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PRÉSENTATION À LA PRESSE
DU RAPPORT PUBLIC ANNUEL 2021
Conférence de presse
Jeudi 18 mars 2021 – 14h30
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour à toutes et tous et merci d’assister aujourd’hui à cette conférence de presse à
l’occasion de la parution de notre rapport public annuel 2021, que j’ai remis ce matin
au Président de la République au palais de l’Élysée.
C’est depuis la Grand’chambre de la Cour, dans laquelle j’aurais aimé vous accueillir comme
c’est de coutume si les circonstances l’avaient permis, que j’ai le plaisir de m’adresser à
vous cet après-midi. Je suis accompagné de notre nouvelle rapporteure générale, Carine
Camby, qui remplace à cette fonction Michèle Pappalardo, que je veux remercier tout
particulièrement et dont je veux saluer le rôle essentiel, avec ses équipes, dans la
préparation de ce rapport. J’ai également présents à mes côtés les présidents de chambre
de la Cour : Christian Charpy, Annie Podeur, Louis Gautier, Gilles Andréani et Gérard
Terrien, par ordre ou numéro des chambres de la Cour. Denis Morin est quant à lui
représenté par Véronique Hamayon, présidente de section. Je salue enfin les présidentes et
présidents de chambres régionales des comptes qui nous suivent à distance et qui sont
nombreux à avoir contribué à la rédaction du rapport, notamment Marie-Christine Dokhélar,
Frédéric Advielle, Jean-François Monteils et André Pezziardi, respectivement à la tête des
CRC Auvergne-Rhône-Alpes, Hauts-de-France, Nouvelle-Aquitaine et Occitanie.
La présentation aux médias de notre rapport public est toujours un exercice
particulièrement important pour notre maison.
Elle constitue un rendez-vous annuel
auquel nous sommes très attachés et auquel, je le sais, nos concitoyens sont très attentifs.
Le « RPA », comme on l’appelle ici, offre en effet l’occasion d’un moment d’échange
privilégié, avec vous, les journalistes, mais, à travers vous, avec les décideurs publics et les
Français, surtout. Grâce à l’écho que vous lui donnez depuis 1946, cette production permet
à la Cour, et aux juridictions financières dans leur ensemble, non seulement de bien faire
connaître leur activité, mais aussi de faire de la pédagogie sur les atouts et marges
d’appréciation et d’amélioration de l’action publique, avec un regard à la fois large et
transversal.
Ce moment de présentation est d’autant plus important pour moi qu’il s’agit du
premier rapport public annuel dont j’ai pu suivre la préparation comme Premier
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président de la Cour des comptes depuis ma nomination.
C’est donc bien sûr pour moi
un plaisir, et un honneur, de vous le présenter aujourd’hui.
Sa publication intervient en outre – c’est surtout cela qui le rend si particulier – dans
une période de très grande incertitude pour l’action publique, après un an de
bouleversements profonds et sans précédent de notre vie collective et nos vies
personnelles.
Nous avons d’ailleurs « célébré » hier, le 17 mars, un bien triste anniversaire :
celui du premier confinement, dans une situation qui reste, un an après, préoccupante. J’ai
conscience de m’exprimer à quelques heures d’une intervention importante du Premier
ministre.
*
Bien évidemment, ce contexte de crise majeure a eu d’importants impacts sur le
fonctionnement et les travaux des juridictions financières, comme le rappelle
l’introduction générale du rapport public.
Le déroulement des enquêtes fut plus difficile, du fait du confinement et des difficultés que
rencontraient les organismes contrôlés ; les délais de contradiction ont été très souvent
allongés ; le report des élections municipales a prolongé d’autant la période de réserve,
pendant laquelle nous sommes tenus de limiter la publication de certains travaux qui
concernent le « bloc communal ». Surtout, nous avons été très attentifs à ne pas perturber
les administrations et les acteurs en première ligne dans la gestion de la crise et de ses
conséquences, leur priorité était bien sûr de répondre à la situation.
Malgré ces différentes contraintes, nous sommes parvenus à adapter notre
organisation et nos méthodes de travail pour remplir, et remplir bien, les missions qui
nous ont été confiées par la Constitution et la loi.
La Cour a ainsi réalisé autant de
contrôles que l’année dernière, et même un petit peu plus (331 contre 329), et elle a
maintenu son rythme de publication en 2020, avec 59 publications contre par exemple 60 en
2018. La Cour a aussi rempli ses obligations dans les délais pour les rapports que nous
sommes tenus de remettre chaque année au Parlement. Les chambres régionales et
territoriales ne sont pas en reste, avec plus de 600 rapports publiés et 300 avis budgétaires
rendus.
Au-delà de l’adaptation de leur organisation, les juridictions financières ont également
fait évoluer leurs programmes de contrôles pour prendre en compte les nouvelles
réalités de la gestion et de l’action publiques, l’évolution des situations sanitaire,
économique et sociale, ainsi que les nouvelles attentes et préoccupations de nos
concitoyens.
Dès l’an dernier, nous avons publié de premières analyses sur l’impact de
cette crise sur les finances publiques de l’État, de la sécurité sociale et des collectivités
locales. Nous l’avons fait dès le mois de juin dans le cadre du rapport sur la situation et les
perspectives des finances publiques.
En plus de ces travaux généraux qui analysaient le choc subi par nos comptes
publics, il m’est apparu fondamental, dès ma nomination, de consacrer une grande
partie du RPA, notre publication la plus médiatisée, la plus suivie, la plus attendue,
aux effets concrets et à la gestion opérationnelle de la crise que nous traversons
depuis plus d’un an.
Il me semblait en effet que notre devoir était de rendre compte à nos
concitoyens de la gestion publique de cette crise hors du commun. Ce choix stratégique, le
premier que j’ai eu à prendre en tant que Premier président, a conduit à un important effort
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d’adaptation et nous avons lancé dès l’été de nouvelles enquêtes avec un délai très court de
réalisation.
Quelques semaines après avoir dévoilé les orientations de notre projet de réforme
stratégique, intitulé « juridictions financières 2025 », je suis donc fier de vous
présenter aujourd’hui un rapport qui, en quelque sorte, en concrétise déjà les
principales ambitions, et notamment son fil rouge : être utile à la décision publique et
être dans le temps de celle-ci.
Ces ambitions, quelles sont-elles ?
Être en mesure de travailler plus rapidement, sur des
sujets du quotidien, avec des analyses aussi près que possible du temps réel. Je souhaite ici
remercier chaleureusement l’ensemble des membres de la Cour et des chambres régionales
des comptes qui ont contribué à cette publication, dont la présentation cette année a été
dynamisée et modernisée, avec de nouveaux modes de communication. J’en profite
d’ailleurs pour remercier publiquement notre directeur de la communication, Ted Marx, que
vous connaissez, qui après neuf années de très bons et très loyaux services à la Cour – et
donc neuf RPA ! – nous quittera à la fin du mois pour rejoindre une personnalité que nous
connaissons bien dans ces murs, le président de la Haute Autorité pour la transparence de
la vie publique, Didier Migaud. Il y laissera l’empreinte de ses qualités humaines et
professionnelles. Je sais que vous aviez en lui un interlocuteur de confiance et j’aurai à c
œ
ur
de lui donner un successeur ou une successeuse de la même trempe.
*
Vous l’aurez compris, le rapport public annuel que je vous présente aujourd’hui est le
fruit du travail accompli pendant cette année 2020 si particulière.
Il présente d’ailleurs
deux autres originalités, qui sont elles aussi liées aux circonstances.
D’abord et de façon exceptionnelle, le rapport public annuel ne comporte pas cette
année de chapitre relatif à la situation d’ensemble des finances publiques, ce qui, je
sais, frustrera, car c’est notamment la partie la plus suivie par les internautes.
Ce n’est
pas par manque de matière, vous vous en doutez – elle est au contraire exceptionnelle à
tous égards, le bouleversement des finances publiques est évident et notre rapport de juin
dernier le soulignait déjà – mais parce que le Premier ministre a demandé à la Cour de lui
remettre en avril un diagnostic sur la situation de nos finances publiques et des premières
recommandations sur la stratégie à adopter pour l’après-crise.
Nous avons mis en place une formation inter-chambres spécifiquement dédiée à ce travail,
que je préside personnellement, épaulée par le concours d’une vingtaine de rapporteurs.
Nous menons des auditions à un rythme soutenu et nous publierons à cette occasion
l’ensemble de nos analyses sur l’état des finances publiques, avec les données les plus à
jour, d’ici à peu près à mois Il n’était donc pas cohérent de nous exprimer deux fois sur ces
questions à trois semaines d’intervalle. Je reviendrai donc devant vous en avril sur ce sujet.
Le chapitre que nous devions vous présenter aujourd’hui sera ainsi enrichi.
Deuxième originalité, ce RPA 2021 ne contient pas non plus de partie consacrée au
suivi des recommandations pour 2020.
Réunir les informations correspondantes aurait en
effet nécessité d’interroger les services de l’État et des collectivités locales au cours du
second trimestre 2020, ce qui aurait été, je crois, inopportun dans cette période pendant
laquelle ils étaient très sollicités par la gestion de la crise. C’était le moment du premier
confinement, un temps extraordinaire dans l’histoire de notre pays. Mais le prochain rapport
public y reviendra : ce n’est donc qu’un simple décalage.
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J’en viens maintenant au contenu du rapport public 2021, qui se divise en deux tomes.
Le premier aborde les premiers enseignements de la crise.
À travers une dizaine de
chapitres, portant essentiellement sur les premières phases de l’épidémie et couvrant des
sujets variés et très concrets pour nos concitoyens, comme la question du rapatriement des
Français retenus à l’étranger au début de la crise, l’adaptation du numérique éducatif
pendant le confinement des élèves, collégiens et lycées, ou encore les services de
réanimation des établissements de santé, il examine les mesures mises en place et les
modalités de la gestion de la crise par différents types d’acteurs publics.
Le second tome du rapport 2021 est quant à lui consacré, de manière plus habituelle,
aux politiques publiques et à la gestion publique, avec des exemples précis de leur
déploiement dans les territoires.
Nous tenions, malgré cette période si particulière, à
conserver cette continuité. Mais, cette année, cette partie elle aussi évolue. Elle présente
notamment de nombreuses synthèses de travaux qui ont été conduits dans les juridictions
financières. Notre objectif est ainsi de donner une vision plus approfondie des sujets traités,
mais aussi de revenir sur certains rapports antérieurs, pour mesurer les progrès réalisés ou
à consolider dans la mise en
œ
uvre de nos recommandations.
***
Je vais commencer par aborder les enseignements et le contenu du premier tome de
notre rapport public.
Les thèmes traités dans cette partie devaient permettre, à travers l’exemple de
différentes facettes de la question, de fournir des éclairages sur la gestion de la crise
de Covid-19, sur les mesures adoptées pour en limiter les conséquences et sur ses
effets sur différents types d’acteurs.
Nous avons donc fait le choix de traiter de sujets importants par leur ampleur opérationnelle
ou par les masses financières en jeu, mais aussi d’approfondir d’autres travaux. Les
différents chapitres rassemblés dans ce tome, je tiens à le préciser, ne permettent pas, bien
sûr, de dresser un bilan exhaustif et définitif des façons dont la crise a été gérée, ni de toutes
ses conséquences – d’ailleurs, personne n’est encore en mesure de le faire : la crise est
toujours là, toujours devant nous, – mais ils peuvent déjà nous offrir quelques
enseignements. C’est en ceci qu’ils sont précieux.
Le premier enseignement, c’est la faible anticipation de la crise au sein de la plupart –
je dis bien la plupart et non la totalité – des acteurs publics étudiés.
Notre chapitre consacré au service public du numérique éducatif pendant la crise sanitaire
souligne ainsi l’absence de plan de continuité dans les établissements scolaires, ainsi qu’une
appropriation antérieure du numérique encore trop limitée pour permettre le basculement
rapide dans l’enseignement à distance généralisé, ce qui n’a pas garanti la poursuite des
apprentissages pour tous les élèves. Nous estimons qu’environ 5 % d’entre eux, soit
600 000 enfants, étaient en rupture numérique.
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Le chapitre consacré à l’hébergement et au logement des personnes sans domicile pendant
la crise met également en lumière la faible préparation opérationnelle à la crise. En effet, les
services de l’État concernés ont rapidement mis en
œ
uvre des cellules de gestion de crise
mais ne disposaient pas tous, par exemple, d’un plan de continuité d’activité à jour depuis
les évènements antérieurs, comme la canicule de 2006, la pandémie de grippe H1N1 ou les
grèves de 2019. Et en l’absence de ces outils, les premières semaines n’ont pas permis de
couvrir de façon satisfaisante les besoins de protection des plus précaires. Il y a bien sûr là
des leçons pour le futur.
Un autre secteur était trop peu armé pour affronter une crise qui l’a pourtant placé en toute
première ligne : c’est celui des services de réanimations et des soins critiques. C’est une
question bien sûr fondamentale.
Les deux chapitres que nous leur consacrons dans le rapport public rappellent en effet que
la réanimation constituait, avant la crise, une activité hospitalière très spécifique et parfois
peu connue du grand public, alors qu’elle conditionne depuis le début de la crise nombre de
décisions qui non seulement régissent notre système de santé, mais influent aussi de
manière décisive sur notre vie économique et sociale, et même sur nos libertés publiques.
C’est un phénomène bien sûr inédit, et c’est au prix d’un renoncement aux autres soins sans
précédent – dont il faudra évaluer toutes les conséquences – que la mobilisation des soins
critiques s’est faite, dans un contexte de fragilité structurelle des ressources humaines
dédiées à cette activité. La Cour pense que ce modèle doit être aujourd’hui revu, car le
vieillissement de la population, quoi qu’il arrive, soulèvera la question de l’augmentation des
services de réanimation, avec un redimensionnement des effectifs et une réforme des
modalités de financement.
L’enquête menée par les chambres régionales des comptes sur un vaste échantillon
d’établissements
de
santé
implantés
dans
les
régions
Nouvelle-Aquitaine
et
Bourgogne-Franche-Comté permet de corroborer, au niveau territorial, les constats de la
Cour. Elle souligne notamment que le « plan blanc » déployé par plusieurs hôpitaux s’est
avéré mal adapté à la gestion d’une épidémie et surtout, que les incertitudes qui entourent le
système de collecte et de remontée d’informations – sur lesquelles se fondent pourtant des
décisions stratégiques nationales – constituent un chantier absolument prioritaire.
Par ces exemples, il ne s’agit pas de montrer du doigt certaines administrations ni de tirer
des conclusions générales - je déteste ces formules récurrentes et ces marronniers sur la
Cour qui « étrille », qui « épingle » – d’ailleurs, notre rapport insiste dans d’autres chapitres
sur le bon état de préparation de plusieurs acteurs. Mais ces quelques illustrations montrent
la nécessité d’accorder davantage de temps et d’attention à la préparation des crises, à
l’anticipation, à la résilience de notre système public.
Impréparation ne veut toutefois pas dire insuffisance de réaction ni mauvaise gestion
une fois la crise enclenchée, et c’est le deuxième enseignement de ce premier tome,
que je crois très équilibré, et, disons-le, finalement assez réconfortant sur la qualité de
nos services publics : les acteurs publics se sont fortement mobilisés et ont fait
preuve d’une très grande capacité de réaction et même d’innovation pour faire face
aux conséquences de la crise.
Cela vaut bien sûr pour les administrations et services que je viens de citer
: que ce
soit pour le numérique éducatif, l’hébergement d’urgence ou bien sûr les services de
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réanimation et soins critiques, tous se sont rapidement mobilisés et ils ont su faire face,
malgré leurs contraintes initiales et malgré l’intensité de l’activité à laquelle ils devaient
répondre. La France doit en être fière.
Cela vaut aussi pour d’autres politiques.
À cet égard, les développements consacrés à
l’aide au retour des Français retenus à l’étranger pendant la pandémie soulignent la
mobilisation exceptionnelle à la fois du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et de
la compagnie nationale, Air France, qui a déployé des efforts considérables. Aucune
compagnie n’a consenti à une telle coopération chez nos voisins britanniques ou allemands,
par exemple. Ce sont au total près de 370 000 personnes qui ont pu regagner le territoire
français, dont 240 000 directement aidées par le ministère, pour un coût total très maîtrisé
d’environ 8,5 M
: il est important de préciser que cette aide au retour fut le fruit d’un
engagement politique et en aucun cas d’une obligation juridique.
Pour rester dans le domaine des transports, le chapitre relatif à la SNCF montre que le
groupe ferroviaire a également fait preuve d’une réactivité notable et appréciable, en mettant
rapidement en place une organisation de crise et des mesures sanitaires pour ses
personnels et ses clients, mais aussi en anticipant la reprise de l’activité. La circulation des
trains de voyageurs a été assurée, tout comme le transport de fret, qui a été orienté en
priorité vers les besoins essentiels.
Dans un autre domaine, notre rapport public présente un exemple de dispositif très
rapidement déployé pour gérer les conséquences de la crise : il s’agit du fonds de solidarité
à destination des entreprises. Ce fonds, vous le savez, constitue l’un des principaux
dispositifs de soutien aux entreprises mis en
œ
uvre par le Gouvernement, avec
l’indemnisation de l’activité partielle et les prêts garantis par l’État. La Cour a conduit une
comparaison internationale sur neuf pays, qui montre qu’ils ont peu ou prou tous adopté ce
type de mesure.
Le succès du fonds a été réel et a permis de limiter les effets de la crise, en distribuant
rapidement près de 12 Md
d’aides à près de 2 millions d’entreprises (1,8 millions).
Le
fonds s’est toutefois transformé après le premier confinement : il est passé d’un outil de
soutien aux petites entreprises à un outil d’aide plus global et durable à des structures de
plus grande taille. Son enveloppe financière pour 2020 a ainsi été doublée dans la dernière
loi de finances rectificative. Les principes de son fonctionnement, qui repose sur un
traitement rapide et largement automatisé des demandes déposées par les entreprises, n’ont
toutefois pas été adaptés en parallèle, ce qui accroît le risque d’un cumul d’aides supérieur
au préjudice subi et qui a justifié et justifie le renforcement des contrôles.
Les risques que pourrait faire peser l’évolution des dispositifs de soutien aux
entreprises
sur
les
finances
publiques
m’amènent
à
aborder
le
troisième
enseignement de ce premier tome consacré à la gestion de la crise de Covid-19 : le
coût financier qui en résulte est élevé et, surtout, il remet en cause durablement
certains modèles de financement.
C’est particulièrement vrai pour la SNCF, dont les perspectives à moyen terme doivent
être vraiment suivies de près, avec un risque de déficit structurel pour le transport à
grande vitesse et le fret.
D’autres actions que j’ai citées ont eu un coût non négligeable,
dont nous donnons de premiers chiffrages : 650 M
, par exemple, pour l’hébergement
d’urgence, en raison surtout de tarifs hôteliers élevés, qui dépassaient parfois la centaine
d’euros par nuit et par personne.
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Dans des proportions bien plus importantes, la crise née de la pandémie a touché très
durement les finances d’autres secteurs, comme le montre le chapitre consacré à
l’assurance chômage. Cette dernière avait déjà une situation financière dégradée avant
même la crise. Elle a pleinement joué son rôle de stabilisateur économique et social depuis
son déclenchement, en finançant conjointement avec l’État le dispositif exceptionnel
d’activité partielle pour sauvegarder l’emploi. Conséquence logique, l’assurance chômage
présente aujourd’hui un déficit historique de plus de 17 Md
en 2020, contre moins de 2 Md
en 2019.
La dette de l’Unédic s’élèverait à près de 65 Md
à la fin 2021. C’est une dette
exceptionnelle qui est bien trop lourde à porter pour ce seul régime.
Ses modalités
d’apurement devront donc être étudiées dans le contexte plus large du traitement de la dette
publique. J’aurai l’occasion d’y revenir, lors de la remise de notre rapport au Premier
ministre. Parallèlement, la Cour appelle à définir pour ce régime une nouvelle trajectoire
financière et à clarifier les rôles respectifs de l’État et des partenaires sociaux dans son
régime de gouvernance.
Le secteur culturel a également beaucoup souffert depuis le déclenchement de la crise,
comme l’illustre le chapitre du rapport consacré à l’Institut Lumière de Lyon, qui offre un
exemple, un regard particulier, sur une association culturelle fragilisée par la crise. En effet,
cet organisme remarquable présidé par le grand cinéaste Bertrand Tavernier, qui a été créé
dans les années 1980 par les héritiers des Frères Lumière et organise chaque année le
célèbre festival du même nom, était parvenu à diversifier ses ressources privées. Or, les
associations culturelles peu subventionnées sont particulièrement exposées aux effets de la
crise, malgré les mesures d’urgence mises en place. Il appartiendra donc aux pouvoirs
publics, en coordonnant leurs aides et en définissant des orientations claires, d’accompagner
ces acteurs culturels sur le long terme.
*
Ces quelques chapitres nous permettent donc d’avoir, par leur grande diversité, un premier
aperçu, encore une fois non exhaustif, de la manière dont la crise de Covid-19 a été gérée.
Nous y reviendrons tout au long de l’année 2021, car j’ai souhaité que le programme de
travail de l’année en cours soit largement consacré à cette question.
***
Mais d’autres travaux et enquêtes, plus habituels, ont abouti en 2020, et je vais donc
maintenant aborder le second tome du RPA, qui en présente un panel également riche
et diversifié.
Les onze chapitres de cette partie regroupent en effet des sujets et objets de
contrôles variés, qui correspondent aux orientations définies sur la base, notamment, des
enseignements tirés du Grand débat national dont la Cour fut partie prenante. Ils accordent
ainsi une place importante à des politiques publiques concrètes, territorialisées et en lien
direct, pour certaines, avec la préparation de l’avenir.
*
Ce second tome revient d’abord sur deux politiques publiques qui ont connu des
évolutions importantes et qui sont amenées à jouer un rôle majeur dans les
prochaines années
: les politiques en faveur de l’inclusion bancaire et de la lutte contre le
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surendettement, au service des plus démunis, et l’innovation de défense, comme moyen de
renforcer notre indépendance stratégique.
Les premières visent à donner à chacune et chacun la possibilité d’accéder à un
compte bancaire, ce qui est devenu aujourd’hui un impératif pour participer à la vie
économique et sociale.
Ces dispositifs, dont l’enquête de la Cour a montré qu’ils avaient
beaucoup progressé mais demeuraient perfectibles, sont susceptibles d’être très fortement
sollicités dans les mois et années à venir du fait des répercussions économiques et sociales
de la pandémie et, disons-le, de l’aggravation de la pauvreté. Leur mise en
œ
uvre devra être
renforcée, pour mieux accompagner les personnes en difficulté. En particulier, la procédure
de droit au compte gagnerait à être mieux encadrée en termes de délais et de suivi, et la
prévention des incidents devrait être améliorée.
L’innovation de défense sera également indispensable, dans un contexte marqué par
l’intensification de la compétition mondiale entre les grands pôles de puissance.
Davantage tournée vers la préparation de l’avenir, vers la maîtrise des technologies de
rupture, mieux intégrée aux futurs programmes d’armement, elle pourra permettre de
consolider notre indépendance non seulement stratégique mais aussi économique, en
soutenant les grands groupes industriels ainsi que les secteurs les plus touchés par la crise
sanitaire, comme l’aéronautique et le spatial, par le maintien d’un effort d’innovation minimal
dans un contexte récessif. Nous recommandons en particulier de sanctuariser l’effort de
recherche en créant un programme budgétaire d’innovation, regroupant les crédits
consacrés aux études et aux subventions d’organismes de recherche.
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Au-delà de ces politiques nationales, le rapport annuel de la Cour s’intéresse de près
à l’action publique dans les territoires, avec des exemples très concrets tirés de
travaux des chambres régionales des comptes.
Certains abordent notamment les enjeux locaux du changement climatique et de la
préservation de l’environnement, comme le chapitre sur l’optimisation de l’éclairage public
dans les communes d’Auvergne-Rhône-Alpes ou celui sur la compagnie d’aménagement
des coteaux de Gascogne.
Dans le premier cas, qui s’intéresse au deuxième poste de dépenses énergétiques des
communes après les bâtiments, l’enquête de la CRC montre que le bilan des actions
entreprises pour diminuer la consommation énergétique est encourageant. Mais la lutte
contre la pollution lumineuse demeure en retrait, alors qu’elle est bien souvent au c
œ
ur des
préoccupations des défenseurs de l’environnement au niveau local. S’atteler à ce chantier
implique d’agir sur plusieurs paramètres, comme la puissance émise, le spectre lumineux ou
la durée de l’éclairage, dans un contexte de forte évolution technologique.
La gestion de l’eau doit aussi tenir compte de nouveaux enjeux, notamment en
matière de préservation des milieux naturels.
La compagnie d’aménagement des coteaux
de Gascogne est chargée d’assurer un service public d’aménagement hydraulique et
participe aussi à la protection de la ressource en eau, dans une région, l’Occitanie, qui
présente une très importante surface agricole. Son modèle économique n’est aujourd’hui
plus adapté aux nouveaux enjeux de la gestion de l’eau – en particulier, plusieurs acteurs
locaux directement concernés ne participent pas à son actionnariat. Cette enquête illustre
9
ainsi, encore une fois à partir d’un cas précis, la nécessité de repenser le système de gestion
d’un bien commun éminemment précieux.
Au-delà des aspects environnementaux, les chambres régionales des comptes se sont
également intéressées à un autre sujet local : celui des communes qui dépendent fortement
de l’implantation d’un casino sur leur territoire. Les 202 casinos français constituent le réseau
d’établissements le plus important et le plus dense d’Europe, et assurent à près de 200
collectivités des recettes nombreuses et importantes, dont la principale est le prélèvement
sur le produit des jeux. Ce dernier peut représenter plus du tiers des recettes de
fonctionnement pour certaines collectivités. Nos travaux – et nous avons déjà par le passé
fait nombre de recommandations dans ce domaine – révèlent que les communes
concernées font montre d’une certaine passivité dans la négociation et l’exécution des
contrats de délégation de service, sans percevoir toujours l’intérêt d’une relation plus
équilibrée. Elles appréhendent donc la présence d’un casino comme une sorte de rente de
situation, mais la crise sanitaire a montré les risques financiers associés à cette fragilité
structurelle.
Il faudra donc, à l’avenir, veiller à mieux protéger les intérêts de ces communes, notamment
en renforçant leur expertise juridique.
*
Comme chaque année, le rapport public annuel revient aussi, dans ce second tome,
sur différents exemples d’actions et de gestion publiques.
Il aborde ainsi dans deux chapitres le cas des réseaux consulaires
, que ce soit les
chambres de commerce et d’industrie, les chambres de métiers et de l’artisanat ou les
chambres d’agriculture. Ces chapitres permettent à la fois de synthétiser les travaux de la
Cour et des CRC sur ces organismes mais aussi de mesurer leurs différences, leurs forces
et leurs faiblesses respectives. Ainsi, la structuration des réseaux des CCI et des CMA
semble plus aboutie, mais le positionnement des chambres d’agriculture est mieux identifié
et mieux reconnu. Ces dernières doivent poursuivre leurs mutations internes, en
encourageant la fusion des chambres départementales, pour renforcer l’efficacité de leurs
missions, tandis que les réformes sectorielles qui ont affecté les CCI et les CMA posent à
terme la question du maintien de leur financement public.
Des choix stratégiques devront également être faits pour d’autres organismes,
également abordés dans ce rapport public annuel.
En particulier, l’ex-agence du
numérique a légué un héritage qu’il convient désormais de consolider, notamment en
matière d’inclusion numérique, une politique qui n’a pas encore donné à nos yeux de
résultats probants – la Cour rappelle à ce titre que 17 % de la population est concernée par
ce qu’on appelle « l’illectronisme », qui regroupe les personnes sans compétence numérique
de base et celles qui n’ont pas utilisé une seule fois Internet au cours de l’année écoulée.
Cette proportion est bien sûr énorme. D’autres dispositifs présentent un bilan bien plus
satisfaisant, comme la French Tech, mais appellent à être mieux coordonnés et mieux
pilotés.
De son côté, l’institut de recherche pour le développement fait montre d’une implication forte,
notamment dans la recherche pour lutter contre les pandémies, mais il souffre d’une visibilité
réduite, en partie liée au caractère dispersé de ses missions et moyens.
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Près de 80 ans après sa création, le rapprochement organique de l’IRD avec le CNRS
apparaît aujourd’hui nécessaire pour renforcer les leviers d’influence et de coopération de la
France, en matière scientifique mais aussi économique par la valorisation de la recherche.
Enfin, le rapport public annuel aborde deux politiques publiques au c
œ
ur des enjeux
économiques et sociaux de notre pays : l’emploi et la formation professionnelle d’une part, à
travers notre insertion sur le pilotage des acteurs associatifs par le ministère du travail, et la
santé d’autre part, avec le chapitre sur la gouvernance des ordres des professions de santé.
Le paysage associatif est très divers et il a fait l’objet d’un soutien financier de l’État depuis le
début de la crise, aussi bien en matière de formation que d’insertion professionnelles. La
crise a toutefois accentué les tensions sur les financements des associations. Elle a
également mis en lumière l’importance de renforcer le pilotage de ces associations ainsi que
l’évaluation de leurs actions et résultats, à la hauteur des enjeux abordés dans leur travail
quotidien, si précieux pour nos concitoyens
Des évolutions plus structurelles paraissent nécessaires concernant les différents ordres des
professions de santé contrôlés par la Cour, sur lesquels nous nous exprimons régulièrement
– nous l’avons fait en 2019 sur l’ordre des médecins et nous allons le refaire bientôt sur
l’ordre des infirmiers – pour améliorer leur gouvernance et remettre au centre de leurs
priorités la protection des droits des patients, ce qui est le c
œ
ur de leur raison d’être. Dans la
période exceptionnelle que nous traversons, où la santé est au c
œ
ur des préoccupations de
tout le monde, il en va de la confiance des citoyens dans notre système de santé et dans les
femmes et les hommes qui l’incarnent et le font vivre.
***
Vous le voyez, mesdames et messieurs, notre rapport public 2021 illustre la diversité des
sujets traités par les juridictions financières, mais aussi leur capacité d’adaptation à
l’actualité.
Les thèmes que nous avons choisi d’aborder défendent tous une conviction au fond :
quand on aborde la crise sanitaire et les préoccupations des Françaises et des
Français, il n’y a pas de petit sujet.
Nous avons donc voulu éviter de trop nous focaliser,
dans ce rapport, sur une politique ou sur un secteur d’administration en particulier. Nous
voulions au contraire refléter la variété de l’action publique, nationale comme territoriale.
Il ne nous revenait pas plus de porter un jugement global, à ce stade, sur la gestion de
la crise, c’eût été à la fois prématuré et outrecuidant.
Mais comme Winston Churchill
l’aurait dit, «
il ne faut jamais gaspiller une crise
» –je me méfie toujours des citations
attribuées mais celle-ci ressemble tout de même au personnage – et notre rapport s’attache
donc, à partir de quelques exemples soigneusement choisis sur les premiers effets de la
crise, à partager certains enseignements pour renforcer notre résilience collective lors des
prochains chocs, quelle que soit leur forme ou leur intensité. Il ne faut pas être dans le même
état d’impréparation pour la prochaine crise qui surviendra. Il s’attache surtout à souligner la
remarquable réactivité des acteurs publics face à un choc sans précédent.
Ce RPA 2021 ne présente toutefois que nos premiers travaux sur la crise.
Ils seront
complétés et enrichis par de nombreux autres. Comme je l’indiquais au début de mon
propos, je remettrai d’abord le mois prochain au Premier ministre nos analyses sur la
stratégie d’évolution des finances publiques dans l’après Covid. Ce sera bien sûr un sujet
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absolument décisif dans les prochaines années. Tout au long de l’année 2021, nos contrôles
et enquêtes ensuite sont orientés vers la crise de Covid-19, sa gestion et ses conséquences.
Et cette grande crise, qui bouleverse la vie de notre pays, sera au c
œ
ur de notre
programmation pour 2021, qui bien sûr n’oubliera bien sûr pas nos missions
traditionnelles.
Je souhaite en effet que le prochain rapport public, à paraître en 2022, dans un an, soit
entièrement consacré, je dis bien entièrement, avec un recul plus important, au bilan de cette
crise et de ses conséquences. Cette orientation est d’ailleurs confortée par les demandes
d’enquêtes formulées par le Parlement, par exemple sur la continuité de l’activité du
ministère de la Justice pendant la crise, sur l’évolution des dépenses publiques après le
premier confinement, sur le programme de relance ou encore sur les mesures de soutien à
la filière aéronautique. Sur tous ces sujets, les équipes de la Cour sont déjà au travail.
Tous nos travaux s’articuleront bien sûr avec ceux que le Gouvernement a confié à
d’autres organismes ou groupes de travail sur la sortie de crise.
Je pense en particulier
à la mission d’évaluation de la crise sanitaire dirigée par le Professeur Pittet, au comité de
suivi des mesures de soutien financier aux entreprises présidé par Benoît Coeuré, à la
commission sur l’avenir des finances publiques conduite par Jean Arthuis. Dans tous ces
groupes, on trouve d’ailleurs des magistrats et des magistrates de la Cour, ce qui constitue
une reconnaissance de la qualité de notre travail. Il y a aussi les travaux d’Olivier Blanchard
et de Jean Tirole pour penser l’économie mondiale post-épidémie, qui nous concernent et
nous intéressent. La Cour et les juridictions financières dans leur ensemble entendent ainsi
contribuer, à leur niveau et avec leurs atouts, aux chantiers de réflexion et de réforme qui
s’annoncent. C’est ainsi que je conçois leur rôle, comme un « tiers de confiance », capable
par ses analyses objectives, chiffrées, étayées, respectées parce que justement objectives,
chiffrées et étayées, comme par ses propositions de contribuer à la qualité de la décision
publique, et ainsi d’être toujours plus utile aux Françaises et aux Français.
Pour l’heure, je vous remercie de votre attention et je répondrai volontiers à vos
questions, avec les présidentes et présidents qui m’entourent.
Comme cet exercice se
déroule intégralement à distance, vous avez la possibilité de demander la parole en « levant
la main » – je mets les guillemets nécessaires – ou, à défaut, de poser votre question par
écrit pour que celle-ci puisse nous être lue et qu’il vous soit répondu. Merci de votre
attention.