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Jugement n° 2021-0025
Audience publique du 2 septembre 2021
Prononcé du jugement le 13 septembre 2021
Caisse des écoles d’Ajaccio
(Corse-du-Sud)
Trésorerie du grand Ajaccio
Exercices : 2014 à 2018
JUGEMENT
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
La Chambre régionale des comptes Corse
Vu
le réquisitoire n° 2020-0009 du 25 novembre 2020 du procureur financier près la chambre
régionale des comptes Corse,
enregistré au greffe le même jour et notifié le
27 novembre 2020 à Mme X…, présidente du comité de caisse de la caisse des écoles
d’Ajaccio, Mme Y… et M. Z…, comptables de la caisse des écoles d’Ajaccio. Mmes X… et
Y… en ont accusé réception le 3 décembre 2020. M. Z… en a accusé réception le
5 décembre 2020 ;
Vu
le réquisitoire supplétif n° 2021-0009 en date du 2 juin 2021 du procureur financier près
la chambre régionale des comptes Corse enregistré au greffe le même jour et notifié le
3 juin 2021 à Mme X…, présidente du comité de caisse, à MM. Z… et A… et à Mme Y…
comptables, qui en ont accusé réception, respectivement, les 3, 4 et 7 juin 2021 ;
Vu
les justifications produites au soutien du compte en jugement ou recueillies au cours de
l’instruction ;
Vu
l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée ;
Vu
le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable
publique ;
Vu
le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du
VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 ;
Vu
le code des juridictions financières ;
Vu
le code général des collectivités territoriales ;
Vu
le rapport n° 2021-0025 de M. Alain Michel, premier conseiller, magistrat chargé de
l’instruction ;
Vu
les conclusions n° 2021-0025 du procureur financier du 19 juillet 2021 ;
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Vu
les lettres du 28 juillet 2021, adressées aux comptables et à l’ordonnateur, les informant
de l’inscription de l’affaire à l’audience publique, dont ils ont accusé réception, les 29 et
30 juillet 2021 (MM. A… et Z…) et les 6 et 16 août 2021 (Mmes Y… et X…) ;
Vu les autres pièces au dossier ;
Entendu lors de l’audience publique du 2 septembre 2021, M. Michel en son rapport,
M. Jacques Barrière, procureur financier, en les conclusions du ministère public ; les
comptables et l’ordonnateur, dûment informés de la tenue de l’audience, n’étant ni présents ni
représentés ;
Après avoir entendu, en délibéré, M. Frédéric Leglastin, président de section, réviseur, en ses
observations ;
ORDONNE CE QUI SUIT
Sur la présomption de charge unique, soulevée à l’encontre des comptables successifs,
au titre des exercices 2015, 2016 et 2017 :
Sur le manquement présumé du comptable
Attendu
qu’aux termes du I de l’article 60 modifié de la loi du 23 février 1963 susvisée,
« les
comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu’ils
sont tenus d’assurer en matière de recettes, de dépenses, et de patrimoine, dans les
conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique. La responsabilité
personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors (...) qu’une recette n’a
pas été recouvrée (…) » ;
Attendu
que, par les réquisitoires susvisés, le ministère public fait grief à M. Z…, Mme Y… et
M. A…, comptables successifs de la Caisse des écoles d’Ajaccio, de ne pas avoir établi la
preuve des diligences accomplies en vue du recouvrement de trois titres de recettes n° T-11-
2011, T-52-2012 et T-1-2013 émis respectivement les 12 décembre 2011, 31 décembre 2012
et 26 mars 2013 par la présidente du comité de caisse de la Caisse des écoles d’Ajaccio à
l’encontre de la commune de Bastelicaccia, pour un montant total de 1 446,20
€
;
Attendu
qu’aux termes de l’article L. 1617-5, 3° du code général des collectivités territoriales :
«
L'action des comptables publics chargés de recouvrer les créances (…) des communes (…)
se prescrit par quatre ans à compter de la prise en charge du titre de recettes. Le délai de
quatre ans mentionné à l'alinéa précédent est interrompu par tous actes comportant
reconnaissance de la part des débiteurs et par tous actes interruptifs de la prescription
» ;
qu’ainsi, à défaut d’avoir valablement interrompu le délai précité avec une demande de
paiement, régulièrement notifiée au débiteur, qui aurait préservé les droits de la caisse des
écoles, l’action en recouvrement des trois titres en cause a été atteinte par la prescription au
cours des exercices 2014 à 2018 ;
Attendu
que la présidente de la Caisse des écoles fait état d’un différend fiscal qui opposerait
la commune débitrice à la commune d’Ajaccio ; qu’elle précise que les créances concernent
des titres de recettes relatifs aux frais de scolarité d’enfants résidents à Bastelicaccia et
scolarisés à Ajaccio ; qu’une régularisation serait envisagée afin d’éviter de subir un préjudice
financier ;
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Attendu
que les comptables mis en cause n’ont pas formulé de réserves sur la gestion de leur
prédécesseur ;
Attendu
que Mme Y… et M. A… n’ont pas apporté de réponse aux réquisitoires susvisés ;
Attendu
que M. Z… soutient que des actions ont été menées pour obtenir le recouvrement
des créances et que certaines d’entre elles ont permis de repousser la prescription
postérieurement à sa cessation de fonction ; qu’il considère que le défaut de recouvrement ne
lui est pas imputable mais relève de l’action de tiers ;
Attendu
que, le juge statuant à partir des éléments matériels du compte, les arguments de
contexte invoqués tenant aux comportements de tiers ne peuvent être retenus à décharge au
stade du constat d’un manquement ;
Attendu
que le second alinéa du 5° de l’article L. 1617-5 du code général des collectivités
territoriales dispose que
« la mise en demeure de payer interrompt la prescription de l’action
en recouvrement »
; que cependant, l’effet interruptif de la prescription n’est certain qu’à la
condition que le comptable puisse apporter la preuve que cet acte a été notifié au débiteur ;
Sur le titre T-11-2011 d’un montant de 619,80
€
Attendu
que M. Z… précise que des actions ont été engagées par son prédécesseur afin de
préserver les droits de la Caisse des écoles ; qu’il produit une lettre de relance adressée au
débiteur le 22 août 2013, mentionnant le titre T-11-2011 d’un montant de 619,80
€
; qu’il
mentionne également l’information du débiteur de la demande de mise en
œ
uvre de la
procédure de mandatement d’office à défaut de règlement dans les deux mois ; qu’il joint le
courrier du 28 novembre 2013 adressé au préfet de Corse, préfet de la Corse-du-Sud
demandant le mandatement d’office ;
Attendu
qu’il n’est pas établi que la demande de mandatement d’office soit en lien avec le
titre litigieux et qu’au demeurant, en l’absence de preuve de réception, l’acte n’a pas eu pour
effet d’interrompre la prescription ; que l’absence d’une suite réservée à cette demande est
sans conséquence sur l’exonération de la responsabilité du comptable ;
Attendu
que selon les documents produits par M. Z…, la dernière action complète pour le
recouvrement du titre n° T-11-2011 remonte au 24 avril 2013 ; que cette action eu pour effet
de reculer l’échéance de la prescription au 24 avril 2017, date à laquelle la trésorerie du Grand
Ajaccio était sous la responsabilité de M. A… depuis le 3 avril 2017 ; que par réquisitoire
supplétif, le procureur financier a étendu la présomption de charge relatif au titre T-11-2011 à
M. A… ;
Attendu
que lorsque l’action en recouvrement d’une créance se trouve prescrite peu après
l’entrée en fonctions d’un comptable, le juge des comptes, nonobstant l’existence ou
l’inexistence de réserves, doit apprécier dans quelle mesure le comptable entrant disposait de
la possibilité d’agir utilement pour préserver les droits de l’établissement en tenant compte de
la nature de la créance et du débiteur ;
Attendu
que la prescription de la créance constatée par le titre n° T-11-2011 est intervenue le
24 avril 2017, soit 21 jours après l’entrée en fonction de M. A… sans que celui-ci n’émette de
réserve sur le titre lors de son entrée en fonctions ; que dans ces circonstances, il n’y a pas
lieu d’engager la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. A… ;
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Attendu
que la responsabilité d’un comptable peut être engagée sans attendre
nécessairement la ruine définitive de la créance ; que pour apprécier le caractère
manifestement compromis du recouvrement de créances, le juge des comptes peut tenir
compte, notamment, de la nature et du nombre des créances, des caractéristiques des
débiteurs concernés, du délai d’action du comptable ainsi que de la date de prescription ;
Attendu
que M. Z…, entré en fonction le 1
er
avril 2014, n’a engagé aucune action
complémentaire pour assurer le recouvrement du titre n° T-11-2011 ou interrompre la
prescription durant une période de trente-cinq mois ; qu’entre le départ de M. Z…, le
29 décembre 2016 et l’arrivée de M. A… le 3 avril 2017, la gestion du poste comptable a été
assurée par Mme Y… pour une durée de 3 mois ; qu'il est de jurisprudence constante qu'un
comptable dont les fonctions ont duré moins de six mois ne saurait voir sa responsabilité
engagée ;
Attendu
en conséquence, que M. Z…, en n’établissant pas l’existence de diligences
adéquates, complètes et rapides pour recouvrer le titre n° T-11-2011 objet des réquisitoires
susvisés, a commis un manquement ayant engagé sa responsabilité personnelle et
pécuniaire ;
Sur les titres T-52-2012 d’un montant de 516,50
€
et T-1-2013 d’un montant de 309,90
€
Attendu
que M. Z… conteste la date de prise en charge du titre T-52-2012 sans toutefois
produire le titre litigieux ; qu’il est de jurisprudence constante que la mention figurant sur une
copie de l’application Hélios ne peut se voir reconnaître de valeur probante ; qu’il en découle
que la date de prise en charge du titre est celle qui figure aux état de restes à recouvrer du
compte de gestion de la caisse des écoles, soit le 31 décembre 2012 ;
Attendu
que M. Z… fait état de plusieurs lettres de mise en demeure adressées au débiteur ;
qu’il produit deux lettres du 1
er
mars 2016 sans produire le bordereau d’accusé de réception ;
Attendu
que seule la réception par le destinataire emporte notification ; qu’à défaut de
production de la preuve de la réception desdits courriers, la prescription de l’action en
recouvrement n’est pas interrompue ;
Attendu
qu’à défaut de diligences adéquates, complètes et rapides, requises pour le
recouvrement des créances considérées et d’actes susceptibles d’interrompre la prescription,
ces deux titres se sont trouvés prescrits à la date du 31 décembre 2016 pour le titre T-52-2012
et à la date du 26 mars 2017 pour le titre T-1-2013, date à laquelle Mme Y… était en fonction ;
Attendu
qu’après le départ de M. Z…, le 29 décembre 2016, la gestion du poste comptable
était assurée par Mme Y… du 30 décembre 2016 au 2 avril 2017 ;
Attendu
qu'il est de jurisprudence constante qu'un comptable dont les fonctions ont duré
moins de six mois ne saurait voir sa responsabilité engagée dans la mesure où il n'a pu
disposer du délai imparti par l'article 17 du décret n° 64−1022 du 29 septembre 1964 pour
formuler d'éventuelles réserves sur la gestion de ses prédécesseurs et, en l'espèce, sur le
recouvrement d'une créance née dans la période antérieure à sa gestion ;
Attendu
que si Mme Y… a disposé de deux jours pour le recouvrement du titre T-52-2012 et
de moins de 3 mois pour le recouvrement du titre T-1-2013, il est constant que M. Z… a
disposé de près de 3 ans pour recouvrer les deux titres et qu’en l’absence de preuve, ses
diligences ne peuvent être considérées comme adéquates, complètes et rapides pour le
recouvrement des sommes dues ; que dans ces conditions, le caractère irrécouvrable des
deux titres résulte principalement du défaut de diligences de M. Z… ;
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Attendu
que les trois titres étant détenus à l’encontre d’une collectivité territoriale, le
comptable bénéficiait, en outre, de la possibilité de saisir la chambre régionale des comptes
aux fins d’inscription des sommes à recouvrer à son budget, en application des dispositions
de l’article L. 1612-15 du code général des collectivités territoriales ; que cette diligence n’a
pas été entreprise ;
Attendu
qu’en conséquence, le comptable mis en cause, en s’abstenant d’exercer des
diligences suffisantes c’est-à-dire, rapides complètes et adéquates, ou d’être en mesure d’en
apporter la preuve, a irrémédiablement compromis les possibilités de recouvrement des trois
titres de recettes ; qu’il a ainsi commis un manquement ayant engagé sa responsabilité
personnelle et pécuniaire ;
Sur l’existence d’un préjudice financier
Attendu
qu’aux termes du troisième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963,
« lorsque le manquement du comptable […] a causé un préjudice financier à l’organisme public
concerné […], le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels
la somme correspondante »
;
Attendu
que le constat de l'existence ou non d'un préjudice financier relève de l'appréciation
du juge des comptes ; que, si au regard du caractère contradictoire de la procédure, ledit juge
doit tenir compte pour cette appréciation des dires et actes éventuels de l'organisme public qui
figurent au dossier, il n'est pas lié par une déclaration de l'ordonnateur indiquant que ledit
organisme n'aurait subi aucun préjudice financier ;
Attendu
que l’ordonnateur ne produit ni pièce ni éléments probants à cet égard et reconnait
ne disposer d’aucun élément permettant de dégager la responsabilité des comptables ;
Attendu
que M. Z… soutient qu’il n’y a pas de préjudice financier pour la Caisse des écoles,
qu’il met en avant une situation confuse entre la collectivité débitrice et la collectivité
créancière, qu’il remet en cause la capacité de la Caisse des écoles d’émettre des titres de
recettes ;
Attendu
que le défaut de recouvrement d'une créance cause, en principe, un préjudice
financier à la collectivité concernée ; que toutefois il n'y a pas préjudice lorsque la preuve est
apportée qu’en toute hypothèse la créance n’aurait pas pu être recouvrée ;
Attendu
qu’un débiteur public ne peut être considéré comme insolvable ; qu’en l’espèce, le
défaut de recouvrement des titres précités, à l’origine d’un manquant en caisse, est constitutif
d’un préjudice financier pour la Caisse des écoles d’Ajaccio ; qu’il convient dès lors de
constituer M. Z… débiteur envers la Caisse des écoles d’Ajaccio pour la somme de 1 446,20
€
euros au titre de sa gestion de l’exercice 2016, laquelle portera intérêt au taux légal à compter
de la date de réception du réquisitoire au comptable, soit le 3 juin 2021 ;
PAR CES MOTIFS,
Article 1
er
: M. Z… est constitué débiteur de la Caisse des écoles d’Ajaccio de la somme de
1 446,20
€
au titre de l’exercice 2016 augmentée des intérêts de droit à compter du
3 juin 2021 ;
Article 2 :
M. Z… ne pourra être déchargé de sa gestion sur l’exercice 2016 qu’après
apurement du débet fixé ci-dessus ;
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Article 3 :
M. B… est déchargé de sa gestion pour la période du 1
er
janvier 2014 au
31 mars 2014 et est déclaré quitte de sa gestion terminée le 31 mars 2014 ;
Mainlevée peut lui être donnée et radiation peut être faite de toutes oppositions et inscriptions
mises ou prises sur ses biens meubles et immeubles ou sur ceux de ses ayants-cause pour
sûreté de ladite gestion et son cautionnement peut être restitué ou ses cautions dégagées ;
Article 4 :
M. Z… est déchargé de sa gestion pour la période du 1er avril 2014 au
31 décembre 2015 ;
Article 5 :
Mme Y… est déchargée de sa gestion pour la période du 30 décembre 2016 au
2 avril 2017 et est déclarée quitte de sa gestion terminée le 2 avril 2017 ;
Mainlevée peut lui être donnée et radiation peut être faite de toutes oppositions et inscriptions
mises ou prises sur ses biens meubles et immeubles ou sur ceux de ses ayants-cause pour
sûreté de ladite gestion et son cautionnement peut être restitué ou ses cautions dégagées ;
Article 6 :
M. A… est déchargé de sa gestion pour la période du 3 avril 2017 au
31 décembre 2018 ;
Fait et jugé à la chambre régionale des comptes Corse par Mme Nathalie Gervais, présidente,
M. Frédéric Leglastin, président de section, M. Gérald Arbeltier, premier conseiller.
La greffière
Maddy Azzopardi
La présidente
Nathalie Gervais
Collationné, certifié conforme à la minute étant au Greffe
de la chambre et délivré par moi secrétaire générale
Maddy Azzopardi
La République Française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de
mettre
ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la
République près les tribunaux judiciaires d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de
la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
CONDITIONS D'APPEL :
Code des juridictions financières – article R. 242-19 et suivants : «
Les jugements rendus par
les chambres régionales des comptes peuvent être attaqués dans leurs dispositions définitives
par la voie de l'appel devant la Cour des comptes
» (…) – article R. 242-23
« L’appel doit être
formé dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
»