits de l
espèce,
M. Gilbert X..., maire de la commune de Saint-Denis de la Réunion de 1989 à 1994 et de 2008
à 2020 ;
Vu la lettre du 14 janvier 2021 du président de la Cour de discipline budgétaire et
financière transmettant au ministère public le dossier de l
affaire après le dépôt du rapport de
M. Fialon, en application de l
article L. 314-6 du code des juridictions financières ;
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Vu la décision du 26 mai 2021 de la procureure générale renvoyant M. X... devant la Cour
de discipline budgétaire et financière, en application de l
article L. 314-6 du code des
juridictions financières ;
Vu la lettre recommandée adressée par la greffière de la Cour de discipline budgétaire et
financière à M. X..., le 2 juin 2021, l
avisant qu
il pouvait produire un mémoire en défense dans
les conditions prévues à l
article L. 314-8 du code des juridictions financières et le citant à
comparaître le 17 septembre 2021 devant la Cour de discipline budgétaire et financière,
ensemble l
avis de réception de cette lettre ;
Vu le mémoire en défense produit le 31 août 2021 par Maître Chevallier dans l
intérêt de
M. X... ;
Vu la lettre du 9 septembre 2021 par laquelle le président de la Cour a autorisé, sur sa
demande, M. Gilbert X... à ne pas comparaître personnellement à l
audience, en application de
l
article R. 314-7 du code des juridictions financières ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Entendu la représentante du ministère public, présentant la décision de renvoi, en
application de l
article L. 314-12 du code des juridictions financières ;
Entendu la procureure générale en ses réquisitions, en application de l
article L. 314-12
du code des juridictions financières ;
Entendu en sa plaidoirie, Maître Chevallier, la défense ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré ;
Considérant ce qui suit :
Sur la saisine et la compétence de la Cour
1.
Aux termes du I de l
article L. 312-1 du code des juridictions financières, est justiciable
de la Cour de discipline budgétaire et financière
«
(…) c) T
out représentant,
administrateur ou
agent des autres organismes qui sont soumis (...) au contrôle d
une chambre régionale des
comptes (...)
»
.
2.
Aux termes du II de ce même article,
«
(…)
ne sont pas justiciables de la Cour à raison
des actes accomplis dans l
exercice de leurs fonctions (...) les maires (...)
»
. Cependant, il est
fait exception à cette disposition par l
article L. 312-2 du code des juridictions financières
lorsque
«
(…)
les personnes mentionnées (...) ont engagé leur responsabilité propre à
l
occasion d
un ordre de réquisition, conformément à l
article L. 233-1, à l
article LO 253-19,
à l
article LO 264-5 ou à l
article LO 274-5 et enfreint les dispositions de l
article L. 313-6
.
»
Cet article L. 313-6 s
applique à «
Toute personne visée à l
article L. 312-1 qui, dans l
exercice
de ses fonctions ou attributions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui
un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la
collectivité ou l
organisme intéressé (...). »
3.
Par une décision du 26 mai 2021, le ministère public près la Cour de discipline
budgétaire et financière a, en application de l
article L. 314-6 du code de juridictions
financières, renvoyé devant la Cour M. Gilbert X..., maire de la commune de Saint-Denis de La
Réunion qui, par une décision du 9 décembre 2015, a adressé un ordre de réquisition au
comptable public. Retenant que le paiement ainsi requis était dépourvu de tout fondement
juridique, avait procuré un avantage injustifié et causé un préjudice à la commune, le ministère
public a estimé que M. X... avait engagé sa responsabilité et était passible des sanctions prévues
par l
article L. 313-6 du code des juridictions financières.
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4.
La commune de Saint-Denis de La Réunion est soumise au contrôle de la chambre
régionale des comptes La Réunion. M. X..., en sa qualité de maire de cette commune, est
justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière en raison du double fait qu
il a
procédé à la réquisition du comptable public dans les conditions rappelées au point précédent
et qu
il lui est reproché d
avoir enfreint les dispositions de l
article L. 313-6 du code des
juridictions financières.
Sur la prescription
5.
Aux termes de l
article L. 314-2 du code des juridictions financières
«
La Cour ne peut
être saisie par le ministère public après l
expiration d
un délai de cinq années révolues à
compter du jour où aura été commis le fait de nature à donner lieu à l
application des sanctions
prévues par le présent titre
»
. Il en résulte que ne peuvent être valablement poursuivies et
sanctionnées dans la présente affaire que les infractions commises moins de cinq ans avant la
date à laquelle le président de la Cour des discipline budgétaire et financière a été saisi par
réquisitoire de la procureure générale, soit les faits commis depuis le 30 septembre 2014.
Sur les faits, leur qualification juridique et l
imputation des responsabilités
En ce qui concerne la réquisition du comptable public par l
ordonnateur
6.
Selon l
article 38 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et
comptable publique alors en vigueur,
«
(…)
lorsqu
à l
occasion de l
exercice des contrôles
prévus au 2° de l
article 19, le comptable public a constaté des irrégularités ou des
inexactitudes dans les certifications de l
ordonnateur, il suspend le paiement et en informe
l
ordonnateur. Ce dernier a alors la faculté de requérir par écrit le comptable public de
payer. »
Aux termes de l
article L. 1617-3 du code général des collectivités territoriales :
«
lorsque le comptable de la commune, (...) notifie sa décision de suspendre le paiement d
une
dépense, le maire (...) peut lui adresser un ordre de réquisition. (...) En cas de réquisition,
l
ordonnateur engage sa responsabilité propre
(…)
».
7.
Par un mandat collectif émis le 7 décembre 2015, pour un montant de 5 235 871,81
,
le maire de la commune de Saint-Denis de La Réunion a demandé au comptable public de payer
la rémunération des agents non titulaires permanents de cette commune pour le mois de
décembre 2015. Par un courrier du 9 décembre 2015, le comptable public a informé le maire
qu
il suspendait le paiement des compléments de rémunération d
agents non titulaires de
catégorie C, inclus dans la somme de 5 235 871,81
, en faisant valoir que les justifications
produites à l
appui du mandat, requises par l
annexe I de l
article D. 1617-19 du code général
des collectivités territoriales, étaient insuffisantes.
8.
À la suite de cette suspension du paiement, le maire a adressé le 9 décembre 2015 au
comptable public un ordre de réquisition de payer les dépenses en cause et émis un nouveau
mandat se substituant au premier ; le comptable public s
y est conformé aussitôt, en application
des dispositions de l
article L. 1617-3 du code général des collectivités territoriales, et après
avoir pris en charge le mandat, a payé les sommes prévues par celui-ci, qui incluaient des
compléments de rémunération pour le mois de décembre 2015 à 1 812 agents non titulaires de
catégorie C de la commune, d
un montant s
élevant à 2 907 705,40
.
9.
En réquisitionnant le comptable de la commune sur le mandat précité, M. X... a, en
application de l
article L. 1617-3 du code général des collectivités territoriales, engagé sa
responsabilité propre en lieu et place de celle du comptable public.
4
En ce qui concerne l
infraction prévue à l
article L. 313-6 du code des juridictions
financières
S
agissant de la méconnaissance des obligations qui s
imposent à l
ordonnateur au sens de
l
article L. 313-6 du code des juridictions financières
10.
La rubrique 210223 de l
annexe I de l
article D. 1617-19 du code général des
collectivités territoriales, relative aux primes et indemnités, dispose que leur paiement doit être
justifié, d
une part par une décision de l
assemblée délibérante fixant la nature, les conditions
d
attribution et le taux moyen des indemnités et, d
autre part par une décision de l
autorité
investie du pouvoir de nomination fixant le taux applicable à chaque agent.
11.
M. X... soutient que la délibération du 12 novembre 2008 du conseil municipal de la
commune de Saint-Denis tendant à l
amélioration du pouvoir d
achat de ces agents justifiait
le paiement en décembre 2015 du complément de rémunération aux agents non titulaires
permanents de catégorie C de la commune, et que ce mandat faisait suite à ceux déjà émis les
années précédentes. Cette délibération prévoyait d
étendre aux agents non titulaires
permanents de catégorie C, le régime indemnitaire des agents titulaires en créant un
complément de rémunération qui devait leur être versé
« sur la base des primes et indemnités
suivantes, dans la limite des taux maximaux : / - l
indemnité d
administration et de technicité
(IAT) pour les filières administrative, technique, sanitaire et sociale, culturelle, sportive et
animation (décret n° 2002-61 du 14 janvier 2002) ; / - l
indemnité d
exercice des missions
(IEM) pour les filières administrative, technique, sanitaire et sociale, sportive et animation
(décret n° 97-1223 du 26 décembre1997) ; / - l
indemnité de sujétions spéciales (ISS), la prime
de service et la prime forfaitaire mensuelle des auxiliaires de puériculture et de soins (décret
n° 98-1057 du 16 novembre 1998).
»
12.
Il résulte toutefois de l
instruction, et il n
est d
ailleurs pas sérieusement contesté par
M. X..., que les agents non titulaires permanents de catégorie C de la commune ont non
seulement perçu les primes et indemnités prévues par cette délibération mais également un
« complément de rémunération » correspondant à un « treizième mois de salaire ». Aucune
délibération de l
assemblée générale n
a cependant été produite instituant ce complément de
rémunération et fixant ses modalités d
attribution et de calcul. De plus, les paiements n
ont
pas été appuyés de décisions individuelles du maire de la commune pour chacun des intéressés.
13.
Il résulte des points précédents que le versement d
un complément de rémunération
aux agents non titulaires permanents de catégorie C, sans respecter les règles applicables en
matière de justification de la dépense, constitue une méconnaissance de ses obligations par
l
ordonnateur.
S
agissant de l
octroi d
un avantage injustifié au sens de l
article L. 313-6 du code des
juridictions financières
14.
Aux termes du premier alinéa de l
article 20 de la loi du 13 juillet 1983 précité :
«
Les
fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement,
l
indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités
instituées par un texte législatif ou réglementaire
»
. Aux termes de l
article 136 de la loi du
26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale :
«
Les agents non titulaires (...) sont régis notamment par les mêmes dispositions que celles
auxquelles sont soumis les fonctionnaires en application des articles (...) 20, premier et
deuxième alinéas (...) du titre 1er du statut général des fonctionnaires de l
Etat et des
collectivités territoriales
»
. Les agents non titulaires des collectivités territoriales ont ainsi
vocation, en application de ces dispositions, à bénéficier d
indemnités pour autant qu
elles
5
aient été instituées par un texte législatif ou réglementaire. Enfin, aux termes de l
article 88 de
la loi du 26 janvier 1984 précitée alors en vigueur :
«
L
assemblée délibérante de chaque
collectivité territoriale ou le conseil d
administration d
un établissement public local fixe les
régimes indemnitaires dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de
l
État (
)
».
15.
Il appartient donc à l
autorité territoriale de fixer, sous le contrôle du juge, la
rémunération des agents non titulaires recrutés sur des emplois pour lesquels une
correspondance étroite avec la fonction publique d
État ne peut être trouvée, en prenant en
compte, notamment, les fonctions occupées et la qualification de l
agent. Par ailleurs, les
collectivités territoriales ne peuvent attribuer à leurs agents titulaires ou non titulaires des
rémunérations qui excéderaient celles auxquelles peuvent prétendre des agents de l
Etat
occupant des fonctions et ayant des qualifications équivalentes.
16.
M. X..., qui ne disposait en sa qualité de maire d
aucun pouvoir propre pour prononcer
l
attribution des compléments de rémunération en cause aux agents concernés, n
a produit
aucune délibération du conseil municipal justifiant leur versement. En outre, l
attribution, aux
agents non titulaires de catégorie C employés par la commune, d
un complément de
rémunération s
apparentant à un « treizième mois » méconnaît le principe de parité rappelé au
point précédent. Dans ces conditions, ce versement constitue un avantage injustifié.
S
agissant du caractère préjudiciable pour la commune de l
octroi de l
avantage injustifié
au sens de l
article L. 313-6 du code des juridictions financières
17.
Du fait de l
absence de tout fondement légal, le versement du complément de
rémunération a causé un préjudice financier à la commune de Saint-Denis à hauteur des
sommes versées, soit 2 907 705,40
. M. X... ne peut utilement se prévaloir, d
une part de ce
que cette mesure était d
un coût plus supportable pour la collectivité que celle résultant d
une
éventuelle titularisation de l
ensemble des agents de catégorie C concernés et, d
autre part, de
ce qu
en adoptant le 25 juin 2016 une nouvelle délibération, la commune aurait mis fin pour
l
avenir à de tels versements.
18.
L
infraction prévue à l
article L. 313-6 du code des juridictions financières n
exige pas
que l
agent mis en cause ait eu l
intention de procurer à autrui un avantage injustifié ayant
causé un préjudice, mais seulement que les décisions prises par cet agent, en méconnaissance
de ses obligations, aient abouti à un tel résultat.
19.
Il résulte de ce qui précède que M. X..., maire de la commune de Saint-Denis, a enfreint
les dispositions L. 313-6 du code des juridictions financières.
Sur les circonstances
20.
Alors même que, depuis la délibération du 12 novembre 2008, la commune versait
chaque année un complément de rémunération aux agents non titulaires, le comptable public en
a poursuivi le paiement jusqu
à ce qu
il décide d
en suspendre le versement au titre du mois de
décembre 2015. Par ailleurs, ce n
est que le 25 février 2016, soit postérieurement à l
ordre de
réquisition signé par M. X..., que la cour administrative d
appel de Bordeaux a jugé que la
délibération du 12 novembre 2008 ne pouvait fournir de fondement légal à de tels compléments.
Ces deux éléments sont de nature à constituer des circonstances atténuantes.
6
Sur l
amende
21.
Il sera fait une juste appréciation des irrégularités commises et des circonstances de
l
espèce en infligeant à M. X... une amende de quatre mille euros.
Sur la publication de l
arrêt
22.
Il y a lieu, compte tenu des circonstances de l
espèce, de publier le présent arrêt au
Journal officiel
de la République française, selon les modalités prévues par les articles
L. 221-14 et R. 221-16 du code des relations entre le public et l
administration, et, sous forme
anonymisée, sur le site internet de la Cour, en application de l
article L. 313-15 du code des
juridictions financières. Il y a lieu également de mettre en place un lien entre le site internet de
la Cour et le
Journal officiel
qui restera actif pendant un mois à compter de la publication.
ARRÊTE :
Article 1
er
: M. Gilbert X... est condamné à une amende de 4 000
€ (quatre mille euros).
Article 2 : Le présent arrêt sera publié au
Journal officiel
de la République française et, sous
forme anonymisée, sur le site internet de la Cour. Un lien sera créé entre le site internet de la
Cour et le
Journal officiel
qui restera actif pendant un mois à compter de la publication.
Copie en sera adressée au ministère des Outre-mer.
Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, première section,
le 17 septembre deux-mille-vingt-et-un par M. Moscovici, Premier président de la Cour des
comptes, président ; MM. Dacosta et Yeznikian, conseillers d
État ; M. Geoffroy et Mme Pittet,
conseillers maître à la Cour des comptes.
Notifié le 30 septembre 2021.
En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis
de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République
près les tribunaux judiciaires d
y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force
publique de prêter main-forte lorsqu
ils en seront légalement requis.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président de la Cour et la greffière.
Le président,
La greffière,
Pierre MOSCOVICI
Isabelle REYT